PCI (ML) – Guerre Populaire : Document de 1997

La structure socio-économique de l’Inde, la voie de la révolution, les contradictions principales…

Notre pays est un pays semi-féodal et semi-colonial, ayant une structure socio-économique liée à l’impérialisme. Notre pays est exploité par l’impérialisme, le féodalisme et la bourgeoisie compradore. 

Notre pays connaît encore beaucoup de problèmes concernant l’auto-détermination de certains peuples se trouvant encore sous le joug de l’impérialisme. L’étape de notre révolution correspond à celle de la révolution de nouvelle démocratie. 

Les contradictions principales de notre société sont:

A.le féodalisme et les masses populaires,
B.L’impérialisme et le peuple indien,
C.Le travail et le capital,
D.Les contradictions au sein des classes dominantes.

La contradiction la plus importante est celle entre le féodalisme et les masses populaires. Puis vient celle entre l’impérialisme et le peuple indien. 

La résolution de ces contradictions sera possible avec la révolution de nouvelle démocratie.

Notre stratégie politique…

Notre parti suit la lignée des leaders historiques du prolétariat international que sont Marx, Engels, Lénine, Staline et le président Mao. 

Notre ligne est le marxisme-léninisme pensée Mao-Tsé- Toung. La révolution de nouvelle démocratie en Inde atteint ses objectifs en analysant les classes ennemies et amies; les cibles principales de la révolution sont l’impérialisme, le féodalisme et la bureaucratie capitaliste compradore. 

Les classes ennemies ciblées par notre révolution sont:

A.Les propriétaires terriens,

B.la bourgeoisie (bureaucrate) compradore.

Les forces amis sont:

A.Le prolétariat et son avant-garde politique et idéologique,

B.Les agriculteurs et les paysans pauvres,

C.la paysannerie moyenne, 

D.La paysannerie riche (non partie-prenante dans la révolution terrienne et faisant partie des forces paysannes anti-impérialistes),

E.La petite-bourgeoisie,

F.La bourgeoisie nationale,

G.Le semi-prolétariat (commerçants et artisans,)

H.Le lumpenproletariat.

Notre stratégie militaire…

C’est une guerre adaptée à la réalité de l’Inde, c’est-à-dire la guerre populaire. Cette réalité s’applique aux régions où l’ennemi est faible, c’està-dire les régions où les campagnes et les paysans sont nombreux. 

En créant des bases révolutionnaires dans ces régions nous pourrons encercler les villes par la campagne.

La différence entre nous et les autres pai révolutionnaires ou progressistes…

Certaines organisations considèrent qu’il est trop tôt pour entamer la lutte armée. Selon elles il faut d’abord lutter économiquement, ensuite la guérilla pourra rentrer en jeu. Selon nous c’est une déviation droitière et nous condamnons cette idée.

Les organisations soutenant cette ligne ont toujours pris part aux élections. D’autres organisations comme  » drapeau rouge  » n’y participent pas mais ont la même ligne.

Les partis croyant vraiment en la guerre populaire sont le PCI (ML)-Guerre populaire, le PCI(ML) Centre maoïste communiste et le PCI(ML)-parti central.

Nous essayons en ce qui nous concerne de nous unir avec ces partis qui croient en la lutte armée et qui ont une ligne marxiste-léniniste pensée Mao-Tsé-Toung. 

Les deux autres partis combattent dans le Bihar, région du nord-est de l’Inde à côté du Népal. 

Nous avons d’importantes relations avec ces deux partis, et la possibilité d’union entre nous trois est très grande.

La conférence de 1995 concernant toute l’Inde rassemblait des représentants des trois partis. Nous essayons également d’avoir des relations avec le PCI(ML)-Janashkati, nous menons des actions communes pour nous rapprocher. Cependant nous n’en sommes pas encore à nous unir.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

PCI (ML) – Guerre Populaire : Crise générale du capitalisme

Parti Communiste d’Inde Marxiste-Léniniste / Guerre populaire 

Crise générale du capitalisme 
 

Qu’entend-on par “crise générale du capitalisme”? En quoi diffère-t-elle de la crise périodique du XIXe siècle?

La crise générale du capitalisme (CGC) n’est autre que la crise permanente et universelle du capitalisme à l’ère de l’impérialisme et de la révolution prolétarienne. 

On utilise les termes de “crise générale du capitalisme” pour décrire le processus de désintégration du système capitaliste mondial lorsqu’il englobe tous les domaines de l’ordre bourgeois: économie, politique et idéologie. 

Dans son ouvrage intitulé Problèmes économiques du socialisme en URSS, le camarade Staline a décrit la CGC de la façon suivante: “La crise générale du capitalisme mondial est-elle uniquement une crise politique ou n’est-elle qu’une crise économique? 

Ni l’une ni l’autre. C’est une crise générale, c’est-à-dire totale, du système capitaliste mondial, recouvrant à la fois les domaines économique et politique. 

Et il est clair qu’à la base de cette crise l’on trouve le déclin de plus en plus marqué du système économique du capitalisme mondial, d’une part, et la puissance économique croissante des pays qui se sont libérés du capitalisme – l’URSS, la Chine et les autres démocraties populaires – d’autre part.”1

Pour mieux comprendre la CGC, il convient de dégager les origines et de retracer le développement de la crise capitaliste.

Il est bien connu que les crises économiques ont été une caractéristique inhérente du système capitaliste dès les tout premiers temps de son apparition. 

Ceci découle de la contradiction fondamentale du capitalisme – le caractère social de la production et l’appropriation privée du produit. 

Les efforts du capitaliste industriel vers l’optimalisation de son profit, par rapport au faible pouvoir d’achat des travailleurs, sont la cause d’une production chaotique, débouchant sur une surproduction et sur des crises économiques périodiques.

Engels avait analysé ceci dans son brillant ouvrage intitulé La condition de la classe ouvrière en Angleterre: “Les conditions anarchiques de la production et de la répartition modernes des denrées, les conditions de production qui sont régies par le profit au lieu de l’être par le souci de satisfaire aux besoins, les conditions sous lesquelles tout un chacun vaque à ses propres affaires en essayant de s’enrichir – de telles conditions ne peuvent manquer de déboucher sur de fréquentes périodes de stagnation. 

Aux premiers temps de l’ère du développement industriel, la stagnation se limitait à l’un ou l’autre secteur de l’industrie par rapport à un marché, mais depuis la centralisation des activités des concurrents, les ouvriers, privés de travail dans un secteur particulier de l’industrie, envahissent un autre secteur, et ils en choisissent de préférence un auquel il est aisé de s’initier. C’est ainsi que les marchandises qui ne trouvent pas d’acheteur sur un marché se fraient un chemin dans un autre, et ainsi de suite. En se combinant progressivement, ces petites crises finissent immanquablement par déboucher sur des crises à grande échelle.”2

Dans ses Principes du communisme, Engels a également décrit comment, à l’ère de la concurrence libre, des crises périodiques sont amenées à se produire après chaque période de cinq à sept ans. 

Il explique aussi quelles sont les raisons de ce genre de crises: “Grâce à la machine à vapeur et à diverses autres inventions mécaniques, l’industrie à grande échelle s’est offert le moyen, en un court laps de temps et à peu de frais, d’augmenter la production à un degré quasi illimité. 

La libre concurrence, qui est la contrepartie essentielle de la production à grande échelle, a revêtu un aspect extrêmement agressif, et ceci du fait de la facilité avec laquelle on produisait les marchandises.

Un certain nombre de capitalistes se sont rués sur les activités industrielles et très vite, on a fini par produire plus de marchandises qu’on ne pouvait en utiliser. Par conséquent, les marchandises fabriquées à la machine ne pouvaient être vendues, et il s’en est suivi une crise commerciale. 

Des usines ont fermé leurs portes, des propriétaires d’usines ont fait faillite, et les travailleurs se sont retrouvés sans pain. Les souffrances ont sévi. 

Au bout d’un certain temps, les produits excédentaires ont été vendus, les roues des usines se sont remises à tourner, les salaires ont augmenté, et progressivement, les affaires sont redevenues plus animées que jamais. 

Mais cette prospérité n’a guère duré. Une fois de plus, on a produit trop de marchandises, une autre crise en a découlé qui a suivi le même cours que la précédente. 

Tout au long de ce siècle, la vie industrielle a fluctué entre des périodes de prospérité et des périodes de crise, des crises similaires se sont produites par intervalles de cinq à sept ans, amenant avec elles la misère intolérable des ouvriers, une effervescence révolutionnaire générale, et exposant aux pires dangers l’ordre tout entier de la société.”

Chaque fois que le capital est confronté à une crise de conversion, c’est-à-dire à une crise de surproduction et à une chute des taux de profit, on assiste à des tentatives de surmonter temporairement la crise en réduisant les coûts de production et en évinçant les capitaux rivaux.

A cette fin, chaque capitaliste individuel augmente la production de marchandises par le biais d’une amélioration des moyens de production, et par une exploitation plus intense de la main-d’oeuvre, de façon à pouvoir atteindre une rentabilité du travail plus élevée que celle de ses concurrents. 

Il s’ensuit que le capital et la production atteignent des niveaux de concentration et de centralisation toujours plus élevés, ce qui donne donc naissance à un capital monopoliste bâti sur la ruine des petits capitalistes et de ceux qui ne sont pas viables. 

Dans un même temps, le capital cherche à étendre le marché en supprimant les rapports de production précapitalistes et en transformant toute la société en une gigantesque place de marché. 

Mais les marchés nationaux deviennent trop limités et étriqués pour le capital monopoliste du fait des opportunités offertes à l’expansion illimitée de la production par les progrès énormes réalisés dans les domaines scientifique et technologique. 

Ce qui fait que le capital national, devenu capital monopoliste à cause des niveaux élevés de concentration et de centralisation, tend à s’emparer du marché mondial. 

Dans le même temps, afin de compenser la tendance à la chute du taux de profit imputable à la composition organique élevée du capital, le capital monopoliste vise à intensifier davantage son exploitation des colonies en même temps que celle de ses propres nationaux. 

Cependant, le développement inégal du capitalisme dans les différents pays fait ressortir les contradictions entre les impérialistes et demeure la principale cause de la guerre impérialiste. 

Du fait du développement du stade impérialiste du capitalisme et de la surenchère des efforts en vue de réaliser des profits maximaux, toutes les contradictions et les antagonismes se sont inévitablement intensifiés. 

Ils produisent à intervalles réguliers des explosions sociales majeures telles que des guerres mondiales, des crises économiques mondiales dévastatrices, l’apparition du fascisme et la rupture des institutions démocratiques bourgeoises, ainsi que des révolutions socialistes et nationales-démocratiques.

La CGC est apparue au début de la période de stagnation en 1907, lorsque toutes les contradictions fondamentales ont commencé à prendre des proportions plus qu’inquiétantes. Grâce à une étude scientifique des conditions existant avant la guerre, le camarade Lénine, déjà en 1907, avait mis le doigt sur le danger d’une guerre mondiale et avait appelé les prolétaires des pays capitalistes à mettre à profit la crise révolutionnaire qui allait résulter de la guerre, pour qu’ils dirigent la révolution prolétarienne.

Le Septième Congrès de la Seconde Internationale, qui eut lieu à Stuttgart en 1907, s’était longuement penché sur le danger d’une guerre mondiale. 

La fameuse Résolution de Stuttgart, formulée par Lénine et Rosa Luxemburg, envisageait que, confronté à une guerre impérialiste, le prolétariat devrait assumer les tâches suivantes: “S’il apparaît une menace de guerre, il est du devoir de la classe ouvrière et de ses représentants parlementaires du pays impliqué, soutenus par les activités de renforcement du Bureau de l’Internationaliste Socialiste, de concentrer tous leurs efforts afin d’empêcher qu’éclate la guerre, et ce par tous les moyens qu’ils jugeront les plus efficaces et qui, naturellement, varient selon le degré atteint par la lutte de classes et le poids de la situation politique générale.”

“Si la guerre devait quand même éclater, il est de leur devoir d’intervenir en faveur de son dénouement rapide et de mettre tout en oeuvre afin de tirer parti de la crise économique et politique provoquée par la guerre pour soulever les peuples et par là-même hâter l’abolition de la classe capitaliste dominante.”3

Le Huitième Congrès de la Seconde Internationale, tenu à Copenhague en 1910, avait repris le même thème.

La Conférence extraordinaire organisée à Bâle en novembre 1912 dans le contexte de l’imminence d’une guerre mondiale, avait recommandé aux travailleurs du monde entier d’adopter une position révolutionnaire contre la guerre et de mettre à profit la situation afin de faire progresser la révolution.

Bien que la première phase de la CGC ait débuté avec la Première Guerre mondiale, nous pouvons conclure sans hésiter que déjà en 1907, le capitalisme est entré dans sa période de crise générale, au moment où la fameuse Résolution de Stuttgart était formulée dans le contexte du durcissement des tentatives interimpérialistes en vue de s’assurer l’hégémonie mondiale.Ce durcissement aggrava la stagnation de l’économie mondiale, et du développement des mouvements ouvriers et populaires dans les pays impérialistes comme dans les nations réduites en esclavage.

C’est au cours de cette période qu’est apparu, au sein du Parti bolchevique, un processus destiné à débarrasser le Parti de ses éléments non-prolétariens hésitants, de tous ces liquidateurs, centristes et opportunistes de tout poil, et qu’un Parti d’un type nouveau fut créé en 1912 afin de faire face aux nouvelles possibilités révolutionnaires offertes par l’imminence de la guerre. 

Les partis qui furent incapables de comprendre la CGC à l’époque de l’impérialisme et qui traiterènt la crise de la même manière que tout autre crise périodique des années précédentes – les Bernstein, Kautski, Otto Bauer, Adler et Cie -, qui croyaient que le capitalisme pouvait sortir de la crise comme il l’avait fait dans le passé et qui émettaient même la théorie selon laquelle le capitalisme pouvait résoudre sa crise par des moyens pacifiques, ces partis finirent par devenir les larbins de l’impérialisme lorsque la Seconde Guerre mondiale devint effectivement une réalité, et c’est ainsi, qu’en fin de compte, ils trahirent la révolution.

La CGC signifie que le capitalisme entre dans une période d’explosions violentes, telles les deux guerres mondiales, les dizaines de guerres locales et les divers soulèvements populaires à travers le monde que l’on a connus au XXe siècle. La CGC signifie que le capitalisme entre dans une période de crise chronique différente de la crise qui éclatait périodiquement tous les dix ans au cours de l’ère pré-impérialiste.

Auparavant, c’est-à-dire au cours de la période précédant la CGC, les crises cycliques ont servi à résoudre les contradictions et à rétablir l’équilibre au sein du système en ayant recours à des moyens violents et destructeurs. 

Selon Marx, ce n’étaient jamais “que des solutions momentanées et énergiques aux contradictions existantes, des éruptions violentes, destinées à rétablir pendant quelque temps l’équilibre perturbé”.4

Ces crises éliminaient les firmes plus petites et moins efficaces, elles détruisaient une portion du capital afin de sauver ce qu’il en restait: elles conduisaient à une concentration accrue du capital et on les provoquait (ces crises) afin d’ouvrir de nouveaux marchés. 

Elles menaient donc inévitablement à la reprise de la production capitaliste à un niveau plus élevé. 

Ces crises cycliques suivaient un cours prévisible – crise, dépression, reprise, prospérité, dans cet ordre – se répétant tous les dix ans environ. 

La période de prospérité des anciennes crises cycliques menait à l’absorption des sans-emploi et à une pleine utilisation de la capacité industrielle.

Sous de telles conditions de CGC, cependant, les anciennes crises cycliques ont subi des modifications et elles éclatent avec une intensité nouvelle. Les phases de crise et de dépression sont plus longues et ne sont pas nécessairement suivies d’une reprise et d’une vague de prospérité. 

Si c’est néanmoins le cas, ces dernières, lorsqu’elles se produisent, sont de courte durée et sont davantage provoquées par certains stimuli externes tels que la guerre. 

En bref, les crises deviennent plus ou moins chroniques, chacune emboîtant le pas à la précédente. 

Les mouvements à la hausse au sein de la crise générale, c’est-à-dire les reprises et les périodes de prospérité, se font de plus en plus courts; la dépression devient la caractéristique normale, interrompue par de brefs mouvements de hausse et de violentes explosions sociales et politiques.

Par exemple, la stagnation qui s’est produite entre 1907 et 1914 n’a donné naissance à aucune vague de prospérité, mais à une guerre mondiale violente et sanglante. 

La crise qui a succédé à la Première Guerre mondiale s’est poursuivie pendant deux décennies jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, avec un bref mouvement de hausse au cours des années de stabilisation temporaire entre 1924 et 1929. La Grande Dépression n’a été suivie d’aucune vague de prospérité ni d’aucune reprise réelle, mais n’a pu se terminer que par une nouvelle guerre mondiale.

Comme l’a fait remarquer le camarade Staline: “La crise économique qui a éclaté dans les pays capitalistes au cours du second semestre de 1929 a duré jusqu’à la fin de 1933. 

Après cette date, la crise a connu une phase de dépression, et a été suivie ensuite d’une certaine reprise, d’une certaine tendance à la hausse de l’industrie. 

Mais cette tendance à la hausse de l’industrie ne s’est pas transformée en vague de prospérité, comme c’est généralement le cas lors d’une période de reprise. 

Au contraire, au cours du second semestre de 1937, une nouvelle crise économique a débuté, s’emparant tout d’abord des Etats-Unis et ensuite de l’Angleterre, de la France et d’un certain nombre d’autres pays.”

“Les pays capitalistes se sont donc trouvés confrontés à une nouvelle crise économique avant même de s’être relevés des ravages de la dernière.”5

Plus révélatrice encore, l’observation d’un économiste bourgeois, John Kenneth Galbraith: “La Grande Dépression des années trente n’a jamais connu de fin. Elle a tout simplement disparu dans la grande mobilisation des années quarante.”6

Engels lui-même a insisté sur la nature changeante de la crise dans sa lettre à Bebel en 1886: “Nous sommes entrés dans une période beaucoup plus dangereuse pour l’ancienne société que celle des cycles de dix ans” et plus loin, “les crises deviennent chroniques.”

Une autre différence importante entre les anciennes crises cycliques et la CGC, c’est que cette dernière se caractérise par le chômage massif chronique et la sous-utilisation structurelle de la capacité industrielle, et ce, en dépit du développement massif de la puissance de production.

En fait, les forces productives se sont développées à un point tel, à la veille de la Première Guerre mondiale, que, selon une estimation de l’époque, il était possible de procurer les besoins vitaux à tous les citoyens si chacun ne travaillait qu’une seule heure par semaine. 

Inutile de dire, aujourd’hui, que seules quelques minutes de travail suffiraient à fournir ces besoins vitaux à chaque personne de la planète.

Mais, ironiquement, c’est ce développement particulièrement gigantesque de la capacité de production qui a donné naissance à la crise mondiale, au chômage généralisé permanent, à l’appauvrissement massif, à la baisse des niveaux de vie et aux guerres mondiales. Les forces productives sont systématiquement détruites par le biais des fermetures d’usines, de la sous-utilisation permanente de la capacité, de la mise hors service de millions d’hectares de terres fertiles, de la destruction de matières premières, de céréales, de cheptels entiers et de marchandises manufacturées, pendant que l’on maintient en permanence des millions de gens à l’inaction et que l’on recourt inévitablement à la “solution finale” à la crise, c’est-à-dire aux guerres impérialistes.

Depuis le début de la CGC jusqu’à ce jour, ces caractéristiques se sont maintenues, bien qu’à des degrés variables selon les époques.

“Même au plus fort de la stabilisation temporaire du capitalisme entre 1924 et 1929, la capacité de production a été constamment sous-utilisée. 

En 1928, l’année culminante de la prospérité, le taux d’utilisation de la capacité aux Etats-Unis était de 82%. Et en 1932, ce même taux d’utilisation de la capacité était retombé à 42% à peine.”7

Une autre caractéristique étrange de la CGC, c’est que le développement de la production industrielle s’accompagne d’une chute de l’emploi dans l’industrie. Par exemple, entre 1919 et 1927, la production dans les usines américaines avait augmenté de 147 à 170 (sur base 100 en 1914), alors que l’index de l’emploi passait de 129 à 115 (toujours sur la même base). 

Tandis que la production industrielle augmentait de 20% au cours de la période de 1924 à 1929, le nombre total de travailleurs salariés diminuait de 2,6%. 

Le nombre de travailleurs salariés dans l’industrie avait chuté de 9.039.000 à 8.742.000 aux Etats-Unis entre 1919 et 1929, même si l’index de la production industrielle, lui, avait grimpé de 84 à 119.

En Grande-Bretagne, entre 1923 et 1928, le nombre d’ouvriers au travail dans l’industrie avait chuté de 8.368.000 à 7.898.000, alors que l’index de la production avait grimpé de 88,7 à 96,3. 

De sorte que pendant que la production augmentait de 8,5%, l’emploi, lui, baissait de 5,6%.

Au cours de la Grande Dépression de 1929 à 1932, la productivité de la main-d’oeuvre (production par homme-heure) s’est accrue de 12% aux Etats-Unis, et ce, par le biais de la rationalisation, de la hausse des cadences, etc., tandis que douze millions de personnes restaient au chômage. 

Dans le monde capitaliste dans son ensemble, le nombre total de chômeurs avait atteint le point culminant de 30 millions en 1933. 

Par conséquent, des millions de travailleurs sont devenus superflus du fait que leur capacité de production était devenue trop élevée.

La crise sans précédent qui a commencé avec le krach de Wall Street en octobre 1929 et la dépression qui s’est terminée par la Seconde Guerre mondiale ont vu la destruction massive de forces productives équivalentes aux pertes endurées au cours de la Première Guerre mondiale. 

En quatre années seulement, entre 1929 et 1933, 200 milliards d’hommes-heures ont été perdus, ce qui signifie une perte de 100 millions d’hommes-années, c’est-à-dire l’équivalent de ce que 10 millions d’hommes peuvent produire en 10 années. 

Jusqu’à la fin de 1933, pas moins de 22 millions de sacs de café ont été brûlés ou jetés à la mer. 

Le gouvernement américain a dépensé entre 7 et 20 dollars de subsides par acre8 chez les planteurs de coton et ils ont procédé à la destruction de 11 millions d’arpents (soit 44.000 kilomètres carrés de coton ou une fois et demie la superficie totale de la Belgique!). 

En décembre 1931, la production de cuivre a été limitée à 26% de la capacité des mines.

Au Danemark, on a abattu et brûlé du bétail à raison de 5.000 têtes par semaine. En vue de cette opération, le gouvernement a décidé la création d’un fonds spécial de destruction.9

Aux Etats-Unis, environ 160 milliards de dollars en papier monnaie ont disparu dans l’atmosphère au cours des trois années de 1929 à 1932. Selon le Bureau américain des Statistiques du travail, les salaires totaux aux Etats-Unis ont baissé de 17,2 milliards de dollars en 1921 à 6,8 milliards de dollars en 1932.

En 1934, désireux d’expliquer la nature de la crise, le camarade Staline disait ceci dans son rapport au XVIIe Congrès du Parti: “La crise économique actuelle, dans les pays capitalistes, se distingue de toutes les crises analogues, entre autres, par le fait qu’elle est la plus prolongée, qu’elle traîne en longueur. 

Si, auparavant, les crises se terminaient au bout d’une ou deux années, la crise actuelle entre déjà dans sa cinquième année, en faisant d’année en année des ravages dans l’économie capitaliste dont elle absorbe la graisse amassée au cours des années précédentes. Rien d’étonnant que cette crise soit la plus pénible de toutes”10

Donnant les différentes raisons du caractère exceptionnellement prolongé de la crise, le camarade Staline observait encore: “… la crise industrielle s’est déchaînée dans le cadre de la crise générale du capitalisme, au moment où celui-ci n’a déjà plus et ne peut plus avoir, ni dans les principaux Etats, ni dans les colonies et pays dépendants, la force et la solidité qu’il avait avant la guerre et avant la Révolution d’Octobre; où l’industrie des pays capitalistes a hérité de la guerre impérialiste la sous-production chronique des entreprises, ainsi que des armées de millions de chômeurs, dont elle ne peut plus se défaire.”11

Il expliquait également pourquoi la crise cyclique ne peut opérer de l’ancienne façon: “Est-ce à dire que nous ayons affaire à une période de transition, que la crise passe à la dépression ordinaire, qui entraînera un nouvel essor, un nouvel épanouissement de l’industrie? 

Non. 

En tout cas, à l’heure présente, il n’y a pas de données directes et indirectes qui attestent une reprise imminente de l’industrie dans les pays capitalistes. 

Bien plus: tout porte à croire que de telles données ne peuvent pas même exister, du moins dans un proche avenir. 

Elles ne peuvent exister, parce que toutes les conditions défavorables qui empêchent l’industrie des pays capitalistes de se relever un peu sérieusement continuent d’agir. Il s’agit de la crise générale du capitalisme qui se prolonge et au milieu de laquelle se déroule la crise économique. 

Il s’agit de la sous-production chronique des entreprises, d’un chômage massif chronique, de l’interpénétration de la crise industrielle et de la crise agricole, de l’absence de cette tendance vers un renouvellement quelque peu sérieux du capital fixe qui annonce habituellement le début d’un essor, etc.”12

Notre rapport de parti (du PCI-ML) de 1992 résumait comme suit ces caractéristiques de la CGC: “La principale caractéristique de la crise générale du capitalisme est que le capitalisme dans son ensemble est enlisé dans une crise permanente de surproduction, de sous-utilisation de sa capacité, de chômage permanent de masse et d’inflation. 

Cela veut dire que la survie même du capitalisme dépend de la destruction massive continuelle des forces productives.

Ceci est réalisé par les guerres mondiales et les guerres régionales, également par la sous-utilisation des capacités de production. 

Cela rend la vaste majorité de la main-d’oeuvre redondante. 

Cela détruit les excédents de marchandises alors que la majorité des gens dépérissent d’indigence. Dans certains cas les techniques de pointe sont détruites et on en revient même à des méthodes de production arriérées afin de réaliser des profits plus substantiels.”

“Par conséquent, le déclenchement de la crise générale du capitalisme en 1914 a développé davantage encore la condition objective pour une révolution sociale qui, en fait, était apparue avec le commencement de l’époque impérialiste même. 

Elle a porté toutes les contradictions de la société vers un point de rupture; que ce soit la contradiction entre le capital et le travail, celle entre l’impérialisme et les nations opprimées, ou celle entre les diverses puissances impérialistes. 

Le conflit entre les forces productives et les rapports de production existants a donc pris une forme explosive, menant dès 1914 déjà au fascisme, aux guerres mondiales et aux révolutions sociales qui continueront jusqu’à la victoire finale de la Révolution socialiste mondiale.” (p 8-9)

Le problème du chômage chronique et de la sous-utilisation de la capacité dans le monde capitaliste pouvait être résolu temporairement grâce à la Seconde Guerre mondiale, comme on l’a expliqué plus haut. 

La guerre, qui a vu l’implication de presque tous les pays impérialistes ainsi que la majeure partie du monde colonial, a détruit les forces productives à un degré inégalé dans les annales de l’humanité. 50 millions de personnes ont été tuées, et 50 millions d’autres ont été blessées. 

Des biens représentant des milliards de dollars ont été détruits. Des cités entières, même, comme Nagasaki et Hiroshima, ont été détruites. 

Ce n’est que par le biais de telles destructions massives des forces productives, par l’incorporation à grande échelle des chômeurs dans les armées et la conversion de l’industrie civile en industrie destinée à la défense que l’on a essayé de résoudre la crise des années 1930.

Et pourtant, la guerre a donné naissance à une intense crise révolutionnaire à l’échelle mondiale et elle a affaibli l’impérialisme dans des proportions importantes. 

La crise révolutionnaire a continué pendant presque une décennie après la guerre. 

La totalité de l’Europe de l’Est, la Corée du Nord, le Nord-Vietnam et la Chine ont rompu avec le marché du monde capitaliste, aggravant de ce fait davantage encore la CGC. 

Le système colonial de pouvoir direct par l’impérialisme a commencé à se démanteler très rapidement au cours de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale.

Aggravation de la crise générale du capitalisme après la Seconde Guerre mondiale

A son tour, la Seconde Guerre mondiale, qui était une expression de la CGC, a profondément aggravé cette crise. 

Elle a intensifié toutes les contradictions fondamentales qui minaient inlassablement la force et la stabilité du capitalisme dans tous les pays. 

Après la guerre, l’aggravation de la CGC s’est manifestée à travers les développements suivants:

  1. Terrible affaiblissement de l’impérialisme. Les grands empires capitalistes d’autrefois – la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Japon, la France, l’Italie, etc. – étaient dans un état d’épuisement, de ruine et de dévastation dû à la guerre, confinant presque à la paralysie totale, pendant un certain temps. 

    Les Etats-Unis sont devenus les seuls bénéficiaires de la guerre et, en fait, ils en sont sortis renforcés. L’hégémonie américaine, même, était un produit de la CGC. Elle pouvait prendre forme, même chancelante, à cause du profond état de crise auquel étaient confrontés tous les autres pays capitalistes.
  2. La désintégration du marché capitaliste mondial et une diminution de sa sphère d’opération du fait de la formation d’un marché socialiste. Ceci a été décrit par le camarade Staline comme étant la séquelle économique la plus importante de la Seconde Guerre mondiale.
  3. La dépendance croissante des pays capitalistes, particulièrement les Etats-Unis, vis-à-vis de la production d’armements et de matériel militaire de façon à absorber les excédents, à résoudre le problème des restrictions du marché et à augmenter la capacité de production. 

    Les Etats-Unis, qui étaient la seule nation à s’être relevée plus forte des cendres de la Seconde Guerre mondiale, comptabilisaient plus de 60% de toute la production industrielle du monde capitaliste. 

    Afin d’avoir une forte emprise sur les marchés et sur les sources de matières premières, la domination stratégique militaire sur le monde était indispensable. 

    Une économie permanente basée sur les armes, c’est-à-dire une économie de guerre, était donc absolument essentielle pour les Etats-Unis. D’énormes surplus étaient extraits du reste du monde par l’exportation de capitaux et de marchandises.

    La gigantesque capacité de production dont ils disposaient grâce à ces surplus devait être orientée vers la production de munitions, d’où le but de lancer des guerres d’agression. 

    La guerre de Corée, la guerre en Indochine et les dizaines de guerres régionales qu’ils provoquèrent partout dans le monde étaient la conséquence des impératifs économiques décrits plus haut, en dehors de l’objectif politique, de détruire l’influence du camp socialiste. Sans ces guerres, sans la permanence de l’économie de guerre de l’impérialisme américain, ces dernier se seraient écroulés sous le poids de leurs propres contradictions internes.

    Par exemple, le chômage aurait même surpassé les points culminants des années 30. Selon des estimations du Département américain du Commerce, si en 1946 le pays était retourné au niveau de production en vigueur en 1940, l’armée des chômeurs aurait compté, non pas un million de personnes comme en 1940, mais 19 millions de personnes.
  4. L’effondrement de l’ancien système colonial, marqué par l’éclatement de luttes de libération nationale dans de nombreuses parties du monde colonial et semi-colonial, comme en Inde, en Indochine, en Birmanie, en Corée, en Indonésie, en Malaisie, aux Philippines et dans diverses régions d’Afrique.
  5. Le durcissement de la lutte des pays capitalistes pour le contrôle des marchés capitalistes mondiaux devenant de plus en plus étriqués. L’hégémonie de l’impérialisme américain sur le monde capitaliste a commencé par être sapée à cause du déséquilibre dans le développement des pays capitalistes. 

    Vers le milieu des années 1950, on a fait des tentatives pour former un seul marché européen, et six pays d’Europe se sont réunis pour former la CEE en 1957. 

    A partir du milieu des années 1960, le Japon aussi a commencé à rogner sur les parts américaines dans le marché mondial. 

    Tout ceci a miné vers le début des années 1970 l’hégémonie économique américaine par rapport aux autres grandes puissances impérialistes.
  6. Le grand développement d’après-guerre des forces démocratiques et socialistes du monde, qui affaiblissent fondamentalement la domination capitaliste et le système capitaliste dans son ensemble. 

    Le prestige économique et politique de l’URSS, de par son rôle prépondérant dans la défaite de l’Allemagne de Hitler et son relèvement rapide des effets de la guerre; l’établissement de démocraties populaires révolutionnaires en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Yougoslavie, en Roumanie, en Hongrie, en Bulgarie et en Albanie; le développement de mouvements puissants de libération nationale en Chine, en Inde, en Indochine, en Birmanie, en Corée, en Indonésie, en Malaisie, aux Philippines et dans diverses régions d’Afrique, atteignant leur point culminant dans la grande révolution chinoise et le développement d’une classe ouvrière et d’autres mouvements populaires partout dans le monde, tout cela a porté de lourds coups aux fondations mêmes du capitalisme et a miné la légitimité propre du système capitaliste.

En résumé, la scène mondiale de l’immédiat après-guerre a été marquée par trois grandes forces dynamiques: le déclin croissant du capitalisme mondial, le développement rapide du socialisme mondial et les efforts de l’impérialisme américain pour maîtriser le monde, efforts intensifiant les contradictions interimpérialistes, mais, de ce fait affaiblissant l’impérialisme dans son ensemble.

C’est en gardant à l’esprit les développements ci-dessus que le camarade Staline a conclu que le capitalisme ne pourrait jamais retrouver une stabilité, même temporaire, comme il le fit durant la période de 1924 à 1929.

Quels étaient alors les facteurs qui ont conduit à la reconstruction du capitalisme, les facteurs qui ont sauvé le capitalisme? La survie du capitalisme durant les cinq décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale réfute-t-elle la théorie de la CGC?

Chaque phénomène doit être étudié, analysé et compris historiquement. 

Pour comprendre les raisons pour lesquelles une prédiction particulière ne s’est pas transformée en réalité, on doit examiner de près les circonstances historiques concrètes qui sont apparues. 

Sur le passé, nous pouvons affirmer avec certitude que la déclaration du camarade Staline au sujet des conditions en vigueur en 1951 sont historiquement correctes. 

Car, comme on l’a mentionné plus haut, lorsque le camarade Staline a écrit les lignes ci-dessus, les luttes de libération nationale faisaient rage et évoluaient avec une rapidité surprenante.

Le camp socialiste continuait à se renforcer davantage et la crise au sein des pays impérialistes sévissait au plus haut degré. 

Les principaux pays impérialistes ne s’étaient pas encore rétablis de la destruction qu’ils avaient subie au cours de la Seconde Guerre mondiale.

La production industrielle dans la plupart des pays n’avait pas encore rattrapé les niveaux d’avant-guerre. 

La désintégration de l’impérialisme et l’avance du socialisme et de la démocratie nationale étaient clairement à l’ordre du jour. 

C’est à ce stade critique de l’histoire du monde qu’une combinaison de facteurs a contribué une fois de plus à stabiliser le capitalisme, quelque partielle et temporaire que cette stabilisation ait pu être.

Ces facteurs sont: la restauration du capitalisme en Union soviétique et en Europe de l’Est après la mort du camarade Staline et particulièrement à partir du XXe Congrès du PCUS en 1956; la poursuite de la domination coloniale via des méthodes néo-coloniales indirectes avec l’aide des bourgeoisies compradores et des marionnettes politiques dans les pays du tiers-monde, conséquences de la trahison de la plupart des dirigeants des mouvements de libération nationale; les nouvelles méthodes adoptées par l’impérialisme pour sortir de la crise, telles que l’économie de guerre permanente et la militarisation massive; l’intervention de l’Etat dans l’économie et la transformation du capitalisme monopoliste en capitalisme monopoliste d’Etat dans tous les pays impérialistes; des séries de guerres locales et de guerres d’agression menées par les forces combinées de l’impérialisme; l’importance croissante de la dette publique, suite à l’application de politiques keynésiennes.

Ces factuers ont contribué à accorder un répit temporaire à l’économie capitaliste mondiale. 

Ils ont permis de reculer l’échéance de la CGC. 

Cependant, le keynésianisme, qui servait d’idéologie économique officielle du monde capitaliste au lendemain direct de la Seconde Guerre mondiale, a échoué lamentablement dans sa tentative d’empêcher l’aggravation de la CGC.

Après 18 années de prospérité économique, la plus longue période de prospérité de l’histoire du capitalisme, ce dernier retomba une fois de plus dans une stagnation prolongée, et ce dès 1973. 

La prospérité, elle-même, avait un caractère illusoire, car elle était basée sur des guerres, sur un appareil militaire, sur le financement et la réglementation par l’Etat. 

Elle se prolongeait grâce au gonflement de la dette et à l’accroissement de la spéculation. 

Le chômage et la sous-utilisation de la capacité de production ont d’ailleurs continué à exercer leurs effets tout au long de cette période de “prospérité économique”.

Tous les facteurs qui ont donné naissance à la CGC avant la Première Guerre mondiale continuent à agir jusqu’à ce jour, conduisant à une aggravation des contradictions fondamentales dans le monde. 

Malgré l’effondrement de toutes les bases socialistes établies, les peuples et nations opprimés du monde, ainsi que le prolétariat mondial, continuent à porter des coups à l’impérialisme et à progresser vers le socialisme. 

Les contradictions parmi les diverses puissances impérialistes prennent graduellement un caractère antagoniste et mettent de plus en plus le doigt sur le danger de la fascisation et du déclenchement de guerres interimpérialistes.

La bourgeoisie a déclenché une offensive contre les prolétariats des pays impérialistes en jetant de plus en plus de travailleurs à la rue, en supprimant tous les programmes sociaux et en provoquant un situation d’insécurité sociale parmi les populations. 

Le nombre de chômeurs aujourd’hui dépasse de beaucoup celui des années 30. 

Le taux de chômage, à la mi-95, était de 12% en France et en Italie, de 15% en Grande-Bretagne, de 13% en Belgique, de 9% en Allemagne, de 6% aux Etats-Unis et de 23% en Espagne. 

A la fin de 1994, il y avait 36 millions de personnes sans travail dans les pays capitalistes, ce qui représente 6 millions de plus que les chiffres en vigueur au cours des pires moments de la Grande Dépression des années 1930. 

Plus alarmant encore est le fait que le capital pousse de plus en plus de gens à la rue, à cause de l’automatisation, de l’informatisation et du transfert d’industries dans les pays du tiers-monde répondant à une quête de main-d’oeuvre bon marché, et ce, afin d’élever la productivité et d’augmenter la compétitivité dans un monde de concurrence à couteaux tirés.

En outre, du fait de l’exploitation sévère des ressources mondiales par les compagnies multinationales et transnationales, la crise environnementale a atteint des proportions alarmantes et a donné libre cours à des mouvements de protestation à l’échelle mondiale.

L’appauvrissement de la masse, le déclin des niveaux de vie, l’insécurité sociale, l’augmentation drastique du taux de criminalité, etc., sont devenues des réalités quotidiennes dans le monde capitaliste. C’est ce que nous avons déclaré dans notre rapport de parti de 1992:

“La crise économique mondiale prolongée qui sévit depuis 1973 n’a vu aucun ralentissement dans développement progressif et elle a même engendré des taux négatifs de croissance, un chômage de masse, une inflation (ou plutôt ‘stagflation’, pour reprendre l’appellation de ce nouveau phénomène historique de l’après-guerre) ainsi qu’un excès de la capacité industrielle…”

“La crise actuelle dans le système capitaliste mondial, qui sévit depuis le début des années 1970, est comparable à celle de la Grande Dépression des années 1930.

Mais elle est plus généralisé et de plus longue durée. Les courts soubresauts intermédiaires, que l’on a appelés à tort des reprises, n’ont amené aucune amélioration du chômage massif, ni des taux réels de croissance ni n’ont remédié à l’inflation. L’accroissement de la dépendance vis-à-vis de la dette est aujourd’hui la caractéristique de chaque économie dans un monde où la crise n’a fait que s’étendre dans l’espace et dans le temps.”

“La différence la plus importante entre la crise économique mondiale actuelle et celle des années 1930 réside dans le fait que les gouvernements, au niveau mondial, ont essayé d’appliquer toutes les mesures possibles contre cette crise et qu’ils ont lamentablement échoué. 

En outre, ils sont plongés jusqu’au cou dans les dettes, ce qui n’était pas le cas dans les années 1930.”

“L’intervention massive des gouvernements pour sortir de la crise par le biais d’énormes emprunts et du financement des déficits s’avère futile. 

Par exemple, en 1982, l’Etat a fourni 30% des besoins totaux dans l’économie des Etats-Unis et du Japon. 

En Allemagne et en France, l’Etat a fourni 46% des exigences et, en Hollande, 60%. 

Ils ont épuisé toutes les théories de l’arsenal du capitalisme, qu’elles soient keynésiennes, ‘socialistes’, néo-keynésiennes, ou qu’elles préconisent le marché libre. 

Par conséquent, le scénario qui s’en dégage serait encore plus horrible que celui des années 1930. Ceci montre également à quel point étaient fragiles, instables et illusoires les fondements de la ‘longue période de 18 années de prospérité’ qu’avaient provoquée la guerre, l’intervention de l’Etat et le développement de la dette jusqu’en 1973.”

La CGC affecte tous les secteurs de la vie – l’économie, la politique, l’environnement et l’idéologie, et depuis 1973, elle accentue toutes les contradictions fondamentales du monde.

Le rapport du parti de 1992 a résumé les développements des deux dernières décennies dans le contexte de la CGC: “C’est dans le contexte de cette évolution si pénible de la crise générale du capitalisme que l’on doit analyser les changements profonds qui se produisent au sein de la politique mondiale, et tout spécialement dans l’effondrement du statut de super-Etat de l’Union soviétique et de sa désintégration politique; les développements en Europe de l’Est et en Chine; l’affaiblissement de la superpuissance américaine; la naissance d’autres puissances impérialistes; l’agression impérialiste croissante contre les pays du tiers-monde; le danger d’une guerre mondiale et la situation révolutionnaire qui gagne en intensité dans le monde d’aujourd’hui.”

Les différentes phases de la crise générale du capitalisme

Les phases de la CGC ont été mentionnées par le camarade Staline en avril 1952. 

On a dit que la première phase avait commencé avec la Première Guerre mondiale et la seconde phase avec la Seconde Guerre mondiale.

“La crise générale du système capitaliste mondial a commencé lors de la Première Guerre mondiale, en particulier avec la séparation de l’Union soviétique vis-à-vis du système capitaliste. 

Cela a constitué un premier stade dans la crise générale. Une seconde phase dans la crise générale s’est développée lors de la Seconde Guerre mondiale, spécialement après que les démocraties populaires de l’Europe et de l’Asie se furent retirées du système capitaliste. 

La première crise, au cours de la période de la Première Guerre mondiale, et la seconde crise, au cours de la période de la Seconde Guerre mondiale, ne doivent pas être considérées comme des crises séparées et indépendantes, mais comme des stades successifs du développement de la crise du système capitaliste mondial.”13

La première phase de la CGC a duré jusqu’en 1923, lorsque la première fournée de révolutions mondiales a été réprimée et que le capitalisme a été en mesure de se stabiliser temporairement.

Cela a été correctement signalé dans notre rapport du parti de 1984.

“Après 1917, une vague révolutionnaire s’est poursuivie durant cinq ou six années environ. 

Ensuite, l’impérialisme a eu les coudées plus franches et a commencé à supprimer les mouvements révolutionnaires dans les pays capitalistes ainsi que la vague de soulèvements dans les colonies.”

“Par conséquent, une fois que l’impérialisme s’était retrouvé empêtré dans une crise générale (permanente) et impliqué dans une guerre mondiale, suite au développement accru de ses contradictions générales, et au moment où était apparue la première fournée de vagues révolutionnaires dans différents pays, la première phase de crise permanente de l’impérialisme était passée.” (p.12)

Après les six années de stabilisation qui se sont écoulées entre la fin de 1923 et octobre 1929, le monde a été plongé dans une nouvelle crise grave qui a débouché en une décennie exactement sur la Seconde Guerre mondiale. C’est donc ainsi qu’a commencé la seconde phase de la CGC. 

Au cours de la période de quinze ans séparant les deux phases, la CGC a continué à sévir et à s’intensifier, aiguisant par là toutes les contradictions inhérentes du capitalisme.

Au vu de la durée de la seconde phase, on rencontre différentes opinions parmi les marxistes-léninistes.

La conception générale des marxistes-léninistes au cours des années qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale était que la seconde phase allait continuer jusqu’à l’effondrement total de l’impérialisme. 

Comme nous l’avons vu plus tôt, toute stabilisation du capitalisme, quelque partielle, relative et temporaire qu’elle puisse être, a été réfutée par le camarade Staline. C’est ce qui a provoqué une grande vague de confusion quant à la durée de la seconde phase et au commencement de la troisième phase de la CGC.

Dans notre rapport du parti pour l’année 1984, nous avons mentionné que le second stade s’était terminé en 1975 et qu’un troisième stade de la CGC lui avait succédé immédiatement.

“En pratique, une vague révolutionnaire s’est répandue à travers le monde jusqu’en 1975. 

Au lieu d’une seule zone révolutionnaire, un système socialiste composé de plusieurs zones est apparu. 

Par conséquent, la seconde phase de la CGC, et consécutive à celle-ci, la phase de la seconde vague de révolutions qui s’était répandue travers le monde, était terminée.” (p.30)

“Même lorsque l’offensive de la seconde vague de révolution mondiale a temporairement marqué le pas à partir de 1975, on n’a même pas assisté à une stabilisation relative du système capitaliste; en fait, parce que la situation a continué à s’aggraver tout au long de la troisième phase de la crise générale, et qu’on a assisté à un mûrissement de la situation révolutionnaire, la vague future de cette troisième fournée de révolutions est en train de bouillonner profondément partout, et la situation ressemble tout à fait au calme qui précède la tempête.” (p.64)

Notre conclusion selon laquelle la troisième phase de la CGC avait commencé en 1975 était basée sur la certitude qu’une troisième Guerre mondiale était imminente et qu’une telle guerre allait invariablement donner naissance à une troisième fournée de révolutions.

“Avec l’impérialisme enfoncé jusqu’au cou dans la troisième phase de la crise générale, et l’arrivée imminente d’une troisième guerre mondiale désastreuse, nous devons nous efforcer de transformer la défaite temporaire subie par la révolution socialiste mondiale en victoire et en marche vers l’avant. 

A cette fin, les peuples opprimés de la terre entière devraient être mobilisés et préparés sous la direction de la classe ouvrière. 

C’est la principale tâche à laquelle chaque parti communiste est confronté de nos jours. 

Si nous pouvons consciemment préparer le parti et le peuple à épauler cette tâche, alors, au cours de la troisième phase de la crise générale, qui est amenée à provoquer une troisième fournée toujours plus intense de vague révolutionnaire, plus aiguë encore que les deux précédentes, nous pourrons obtenir de grandes victoires correspondant à la grande vague du futur.”(p.73-74)

En anticipant sur la guerre mondiale, nous avons établi les tactiques à adopter à la fois en cas de présence et en cas d’absence de bases socialistes capables de tenir compte des expériences des deux guerres mondiales.

Nous avons considéré la fin de la guerre en Indochine et la retraite de l’impérialisme américain comme l’achèvement de la seconde phase de la CGC. 

Strictement parlant, le Komintern a utilisé le mot phase pour décrire une crise révolutionnaire à l’échelle du monde, et plus spécialement une crise révolutionnaire englobant une partie significative du camp impérialiste. 

C’est pourquoi, lors de la défaite en 1923 des révolutions qui avaient éclaté en Europe, on a dit que la première phase de la CGC avait été réalisée, en dépit du fait que la situation révolutionnaire ainsi que la crise allaient s’intensifiant dans la plupart des colonies et des semi-colonies, et ce, même pendant et après la stabilisation temporaire du capitalisme. 

Dans ce sens, on peut estimer que la seconde phase de la CGC s’est terminée vers le milieu des années 1950, lorsque les pays impérialistes les plus importants se sont en gros rétablis des ravages de la Seconde Guerre mondiale et lorsque la crise révolutionnaire dans ces pays s’est tassée. 

Ceci a été souligné dans le rapport du parti de 1992:

“Au milieu des années 1950, toutes les puissances impérialistes importantes ont surmonté le problème des pénuries et se sont stabilisées avec l’aide des impérialistes américains. 

Après avoir rattrapé les niveaux d’avant-guerre vers le milieu des années 1950, leurs économies ont commencé à se développer rapidement pendant la décennie et demie qui a suivi, pour en fin de compte plonger dans une crise économique mondiale prolongée et ce, à partir des années 1970. 

Les facteurs qui ont conduit à l’expansion économique durant 18 longues années, ont été épuisés vers le début des années 1970, donnant naissance à une intensification de la CGC et la rendant encore plus sévère qu’elle ne l’avait jamais été dans le passé. 

L’apparition de l’Union soviétique et de l’Europe de l’Est en tant que rivaux impérialistes forts du marché mondial a aussi contribué à l’intensification de la crise générale.” (p.10)

Dans la plupart des pays du tiers-monde, naturellement, la crise révolutionnaire s’est poursuivie, étant donné qu’ils étaient opprimés par l’impérialisme, que ce soit par une domination directe ou indirecte par le biais des méthodes néo-coloniales. 

L’existence d’une situation révolutionnaire dans le tiers-monde – un trait qui l’a caractérisé tout au long de l’ère impérialiste – est en soi insuffisante pour déterminer une nouvelle phase de la CGC. 

Les luttes dans les pays du tiers-monde sont amenées à affaiblir l’impérialisme et à déboucher sur une intensification de la CGC, comme cela s’est produit au début des années 1970.

La crise économique mondiale dispose de toutes les potentialités pour se transformer en troisième phase de la CGC, c’est-à-dire en une crise révolutionnaire intense dans une partie considérable du camp impérialiste.

Comme l’expliquait le rapport du parti en 1992: “La crise économique qui, depuis 1973, se produit en tant que composante de la crise générale du capitalisme apparue en 1914, est la plus longue de l’histoire mondiale. 

En fait, la crise économique actuelle avait commencé à la fin des années 1960 en Amérique et, en 1973, elle s’était étendue au reste du monde. 

Comme elle a éclaté sous les conditions de la crise générale du capitalisme, lorsqu’il s’est avéré impossible pour le capitalisme de regagner la force et la stabilité qu’il avait avant la Première Guerre mondiale et la Révolution d’Octobre, la crise actuelle n’est pas simplement limitée dans les secteurs de la production et du commerce. 

Elle a aussi affecté le système financier, le secteur des services, les accords sur la dette, les échanges avec l’étranger, etc. Elle a également intensifié les contradictions régnant dans les sphères sociales et politiques.” (p.8)

Il est vrai que les deux stades de la CGC étaient en rapport avec les guerres mondiales et, en particulier, avec la rupture de certains pays avec le système capitaliste mondial. 

Mais il serait faux de déduire de ceci que les stades de la CGC devraient invariablement être associés aux guerres mondiales ou avec la rupture de certains pays avec le système capitaliste mondial. 

Sans aucun doute, une guerre mondiale fournira inévitablement des ouvertures révolutionnaires pour la prise du pouvoir par le prolétariat en créant une crise révolutionnaire intense dans les pays impérialistes importants. 

Cela conduira, par conséquent, à une aggravation de la CGC et précipitera l’effondrement du capitalisme. 

Le succès des révolutions ne dépend pas simplement de la précipitation d’une crise révolutionnaire, mais de la question de savoir si oui ou non les partis révolutionnaires (les forces subjectives) ont été suffisamment entraînées et nourries de la théorie et des tactiques marxistes-léninistes pour tirer parti avec succès de la crise révolutionnaire qui se développe dans le sillage de la guerre.

Les deux stades décrits par Staline ont été des périodes d’intense crise révolutionnaire et si les forces subjectives avaient été suffisamment entraînées et préparées, la révolution socialiste mondiale aurait pu aboutir. 

Le point essentiel lorsqu’on définit un stade de la CGC est donc l’apparition d’une crise révolutionnaire à l’échelle mondiale. 

La rupture d’un ou de plusieurs pays avec le système capitaliste mondial, comme cela s’est produit durant les deux stades au cours des deux guerres mondiales, est une conséquence, et non une cause, de l’aggravation de la CGC. 

Alors qu’un tel développement mène à une aggravation de la CGC, il est également possible que la défaite des révolutions dans la plupart des parties du monde, à cause de plusieurs facteurs historiques (les plus importants étant la faiblesse des forces subjectives et la force des opportunistes dans les rangs du prolétariat) puisse donner naissance à un équilibre temporaire dans la balance à l’échelle mondiale des forces de classes, et à une stabilisation temporaire du capitalisme.

Une crise révolutionnaire de niveau mondial peut se produire non seulement à partir d’une guerre mondiale, mais aussi d’une grande crise économique et de l’effondrement et de la ruine, sur le plan financier, de quelques économies capitalistes majeures. 

Quelle que soit la cause, le critère important pour déterminer si une nouvelle phase de la CGC a commencé ou pas est de définir si oui ou non une crise révolutionnaire intense à l’échelle mondiale est apparue et si oui ou non il y a un affaiblissement objectif des mécanismes de l’Etat dans les pays impérialistes majeurs.

Depuis la fin des années 1980, une crise révolutionnaire a régné dans les anciens pays du bloc soviétique où le pouvoir d’Etat s’est affaibli considérablement. 

Mais la crise révolutionnaire est principalement confinée à ces pays et n’a pas acquis le caractère d’une crise révolutionnaire à l’échelle mondiale. 

Si la crise révolutionnaire s’étend à une partie considérable du reste du monde capitaliste, nous pouvons dire qu’un troisième et nouveau stade de la CGC a commencé. 

A en juger par la cadence à laquelle la crise économique se déroule à présent, nous pouvons certainement dire que nous sommes à la veille d’un nouveau stade de la CGC, à la veille d’un troisième cycle de révolutions. 

Que cette situation dure une autre période de cinq ans ou de dix ans, voilà qui est bien malaisé à prédire.

La stabilisation relative du capitalisme et son impact sur les luttes révolutionnaires du peuple

Comme nous l’avons vu dans ce qui précède, la première phase de la CGC, qui a commencé avec la Première Guerre mondiale, a donné naissance à une crise révolutionnaire de dimension mondiale. 

Le monde capitaliste entier a été secoué par des soulèvements sociaux violents. 

En 1917, la Russie s’est scindée du camp impérialiste et est séparée le premier pays socialiste. 

Au cours de la guerre mondiale, la crise révolutionnaire était si aiguë dans les pays capitalistes qu’une action révolutionnaire décisive menée par le prolétariat aurait mené à bien les révolutions dans plusieurs pays d’Europe qui, à leur tour, se seraient également étendues à d’autres parties du monde. 

C’était de la faute de la trahison des partis social-démocrates dans des pays comme l’Allemagne, l’Italie, la Hongrie, l’Autriche, la France, la Grande-Bretagne, etc., à travers leur slogan de “défense de la patrie”, que les travailleurs ont été désarmés et n’ont pas été à même de saisir le pouvoir de l’Etat.

La crise révolutionnaire s’est poursuivie même après la guerre mondiale. En Europe centrale et de l’Est, il y a eu de sévères pénuries de nourriture et de matières premières, au cours de l’immédiat après-guerre. 

En Allemagne, l’ancien régime avait été renversé en novembre 1918. L’effondrement de la machine d’Etat suite à la défaite de l’Allemagne dans la guerre porta le pouvoir aux mains du prolétariat.

En Italie, les usines avaient été occupées par les travailleurs en septembre 1920. C’était le point culminant de la vague de luttes partielles et de manifestations qui avaient eu lieu en 1919-1920.

En Autriche, l’ordre bourgeois avait été maintenu et la révolution des travailleurs anéantie par le parti social-démocrate sous Otto Bauer qui avait formé un gouvernement de coalition avec les partis bourgeois entre 1918 et 1920.

En Hongrie, une république soviétique fut établie en 1919: elle dura 7 mois.

En Pologne et en Bulgarie aussi, le mouvement révolutionnaire battait son plein.

Ce fut la défaite des révolutions prolétariennes en Europe, défaite due principalement à l’attitude traîtresse de la social-démocratie, qui permit la stabilisation temporaire du capitalisme.

La stabilisation temporaire du capitalisme dans la foulée de la Première Guerre mondiale a pu s’opérer grâce aux quatre facteurs suivants:

  1. Le premier a été la guerre civile ouverte et la guerre contre-révolutionnaire menée contre la Russie, la Terreur Blanche en Hongrie, en Pologne, etc. 

    La défaite des révolutions en dehors de la Russie a contribué directement à la stabilisation du capitalisme.
  2. Le second facteur a été la social-démocratie et l’accord de concessions temporaires aux travailleurs. 

    La social-démocratie a été utilisée comme principale arme par le capitalisme pour sa propre reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. 

    Confrontée à la menace des révolutions prolétariennes, auxquelles la bourgeoisie avait été incapable de s’opposer en un conflit direct, cette même bourgeoisie a conspiré pour distraire l’attention des travailleurs en faisant semblant de leur rendre les sièges du pouvoir par la formation de gouvernements de coalition avec les partis sociaux-démocrates et en accordant un certain nombre de concessions telles que des augmentations salariales, des diminutions de la journée de travail, des promesses de nationalisation et de socialisation, etc. 

    Toutes ces mesures, naturellement, ont été supprimées au moment où la bourgeoisie a du la consolider sa mainmise sur l’Etat.
  3. Le troisième facteur qui a contribué à la reconstruction du capitalisme a été l’utilisation des colossales réserves du capitalisme américain. Les prêts et crédits américains versés en Europe pour redresser et reconstruire l’édifice ébranlé du capitalisme européen. 

    C’est sur cette base qu’a eu lieu la restauration de l’or en tant qu’étalon.
  4. Le quatrième facteur dans la réalisation de la stabilisation partielle du capitalisme a été l’exploitation encore plus intensive des colonies.

Expliquant le sens de “stabilisation”, le camarade Staline disait: “La stabilisation est la consolidation d’une position donnée et son développement ultérieur. Le capitalisme mondial non seulement ne s’est pas conforté lui-même dans sa position actuelle, il continue à se développer et se développe encore, étendant sa sphère d’influence et accroissant sa richesse. 

Il est erroné de dire que le capitalisme ne peut se développer, que la théorie du déclin du capitalisme avancée par Lénine dans son Impérialisme exclut le développement du capitalisme. 

Lénine a complètement prouvé dans son pamphlet L’impérialisme que la croissance du capitalisme ne supprime pas, mais qu’elle présuppose et prépare le déclin progressif du capitalisme.”14

Plus loin, Staline faisait encore remarquer: “Les nouvelles caractéristiques qui se sont révélées dernièrement, et qui ont marqué de leur empreinte la situation internationale, sont que la révolution en Europe a commencé à refluer, qu’une certaine accalmie s’est installée, que nous pouvons appeler la stabilisation temporaire du capitalisme, alors que, dans le même temps, le développement économique et la puissance politique de l’Union soviétique connaissent un accroissement.”

“Le fait que la révolution en Europe ait commencé à refluer signifie-t-il que la thèse de Lénine concernant une nouvelle époque, l’époque de la révolution mondiale, ne s’avère plus valable? Cela signifie-t-il que la révolution prolétarienne en Occident ait été reportée?”

“Pas du tout. L’époque de la révolution mondiale est un nouveau stade de la révolution, c’est toute une période stratégique, qui dure depuis un certain nombre d’années, peut-être même un certain nombre de décennies. Au cours de cette période, il peut y avoir et il y a certainement des flux et reflux de la révolution.”15

La stabilisation opérée par le capitalisme n’était cependant que relative, partielle et temporaire. Elle a servi de base à l’éclatement d’une crise plus aiguë.

Faisant remarquer la nature temporaire de la stabilisation capitaliste et comment elle conduira inévitablement au durcissement de toutes les contradictions fondamentales, le camarade Staline écrivait:

“La stabilisation sous le capitalisme, tout en renforçant temporairement le capital, conduit en même temps inévitablement à une aggravation des contradictions du capitalisme: a) entre les groupes impérialistes des divers pays; b) entre les travailleurs et les capitalistes de chaque pays; c) entre l’impérialisme et les peuples de tous les pays coloniaux.”16

“Le VIe Congrès du Komintern en 1928 a également expliqué ceci en ces termes: L’intensification de tous les antagonismes internationaux (…) va inévitablement conduire – via les développements ultérieurs des contradictions de la stabilisation capitaliste – à une précarité accrue de la stabilisation capitaliste et à la sévère intensification de la crise générale du capitalisme.”17

C’est en mars 1925 que le Komintern a formulé pour la première fois l’affirmation selon laquelle le capitalisme était en phase de “stabilisation partielle, relative et temporaire”. 

A cette époque, les Etats-Unis entraient dans une période de prospérité industrielle et on assistait à une reprise considérable en France et en Grande-Bretagne. 

En Allemagne, la clé de la situation européenne, l’industrie reprenait et la situation financière s’améliorait, surtout grâce au plan américain de Dawes, avec ses subsides se chiffrant à quelque 800 millions de marks-or.

Dans l’analyse du Komintern, la reprise du capitalisme n’était que partielle et ne pouvait pas durer. 

Elle concluait que l’Europe traversait une période d’accalmie située entre deux vagues révolutionnaires et qu’il ne pouvait y avoir de reprise permanente du capitalisme dans la période de crise générale et de révolution prolétarienne.

L’économiste marxiste-léniniste russe Varga, dans son rapport au Ve Congrès du Komintern en 1925, expliquait comment la CGC était en train de faire éclater le système. 

A l’époque, les Etats-Unis se trouvaient au point culminant de leur prospérité.

Varga avait scientifiquement prédit que la vague de prospérité allait immanquablement faire place à une crise économique plus profonde. 

La prévision s’était avérée exacte moins de 5 ans plus tard avec le krach de Wall Street en 1929.

Le Ve Congrès faisait également ressortir que les capitalistes pratiquaient à la fois une politique de terrorisme et de distribution parcimonieuse de concessions de moindre importance, du fait de leur état de faiblesse et de leur incapacité de gouverner comme par le passé.

Les social-démocrates, les opportunistes et autres réactionnaires dans le monde entier tendirent en vain à interpréter la formulation ci-dessus comme un aveu du Komintern selon lequel la révolution était morte. 

Ils affirmaient que le système capitaliste s’était remis de la crise de l’après-guerre et que le vague de prospérité économique allait durer pour toujours.

Même à l’intérieur du Komintern, il n’existait pas un accord unanime quant à la formulation de la “stabilisation”. 

Certains comme Zinoviev pensaient que la stabilisation du capitalisme écartait la possibilité d’une révolution immédiate et que les partis communistes ne pouvaient adopter des tactiques révolutionnaires.

Réfutant cela, le camarade Staline dit dans son discours au Plénum commun du comité central et de la commission centrale de contrôle du PCUS, en août 1927: “Zinoviev pense qu’une fois qu’il y a stabilisation, la cause de la révolution est perdue. 

Il ne comprend pas que la crise du capitalisme et la préparation de son sort se développent comme une résultante de la stabilisation. 

N’est-ce pas un fait que le capitalisme a récemment perfectionné et nationalisé sa technique et qu’il a produit une masse considérable de marchandises qui n’arrivent pas à être vendues? 

N’est-ce pas un fait que les gouvernements capitalistes adoptent de plus en plus des caractéristiques fascistes, attaquent la classe ouvrière et renforcent temporairement leurs propres positions? 

Ces fait impliquent-ils que la stabilisation soit devenue durable? 

Bien sûr que non! Au contraire, ce sont des faits qui tendent à aggraver la crise présente du capitalisme mondial, crise considérablement plus profonde que la crise qui a précédé la dernière guerre impérialiste.”

“Le fait même que les gouvernements capitalistes sont en train d’adopter des caractéristiques fascistes tend à aggraver la situation interne dans les pays capitalistes et donne naissance à l’action révolutionnaire par les travailleurs (Vienne, Grande-Bretagne).”

“Le fait même que le capitalisme rationalise sa technique et qu’il produit une quantité considérable de marchandises que le marché ne peut absorber, ce fait même tend à intensifier à l’intérieur même du camp capitaliste la lutte pour les marchés et pour les domaines propices à l’exportation de capitaux et conduit à la création des conditions favorables à une nouvelle guerre, à une nouvelle redistribution du monde.”18

Cette remarquable prédiction du camarade Staline s’est confirmée avec un effet dévastateur deux années plus tard seulement, lorsque le monde entier a été plongé dans la crise économique la plus catastrophique, celle qui éclata en 1929, qui conduisit à une crise révolutionnaire dans le monde entier.

Prévoyant une telle crise, le camarade Staline avait encouragé les révolutionnaires communistes en Europe et dans d’autres pays capitalistes pour qu’ils réorganisent leurs partis et qu’ils les bolchevisent en préparation de la crise. 

Au cours de la période de stabilisation partielle et relative, la tâche des partis communistes dans les pays impérialistes ne consistait pas à s’endormir dans l’inaction et dans un glissement rétrograde vers les tactiques prérévolutionnaires, mais de se préparer eux-mêmes à la nouvelle crise révolutionnaire qui menaçait: “La nouvelle caractéristique spécifique de la position actuelle des partis communistes des pays capitalistes est que la période du flux de la marée révolutionnaire a fait place à une période de reflux, une période d’accalmie. 

La tâche consiste à tirer parti de la période d’accalmie que nous subissons pour renforcer les partis communistes, les bolcheviser, les transformer en véritables partis de masse en s’appuyant sur les syndicats, pour rallier les éléments travaillistes au sein des classes non prolétariennes, avant tout parmi la paysannerie, autour du prolétariat, et enfin, pour éduquer les prolétaires dans l’esprit de la révolution et de la dictature du prolétariat.”19

En ce qui concerne les pays coloniaux, Staline concluait en mai 1925 qu’ils étaient au seuil de leur 1905 et qu’une relative stabilisation du capitalisme n’avait abouti qu’à une augmentation en nombre et en force du prolétariat dans ces pays, et que la crise révolutionnaire se développait: “… du fait de l’augmentation des exportations de capitaux des pays développés vers les pays arriérés, augmentation encouragée par la stabilisation du capitalisme, le capitalisme dans les pays coloniaux se développe et continuera à se développer à un taux rapide, en démantelant les anciennes conditions politiques et sociales et en en installant de nouvelles;”

“… le prolétariat dans ces pays se développe et va continuer à le faire dans des proportions rapides;”

“… le mouvement ouvrier révolutionnaire et la crise révolutionnaire dans les colonies se développent et continueront à se développer.”20

En ce qui concerne les tâches immédiates des partis communistes dans les colonies et semi-colonies au cours de la période de stabilisation partielle, il faisait remarquer: “Par conséquent, la tâche des éléments communistes dans les pays coloniaux est de s’associer avec les éléments révolutionnaires de la bourgeoisie et par-dessus tout avec la paysannerie, contre le bloc de l’impérialisme et les éléments compromettants de ‘leur propre’ bourgeoisie, afin de mener, sous la direction du prolétariat, une lutte essentiellement révolutionnaire pour la libération du joug de l’impérialisme.”

“Il s’ensuit une seule conclusion: un certain nombre de pays coloniaux sont actuellement en vue de leur 1905.”

“La tâche est d’unir les éléments progressistes des travailleurs dans les pays coloniaux en un seul parti communiste qui sera capable de diriger la révolution occupée à se développer.”21

En fait, au cours de la période de stabilisation partielle, il n’y a pas eu reflux du mouvement révolutionnaire dans les colonies et semi-colonies, et cela contraste avec ce qui s’est passé dans les pays capitalistes occidentaux. 

Car la stabilisation elle-même s’opéra en grande partie par le biais d’une exploitation plus intense des colonies et des semi-colonies. 

Les peuples oppressés résistèrent, naturellement.

En Chine, sous la direction du PCC, plusieurs soulèvements populaires ont eu lieu durant la période même de stabilisation relative du capitalisme. 

En Inde, en Egypte, en Indonésie, en Indochine et partout ailleurs, l’on a assisté à une poussée des mouvements populaires, le plus remarquable parmi ceux-ci étant l’insurrection indonésienne de 1926.

Dans la toute première année de stabilisation relative, un mouvement massif de grève balaya l’Egypte et la Tunisie. 

La révolte du Rif au Maroc s’était poursuivie jusqu’en 1926, et des poches isolées de résistance armée contre les colonialistes français et espagnols tinrent bon jusqu’au début des années 1930. En Libye, la guerre de libération contre les colonialistes ltaliens, commencée en 1911, s’était poursuivie avec de brèves interruptions jusqu’en 1932. 

On a également assisté à des insurrections en Somalie italienne, au Tchad, au Moyen-Congo, au Cameroun français et en Angola, ainsi qu’à des grèves en Sierra Leone, au Mozambique et à Madagascar, pour ne mentionner que quelques-uns des événements révolutionaires qui eurent lieu en Afrique tropicale durant la stabilisation relative du capitalisme.

La stabilisation relative et temporaire du capitalisme est donc à mettre en parallèle avec l’équilibre relatif et temporaire des rapports de force de classe et, par conséquent, avec une baisse de régime temporaire du mouvement révolutionnaire dans les pays capitalistes. 

En aucune façon, elle n’implique une accalmie du mouvement révolutionnaire dans les colonies et les semi-colonies.

Lors de son Sixième Congrès en 1928, lorsque le capitalisme était à l’apogée de sa prospérité, le Komintern expliquait les raisons qui pouvaient détruire le système impérialiste mondial: “Le système impérialiste mondial, et avec celui-ci la stabilisation partielle du capitalisme, se corrode pour diverses raisons: tout d’abord, les antagonismes entre les Etats impérialistes; deuxièmement, la lutte croissante d’importantes masses dans les pays coloniaux; troisièmement, l’action du prolétariat révolutionnaire dans les patries de l’impérialisme; et enfin, l’hégémonie exercée sur tout le mouvement révolutionnaire mondial par la dictature du prolétariat en URSS.

La révolution internationale est occupée à se développer. Contre cette révolution, l’impérialisme rassemble ses forces. Des expéditions contre les colonies, une nouvelle guerre mondiale ou une campagne contre l’URSS, sont des problèmes qui figurent maintenant à l’avant-plan dans la politique de l’impérialisme. Ceci doit déboucher sur la mise en action de toutes les forces de la révolution internationale et doit concourir à la faillite inévitable du capitalisme.”22

La brillante analyse marxiste réalisée par le Sixième Congrès (avec à sa base le camarade Staline), qui prévoyait un accroissement des crises économiques, de grandes luttes de classe, des guerres impérialistes et des révolutions, a été confirmée de façon dévastatrice avec le développement de la grande crise économique de 1929, la victoire du fascisme hitlérien en 1933, l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale en 1939 et la série de révolutions prolétariennes qui se sont produites dans le sillage de la guerre mondiale.

De grands changements historiques se sont produits dans la situation mondiale et dans l’équilibre des forces au niveau des classes dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. La désintégration de l’unique marché mondial qui recouvrait tous les secteurs et l’apparition d’un nouveau marché mondial socialiste parallèle; la fin de l’ancien système colonial de domination impérialiste directe; la ruine et la dévastation, conduisant à une paralysie virtuelle, des économies de toutes les puissances impérialistes hostiles à l’URSS, etc., ont été des changements momentanés qui ont donné naissance à une nouvelle situation mondiale. 

La sphère d’exploitation des ressources mondiales par les pays impérialistes principaux s’est rétrécie au cours des années qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale. 

Ces développements avaient conduit Staline à la conclusion qu’il ne pouvait à nouveau y avoir de stabilité relative du capitalisme au cours du déroulement de la CGC. 

Il faisait remarquer dans ses Problèmes économiques du socialisme en URSS en février 1952 ce qui suit: “Le résultat économique le plus important de la Seconde Guerre mondiale, avec ses répercussions sur l’économie, a été la désagrégation du marché mondial, unique, universel. 

Ce qui a déterminé l’aggravation ultérieure de la crise générale du système capitaliste mondial.”

“Mais il s’ensuit que la sphère d’exploitation des ressources mondiales par les principaux pays capitalistes (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France) n’ira pas en s’élargissant mais en se rétrécissant, que les conditions de débouché sur le marché mondial s’aggraveront pour ces pays et que la sous-production des entreprises y augmentera. 

C’est en cela que consiste précisément l’aggravation de la crise générale du système capitaliste mondial, à la suite de la désagrégation du marché mondial.”

“C’est ce que constatent les capitalistes, car il est difficile pour eux de ne pas ressentir la perte de marchés tels que l’URSS et la Chine. 

Ils s’attachent à remédier à ces difficultés par le ‘plan Marshall’, par la guerre en Corée, par la course aux armements, par la militarisation de l’industrie. 

Mais cela ressemble fort au noyé qui s’accroche à un brin de paille.”

“Devant cette situation, deux problèmes se posent aux économistes:

  1. Peut-on affirmer que la thèse bien connue de Staline sur la stabilité relative des marchés en période de crise générale du capitalisme, thèse formulée à la veille de la Seconde Guerre mondiale, soit toujours valable?
  2. Peut-on affirmer que la thèse bien connue, formulée par Lénine au printemps 1916, selon laquelle, malgré sa putréfaction, dans l’ensemble le capitalisme se développe infiniment plus vite qu’auparavant, soit toujours valable?”

“Je pense qu’on ne saurait l’affirmer. Etant donné les nouvelles conditions dues à la Seconde Guerre mondiale, il faut considérer les deux thèses comme n’étant plus valables.”23

Ces lignes du camarade Staline ont engendré beaucoup de controverses et ont servi de sujet à de nombreuses discussions parmi les marxistes-léninistes. Certains ont considéré ces lignes comme étant littéralement la synthèse finale de la situation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. 

Une vue dogmatique a prévalu et prévaut toujours parmi certains partis marxistes-léninistes selon laquelle la production dans le monde capitaliste dans l’ensemble n’atteindra jamais son point culminant d’avant la guerre à cause du rétrécissement de la sphère d’exploitation des ressources mondiales par les pays capitalistes les plus importants, rétrécissement résultant de la perte, dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, de vastes marchés de premier plan comme la Chine et l’Europe de l’Est. 

De là provient le fait qu’ils ne reconnaissent même pas une stabilisation partielle et temporaire du capitalisme après la Seconde Guerre mondiale et qu’ils pensent qu’il ne peut y avoir de développement du capitalisme dans sa phase de déclin consécutive à la Seconde Guerre mondiale. 

Ils refusent de voir les changements qui ont pris place après le décès du camarade Staline: les importantes augmentations de la production qui ont eu lieu dans virtuellement chaque pays capitaliste; le rôle de l’hégémonie américaine, quelque branlante qu’elle puisse avoir été, en fournissant une stabilité temporaire au monde capitaliste dans son ensemble jusqu’au début des années 1970; un marché entre les diverses puissances impérialistes sous l’hégémonie des Etats-Unis – une trève temporaire – afin de combattre et de contenir la progression du “spectre” du communisme; le recours aux guerres régionales qui n’en finissent pas; la course aux armements, les guerres d’agression contre la Corée, le Vienam, le Laos, le Cambodge, etc., et la guerre froide contre les Etats capitalistes bureaucratiques dégénérés de l’URSS et de l’Europe de l’Est; tout cela, en créant une demande constante de moyens de consommation et, plus grave, de moyens de destruction, a aidé le capitalisme à surmonter partiellement et temporairement sa crise (on estime que les pertes en forces productives dues aux guerres régionales après la Seconde Guerre mondiale excèdent de loin les pertes encourues durant la Seconde Guerre elle-même); le rôle de l’Etat en créant une demande effective dans quasiment chaque pays du monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale; le rôle de la dette auprès des consommateurs individuels, des entreprises et de chaque gouvernement pour gonfler artificiellement la production en créant une demande pour les produits; le développement de la spéculation, des services et des secteurs non productifs pour résoudre les problèmes d’excédents de fabrication; l’échec du prolétariat de n’avoir pu réaliser la Nouvelle Révolution Démocratique dans les colonies et les semi-colonies et, par conséquent, l’apparition et la consolidation de régimes fantoches ou compradores dans presque tous les pays du tiers-monde, en conséquence de quoi l’impérialisme continue de sucer le sang des peuples du tiers-monde via des méthodes néo-coloniales, et, finalement, la dégénérescence du camp socialiste lui-même après le décès du camarade Staline et sa réintégration graduelle dans un marché mondial unique. 

Chacun de ces facteurs joua un rôle dans la mise sur pied d’une stabilisation partielle, temporaire et relative du capitalisme à partir du milieu des années 1950 jusqu’en 1973.

Durant cette période, il y a eu une accalmie générale des mouvements révolutionnaires dans les pays capitalistes (hormis une vague de révoltes estudiantines à la fin des années 1960). 

Mais, dans les colonies et les semi-colonies, les mouvements révolutionnaires ont continué à subir des coups durs durant cette période, exactement comme durant la période de la stabilisation partielle de 1924 à 1929. 

La guerre d’agression des Etats-Unis contre l’Indochine, et spécialement la guerre du Vietnam, a connu une défaite ignominieuse des mains du peuple héroïque. Le peuple cubain a rejeté le joug de l’impérialisme en 1959.

En 1968, l’impérialisme a été forcé de mettre fin à une domination coloniale directe dans environ quarante pays d’Afrique.

Résumons: alors que la stabilisation relative du capitalisme a des implications directes sur les luttes dans les pays impérialistes, débouchant sur une accalmie temporaire dans le mouvement révolutionnaire, elle n’exerce pas le même impact sur les luttes des pays du tiers-monde. 

On ne devrait cependant pas perdre de vue qu’une intensification de la CGC, un durcissement de la contradiction inter-impérialiste et la contradiction entre le prolétariat et la bourgeoisie dans les pays impérialistes joueront un rôle en tant que facteur favorable aux révolutions dans les pays du tiers-monde.

L’intensification des contradictions entre les diverses puissances impérialistes et particulièrement la rivalité aiguë et la contestation entre les deux superpuissances pour l’hégémonie mondiale, combinées avec le début d’une longue période de crise économique mondiale qui a commencé au début des années 1970, ont créé des conditions favorables pour les mouvements révolutionnaires, non seulement dans les pays du tiers-monde, mais également dans les pays capitalistes eux-mêmes. 

La fin de la guerre froide et l’effondrement de la superpuissance soviétique a encore accentué les contradictions inter-impérialistes dans les années 1990. 

La crise actuelle dans l’économie mondiale qui a lieu sous les conditions de la CGC ne permet pas au capitalisme de se stabiliser dans un futur immédiat. Au contraire, elle est amenée à durcir davantage encore les contradictions fondamentales au sein du monde actuel. 

Mais nous devrions garder à l’esprit l’observation du camarade Lénine selon laquelle il n’existe pas pour le capitalisme quelque chose qui ressemble à une situation absolument désespérée.

Situation révolutionnaire et crise révolutionnaire

Dans la littérature marxiste, nous découvrons souvent que ces deux expressions – situation révolutionnaire et crise révolutionnaire – sont parfois utilisées l’une pour l’autre. 

Comme cela peut provoquer certaines confusions, il vaut mieux opérer une distinction entre les deux.

Lénine a défini l’impérialisme comme la veille de la révolution socialiste. Cela signifie qu’avec l’avènement de l’impérialisme, les conditions objectives pour le socialisme ont mûri et qu’il était du devoir du prolétariat de former et de développer des partis communistes partout, de se lier avec les larges masses du peuple et de préparer le peuple à une prise révolutionnaire du pouvoir au cours des périodes de crise révolutionnaire. 

Une situation révolutionnaire est apparue dans le monde avec l’avènement de l’impérialisme et le début de la CGC. 

Alors que, dans les colonies et semi-colonies et les pays dépendants, la situation peut être utilisée pour mener une lutte armée prolongée contre l’impérialisme et ses collaborateurs indigènes, dans les pays impérialistes, il est du devoir des partis communistes d’étendre leur base parmi les masses laborieuses et de préparer eux-mêmes, politiquement, idéologiquement et sur le plan organisationnel, le prolétariat et le peuple d’une façon révolutionnaire dans le but de s’emparer du pouvoir politique lorsque les conditions objectives transforment la situation révolutionnaire en une crise révolutionnaire, soit à la suite d’une guerre mondiale, soit d’une grande crise économique, soit encore à la suite d’une crise provoquée par les coups sévères infligés à l’impérialisme par les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

Une crise révolutionnaire signifie non seulement que le peuple est dans un état de fermentation générale et de mécontentement et qu’il refuse de vivre de l’ancienne façon, mais elle présuppose également un extrême affaiblissement de la machine étatique. 

Dans de telles circonstances de crises économiques, politiques et sociales, d’affaiblissement général du pouvoir étatique de la bourgeoisie et d’une perte de leur légitimité aux yeux du peuple, le parti, s’il est suffisamment organisé et entraîné selon une ligne révolutionnaire, peut prendre le pouvoir. Une telle crise révolutionnaire existait en Russie, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Italie, en Pologne, en Bulgarie et dans d’autres pays au cours de la première phase de la CGC pendant et après la Première Guerre mondiale jusqu’en 1923. 

Une telle crise révolutionnaire existait dans les pays d’Europe dans la seconde phase de la CGC pendant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale et s’est poursuivie jusqu’au milieu des années 1950. Une telle crise existe aujourd’hui en Russie et dans les diverses républiques de l’ancienne Union soviétique et les pays de l’Europe de l’Est.

Mais l’existence de la crise révolutionnaire est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour la victoire de la révolution. 

L’existence d’un parti révolutionnaire de masse du prolétariat qui soit bien entraîné et capable d’utiliser avec savoir-faire la crise révolutionnaire grâce à une tactique révolutionnaire correcte est une condition impérative pour la progression victorieuse de la révolution. 

Comme Lénine l’avait fait remarquer lors du Second Congrès du Komintern en 1920, il n’y a pas de situation absolument désespérée pour la bourgeoisie. La bourgeoisie trouve toujours un manière de se sortir de chaque crise si le prolétariat n’agit pas de façon décisive pour s’emparer du pouvoir via des moyens révolutionnaires, quelque excellente que puisse être la crise révolutionnaire.

“Il n’existe pas de situation absolument sans issue. La bourgeoisie se conduit comme un forban sans vergogne qui a perdu la tête; elle commet bêtise sur bêtise, aggravant la situation et hâtant sa propre perte. 

C’est un fait. 

Mais il n’est pas possible de prouver qu’il n’y a absolument aucune chance qu’elle endorme une minorité d’exploités à l’aide de petites concessions, qu’elle réprime un mouvement ou une insurrection d’une partie des opprimés et des exploités. 

Tenter d’en prouver à l’avance l’impossibilité absolue serait pur pédantisme, verbiage ou jeu d’esprit. 

Dans cette question et dans des questions analogues, seule la pratique peut fournir la preuve réelle. 

Le régime bourgeois traverse dans le monde entier une profonde crise révolutionnaire. 

Il faut démontrer maintenant, par l’action pratique des partis révolutionnaires, qu’ils possèdent suffisamment de conscience, d’organisation, de liens avec les masses exploitées, d’esprit de décision et de savoir-faire pour exploiter cette crise au profit d’une révolution victorieuse.”24

Que l’existence d’une crise révolutionnaire en elle-même ne garantisse pas la victoire de la révolution a été brillamment mis en évidence par la camarade Staline dans son rapport au XVIIe Congrès en 1934: “Certains camarades pensent que, dès l’instant où il y a crise révolutionnaire, la bourgeoisie doit se trouver inévitablement dans une situation sans issue; que sa fin est par conséquent prédéterminée, que la victoire de la révolution est, par cela même, assurée, et qu’il ne leur reste donc qu’à attendre la chute de la bourgeoisie et à rédiger des résolutions triomphales. 

C’est là une grave erreur. La victoire de la révolution ne vient jamais d’elle-même. 

Il faut la préparer et la conquérir. Or, seul peut la préparer et la conquérir un fort parti prolétarien révolutionnaire. 

Il est des moments où la situation est révolutionnaire, où le pouvoir de la bourgeoisie est ébranlé jusque dans ses fondements, mais où pourtant la victoire de la révolution n’arrive pas, parce qu’il n’y a pas de parti révolutionnaire du prolétariat, de parti ayant assez de force et d’autorité pour entraîner à sa suite les masses et prendre le pouvoir. 

Il serait déraisonnable de croire que des cas pareils ne puissent se produire.”25

Il est également nécessaire de reprendre une fois de plus les mots les plus souvent cités de Lénine dans lesquels il décrit une situation révolutionnaire et les conditions nécessaires au succès de la révolution: “Pour un marxiste, il est hors de doute que la révolution est impossible sans une situation révolutionnaire, mais toute situation révolutionnaire n’aboutit pas à la révolution. 

Quels sont, d’une façon générale, les indices d’une situation révolutionnaire? 

Nous sommes certains de ne pas nous tromper en indiquant les trois principaux indices que voici: 

1. Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée; crise du sommet, crise de la politique de la classe dominante, et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l’indignation des classes opprimées se fraient un chemin. 

Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas, habituellement, que la base ne veuille plus vivre comme auparavant, mais il importe encore que le sommet ne le puisse plus. 

2. Aggravation, plus qu’à l’ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées. 

3. Accentuation marquée, pour les raisons indiquées plus haut, de l’activité des masses qui se laissent tranquillement piller dans les périodes pacifiques, mais qui, en période orageuse, sont poussées, tant par la crise dans son ensemble que par le sommet lui-même, vers une action historique indépendante.”

“Sans ces changements objectifs, indépendants de la volonté non seulement de tels ou tels groupes et partis, mais encore de telles ou telles classes, la révolution est, en règle générale, impossible. 

C’est l’ensemble de ces changements objectifs qui constitue une situation révolutionnaire. 

On a connu cette situation en 1905 en Russie et à toutes les époques de révolutions en Occident; mais elle a existé aussi dans les années 60 du siècle dernier en Allemagne, de même qu’en 1859-1861 et 1879-1880 en Russie, bien qu’il n’y ait pas eu de révolutions à ces moments-là. 

Pourquoi? 

Parce que la révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs ci-dessus énumérés, vient s’ajouter un changement subjectif, à savoir: la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire, de mener des actions révolutionnaires de masse assez vigoureuses pour briser complètement (ou partiellement) l’ancien gouvernement, qui ne tombera jamais, même à l’époque des crises, si on ne le fait choir.”26

Dans la citation qui précède, les mots “situation révolutionnaire” impliquent en fait une crise révolutionnaire. 

La crise révolutionaire qui prévalait en Russie en 1905 se développa à partir de la situation révolutionnaire qui commençait à mûrir à partir de 1901 et éclata avec les manifestations d’étudiants. Comme la situation se transformait en crise en 1905, la prolétariat russe fit une tentative décisive de coup d’Etat par insurrection armée. L’échec de l’insurrection conduisit à une décennie de régression et d’accalmie relative dans le mouvement révolutionnaire. 

La Première Guerre mondiale une fois de plus provoqua une crise révolutionnaire en Russie et plus tard dans le reste de l’Europe. Le processus de transformation d’une situation révolutionnaire en crise révolutionnaire peut être compris à partir des lignes suivantes écrites pendant la guerre, en 1915, par le camarade Lénine: “Il ne fait pas l’ombre d’un doute que l’Europe de 1915 connaît une situation révolutionnaire, de même que la Russie en 1901. 

Nous ne pouvons savoir si la première bataille décisive du prolétariat contre la bourgeoisie se produira dans quatre ans, dans deux ans ou dans dix ans ou plus, et si une seconde bataille décisive ne se produira encore dix ans plus tard. 

Mais nous savons fermement et affirmons en toute certitude que, maintenant, notre devoir impérieux et immédiat est de soutenir l’effervescence naissante et les manifestations qui ont déjà commencé. 

En Allemagne, la foule a sifflé Scheidemann; dans beaucoup de pays, la foule a manifesté contre la cherté de la vie.”

“Nous sommes, sans aucun doute, à la veille de la révolution socialiste. (…) Pas plus que nous ne savions en 1901 que la veille de la première révolution russe durerait encore quatre ans, nous ne sommes pas plus renseignés aujourd’hui. 

La révolution peut consister, et consistera probablement, en des luttes qui s’étendront sur de longues années et qui comprendront plusieurs périodes d’assauts, entrecoupés de convulsions contre-révolutionnaires du régime bourgeois. 

Dans la situation politique actuelle, le tout est de savoir s’il faut utiliser la situation révolutionnaire existante pour soutenir et développer les mouvements révolutionnaires.

Oui ou non. 

C’est sur cette question que se divisent aujourd’hui, politiquement, les social-chauvins et les internationalistes révolutionnaires.”27

Nous trouvons donc que dans l’Europe de 1915 la situation révolutionnaire se développait rapidement en une crise révolutionnaire. 

C’était le devoir du prolétariat de s’engager dans des actions militantes et de se lancer dans les préparatifs d’une insurrection armée de façon à frapper au moment opportun. 

Il n’y avait qu’en Russie que le prolétariat pouvait s’emparer du pouvoir en utilisant la crise révolutionnaire qui se développait à partir de la guerre. Dans le reste de l’Europe, la trahison de la social-démocratie conduisit à la défaite des révolutions.

Alors que tel était le cas dans les pays capitalistes, dans les pays du tiers-monde par contre, une situation révolutionnaire a existé dès les tout premiers moments où ils se sont retrouvés sous l’oppression de l’impérialisme. 

A cause des caractéristiques spécifiques en vigueur dans la plupart de ces pays du tiers-monde, il est possible de mener la lutte armée ou la guerre populaire prolongée dès les tout premiers moments et de s’emparer du pouvoir à l’échelle régionale. 

La crise révolutionnaire dans ces pays va hâter l’établissement de zones libérées et la conquête de villes si le prolétariat est bien préparé. 

Une crise révolutionnaire dans les pays du tiers-monde peut apparaître à la fois par le biais d’une intensification des crises économique, sociale et politique dues aux modifications encourues par les conditions objectives dans les pays concernés telles que l’implication dans des guerres extérieures, des guerres civiles parmi les factions des classes dirigeantes, un effondrement financier, etc., ou à cause d’un changement de l’équilibre général des forces au niveau des classes amené par une intensification de la lutte de classe, par l’établissement de plusieurs zones de guérilla et de régions libérées. 

Les forces révolutionnaires dans les pays du tiers-monde peuvent donc créer une crise révolutionnaire en approfondissant en permanence et en élargissant les zones de lutte armée.

Cet article paru sous le titre « On general crisis of capitalism » dans le numéro de juillet-décembre 1995 de People’s War (p.39-72).People’s War est la revue théorique du Parti Communiste de l’Inde (marxiste-léniniste), une des organisations communistes indiennes.

Notes

1 Staline Joseph, Selected Writings, Vol.II, p.330.
2 Engels Friedrich, La condition de la classe ouvrière en Angleterre, p.143-144.
3 Foster William Z., History of Three Internationals, Vol.I, p.223.
4 Marx Karl, Capital, Vol.III, p.292.
5 Staline Joseph, Selected Writings, Vol.II, p.2.
6 Galbraith, J.K., Le capitalisme américain, p.69.
7 Baran Paul A., Sweezy Paul M., Monopoly Capital, p.242.
8 1 acre = 40 ares = 0,4 ha.
9 Dutt, R.P., Fascism and Social Revolution.
10 Staline Joseph, Rapport présenté au XVIIe congrès du parti sur l’activité du comité central du parti communiste (bolchevik) de l’URSS, 26 janvier 1934, repris dans Les questions du léninisme, Editions de Pékin, 1977, p.685.
11 Staline Joseph, Ibid, p.686.
12 Staline Joseph, Ibid, p.691.
13 Staline Joseph, Selected Writings, Vol.II, p.329-330.
14 Staline Joseph, On the Opposition, p.192-193.
15 Staline Joseph, Ibid., p.189-190.
16 Staline Joseph, Ibid., p.194.
17 Foster William Z., History of Three Internationals, p.89.
18 Staline Joseph, On the Opposition, p.808-809.
19 Staline Joseph, Ibid., p.199.
20 Staline Joseph, Ibid., p.204.
21 Staline Joseph, Ibid., p.205.
22 Foster William Z., op. cit., p.85-86.
23 Staline Joseph, Les problèmes économiques du socialisme en URSS, Editions de Pékin, 1971, p. 30 et 32-33.
24 Lénine, Rapport sur la situation internationale et les tâches fondamentales de l’Internationale communiste, 19 juillet 1920, dans Oeuvres complètes, Tome XXXI, p.233-234.
25 Staline Joseph, Rapport présenté au XVIIe congrès du parti sur l’activité du comité central du parti communiste (bolchevik) de l’URSS, 26 janvier 1934, repris dans Les questions du léninisme, Editions de Pékin, 1977, p.699.
26 Lénine, La faillite de la IIe Internationale, dans Oeuvres complètes, Tome XXI, p.216-217.
27 Lénine, Des internationalistes authentiques: Kautsky, Axelrod, Martov, dans Oeuvres complètes, Tome XXI, p.413-414.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

PCI (ML) – Guerre Populaire : A propos du néo-colonialisme

A PROPOS DU NEOCOLONIALISME (1994)

PC d’INDE (MARXISTE-LENINISTE) – GUERRE POPULAIRE

Le texte que nous avons reproduit ci-dessus représente des commentaires de la direction du Parti Communiste d’Inde (People’s War) sur la résolution politique adoptée par leur Congrès en 1992. Le texte a paru pour la première fois dans la revue People’s War de septembre-décembre 1994.   

1. Néocolonialisme et colonialisme 

Qu’est-ce que le néocolonialisme ? En quoi diffère-t-il de l’ancien type de colonialisme ? 

Le colonialisme et le néocolonialisme sont deux formes, deux méthodes, deux lignes politiques adoptées par l’impérialisme en vue de l’asservissement, de la domination et de l’exploitation des pays et nations opprimés. 

Alors que le colonialisme a été la forme prédominante jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le néocolonialisme a prédominé après cette même Seconde Guerre mondiale. 

Quant à leur contenu, il n’y a pas de différence fondamentale entre les deux. 

La principale différence entre le néocolonialisme et l’ancien type de colonialisme consiste dans une réorientation des méthodes d’asservissement, de domination et d’exploitation des pays arriérés : d’ouvertes et directes, ces méthodes sont devenues dissimulées. 

Le Parti Communiste de Chine (PCC), dans La polémique autour de la ligne générale du mouvement communiste international, qui a eu lieu au cours de la Grande controverse de 1963, expliquait le phénomène du néocolonialisme de la façon suivante : «Après la Seconde Guerre mondiale, les impérialistes n’ont certainement pas renoncé au colonialisme, mais ils en ont simplement adopté une nouvelle forme, le néocolonialisme. 

Une caractéristique importante de ce néocolonialisme est que les impérialistes ont été forcés de modifier leur ancien style de domination coloniale directe dans certaines régions et d’adopter un nouveau style de domination et d’exploitation coloniale en s’appuyant sur les agents qu’ils ont sélectionnés et formés. 

Les impérialistes, avec à leur tête les Etats-Unis, asservissent ou contrôlent les pays coloniaux et les pays qui ont déjà proclamé leur indépendance, en organisant des blocs militaires, en installant des bases militaires, en établissant des ‘fédérations’ ou des ‘communautés’ et en favorisant des régimes fantoches. 

Par le biais d’une ‘aide’ économique ou par d’autres formes, ils s’approprient ces pays en tant que marchés pour leurs marchandises, en tant que sources de matières premières et débouchés pour leurs exportations de capitaux, ils pillent les richesses et sucent le sang des habitants de ces pays. 

Qui plus est, ils se servent des Nations Unies comme d’un outil important pour intervenir dans les affaires internes de ces pays et les soumettre à des agressions militaires, économiques et culturelles. Lorsqu’ils sont incapables de poursuivre la domination sur ces pays par des moyens ‘pacifiques’, ils orchestrent des coups d’Etat militaires, se livrent à la subversion ou même, recourent à l’intervention armée et à l’agression directe.» 

Les Etats-Unis sont des plus énergiques et habiles dans leur promotion du néocolonialisme. 

Avec cette arme, les impérialistes américains essaient de s’emparer des colonies et des sphères d’influence des autres impérialistes et d’établir leur domination mondiale. (…) 

Ce néocolonialisme est une forme plus pernicieuse et plus sinistre de colonialisme. (…) Le néocolonialisme n’est pas simplement un phénomène postérieur à la Seconde Guerre mondiale, bien qu’il soit devenu le phénomène dominant de l’après-guerre. 

Lénine en personne pointait du doigt cette forme cachée de colonialisme lorsqu’il soulignait « la nécessité d’expliquer et de dénoncer inlassablement aux larges masses laborieuses de tous les pays – et plus particulièrement à celles de tous les pays arriérés – la duperie pratiquée systématiquement par les puissances impérialistes qui, sous le couvert de la création d’Etats politiquement indépendants, créent en fait des Etats entièrement sous leur dépendance dans les domaines économique, financier et militaire. » 

Il faisait également remarquer : « Le capital financier est un facteur si puissant, si décisif, pourrait-on dire, dans toutes les relations économiques et internationales, qu’il est capable de subordonner et subordonne effectivement même des Etats jouissant d’une complète indépendance politique. » 

Il expliquait également comment le capital financier donne naissance à un certain nombre de formes transitoires de dépendance étatique : « Dès l’instant qu’il est question de politique coloniale à l’époque de l’impérialisme capitaliste, il faut noter que le capital financier et la politique internationale qui lui est conforme et se réduit à la lutte des grandes puissances pour le partage économique et politique du monde, créent pour les Etats diverses formes transitoires de dépendance. 

Cette époque n’est pas seulement caractérisée par les deux groupes principaux de pays : possesseurs de colonies et pays coloniaux, mais encore par des formes variées de pays dépendants qui, nominalement, jouissent de l’indépendance politique, mais qui, en réalité, sont pris dans les filets d’une dépendance financière et diplomatique. 

Nous avons déjà indiqué une de ces formes : les semi-colonies. 

L’Argentine est un exemple d’une autre forme de dépendance. » 

L’ensemble de l’Amérique latine et certaines parties du Moyen-Orient ont été soumises à l’exploitation et à la domination néocoloniale des diverses puissances impérialistes dès avant la Seconde Guerre mondiale. 

L’Egypte a été déclarée indépendante en 1922, l’Irak en 1927 ; l’Iran n’a jamais été réduit à un véritable statut colonial, mais tous ces pays ont fait partie de la ‘sphère d’influence’ britannique. 

Bien qu’ils aient joui du statut constitutionnel d’Etats indépendants, ils ont été sous la domination économique, militaire et politique de la Grande-Bretagne. 

De même, la Chine sous Tchang Kaï-chek n’était indépendante que de nom et ce, jusqu’au moment de sa libération en 1949, puisqu’elle était une semi-colonie de plusieurs puissances impérialistes : la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Japon y avaient des investissements. 

Toutes ces puissances bénéficiaient de ‘règlements internationaux’ dans chaque port, qui leur permettaient d’y avoir leurs propres lois, police et forces armées, leurs usines, banques et cinémas et, tout autour, leurs canonnières. Les diverses puissances impérialistes recouraient à des formes tant coloniales que néocoloniales pour se livrer au pillage de la Chine semi-coloniale. 

Ce fut cependant en Amérique latine que la forme néocoloniale fut la plus fréquente avant la Seconde Guerre mondiale. 

Depuis la fin de la domination coloniale espagnole qui s’étendit sur presque trois siècles, depuis les années 1520 jusqu’aux années 1820, sur l’ensemble de l’Amérique latine, hormis le Brésil qui était sous domination portugaise, les pays de l’Amérique latine ont été officiellement indépendants mais, en réalité, se sont trouvés sous la domination de l’impérialisme américain. 

La politique américaine à l’égard de l’Amérique latine débute avec la doctrine de Monroe, énoncée en 1823, qui déclare que « les continents américains (…) par conséquent, ne doivent pas être considérés comme objets de colonisation future par quelque puissance européenne que ce soit (…) nous devons à une certaine naïveté (…) de déclarer que nous considérerions toute tentative de leur part d’étendre leur système à quelque portion que ce soit de cet hémisphère comme dangereuse pour notre paix et notre sécurité. » 

Les Etats-Unis, naturellement, ont ravi le Texas et la Californie au Mexique (quasiment la moitié de son territoire) au cours des années 1840. 

Ils ont fomenté une ‘révolution séparatiste’ panaméenne, ont ravi Panama à la Colombie et en ont fait un régime fantoche. 

Seuls les impérialistes britanniques, qui étaient les alliés des Américains, ont été autorisés à prendre les îles Falkland à l’Argentine et Belize au Honduras. 

Par conséquent, partout, les pays de l’Amérique latine ont été des Etats officiellement indépendants depuis plus d’un siècle et demi, mais ils ont été soumis à la domination économique, politique, militaire et idéologique de l’impérialisme et, tout particulièrement, de l’impérialisme américain. 

Partout où ses intérêts stratégiques en Amérique latine ont été en danger, l’impérialisme américain est intervenu directement, comme on l’a vu dans le cas du bombardement par l’US Navy et de la prise de Veracruz au Mexique, en 1914, et lors de l’intrusion de l’armée américaine au Mexique, en 1916, afin de capturer le dirigeant rebelle Pancho Villa – bien qu’elle eût échoué dans sa mission. 

Du fait qu’il avait débarqué tardivement dans la lutte pour l’appropriation des colonies, la ligne néocolonialiste convenait aux intérêts de l’impérialisme américain. 

En installant leurs régimes fantoches dans la quasi-totalité des vingt pays latino-américains, les impérialistes américains, conformément à la doctrine de Monroe, empêchèrent les autres puissances impérialistes de s’emparer des pays de l’Amérique latine. On retrouve la même politique dans la phase consécutive à la Seconde Guerre mondiale, lorsque les impérialistes américains envisagèrent de s’approprier le monde entier via les institutions issues de Bretton Woods, comme la Banque mondiale, le FMI et le GATT. 

Via ce genre de politique néocolonialiste, l’impérialisme américain n’a pas seulement tenu ses rivaux en dehors de l’Amérique latine, mais il a également créé l’illusion que ces pays étaient indépendants. 

Car, en apparence, c’étaient les Mexicains qui gouvernaient le Mexique, les Vénézuéliens qui gouvernaient le Venezuela, les Boliviens qui gouvernaient la Bolivie, les Cubains qui gouvernaient Cuba, et ainsi de suite. Porfirio Diaz, le dictateur tant détesté du Mexique, était mexicain ; Juan Vicente Gómez, le boucher du Venezuela, était vénézuélien ; Batista, le despote de Cuba, était cubain ; ou, pour considérer des cas plus récents, Pinochet, le dictateur du Chili, était chilien et Fujimori était péruvien. 

Constitutionnellement, tous ces pays étaient indépendants mais le véritable pouvoir était enraciné à Wall Street et Washington. 

Une description de la manière dont fut établie la domination américaine sur ces territoires nous a été fournie par le général major Smedley, en 1935 : 

 « J’ai passé trente-trois ans et quatre mois en service actif comme membre de la force militaire la plus performante de notre pays, le corps des marines. J’ai occupé tous les grades d’officiers, depuis second lieutenant jusqu’à général major. 

Et, au cours de cette période, j’ai passé la majeure partie de mon temps à jouer au Monsieur Muscle de haut niveau pour le compte de la Grosse Galette, pour Wall Street, et pour les banquiers. En bref, je rackettais pour le capitalisme…  

Ainsi donc, en 1914, j’ai aidé à garantir les intérêts pétroliers américains au Mexique et, plus particulièrement, à Tampico. 

J’ai aidé à transformer Haïti et Cuba en des endroits décents afin que la National City Bank puisse y engranger des revenus (…) 

En 1909-1912, j’ai aidé à purifier le Nicaragua au profit de la société internationale de banque des frères Brown. 

En 1916, j’ai mis de l’ordre dans la République dominicaine pour le compte des intérêts sucriers américains. 

En 1903, j’ai aidé à remettre le Honduras ‘d’aplomb’ au profit des compagnies fruitières américaines… » 

1.1. Le néocolonialisme après la Seconde Guerre mondiale 

Bien que les méthodes dissimulées du colonialisme ne soient pas une forme tout à fait inédite de domination coloniale, ce qui est neuf, dans le phénomène du néocolonialisme d’après la Seconde Guerre mondiale, c’est qu’il est devenu la forme dominante et non plus une exception. 

C’est la désintégration du système de la domination coloniale directe, due aux insurrections anti-impérialistes des nations opprimées dans les colonies et à l’apparition d’un puissant camp socialiste, qui a forcé l’impérialisme à adopter la stratégie nouvelle du néocolonialisme. 

Bien que l’apparition du néocolonialisme ne constitue pas une phase nouvelle, elle signifie néanmoins l’affaiblissement de l’impérialisme dans sa nouvelle phase, celle de l’après-Seconde Guerre mondiale.  

L’impact des mouvements de libération nationale, dans l’histoire du monde, a été si profond en Asie, en Afrique et en Amérique latine que les puissances impérialistes, telles les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Portugal, furent forcées de rendre le pouvoir d’Etat à leurs anciennes colonies. 

Les coups sévères assénés par les peuples du monde ont forcé l’impérialisme à revêtir la couverture d’une nouvelle forme, dissimulée, de colonialisme. 

Pour l’impérialisme, une telle politique ne relevait pas d’un choix, mais d’une nécessité désespérée. 

Pour résumer tout ceci en une seule phrase, le néocolonialisme est la forme typique de politique coloniale adoptée par l’impérialisme dans sa phase de retraite stratégique et de déclin. On pourrait évaluer l’importance de la faiblesse de l’impérialisme sur le fait suivant. Alors qu’en 1919, plus de 1,2 milliard de personnes sur une population mondiale de 1,8 milliard (pas loin de 70%) vivaient dans les colonies et semi-colonies, en 1966, la domination coloniale directe avait disparu dans la quasi-totalité de l’Asie, de l’Afrique et des Caraïbes. 

C’est la combinaison des trois principaux facteurs politiques suivants sur la scène internationale qui a scellé le sort du système de domination coloniale directe : 

1. l’apparition d’un puissant camp socialiste qui a apporté son soutien maximal aux luttes de libération nationale; 

2. l’acharnement des mouvements anti-impérialistes de libération nationale eux-mêmes, 

3. et les mouvements ouvriers et les mouvements pour la restauration de la démocratie et de la paix dans les pays impérialistes. 

La Seconde Guerre mondiale a contribué au renforcement des facteurs politiques ci-dessus en même temps qu’elle affaiblissait l’impérialisme dans son ensemble, le forçant ainsi à battre en retraite. 

Après des siècles de domination coloniale directe, la plupart des nations soumises réussissaient à se débarrasser de la domination impérialiste directe, et ce au cours des deux décennies qui allaient suivre la Seconde Guerre mondiale. 

Ainsi, la quasi-totalité de l’Asie, moins de dix ans après la fin de la guerre, alors que, durant la seconde décennie de l’après-guerre, on assistait à la fin de la domination coloniale directe en Afrique. 

Pourtant, en 1955, seuls cinq Etats pour l’ensemble de l’Afrique avaient proclamé leur indépendance, même si celle-ci n’était que purement formelle. 

C’étaient l’Egypte, le Liberia, l’Ethiopie, la Libye et l’Union sud-africaine où un régime blanc, minoritaire et raciste était au pouvoir. 

Au milieu de l’année 1968, le nombre de pays sortis de la domination coloniale directe s’élevait à quarante. 

L’année 1960 a été appelée ‘l’année de l’Afrique’ : 17 pays accédèrent à l’ ‘indépendance’. 

Ce développement énorme de la conscience nationale, les diverses puissances impérialistes furent obligées d’en tenir compte lorsqu’elles élaborèrent leurs stratégies à venir visant à poursuivre leur pillage et leur exploitation de ces pays. 

La reconnaissance de ces réalités nouvelles et la nécessité de mettre sur pied une nouvelle approche fut exprimée sans équivoque par le général de Gaulle, le chef d’Etat français, dans le discours qu’il adressa aux officiers de l’armée française en décembre 1960. 

Il tenta de convaincre ses officiers de se rendre compte de ce qui se passait dans le monde, de comprendre que les vieilles méthodes d’oppression et de domination par la force des armes, ainsi que l’exercice direct du pouvoir d’Etat, devenaient impossibles et qu’il fallait trouver une nouvelle façon de « poursuivre l’oeuvre de la France en Algérie ». 

Pour « poursuivre leur oeuvre » dans leurs anciennes colonies, les impérialistes ont  et élaboré leurs méthodes d’exploitation et de domination. De nouveaux organismes et instruments, comme les Nations Unies, la Banque mondiale, le FMI, le GATT, l’USAID, etc. furent mis en service, on embaucha du nouveau personnel et on se servit de nouvelles armes – l’ensemble constituant le système du néocolonialisme. 

1.2. Des tentatives avortées de perpétuer la domination directe 

Les diverses puissances impérialistes, naturellement, n’allaient pas abandonner si facilement leur bonne vieille méthode de domination coloniale directe. 

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, les puissances impérialistes occidentales utilisèrent tous les moyens à leur disposition pour reconquérir tous les territoires asiatiques qu’ils avaient perdus au profit des fascistes japonais durant la guerre. 

Le camp socialiste n’était pas encore entièrement consolidé (la Chine était toujours en pleine guerre de libération) et les mouvements de libération nationale n’avaient pas encore atteint leur pleine maturité. 

Par conséquent, tirant parti de cette situation, les puissances impérialistes occidentales essayèrent de rétablir promptement leur domination coloniale dans de vastes portions de l’Asie en écrasant les mouvements de libération avec une extrême férocité. 

Pendant la guerre, toutes les puissances impérialistes occidentales ont été chassées de la région Asie-Pacifique par les impérialistes japonais: les Britanniques de la Birmanie et de la Malaisie, les Français de l’Indochine, les Hollandais de l’Indonésie et même les Américains des Philippines. 

Ces puissances n’allaient jamais défendre les peuples contre le fascisme ni fournir des armes aux peuples pour qu’ils se défendent eux-mêmes. 

Les peuples, évidemment, entrèrent en résistance contre le fascisme japonais et, avec la défaite du Japon en 1945, il y eut des insurrections populaires partout. 

La République démocratique du Vietnam fut établie dans l’ensemble du Vietnam, tant le Nord que le Sud, en 1945. 

En Indonésie, le peuple reprit le pouvoir de l’Etat des mains des Japonais et installèrent leur propre république en août 1945. 

Le même mois, en guise de point culminant à la résistance héroïque opposée durant toute la guerre par l’Armée du Peuple malais contre le Japon, l’Union du Peuple malais contre le Japon établit son contrôle sur l’ensemble de la Malaisie. En Corée du Sud, la République populaire fut proclamée par le Congrès national réuni à Séoul en septembre 1945. 

Aux Philippines, l’Armée du Peuple philippin contre le Japon, connue sous le nom de Hukbalahap, qui avait une force armée réelle de 10.000 hommes et une réserve de 40.000 autres en septembre 1944, libéra son pays des Japonais et, à la fin de la guerre, elle avait établi son contrôle sur la totalité du pays. 

En Chine, dirigée par le Parti communiste chinois sous le commandement de Mao, la guerre en vue de la libération complète vis-à-vis du féodalisme et de l’impérialisme passa au stade d’offensive stratégique après l’effondrement du Japon. 

En Inde, la mutinerie navale de 1946, les révoltes de Tebhaga et de Telangaga ainsi que les nouvelles insurrections de l’après-guerre parmi diverses sections de la population ébranlèrent les fondements même de la domination impérialiste britannique. 

Confrontées à de telles difficultés, toutes les puissances impérialistes, y compris les Japonais, vaincus, combinèrent leurs forces pour renverser les gouvernements populaires et piétiner les flammes de la renaissance du militantisme national. 

Au Vietnam, les troupes britanniques, françaises et japonaises attaquèrent en même temps le nouveau gouvernement, licencièrent les milices populaires et la milice, instaurèrent la loi martiale, s’emparèrent de tous les organes clés du pouvoir de l’Etat et rétablirent la domination française dans le pays. 

Les événements de 1945 au Vietnam furent résumés par un auteur : « Par la grâce des Britanniques, et avec l’aide des Japonais, les Français avaient repris pied en Indochine. » Mais les Français furent battus lors de l’historique bataille de Diên Biên Phu, en 1954, et furent obligés de retirer leurs forces du Vietnam. 

La tâche fut reprise plus tard par les impérialistes américains qui, eux aussi, durent subir une humiliante défaite, en 1973, des mains du peuple vietnamien. 

En Indonésie, au cours d’une manoeuvre similaire, les impérialistes hollandais, avec l’aide des forces armées britanniques et des 80.000 Japonais libérés et armés par les Britanniques, reprirent toutes les villes clés, y compris Jakarta, et tentèrent de rasseoir leur domination sur leur ancienne colonie. 

Mais l’intransigeante lutte armée du peuple indonésien, durant les trois ans et demi qui suivirent, chassa les impérialistes hollandais et l’Indonésie devint une république en 1948. Les tentatives en vue de rétablir la domination impérialiste en Indonésie se poursuivirent même plus tard et, en octobre 1965, à la faveur d’un coup d’Etat militaire, des centaines de milliers de communistes et d’autres patriotes et démocrates furent massacrés. 

En Malaisie, les troupes britanniques débarquèrent moins d’un mois après la prise de pouvoir par l’Union du Peuple malais contre le Japon, refusèrent de reconnaître les nouvelles autorités gouvernementales et lancèrent une offensive générale d’une grande brutalité contre les syndicats et autres organisations démocratiques. Des milliers de personnes furent tuées ou arrêtées. 

La lutte armée se poursuivit contre les Britanniques mais fut brutalement réprimée par le déploiement d’une armée britannique de 130.000 hommes. 

Ce n’est qu’après que les forces révolutionnaires en Malaisie eurent subi de sérieux revers et que les Britanniques furent en mesure de transférer le pouvoir aux classes indigènes féodales et compradores que la Malaisie put enfin accéder à son indépendance constitutionnelle en 1957. 

En Birmanie, la Grande-Bretagne fut obligée d’accorder l’indépendance en janvier 1948, mais seulement après avoir assassiné Aunug San et la plupart des dirigeants anti-impérialistes de premier plan. 

Les troupes américaines qui arrivèrent en Corée du Sud un mois après la reddition du Japon en septembre 1945 supprimèrent le gouvernement démocratiquement élu de la République populaire de Corée, assassinèrent le dirigeant libéral Lyuh Woonhgung et ce fut un gouvernement droitier de marionnettes à la solde des Américains qui fut installé avec, à sa tête, le dictateur Syngman Rhee et ce, contre la volonté du peuple coréen. 

Avant de déclarer l’indépendance des Philippines en juillet 1946, sur la base du Philippine Independence Act promulgué par le Congrès américain en 1934, les impérialistes américains prirent toutes les mesures utiles pour écraser les forces révolutionnaires et pour garder le contrôle économique et politique du pays. 

Les Philippins furent obligés de donner leur accord à la liberté de commerce avec les Etats-Unis et d’autoriser l’installation de 22 bases militaires américaines dans l’archipel en vertu d’un bail de 99 ans libre de loyer. 

L’Union nationale des Paysans, le Hukbalahap et le Parti communiste furent bannis et la marionnette américaine, le président Manuel Rojas, soutenu par 90.000 soldats américains, déclencha une guerre sanglante en vue de supprimer la paysannerie et les diverses forces révolutionnaires. 

En Inde aussi, confrontés à la perspective d’une révolution et afin de sauvegarder leurs intérêts économiques dans le pays, les Britanniques n’eurent d’autre choix que de transférer le pouvoir aux classes de la grande bourgeoisie, des gros propriétaires et des compradores. 

En Chine, les impérialistes américains injectèrent massivement 5 milliards de dollars entre 1945 et 1948 pour sauver le régime décadent de Tchang Kaï-chek, mais ne purent empêcher la victoire de la révolution chinoise. 

En Afrique, durant toute la décennie qui suivit la Seconde Guerre mondiale, les luttes populaires furent matées par la force. 

En 1947, à Madagascar, des milliers de personnes furent massacrées par les troupes françaises. Au Ghana, au Nigeria, au Cameroun et au Kenya, au Congo, en Algérie, en Tunisie et au Maroc, des milliers de personnes durent prendre les armes pour combattre la sauvage répression déclenchée par les diverses puissances impérialistes. 

Ainsi donc, pendant plus d’une décennie après la Seconde Guerre mondiale, les diverses puissances impérialistes luttèrent désespérément et sans la moindre pitié pour rétablir l’ancien modèle de domination coloniale directe en Asie et en Afrique, mais elles furent forcées de le remplacer par le modèle néocolonial, en raison de la puissance croissante des mouvements de libération nationale et du camp socialiste. Dans un même temps, comme nous l’avons déjà vu, le modèle néocolonial n’a été instauré qu’après avoir écrasé les forces anti-impérialistes et révolutionnaires. Par conséquent, la contre-révolution est un élément essentiel du néocolonialisme. 

Le but des puissances impérialistes était d’empêcher à tout prix l’apparition de gouvernements indépendants représentant les forces anti-impérialistes les plus consistantes. 

Donc, avant de concéder l’indépendance formelle, les impérialistes se sont assurés que ce seraient les forces les plus conservatrices et de droite qui viendraient au pouvoir dans ces pays. 

En Guyane, la question d’accorder l’indépendance fut tenue en suspens pendant plus d’une décennie afin de s’assurer que leur propres compradores viendraient au pouvoir. 

A partir de 1953, lorsque le Parti populaire progressiste (PPP), dirigé par le Dr Cheddi Jagan, remporta les élections et constitua le gouvernement sous un système d’autonomie interne limitée, les impérialistes britanniques et américains ourdirent d’abord d’innombrables intrigues visant à liquider le PPP avant d’accorder l’indépendance à la Guyane. 

Le PPP remporta les élections à trois reprises, entre 1953 et 1964, mais, en 1964, le pouvoir fut transféré à une coalition de partis compradores avant qu’on n’accorde l’ ‘indépendance’. 

Les principales motivations sous-tendant les manoeuvres impérialistes visant à refuser l’indépendance à la Guyane furent mises en évidence par un auteur dans The Guardian : « La haine à l’égard de Jagan, la crainte de la moindre touche de socialisme et, économiquement, la sauvegarde de l’hémisphère au profit de Standard Oil, International Telephone, la United Fruit Company et d’autres encore (…). » 

Au Basutoland (aujourd’hui, le Lesotho), lors des élections de 1965, juste avant l’ ‘indépendance’, le Parti du Congrès du Basutoland et le Parti Moremaflou de la Liberté récoltèrent la majorité des suffrages. Mais le gouvernement britannique passa le pouvoir à Chef Leabua et à son ‘Parti national’ qui était ouvertement soutenu par l’Afrique du Sud et l’Allemagne de l’Ouest. 

En Amérique latine aussi, on poursuivit la même politique contre-révolutionnaire après 1945. Le Parti communiste brésilien, avec ses 800.000 voix aux élections de 1946, fut banni en 1947. 

Au Venezuela, le gouvernement libéral de Gallegos fut renversé par un coup d’Etat en 1948, le parti communiste avait été banni en 1947 et on déclencha une sanglante campagne de répression. 

 Les coups d’Etat militaires contre des gouvernements libéraux, les assassinats de dirigeants de la classe ouvrière, les arrestations massives, les attaques contre les Partis communistes et la suppression générale des droits démocratiques constituèrent les éléments essentiels de la politique américaine en Amérique latine. 

C’est pourquoi la Seconde Déclaration de La Havane proclama: « L’Amérique latine d’aujourd’hui subit un impérialisme plus féroce, plus puissant et plus impitoyable que sous l’empire colonial espagnol. » 

A l’époque de l’impérialisme, il existe une règle générale : les révolutions démocratiques nationales, dans quelque colonie ou semi-colonie que ce soit, ne peuvent être menées à bien que par le prolétariat. 

Il n’y eut donc qu’en Chine, en Corée du Nord, au Nord-Vietnam et à Cuba que l’impérialisme et le féodalisme purent être totalement renversés grâce au fait que la révolution démocratique nationale était dirigée par le prolétariat. 

La bourgeoisie nationale, dans un pays colonial ou semi-colonial, comme l’a fait remarquer le camarade Mao et comme l’a prouvé l’expérience historique, est « extrêmement peu rigoureuse sur les plans économique et politique» et elle a une « propension à la conciliation avec les ennemis de la révolution ». 

Citant le cas de la Turquie, où la bourgeoisie nationale, qui avait instauré une république indépendante en 1922, fut bientôt réduite à une position de soumission à l’impérialisme, le camarade Mao expliquait : 

« Même si l’insignifiante dictature kémaliste de la bourgeoisie a émergé en Turquie après la première guerre impérialiste mondiale et après la révolution d’Octobre, suite à certaines conditions spécifiques (le succès de la bourgeoisie lorsque l’agression grecque fut repoussée et la faiblesse du prolétariat), il ne pourrait y avoir de seconde Turquie, et encore moins une ‘Turquie’ de 450 millions d’habitants, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de l’accomplissement de la construction du socialisme en Union soviétique. 

Dans les conditions propres à la Chine (le manque de rigueur de la bourgeoisie et sa propension à la conciliation et la force du prolétariat, avec sa profonde conscience révolutionnaire), les choses ne se déroulent jamais aussi facilement qu’en Turquie. Certains membres de la bourgeoisie chinoise ne se sont-ils pas réclamés du kémalisme après que la première Grande Révolution eut échoué en 1927 ? 

Mais où est le Kemal de la Chine? Et où sont la dictature bourgeoise et la société capitaliste de la Chine ? 

En outre, même la Turquie kémaliste dut se jeter elle-même dans les bras de l’impérialisme anglo-français, se muant de plus en plus en semi-colonie et en partie constituante du monde impérialiste réactionnaire. 

Au vu de l’actuelle situation internationale, de deux choses l’une: les ‘héros’ dans les colonies et les semi-colonies s’alignent sur le front impérialiste et deviennent partie constituante des forces de la contre-révolution mondiale, ou ils s’alignent sur le front anti-impérialiste et deviennent partie constituante des forces de la révolution mondiale. Ils doivent faire l’un ou l’autre, car il n’y a pas de troisième choix. » 

Par conséquent, dans chaque pays colonial qui est arrivé à décrocher son ‘indépendance’, soit les forces les plus conservatrices des compradores et des grands propriétaires sont venues au pouvoir en s’alliant avec l’impérialisme, comme en Inde, soit, là où la bourgeoisie nationale a pu accéder au pouvoir grâce à une puissante insurrection populaire comme en Algérie, au Congo, en Zambie etc., elle s’est soumise à l’impérialisme en permettant à ce dernier de poursuivre son exploitation et sa domination par le biais de méthodes indirectes. 

A Zanzibar, par exemple, le pouvoir fut transféré aux forces pro-britanniques en 1963, mais 33 jours à peine après le transfert de pouvoir, le régime pro-britannique fut renversé par une insurrection armée soutenue par le peuple. 

Mais, en l’absence d’une direction prolétarienne, le pays retomba une fois de plus dans le piège du néocolonialisme. 

Partout, donc, les colonies de type ancien se transformèrent soit en semi-colonies, soit en néocolonies. 

Le Parti communiste chinois, s’opposant au point de vue révisionniste soviétique prétendant que le colonialisme a presque disparu de la surface du globe et qu’il ne constitue donc aucune menace, expliquait comment le tigre néocolonialiste est entré par la porte de derrière : 

« Les dirigeants du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) ont fréquemment émis l’opinion que le colonialisme avait disparu ou était occupé à disparaître du monde d’aujourd’hui. 

Ils insistent sur le fait ‘que cinquante millions de personnes sur terre gémissent toujours sous la domination coloniale’, qu’on ne peut trouver les vestiges du colonialisme que dans quelques endroits comme les colonies portugaises d’Afrique, l’Angola, le Mozambique, et que l’abolition de la domination coloniale est presque entrée dans sa ‘phase terminale’. 

Quels sont les faits? 

Considérez, pour commencer, la situation en Asie et en Afrique. 

Tout un groupe de pays y ont proclamé leur indépendance. 

Mais un grand nombre de ces pays ne se sont pas complètement débarrassés du contrôle et de l’asservissement impérialiste et colonial et demeurent les objets du pillage et de l’agression impérialiste en même temps que des arènes de rivalités entre les anciens et les nouveaux colonialistes. 

Dans certains de ces pays, les anciens colonialistes se sont mués en néocolonialistes et maintiennent leur domination coloniale par l’intermédiaire des agents qu’ils ont formés à cet effet. 

Dans d’autres de ces pays, le loup est sorti par la porte de devant mais le tigre est rentré par celle de derrière, l’ancien colonialisme a donc été remplacé par le nouveau colonialisme américain, plus puissant et plus dangereux. 

Les peuples d’Asie et d’Afrique sont gravement menacés par les tentacules du néocolonialisme, représenté par l’impérialisme américain. » 

La déclaration de 1960 des 81 Partis insistait elle aussi sur le fait que «les impérialistes, avec à leur tête les Etats-Unis, font des efforts désespérés pour préserver l’exploitation coloniale des peuples des anciennes colonies par de nouvelles méthodes et de nouvelles formes» et qu’ils « essaient de maintenir leur emprise sur les leviers du contrôle économique et de l’influence politique dans les pays asiatiques, africains et latino-américains ». Là où le pouvoir du capital financier ne peut mettre certain régime du tiers monde à genoux, les impérialistes tendent par d’autres moyens tels blocus économique, complots en vue d’assassinats et coups d’Etats, y compris intervention militaire directe, à subordonner le régime audacieux comme au Vietnam, en Corée, au Nicaragua, au Salvador et, récemment, en Irak, en Libye et à Haïti. 

Par conséquent, le néocolonialisme ne s’arrête pas simplement à la question de garder et d’étendre le contrôle économique de l’impérialisme mais il englobe toutes les sphères de l’existence. 

La troisième Conférence des Peuples panafricains, lors de son réunion du Caire en 1961, insistait sur le fait que : « Le néocolonialisme, qui est la survivance du système colonial, en dépit de la reconnaissance formelle de l’indépendance politique de pays émergeants qui deviennent les victimes d’une forme indirecte et subtile de domination par des moyens politiques, économiques, sociaux, militaires ou techniques, est la pire des menaces pour les pays africains qui ont nouvellement acquis leur indépendance ou pour ceux qui sont proches de ce statut. » 

Une résolution similaire sur ‘le colonialisme et le néocolonialisme’ adoptée lors de la Première Conférence de Solidarité des Peuples africains, asiatiques et latino-américains, tenue à La Havane en janvier 1966, insistait sur le caractère universel du néocolonialisme : « Pour garantir sa domination, l’impérialisme essaie de détruire les valeurs nationales, culturelles et spirituelles de chaque pays et constitue un appareil de domination qui inclut des forces armées nationales dociles vis-à-vis de leur ligne politique, la mise en place de bases militaires, la création d’organes de répression, avec des conseillers techniques en provenance des pays impérialistes, la signature de pactes militaires secrets, la formation d’alliances régionales et internationales fomenteuses de guerres. 

Il encourage et mène des coups d’Etat et des assassinats politiques afin de mettre en place des gouvernements de marionnettes ; dans un même temps, dans le domaine économique, il recourt à des formules trompeuses, comme la prétendue Alliance pour le Progrès, Food for Peace et d’autres trucs du même genre, tout en utilisant des institutions comme le Fonds monétaire international et la Banque internationale de reconstruction et de développement pour renforcer sa domination économique. » 

Naturellement, la haine a été grandissante à l’égard des méthodes néocolonialistes adoptées par l’impérialisme après la Seconde Guerre mondiale. 

La puissance économique et militaire croissante du bloc socialiste au cours des années 1950 a également encouragé certaines classes dirigeantes du tiers monde à adopter, à certaines époques, une position anti-impérialiste. 

On a craint de plus en plus, dans les pays impérialistes, que certains pays du tiers monde, dont la résistance du peuple était forte, n’aillent se lancer sur la voie du socialisme ou rejoindre le bloc anti-impérialiste. 

La contradiction existant entre le camp impérialiste dirigé par l’impérialisme américain d’un côté, et le camp socialiste de l’autre, au cours des années 1950 et celle existant entre le camp impérialiste et le camp social-impérialiste durant les années 1960 et 1970, ont fourni de l’espace à certaines classes dirigeantes du tiers monde pour manoeuvrer et gagner quelques concessions de la part des impérialistes.  

Lors de la Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), à Genève en 1965, 85 des 121 pays présents ont voté pour la proposition demandant instamment que des « mesures supplémentaires soient prises pour corriger la chute des prix des produits de base afin de protéger les producteurs de ces produits de base contre des pertes de revenus ». Seuls treize pays votèrent contre, parmi lesquels les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. 

La Conférence de Bandoung des dirigeants afro-asiatiques en 1955, les revendications émises par des dirigeants comme Nasser, d’Egypte, et, par-dessus tout, la libération de Cuba en 1959, après le renversement de la marionnette des Américains, Batista, ainsi que la menace de véritables révolutions dans certains pays du tiers monde, tout cela poussa les impérialistes à affiner leur stratégie. Ils reconnurent que la contre-insurrection armée devait être accompagnée par un certain degré de stabilité économique, pour ne pas dire de prospérité.  

L’essence de la nouvelle stratégie libérale de l’endiguement avait été résumée en 1964 par le secrétaire d’Etat de Kennedy, Robert McNamara, lorsqu’il avait déclaré que « le programme d’aide alimentaire est la meilleure arme dont nous disposons pour nous garantir que nos propres hommes en uniforme ne seront pas obligés d’aller se battre » et que « les pauvres peuvent gagner une meilleure part de la prospérité nationale sans soulèvements politiques et sociaux ou sans priver gravement les élites locales ». Il est évident qu’à long terme, il s’agit d’une stratégie impossible car elle signifie courir avec le lièvre et chasser avec le chien, c’est-à-dire préserver le statu quo tout en réservant une part plus grande de la richesse nationale aux pauvres. 

Puisqu’on s’était arrangé pour appliquer cette stratégie via l’injection massive de capitaux étrangers dans les pays du tiers monde, elle finit par capoter à la fin des années 1970, avec l’apparition de la crise de la dette. 

Mais, dans son premier quart de siècle d’existence, la Banque mondiale s’était appuyée sur un modèle ‘néokeynésien’ qui insistait sur la planification gouvernementale et les dépenses en vue de créer de l’emploi tout en encourageant l’entreprise privée. Cette stratégie libérale de l’endiguement n’empêcha naturellement pas les impérialistes américains de se lancer dans une guerre à grande échelle au Vietnam mais, ce qui est important surtout, c’était qu’ils avaient également injecté au Sud-Vietnam des sommes colossales en vue de promouvoir le développement capitaliste et ce, de façon à détourner le peuple du socialisme. 

Il vaut la peine de citer la fameuse Alliance pour le Progrès (appelée aussi l’Alianza), en fait une Alliance pour le Pillage (néocolonialiste), car il s’agissait d’un plan grandiose, promettant en Amérique latine un développement accompagné de réformes sociales limitées. 

Lancée par John F. Kennedy en 1961, l’Alianza n’est autre qu’un programme de développement coopératif en dix ans, destiné à l’Amérique latine et prévoyant 100 milliards de dollars de dépenses, 80 milliards provenant de l’Amérique latine même, alors que 20 milliards étaient financés par les Etats-Unis. 

On peut juger du caractère colossal du plan en songeant que même le plan Marshall, qui prépara la voie à la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale, n’avait coûté qu’environ 17 milliards de dollars. 

Les Etats-Unis, via l’USAID, la Banque interaméricaine de Développement, la Banque mondiale et le FMI, injectèrent en Amérique latine 2 milliards de dollars par an durant dix ans afin de contenir le ‘danger’ du communisme. 

Cette stratégie transforma la totalité de l’Amérique latine en jardin de l’impérialisme américain. Bien qu’en apparence, on assista à une croissance rapide des économies, reposant sur les dettes extérieures, ce développement ne créa qu’une classe de nouveaux riches parmi les classes moyennes alors que la grande majorité de la population continua à mener une existence précaire dans l’indigence et la misère. 

Vers la fin des années 1970, l’Alianza, le Peace Corps, les prétendus Programmes d’Aide entrepris par les institutions néolibérales comme le FMI, la Banque mondiale, l’IDA, l’ADB et autres institutions impérialistes n’ont fait que renforcer l’emprise déjà très forte des transnationales, des banques multinationales et des pays impérialistes sur les économies du tiers monde, tout particulièrement en Amérique latine. 

Au Brésil, à la fin des années 1970, les transnationales prenaient à leur compte la moitié du total des ventes de produits manufacturés, alors qu’au Mexique, elles couvraient 30% de la production manufacturée. 

La société transnationale s’est révélée comme le véhicule le plus important de l’exploitation néocoloniale du tiers monde. 

En 1984, les 200 premières transnationales du monde avaient un chiffre d’affaires total de plus de 3.000 milliards de dollars, soit presque 30% du PIB mondial. 

Du fait que les transnationales géantes commençaient à dominer chaque sphère de la vie, les violations à l’égard des droits de l’homme dans le tiers monde, et particulièrement en Amérique latine, ne connurent plus de limites. 

En fait, en Amérique latine, les sociétés basées aux Etats-Unis, aidées par la CIA et la machine étatique américaine, orchestrèrent 60 coups d’Etat militaires dans les 15 premières années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale. 

La situation empira encore au cours des années 1970 et 1980. 

La Bolivie, sous le général Hugo Banzer, entre 1971 et 1978, le Chili sous Pinochet, qui reprit le pouvoir après l’assassinat de Salvador Allende en septembre 1973, le Nicaragua sous Somoza, le Guatemala sous le général et boucher Lucas Garcia, Haïti sous ‘Papa Doc’ et ‘Baby Doc’ Duvalier jusqu’en 1986, sans parler du Salvador, de la Colombie, du Honduras, du Pérou, du Brésil et des autres pays de l’Amérique latine et des Caraïbes qui ont vu disparaître des milliers de personnes – dirigeants syndicaux, militants paysans, intellectuels de gauche, étudiants et militants des droits civiques, etc. 

Au Guatemala, au moins 25.000 civils furent tués par les troupes gouvernementales durant le règne de terreur déclenché par le général Luca Garcia entre 1978 et 1982. 

On entreprit une militarisation massive dans chaque pays de l’Amérique latine en vue de supprimer toute forme de dissension et d’opposition au pillage des transnationales et aux lignes politiques pro-impérialistes (principalement pro-américaines) des classes dirigeantes. 

Il vaut la peine de citer quelques extraits du discours prononcé par Salvador Allende devant les Nations unies et dans lequel il mettait le monde en garde contre la menace posée par les transnationales : 

« Nous assistons à une confrontation directe entre les grandes sociétés transnationales et les Etats. Les sociétés font de l’ingérence dans les décisions fondamentales, tant politiques et économiques que militaires, des Etats. 

Les sociétés sont des organisations mondiales qui ne dépendent d’aucun Etat, dont les activités ne sont pas contrôlées et qui n’ont de comptes à rendre devant aucun parlement ni aucune autre institution représentative de l’intérêt collectif. 

En bref, toute la structure politique mondiale est en train d’être sapée. » 

Il appréhendait également le danger que représentaient ces transnationales prédatrices pour la souveraineté de son pays : 

 « Non seulement nous endurons un blocus financier, mais nous sommes également les victimes d’une agression évidente. 

Deux firmes faisant partie du noyau central des grosses sociétés transnationales qui ont enfoncé leurs griffes dans mon pays, à savoir l’International Telegraph and Telephone et la Kennecott Copper Corporation, ont tenté de gérer notre vie politique… 

Dès l’instant où le mouvement populaire a été victorieux lors des élections de septembre 1970, ITT, une gigantesque société dont le capital est plus important que le budget de plusieurs pays de l’Amérique latine mis ensemble, voire plus important que celui de certains pays industrialisés, a entamé une action des plus sinistres afin de me tenir éloigné de la présidence. » 

En septembre 1973, soit moins de neuf mois après son discours aux Nations unies, Allende était assassiné par la CIA afin qu’ITT puisse disposer en toute quiétude du Chili. 

Les tentatives d’Allende visant à combattre l’impérialisme en comptant sur la bonne vieille machine de l’Etat, qui avait été jusque-là entraînée et nourrie par l’impérialisme américain, ne pouvaient que mener à un tel désastre. 

La situation n’était guère différente aux Philippines, en Corée du Sud, à Singapour, à Taiwan, en Indonésie et dans la plupart des pays d’Afrique et du Moyen-Orient. 

Nous ne citerons que quelques exemples des tactiques impérialistes de subversion et d’ingérence ouverte dans les affaires de ces pays : en Indonésie, jusqu’à un million de communistes et d’autres patriotes furent massacrés au milieu des années 60 ; au Congo, Patrice Lumumba, dirigeant du mouvement national de libération du Congo, fut assassiné ; au Ghana, Kwame Nkrumah fut renversé ; en Irak, la victoire du peuple en 1958 fut sapée par un coup d’Etat qui laissa des milliers de morts (la dernière en date des agressions contre l’Irak par les armées coalisées dirigées par les Etats-Unis s’est soldée par le massacre de centaines de milliers d’Irakiens) ; les atrocités les plus barbares ont été commises par les impérialistes américains en Indochine lors de leur guerre d’agression qui allait durer toute une décennie; en 1986, les Etats-Unis ont bombardé le palais présidentiel libyen dans une tentative d’éliminer Muammar al-Kadhafi ; ils ont envahi Grenade, une petite île pourtant nation souveraine ; ils ont enlevé Noriega au Panama et ont persécuté pour ainsi dire les communistes et les forces anti-impérialistes dans quasiment chaque pays de la planète. 

En ce qui concerne l’exploitation économique, les dimensions du vol et du pillage des pays du tiers monde par les impérialistes de la phase néocoloniale dépassent de loin celles de l’époque coloniale. 

Parmi les innombrables méthodes employées par les impérialistes pour arnaquer le tiers monde de son agriculture, de ses richesses et ressources, voici les principales: 1. via des investissements directs à l’étranger; 2. via des échanges inégaux de marchandises; 3. via des taux élevés d’intérêt sur les prêts. 

Par exemple, les flux de capitaux totaux en investissements directs, nets, en provenance des Etats-Unis furent de 13,7 milliards de dollars entre 1950 et 1961, alors que le revenu total de ces investissements, pour la même période, fut de 23,2 milliards de dollars, c’est-à-dire un profit de 9,5 milliards de dollars. 

Entre 1950 et 1960, rien qu’en Amérique latine, les investissements directs à l’étranger furent de 6,2 milliards de dollars, alors que les bénéfices transférés à l’étranger furent de 11 milliards de dollars, c’est-à-dire une perte sèche, pour l’Amérique latine, de 5 milliards de dollars. 

Dans son discours de décembre 1972 aux Nations Unies, quelques mois avant son assassinat, le président chilien Salvador Allende parlait du pillage sans retenue de son pays par les corporations américaines comme l’Anaconda Company et la Kennecott Copper Corporation. 

Il s’agissait dans ce cas du cuivre :  

« Les mêmes firmes qui ont exploité le cuivre chilien durant de nombreuses années ont réalisé plus de 4 milliards de dollars de bénéfices au cours des 42 dernières années, alors que leurs investissements initiaux avaient été inférieurs à 30 millions de dollars. Un exemple simple et pénible, un contraste flagrant: dans mon pays, il y a 600.000 enfants qui ne pourront jamais profiter de la vie dans des conditions humaines normales parce que, durant les huit premiers mois de leur existence, ils ont été privés de la quantité indispensable de protéines. 

Mon pays, le Chili, aurait été totalement transformé, avec ces 4 milliards de dollars. 

Seule une infime partie de ce montant assurerait une fois pour toutes des protéines à tous les enfants de mon pays. » 

Alors que la crise de l’économie mondiale s’aggravait, les pays impérialistes se mirent à accroître de façon massive leurs investissements directs dans les pays du tiers monde, et ce, dès les années 1970. 

Comme les pays du tiers monde fournissaient de la main-d’oeuvre bon marché (par exemple, le revenu moyen d’un travailleur américain était de 1.220 dollars en 1972, alors que le travailleur taiwanais ne recevait qu’un salaire moyen de 45 dollars, le Sud-coréen 68 dollars, le travailleur de Singapour 60 dollars et le travailleur de Hong Kong 82 dollars), les gigantesques sociétés transnationales déplacèrent de plus en plus leurs opérations en direction des zones à bas salaires afin de contrebalancer la chute du taux de profit industriel résultant de l’augmentation massive de la composition organique du capital. 

Entre 1965 et 1980, les investissements privés à l’étranger furent multipliés par quatre, passant de 50 milliards de dollars à 214 milliards, et le stock global d’actions des IDE (investissements directs à l’étranger) atteignit 500 milliards de dollars en 1980. 

Au cours des années 1980 et 1990, du fait qu’un nombre sans cesse croissant de pays du tiers monde furent forcés d’ouvrir la totalité de leur propre marché, y compris le secteur des services, au capital, à la technologie et aux marchandises des impérialistes, on lança des mesures spécifiques telles le swapping, c’est-à-dire une opération d’échange couvrant – largement – le montant de la dette ainsi que des programmes de privatisation. Les flux des IDE en direction du tiers monde atteignirent des proportions effarantes. 

 Entre 1986 et 1990, les afflux d’IDE en direction du tiers monde crûrent à une moyenne annuelle de 21% en dollars actuels. 

Le stock global d’actions des IDE fit plus que tripler, passant d’environ 500 milliards de dollars en 1980 à 1.700 milliards en 1990. 

Bien que la plupart de ces transactions aient eu lieu entre les pays impérialistes eux-mêmes, il y eut toutefois un accroissement de flux des IDE en direction du tiers monde après que la Banque mondiale eut lancé son premier programme d’ajustement structurel en 1980. 

En 1991, les afflux d’IDE vers le tiers monde passèrent à 36 milliards de dollars et à 40 milliards de dollars en 1992. 

La part du tiers monde dans les IDE mondiaux a augmenté de 25% en 1991. 

Il sera intéressant de comparer ceci avec les chiffres des exportations de capitaux durant la période coloniale. 

En 30 années environ (de 1880 à 1913) d’exportation rapide vers les pays de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine, de capitaux provenant des anciens pays impérialistes comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, les investissements totaux à l’étranger dans ces pays ne furent que de 19 milliards de dollars, en prix de 1970. 

Avec un tel flux massif d’IDE en direction du tiers monde, l’industrie, la banque et autres services locaux sont invariablement confrontés à la fermeture, ils sont incapables de résister à la concurrence des puissantes sociétés et banques transnationales. 

Par conséquent, les peuples du tiers monde sont exploités par les sociétés transnationales en tant que travailleurs (qui vendent leur main-d’oeuvre bon marché aux monopoles étrangers), en tant que producteurs paysans (dont les produits agricoles sont vendus à des prix extrêmement bas) et en tant que consommateurs (qui achètent des produits sur le marché, mais à des prix très élevés). 

Une autre méthode pour amasser les richesses des pays du tiers monde consiste à leur concéder des prêts à des taux d’intérêt exorbitants. 

En 1956, la dette extérieure totale des pays de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine s’élevait à 9,7 milliards de dollars, sur lesquels les pays payaient un intérêt, service compris, équivalant à 3% de leurs gains annuels sur les exportations. 

Au début de la crise de la dette en 1982, le fardeau de la dette du tiers monde s’élevait à 785 milliards de dollars et, en 1993, il atteignait la somme faramineuse de 1.500 milliards de dollars, soit le double par rapport à dix ans plus tôt et 150 fois plus qu’en 1956. 

Les transferts nets de ressources financières en provenance du tiers monde vers les banques commerciales s’élevaient à 178 milliards, entre les années 1984 et 1990. 

La dette totale extérieure des 47 pays africains représente actuellement 110% de leur PNB combiné. Les opérations de remboursement des dettes des pays du tiers monde ont plus que quintuplé en 12 ans – passant de 7 milliards de dollars en 1980 à plus de 36 milliards de dollars en 1992. 

Depuis que la crise de la dette a éclaté en 1982, il y a eu, dans l’autre sens, un afflux excédentaire de ressources en provenance du tiers monde vers les pays impérialistes de l’ordre moyen de 30 milliards de dollars chaque année, c’est-à-dire que, chaque année, les pays du tiers monde paient à leurs créanciers impérialistes 30 milliards de dollars de plus que ce qu’ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts. 

Cette ponction massive des richesses du tiers monde s’est traduite pour ces pays par un accroissement sans précédent du nombre de pauvres, de sans-abri et de sans-emploi. 

En Afrique, 200 millions d’habitants, sur une population totale de 690 millions, vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. En Amérique latine, dont la population est à peu près la moitié de celle de l’Inde (environ 1 milliard d’habitants en 2001), près de 180 millions d’habitants vivaient dans la pauvreté au seuil des années 1990. 

La relation entre dette extérieure et pauvreté a été clairement résumée par l’archevêque de Sao Paulo, au Brésil, mais la même chose vaut aujourd’hui pour tout autre pays du tiers monde. 

« L’énorme effort des deux dernières années s’est traduit dans un excédent des exportations d’un milliard de dollars par mois. 

Pourtant, cet argent n’a servi qu’à payer les intérêts de la dette. 

Il est impossible de continuer dans cette voie. 

Nous avons déjà pris tout ce que les habitants avaient à manger, même si les deux tiers d’entre eux crèvent déjà de faim. 

Lorsque nous avons emprunté, les taux d’intérêt étaient de quatre pour-cent ; aujourd’hui, ils sont de huit pour-cent et, à certain moment, ils ont même été de vingt et un pour-cent. Pire encore, ces emprunts ont été contractés par les militaires et à des fins généralement militaires – 40 milliards de dollars ont été engloutis par six centrales nucléaires dont aucune ne fonctionne aujourd’hui. On attend aujourd’hui des gens qu’ils remboursent ces dettes moyennant de bas salaires et la famine. 

Mais nous avons déjà remboursé cette dette une ou deux fois de trop, si l’on considère les intérêts payés. Nous devons cesser de donner le sang de notre peuple et sa misère pour rembourser le premier monde. » 

Dans l’ensemble du tiers monde, le nombre de personnes vivant dans une extrême indigence atteint presque les 700 millions. 

La majeure partie de l’Afrique est devenue une région chroniquement exposée à la famine et des centaines de milliers de personnes meurent comme des mouches chaque année. 

Même si la grande majorité des habitants du tiers monde meurent de faim et de maladie, la faim des maîtres néocoloniaux, elle, devient de plus en plus insatiable. Les avoirs des sociétés dans les pays débiteurs passent aux mains des énormes monopoles via certains schémas tels le swapping, c’est-à-dire des échanges correspondant au montant de la dette. 

L’inégalité des échanges constitue toutefois une autre méthode de vol utilisée par les impérialistes commerçant avec le tiers monde. 

La plupart des pays du tiers monde dépendent de leurs exportations de produits de base et de l’importation de marchandises industrielles et de technologie de l’Occident. 

Alors que les prix des produits de base sur les marchés internationaux baissent chaque année, en raison surtout des manigances des sociétés de l’agrobusiness et autres monopoles, les prix des produits industriels, eux, grimpent sans cesse. 

Par exemple, entre 1955 et 1959, les prix à l’exportation ont baissé de 15%, entraînant une perte, pour l’Afrique tropicale, de 600 millions de dollars, soit le double du montant de l’aide extérieure. 

Une simple comparaison entre les prix à l’exportation et à l’importation donne une image graphique du vol perpétré par les prédateurs néocoloniaux via cette inégalité des échanges:

 
 
Pour acheter
une tonne d’acier importé
En 1951En 1961Augmentation
Le Ghana devait exporter
un poids de cacao de
90 kg255 kg283 %
Le Brésil devait exporter
un poids de café de
70 kg169 kg241 %
La Malaisie devait exporter
un poids de caoutchouc de
58 kg196 kg332 %



En 1952, à l’époque où le Ghana était sous domination coloniale directe, il recevait 467 £ par tonne (1.016,05 kg) de cacao exporté. A l’époque de l’ ‘indépendance’, en 1957, il ne percevait plus que 200 £ la tonne. En 1968, le prix descendit dramatiquement à 85 £ la tonne. 

Le cacao étant le produit le plus important dont dépendait la vie économique du Ghana, une telle dégringolade dans les prix de son marché se traduisit par un mécontentement des masses puis, par un coup d’Etat contre le président Nkrumah. 

Même aujourd’hui, l’Afrique dépend uniquement des exportations de ses richesses naturelles, comme les diamants, le cuivre, les denrées alimentaires, les boissons, etc. 

Entre 90 et 95% des échanges de la Zambie avec l’étranger proviennent d’un seul métal, le cuivre. 

En 1985, le prix du cuivre chuta à un tiers de ce qu’il était en 1966, alors que les prix des denrées alimentaires, de l’essence et des marchandises industrielles essentielles fut multiplié plusieurs fois. Au cours du quart de siècle qui a suivi son ‘indépendance’, la Zambie s’est muée en pays gravement endetté et elle doit dépendre des impérialistes, même pour sa nourriture. 

En 1986, l’Argentine, un grand exportateur de denrées alimentaires, a subi une perte d’au moins 2 milliards de dollars due à une dégringolade des prix de ses exportations. 

Les exportations de froment richement subsidiées en provenance des Etats-Unis et de la CEE sont la cause de la chute des prix du froment sur le marché mondial. 

Les pays impérialistes et leurs organismes multilatéraux comme la Banque mondiale ont découragé les pays du tiers monde à produire des récoltes destinées à leur propre consommation alimentaire et les ont poussés à se tourner vers des récoltes destinées à la vente. 

Il s’en est suivi une faillite complète des économies de plusieurs pays du tiers monde en raison de la chute sévère des prix des récoltes destinées à la vente. 

En 1986, le prix du thé – l’une des principales exportations du Kenya – a été réduit de moitié par rapport à l’année précédente. 

En 1985, en Tanzanie, les gains des exportations sur les produits comme le coton se situaient 40% plus bas que ceux de 1980. En 1986, la situation empira encore. 

Pour reprendre les mots du président de l’époque, Julius Nyereree : 

« Les paysans de nos grandes régions cotonnières ont plus que doublé leur récolte de coton par rapport à celle de l’an dernier. 

Nous sommes désespérément à court d’échanges avec l’étranger qui nous permettraient de faire venir des importations essentielles, et le coton est l’une de nos principales exportations ; c’est pourquoi nous avons été enchantés par cette grosse augmentation de la production. Mais, en juillet de cette année, le prix du coton sur le marché mondial a chuté, passant de 68 cents la livre à 34 cents la livre en une seule journée. 

Le résultat pour notre économie – et pour les revenus des paysans – est semblable à celui d’une catastrophe naturelle : une moitié de notre récolte et, partant, une moitié de nos revenus, est perdue. Nos paysans – et notre nation – ont produit l’effort, mais le pays ne gagne pas un seul cent de plus dans ses échanges avec l’étranger. 

C’est du vol ! » 

Suite à sa dépendance vis-à-vis du marché mondial pour sa survie, la Tanzanie, elle aussi, est devenue gravement endettée et est désormais forcée de sacrifier 60 pour-cent de tous ses gains à l’exportation pour rembourser sa dette. 

Après que le Maroc eut obtenu son ‘indépendance’ vis-à-vis de la France, en 1956, la Banque mondiale lui conseilla de cultiver des variétés pour l’exportation, comme les citrons et les légumes frais. 

A cette fin, elle finança plusieurs barrages et avança des prêts. Résultat : le Maroc, jadis l’un des greniers de l’Afrique et fournisseur majeur de la France, importe aujourd’hui plus de 3 millions de tonnes de froment chaque année alors que ses oranges et ses tomates pourrissent dans ses champs en raison du manque de demande sur les marchés mondiaux. 

En outre, le pays a aujourd’hui une colossale dette extérieure de 16 milliards de dollars et il est forcé de verser 47% de son budget annuel rien que pour le remboursement de sa dette. 

Au cours du premier semestre de 1985, sur les conseils du FMI, la Thaïlande a accru ses exportations de caoutchouc de 31% par rapport à la même période de 1984. 

Mais ses revenus ont baissé de 8% en raison de la chute des prix du caoutchouc. 

Entre 1984 et 1985, les sociétés qui transforment les matières premières du tiers monde ont bénéficié d’une baisse de 10% dans le coût des matières premières agricoles et d’une baisse de 15% dans les prix des métaux, c’est-à-dire qu’en l’espace d’une seule année, il y a eu une ponction de 65 milliards de dollars dans le tiers monde en raison de la chute des prix des exportations de marchandises de base. 

Voilà le pillage massif auquel se livrent les impérialistes dans la phase néocoloniale. 

Dans la plupart des pays du tiers monde, les sources d’information elles aussi sont soit influencées soit contrôlées par les impérialistes. 

Via leur réseau mondial, les médias occidentaux, presse, radio, TV, éducation etc., tentent de mouler les opinions et idées des gens en faveur du modèle occidental du capitalisme et contre le socialisme, l’indépendance et la démocratie. 

En résumé, le néocolonialisme poursuit la même vieille ligne de soumission politique et d’exploitation économique des gens du tiers monde. 

Il continue à extraire du tiers monde de superprofits monopolistes, de trente-six façons différentes. 

Les années 1950 et 1960 (et même durant la période courant jusqu’au milieu des années 1970) ont permis d’assister à des insurrections massives contre le pillage et la domination coloniale et néocoloniale du tiers monde, insurrections qui ont même abouti à quelques succès significatifs dus à la force organisée des luttes populaires de libération, à la force et au soutien des pays socialistes (en dépit de la dégénérescence d’une partie du camp socialiste après l’accession au pouvoir de Khrouchtchev) et à la solidarité témoignée par la classe ouvrière et les peuples des pays impérialistes. 

Mais, à partir du milieu des années 1970, l’impérialisme répondait par une offensive de grande envergure. L’inextricable crise dans laquelle l’impérialisme s’était retrouvé lui-même depuis le début des années 1970 et la collusion et les querelles croissantes entre les diverses puissances impérialistes en vue d’une part plus importante du marché mondial allaient déboucher sur une intensification de l’offensive contre le tiers monde. 

L’une des caractéristiques importantes du néocolonialisme est qu’en plus de fournir de nouvelles opportunités d’exploitation à chaque puissance impérialiste, il rend également possible leur ‘exploitation conjointe’ du tiers monde, c’est-à-dire un colonialisme collectif tel qu’il s’exprime par le biais d’institutions collectives comme la Banque mondiale, le FMI, le GATT et d’autres. Ces tentatives de colonialisme collectif ne vérifient pas la thèse kautskiste de l’ultra-impérialisme, mais indiquent la faiblesse de l’impérialisme dans son ensemble. 

Sans aucun doute, la crise générale croissante et la chute des taux de profit donneront-elles lieu, avec le temps, à des rivalités plus féroces et à des confrontations violentes entre les diverses puissances impérialistes et leurs sociétés transnationales. 

Commençant par l’Amérique latine, l’offensive néocolonialiste se répandit dans le reste du tiers monde au cours des années 1980 et 1990. Dans cette offensive vigoureuse, lancée avec une brutalité et une férocité extrêmes, les acquis, de quelque importance qu’ils eussent été, des peuples du tiers monde furent réduits à néant. Par conséquent, il ne nous faut entretenir aucune illusion : le néocolonialisme n’est pas seulement un impérialisme en retraite, bien qu’il soit dans sa phase finale de déclin. 

En fait, l’impérialisme a trouvé une nouvelle base pour poursuivre ses activités prédatrices dans le tiers monde. 

2. L’impact du néocolonialisme sur les rapports féodaux et semi-féodaux en agriculture et sur le développement du capitalisme dans les pays arriérés 

Quel est l’impact du néocolonialisme sur les rapports féodaux et semi-féodaux en agriculture et sur le développement du capitalisme dans les pays arriérés ? 

On a avancé plusieurs théories, depuis la Seconde Guerre mondiale, à propos du rôle du néocolonialisme dans les pays du tiers monde. Alors que certains affirment que l’impérialisme, via ses lignes politiques néocolonialistes, a amené un changement qualitatif profond dans les rapports de production précapitalistes – et ce, par le biais d’un développement rapide des forces productives dans le tiers monde, en vue de créer un marché pour ses produits et des débouchés pour ses surplus de capitaux accumulés et d’exploiter la main-d’oeuvre bon marché, les terres et les ressources des pays du tiers monde – d’autres, toutefois, se refusent à voir le moindre changement qui soit dans les anciens rapports de production précapitaliste. 

La vérité, cependant, réside quelque part entre ces deux extrêmes. Avant de comprendre les changements engendrés par les formes néolibérales d’exploitation après la fin de la domination coloniale, dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, il convient d’abord d’examiner les changements qui se sont produits durant la période coloniale. 

2.1. L’impact de la domination coloniale directe sur les structures et classes précapitalistes 

L’ancien système de domination coloniale consistait, en essence, en une alliance entre l’impérialisme extérieur et les forces précapitalistes locales – les seigneurs féodaux, les princes, les rajahs, les cheikhs, les chefs tribaux etc. – bien que dans certaines colonies développées comme l’Inde, des sections de la classe capitaliste locale coopérèrent aussi et se commirent avec l’impérialisme. 

Ceci était dû au fait que les rapports de production dans les colonies et les semi-colonies étaient à prédominance précapitaliste et, par conséquent, la bourgeoisie nationale était soit absente (comme dans la majeure partie de l’Afrique), soit très faible. 

Sous le colonialisme, un certain développement eut lieu, mais c’était un développement complètement déformé qui se traduisait par une économie totalement déséquilibrée et par un appauvrissement de la vaste majorité du peuple. 

L’impérialisme transforma les pays coloniaux en bases de production de matières premières ou de produits de base – des minerais et de la production agricole destinés à l’exportation. 

Souvent, toute l’économie d’un pays reposait sur la production et l’exportation d’une ou deux marchandises – le Ghana sur le cacao, la Gambie sur les arachides, Zanzibar sur les clous de girofle, le Tanganyika sur le sisal et le café, la Malaisie et l’Indonésie sur le caoutchouc et l’étain, Ceylan sur le thé et le caoutchouc, la Jamaïque sur le sucre et les bananes, etc. 

Toutes les mines et plantations étaient aux mains des gros monopoles des impérialistes qui employaient la main-d’oeuvre locale à des salaires extrêmement bas ou amenaient de la main-d’oeuvre bon marché de l’extérieur (comme les ouvriers agricoles chinois dans certaines parties de l’Asie du Sud-Est). 

Les monopoles commerciaux étrangers achetaient également les produits des producteurs paysans locaux à des prix très bas. 

Les rapports marchands furent développés en convertissant la terre en une marchandise, en collectant des taxes en espèces, en payant les salaires en cash dans les plantations et les mines européennes, en achetant chez les producteurs paysans locaux des matières premières telles le coton, le jute, les arachides, le sucre, etc. pour les firmes monopolistes et en vendant les marchandises impérialistes aux habitants des colonies. 

Les intérêts de l’ancien système colonialiste consistaient donc à empêcher l’industrialisation des colonies et à les préserver en tant qu’hinterlands pour la fourniture de matières premières à bon marché – des produits agricoles et miniers – aux industries des pays impérialistes. 

Le Sixième Congrès de la Troisième Internationale, dans sa Thèse sur le mouvement révolutionnaire dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, expliquait ce développement capitaliste déformé dans les termes suivants : 

« Dans la mesure où, toutefois, l’exploitation coloniale présuppose un certain encouragement du développement de la production dans les colonies, ce développement, grâce au monopole impérialiste, est dirigé selon les seules lignes de conduite et selon le seul degré qui correspondent aux intérêts de la métropole (les Etats impérialistes) et, en particulier, aux intérêts de la préservation de son monopole colonial. 

Ceci peut amener une partie de la paysannerie, par exemple, à passer de la culture céréalière à la production de coton, de sucre ou de caoutchouc (cultures destinées à l’exportation), mais ceci se fait de telle façon et selon de tels moyens que cela ne coïncide non seulement pas du tout avec les intérêts du développement économique indépendant du pays colonial, mais, au contraire, renforce toujours plus solidement la dépendance de ce dernier à l’égard de la métropole impérialiste. 

Dans le but d’élargir la base des matières premières au profit de l’impérialisme mondial, on a lancé de nouvelles cultures agricoles destinées à remplacer celles détruites par la ligne de conduite coloniale. 

Avec les mêmes objectifs à l’esprit, on construit de nouveaux systèmes d’irrigation en remplacement des anciens que l’on a détruits et, dans les mains des impérialistes, ils deviennent une arme permettant d’accroître l’exploitation de la paysannerie. 

Dans l’intention d’agrandir le marché interne, on y va de tentatives en vue d’adapter au mode capitaliste de production les relations agricoles qui ont été partiellement créées par la ligne de conduite coloniale elle-même. 

Des plantations de différentes sortes servent les intérêts du capital financier métropolitain (impérialiste). 

L’exploitation des richesses minérales des colonies s’effectue en fonction des besoins de l’industrie du pays impérialiste, et tout spécialement de ses besoins de mettre fin à sa dépendance vis-à-vis des sources de matières premières d’autres pays dans lesquels le monopole de cet impérialisme en particulier n’étend pas ses tentacules. 

Voilà les principales sphères de la production coloniale. En tout cas, les entreprises capitalistes créées par les impérialistes dans les colonies (à l’exception de quelques entreprises installées à des fins militaires) sont majoritairement, voire exclusivement, de caractère capitaliste agraire et elles se distinguent par une faible composition organique de leur capital. 

La véritable industrialisation du pays colonial, en particulier la construction d’une industrie mécanique florissante qui pourrait permettre le développement indépendant des forces productives du pays, n’est pas accélérée mais, au contraire, elle est freinée au maximum par les impérialistes. 

Telle est l’essence de sa fonction d’asservissement colonial : le pays colonial est forcé de sacrifier les intérêts de son développement indépendant et de jouer un rôle d’annexe économique (avec ses matières premières agricoles) du capitalisme étranger, ce qui, aux dépens des classes laborieuses du pays colonial, renforce la puissance économique et politique de la bourgeoisie impérialiste afin de perpétuer le monopole de cette dernière dans les colonies et d’accroître son expansion par rapport au reste du monde. » 

Pour comprendre plus clairement ce développement déformé des économies dans les colonies, illustrons-le au moyen du cas d’un seul pays, le Ghana.  

A l’époque de la conquête de son indépendance, en 1957, le pays exportait de la bauxite et importait des pots et des casseroles d’aluminium. Exportant de l’huile de palme, il importait du savon. Exportant du bois, il importait des meubles et du papier. 

Exportant des peaux, il importait bottes et chaussures. Le plus grand producteur mondial de cacao exportait du cacao brut et devait importer le moindre bâton de chocolat ou boîte de cacao dont il avait besoin. Il dépensait même des centaines de millions de livres par an pour importer les sacs de jute servant à emballer ses fèves de cacao brut pour l’exportation. 

Plus incroyable encore, si c’est possible : une firme britannique possédant des plantations de citrons au Ghana pressait le jus des fruits, acheminait le jus en vrac par bateau en direction de la Grande-Bretagne où on le mettait en bouteille ; le produit final était réexporté au Ghana où il était détaillé à haut prix dans les boutiques locales. 

Mais, afin de mener ce pillage à bien, les puissances coloniales devait inévitablement construire des routes et des lignes de chemin de fer, installer des ports et développer certaines infrastructures qui, inévitablement, menaient au développement de certains rapports capitalistes. 

L’exportation de capitaux, à partir de la dernière décennie du 19e siècle, a accéléré ce développement. Le camarade Lénine faisait remarquer que « l’exportation de capitaux influence et accélère grandement le développement du capitalisme dans ces pays vers lesquels ils sont exportés ». 

Mais, comme on l’a déjà dit plus tôt, ce développement capitaliste a été déformé et adapté uniquement aux besoins en matières premières des monopoles impérialistes. Les rares industries établies là-bas étaient contrôlées par les impérialistes ; les industries minières et d’extraction du pétrole, ainsi que les plantations étaient entièrement aux mains du capital impérialiste. 

Comme ce développement partial dans les colonies n’était pas destiné à satisfaire le marché interne mais à servir les métropoles impérialistes, il ne pouvait se développer au-delà de certaines limites. 

Et, pour la même raison, les rapports précapitalistes demeurèrent prédominants dans les colonies alors que les rapports capitalistes leur étaient juxtaposés artificiellement de l’extérieur, au contraire du développement du capitalisme dans la matrice des formations sociales précapitalistes existant en Europe et en Amérique où le marché interne assurait une base solide à la pleine maturation du capitalisme. 

Le capitalisme qui émergeait dans les pays occidentaux avait son propre dynamisme interne qui lui permit de prendre une expansion sans limite et de transformer les structures féodales, semi-féodales et autres structures précapitalistes qui se présentaient au travers de sa route, détruisant même par la force ces rapports précapitalistes de production. 

Tout acte de destruction de ce qui existait auparavant fut, en même temps, un acte de création de nouveaux rapports capitalistes. 

Le développement rapide des forces productives dans les pays capitalistes reposait sur les propres marchés internes, en dépit de l’exploitation et du pillage sans retenue des colonies et semi-colonies et du commerce barbare des esclaves qui fournit l’élan initial en fournissant une accumulation primitive de capitaux. 

Même au Japon où, du fait de la révolution démocratique inachevée, les rapports semi-féodaux se maintinrent dans l’agriculture jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme put se développer à un rythme rapide puisqu’il reposait entièrement sur le capital indigène, lequel avait un développement indépendant. 

En dépit de son extrême arriération jusqu’au dernier quart du 19e siècle et d’une grave pénurie de matières premières, le principal avantage du Japon était qu’il ne fut jamais une colonie ni même une semi-colonie. 

Comme le marché interne était très limité, avant la Seconde Guerre mondiale, en raison des rapports semi-féodaux qui agissaient comme une entrave, le capital japonais, aidé par une machine étatique hautement militarisée, s’empara des marchés et sources extérieurs de matières premières. 

Mais, par un contraste impressionnant, dans les colonies et les semi-colonies, l’ancien mode de production ne fut que partiellement détruit sans que l’on créât quelque chose de neuf pour le remplacer; des ‘enclaves’ capitalistes se développèrent côte à côte avec des structures et rapports précapitalistes. 

Les artisans ruinés ne purent être absorbés dans la sphère de production puisqu’il n’y avait que peu de nouvelles industries et, de ce fait, ils durent se tourner vers les campagnes, aggravant ainsi la crise agraire. 

Ce fut une véritable régression économique qui se répercuta par une autre dépression du marché interne dans les colonies et semi-colonies. 

En raison de l’extrême faiblesse des marchés internes des colonies et semi-colonies, les investissements étrangers dans ces pays furent réalisés presque exclusivement en fonction des marchés impérialistes. 

Par exemple, à la veille de la Première Guerre mondiale, la proportion des investissements étrangers dans les industries et visant le marché interne tournait autour de 15% des investissements étrangers totaux dans les pays coloniaux, semi-coloniaux et dépendants. 

Les exploitations minières, les plantations, le transport, les groupements commerciaux, les banques et les compagnies d’assurances etc., furent tous installés dans l’optique des exportations. 

Le secteur capitaliste dans le processus du développement fut donc totalement étranger à l’économie locale. 

Les rapports et structures précapitalistes furent adaptés aux besoins des dirigeants coloniaux mais ne subirent pas de transformations radicales en vue de créer un véritable mode capitaliste de production. 

De même, politiquement, les dirigeants coloniaux furent confrontés au besoin pressant de créer des appuis sociaux pour la minorité de leur personnel dirigeant. 

La bourgeoisie commerçante et prêteuse de fonds, quand elle était présente, s’allia au capital étranger et se mua donc en une bourgeoisie compradore. 

Les propriétaires terriens et les chefs tribaux devinrent les appuis sociaux des dirigeants coloniaux. 

Le camarade Mao, se référant à la Thèse sur le mouvement révolutionnaire dans les pays coloniaux et semi-coloniaux du 6e Congrès du Komintern, qui avait eu lieu en 1928, et à La révolution en Chine et les tâches du Komintern du camarade Staline, expliquait ce phénomène dans le contexte de la Chine : 

« Les puissances impérialistes ont fait de la classe des seigneurs féodaux, de même que de celle des compradores les principaux appuis sociaux de leur pouvoir en Chine. 

L’impérialisme commence d’abord par s’allier avec les couches dirigeantes de la précédente structure sociale, avec les seigneurs féodaux et la bourgeoisie commerçante et prêteuse de fonds contre la majorité du peuple. Partout, l’impérialisme tente de préserver et de perpétuer toutes ces formes précapitalistes d’exploitation (tout particulièrement dans les villages) qui servent de base à l’existence de ces alliés réactionnaires. 

L’impérialisme, avec tout son pouvoir financier et militaire, est la force, en Chine, qui soutient, inspire, favorise et préserve les survivances féodales, en même temps que la totalité de leur superstructure bureaucratico-militariste. » 

Plus loin, il faisait encore remarquer : 

« Toutefois, l’apparition et le développement du capitalisme n’est qu’un des aspects du changement qui s’est produit depuis la pénétration impérialiste en Chine. 

Il y a un autre aspect concomitant et obstructif, c’est la collusion de l’impérialisme avec les forces féodales chinoises afin d’arrêter le développement d’un capitalisme chinois. » 

Mais, en même temps que les classes sociales caractéristiques des formations précapitalistes, telles les seigneurs féodaux, la paysannerie asservie ou attachée à la glèbe, les hommes de métier et artisans des villages, les prêtres, les chefs, les cheikhs et les rajahs, de nouvelles classes de travailleurs salariés et de capitalistes apparut également durant la période coloniale. 

Une couche de personnel professionnel, technique et spécialisé dans les services, occupant des postes modestes dans l’administration coloniale, les forces armées, les services postaux, les hôpitaux, les écoles et collèges etc., apparurent également en tant que forces nouvelles. 

Le camarade Mao, dans A propos de la nouvelle démocratie, expliquait ces nouveaux changements survenus en Chine dans le sillage de l’apparition d’un secteur capitaliste dans l’économie chinoise : 

« La société chinoise a progressivement changé de caractère depuis l’apparition d’une économie capitaliste en Chine ; ce n’est plus une société entièrement féodale, mais semi-féodale, quoique l’économie féodale prédomine toujours. Comparée à l’économie féodale, cette économie capitaliste représente un type nouveau. 

Les forces politiques de la bourgeoisie, de la petite bourgeoisie et du prolétariat sont les nouvelles forces politiques qui ont surgi et se sont développées simultanément avec cette nouvelle économie capitaliste. Et la nouvelle culture reflète ces nouvelles forces économiques et politiques dans le domaine de l’idéologie et les sert. 

Sans l’économie capitaliste, sans la bourgeoisie, la petite bourgeoisie et le prolétariat, et sans les forces politiques de ces classes, la nouvelle idéologie ou nouvelle culture ne serait jamais apparue. »

Bien que le capitalisme se soit développé jusqu’à un certain point dans l’agriculture – le rythme du développement lui-même étant conditionné par l’importance des exportations de cultures destinées à la vente dont ont besoin les pays impérialistes – elle a survécu comme forme secondaire avec les rapports féodaux et semi-féodaux. 

C’est ce que mettait en évidence les fameuses Thèses du Komintern : 

« Le capitalisme, qui a incorporé le village colonial dans son système de taxation et son appareil commercial et qui a bouleversé les rapports précapitalistes (par exemple, la destruction de la communauté villageoise), ne libère pas, ce faisant, les paysans du joug des formes féodales de servitude et d’exploitation, mais donne à ces dernières une expression monétaire (les services et locations féodaux alors que le paiement des taxes en nature est remplacé par des taxes en espèces, et ainsi de suite) qui accroît encore davantage la souffrance de la paysannerie. 

Au ‘secours’ des paysans dans leur misérable condition vient l’usurier qui les dépouille et qui, dans certaines conditions (par exemple, dans certaines localités de la Chine et de l’Inde), crée même un esclavage héréditaire reposant sur leur endettement (…) 

En dépit de la grande variété des rapports agraires dans divers pays coloniaux, et même dans différentes parties d’un seul et même pays, la condition des masses paysannes frappées par la pauvreté est presque partout la même (…) 

La grosse propriété terrienne, ici, n’a pas grand-chose à voir que ce soit avec l’agriculture à grande échelle, mais sert uniquement de moyen d’extorquer des loyers aux paysans. On peut fréquemment trouver une hiérarchie à niveaux multiples, consistant en seigneurs, vassaux, chaînons parasitaires intermédiaires entre le cultivateur qui travaille son champ et le grand propriétaire (le zamindar) ou l’Etat. (…) 

Des masses importantes de la paysannerie sont exclues du processus de production; elles n’ont aucune chance de trouver du travail dans les villes et n’en trouvent guère non plus dans les villages, où elles se transforment en misérables coolies (…)  

Les tentatives dérisoires d’appliquer des réformes agraires sans porter préjudice au régime colonial sont voulues pour faciliter la conversion progressive de la propriété terrienne semi-féodale en propriété terrienne capitaliste; et, dans certains cas, pour établir une couche étroite de paysans de type koulak. 

En pratique, ceci ne conduit qu’à une paupérisation toujours croissante qui, à son tour, paralyse une fois de plus le développement des marchés internes!  » 

Faisant référence aux changements qui ont eu lieu dans l’économie chinoise avec l’avènement du capital étranger, le camarade Mao écrivait : 

« Les fondements de l’économie naturelle autosuffisante de l’époque féodale ont été détruits, mais l’exploitation de la paysannerie par la classe des propriétaires terriens, qui est la base du système de l’exploitation féodale, non seulement demeure intacte mais, liée comme elle est à l’exploitation par le capital compradore et usuraire, elle domine clairement la vie sociale et économique de la Chine. » 

« Le capitalisme national s’est développé jusqu’à un certain niveau et a joué un rôle considérable dans la vie politique et culturelle de la Chine, mais il n’est pas devenu le modèle principal de l’économie chinoise ; il manque de vigueur et il est généralement associé à l’impérialisme étranger et au féodalisme domestique à des degrés divers. » 

Finalement, il ne faudrait pas oublier que les effets de la domination coloniale n’ont pas été uniformes dans toutes les colonies. Ils dépendaient du degré de développement des économies locales à l’époque de la domination coloniale et de la force des classes sociales dans les colonies. 

Les développements en Amérique latine, qui se trouvait sous domination coloniale directe depuis plus de trois siècles, mais où le pouvoir s’est transféré aux grands propriétaires et à la bourgeoisie compradore dans le premier quart du 19e siècle – longtemps avant l’avènement de l’impérialisme moderne – sont absolument différents de ceux de l’Afrique subsaharienne qui n’a jamais eu ni gros propriétaires ni aucune bourgeoisie compradore ou nationale à la fin de la domination coloniale directe. 

Le capitalisme agraire du type latifundia s’appuyant sur des structures semi-féodales et les limitations imposées par une économie d’exportation empêchent son plein développement. 

En Inde, en Egypte etc., une bourgeoisie puissante existait à l’époque de la conquête coloniale même et, de là, elle se transforma rapidement en une bourgeoisie compradore. 

En Asie, sous la domination coloniale, le capitalisme ne pouvait se développer à un niveau important, bien que les rapports et structures féodaux se fussent progressivement transformés en rapports et structures semi-féodaux. Les plantations capitalistes modernes aux mains d’Unilever, de United Fruit, de Firestone etc., coexistaient avec l’agriculture de subsistance. 

Même dans le secteur capitaliste de l’agriculture, on recourait également à des formes féodales de servitude et d’exploitation afin d’extraire de la valeur excédentaire supérieure. 

L’Afrique, qui fut la dernière à être colonisée vers la fin du 19e siècle, en était toujours à un stade primitif de développement à l’époque de la conquête coloniale. 

En Afrique du Nord, l’installation de Blancs pauvres restreignit la formation de classes sociales similaires à celles de l’Asie. 

Tout le personnel administratif était recruté parmi les colonialistes étrangers, au contraire des autres colonies d’Asie et du Moyen-Orient. Dans ces derniers pays, le capitalisme commença d’abord à se développer dans les villes et la grande bourgeoisie urbaine, qui avait des liens étroits avec la classe des gros propriétaires terriens, était bien développée alors que la bourgeoisie rurale ou la classe des koulaks, était très faible. 

En Afrique, il n’y a pratiquement pas de développement urbain ni de bourgeoisie urbaine. La bourgeoisie rurale, par ailleurs, s’est progressivement développée au cours de la période coloniale en raison du passage de l’agriculture primitive à une économie reposant sur des plantations, laquelle économie visait l’exportation vers les pays impérialistes. 

C’est cette bourgeoisie rurale qui a lentement commencé à se muer en une bourgeoisie urbaine. 

Ces différents types de développement sous la domination coloniale ont une incidence directe sur la situation et le statut dans la phase néocoloniale de l’impérialisme après la Seconde Guerre mondiale. 

2.2. La relation entre néocolonialisme et classes sociales ainsi que les rapports de production dans le tiers-monde 

Les changements momentanés qui se sont produits après la Seconde Guerre mondiale (les plus importants étant l’apparition d’un camp socialiste puissant et l’affirmation croissante des nouvelles forces politiques et sociales qui étaient apparues dans les colonies en raison du processus de développement capitaliste, aussi limité et déformé qu’il ait pu être) avaient forcé l’impérialisme non seulement à passer aux méthodes de la domination indirecte (c’est-à-dire au néocolonialisme), mais également à trouver une nouvelle base sociale à la poursuite de son pillage et de son exploitation. 

Le ‘spectre du communisme’ hantait partout les impérialistes et leurs larbins et les anciennes couches précapitalistes – seigneurs féodaux, princes, rajahs, cheikhs et chefs qui agissaient en tant que principaux piliers de l’ancien type de colonialisme – avaient perdu tout crédit dans plusieurs pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine et les habitants ne leur faisaient plus confiance. 

Dans la plupart des colonies et des semi-colonies, les mouvements de libération nationale étaient dirigés non seulement contre l’impérialisme mais également contre les classes précapitalistes protégées et appuyées par les troupes impérialistes. 

Alors que les anciens dirigeants traditionnels ne demandaient pas mieux que de maintenir le même système économique et social que celui qui avait existé durant des décennies, les nouvelles forces sociales révélées par les mouvements nationaux représentaient des classes qui étaient intéressées par la création d’Etats modernes, de nouvelles industries, d’universités et d’institutions parlementaires. 

Les puissances coloniales comprirent qu’elles ne pouvaient contrôler les Etats nouvellement constitués qu’au travers de ces nouvelles forces sociales qui avaient acquis des positions de pouvoir dans certains pays – la bourgeoisie naissante, la petite bourgeoisie, l’intelligentsia, les élites bureaucratiques et techniques, les dirigeants militaires, etc. 

Partout où ce fut possible, l’impérialisme poursuivit ses relations avec les forces précapitalistes – avec les seigneurs féodaux et les chefs tribaux. 

Dans des pays comme le Nigeria, le Ghana, le Niger, la Malaisie, les Philippines, l’Indonésie, le Soudan et l’Inde, les nouveaux gouvernements furent constitués en tant que coalitions des forces précapitalistes et de la bourgeoisie en collusion avec l’impérialisme. 

Alors que dans des pays comme l’Inde, où une classe bourgeoise compradore s’était entièrement développée, le pouvoir fut directement transféré vers une alliance des forces féodales et de la grande bourgeoisie compradore, dans la plupart des pays de l’Afrique, où l’économie primitive et la domination des colons blancs entravaient l’émergence d’une classe capitaliste, les impérialistes commencèrent délibérément à entretenir une nouvelle classe moyenne servant les intérêts de l’impérialisme. Cette volonté de créer une nouvelle classe moyenne dans les pays africains, les institutions impérialistes la proclamèrent à l’occasion de plusieurs forums et rencontres. 

La bourgeoisie rurale africaine, n’ayant ni les moyens financiers ni les capacités techniques, trop disséminée, trop amorphe, est incapable de créer d’elle-même une industrie moderne. 

La seule option laissée à la génération plus jeune de la bourgeoisie rurale africaine est le service de l’Etat. 

La nouvelle bureaucratie est donc devenue une élite privilégiée et la principale force motrice au sein de la société africaine. 

Les fonctionnaires investissent l’argent de leurs proches et semblables des campagnes dans des secteurs tels la construction de routes, les taxis, les services, la construction de bâtiments et autres programmes de travaux publics qui ne requièrent pas des capitaux excessifs. Dans la majeure partie de l’Afrique, c’est à cette bureaucratie d’Etat et à la bourgeoisie rurale que l’impérialisme a commencé à s’allier, principalement au cours de la phase néocoloniale, plutôt qu’aux dirigeants traditionnels. 

Progressivement, cette bourgeoisie administrative s’est transformée en une bourgeoisie d’Etat soumise aux intérêts de l’impérialisme. 

Un objectif essentiel du néocolonialisme est d’empêcher, dans les pays du tiers monde, une transformation révolutionnaire qui aurait signifié un combat acharné mené contre l’impérialisme et le féodalisme par l’alliance entre la classe ouvrière et les paysans. 

Ainsi donc, dans certains pays d’Asie et d’Afrique, incapables de préserver les sociétés féodales ou semi-féodales comme piliers de leur influence, les impérialistes eux-mêmes ont initié des réformes agraires, comme à Taiwan, en Corée du Sud et au Sud-Vietnam, ils ont créé une nouvelle classe de koulaks composée de fermiers capitalistes ainsi qu’une classe capitaliste soumise à l’impérialisme. 

Certains des anciens propriétaires terriens et seigneurs, eux aussi, devinrent des fermiers capitalistes de gros calibre, comme en Egypte, à Taiwan ou dans certaines parties de l’Inde. 

Alors que la motivation politique d’amener certains changements dans les rapports capitalistes de production dans les pays du tiers monde provient de la concurrence à l’échelle mondiale entre le capitalisme et le socialisme et de la crainte d’un glissement possible de ces Etats vers le socialisme, la motivation économique, elle, est d’accroître les exportations de capitaux et le commerce des pays impérialistes. 

Une autre contrainte consiste à fournir une part du butin impérialiste aux nouvelles classes dirigeantes de ces pays et de combler, du moins partiellement, les attentes naissantes des gens, ce qui ne pourrait se faire en se basant uniquement sur l’ancien mode de production. Par conséquent, on a encouragé une certaine expansion des marchés du tiers monde en même temps qu’un certain développement technologique, dans des limites restreintes, toutefois. 

Ceci n’implique pas que les intérêts de classe de la bourgeoisie, qui a fini par acquérir une position dirigeante dans l’alliance de pouvoir dans les pays du tiers monde, soient opposés à ceux des forces sociales féodales et précapitalistes. 

En fait, partout il s’agit d’une alliance de seigneurs féodaux soucieux de maintenir ou de regagner leurs anciennes positions privilégiées au sein de la société, alliance des marchands et des spéculateurs qui craignent l’avènement du socialisme et qui veulent se maintenir comme intermédiaires des grands monopoles internationaux ; alliance de sections de la nouvelle élite qui s’engraissent de la corruption et des malversations du pouvoir officiel. 

Et tous les parasites du capitalisme, les nouveaux riches, les politiciens, les diplomates, les chefs de la police et de l’armée, tous ceux qui ne sont que trop heureux d’accepter les dividendes que leur refilait l’ancien pouvoir colonial alors que la majorité du peuple vit dans des conditions effroyables. 

L’un des objectifs essentiels du néocolonialisme est d’alimenter et de constituer de telles classes parasitaires. 

C’est par le biais de ces forces que l’impérialisme contrôle toujours les affaires des pays du tiers monde. 

Par exemple, nous avons au Zaïre, aujourd’hui, une minorité ténue de 2.700 familles immensément riches à côté de 27 millions d’autres qui connaissent la pauvreté absolue et vivent dans des conditions de quasi-famine. 

Mobutu, tyran et marionnette de l’impérialisme, a volé 5 milliards de dollars des richesses du pays (soit un montant égal à la dette extérieure du Zaïre), il a construit des dizaines de villas en Europe, possède de nombreux bateaux, des avions à réaction et un empire sous forme de plantations qui produit un sixième des exportations agricoles du pays, sans parler de ses participations et de ses autres propriétés. 

Au Brésil, en 1978, d’après l’Institut brésilien d’Analyse sociale et économique, le revenu moyen de la classe la plus fortunée était de 225 fois supérieur à celui des classes les plus pauvres. 

Deux tiers des Brésiliens – 86 millions de personnes – souffrent de malnutrition, d’après des estimations de 1985. 

Alors que les 10% des personnes les plus riches du Brésil accaparaient la moitié du total des revenus ménagers, les 20% les plus pauvres touchaient un dérisoire 2% (selon les seuls chiffres disponibles, qui concernent 1972). 

En République dominicaine, 0,07% des propriétaires terriens monopolisent 45% de la terre arable et plus de la moitié de la population vit dans une extrême pauvreté. 

Aux Philippines, au moins 15% de la dette extérieure du pays qui s’élève à 26 milliards de dollars, se sont retrouvés dans les poches du dictateur Marcos lorsqu’il s’est enfui du pays en 1986. 

D’après une estimation du président de la Banque interaméricaine de Développement, les fuites de capitaux pour le seul Mexique, entre 1979 et 1983, s’élevaient à 90 milliards de dollars. 

Pour toute l’Amérique latine, quelque 130 milliards de dollars ont été expédiés à l’étranger par les familles fortunées appartenant à la classe dirigeante. 

Dans chaque pays du tiers monde, l’impérialisme a donc transmis le pouvoir soit à la grande bourgeoisie compradore (qui elle-même était alliée avec la classe des grands propriétaires terriens), là où elle était assez forte pour assumer le pouvoir ou a favorisé un certain développement du capitalisme afin de créer une nouvelle classe compradore, subordonnée à l’impérialisme. 

Comme l’expliquait Amilcar Cabral, dirigeant du peuple de la Guinée ‘portugaise’, l’un des objectifs essentiels du néocolonialisme «est de créer une fausse bourgeoisie afin de freiner la révolution et d’élargir les possibilités de la petite bourgeoisie de neutraliser la révolution ». 

Il est important pour nous de reconnaître que les possibilités de développement du capital national sont sévèrement restreintes dans les pays dominés par le capital étranger, comme en Amérique latine ou dans certains pays d’Asie et du Moyen-Orient comme l’Inde et l’Egypte. 

En Afrique, les conditions sont bien pires encore, puisqu’un niveau minimal d’accumulation primitive n’a pas été atteint et que, partant, il n’y avait pas de capital national à la fin de la domination coloniale directe. 

L’Afrique, en fait, a été intégrée dans le marché mondial à un stade primitif de développement social où même l’emploi de l’argent était marginal. 

Historiquement, le capital qui a été investi est sorti de l’exploitation des secteurs non capitalistes, c’est-à-dire via l’accumulation primitive de capital. 

Plus tard, les profits en provenance des capitaux investis ont été conservés afin d’être réinvestis, de manière à étendre la capacité de production – c’est un processus que l’on appelle la reproduction accrue. 

Sans accumulation primitive de capital et reproduction accrue, le développement capitaliste ne peut avoir lieu. 

Dans la plupart des pays du tiers monde, les niveaux d’accumulation primitive de capital par les classes dirigeantes locales sont très bas en raison du pillage auquel se livrent les impérialistes, c’est-à-dire en raison du transfert continu des surplus en direction des pays impérialistes. 

L’ampleur de la reproduction accrue par les capitalistes indigènes est limitée, elle aussi, en raison d’un faible marché intérieur et de l’extrême dépendance vis-à-vis du marché extérieur. 

Sous les conditions de l’impérialisme, la bourgeoisie locale ne peut se développer que dans les proportions permises par la ligne envisagée par le capital dominant. 

Ce qui fait que, sous le néocolonialisme, l’ampleur de l’accumulation primitive et de la reproduction accrue par le capital local est très limitée dans la plupart des pays du tiers monde, puisque les fonctions économiques importantes sont toujours contrôlées par le capital étranger. 

Par conséquent, l’Etat a joué un rôle très important dans la totalité du tiers monde en promouvant l’accumulation primitive du capital et en aidant le développement de la bourgeoisie privée. Dans quelques pays, en utilisant le soutien apporté par les pays socialistes ou en utilisant les contradictions régnant entre les diverses puissances impérialistes, le capitalisme d’Etat s’est développé plus rapidement et, à des degrés divers, a même nationalisé des capitaux étrangers, comme ce fut le cas en Egypte, au Congo, en Zambie et en Tunisie. 

En Inde, le secteur capitaliste d’Etat s’est développé de façon phénoménale dans les quatre décennies qui ont suivi la passation de pouvoir et ce, avec l’aide de l’impérialisme et du social-impérialisme, sans recourir à la nationalisation des capitaux étrangers. 

Dans l’ensemble, le secteur de l’Etat, dans le tiers-monde, revêt un caractère compradore. Il a créé un marché intérieur élargi et a amené certains changements dans les rapports de production féodaux et autres rapports précapitalistes concernant l’agriculture.   

A travers le monde, l’impérialisme a transformé et façonné le féodalisme et les autres rapports de production précapitalistes de façon adaptée à ses besoins sans cesse changeants. 

Alors qu’en phase néocoloniale, dans certains pays d’Afrique et d’Amérique latine et dans certaines régions des pays d’Asie, le capitalisme agraire, qui repose sur une économie de plantation moderne et qui est orienté vers l’exportation d’une ou de deux cultures destinées à la vente, s’est développé à un niveau significatif, nous constatons qu’il s’agit d’une croissance atrophiée puisque son développement même est tributaire non pas des besoins du marché local, mais des demandes et des exigences du marché impérialiste mondial. 

Chaque fois qu’il y a un effondrement dans les prix des cultures destinées à la vente sur le marché mondial, nous constatons qu’il y a une sévère crise agricole dans ces pays ainsi qu’une paupérisation accrue de la grande majorité de leur paysannerie. 

Nous découvrons également le phénomène étrange – pour des pays correctement définis comme agricoles vu le caractère de leur économie – qui consiste à devoir s’appuyer sur des importations de nourriture pour leur consommation quotidienne. 

Ainsi, par exemple, le Maroc a été un exportateur de céréales dans les années 1950 alors qu’aujourd’hui, il ne couvre plus qu’un cinquième de ses propres besoins. 

Les importations de nourriture ont augmenté de 17% par an en moyenne entre 1970 et 1983 – soit de 220%. 

A partir du milieu des années 1960, lorsque l’impérialisme américain commença à affronter une sévère crise de surproduction dans ses machines agricoles et son arsenal destiné aux cultures, il se mit à promouvoir la stratégie de la ‘révolution verte’ par le biais de la Banque mondiale. 

L »offre d’aide’ de l’impérialisme américain et, plus tard, des autres puissances impérialistes au tiers monde comprenait des fertilisants, des graines et semences à haut rendement, des herbicides, des pesticides, des tracteurs, des moissonneuses-batteuses et autres équipements agricoles. 

Au cours des années 1970 et 1980, le tiers monde connut un énorme accroissement de l’utilisation de tout ce matériel et équipement agricole. Par conséquent, afin de résoudre sa propre crise économique, l’impérialisme accéléra le rythme du développement capitaliste de l’agriculture dans le tiers monde au cours du dernier quart du 20e siècle. 

Cela déboucha sur l’apparition d’une nouvelle classe de koulaks, c’est-à-dire une classe de fermiers capitalistes. Mais, dans plusieurs pays, les structures semi-féodales n’en demeurèrent pas moins un obstacle à la transformation complète vers l’agriculture capitaliste. 

Tous ces changements qui se sont produits sous le néocolonialisme n’indiquent donc qu’une rupture partielle avec les formes précapitalistes d’économie. 

Une rupture complète avec les formes féodales et autres formes précapitalistes est impossible dans le système impérialiste mondial actuel sans une véritable révolution prolétarienne. 

En résumé, nous pouvons dire que, dans la phase néocoloniale, il y a eu un développement plus rapide du capitalisme à la fois dans l’agriculture et dans l’industrie des pays du tiers monde sans toutefois que ces économies mêmes deviennent capitalistes. 

Les structures semi-féodales et la domination des pays du tiers monde par le capital étranger, la technologie étrangère, les marchandises étrangères (et même, aujourd’hui, les services) opèrent comme des entraves au plein développement du capitalisme dans ces pays et les réduisent au statut de pays semi-féodaux, semi-coloniaux ou néocolonies. 

Ce n’est qu’en brisant ces entraves qu’un véritable développement industriel et agricole pourra avoir lieu dans ces pays. Ce n’est qu’en s’échappant de cette économie capitaliste mondiale qu’un pays du tiers monde pourra devenir un ensemble cohérent et développer une économie autosuffisante en se créant un vaste marché interne. 

2.3. Les tendances contemporaines dans l’économie capitaliste mondiale : la globalisation et son impact sur le tiers monde 

En tant que telle, la globalisation du capitalisme n’est pas un phénomène nouveau mais ce qui est nouveau dans la phase néocoloniale de l’impérialisme, c’est que la globalisation progresse à un rythme sans précédent et qu’elle revêt même de nouvelles formes afin d’assurer la survivance de l’impérialisme. 

Le capital a une tendance inhérente à l’expansion continue et à intégrer les divers types d’économie dans un seul marché mondial. Un marché mondial a déjà fait son apparition au cours de la seconde moitié du 19e siècle et Marx en personne a déjà insisté sur ce fait. 

Depuis lors, le capitalisme a essayé d’intégrer les activités économiques éparpillées à travers le monde et d’amener les diverses formes d’économie au sein d’un seul marché mondial unifié. 

Dans cette première phase, qui s’étend des années 1860 jusqu’au début du 20e siècle, la globalisation du capitalisme a revêtu la forme d’un commerce international de biens manufacturés. A ceci vint s’ajouter l’exportation de capital financier et ce, à partir de la fin du 19e siècle. 

Lénine, qui vivait à une époque où l’exportation de capital financier était devenue une caractéristique de premier plan de l’économie mondiale, fit remarquer que ceci allait conduire à « l’expansion et l’intensification du capitalisme à travers le monde ». 

Le camarade Staline en parlait également en 1925 :  

« En raison de l’accroissement des exportations de capitaux des pays avancés vers les pays arriérés, accroissement encouragé par la relative stabilisation du capitalisme, le capitalisme dans les pays coloniaux se développe et continuera à se développer à un taux rapide, démantelant les anciennes conditions sociales et politiques et en implantant de nouvelles. » 

La Seconde Guerre mondiale fut suivie d’une période de globalisation des investissements via des financements, des crédits et des aides. 

Après l’éclatement de la crise la plus longue de l’impérialisme, qui commença au début des années 1970, la globalisation de la production via les Investissements directs à l’Etranger (IDE) commença à assurer sa domination. 

Un principe fondamental bien connu dit que le seul objectif du capital est d’accumuler de plus en plus de capital. Tous les changements susmentionnés dans l’économie mondiale ne sont nécessités que par le besoin des monopoles impérialistes d’accumuler de plus en plus de capital. 

Le changement dans les rôles des économies de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine, ainsi que les changements qui se produisent au sein des économies de ces pays ne peuvent être compris que dans le contexte des changements qui se sont produits dans la totalité du processus de globalisation du capitalisme tel qu’on l’a décrit plus haut. 

Par conséquent, nous trouvons, dans cette première phase de la globalisation du capitalisme, des régions entières de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine qui sont converties en hinterlands destinés à fournir des matières premières agricoles et autres aux industries européennes. 

Au cours de cette période, le capital européen a été investi dans des plantations, des activités minières et dans les secteurs tertiaires liés au développement colonial, comme les chemins de fer, les installations portuaires, la banque, les assurances, le commerce et autres services. 

Alors que les pays impérialistes fournissaient les produits finis prêts à la consommation, les colonies, semi-colonies et pays dépendants fournissaient les matières premières, c’est-à-dire qu’ils jouaient le rôle d’entrepôts à matières premières pour les centres industriels de l’Occident. 

Au cours du quart de siècle qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la caractéristique principale des pays de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine (dont la plupart se sont ‘débarrassés’ de la domination coloniale directe) a consisté en l’établissement de groupes d’industries légères. 

Cette ligne de conduite des ‘substitutions d’importations’ (en d’autres termes, des produits finis qui ont été importés précédemment), n’a pas été, comme le prétendent les révisionnistes, une politique visant à promouvoir l’autosuffisance, mais elle a été entièrement dictée par les besoins de l’impérialisme dans sa phase néocoloniale. 

La production de biens de consommation (industries légères), comme nous le savons, requiert des biens d’équipement, c’est-à-dire des moyens de production tels qu’un outillage moderne et du savoir-faire technique. 

Les pays impérialistes ont procédé à l »industrialisation’ du tiers monde durant la Seconde Guerre mondiale et tout de suite après et ce, pour deux raisons : la première, c’est qu’il y avait un amas sans précédent de biens d’équipement dans les pays impérialistes et, la seconde, les coûts de production étaient meilleur marché et le taux de profit plus élevé dans les pays du tiers monde. 

Par conséquent, les impérialistes faisaient d’une pierre deux coups, deux bénéfices en une seule opération : ils disposaient de biens d’équipement qui, autrement, auraient été envoyés au rebut au fil du temps (la fermeture des usines produisant les biens d’équipement aurait signifié un chômage à grande échelle et une crise sociale insupportable dans les pays impérialistes) et à des coûts très élevés, et en même temps, ils s’appropriaient, pour leur propre usage domestique, les biens de consommation manufacturés à meilleur marché dans les pays du tiers monde. 

En outre, dans plusieurs pays du tiers monde (et dans l’Afrique tout entière excepté l’Afrique du Sud, pays impérialiste), l’industrie légère elle aussi avait été établie directement par les sociétés transnationales et multinationales qui rapatriaient la plupart des profits à l’étranger puisqu’il n’y avait pas la moindre pression de la part des classes compradores dirigeantes qui eussent pu obliger ces monopoles étrangers à réinvestir leurs profits dans les pays concernés. 

Par ailleurs, les biens d’équipement vendus aux capitalistes indigènes étaient d’une qualité inférieure alors que les sociétés multinationales disposaient de la technologie la plus avancée, bloquant de ce fait la possibilité d’une réelle concurrence entre les secteurs locaux et étrangers dans la fabrication de biens de consommation. 

Afin d’être compétitives, n’importe quelle petite ou moyenne entreprise du tiers monde n’aurait était que trop disposée à vouloir collaborer d’une façon ou d’une autre avec les multinationales. 

Les prêts, l »aide’ etc. des impérialistes aux pays du tiers monde étaient liés à un certain nombre de conditions nuisant aux intérêts de ces derniers. 

Cette prétendue industrialisation du tiers monde via l’installation d’industries légères constituait, par conséquent, un développement déformé et dépendant, en permanence à la merci des impérialistes pour l’amélioration des technologies. Aussi, au cours de cette période, apparut une nouvelle division internationale du travail, par laquelle les pays impérialistes allaient fournir les biens d’équipement et les pays du tiers monde les biens de consommation manufacturés issus des industries légères, dominées par les multinationales de plusieurs pays. 

Durant les années 1950, 1960 et la première moitié des années 1970, la ligne de conduite des gouvernements des pays du tiers monde fut dictée par l’impérialisme afin de faciliter le processus décrit plus haut et consistant à déplacer une partie de l’industrie de consommation des pays impérialistes vers le tiers monde. 

Selon des plans de la Banque mondiale en vue d’une efficacité maximale de cette nouvelle division internationale du travail, on développa une vaste infrastructure industrielle, consistant entre autres en la construction de routes et de nouvelles lignes ferroviaires, l’installation de ports, de centrales d’énergie et de réseaux de télécommunication etc. 

Avec la crise sévère provoquée par la quasi-stagnation du marché mondial depuis le début des années 1970, la concurrence féroce entre les diverses transnationales et multinationales et la baisse constante des taux de profit industriel dans les pays impérialistes poussa les monopoles impérialistes à chercher, dès ces mêmes années 1970, de nouvelles voies de spécialisation internationale. 

C’est ainsi qu’apparut la globalisation de la production, c’est-à-dire la division et la subdivision des processus de production en plusieurs opérations, de façon à les répartir dans divers pays afin d’augmenter le taux général de profit. 

L’extraordinaire révolution scientifique et technique de notre époque a permis de décentraliser la production dans l’espace tout en centralisant son management. 

Les pays impérialistes gardent les industries ultramodernes, caractérisées par une composition organique élevée du travail et requérant une main-d’oeuvre hautement qualifiée, comme c’est le cas pour le nucléaire, les communications par satellite et autres activités aérospatiales, ou pour la production d’ordinateurs et autres techniques de l’électronique, de la robotique etc., alors que l’on demande aux pays du tiers monde de se spécialiser dans les lignes classiques de production, y compris les traditionnelles industries lourdes comme le fer et l’acier, la chimie, la construction mécanique et autres moyens de production qui requièrent une main-d’oeuvre principalement non qualifiée et semi-qualifiée. 

Par conséquent, à l’exception des formes automatisées de production requérant une main-d’oeuvre hautement qualifiée, toutes les autres branches de l’activité industrielle, y compris la production des moyens de production des industries traditionnelles sont généralement déplacées en direction des marchés du tiers monde où la main-d’oeuvre est très bon marché. 

Inversement, la main-d’oeuvre hautement qualifiée du tiers monde est déplacée vers les pays impérialistes au cours d’un processus surnommé ‘vol de cerveaux’. 

Les pays du tiers-monde sont encouragés à installer ces véritables bagnes qu’on appelle ‘zones de traitement pour l’exportation’, ‘zones de libre échange’ ou ‘parcs industriels’ où, dans des conditions épouvantables, on exploite une main-d’oeuvre non qualifiée et semi-qualifiée à des tâches d’assemblage ou à la fabrication de produits chimiques et ce, à des seules fins d’exportation. 

Ces ‘bagnes’ qui, particulièrement depuis les années 1970, exploitent une main-d’oeuvre extrêmement bon marché (jusqu’à 40 ou 80 fois meilleur marché que les salaires pratiqués dans leurs propres pays) et très peu organisée, répondent au besoin des multinationales de relocaliser les opérations requérant un travail intensif. 

Ces transformations – issues de la substitution des importations de l’industrialisation sous planification d’Etat avec l’aide de capitaux étrangers, durant les années 1950 et 1960, vers des industries centrées sur l’exportation, depuis les années 1970 – ne peuvent se comprendre que si l’on garde à l’esprit la globalisation de la production et l’apparition d »usines aux dimensions mondiales’, en raison des niveaux élevés de concentration et de spécialisation atteints par le capital transnational durant les deux décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale – c’est-à-dire au cours des années d’expansion rapide de l’économie mondiale – et de la baisse qu’ont subie ensuite les taux de profit industriel. 

Aussi longtemps que les taux de profit sont différents dans divers pays (c’est-à-dire tant qu’on n’a pas égalisé le taux de profit à l’échelle mondiale), la tendance inhérente du capital à l’expansion mondiale va inévitablement dans le sens d’une intégration accrue du marché mondial dans un réseau unifié de production et d’échanges capitalistes. 

C’est la seule voie qui reste au capital international dans sa sempiternelle soif d’accumulation à l’échelle mondiale. 

Les lignes de conduite des diverses institutions néocoloniales telles la Banque mondiale, le FMI, le GATT etc. visent, depuis les années 70, à réaliser l’intégration susmentionnée du marché mondial. 

C’est le principal facteur qui pousse tous les pays du tiers monde à passer, les uns après les autres, de la substitution des importations au syndrome ‘exporter ou mourir’. 

Un autre facteur consiste en la faiblesse des marchés internes des pays du tiers monde, faiblesse due à la prévalence de structures semi-féodales, voire primitives, qui gardent l’écrasante majorité des masses dans des conditions d’existence incroyablement misérables. 

Ces conditions extrêmement pénibles font qu’il leur est difficile de couvrir leurs besoins alimentaires croissants ainsi que les biens de consommations de première nécessité. 

En raison de l’extrême dépendance de ces industries vis-à-vis d’un marché mondial qui n’a pas le moindre espoir d’expansion rapide, en raison également de la concurrence grandissante entre les pays du tiers monde (avec, en outre, l’entrée en compétition de pays n’appartenant pas au tiers monde tels que la Chine, les pays de l’Est et les anciennes républiques soviétiques) qui veulent chacun solder aux impérialistes leur main-d’oeuvre bon marché disponible en abondance, la condition des masses ne cessera d’empirer jusqu’à l’apparition d’une dépression encore plus grave du marché interne et, par conséquent, d’une crise encore plus grave de l’économie mondiale. 

Seule une infime fraction de la population – les élites appartenant aux classes dirigeantes et les minces strates de la classe moyenne supérieure – en tirera profit, alors que la classe moyenne et même certaines sections de la bourgeoisie nationale en sortiront appauvries, sans parler de la majorité écrasante des masses laborieuses. 

Mais la poignée de capitalistes compradores (ainsi que les élites dirigeantes des pays du tiers monde qui, en collusion avec l’impérialisme, ont accumulé d’énormes richesses en exploitant les masses laborieuses et qui, au lieu des innombrables fils qui les lient aux structures semi-féodales, trouvent plus avantageux de maintenir leur alliance avec ces forces parasitaires et de bloquer ainsi le développement d’un marché interne) ne sont que trop impatients de passer à la globalisation et de se satisfaire des parts de marché que leur concèdent les impérialistes. 

Inutile de le dire : la globalisation de la production, en réduisant les industries du tiers monde au statut de simples composantes des usines aux dimensions mondiales des multinationales, conduit en droite ligne à une crise sans précédent dans les économies du tiers monde, au fur et à mesure que la crise de l’économie mondiale s’intensifiera. 

Plus un pays sera intégré dans le marché mondial, plus grand sera le désastre au moment d’une crise mondiale sévère. 

Les pays qu’on a appelés les ‘tigres asiatiques’, comme la Corée du Sud, Taiwan, Singapour et Hong Kong, ainsi que les ‘tigres’ en devenir de l’Asie du Sud-Est, qui dépendent tous du marché mondial pour assurer leur survie, seront les plus durement touchés. 

2.4. Le néocolonialisme et le cas de l’Inde 

Les changements qui se sont produits en Inde après le transfert du pouvoir (l’indépendance) peuvent se comprendre dans le vaste contexte des changements survenus dans l’économie mondiale que nous avons soulignés plus haut. 

Comme le savent les révolutionnaires communistes dirigeant la nouvelle révolution démocratique et menant une lutte armée contre le féodalisme et l’impérialisme, la société indienne a été transformée en société semi-féodale et semi-coloniale après la fin de la domination coloniale directe de l’impérialisme britannique. 

Nous allons brièvement résumer les changements qui se sont produits durant la longue période de la domination coloniale britannique. 

Avant cette domination, la société indienne était une société féodale avec une économie de biens de consommation développée, s’appuyant sur des villes florissantes et qui, de ce fait, portait en elle les germes du capitalisme. 

A l’époque de la conquête britannique, une masse considérable de richesse s’était déjà accumulée entre les mains de la classe des marchands indiens, tant par le commerce international qu’intérieur ainsi que par le biais de l’usure. 

Les artisans et les gens de métier témoignaient d’un savoir-faire considérable et ils avaient déjà mené de nombreuses luttes dans différentes parties du pays, comme ce fut le cas, par exemple, avec les mouvements bhakti. 

Plusieurs Etats-nations aussi auraient pu se constituer avec la poursuite du développement capitaliste et durant la lutte contre le féodalisme menée par la bourgeoisie naissante des diverses nationalités. 

Ainsi donc, s’il n’y avait eu l’occupation britannique, la société indienne, en renversant le féodalisme, se serait progressivement développée en une société capitaliste. 

Ce cours naturel dans l’évolution de la société indienne fut interrompu par la conquête coloniale qui eut lieu dans la seconde moitié du 18e siècle. 

La pénétration du capital étranger et l’intervention de l’Etat colonial conduisirent à la désintégration de l’économie naturelle autosuffisante de l’Inde, elles détruisirent les industries artisanales et réduisirent les grands centres urbains au statut de grands villages. 

La bourgeoisie commerçante et prêteuse de fonds s’allia au capital britannique, joua le rôle de classe compradore et, au fil du temps, se développa en une grande bourgeoisie compradore en investissant dans les industries modernes. 

Mais le développement du capitalisme fut stoppé à cause de la politique britannique consistant à s’allier aux dirigeants traditionnels et à créer une nouvelle classe de zamindars (grands propriétaires) dans les campagnes. 

L’impérialisme britannique fut heureux de recevoir les impôts de cette classe de zamindars qui lui fut utile en tant que pilier social de sa domination. Pourtant, suite à la politique britannique tendant à convertir la terre en propriété privée, ou à collecter des impôts en espèces chez les paysans et les zamindars, et en payant également en espèces les produits agricoles amenés par les commerçants britanniques, l’économie de biens de consommation se développa jusqu’à un certain point dans les campagnes. 

Comme ils le faisaient partout, les Britanniques créèrent également des plantations dans certains secteurs de production agricole et ils encouragèrent – ou plutôt forcèrent – les producteurs paysans à passer de la culture des céréales aux cultures destinées à l’exportation, comme le coton et le jute. Suite à ces mesures, le mode féodal de production dans l’agriculture commença à se désintégrer et se transforma en mode semi-féodal. 

Deux conditions sont nécessaires à l’apparition du mode capitaliste de production : la première est que la production de marchandises soit la forme généralisée de production et la seconde est l’existence d’une main-d’oeuvre salariée libre. 

Comme le faisait remarquer Lénine : « Le capitalisme, c’est la production de marchandises à son stade suprême de développement, lorsque la force de travail devient elle-même une marchandise. » 

Les autres caractéristiques du mode capitaliste de production, comme le paiement des salaires en espèces, la reproduction accrue – c’est-à-dire le réinvestissement des surplus pour extraire encore plus de surplus, ce qui débouche sur une accumulation toujours plus grande -, une polarisation constante et continue de la société en une classe de capitalistes et en salariés etc., dérivent toutes de la définition du capitalisme citée ci-dessus. 

Ce n’est que par la transformation radicale du mode féodal et des autres modes précapitalistes de production que le mode capitaliste de production peut acquérir une position dominante et pour autant qu’il remplisse les conditions mentionnées plus haut. 

Mais, en Inde, en raison de l’alliance de l’impérialisme britannique avec la bourgeoisie compradore et les forces féodales, et du fait que la révolution démocratique n’a pas été achevée, une telle transformation ne pouvait pas se produire. 

Les modes capitaliste et féodal de production ont coexisté avec un mode semi-féodal de production qui est devenu le mode dominant dans l’agriculture. 

Même à l’époque du transfert de pouvoir, seulement 35% – soit un petit peu plus d’un tiers – de la production agricole totale était produite pour le marché. 

Deux tiers des ventes représentaient des ventes de nécessité dans le village même. 

Par conséquent, la production de marchandises n’était pas le caractère dominant et déterminant de la production agricole. De plus, les ouvriers agricoles n’étaient pas libres non plus. 

Ils étaient soit endettés soit en position de servage ou de toute autre forme de servitude vis-à-vis des propriétaires terriens qui représentaient souvent une seule et même famille de propriétaires. 

A l’époque de la passation de pouvoir, l’Inde connaissait trois types de systèmes de possession des terres : le système zamindari (grosse propriété terrienne), qui représentait 57%, le ryotwari (fermage), 38% et le mahalwari (sous-fermage), 5%. 

Mais sous chacun des trois systèmes, les rapports agraires constituaient une variante des rapports de production semi-féodaux caractérisés par une répartition des terres très distordue, par la sous-inféodation, l’usure, le travail en servage, etc. Ces rapports de production semi-féodaux débouchèrent naturellement sur une stagnation de la production agricole et sur l’appauvrissement de la paysannerie rurale. 

Après la passation de pouvoir, lorsque la grande bourgeoisie compradore eut scellé une alliance avec le féodalisme et l’impérialisme, il n’y eut plus de transformation fondamentale dans les rapports de production semi-féodaux de l’agriculture. 

En tant que système, le capitalisme présente une contradiction inconciliable vis-à-vis du féodalisme car ce dernier opère comme une entrave à la poursuite du développement du capitalisme. 

Le féodalisme agit comme un frein à l’expansion du marché en tenant d’importantes sections des masses paysannes en servitude. 

C’est un obstacle au développement des forces productives. 

Par ailleurs, le capitalisme a une tendance à agrandir le marché en supprimant tous les rapports précapitalistes et en libérant le paysan de la servitude féodale et en le convertissant en ouvrier agricole salarié, ‘libre’ de vendre sa force de travail sur le marché selon les lois de l’offre et de la demande. 

Le capitalisme, par conséquent, accroît énormément les forces productives. 

L’Inde avait toujours disposé d’un abondant effectif de main-d’oeuvre à bon marché dans les villes – effectif plus que suffisant pour les faibles niveaux d’industrialisation du pays. 

Au début de la domination britannique, on assista même à un étrange phénomène de migration des sans-emploi des villes vers les zones rurales, ce qui accrût la pression sur l’agriculture. Avec de faibles niveaux d’industrialisation et une immense armée de réserve de sans-emploi, aucune contrainte économique ne force la grande bourgeoisie indienne à libérer la paysannerie du carcan des rapports semi-féodaux. 

De plus, politiquement, il serait dangereux pour la grande bourgeoisie de le faire, puisque les masses réveillées ne s’arrêteront pas avant d’avoir lancé une révolution sociale en l’absence d’une industrie qui pourrait absorber le plus gros de leurs effectifs. 

Comme il n’y a pas de perspective de poussée massive vers une industrialisation qui absorberait les excédents de la population agraire, du fait précisément que l’économie indienne est rivée aux roues du chariot de l’impérialisme, la grande bourgeoisie indienne et l’impérialisme estiment qu’il est plus sage de garder la majorité de la population agraire dans le carcan des rapports semi-féodaux. 

Toutefois, on assiste à plusieurs tentatives d’accroître la productivité de l’agriculture via l’introduction de machines modernes, de nouvelles technologies, de fertilisants, de pesticides, de semences à haut rendement, de l’irrigation et autres apports dans certains secteurs choisis. 

Ces efforts ont pour but d’augmenter la production agricole de façon à ce qu’elle satisfasse aux besoins toujours croissants de l’économie et de procurer un marché pour les produits des multinationales et des compagnies appartenant à la grande bourgeoisie. 

Par conséquent, au Pendjab, dans le Haryana, dans l’Uttar Pradesh occidental, dans le delta du Krishna et du Godavari situé dans l’Andhra Pradesh et dans certaines parties du Kerala, du Tamil Nadu, du Bengale Occidental, dans près d’un tiers des régions cultivées, une transformation capitaliste s’est produite. 

Cette transformation a donné naissance à une nouvelle classe de koulaks ou fermiers capitalistes qui ont déjà acquis pas mal d’autorité politique dans certains Etats. 

Certains grands propriétaires féodaux, eux aussi, se sont mués en propriétaires capitalistes. Mais même dans ces zones de capitalisme agraire, les formes féodales d’exploitation se combinent aux formes capitalistes. 

Dans l’ensemble, les rapports semi-féodaux de production prédominent toujours sur la scène rurale indienne d’aujourd’hui. 

Il y a une concentration élevée de terres aux mains de quelques propriétaires. 

Au début des années 1980, 4,29% des holdings de l’Andhra Pradesh détenaient 37,25% des terres. 

Au Bihar, 1,35% en détenaient 15,34% et, pour le Pendjab et le Haryana, 6,33% en détenaient 40,29%. 

Pour l’ensemble du pays, 1% des propriétaires les plus riches détenaient 14,35% des terres. 

On assiste également à un important affermage de terres. 

Des petites familles marginales, y compris des familles sans terre, ont loué 6.255.000 hectares. 

L’endettement rural continue à affecter gravement la paysannerie. Les dettes en provenance des sources traditionnelles – les prêteurs, les employeurs et les propriétaires, dans les villages – et à des taux d’intérêt exorbitants jouent toujours un rôle de premier plan dans la vie économique des familles rurales. 

Dans les plaines du Bihar, du Telangana, ainsi que dans d’autres parties du pays, le mode d’appropriation ou de valeur en surplus venant des producteurs directs est dominé par la location à bail et l’usure et une proportion importante d’ouvriers agricoles sont soumis à divers degrés d’asservissement et ne sont pas vraiment libres de vendre sur le marché leur force de travail en tant que marchandise. 

Le ‘jajmani’, c’est-à-dire le paiement annuel traditionnel fixé soit en nature, soit sous forme de terre à cultiver, voire les deux, à la classe des services et aux artisans, se rencontre toujours fréquemment dans les zones rurales du Bihar et d’ailleurs. 

La coercition extra-économique par les propriétaires, comme les procès en justice contre les paysans et leur incarcération sur de fausses accusations de vol et autres délits similaires, est une pratique commune dans les grandes zones rurales de l’Inde. 

Nous constatons également que la plupart des riches paysans et propriétaires ne réinvestissent pas dans la terre les surplus accumulés mais qu’à la place, ils tentent de pénétrer d’autres activités comme les moulins à riz ou à huile, les contrats routiers, les firmes de transports, etc. 

En conséquence, la composition organique du capital tend à être faible, ce qui se traduit par de faibles niveaux de productivité. 

Il n’y a pas non plus de polarisation de classe du genre de celle que la transformation capitaliste engendrerait inévitablement dans la plupart des zones rurales de l’Inde. 

De petites parcelles de terre aux mains de la paysannerie pauvre et moyenne, voilà toujours une caractéristique fréquente de la scène rurale dans de nombreuses régions de l’Inde. La polarisation en propriétaires capitalistes possédant les moyens de production et en prolétariat rural dépendant seulement de la vente de sa force de travail constitue toujours un phénomène marginal. 

Sur base d’indicateurs secondaires comme la production destinée au marché et le paiement des salaires en espèces, certains groupes marxistes-léninistes adoptent le point de vue selon lequel les rapports capitalistes de production, voire même le mode capitaliste de production, sont devenus prédominants dans l’agriculture et que l’impérialisme et la grande bourgeoisie indienne, dans leurs propres intérêts de classe, ont transformé le féodalisme en capitalisme agraire. 

En se basant sur une analyse superficielle, ils prétendent qu’aujourd’hui le féodalisme ne survit plus que dans la superstructure – les idées, les coutumes, la culture, les habitudes etc. 

Certains, comme les théoriciens de l’école latino-américaine, du type ‘périphérie centrale’ ou ‘satellite de la métropole’, André Gunder Frank, Emmanuel Arrighiri, Samir Amin (un Egyptien) et d’autres, affirment que le féodalisme a été transformé par l’impérialisme dans chaque pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine et que la tâche qui attend le prolétariat de ces pays consiste à entreprendre une révolution socialiste et non une révolution de démocratie nouvelle. 

Certains marxistes-léninistes prétendent que le stade de la révolution en Inde aujourd’hui est socialiste et non un nouveau stade de révolution démocratique. 

Même un paysan pauvre utilisant sa propre force de travail produira pour le marché s’il trouve que ça lui rapporte plus. Certaines de ces ventes sont des ventes à prix bradés. 

L’agriculture de subsistance, elle aussi, est présente à une échelle considérable, dans plusieurs parties de l’Inde. 

Mais de là à conclure que les rapports capitalistes de production ou le mode capitaliste de production sont devenus prédominants dans l’agriculture, ce serait à tout le moins ridicule. Le paiement des salaires en espèces est une condition nécessaire, quoique insuffisante, du capitalisme. 

Même les ouvriers agricoles asservis sont payés en espèces si cela s’avère avantageux pour le propriétaire. 

Dans les sociétés précapitalistes aussi, on rencontre la circulation de l’argent et le système de paiement des salaires. 

Alors que nous reconnaissons la primauté des rapports semi-féodaux dans l’agriculture indienne, nous devons nous garder d’une autre tendance extrême défendue par certains groupes marxistes-léninistes qui réfutent en bloc jusqu’à la transformation capitaliste limitée qui s’est produite dans l’agriculture indienne. 

En se référant à la prolifération du « communalisme » [« communautarisme »] et des atrocités de castes de ces derniers temps, ils prétendent même qu’un processus de ‘reféodalisation’ a lieu actuellement en Inde. 

Il s’agit d’une conclusion complètement antihistorique et antidialectique. En fait, les atrocités de castes sont une réponse des castes supérieures à l’expression croissante et à la conscience démocratique que l’on rencontre parmi les castes opprimées et qui émergent en raison du développement des rapports capitalistes. 

Et c’est l’impérialisme, fidèle à sa vieille devise ‘diviser pour régner’, qui a mis sur pied les émeutes communales [« communautaires »] en collusion avec les classes dirigeantes indiennes, en vue de détourner le peuple de la voie révolutionnaire. 

Ceux qui réfutent tout développement du capitalisme dans l’agriculture indienne et qui prétendent que l’impérialisme est incapable de faire apparaître quelque transformation que ce soit dans les rapports agraires ne sont pas moins dangereux pour les intérêts de la révolution indienne que ceux qui affirment que le féodalisme s’est désintégré et qu’il s’est complètement transformé en capitalisme. 

Alors que les seconds insistent sur l’abandon de la lutte antiféodale et de la révolution agraire armée, les premiers tendent à confiner la lutte révolutionnaire à de seules exigences antiféodales et empêchent ainsi le prolétariat de prendre l’initiative dans la direction des larges masses populaires contre les assauts croissants de l’impérialisme. 

Il nous faut donc rejeter ces deux tendances et, en lieu et place, nous concentrer sur la mise en place, contre les assauts de l’impérialisme, d’un mouvement populaire de résistance à l’échelle du pays, mouvement qui s’appuiera fermement sur la révolution agraire armée afin de supprimer le carcan des rapports semi-féodaux. 

En résumé, durant les quatre décennies et plus qui ont suivi la passation du pouvoir, une transformation capitaliste s’est produite dans certaines poches de l’agriculture indienne et une désintégration des formes extrêmes du féodalisme dans plusieurs parties du pays. 

Mais cette transformation était basée sur les besoins changeants de l’impérialisme et de la grande bourgeoisie compradore de l’Inde, comme nous l’avons souligné plus haut. 

Toutefois, dans l’ensemble, les rapports semi-féodaux de production continuent de prédominer sur la scène rurale, empêchant le développement des forces productives en Inde. 

Le désir de la grande bourgeoisie compradore de l’Inde de s’engager dans la voie de la ‘globalisation’ émane de son impuissance et de sa mauvaise volonté à briser ces chaînes féodales qui entravent l’expansion du marché intérieur. 

En même temps, nous devons reconnaître la portée politique et sociale de la transformation capitaliste qui s’est produite dans l’agriculture indienne, toute limitée qu’elle puisse être. 

Le développement le plus important qu’il convient de prendre en considération afin de réaliser avec succès la nouvelle révolution démocratique en Inde, c’est que la paysannerie indienne, et particulièrement la paysannerie moyenne et riche, avec sa dépendance vis-à-vis du marché pour la vente de ses produits et pour l’achat d’équipement et de matériel agricole, entre de plus en plus en contradiction avec l’impérialisme et avec la grande bourgeoisie compradore de l’Inde.  

Etant donné la toute dernière phase de globalisation entreprise par l’impérialisme et étant donné que la grande bourgeoisie compradore de l’Inde saute joyeusement dans le train en marche en signant le traité du GATT, la paysannerie moyenne et riche vont se trouver de plus en plus à la merci d’un marché mondial complètement contrôlé et dirigé par les monopoles impérialistes. 

Ces caractéristiques vont forcer la paysannerie à engager des luttes militantes contre la domination impérialiste. Par conséquent, afin de réaliser avec succès la nouvelle révolution démocratique en prenant comme axe la révolution agraire armée, les communistes révolutionnaires devrons non seulement mobiliser les paysans pauvres et sans terre et la paysannerie inférieure et moyenne dans des luttes antiféodales destinées à briser le carcan des rapports semi-féodaux de production, mais également mobiliser les autres sections de la paysannerie, qui constituent un élément à part entière des forces motrices de la révolution démocratique indienne, dans des luttes anti-impérialistes militantes. Ils réaliseront ainsi la double tâche consistant à chasser à la fois le féodalisme et l’impérialisme.   

3. Inde : semi-colonie ou néocolonie ? 

Est-il vrai que la plupart des pays du tiers monde ont été transformés en néocolonies de l’impérialisme? 

Quelle est la différence entre une colonie, une semi-colonie et une néocolonie? 

Etant donné la faiblesse de l’impérialisme dans son ensemble, est-il possible de réduire les pays du tiers monde au statut de néocolonies? 

Certains groupes marxistes-léninistes attribuent le statut de néocolonie à la quasi-totalité des pays du tiers monde. 

Ils ont également déclaré que l’Inde elle aussi est une néocolonie de l’impérialisme. 

Un tel point de vue peut surgir soit d’une confusion dans la compréhension des concepts de l’exploitation néocoloniale et de la néocolonie ou d’une conclusion erronée prétendant que la principale contradiction dans les pays du tiers monde est celle qui règne entre l’impérialisme et les peuples de ces pays. 

Au début, à l’époque de la mise sur pied du Parti communiste d’Inde (marxiste-léniniste), nous n’avions pas, nous non plus, une compréhension très claire de ce qu’était une néocolonie. 

Par exemple, dans la déclaration publiée par le Comité pan-indien de coordination des révolutionnaires communistes le 14 mai 1968, il était indiqué : 

« L’Inde, qui était encore une colonie de la Grande-Bretagne il y a vingt ans à peine, est devenue aujourd’hui une néocolonie de plusieurs puissances impérialistes, en premier lieu des Etats-Unis et de l’Union soviétique. Les impérialistes américains, qui sont les ennemis les plus agressifs de toute l’humanité, sont également les pires ennemis du peuple indien. 

Leur emprise néocoloniale sur l’Inde est aujourd’hui totale. » 

La même phrase décrivait également l’Inde comme une « néocolonie à la fois des Etats-Unis et de l’Union soviétique ». 

Cependant, le Comité pan-indien et notre Parti, tout au long de leur quart de siècle d’existence, ont correctement reconnu que la principale contradiction est celle qu’il y a entre le féodalisme et les masses populaires. 

Il n’y eut de confusion que durant la période initiale en ce qui concerne les concepts d’exploitation néocoloniale et de néocolonie. 

D’autre part, les groupes marxistes-léninistes comme le Red Flag, bien qu’ils reconnaissent superficiellement le Programme de 1970 du Parti, ont en fait avancé l’hypothèse selon laquelle l’impérialisme a transformé l’économie de l’Inde et que la principale contradiction en Inde réside entre l’impérialisme et le peuple indien. 

C’est sur cette base que repose leur conception de l’Inde en tant que néocolonie. 

Nous avons déjà vu en détail ce que signifie le mode néocolonialiste d’exploitation et de domination. 

C’est une forme, un nouveau style de tactique poursuivi par l’impérialisme après qu’il ait été forcé d’abandonner la domination coloniale. 

Une néocolonie, cela signifie un schéma d’exploitation basé sur la production de biens de consommation propre à un certain pays. 

L’ensemble de l’économie et le pouvoir d’Etat de ce pays passent sous le contrôle d’une puissance impérialiste particulière, bien que le pouvoir d’Etat soit exercé par le biais d’une marionnette de cette puissance impérialiste particulière. 

Par conséquent, une néocolonie signifie la domination indirecte par le biais d’une marionnette d’une certaine puissance impérialiste donnée. 

Dans une telle situation, la principale contradiction dans ce pays sera transformée en contradiction entre l’impérialisme (la puissance impérialiste particulière qui contrôle l’économie et le pouvoir d’Etat dans ce pays) et la nation tout entière ou le peuple de ce pays. 

La contradiction entre le féodalisme et les larges masses, qui était dominante avant la transformation de ce pays en néocolonie, sera temporairement reléguée au second plan. 

Ensuite, la classe ouvrière doit tendre à construire un large front uni comprenant même ces sections des classes dirigeantes alliées aux autres puissances impérialistes et qui annoncera même certaines concessions à ces classes en vue de vaincre la principale cible. Voilà l’acception marxiste-léniniste d’une néocolonie. 

Par ailleurs, décrire un pays en tant que néocolonie de l’impérialisme dans son ensemble revient à réfuter les contradictions et rivalités interimpérialistes qui caractériseront le système impérialiste aussi longtemps qu’il subsistera. 

En fait, cela insuffle un nouveau regain de vie à la thèse kautskiste de l’ultra-impérialisme, réfutée par le camarade Lénine il y a longtemps, et qui dit que l’impérialisme peut dominer et asservir le monde entier par des moyens pacifiques, par un partage mutuel via une compréhension collective. 

Il ne faudrait pas, naturellement, nier le fait que les divers puissances impérialistes et groupes monopolistes internationaux – comme les transnationales et les multinationales – peuvent entrer dans des alliances temporaires afin de procéder à une exploitation conjointe d’un pays particulier ou de plusieurs pays (via la Banque mondiale, le FMI, le GATT etc.) ou joindre leurs forces pour ‘donner une leçon’ à tel ou tel régime qui les défie (comme l’illustre le cas de l’Irak). 

Mais, en soi, une telle exploitation conjointe par les diverses puissances impérialistes ne réduit pas un pays particulier à un statut néocolonial. 

Dans chaque pays semi-colonial également, il y a rivalité et collusion entre les diverses puissances impérialistes. 

Dans une néocolonie, la rivalité devient la plus aiguë quand l’une ou l’autre puissance impérialiste contrôlant la vie économique et la politique d’une néocolonie empêche les autres puissances impérialistes de s’approprier une part des surplus extraits. 

En résumé, la différence entre une colonie et une néocolonie réside en ce que la première est dirigée directement par une puissance impérialiste, via la propre administration impérialiste et l’armée de cette dernière, tandis que, dans une néocolonie, la puissance impérialiste exerce le contrôle politique via ses agents ou ses marionnettes, c’est-à-dire par des moyens indirects. 

Dans les deux cas, toutefois, les autres puissances impérialistes sont empêchées d’avoir la moindre part dans le pouvoir d’Etat, ce qui donne naissance à de sévères contradictions entre les groupes féodaux compradores alliés à diverses puissances impérialistes. 

Une semi-colonie, par ailleurs, est une forme transitoire de dépendance étatique qui se caractérise par une domination indirecte exercée par plus d’une puissance impérialiste, lesquelles agissent via leurs compradores. 

Lorsque nous disons que la forme semi-coloniale est une forme transitoire de dépendance étatique, cela signifie que c’est un phénomène passager : la semi-colonie doit soit se libérer du carcan des diverses puissances impérialistes, ce qui n’est possible que par le biais d’une révolution, soit, au fil du temps, se transformer en néocolonie sous la domination d’une puissance impérialiste. 

C’était ce que le camarade Lénine voulait dire lorsqu’il décrivait une semi-colonie comme étant une forme transitoire de dépendance étatique. 

La caractéristique permettant de distinguer une semi-colonie est qu’elle n’est sous la domination directe ou indirecte d’aucun pays impérialiste mais qu’elle est dominée par plusieurs puissances impérialistes par le biais d’une pression économique, politique, diplomatique et même militaire. 

En guise d’explication, le camarade Mao disait :  

« Comme nous le savons tous, depuis environ une centaine d’années, la Chine est un pays semi-colonial communément dominé par plusieurs puissances impérialistes. 

En raison de la lutte du peuple chinois contre l’impérialisme et de conflits qui ont opposé les puissances impérialistes, la Chine a pu conserver un statut semi-indépendant. 

Pendant tout un temps, la Première Guerre mondiale a fourni à l’impérialisme japonais l’occasion de dominer la Chine exclusivement. 

Mais le traité rendant la Chine au Japon, les Vingt et une Exigences signées par Yuan Shikai, l’archi-traître de l’époque, fut inévitablement déclaré nul et vide de sens suite à la lutte du peuple chinois contre l’impérialisme japonais et à l’intervention d’autres puissances impérialistes. 

En 1922, lors de la Conférence des Neuf Puissances convoquée par les Etats-Unis, un traité fut signé qui, une fois de plus, plaçait la Chine sous la domination conjointe de plusieurs puissances impérialistes. 

Mais la situation ne tarda guère à changer une fois de plus. 

L’incident du 18 septembre 1931 initia le stade actuel de la colonisation de la Chine par le Japon. Du fait que l’agression japonaise s’est provisoirement limitée aux quatre provinces du Nord-Est, certaines personnes ont pensé que les impérialistes japonais n’avanceraient probablement pas plus loin. 

Aujourd’hui, les choses sont différentes. 

Les impérialistes japonais ont déjà montré leur intention de pénétrer au sud de la Grande Muraille et d’occuper toute la Chine. Désormais, ils veulent transformer l’ensemble de la Chine, de semi-colonie partagée par plusieurs puissances impérialistes qu’elle était, en colonie monopolisée par le Japon. » 

Considérant la principale contradiction dans un pays semi-colonial, le camarade Mao faisait remarquer :  

« Dans un pays semi-colonial comme la Chine, la relation entre la principale contradiction et les contradictions non principales présente un aspect compliqué.  

Lorsque l’impérialisme lance une guerre d’agression contre un tel pays, toutes ses différentes classes, à l’exception de quelques traîtres, peuvent s’unir temporairement dans une guerre nationale contre l’impérialisme. 

A ce moment précis, la contradiction entre l’impérialisme et le pays en question devient la contradiction principale, alors que toutes les contradictions existant entre les diverses classes du pays même (y compris celle qui était la principale contradiction, entre le système féodal et les larges masses du peuple) sont temporairement reléguées au second plan, dans une position subordonnée. 

Ce fut le cas en Chine durant la guerre de l’Opium de 1840, durant la guerre sino-japonaise de 1894 et la guerre de Yi Ho Tuan de 1900, et c’est encore le cas dans la présente guerre sino-japonaise.   

Mais dans une autre situation, les contradictions changent de position. Lorsque l’impérialisme exerce son oppression, non pas par la guerre, mais par des moyens plus doux – politiquement, économiquement et culturellement -, les classes dirigeantes des pays semi-coloniaux capitulent devant l’impérialisme, et les deux constituent une alliance visant à opprimer ensemble les masses du peuple. 

Dans une telle situation, les masses recourent souvent à la guerre civile contre l’alliance entre l’impérialisme et les classes féodales, alors que l’impérialisme préfère souvent recourir à des méthodes indirectes plutôt qu’à l’action directe, en aidant les réactionnaires des pays semi-coloniaux à opprimer le peuple et, ainsi donc, les contradictions internes deviennent particulièrement aiguës. C’est ce qui s’est produit en Chine au cours de la guerre révolutionnaire de 1911, de la guerre révolutionnaire de 1924-1927 et durant les dix années de la guerre révolutionnaire agraire, après 1927. Les guerres entre les divers groupes dirigeants réactionnaires dans les pays semi-coloniaux, et c’est le cas des guerres entre les seigneurs de guerre chinois, appartiennent à la même catégorie. » 

Après l’invasion de la Chine par le Japon (entre 1931 et 1945), le camarade Mao avait décrit le caractère de la société chinoise non pas comme semi-colonial et semi-féodal, mais comme colonial, semi-colonial et semi-féodal : 

« Depuis l’invasion du capitalisme étranger et le développement progressif d’éléments capitalistes au sein de la société chinoise, le pays s’est graduellement transformé en société coloniale, semi-coloniale et semi-féodale. 

Aujourd’hui, la Chine est coloniale dans les zones occupées par les Japonais et elle est fondamentalement semi-coloniale dans les zones du Kuomintang, et elle est à prédominance féodale ou semi-féodale dans les deux. Voilà donc le caractère de l’actuelle société chinoise et l’état de la situation dans notre pays. La politique et l’économie de cette société sont à prédominance coloniale, semi-coloniale et semi-féodale, et la culture prédominante, qui reflète la politique et l’économie, est également coloniale, semi-coloniale et semi-féodale. » 

L’Inde a été une semi-colonie de diverses puissances impérialistes après la passation de pouvoir de 1947. Mais une telle forme transitoire de dépendance étatique ne peut durer très longtemps. 

Au cours des 47 années d’existence semi-coloniale de l’Inde, plusieurs changements se sont produits dans son économie, sa politique et sa culture, comme on l’a expliqué plus haut. 

Les relations de l’Inde avec diverses puissances impérialistes ont changé, elles aussi, comme le montrent les relations élaborées dans la résolution politique d’août 1992. 

Au départ, l’impérialisme américain et, plus tard, au cours des années 1970 et de la première moitié des années 1980, l’impérialisme social soviétique, ont tenté désespérément, chacun de leur côté, de faire de l’Inde leur néocolonie. Mais aucune des deux superpuissances n’a pu atteindre ses objectifs en raison de la révolte croissante du peuple, partout dans le monde, contre leurs plans d’hégémonie mondiale. 

Les peuples de Corée, du Vietnam, du Laos, du Cambodge, du Pérou, des Philippines, de l’Afghanistan, de l’Erythrée, de la Somalie, du Nicaragua, du Salvador et de plusieurs autres pays ont opposé une résistance héroïque aux deux superpuissances et ont contribué à leur affaiblissement. 

Par conséquent, il est particulièrement malaisé pour les superpuissances de convertir un vaste pays comme l’Inde en leur néocolonie, bien qu’ils poursuivent leur politique néocoloniale d’exploitation en Inde aussi bien que dans le reste du tiers monde. 

La rivalité entre les diverses puissances impérialistes – les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, la Russie, la Grande-Bretagne et la France – en vue d’établir leur contrôle sur l’Inde est appelée à s’intensifier dans le futur. 

Les classes dirigeantes d’un pays semi-colonial, tout en étant subordonnées à l’impérialisme dans l’ensemble, peuvent, à certain moment, obtenir quelques concessions de la part de l’impérialisme en se servant des contradictions aiguës régnant entre les diverses puissances impérialistes. 

Mais même la capacité de manoeuvre des classes dirigeantes dans le tiers monde a connu un déclin au cours de la dernière décennie, qui a vu chaque pays tenter d’évincer les autres en recherchant les connivences avec l’impérialisme et rivaliser avec les autres pour vendre à l’impérialisme sa main-d’oeuvre à bas prix, ses ressources et ses marchés, dans l’espoir de récolter les quelques miettes qui allaient tomber au cours de la phase de ‘globalisation’ lancée par l’impérialisme. 

Certains pays du tiers-monde, et tout particulièrement les plus petits, sont même sur le point de devenir des néocolonies de l’une ou l’autre puissance impérialiste. Bien que l’impérialisme s’affaiblisse de jour en jour, il serait naïf d’imaginer que les puissances impérialistes n’ont pas la capacité de convertir plusieurs pays du tiers monde en leurs colonies respectives. 

Tandis que l’impérialisme américain, s’appuyant sur le nouveau traité NAFTA placé sous son hégémonie, tente de s’assurer le contrôle absolu sur l’Amérique latine, le Japon, de son côté, échafaude des plans en vue de ressusciter son rêve perdu d’étendre la sphère de coprospérité de l’Est de l’Asie à l’ensemble de la région Asie-Pacifique. 

La Communauté économique européenne, et particulièrement l’Allemagne, tente de resserrer son emprise non seulement sur les pays de l’Europe de l’Est et sur certaines républiques dissidentes de l’ancienne Union soviétique, mais elle essaie également d’étendre son contrôle sur l’Afrique du Nord et sur d’autres régions. 

Ce n’est que par une révolution prolétarienne que les pays du tiers monde pourront venir à bout complètement de l’impérialisme. 

Dans les pays où le prolétariat et les forces anti-impérialistes sont faibles, il existe un danger de voir les classes dirigeantes compradores devenir les marionnettes de l’une ou l’autre puissance impérialiste et, de ce fait, de voir leur statut de pays se réduire à celui de néocolonies. 

Le terme de ‘recolonisation’, peut-on l’utiliser alors pour décrire la mainmise impérialiste croissante sur les pays du tiers monde ? 

L’usage de ce terme ne risque-t-il pas de donner l’impression que les pays du tiers monde ont joui d’une véritable indépendance dans le temps et que ce n’est que maintenant qu’ils se transforment en semi-colonies et néocolonies? 

Le terme a été utilisé puisqu’il a déjà été popularisé dans les médias pour décrire la toute dernière offensive de l’impérialisme dans les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine par le biais des programmes d’ajustements structurels et autres politiques néocolonialistes de la Banque mondiale, du FMI, du GATT, etc., avec lesquelles même l’indépendance nominale de ces pays se trouve menacée. 

Pris dans son sens littéral, le terme ‘recolonisation’ peut donner l’impression, effectivement, que les pays du tiers monde ont jusqu’à présent bénéficié d’une indépendance véritable bien qu’il n’y ait personne qui, après avoir lu entièrement notre point de vue, pourra encore avoir cette impression. Pourtant, en gardant en vue la confusion qui peut naître en raison de l’emploi de ce terme, il faut mieux supprimer ce mot et le remplacer par les termes de ‘mainmise croissante de l’impérialisme’.  

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste) 

Charu Mazumdar: Haïr, stigmatiser et écraser le centrisme!

(mai 1970)

La conjoncture actuelle dans le monde présente deux phénomènes importants.

D’un côté, il y l’agression par l’impérialisme US du Cambodge. Les impérialistes US ont laissé tomber tout faux-semblant et ont directement envahi le Cambodge.

C’est la logique de Hitler, la logique de tous les agresseurs.

Ils n’ont plus de temps à perdre, ils ne peuvent plus parler de paix.

Désormais, ils attaqueront un pays après l’autre. Ainsi s’ouvre la Troisième Guerre Mondiale.

D’un autre côté, le front uni révolutionnaire des peuples du Vietnam, du Cambodge et du Laos, sous la direction de la Chine, a été édifié pour combattre les agresseurs US.

L’unité des trois peuples indochinois a été gagnée. C’est un grand événement dans l’histoire mondiale, car cette unité n’existait pas quand les hordes hitlériennes marchèrent sur les Sudètes.

La Deuxième Guerre mondiale a été précédée par Munich, par une grande trahison.

Mais aujourd’hui, un front uni des peuples révolutionnaires sous la direction de la Chine est en train de prendre forme.

Cela inaugure le grand commencement de la défaite de l’impérialisme et le grand commencement de la victoire des peuples du monde.

Le même type de phénomène existe aussi en Inde. Les classes dominantes réactionnaires en Inde se préparent frénétiquement à jouer le rôle que la stratégie globale de l’impérialisme US et du social-impérialisme soviétique attend d’elles.

Elles ourdissent de vastes plans criminels contre la Chine. Mais l’émergence du PCI (ML) change la donne intérieure en Inde.

La lutte paysanne révolutionnaire armée dirigée par le PCI (ML) est devenue une force motrice de l’histoire.

Nous devons prendre en compte non seulement l’offensive des classes dominantes, mais aussi la contre-offensive du peuple révolutionnaire.

Nos tâches cardinales sont donc : édifier le Parti et le retrancher parmi les paysans pauvres et sans terres. Le processus d’édification du Parti correspond au développement de la lutte de classes armée.

Sans lutte de classes armée, le Parti ne peut pas se développer et ne peut pas se retrancher dans les masses.

La lutte entre deux ligne est là dans le Parti et elle continuera d’exister.

Nous devons nous opposer à la ligne incorrecte et la défaire. Nous devons être sur nos gardes vis-à-vis du centrisme.

Le centrisme est une forme de révisionnisme, la pire de ses formes.

Par le passé, le révisionnisme fut vaincu à de multiples reprises par les éléments révolutionnaires, mais le centrisme a toujours cueilli les fruits de la victoire et a mené le Parti sur la voie révisionniste. Nous devons haïr le centrisme.

Sur la question du boycott des élections, Naggi Reddy disait : « Oui, nous les acceptons, mais dans les limites de certaines zones et de certaines périodes. Nous participerons aux élections là où il n’y a pas de lutte [armée] »

Voilà la ligne de Reddy. C’est du centrisme. Nous avons lutté contre cette ligne et avons expulsé Naggy Reddy de notre organisation.

Au sujet du social-impérialisme soviétique, certains disent : « Les dirigeants soviétiques sont révisionnistes. Mais comment peuvent-ils être impérialistes ? Où est ce développement du capital monopoliste ? »

Ces gens sont des centristes. Nous les avons combattus et les avons expulsés de notre Parti.

Les centristes alors soulevèrent les questions des syndicats et d’un « Parti à base ouvrière », alors que les affrontements armés doivent être développés en nous fondant sur la paysannerie.

Nous avons combattu Asist Sen et compagnie sur ces questions et les avons expulsés du Parti.

Nous ne devons pas seulement distinguer la ligne correcte de la ligne incorrecte, mais aussi débusquer la position centriste et la faire voler en éclats.

Désormais, l’attaque centriste provient de l’intérieur du Parti.

Sur la question de l’utilisation des armes à feu, de la dépendance à l’égard des intellectuels petits-bourgeois et des batailles d’anéantissement, le Parti fait face à des attaques centristes.

Il doit être compris que la bataille d’anéantissement est à la fois la plus haute forme de la lutte des classes et le point de départ de la guerre de guérilla. Il y a deux déviations à ce sujet.

1. Certains camarades acceptent l’idée que l’anéantissement est le point de départ de la guerre de guérilla, mais pas que c’est la plus haute forme de la lutte des classes.

2. Il y a des camarades qui menaient la lutte des classes – la lutte pour la capture des terres des propriétaires terriens et de leur propriété – mais qui ne menèrent pas la bataille de l’anéantissement. Ces cadres ont alors dégénéré, ils étaient perdus pour la révolution. Ces camarades n’ont pas vu que l’anéantissement est le point de départ de la guerre de guérilla.

La lutte des classes résoudra tous les autres problèmes – le problème de la construction des zones libérées et le problème de la construction de l’armée révolutionnaire.

Nous avons tenté de développer l’armée dans certaines zones, mais sans lutte des classe, et nous avons échoué.

Sans lutte des classes, sans la bataille d’anéantissement, l’initiative des masses paysannes pauvres ne peut pas être libérée, la conscience politique des combattants ne peut pas être élevée, l’homme nouveau ne peut pas émerger, l’armée populaire ne peut pas être créée.

C’est uniquement en engageant la lutte de classe la bataille de l’anéantissement que le nouvel être humain sera créé ; le nouvel être humain qui défiera la mort et sera libéré de tout esprit d’égoïsme.

Et c’est avec cet esprit de défi à la mort qu’il ira à l’ennemi, prendra son arme, vengera les martyrs et que l’armée populaire se formera.

Aller à l’ennemi est nécessaire pour conquérir une conscience totale de soi-même et cela ne peut être obtenu qu’avec le sang des martyrs. Qui inspire et créé de nouveaux êtres humains issus des combattants, les emplissent de haine de classe et les fait aller à l’ennemi et prendre son arme les mains nues.

Nous avons versé beaucoup de notre sang au Srikakulam et avons versé également beaucoup de sang ennemi.

Mais l’ennemi de classe existe encore là-bas.

Sans expulser l’ennemi de classe d’un territoire, une nouvelle conscience, une nouvelle confiance ne peut pas naître.

Il devient alors impossible d’aller à l’ennemi et de lui arracher son arme.

C’est la lutte des classes qui seule peut résoudre ce problème de la construction de l’armée populaire.

L’anéantissement de l’ennemi de classe – cette arme entre nos mains – est le plus grand danger pour les réactionnaires et les révisionnistes du monde entier.

C’est pourquoi les dirigeants du révisionnisme mondial ont tenté de contacté divers groupes ayant rendu des hommages peu sincères au président Mao et au PCC pour qu’ils s’opposent à l’anéantissement de l’ennemi de classe.

Nous refusons de nous unir à ces groupes parce qu’ils sont opposés à l’anéantissement de l’ennemi de classe, à la lutte de classes et sont, par conséquent, ennemis du peuple.

Pourquoi est-ce que je suis contre l’utilisation des armes à feu dès maintenant ?

N’est-ce pas notre rêve que les paysans pauvres et sans terres prennent les fusils à l’épaule et marchent de l’avant ?

Cependant, l’usage des armes à feu en cette phase, loin de libérer l’initiative des masses paysannes pour anéantir l’ennemi de classe, la retient.

Si les combattants de la guérilla commencent la bataille avec leurs armes blanches, les paysans sans terre ordinaires viendront se joindre aux combats les mains nues et participeront à la bataille d’anéantissement.

Le paysan sans terres ordinaire, écrasé par des siècles d’oppression, verra la lumière et se vengera lui-même de l’ennemi de classe.

Son initiative sera libérée.

C’est de cette façon que les masses paysannes rejoindront les guerilleros, leur enthousiasme révolutionnaire ne connaîtra aucune limite et une puissante vague de soulèvements populaires balaiera le pays.

Une fois libérée l’initiative des masses paysannes, anéantissant l’ennemi de classe à mains nues ou avec des armes artisanales, et une fois le pouvoir révolutionnaire des paysans établi, les masses paysannes se saisiront du fusil et affronteront le monde.

Le paysan armé du fusil sera la garantie de la continuation du pouvoir révolutionnaire des paysans.

Camarades, le calvaire des paysans a atteint un point de non-retour.

Si nous savons leur montrer la voie, il n’y a aucun endroit en Inde où ils ne puissent passer à l’action.

Il y a la possibilité d’un formidable soulèvement en Inde si nous y travaillons consciencieusement.

La guerre de guérilla peut être menée sous forme de bataille d’anéantissement dans chaque village d’Inde.

Ainsi, commençons la lutte armée en autant d’endroits que possible.

Ne cherchons pas à la concentrer.

Étendons-la partout.

C’est un premier principe à suivre.

L’autre est le suivant : Menons la bataille d’anéantissement de l’ennemi de classe.

Tous les révisionnistes, tous les groupes parlant au nom du président Mao, nous attaquent sur ce point précis de la bataille d’anéantissement.

Par conséquent les camarades qui s’y opposent n’ont pas leur place chez nous.

Nous ne les laisserons pas en place dans le Parti.

On peut voir comment la lutte paysanne révolutionnaire armée soulève les autres classes.

Voyez Calcutta.

Les luttes révolutionnaires des jeunes de Calcutta émergent grâce à l’impact de la lutte armée paysanne.

La classe ouvrière de Calcutta se soulève elle aussi.

Et j’espère qu’il y aura des soulèvements révolutionnaires de la classe ouvrière, pas seulement à Calcutta, mais aussi dans d’autres villes d’Inde. Ceci doit nécessairement arriver. Dès lors, la situation dans les villes changera du tout au tout.

Camarades, que la lutte armée paysanne bat en tempête dans toute l’Inde après les victorieuses conclusions de notre Congrès.

Il y aura un soulèvement spontané de masses qui naîtra de la lutte de guérilla et s’abattra comme une avalanche, comme la foudre.

Il est certain que l’Armée Rouge peut être créée non seulement au Srikakulam mais aussi au Penjab, dans l’Uttar Pradesh, le Bihar et le Bengale Occidental.

Avec ces contingents de l’Armée de Libération, les paysans d’Inde marcheront de l’avant vers la libération complète.

Trois facteurs garantissent la victoire de la révolution.

Premièrement, la révolution a été ajournée depuis vingt ans et ne souffre plus aucun délai.

Deuxièmement, la révolution prend place à l’époque de l’effondrement complet de l’impérialisme et de la victoire mondiale du socialisme, l’époque de la pensée Mao tsé-toung.

Troisièmement, nous avons été en mesure de tenir ce Congrès malgré la sévère répression.

Camarades, allons de l’avant.

Les années 70 seront sûrement la décennie de la libération.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: “Boycottons les élections”: la signification internationale de ce slogan (1968)

En 1937, les fascismes allemands, italiens et japonais, les trois détachements avancés de l’impérialisme mondial, conspiraient en vue de se repartager le monde ; les fascismes allemands et italiens firent irruption en Espagne pour soutenir activement le général Franco.

La classe ouvrière mondiale vint soutenir le gouvernement de front uni d’Espagne, et des brigades internationales furent formées, par des gens venant de différents pays.

Mais hélas Franco parvint à écraser la résistance appuyée par les brigades internationales et à imposer sa variété de fascisme en Espagne.

Exactement à la même époque, le Parti Communiste de Chine, mené par le président Mao, libéra un petit territoire, Yenan, qu’il souleva pour combattre le militarisme japonais.

Mais il fit plus encore.

Il écrasa les manoeuvres du militarisme japonais et se mit à créer zone libérée sur zone libérée en soulevant les paysans pauvres dans les régions occupées par les Japonais.

Ces zones libérées non seulement ont tenu bon face aux féroces attaques japonaises, mais assénèrent aussi de rudes coups à l’impérialisme japonais.

A cette époque, le PC de Chine mené par le président Mao dut combattre non seulement l’impérialisme japonais, mais aussi résister au gouvernement réactionnaire du Kuomintang de Tchang Kaïchek.

Survint ensuite la Deuxième Guerre mondiale. Les colonies des anciennes puissances impérialistes s’effondrèrent comme des châteaux de cartes.

Les peuples colonisés virent de leurs propres yeux à quel point les puissances impérialistes soit disant fortes s’échappaient devant l’agression japonaise comme des chiens battus et la queue entre les jambes.

Le fascisme allemand réduisit sous sa botte toutes les puissances impérialiste de toute l’Europe (sauf la Grande Bretagne) grâce à sa technique et sa force militaires supérieures.

Les vieilles puissances impérialistes se montrèrent incapables de faire face à l’assaut du fascisme.

Avec toutes les ressources et toute la richesse industrielle de l’Europe à leur disposition, les fascistes allemands ivres de pouvoir lancèrent une guerre d’agression contre l’Union Soviétique, le seul pays à l’époque où la classe ouvrière détenait le pouvoir.

Le Parti Communiste de l’Union Soviétique mené par le grand Staline se rétablit vite, une fois passé le choc initial de cette traîtresse attaque surprise, et mobilisa le peuple soviétique tout entier, en l’imprégnant de la volonté sacrée de défendre le pays et de pulvériser toutes les prétentions des hordes fascistes allemandes.

La défaite infligée au fascisme allemand lors de la bataille de Stalingrad assura le victoire de l’Union Soviétique sous la direction de Staline.

L’exemple du grand Parti Communiste de Chine inspira les peuples du monde partout où ils étaient opprimés par le fascisme, et ils se soulevèrent les armes à la main pour s’opposer au fascisme et mirent sur pied des bases rurales pour le combattre.

C’est ainsi que le fascisme fut vaincu à l’échelle mondiale.

Après la guerre, alors que les anciens impérialismes tentèrent d’établir à nouveau leur exploitation et leur domination, la colère des peuples du monde colonisé, qui s’était relevé et avait pris conscience de ses propres forces, a pris comme un feu sauvage et les flammes de la lutte armée se sont étendues au travers des colonies et semi-colonies.

A l’époque où le Parti Communiste de Chine dirigé par le président Mao avançait vers des victoires décisives, émergea en inde le mouvement dans le Telengana où, sous la direction des révolutionnaires communistes, une guérilla paysanne fut formée, des centaines de milliers de paysans se soulevèrent avec un esprit de résistance révolutionnaire, et des centaines de villages furent libérés.

La victoire de la grande révolution chinoise et l’établissement de la République Populaire de Chine en 1949 prouva avec une grande clarté la puissance infinie de la Guerre Populaire.

Le Parti Communiste de Chine, basé sur le marxisme-léninisme, pensée mao tsé-toung, établit l’alliance des ouvriers, paysans et autres couches laborieuses sur une base solide et mena le peuple chinois à la victoire le long du chemin de la lutte armée.

Cette victoire enflamma les peuples du monde colonial et la lutte armée commença à se développer fermement dans toutes les colonies de l’Asie du sud-est.

La victorieuse révolution chinoise montre clairement aux peuples des colonies et semi-colonies la voie à suivre pour gagner la victoire.

C’est là que commença l’ère de l’effondrement total de l’impérialisme mondial.

Comme celui-ci approchait de son effondrement final, les directions révisionnistes des Partis Communistes dans le monde commencèrent à trahir les luttes populaires.

A la mort de Staline, la clique renégate des révisionnistes soviétiques usurpa la direction du Parti Communiste de l’Union Soviétique et les cliques renégates du révisionnisme mondial se mirent à travailler de concert en vue de sauver l’impérialisme mondial de la destruction.

Les traîtres renégats d’Inde, masqués en communistes, étaient mortellement effrayés par la victoire de la révolution chinoise et abandonnèrent purement et simplement la lutte au Telengana pour prendre le chemin du parlementarisme.

Après le XXè Congrès du PCUS, la clique des renégats révisionnistes soviétiques, en collusion avec l’impérialisme US, sema la scission et la confusion parmi les peuples des colonies et semi-colonies partout où ils menaient la lutte armée.

Le président Mao avait dit que l’impérialisme mondial était semblable à une maison qui ne reposait que sur un seul pilier, l’impérialisme US, de sorte que la destruction de l’impérialisme US anéantirait l’impérialisme mondial.

C’est la raison pour laquelle la clique traîtresse de Krouchtchev tendit la main pour coopérer avec l’impérialisme US.

Et c’est aussi pourquoi le président Mao nous avertit en 1957 en déclarant que dans cette ère de luttes révolutionnaires en cours, le révisionnisme était le danger principal.

La lutte antirévisionniste à l’échelle mondiale, que le président Mao déclencha en 1962, provoqua une nouvelle vague d’enthousiasme parmi les révolutionnaires marxistes-léninistes du monde entier.

Les PC de chaque pays du monde se mirent à bouillonner de débuts de révolte contre les directions révisionnistes des différents partis, et les révolutionnaires marxistes-léninistes
commencèrent à resserrer leurs rangs.

La lutte anti-impérialiste entra dans une phase nouvelle et supérieure.

Prenant leur place à l’avant-garde de la lutte anti-impérialiste, les combattants héroïques du Vietnam portèrent des coups à l’impérialisme US, pilier solitaire de l’impérialisme mondial. Il devenait clair comme le jour que les jours étaient comptés pour l’impérialisme.

Toute hésitation, si petite soit-elle, à reconnaître la validité de la pensée mao tsé-toung comme marxisme-léninisme de notre époque, ne peut qu’affaiblir la lutte anti-impérialiste.

Parce que cela revient à émousser l’arme grâce à laquelle le révisionnisme doit être combattu.

Le président Mao nous enseigne que nous ne pouvons avancer d’un pouce dans notre attaque contre l’impérialisme si l’on ne frappe pas le révisionnisme.

A l’heure actuelle, alors que l’impérialisme va à l’effondrement final, la lutte révolutionnaire dans chaque pays a pris la forme de la lutte armée ; les révisionnisme soviétique, incapable de maintenir son masque socialiste, a été forcé d’adopter des tactiques impérialistes ; la révolution mondiale est entrée dans une nouvelle et plus haute phase, et le socialisme est en train de marcher inexorablement vers la victoire.

Dans une telle ère, suivre la voie parlementaire signifie un coup d’arrêt à cette marche en avant de la révolution mondiale.

Aujourd’hui, les marxistes-léninistes ne peuvent pas opter pour la voie parlementaire.

Ceci est vrai non seulement pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, mais aussi pour les pays capitalistes.

Dans cette nouvelle ère de révolution mondiale où la victoire a été gagnée dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine, la tâche principale à mener à bien par les marxistes-léninistes du monde entier est d’établir des bases rurales et d’édifier, sur des bases fermes, l’unité des ouvriers, paysans et des autres couches laborieuses au travers de la lutte armée.

Ainsi, les slogans « Boycottons les élections » et « Etablissons des bases rurales et créons des zones de lutte armée », avancés par les révolutionnaires marxistes-léninistes, restent valables pour toute l’époque.

En adhérant à la voie parlementaire, les révolutionnaires du monde entier ont laissé s’accumuler au fur et à mesure une formidable dette de sang.

Le temps est venu de s’acquitter de cette dette de sang.

Des centaines de milliers de martyrs tombés adressent un cri aux révolutionnaires : « Frappez fort l’impérialisme agonisant et balayez-le de la surface de la terre »

Il est temps de reconstruire le monde d’une nouvelle façon !

Notre victoire dans ce combat est certaine !

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: Saisir cette opportunité (1966)

Au cours de ces deux dernières années, les luttes spontanées des jeunes et des étudiants petits-bourgeois ont fait du bruit d’un bout à l’autre de l’Inde. Bien qu’au début, la demande de nourriture fut la revendication principale, progressivement, la revendication de l’expulsion du gouvernement du Congrès est devenue la principale.

Le président Mao a dit : « Les étudiants et les jeunes petits-bourgeois sont un élément de la population et à la fin inéluctable de leur lutte, la lutte des ouvriers et des paysans atteindra un point culminant ». Donc, à peine la lutte des étudiants et des jeunes s’était-elle terminée, que la lutte paysanne a débuté au Bihar.

Des centaines de paysans récoltent et emmènent les produits agricoles. Ils s’emparent des stocks de produits agricoles des propriétaires fonciers mis en réserve. Cette lutte est forcée, dans les jours à venir, de se propager au Bengale occidental et dans d’autres états. Le gouvernement recourt à une violente répression pour réprimer les paysans échauffés. Le président Mao a dit : « Là où il y a de l’oppression, il y a forcément une résistance à son encontre ».

Par conséquent, nous assistons à une résistance spontanée dans les luttes des étudiants et des jeunes. Les paysans du Bihar mènent la résistance spontanément.

Les porte-paroles officiels déclarent sans cesse qu’ils auraient recours à des politiques davantage répressives pour préserver la paix et l’ordre. Donc, la responsabilité de la création consciente des luttes de résistance s’est présentée devant la classe ouvrière révolutionnaire et son parti.

Cette époque est l’époque du mouvement de résistance active. Le mouvement de résistance active déverrouillera le foyer de génie révolutionnaire des masses révolutionnaires. Il propagera la vague révolutionnaire partout en Inde.

Par conséquent, à cette époque, diriger un syndicat légal ou un mouvement d’association paysanne ne peut jamais être la tâche principale des cadres révolutionnaires. Le syndicat ou le mouvement d’association paysanne (Kisan Sabha) ne peuvent pas être la principale force complémentaire à l’époque actuelle de vague révolutionnaire. Il ne serait pas correct de tirer de ceci la conclusion que les syndicats ou les associations paysannes sont devenus démodés.

Car au fond, les syndicats et les Kisan Sabhas sont des organisations permettant d’augmenter l’unité entre les cadres marxistes-léninistes et la classe ouvrière et les masses paysannes. Cette unité ne sera consolidée que quand les cadres marxistes-léninistes avanceront dans le travail de la construction d’un parti révolutionnaire parmi la classe ouvrière et les masses paysannes avec pour tactique le mouvement de résistance révolutionnaire.

La classe ouvrière révolutionnaire et les cadres marxistes-léninistes devront aller de l’avant face aux luttes paysannes pour donner une direction active aux luttes paysannes grâce à la résistance ou aux luttes « de partisans ».

Le gouvernement réactionnaire de l’Inde a adopté la tactique de tuer les masses ; il les tue par inanition, avec des balles. Le président Mao a dit : « C’est leur nature de classe. Ils déclenchent des attaques contre les gens même au risque d’être battus ».

Il y a certains dirigeants qui, confrontés à ces meurtres systématiques, prennent peur et cherchent une protection. A leur sujet, Mao a dit : « Ils sont lâches et indignes du leadership révolutionnaire ».

Il existe un autre groupe de personnes qui font audacieusement face à la mort. Elles tentent de venger chaque meurtre elles seules sont révolutionnaires et ce sont elles qui peuvent montrer la voie aux masses.
Le gouvernement pourrait en apparence avoir l’air puissant parce qu’il a entre ses mains de la nourriture et des armes. Le peuple n’a pas de nourriture ; il est non armé. Mais c’est l’unité et l’esprit ferme de ces masses non armées qui écraseront toute l’arrogance de la réaction et feront de la révolution un succès. Donc le président Mao a dit : « La force réactionnaire est en fait un tigre de papier ».

A l’heure actuelle, notre tâche principale sera basée sur trois slogans principaux.

Premièrement, l’unité des ouvriers et des paysans. Cette unité ne signifie pas que les ouvriers et les masses petites-bourgeoises ne donneront qu’un soutien moral au mouvement paysan.

Ce slogan signifie que la prise de conscience que les paysans étant la force principale de la révolution dans un pays semi-colonial et semi-féodal tel que l’Inde, l’unité des paysans et des ouvriers ne peut s’accroître que sur base de la lutte de classe.

Donc, sur la question de la prise du pouvoir d’état, le président Mao a dit : « C’est la zone libérée dans les campagnes qui est l’application concrète de l’unité ouvriers-paysans ».

Donc, c’est aux ouvriers, et tout particulièrement aux masses petites-bourgeoises de s’occuper de développer le mouvement paysan pour construire des zones libérées.

Donc, au sujet du mouvement, le président Mao a dit aux étudiants et aux jeunes petits-bourgeois : « Qu’ils soient des révolutionnaires ne peut être déterminé que par à quel point ils se font participants au mouvement ». Ceux qui ne prendront pas part à ce mouvement risquent de devenir des réactionnaires.

Deuxièmement, le mouvement de résistance révolutionnaire, la lutte armée. Le gouvernement réactionnaire de l’Inde a déclaré la guerre à toutes les luttes de revendications démocratiques des masses.

A l’intérieur de l’Inde, il a créé un terrain de jeu pour l’exploitation féodale et impérialiste, et dans sa politique extérieure, il a transformé l’Inde en une base de la réaction en collaboration avec l’impérialisme et les révisionnistes modernes.

La population de l’Inde est devenue rebelle contre cette situation intolérable. Dans cette situation, le mouvement de résistance révolutionnaire ou la lutte de partisan armée du parti marxiste-léniniste révolutionnaire contre la réaction et le mouvement de résistance passive du parti révisionniste sont devenus aujourd’hui la part principale de la politique du parti.

Par conséquent, chaque membre du parti et chaque cadre révolutionnaire devra s’emparer de cette tactique de lutte.

Il faut qu’ils apprennent à l’appliquer et à tempérer l’esprit révolutionnaire des masses grâce à la propagande parmi les masses. Le succès de la lutte dépend de jusqu’où nous pouvons populariser la politique de la lutte armée par l’entremise de sa propagande parmi les masses.

Troisièmement, la construction d’un parti révolutionnaire. Dans la situation révolutionnaire en Inde aujourd’hui, notre organisation de parti n’est pas capable de fournir un leadership.

Sans être solide dans la théorie, clair dans la politique et sans une base de masse en ce qui concerne l’organisation, il est impossible de fournir un leadership dans l’époque révolutionnaire d’aujourd’hui.

1. Sur la question théorique : − Il ne faut pas oublier que la direction du parti du premier état socialiste du monde, l’Union Soviétique, a été capturée par une clique révisionniste. En conséquence, l’influence révisionniste s’est abattue sur les partis communistes de différents pays du monde. Dans notre pays aussi, on a senti la nécessité de constituer un parti séparé alors que cette influence révisionniste était ressentie. Et en conséquence de cela, un parti séparé fut formé au 7ème congrès.

La création d’un parti séparé ne veut pas dire que le combat contre le révisionnisme est terminé. Le révisionnisme parle de lutter contre l’impérialisme, le féodalisme et la force réactionnaire mais dans les actes, il élargit la voie de la collaboration avec ces forces. Le marxisme-léninisme s’oppose fermement à ces forces, venge la moindre de leur attaque et seule la mobilisation des masses par l’intermédiaire d’une lutte très longue détruit ces forces réactionnaires.


Les vieilles idées deviennent manifestes quand (I) on n’accepte pas le leadership du grand parti chinois contre les révisionnistes internationaux ; (II) on n’accepte pas les nouvelles forces en voie de développement ; (III) on ne fait pas réaliser à la classe ouvrière cette nouvelle prise de conscience ; (IV) on n’aide pas la lutte de la paysannerie, qui est l’alliée principale de la classe ouvrière.

2. Politique : − Il faut voir la Révolution Démocratique Populaire comme la tâche du moment. Le président Mao a dit : « Aucune force mourante n’abandonne son pouvoir facilement : la libération est au bout du fusil ».

Donc dans notre politique, l’élément principal sera la lutte armée pour la prise du pouvoir. Le peuple a déclenché cette lutte armée spontanément. Le but principal de notre politique sera de mettre cette lutte armée en place consciemment sur une base de masse.

Les trois points fondamentaux sont, (I) l’unité ouvrier-paysan sous la direction de la classe ouvrière, (II) mettre consciemment en place la lutte armée sur une base de masse, et (III) établir fermement le leadership du parti communiste.

Il est impératif de ne laisser de côté aucune de ces trois tâches. Cette politique devra être propagée abondamment parmi les masses.

3. Organisationnelle : − La base de masse du parti devra être élargie. Nous avons vu au cours de ces quelques dernières années des milliers de cadres militants venir pour se joindre au travail de l’organisation pendant différents mouvements et luttes, tenter de donner une direction aux luttes, mais aussitôt que le mouvement s’interrompt, ils deviennent de nouveau inactifs.

Aujourd’hui, à l’heure de la vague révolutionnaire, les habitants de nombreuses régions arriérées se présentent sur le chemin des luttes, et c’est à travers ces luttes que beaucoup de jeunes cadres militants se joignent au travail de l’organisation. Si nous pouvons former ces cadres à notre théorie et politique révolutionnaires, le parti peut acquérir sa base de masse.

Nous devons commencer à travailler avec assurance à rassembler ces cadres et à constituer des groupes secrets avec eux. Ces groupes-cadres dirigeront la propagande politique et serviront d’unités de la lutte armée.

La puissance de frappe du parti est dépendante du point jusqu’auquel nous sommes capables de constituer de plus en plus de ces groupes parmi les ouvriers et les paysans. Il faut assurément garder secret avec qui nous constituons les groupes et les détails organisationnels comme l’abri, les dépôts, etc. Mais nos théories, nos politiques et le slogan de la création du parti ne doivent jamais être cachés.

A l’heure de la lutte armée, toutes les unités de parti doivent être des participantes à la lutte armée et être des leaders autonomes.

Les élections générales arrivent. Durant ces élections, le peuple mécontent désire écouter et écoutera les politiques. Avant les élections, chaque parti essayera de propager sa politique parmi les masses.

Nous devons profiter de ces élections pour propager notre politique. Ne nous laissons pas embrouiller par le slogan mensonger d’un gouvernement démocratique non-congressiste.

Nous devons courageusement amener aux masses la politique de notre Révolution Démocratique Populaire c’est à dire la politique d’une unité ouvrier-paysan sous la direction de la classe ouvrière, d’une lutte armée et de l’instauration du leadership du parti.

Si nous profitons entièrement de ceci, il ne sera possible pour aucun dirigeant de gauche de s’opposer à nous. Nous devons profiter pleinement de cette opportunité.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: Faire progresser la lutte paysanne en combattant le révisionnisme (1966)

Dans la période post-électorale, nos inquiétudes se révèlent justes par les actions de la direction du Parti elle-même. Le Politburo nous a ordonné de « poursuivre la lutte pour défendre les ministères non-congressistes contre la réaction ». Ceci laisse entendre que la tâche principale des marxistes n’est pas d’intensifier la lutte de classe, mais de plaider en faveur du cabinet.

Par conséquent, une convention de membres du parti fut réunie pour établir fermement l’économisme au sein de la classe ouvrière. Immédiatement après, un accord pour une trêve dans l’industrie fut signé à l’initiative du cabinet.

Il fut demandé aux ouvriers de ne pas recourir aux gheraos. Qu’est-ce qui pourrait être une manifestation plus flagrante de collaboration de classe ? Après avoir donné aux employeurs les pleins droits pour exploiter, on demande aux ouvriers de ne mener aucune lutte.

Immédiatement après que le Parti Communiste ait rejoint le gouvernement qui fut installé des suites d’un formidable mouvement de masse, la voie de la collaboration de classe fut choisie. Les dirigeants chinois ont prédit il y a longtemps que ceux qui étaient restés neutres dans le débat international prendraient très rapidement la voie de l’opportunisme.

Maintenant, les dirigeants chinois disent que ces avocats de la position neutre sont en fait révisionnistes et qu’ils devraient rapidement passer au camp réactionnaire.

Dans notre pays, nous faisons l’expérience de combien cette prédiction est exacte. Nous avons été témoins de la trahison de la classe ouvrière. A ceci, il faut ajouter l’annonce du dirigeant du Parti Communiste, Harekrishna Konar.

Au début, il a promis que toutes les terres acquises seraient distribuées parmi les paysans sans terre. Puis, la quantité de terre qui devait être distribuée fut radicalement réduite. En fin de compte, il a averti que l’arrangement existant ne serait pas appliqué cette année.

La remise du revenu foncier fut laissée à la merci des Junior Land Reforms Officers (JLRO). On a montré aux paysans comment soumettre des requêtes.

De plus, on leur a dit que la prise de la terre par la force ne serait pas autorisée. Harekrishna Babu n’est pas seulement membre du Comité central du Parti Communiste, il est également le secrétaire du Krishak Sabha au Bengale occidental.

C’est en réponse à l’appel du Krishak Sabha dont il est à la tête que les paysans avaient mené une lutte pour la récupération des terres acquises et benami en 1959.

[Terre benami : terres cultivées en prête-nom, occupée illégalement par son propriétaire en violation des lois des états établissant un plafond sur la superficie maximale autorisée par personne, ndlr]

Dans l’intérêt des propriétaires terriens, le gouvernement a recouru à la répression et a statué en faveur de l’expulsion, cependant, dans de nombreux cas, les paysans n’ont pas renoncé à la jouissance de la terre et sont restés sur la terre grâce à l’unité villageoise.

Le dirigeant du Krishak Sabha a-t-il soutenu leur mouvement après être devenu ministre ? Non. La signification de ce qu’il avait dit est que la terre acquise serait redistribuée. Qui la recevra ? Sur ce point, les JLRO devaient demander l’avis du Krishak Sabha. Mais un tel avis serait-il accepté ? Aucune assurance de cette sorte n’a été donnée par Harekrishna Babu.

Mais si les JLRO rejettent l’avis du Krishak Sabha, les paysans ne seraient en aucun cas autorisés à occuper la terre de force.
Harekrishna Babu n’a pas perdu de temps pour bien se faire comprendre sur ce point. Qu’est-ce ? N’est-ce pas se comporter comme un agent de recouvrement du gouvernement et des jotedars ?

[Le jotedar est un riche paysan qui loue ses terres à des métayers. Il s’agit d’un personnage qui incarne parfaitement le féodalisme. C’est donc un propriétaire terrien qui loue − principalement oralement et sans preuve écrite − la terre à un paysan qui la cultive sur base d’une répartition des récoltes. En plus d’une part des récoltes (souvent plus de 50%), les jotedars extorquaient d’autres paiements aux métayers, tels que notamment des intérêts exorbitants sur leur prêt qui était soumis à continuelle révision, ndlr].

Même les membres du Congrès n’auraient pas osé plaider en faveur des classes féodales si ouvertement. Par conséquent, obéir aux instructions des dirigeants du parti signifierait admettre aveuglément l’exploitation et l’autorité des classes féodales.

Donc, il est de la responsabilité des communistes de révéler le rôle anti-classe et réactionnaire de ces dirigeants aux membres du parti et au peuple, de se raccrocher au principe d’intensification de la lutte de classe et d’aller de l’avant.

Supposons que les paysans sans terre et les paysans pauvres acceptent la proposition de Harekrishna Babu et soumettent des requêtes. Que se passera-t-il ensuite ?

Certaines des terres acquises sont sans doute en jachère, mais la majeure partie sont des terres cultivables. Il y a des paysans qui sont en possession d’une telle terre. Aujourd’hui, ils jouissent de la terre en vertu de permis. Ou ils donnent une quote-part aux jotedars.

Lorsque cette terre sera redistribuée, cela occasionnera inévitablement des frictions parmi les paysans pauvres et les paysans sans terre.

Profitant de ceci, les paysans riches assoiront leur leadership sur le mouvement paysan tout entier parce qu’alors que le paysan riche a des possibilités de prospection, il est également partenaire de l’influence féodale.

Par conséquent, Harekrishna Babu ne tente pas seulement de renoncer à la voie de la lutte aujourd’hui, mais il prend également des mesures afin que la lutte paysanne ne puisse pas non plus devenir militante à l’avenir.

Toutefois, nous avons adopté le programme d’une révolution démocratique populaire et la tâche de cette révolution est de mettre en œuvre des réformes agraires dans l’intérêt des paysans. La réforme agraire dans l’intérêt des paysans ne sera possible que quand nous serons en mesure de mettre un terme à l’emprise des classes féodales sur les régions rurales.

Pour faire ceci, nous devons saisir la terre des classes féodales et la distribuer parmi les paysans sans terre et les paysans pauvres. Nous ne serons jamais capables de faire ceci si notre mouvement est enfermé dans les limites de l’économisme.

Dans toutes les régions où il y a eu un mouvement pour la terre acquise, d’après notre expérience, le paysan qui a obtenu une terre acquise et garanti le permis n’est plus actif dans le mouvement paysan. Quelle en est la raison ? C’est parce que la classe du paysan pauvre a changé en moins d’un an – il est devenu un paysan moyen.

Par conséquent, les revendications économiques des paysans pauvres et des paysans sans terre ne sont plus ses revendications. Donc, l’économisme occasionne une brèche dans l’unité des paysans combattants et rend les paysans pauvres et les paysans sans terre frustrés. Les défenseurs de l’économisme jugent chaque mouvement par la quantité de riz non décortiqué dans les maunds ou de terre dans les bighas qu’obtient le paysan.

[maunds : nom anglicisé d’une unité de masse datant de la domination britannique. Bighas : unité de mesure de la terre et standardisée par les Britanniques, correspondant à 5/8ème d’acre, c’est à dire 0,13 hectare. Principalement utilisée au Bengale occidental, ou du moins à ces valeurs, ndlr].

Que la conscience combative du paysan se soit renforcée ou pas n’est jamais leur critère de jugement. Donc, ils ne font aucun effort pour élever la conscience de classe du paysan. Pourtant, nous savons qu’aucune lutte ne peut être menée sans faire de sacrifices. Le président Mao nous a enseigné que là où il y a lutte, il y a sacrifice.

Au stade initial de la lutte, la force de la réaction doit être plus grande que la force des masses. Par conséquent, la lutte sera prolongée. Puisque les masses sont la force progressiste, leur force augmentera jour après jour, mais étant donné que les forces réactionnaires sont moribondes, leur force déclinera sans interruption.

Donc, aucune lutte révolutionnaire ne peut être victorieuse sans que les masses ne soient incitées à faire des sacrifices. D’après cette conception révolutionnaire fondamentale, l’économisme amène à l’impasse de la conception bourgeoise.

C’est ce que les dirigeants tentent d’accomplir par leurs activités. Un examen de toutes nos luttes paysannes passées indiquera que les dirigeants du parti ont imposé des compromis venus d’en haut aux paysans. Pourtant, il était de la responsabilité des dirigeants du parti d’asseoir le leadership combattant de la classe ouvrière sur le mouvement paysan. Ils ne l’ont pas fait avant, ils ne font pas même maintenant.

Maintenant, ils suggèrent d’avoir confiance en les lois et la bureaucratie. Lénine a dit que même si une loi progressiste est promulguée mais que la bureaucratie reçoit la responsabilité de l’appliquer, les paysans n’obtiendront rien. Par conséquent, nos dirigeants se sont très fort éloignés de la voie révolutionnaire.

La révolution agraire est la tâche du moment ; on ne peut pas ne pas accomplir cette tâche, et sans faire ceci, rien de bon ne peut être fait pour les paysans. Mais avant de procéder à la révolution agraire, la destruction du pouvoir d’état est requise.

Se battre pour la révolution agraire sans la destruction du pouvoir d’état équivaut à du pur révisionnisme. Donc, la destruction du pouvoir d’état est aujourd’hui la première et principale obligation du mouvement paysan.

Si ceci ne peut pas être effectué à l’échelon du pays, à l’échelon de l’état, les paysans attendront-ils en silence ? Non, le marxisme-léninisme pensée Mao Zedong nous a enseigné que si, dans une quelconque région, les paysans peuvent être stimulés d’un point de vue politique, alors il faut que nous mettions à exécution la tâche de la destruction du pouvoir d’état dans cette région.

C’est cela que l’on appelle une zone paysanne libérée. La lutte pour créer cette zone libérée est la tâche la plus urgente du mouvement paysan aujourd’hui, une tâche de l’instant présent.

Que devons-nous appeler zone libérée ?

Nous devons qualifier de zone libérée une zone de laquelle nous avons pu renverser les ennemis de classe. Pour créer cette zone libérée, nous avons besoin de la force armée des paysans. Lorsque nous parlons de cette force armée, nous avons en tête les armes fabriquées par les paysans. Donc, nous voulons aussi des fusils.

Que les paysans se soient présentés pour rassembler des armes ou pas est la base sur laquelle nous jugerons s’ils ont été soulevés politiquement. D’où les paysans obtiendront-ils des fusils ? Les ennemis de classe ont des fusils et ils vivent dans le village. Les fusils doivent leur être retirés de force. Ils ne nous cèderont pas leurs fusils volontairement. C’est pour cette raison que nous devrons nous emparer de leurs fusils par la force.

Pour ceci, il faudra apprendre toutes les tactiques aux paysans militants depuis la mise à feu des maisons des ennemis de classe. En outre, nous obtiendrons les fusils des forces armées du gouvernement en les attaquant subitement.

La région dans laquelle nous serons en mesure d’organiser cette campagne de collecte de fusils se transformera rapidement en zone libérée. Donc, pour s’acquitter de cette tâche, il est nécessaire de propager abondamment parmi les paysans la politique d’édification de la lutte armée.

De plus, il est nécessaire d’organiser de petits groupes militants secrets pour diriger la campagne de collecte de fusils.

En même temps que la propagation de la politique de la lutte armée, les membres de ces groupes tenteront de mettre en place avec succès un programme spécifique de collecte de fusils. La simple collecte de fusils ne transforme pas la nature de la lutte – les fusils rassemblés doivent être utilisés. Ce n’est qu’alors que la capacité créative des paysans se développera et que la lutte subira un changement qualitatif.

Ceci ne peut être effectué que par les paysans pauvres et les paysans sans terre, les grands alliés de la classe ouvrière. Le paysan moyen est aussi un allié, mais sa conscience combative n’est pas aussi intense que celle des paysans pauvres et des paysans sans terre.

Par conséquent, il ne peut pas prendre part à la lutte dès le début – il a besoin d’un certain temps. C’est la raison pour laquelle l’analyse de classe est une tâche fondamentale pour le Parti Communiste. C’est pour cette raison que le grand dirigeant de la Chine, le président Mao Zedong, s’était occupé de cette tâche d’abord et fut à même d’indiquer infailliblement la voie de la lutte révolutionnaire.

Donc, le premier but de notre travail organisationnel est d’instaurer le leadership des paysans pauvres et des paysans sans terre dans les mouvements paysans. Le leadership des paysans pauvres et des paysans sans terre s’établira au cours de l’organisation du mouvement paysan sur base de la politique de la lutte armée.

Parce que des classes paysannes, ce sont les plus révolutionnaires. Une organisation distincte des ouvriers agricoles ne servira pas cette tâche. Une organisation distincte des ouvriers agricoles encourage plutôt la tendance au mouvement syndical fondé sur l’économisme et intensifie les conflits entre les paysans.

L’unité des classes alliées n’est pas renforcée parce que, dans notre système agricole, l’exploitation des classes féodales est au premier plan. Une autre question qui se pose dans ce contexte est celle du compromis avec les petits propriétaires.

Quelle devra être l’attitude des communistes à cet égard ?

Pour ce qui concerne les compromis, nous devrons réfléchir à qui nous soutenons. Et dès lors, nous ne pourrons soutenir aucune autre classe contre eux. Dans le mouvement paysan (en Inde), les communistes ont toujours été contraints à renoncer aux intérêts des paysans pauvres et des paysans sans terre dans l’intérêt de la petite-bourgeoisie. Ceci mine la détermination combative des paysans pauvres et des paysans sans terre.

Quant aux paysans riches et aux paysans moyens, nous devrions aussi avoir une position différente. Si nous considérons les paysans riches de la même manière que les paysans moyens, les paysans pauvres et les paysans sans terre seront contrariés.

Là encore, si nous considérons les paysans moyens de la même manière que les paysans riches, l’enthousiasme combatif des paysans moyens diminuera. Par conséquent, il faut que les communistes apprennent à faire une analyse de classe des paysans dans chaque région suivant les enseignements du président Mao.

Maintes et maintes fois, l’agitation parmi les paysans de l’Inde a surgi. Ils ont à plusieurs reprises demandé conseil au Parti Communiste. Nous ne leur avons pas dit que la politique de la lutte armée et la compagne de collecte de fusils constituent la seule voie.

Cette voie est la voie de la classe ouvrière, la voie de la libération, la voie pour la création d’une société sans exploitation. Dans tous les états à travers l’Inde, les paysans sont aujourd’hui en état de troubles, il faut que les communistes leur montre la voie. Cette voie est celle de la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte d’armes. Nous devons maintenir avec fermeté cette seule et unique voie vers la libération.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne de la Chine a déclaré la guerre à tous les types d’égoïsme, de mentalité de groupe, de révisionnisme, de suivisme de la bourgeoisie, d’éloge de l’idéologie bourgeoise − l’impact flamboyant de cette révolution a aussi atteint l’Inde.

L’appel de cette révolution est – « Préparez-vous à résolument faire toutes sortes de sacrifices, à écarter un par un les obstacles le long de la voie, la victoire sera nôtre ». Si atroce soit l’aspect de l’impérialisme, si vilain soit le piège posé par le révisionnisme, les jours des forces réactionnaires sont comptés, les rayons de soleil éclatants du marxisme-léninisme pensée Mao Zedong effaceront toute l’absurdité.

Donc naturellement, la question se pose : A cette époque, la lutte de masse paysanne sur base de revendications partielles est-elle inutile ? Le besoin existe assurément et existera également à l’avenir.

C’est parce que l’Inde est un vaste pays et aussi que les paysans sont divisés en un grand nombre de classes que la conscience politique ne peut pas être au même niveau dans toutes les régions et parmi toutes les classes. Par conséquent, il y aura toujours la perspective et la possibilité d’un mouvement de masse paysan basé sur des revendications partielles et les communistes devront toujours tirer pleinement parti de cette possibilité.

Quelle tactique devrons-nous adopter pour mener les mouvements basés sur des revendications partielles et quel devra être son objectif ?

L’objet de base de notre tactique dépend de si oui ou non la large classe paysanne s’est ralliée et notre objectif fondamental devra être la conscientisation de classe des paysans − qu’ils aient progressé le long de la voie de la lutte armée globale.

Les mouvements basés sur des revendications partielles intensifieront la lutte de classe. La conscience politique des larges masses devra être élevée. Les larges masses paysannes devront être incitées à faire des sacrifices, la lutte se propagera vers d’autres régions.

Les mouvements basés sur des revendications partielles pourraient prendre n’importe quelle forme mais les communistes devront toujours propager parmi les masses paysannes la nécessité de formes supérieures de lutte.

Les communistes ne devront en aucun cas admettre le type de lutte acceptable pour les paysans comme étant le meilleur type de lutte. En réalité, les communistes devront toujours poursuivre parmi les paysans la propagande en faveur des politiques révolutionnaires, c’est-à-dire la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte de fusils.

En dépit de cette propagande, il est possible que les paysans décident de continuer les délégations de masse et nous devrons conduire ce mouvement. En des temps de terreur blanche, il ne faut vraiment pas sous-estimer l’efficacité d’une telle délégation de masse, parce que ces délégations de masse attireront de plus en plus les paysans dans la lutte. Il ne faut jamais condamner les mouvements basés sur des revendications partielles, mais c’est un crime de diriger ces mouvements à la manière de l’économisme.

En outre, c’est un crime de proclamer que les mouvements basés sur des revendications économiques prendront automatiquement la forme de la lutte armée car cela correspond à avoir le culte de la spontanéité.

De tels mouvements peuvent indiquer la voie aux masses, aider à développer la clarté de la position, motiver à faire des sacrifices. A

chaque stade de la lutte, il n’y a qu’une seule tâche. A moins que cette tâche ne soit effectuée, la lutte n’atteindra pas le stade supérieur. En cette période, cette tâche particulière est la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte de fusils.

Quoi que nous fassions, sans effectuer cette tâche, la lutte ne sera pas élevée au stade supérieur. La lutte s’effondrera, l’organisation s’écroulera, l’organisation ne s’agrandira pas. De la même façon, il n’y a qu’une seule voie de la révolution en Inde, la voie indiquée par Lénine – bâtir les forces armées populaires et la république.

Lénine, en 1905, a dit que ces deux tâches devaient être exécutées partout où cela était possible, même si ceci n’était pas faisable pour la Russie entière. Le président Mao a enrichi cette voie indiquée par Lénine. Il a enseigné la tactique de la guerre populaire et, en suivant cette voie, la Chine est parvenue à la libération.

Aujourd’hui, cette voie est suivie au Vietnam, en Thaïlande, en Malaisie, aux Philippines, en Birmanie, en Indonésie, au Yemen, à Léopoldville au Congo, dans différents pays d’Afrique et d’Amérique Latine.

Cette voie a également été adoptée en Inde, la voie de la création des forces armées populaires et l’autorité du front de libération qui est suivi dans les régions Naga, Mizo et au Cachemire. Donc il faudra prier la classe ouvrière et lui dire qu’elle doit diriger la révolution démocratique de l’Inde. Et la classe ouvrière devra s’acquitter de cette tâche en procurant un leadership à la lutte de son plus ferme allié, la paysannerie.

Par conséquent, il est de la responsabilité de la classe ouvrière d’organiser le mouvement paysan et de l’élever au stade de la lutte armée. Il faudra que l’avant-garde de la classe ouvrière aille dans les villages pour prendre part à la lutte armée.

C’est la tâche principale de la classe ouvrière. « Amasser des armes et créer des bases de lutte armée dans les régions rurales » − cela s’appelle la politique de la classe ouvrière, la politique de la prise du pouvoir. Nous devrons stimuler la classe ouvrière sur base de cette politique.

Organiser tous les ouvriers dans des syndicats − ce slogan n’élève pas la conscience politique de la classe ouvrière. Ceci ne veut assurément pas dire que nous ne devrons plus organiser de syndicats. Cela signifie que nous ne devrons pas laisser les ouvriers révolutionnaires du parti s’embourber dans des activités syndicales − leur tâche serait de diriger la propagande politique parmi la classe ouvrière, c’est-à-dire de propager la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte des fusils et de bâtir l’organisation du parti.

Parmi la petite-bourgeoisie aussi, notre tâche principale est la propagande politique et la propagande de l’importance de la lutte armée.

C’est-à-dire que sur chaque front, la responsabilité du parti est d’exposer l’importance de la lutte paysanne et d’appeler à la participation dans cette lutte.

Dans la mesure où nous exécutons cette tâche, nous atteindrons le stade de leadership conscient dans la révolution démocratique. L’opposition à cette voie marxiste-léniniste fondamentale du parti ne vient pas seulement des révisionnistes.

Les révisionnistes prennent la voie de la collaboration de classe sur le champ, donc il est facile de les démasquer. Mais il y a, à l’intérieur du parti, un autre type d’opposition : ils reconnaissent que la révolution ne peut qu’être effectuée par la lutte armée.

Mais ils imaginent que la voie de la lutte armée ne peut être prise qu’en propageant le mouvement de masse démocratique partout en Inde.

Avant cela, de petits ou même de gros affrontements ont lieu mais la prise du pouvoir n’est pas possible. Ils espèrent qu’en ce qui concerne la prise du pouvoir, l’Inde passera par une variante de la révolution d’octobre.

Pour l’Inde, ils appliquent mécaniquement leur savoir livresque sur la manière par laquelle la révolution d’octobre a réussi. Ils oublient qu’avant la révolution d’octobre, il y a eu la révolution de février ; les partis bourgeois avaient accédé au pouvoir et les soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats avaient aussi du pouvoir entre les mains.

En raison de l’existence de cette double autorité, le leadership de la classe ouvrière est devenu effectif et ce n’est que quand les soviets des partis petits bourgeois ont cédé le pouvoir à la bourgeoisie qu’il est devenu possible pour la classe ouvrière d’accomplir la révolution d’octobre.

Ils ne font pas l’analyse des conditions objectives de l’Inde. Ils ne tirent pas de leçons des luttes qui sont menées en Inde. La raison principale du succès de la révolution russe fut l’application correcte de la tactique de front uni. La question du front uni est tout aussi importante en Inde.

Mais dans la forme, la tactique de la révolution démocratique de l’Inde sera différente. En Inde aussi, au Naga, au Mizo, au Cachemire et dans d’autres régions, les luttes sont menées sous une direction petite-bourgeoise.

C’est pour cette raison que dans la révolution démocratique, la classe ouvrière devra aller de l’avant en formant un front uni avec elle. Des luttes éclateront dans un grand nombre de nouvelles autres régions sous le leadership de partis bourgeois ou petits-bourgeois. La classe ouvrière s’alliera avec eux et la base principale de cette alliance sera la lutte anti-impérialiste et le droit à l’autodétermination. La classe ouvrière reconnait forcément ce droit, en même temps que le droit de sécession.

Bien que ceux qui rêvent de révolution en Inde le long de la voie de la révolution d’octobre soient des révolutionnaires, ils ne sont pas capables d’assurer un leadership vigoureux en raison de leur conception doctrinaire.

Ils ne se rendent pas compte de l’importance des luttes paysannes et deviennent ainsi inconsciemment des propagandistes de l’économisme au sein de la classe ouvrière. Ils sont incapables d’assimiler les expériences des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine.

Une partie d’entre eux devient des disciples de Che Guevara et échoue à souligner l’obligation d’organiser les paysans, force principale de la révolution démocratique de l’Inde. C’est pourquoi ils deviennent inévitablement victimes de déviation de gauche.

Nous devrons donc leur prêter une attention toute particulière et les aider à s’instruire eux-mêmes. Il ne faut en aucun cas que nous soyons intolérants à leur égard.

En outre, il y a parmi nous un groupe de camarades révolutionnaires qui acceptent le parti chinois et la pensée du grand Mao Zedong et qui accepte également cela comme l’unique voie. Mais ils considèrent le livre « Pour être un bon communiste » [publié par Liu Shaoqi, ndlr] comme l’unique chemin vers la culture de soi et sont par conséquent amenés à une grave déviation.

Le seul chemin marxiste vers la culture de soi enseigné par Lénine et le président Mao est la voie de la lutte armée. Ce n’est qu’en trempant dans le feu de la lutte de classe qu’un communiste peut devenir de l’or pur. La lutte de classe est la véritable école des communistes et la pratique de la lutte de classe doit être contrôlée à la lumière du marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong et des leçons doivent être tirées.

Par conséquent, l’objet principal de l’éducation du parti est d’appliquer des enseignements du marxisme-léninisme dans la lutte de classe, d’atteindre des principes généraux sur base de cette expérience et de rapporter au peuple les principes résumés à partir de l’expérience.

C’est cela qu’on appelle « à partir du peuple vers le peuple ». Ceci est l’objet fondamental de l’éducation du parti. Ces camarades révolutionnaires sont incapables de comprendre cette vérité essentielle de l’éducation du parti.

En conséquence, ils commettent des déviations idéalistes en ce qui concerne l’éducation du parti. Le président Mao Zedong nous a enseigné qu’il ne peut y avoir aucune éducation en dehors de la pratique. Selon ses mots, « faire est apprendre ». La culture de soi n’est possible que dans le processus de changement des conditions existantes grâce à la pratique révolutionnaire.
Révolutionnaires du monde, unissez-vous !

Vive l’unité révolutionnaire des ouvriers et des paysans !
Vive le président Mao Zedong !

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: Quelles perspectives l’année 1965 indique-t-elle ?

1965

Il y a certains camarades qui s’effrayent à la mention des luttes armées, et qui continuent à y voir le spectre de l’aventurisme. Ils pensent que le travail de construction d’un parti révolutionnaire s’est clôturé avec l’adoption même du programme, en d’autres termes, avec l’adoption du programme consistant en les documents stratégiques du septième congrès du parti.

Ils sont simplement parvenus à la décision d’après certaines résolutions sur les mouvements adoptées au congrès du parti.

Comme si en plus du stade actuel de la révolution et de la composition de classe, la tactique de l’époque actuelle avait également été décidée au septième congrès. Selon leurs mots, il semble que le mouvement de masse pacifique soit la tactique principale de la lutte de l’époque actuelle.

Bien qu’ils n’affirment pas ouvertement la tactique de transition pacifique vers le socialisme de Khrouchtchev, ce qu’ils veulent dire revient presque à la même chose. Ils veulent dire qu’il n’y a aucune possibilité de révolution en Inde dans un avenir prochain.

Par conséquent, en ce moment, nous devons progresser selon la voie pacifique. A une époque de lutte mondiale contre le révisionnisme, ils ne peuvent pas formuler ouvertement de décisions révisionnistes. Mais ils injurient d’aventuristes et d’espions de la police tous ceux qui parlent de lutte armée.

Jusqu’à présent, même si nous excluons le mouvement de masse du Cachemire, le gouvernement a tué au moins 300 personnes au cours des huit derniers mois, le nombre de prisonniers a augmenté pour atteindre plusieurs milliers, et l’un après l’autre, les états ont été secoués par des mouvements de masse. Quels programmes dressons-nous devant ces agitateurs ? Rien !

D’autre part, nous rêvons que sous notre leadership se développeront des mouvements de masse pacifiques organisés. Ceci même est un exemple éhonté de révisionnisme. Nous sommes toujours incapables de nous rendre compte qu’à l’époque actuelle, nous ne pouvons pas bâtir de mouvements de masse pacifiques. Car la classe dirigeante ne nous donnera pas, et ne nous donne pas non plus, une telle occasion.

Nous aurions dû tirer cette leçon précise du mouvement de résistance aux tarifs du tram. Mais nous ne tirons pas cette leçon. Nous sommes devenus inquiets à l’idée d’organiser des mouvements satyagraha [mouvement non-violent de désobéissance civile, ndlr], nous ne réalisons pas qu’à l’époque actuelle, ce mouvement satyagraha est forcé d’échouer. Cela ne signifie pas que les mouvements satyagraha sont tout à fait démodés aujourd’hui.

Tous les genres de mouvements doivent être poursuivis en tout temps ; mais la forme du mouvement principal dépend de la classe dirigeante. La caractéristique actuelle de notre époque est que le gouvernement combat chaque mouvement par des attaques violentes. Donc pour le peuple, le mouvement de résistance armé est apparu comme l’impératif le plus important.

Par conséquent, dans l’intérêt des mouvements de masse, il faut lancer l’appel à la classe ouvrière, aux paysans combattants et à toutes les personnes combatives : (1) Prendre les armes ; (2) Créer des unités armées pour l’affrontement ; (3) Éduquer politiquement chaque unité armée. Ne pas lancer cet appel signifie pousser, sans aucune considération, les masses non armées vers la mort.

C’est ce que souhaite la classe dirigeante car de cette façon, elle peut briser la force d’esprit des masses combattantes. Les masses excitées attaquent aujourd’hui les gares, les commissariats, etc. D’innombrables agitations explosent contre des bâtiments gouvernementaux, ou des bus, trams et trains.

C’est comme ce mouvement des Luddites contre les machines. Les révolutionnaires devront donner une direction consciente ; protester contre les détestés bureaucrates, contre les employés de police, contre les officiers de l’armée ; il faut enseigner au peuple − la répression n’est pas exécutée par les commissariats, mais par les agents à la tête des commissariats ; les attaques ne sont pas ordonnées par les bâtiments gouvernementaux ni les transports, mais par les hommes de l’appareil répressif étatique, et c’est contre ces hommes que nos attaques sont dirigées.

Il faut apprendre à la classe ouvrière et aux masses révolutionnaires qu’elles ne doivent pas attaquer simplement pour le plaisir d’attaquer, mais qu’elles doivent achever la personne qu’elles attaquent.
Car si elles ne font qu’attaquer, l’appareil réactionnaire se vengera.

Mais si elles liquident, tous ceux de l’appareil répressif étatique seront pris de panique. Nous ne devons pas oublier l’enseignement de Mao Zedong : « L’arsenal de l’ennemi est notre arsenal ».

Pour bâtir cet arsenal, il faut que la classe ouvrière prenne l’initiative. Il faut qu’elle indique la voie aux paysans dans les villages, et à l’avenir, ces mêmes unités armées seront transformées en forces de guérilla.

Si ces unités armées sont également formées à l’éducation politique, elles peuvent elles-mêmes créer des zones de base pour les luttes dans les campagnes. Ce n’est que grâce à cette méthode que nous pouvons faire de la Révolution Démocratique Populaire un succès.

En constituant ces unités combattantes parmi la classe ouvrière et les classes révolutionnaires, nous serons en mesure de créer ce parti révolutionnaire, le parti qui peut reposer fermement sur le marxisme-léninisme et peut assumer la responsabilité de l’époque à venir.

Le gouvernement ne parvient pas à procurer de la nourriture à la population, donc la population commence à s’agiter. Par conséquent, c’est dans l’intérêt de la bourgeoisie réactionnaire de l’Inde que l’Inde a attaqué le Pakistan.

Le projet impérialiste américain de la guerre mondiale opère aussi derrière cette guerre. En attaquant le Pakistan, la classe dirigeante veut de nouveau créer une vague de nationalisme bourgeois. Mais cette fois, il est clair comme le jour que l’Inde est le seul agresseur. Donc, à la suite de la défaite de l’armée indienne, la lutte anti-gouvernement se cristallisera rapidement parmi les masses.

Donc aujourd’hui, les marxistes souhaitent que l’agressive armée indienne soit battue. Cette défaite suscitera de nouvelles agitations de masse. Davantage que simplement désireux qu’elle soit vaincue, il faut en même temps que les marxistes s’efforcent à rendre cette défaite imminente.

Il faut, dans chaque province de l’Inde, que soient créées des agitations selon les critères grâce auxquels l’agitation de masse au Cachemire progresse.

La classe dirigeante de l’Inde tente de résoudre sa crise par la tactique impérialiste. Pour résoudre la guerre impérialiste, nous devons avancer le long de la voie déterminée par Lénine.

« Transformer la guerre impérialiste en guerre civile » − il faut que nous comprenions la signification de ce slogan. Si nous pouvons nous rendre compte de la vérité, c’est-à-dire que la révolution indienne prendra invariablement la forme d’une guerre civile, la tactique de la prise du pouvoir à l’échelon régional ne peut être que la seule tactique. La tactique de la prise du pouvoir de la Chine est l’unique tactique.

La tactique qui fut adoptée par le grand dirigeant de la Chine, le camarade Mao Zedong − la même tactique doit être adoptée par les marxistes indiens.

D’après l’expérience de cette année, les paysans ont vu que le gouvernement n’a assumé aucune responsabilité pour procurer de la nourriture aux paysans pauvres, mais qu’au contraire, l’appareil répressif du gouvernement a été déclenché dès que les masses paysannes prenaient la voie d’un quelconque mouvement.

En plus de ceci, en attaquant le Pakistan, davantage de charges furent imposées aux paysans. Par conséquent, il faut que les paysans se préparent pour l’année prochaine. S’ils sont privés des récoltes dans les champs, ils devront mourir de faim l’année prochaine. Donc préparez-vous maintenant.

Comment la lutte pour conserver les récoltes peut-elle être menée ?

(1) Organiser des forces armées dans chaque village.

(2) Faire les préparatifs afin que ces forces puissent accumuler autant d’armes qu’elles le peuvent et décider de lieux secrets pour mettre les armes.

(3) Décider de lieux pour cacher les récoltes.

Par le passé, nous n’avons pris aucune disposition permanente pour cacher les récoltes. Par conséquent, la majeure partie des récoltes fut soit détruite soit est tombée dans les mains de l’ennemi. Donc, il faut prendre des dispositions permanentes pour garder les récoltes cachées. Où peuvent-elles être cachées ?

Dans tous les pays du monde, partout où les paysans luttent, les récoltes doivent être cachées. Pour le paysan, le seul endroit où il peut cacher les récoltes est sous la terre même. Dans chaque région, tous les paysans devront fabriquer un endroit pour cacher les récoltes sous terre. Sinon, les récoltes ne pourront nullement être protégées contre l’ennemi.

(4) En plus des unités armées, il faut former de petites troupes de paysans pour monter la garde, préserver les communications et d’autres besognes.

(5) Chaque unité devra recevoir une instruction politique et il faut assurément poursuivre la propagande politique.

Il ne faut pas oublier que seule la campagne de propagande politique peut davantage répandre cette lutte et renforcer l’esprit combattant des paysans. Il reste maintenant deux ou trois mois pour récolter. Dans ce délai, il faut que les unités du parti dans les régions des paysans poursuivent les préparatifs politiques et organisationnels pour continuer ce travail et qu’elles acquièrent de bonnes bases en tactique de travail clandestin.

[Après avoir écrit tout ceci, le camarade fut arrêté en vertu du Defence of India Rules. Lorsque cet article allait être terminé, un gros changement s’est emparé de la politique de gauche en Inde. En raison de ce changement, il a pensé à écrire les documents d’une manière différente. Mais il n’en a pas eu l’occasion. Mais voici ce qu’il a mentionné verbalement :

Tous ces soi-disant dirigeants marxistes et journaux (de gauche) qui ont directement élevé le slogan porté aux nues de la défense du pays ont trahi le marxisme.

Nous ne devons pas seulement continuer la lutte théorique contre eux, mais devons soulever une nouvelle confiance dans la lutte parmi les révolutionnaires dans différents coins de l’Inde grâce aux activités militantes (une description des activités militantes est donnée ci-dessus) et cette simple étincelle, même à ce seul endroit, produira un feu de prairie de révolution dans divers coins partout en Inde, la voie de la prise du pouvoir à l’échelon régional s’élargira, la Révolution Démocratique Populaire de l’Inde sera imminente.

Camarades, marchons vers l’avant avec fermeté pour donner une direction hardie à la lutte armée dans les jours à venir.]

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: Quelle est la source de l’éruption révolutionnaire spontanée en Inde? (avril 1965)

[3-9 avril 1965]

Camarades, deux événements se sont produits dans le monde au cours de la période qui a suivi la deuxième guerre mondiale. Alors que, d’une part, la forme nue de la défaite des soi-disant puissances fascistes fut révélée au peuple, d’autre part, de la même manière, le système d’état socialiste mondial sous la direction du camarade Staline a instauré la confiance dans les esprits de la population.

En conséquence, on a remarqué une explosion révolutionnaire spontanée partout dans le monde. Par-dessus tout, le succès de la révolution chinoise en 1949, en dehors de la guerre elle-même, a entrainé une nouvelle marée haute révolutionnaire au milieu de cette explosion spontanée à propos de laquelle le Parti Communiste d’Inde n’a jamais pu faire d’évaluation correcte. Résultat : nous ne nous sommes jamais aperçus du changement révolutionnaire occasionné par cette grande révolution dans toute l’Asie, l’Afrique et l’Amérique Latine.

Par conséquent, nous n’avons pas réussi à comprendre la portée de ce vigoureux slogan révolutionnaire, l’appel de clairon des 650 millions de révolutionnaires – « Regardez, nous nous sommes embarqués tout seuls sur la voie du socialisme. Non, même l’impérialisme américain n’est pas parvenu à enrayer le mouvement extraordinaire de notre irrésistible courant révolutionnaire ».

Mais le peuple combattant n’a pas fait l’erreur. Cette étincelle révolutionnaire s’est propagée au Vietnam, à Cuba, à chaque pays de toute l’Amérique Latine. Le peuple d’Inde a répondu à cet appel. Nous avons vu l’expression de ceci dans la révolution démocratique spontanée de 1949 que nous avons estompée en essayant de la confiner à l’intérieur des limites étroites de la révolution socialiste.

En plus de cela, il y eut une tentative pour nier l’importance de la révolution chinoise toute entière en critiquant ouvertement l’origine de ce mouvement spontané, la grande révolution chinoise et son dirigeant, le camarade Mao Zedong. Par-dessus tout, plus tard, c’est en conséquence de la dénégation de cette révolution chinoise qu’au sein du parti fut soulevé le slogan selon lequel la révolution ne serait pas accomplie grâce à la voie chinoise mais seulement grâce à une voie véritablement indienne.

Et c’est d’ici même qu’est né le révisionnisme d’aujourd’hui. C’est à cause de ce sectarisme de gauche à l’époque que nous avons été incapables de guider ce mouvement sur le bon chemin.

Mais non, camarades ! La vague de ce mouvement révolutionnaire de 1949 ne pouvait pas être épuisée parce qu’aucun impérialisme ne pourrait anéantir la révolution chinoise, le drapeau rouge d’espoir de la ville de Pékin.

Nous avons de nouveau vu ce mouvement refluant se transformer en une énorme vague durant la guerre de Corée. C’est un épanouissement total de celle-ci que nous avons vu dans les réunions et cortèges spontanés, dans l’accueil de la contre-attaque effectuée solidairement par la Chine et la Corée.

C’est la forme objective de cela dont nous avons été les témoins dans la grande victoire du Parti Communiste aux élections de 1951. Et c’est la forme combative de cela que nous avons vu dans le dressage de barricades par les masses combattantes en 1953-54.

Nous n’avons pas pu comprendre. Mais la bourgeoisie a pu comprendre, a pu reconnaître la forme des masses combattantes, a pu reconnaître sa trajectoire. Elle s’est rendu compte que cette grande révolution ne pouvait plus être ignorée, donc pour duper le peuple, elle s’est tournée vers l’état socialiste, vers la grande révolution chinoise. C’est la raison pour laquelle elle a pris part au Panchsheel à la conférence de Bandung.

L’impérialisme décadent s’est également rendu compte qu’il n’était pas possible de poursuivre avec l’ancienne méthode. Par conséquent, il a pris une forme nouvelle, a mis en place une nouvelle méthode d’exploitation en donnant des dollars comme cadeau.

Le néo-colonialisme a commencé. Lorsque l’impérialisme et tous les réactionnaires du monde se regroupaient pour trouver une solution pour se sauver, la politique révisionniste du traitre Khrouchtchev en 1956 est apparue devant eux comme la lumière d’un nouvel espoir.

Le gouvernement réactionnaire de l’Inde a trouvé un moyen de créer l’illusion à propos de la voie capitaliste indépendante de Khrouchtchev. Mais le gouvernement réactionnaire savait qu’elle était difficilement applicable et illusoire.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement réactionnaire de la bourgeoisie de l’Inde a conclu un pacte secret avec l’impérialisme américain en 1958.

C’est la raison pour laquelle en 1959, alors qu’il déclenchait d’une part une attaque contre la démocratie en suspendant la constitution au Kerala, il a d’autre part également commencé à calomnier l’origine du mouvement spontané, la grande République Populaire de Chine. Il a fourni un abri à l’agent impérialiste du Tibet, le Dalai Lama.

Mais quand, en dépit de ceci, le peuple s’est engagé spontanément sur le chemin de la lutte, la bourgeoisie a sans aucun délai abattu 80 personnes.

La dernière possibilité de transition pacifique vers le socialisme s’est clôturée ainsi. Mais non, camarades, le peuple n’est malgré tout pas resté tranquille devant la puissance du gouvernement. La grève spontanée de 1960 s’est répandue dans toute l’Inde à très grande échelle, parce que la lumière de la révolution chinoise, le conteneur d’une force cent fois, mille fois plus puissante que cette force, lui montre le chemin. C’est la raison pour laquelle, camarades, même sans le Parti Communiste, le peuple s’est engagé sur le chemin de la lutte.

Lorsque les combattants de cette lutte spontanée, battus par les armes, pensaient à une lutte encore plus rude, le slogan du contre-gouvernement de 1962 ne pouvait pas susciter d’enthousiasme révolutionnaire dans leurs esprits.

Parce qu’ils voulaient une réponse à la question − Que se passera-t-il si l’épisode du Kerala est reproduit au Bengale ? Nous n’avons pas pu donner de réponse correcte à cette question. Nous n’avons pas pu, à ce moment-là, avancer ce slogan correct et audacieux -Au cas où l’épisode du Kerala se reproduisait au Bengale, la lutte armée serait l’unique façon de renverser le gouvernement.

Mais la bourgeoisie ne s’est pas trompée en remarquant l’image des masses militantes. C’est pourquoi en 1962, le gouvernement indien pris de panique a attaqué le foyer de la lutte des masses combattantes, il a attaqué la grande démocratie chinoise. Mais deux événements se sont produits en conséquence desquels la bourgeoisie a creusé sa propre tombe.

Premièrement, en raison de la défaite des forces armées de la bourgeoisie, la forme brute de la fragilité de ce gouvernement est apparue aussi claire que la lumière du jour devant les masses combattantes. Les masses combattantes ont découvert une nouvelle manière de considérer la lutte.

Deuxièmement, en raison du retrait des troupes chinoises des régions indiennes, l’influence pernicieuse du nationalisme pervers n’a pas pu toucher les paysans. La bourgeoisie s’est affolée ; elle a emprisonné les communistes.

Mais elle ne pouvait pas mettre fin à la lutte spontanée. Le travail s’est interrompu à Bombay. Le « Dum Dum Dawai » [attaque violente exercée par les masses contre les exploiteurs, ndlr] fut déclenché. Pour se sortir de cette situation terrible, la bourgeoisie a libéré les communistes et a essayé de tirer parti de leurs conflits internes. Mais la lettre notoire de Dange, le chien courant de l’impérialisme, a gâché leur espoir.

Un nouveau parti révolutionnaire fut formé, Khrouchtchev a perdu le pouvoir et le révisionnisme mondial a reçu un coup terrible. Le pilier, sur lequel la bourgeoisie s’était reposée pour déclencher les attaques contre la Chine, commençait à trembler au Vietnam. La bourgeoisie a vu le danger et s’est retrouvée acculée, dans l’impossibilité de battre en retraite.

Donc elle a attaqué et emprisonné 2000 communistes. Mais les masses combattantes ont donné leur verdict au Kerala, le gouvernement a vu l’explosion du mouvement spontané. Il a arraché le dernier masque de démocratie.

Mais non, ce mouvement spontané ne peut pas être empêché, même en emprisonnant des centaines et des milliers de communistes et en ayant recours à mille moyens de répression. Parce que la révolution chinoise ne peut pas être anéantie. Aucun vent orageux ne peut éteindre la lumière de cette révolution. La bourgeoisie délirante sait cela, donc elle a commencé à encenser ses propres points faibles. Elle tremble, s’imaginant la formation d’une organisation au sein de l’armée. Elle s’est mise à voir le fantôme du Telengana.

Oui camarades, aujourd’hui, nous devons courageusement dire franchement au peuple d’une voix hardie que c’est la prise de pouvoir à l’échelon régional qui est notre voie. Nous devons faire trembler la bourgeoisie en frappant au plus fort ses endroits les plus faibles.

Nous devons dire franchement au peuple d’une voix hardie − Regardez comment la Chine pauvre et arriérée a, en seize ans, avec l’aide de la structure socialiste, rendu son économie robuste et solide. D’autre part, nous devons dénoncer ce gouvernement perfide qui a, en moins de 17 ans, transformé l’Inde en un terrain de jeu pour l’exploitation impérialiste.

Il a converti la population indienne tout entière en une nation de mendiants aux étrangers.

Venez camarades, que toute la population laborieuse se prépare solidairement pour la lutte armée contre ce gouvernement sous la direction de la classe ouvrière, d’après le programme de la révolution agraire.

D’autre part, jetons les fondations de l’Inde de nouvelle démocratie populaire en formant des zones paysannes libérées grâce aux révoltes paysannes.

Ensemble, côte à côte, hurlons :

Vive l’unité des travailleurs, des paysans et des masses laborieuses !

Vive la lutte armée imminente de l’Inde !

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: Poursuivre la lutte contre le révisionnisme moderne (1965)

Quotidiennement, nous devrons poursuivre la lutte contre le révisionnisme, en adoptant la tactique de la prise du pouvoir à l’échelon régional. Certaines idées révisionnistes sont profondément enracinées à l’intérieur du parti. Nous devrons continuer la lutte contre celles-ci. Ici, nous examinons quelques questions.

1. La question qui a pris de l’importance aujourd’hui dans la lutte contre le révisionnisme est le soutien total donné par les dirigeants soviétiques à la classe dirigeante réactionnaire de l’Inde. Ils ont annoncé qu’ils donneront à l’Inde une aide de 6 milliards de roupies au cours du quatrième plan quinquennal.

L’idée selon laquelle l’aide soviétique renforce l’indépendance de l’Inde est extrêmement erronée. Car il n’y a aucune analyse de classe derrière ceci. Nous devrons placer clairement devant le peuple nos opinions contre ce soutien.

Alors que le gouvernement de l’Inde suit la voie de la coopération avec l’impérialisme et le féodalisme, si un soutien lui est apporté, c’est la classe réactionnaire qui est consolidée. Par conséquent, l’aide soviétique ne renforce pas le mouvement démocratique de l’Inde, mais elle augmente la puissance des forces réactionnaires en coopération avec l’impérialisme dirigé par les Etats-Unis et avec les Soviétiques.

C’est la coopération américano-soviétique de révisionnisme moderne que nous observons en Inde − une association démoniaque contre les luttes de libération populaires à l’avenir. D’après notre expérience en Inde, nous voyons que la dominance des gros monopolistes existe sur la production des grosses industries qui se sont agrandies dans le secteur public avec l’aide soviétique.

Donc, l’état ne sera pas en mesure de maîtriser le pouvoir des patrons monopolistes par l’intermédiaire des industries du secteur public.

Ce sont les patrons monopolistes qui dominent la production des industries du secteur public. Notre expérience est la même dans les deux cas de l’acier et du pétrole.

2. La question qui est devenue importante pour nous aujourd’hui est le nationalisme bourgeois. Ce nationalisme est extrêmement borné et c’est le nationalisme borné qui est aujourd’hui l’arme la plus importante de la classe dirigeante. Elle ne se sert pas seulement de cette arme dans le cas de la Chine, mais également sur n’importe quelle question telle que le Pakistan, etc. En évoquant le slogan de l’unité nationale et d’autres slogans, elle veut préserver l’exploitation du capital monopoliste.

Nous ne devons pas oublier que le sentiment d’unité de l’Inde est survenu en conséquence du mouvement anti-impérialiste.

Alors que le gouvernement indien continue à se compromettre avec l’impérialisme, ce sentiment d’unité est frappé à la racine. Il n’y a qu’un seul but à l’origine du slogan d’unité donné par la classe dirigeante actuelle et c’est l’unité pour l’exploitation par le capital monopoliste.

Donc, ce slogan d’unité est réactionnaire et les marxistes doivent s’opposer à ce slogan. Le slogan – « Le Cachemire est une partie inaliénable de l’Inde » − est donné par la classe dirigeante dans l’intérêt du pillage. Aucun marxiste ne peut soutenir ce slogan.

C’est un devoir fondamental des marxistes d’accepter le droit à l’autodétermination de chaque nationalité. Sur les questions du Cachemire, des Nagas, … il faut que les marxistes manifestent leur soutien en faveur des combattants.

La conscience d’une nouvelle unité viendra au cours de la lutte même contre ce gouvernement indien de l’impérialisme, du féodalisme et des gros monopolistes, et c’est dans l’intérêt de la révolution qu’il sera alors nécessaire de garder l’Inde unie. Cette unité sera une unité solide.

C’est à partir de cette conscience de nationalité qu’il y a eu des luttes en Asie du Sud contre l’imposition du hindi et que 60 personnes ont perdu la vie au cours de cette année 1965. Donc si l’importance de cette lutte est dépréciée, la classe ouvrière s’isolera des luttes des larges masses. C’est dans l’intérêt de la classe ouvrière qu’il faut soutenir les efforts pour le développement de ces nationalités.

3. « Instaurer l’analyse de classe dans le mouvement des paysans ». Au stade actuel de la révolution, la paysannerie tout entière est l’alliée de la classe ouvrière, et cette paysannerie est la plus grande force de la révolution démocratique populaire de l’Inde. C’est en gardant ceci à l’esprit que nous devrons aller de l’avant dans le mouvement de la paysannerie.

Mais tous les paysans n’appartiennent pas à la même classe. Il y a principalement quatre classes parmi les paysans − riche, moyen, pauvre, sans terre − et il y a la classe des artisans ruraux.

Il y a des différences dans leur conscience révolutionnaire et dans leur capacité à travailler selon les circonstances. Par conséquent, les marxistes doivent toujours essayer d’asseoir le leadership des paysans pauvres et sans terre sur tout le mouvement paysan. On fait souvent l’erreur, en analysant la classe des paysans, de la déterminer sur base des titres de propriété de terres. C’est une erreur dangereuse.

Elle doit être analysée sur base de leur salaire et de leur niveau de vie. Le mouvement paysan deviendra militant dans la mesure où nous établirons le leadership des paysans pauvres et sans terre sur le mouvement paysan tout entier. Il ne faut pas oublier que quelle que soit la tactique de combat acceptée sur base du soutien de la large paysannerie, cela ne peut jamais, dans aucune mesure, être de l’aventurisme.

Il faut se rappeler que toutes ces années, nous basant sur le soutien au non-paysans, nous avons recherché le caractère étriqué du mouvement paysan, et que chaque fois que se produisait une répression, nous pensions qu’il devait y avoir eu de l’aventurisme. Il ne faut pas oublier qu’aucun mouvement des paysans basé sur des revendications fondamentales ne suivra une voie pacifique.

Pour une analyse de classe de l’organisation paysanne et pour asseoir le leadership des paysans pauvres et sans terre, il faut dire en termes clairs aux paysans qu’aucun de leur problème fondamental ne peut être résolu à l’aide de quelque loi de ce gouvernement réactionnaire.

Mais ceci ne signifie pas que nous ne devons profiter d’aucun mouvement légal. Le travail des associations paysannes publiques sera principalement d’organiser des mouvements pour obtenir des avantages juridiques et pour des changements légaux.

Donc parmi les masses paysannes, la tâche principale et la plus urgente sera de créer des groupes du parti et d’expliquer le programme de la révolution agraire et la tactique de la prise du pouvoir à l’échelon régional. Par l’intermédiaire de ce programme, les paysans pauvres et sans terre seront placés à la direction du mouvement paysan.

4. A partir de 1959, le gouvernement a de plus en plus souvent déclenché de violents attaques contre chaque mouvement démocratique d’Inde. Nous n’avons dirigé aucun mouvement de résistance active contre ces violentes attaques.

Nous avons lancé un appel à la résistance passive face à ces attaques, tel, entre autre exemple, le cortège funèbre après le mouvement pour la nourriture. Nous devons nous souvenir des enseignements de Mao Zedong – « Une simple résistance passive contre la répression creuse un fossé dans l’unité combattante des masses et conduit invariablement vers la voie de la capitulation ».

Par conséquent, à l’époque actuelle, au cours de tout mouvement de masse, un mouvement de résistance active devra être organisé. Le programme de résistance active est devenu une absolue nécessité avant tout mouvement de masse.

Organiser un mouvement de masse aujourd’hui sans ce programme signifie plonger les masses dans le découragement. Par suite de la résistance passive de 1959, il ne fut possible d’organiser aucun rassemblement de masse pour exiger de la nourriture à Calcutta dans les années 1960-61. Cette organisation de résistance active suscitera une nouvelle confiance dans les esprits des masses et la vague de lutte s’élèvera.

Que voulons-nous dire par résistance active ? Premièrement, sauvegarde des cadres. Pour cette sauvegarde des cadres, des abris et un système de communication convenables sont nécessaires.

Deuxièmement, apprendre au peuple les techniques de résistance, comme s’allonger devant les tirs, ou se servir de barrière robuste, former des barricades, etc. Troisièmement, des efforts pour venger chaque attaque avec l’aide de groupes de cadres actifs, qui ont été décrits par le camarade Mao Zedong comme « la lutte de représailles ».

Dans un premier temps, en proportion de leurs attaques, nous ne serons capables de venger que quelques attaques. Mais si même un petit succès est obtenu dans un cas, la large propagande créera un nouvel enthousiasme parmi les masses. Ces luttes de résistance active sont possibles dans les villes et dans les campagnes, partout. Cette vérité fut vérifiée dans le mouvement de résistance noire en Amérique.

5. Il n’y a pas d’idée précise dans le parti au sujet de l’organisation clandestine. Une organisation secrète ne se forme pas simplement si quelques dirigeants restent dans la clandestinité. Au contraire, ces mêmes dirigeants font face au danger de se faire isoler des rangs du parti.

Si les dirigeants du parti entrent dans la clandestinité et travaillent comme des dirigeants d’organisations publiques de masse, ils se feront invariablement arrêter. Donc la direction clandestine devra aller de l’avant dans le travail de construction d’un parti secret.

Ce n’est donc pas un fait que la tâche de former un parti secret soit uniquement celle des dirigeants clandestins ; il faut que chaque membre du parti travaille pour l’organisation secrète et c’est grâce à ces nouveaux cadres du parti que les relations du parti avec les masses se noueront.

Alors seulement les dirigeants clandestins seront en mesure de travailler en tant que dirigeants. Par conséquent, à l’époque actuelle, l’appel principal auquel le parti fait face est − chaque membre du parti devra créer un Groupe Militant du parti.

Ces Groupes Militants devront être enthousiasmés par la politique révolutionnaire. Cette tâche consistant à créer des Groupes Militants sera la tâche principale pour tous les membres du parti de tous les fronts. La rapidité avec laquelle nous pourrons élever ces militants en membres du parti dépendra du nombre de nouveaux militants que ces militants seront capables de rassembler.

Ce n’est qu’alors que nous pourrons avoir un grand nombre de cadres du parti inconnus de la police et que toutes les difficultés des dirigeants clandestins à entretenir des liens avec les rangs du parti disparaîtront.

Certaines idées révisionnistes chez nous, concernant des questions politiques et organisationnelles, les organisations de masse, etc ont été indiquées ici. Aujourd’hui, les membres du parti devront repenser chaque mouvement de masse.

Le révisionnisme a bâti son nid dans le style de notre mouvement, dans notre pensée organisationnelle, en d’autres termes, dans presque toutes les sphères de nos vies. Tant que nous ne serons pas capables de le déraciner, on ne pourra pas construire le nouveau parti révolutionnaire, les perspectives révolutionnaires de l’Inde seront entravées. L’histoire ne nous pardonnera pas.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: La tâche principale aujourd’hui est la lutte pour construire le véritable Parti révolutionnaire à travers la lutte sans compromis contre le révisionnisme (1965)

Décembre 1965

Après une longue incarcération, les dirigeants du parti ont, après le congrès du parti, pour la première fois, eu une session du comité central au complet. La direction centrale du parti qui avait été formée par l’intermédiaire des luttes contre le révisionnisme, a adopté une résolution idéologique et a déclaré sans ménagement que toutes les critiques énoncées contre le gouvernement indien par le grand parti chinois étaient erronées.

En même temps, elle a affirmé dans la résolution que la critique des dirigeants révisionnistes soviétiques ne devait pas être rendue publique maintenant, car sinon la confiance du peuple dans le socialisme s’affaiblirait. C’est-à-dire que le masque de la tentative effectuée par la direction révisionniste soviétique en collaboration avec l’impérialisme américain pour mettre en place l’hégémonie mondiale ne doit pas être ôté.

Le dirigeant de la grande révolution chinoise, le Parti Communiste de Chine, et son leader le camarade Mao Zedong sont aujourd’hui à la tête du prolétariat et des luttes révolutionnaires du monde.

Après Lénine, le camarade Mao Zedong a aujourd’hui pris la position de Lénine. Donc, la lutte contre le révisionnisme ne peut pas être mise en œuvre en s’opposant au parti chinois et au camarade Mao Zedong. La pureté du marxisme-léninisme ne peut pas être conservée.

En s’opposant au Parti chinois, les dirigeants du Parti indien ont abandonné la voie révolutionnaire du marxisme-léninisme. Ils essayent de faire passer le révisionnisme en le glissant dans une nouvelle bouteille. Donc, il faut que les membres du parti comprennent clairement aujourd’hui que dans la lutte contre le révisionnisme, ces dirigeants du parti ne sont pas du tout nos compagnons d’armes, pas même des associés.

Les dirigeants révisionnistes soviétiques, en collaboration avec l’impérialisme américain, essayent aujourd’hui d’obtenir l’hégémonie mondiale. Ils agissent aujourd’hui comme des ennemis de tous les mouvements de libération nationale. Ils tentent d’instaurer le leadership révisionniste en divisant les partis révolutionnaires et jouent sans vergogne les agents de l’impérialisme américain.

Ils sont aujourd’hui les ennemis des luttes de libération populaires dans tous les pays, les ennemis des luttes révolutionnaires, les ennemis de la Chine révolutionnaire, même les ennemis du peuple soviétique.

Par conséquent, on ne peut mener aucune lutte contre l’impérialisme américain sans conduire une lutte ouverte contre cette direction révisionniste soviétique. Il est impossible de diriger la lutte anti-impérialiste si on ne se rend pas compte que les dirigeants révisionnistes soviétiques ne sont pas des partenaires dans la lutte anti-impérialiste.

La direction du parti, loin de suivre cette voie, essaye plutôt de convaincre la population par l’intermédiaire de divers écrits que les dirigeants soviétiques, malgré quelques erreurs, s’opposent fondamentalement à la politique du gouvernement indien et avancent toujours le long du chemin du socialisme.

C’est-à-dire qu’elle tente de dissimuler de manière rusée le fait que les dirigeants soviétiques soient en train de progressivement transformer l’état socialiste soviétique en un état capitaliste et que la collaboration américano-soviétique elle-même en est la raison.

Par conséquent, dans l’analyse politique et organisationnelle de l’Inde au cours des deux dernières années, il n’est fait aucune mention de l’ingérence impérialiste, notamment de l’ingérence impérialiste américaine, bien que de Johnson à Humphrey, tous les représentants de l’impérialisme américain ont à plusieurs reprises déclaré qu’ils se serviront de l’Inde comme base contre la Chine.

Une question si importante n’a pas du tout été portée à la connaissance du Comité central. Donc, dans la résolution politique et organisationnelle, aucun conseil de prudence n’a été prononcé pour les membres du parti vis à vis de la contre-offensive impérialiste.

Au contraire, après avoir lu la résolution toute entière, il apparait qu’il n’y a eu aucun changement particulier dans la situation ; que dans certains cas, les rigueurs se sont développées et qu’elles peuvent être combattues grâce à des mouvements ordinaires. La direction du parti reste absolument muette au sujet de la nouvelle particularité dans les luttes au cours de ces deux dernières années − la manifestation d’une violence révolutionnaire contre la violence contre-révolutionnaire − cette nouvelle tendance émergente des mouvements de masse.

Elle a posé les questions du mouvement de masse d’une telle manière que la simple conclusion qui en découle est que notre but principal au cours des prochaines élections sera de constituer un gouvernement démocratique non-congressiste. Dans aucune partie de leur résolution il n’était mentionné que ces élections étaient organisées pour cacher l’exploitation et la gestion indirecte de l’impérialisme.

Par l’intermédiaire de ces élections, le gouvernement réactionnaire de l’Inde souhaite propager l’illusion constitutionnelle et derrière cela, veut selon des consignes impérialistes, édifier notre pays en tant que base contre-révolutionnaire en Asie du Sud-est et veut endiguer la résistance de la population par de violentes attaques contre les sections révolutionnaires des masses.

L’expérience en Indonésie nous a appris combien l’impérialisme mourant peut devenir violent aujourd’hui. C’était à la direction du parti de préparer les membres du parti à faire face à cette situation et de soutenir clairement que la seule solution est la violence révolutionnaire et d’organiser le parti tout entier sur cette base.

Les dirigeants du parti indien n’ont non seulement pas fait ce travail, mais ils ont également rendu illégale toute discussion au sujet de la résistance révolutionnaire à l’intérieur du parti.

La direction du parti soulève la clameur du révisionnisme chaque fois qu’elle entend parler de « résistance révolutionnaire » ou de « lutte armée ».

Mais en même temps, elle utilise sans discernement les mots « dispersion des stocks », « gherao » [harcèlement qui consiste à encercler une personne ou un groupe afin de les contraindre à répondre aux revendications, ndlr], « grève continue », etc.

Mais quand il y a des discussions concernant la résistance à la répression qui résulte invariablement de ces tactiques de lutte, elle les considère comme de l’aventurisme.

Le slogan de « grève continue dans tout l’état » n’est rien d’autre qu’un slogan ultra-gauchiste de type petit-bourgeois. D’une part ce slogan ultra-gauchiste et d’autre part, pour ce qui concerne la question politique, un désir désespéré de forger un accord dans le domaine électoral, ce qui signifie servir d’appendice à la bourgeoisie.

Par conséquent, ces dirigeants de parti se refusent à assumer la responsabilité de la révolution démocratique de l’Inde et des suites de cela, ils ont recours à l’astucieuse tactique du révisionnisme moderne, c’est-à-dire la voie selon laquelle ils sont révolutionnaires dans les mots et un appendice de la bourgeoisie dans les faits.

Donc, le parti révolutionnaire ne peut naître que par la destruction du système du parti actuel et de sa structure « démocratique ». Donc rester fidèle à la prétendue « forme » ou « structure constitutionnelle » de ce parti signifie rendre les marxistes-léninistes inefficaces et collaborer avec les dirigeants révisionnistes.

Par conséquent, depuis les dirigeants du parti jusqu’aux travailleurs ordinaires, tous ceux qui croient au marxisme-léninisme doivent se présenter devant les membres du parti avec les opinions révolutionnaires du marxisme-léninisme.

Alors seulement, nous pourrons commencer à travailler à la construction du parti révolutionnaire. Le gouvernement indien a été contraint de battre en retraite face à l’explosion massive dans toute l’Inde. L’ampleur du mouvement démocratique a en conséquence augmenté dans la période précédant les élections. Au cours de cette période, le gouvernement organise les forces contre-révolutionnaires.

Les forces révolutionnaires devront également profiter pleinement de cette atmosphère en apparence démocratique.

Les tactiques de combat adoptées par les masses au cours des récents mouvements de masse n’étaient que des luttes « de partisans » d’un stade primaire. Donc les forces révolutionnaires doivent diriger ces luttes « de partisans » de manière organisée et avant que ne commence la massive offensive contre-révolutionnaire, les membres du parti doivent être bien formés à la tactique de ces luttes grâce aux théories et à l’application concrète.

Le sens des Groupes Militants du Parti est aujourd’hui qu’ils seront des « unités de combat ». Leur responsabilité principale sera de mener une campagne de propagande politique et de frapper les forces contre-révolutionnaires. Il faut que nous gardions toujours à l’esprit l’enseignement de Mao Zedong – « Les attaques ne se font pas simplement pour le plaisir d’attaquer, les attaques visent à liquider ».

Ceux qui devraient être attaqués sont principalement : (1) les représentants de l’appareil étatique comme les policiers, les officiers, les militaires ; (2) la bureaucratie détestée ; (3) les ennemis de classe. Le but de ces attaques doit également être la collecte d’armes. A l’heure actuelle, ces attaques peuvent être déclenchées partout, dans les villes et à la campagne. Il faut que nous prêtions une attention toute particulière aux régions paysannes.

Dans la période post-électorale, lorsque l’offensive contre-révolutionnaire prendra un caractère massif, notre base principale devra être établie dans les régions paysannes.

Nous devons donc clairement présenter immédiatement devant notre organisation ce point de vue selon lequel, grâce au développement du sens de la responsabilité de la classe ouvrière et des cadres petits-bourgeois révolutionnaires, ils devront directement aller dans les villages. Par conséquent, avec l’accroissement du sens de la responsabilité parmi la classe ouvrière et les cadres petits-bourgeois, ils devront être envoyés dans les villages.

Dans la période d’offensive contre-révolutionnaire, notre principale tactique de lutte sera celle de la grande Chine, la tactique d’encerclement des villes par les campagnes. La vitesse à laquelle nous pourrons réduire l’offensive contre-révolutionnaire au silence dépend de la rapidité avec laquelle nous pourrons développer les forces armées populaires.

Il est vrai qu’au début, nous pourrons obtenir certains résultats, mais devant l’offensive contre-révolutionnaire massive, nous devons user de représailles dans le seul intérêt de l’auto-préservation.

A travers cette interminable et difficile lutte, l’Armée Révolutionnaire du Peuple se développera − l’armée motivée par une conscience politique, et rendue robuste grâce aux mouvements de campagne politique et aux rencontres. Sans ce type d’armée, il n’est pas possible de faire de cette révolution un succès, il n’est pas possible de protéger les intérêts des masses.

Camarades, plutôt que de courir derrière les mouvements spontanés, des luttes de partisans devront aujourd’hui être développées de manière organisée. Il ne reste même pas six mois. Si nous ne pouvons pas déclencher cette lutte dans ce délai, nous devrons affronter la difficile tâche de nous organiser face aux attaques impérialistes.

Parti Communiste d’Inde − Centre Maoïste

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: Faire de la révolution démocratique populaire un succès en luttant contre le révisionnisme (1965)

Étant donné que les opinions révisionnistes étaient nichées dans le parti depuis longtemps, nous n’avons pas pu bâtir un parti révolutionnaire correct. Notre tâche principale aujourd’hui est de créer un parti révolutionnaire correct luttant résolument contre ces opinions révisionnistes.

1) Parmi les opinions révisionnistes, la première est de considérer les « Krishak Sabha » (organisation de paysans) et les syndicats comme l’unique activité du parti. Les camarades du parti confondent souvent le travail de l’organisation de paysans et des syndicats avec le travail politique du parti. Ils ne se rendent pas compte que les tâches politiques du parti ne peuvent pas être effectuées par l’intermédiaire de l’organisation de paysans et du syndicat.

Mais en même temps, il ne faut pas oublier que le syndicat et l’organisation de paysans constituent une des nombreuses armes pouvant servir notre objectif. D’autre part, considérer le travail de l’organisation de paysans et du syndicat comme le seul travail du parti ne peut que signifier de plonger le parti dans le bourbier de l’économisme.

On ne peut pas faire de la révolution prolétarienne un succès sans une lutte sans complaisance contre cet économisme. C’est la leçon que le camarade Lénine nous a donné.

2) Certains camarades pensent, et pensent toujours aujourd’hui, que notre tâche politique s’achève avec le lancement de quelques mouvements basés sur des revendications, et ils considèrent une seule victoire par l’intermédiaire de ces mouvements comme une victoire politique du parti.

Ce n’est pas tout, ces camarades cherchent à confiner la responsabilité de l’exécution des tâches politiques du parti dans les limites de ces mouvements seulement.

Mais nous, les véritables marxistes, savons qu’appliquer la responsabilité politique du parti signifie que le but ultime de toute la propagande, de tous les mouvements et de toutes les organisations du parti est d’asseoir fermement le pouvoir politique du prolétariat. Il faut toujours se rappeler que si les mots « Prise du pouvoir politique » sont oubliés, le parti ne demeure plus un parti révolutionnaire. Même s’il restera alors un parti révolutionnaire de nom, il sera en fait réduit à un parti réformiste de la bourgeoisie.

Lorsqu’ils parlent de prise du pouvoir politique, certains entendent le centre. Ils pensent qu’avec l’expansion progressive des limites du mouvement, notre unique but sera de nous emparer du pouvoir du centre. Cette pensée n’est pas seulement erronée ; cette pensée détruit la pensée révolutionnaire correcte au sein du parti et le réduit à un parti réformiste.

Au congrès du World Trade Union en 1953, l’éprouvé et bien établi dirigeant marxiste de la Chine, membre du comité central du Parti Communiste de Chine, a affirmé avec fermeté qu’à l’avenir, la tactique et la stratégie de la révolution inachevée de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique Latine suivrait les traces de la Chine. En d’autres termes, la stratégie et la tactique de ces luttes sera la prise du pouvoir à l’échelon régional.

Ce camarade et membre du comité central du parti chinois n’est pas le seul à l’avoir mentionné, mais le camarade Lénine a également mentionné la prise du pouvoir à l’échelon régional dans ses écrits. Par-dessus tout, la classe ouvrière en Russie a donné une preuve concrète de la conclusion de Lénine lorsqu’elle a gardé la ville de Kronstadt sous saisie pendant trois jours.

A l’ère du socialisme, tous les éléments de la prise du pouvoir à l’échelon régional sont présents dans notre structure.

Un exemple fervent du fait que ceci est possible est la révolte des Nagas. La condition principale de cette prise du pouvoir à l’échelon régional sont les armes dans les mains des forces révolutionnaires. Penser s’emparer du pouvoir sans armes n’est rien d’autre qu’un rêve vain.

Notre parti a une très longue histoire de luttes. Nous avons donné la direction aux mouvements des paysans et des travailleurs dans la campagne étendue du North Bengal. Naturellement, nous devrons examiner et analyser les mouvements du passé et en tirer les leçons, et nous devrons de nouveau avancer dans l’actuelle période révolutionnaire.

Analyse des événements et des expériences concrètes du mouvement de Tebhaga en 1946 et 1947

Les paysans participants à ce mouvement étaient au nombre d’environ six millions. Il ne faut pas oublier que dans le mouvement paysan tout entier, ceci fut un âge d’or. Dans l’ampleur du mouvement, dans l’intensité des émotions, dans la manifestation de haine de classe, ce mouvement fut le stade le plus élevé de la lutte de classe.

Pour aider à comprendre ce stade, je cite quelques exemples inspirateurs de ce mouvement.

Un événement :

Je vivais alors dans la clandestinité dans l’intérêt du mouvement. J’ai personnellement été le témoin de la vague du mouvement révolutionnaire. J’ai vu comment un simple petit mot faisait venir en courant comme un fou un homme se trouvant à dix mille.

D’autre part, j’ai également vu, debout à côté de son mari, une jeune femme musulmane mariée soumise à l’assaut démoniaque et barbare d’un ennemi de classe. J’ai entendu la supplication désespérée de ce mari non armé – camarade, ne peux-tu pas te venger ? L’instant d’après, j’ai vu la haine intense de l’exploité contre l’exploiteur, j’ai vu le spectacle atroce du meurtre de sang-froid d’un homme vivant en lui tordant le COU.

Camarades, les incidents mentionnés ci-dessus exigent une analyse de notre part.
Premièrement, quelle était la raison historique en conséquence de laquelle la forme massive de ce mouvement à l’époque a pu créer une haine intense contre l’ennemi de classe ?

Deuxièmement, quelles furent de nouveau les causes qui ont transformé ce vaste mouvement en échec ?

D’abord, c’est le slogan de la prise du pouvoir politique qui a suscité la forme massive de ce mouvement à l’époque et qui a créé cette haine intense contre l’ennemi de classe.

D’un autre côté, c’est ce slogan qui a forcé l’ennemi à adopter ce rôle de classe. C’est l’expression de celui-ci que nous trouvons dans le viol barbare de la jeune femme paysanne et la brutale attaque violente pour écraser le mouvement. D’autre part, les paysans n’ont pas non plus hésité à attaquer l’ennemi de classe.

Ceci soulève la question. Pourquoi n’a-t-on pas pu s’emparer du pouvoir même après ceci ? Il n’a pas pu être pris pour une seule raison – c’est parce que les combattants de l’époque se tournaient vers le centre pour les armes ; nous avons alors perdu confiance en la voie indiquée par Lénine. A l’époque, nous avons hésité à accepter cette déclaration osée de Lénine de faire avancer la révolution en amassant les armes localement et en s’emparant du pouvoir à l’échelon régional.

En conséquence, les paysans non armés n’ont pas pu se mettre debout et résister face aux armes. Même ceux qui se sont battus en bravant la mort ont finalement dû battre en retraite. La leçon qui doit être tirée des erreurs de cette époque est que la responsabilité de rassembler les armes appartient à l’organisation locale, pas au centre.

Donc la question de la collecte des armes devra être présentée devant chaque Groupes Militants à partir de maintenant. « Dao », couteaux, bâtons – tous ceux-ci sont des armes, et avec leur aide au moment opportun, des armes à feu devront être saisies.

Les événements décrits ci-dessus sont des manifestations d’opinions révisionnistes sous leur aspect théorique.

Maintenant, d’un point de vue organisationnel, ces erreurs, qui furent des obstacles sur le chemin d’une direction correcte des vastes mouvements de l’époque, devront être démasquées afin qu’elles ne puissent pas de nouveau trouver un nid dans le parti révolutionnaire.

Pour détruire toutes ces erreurs dans le parti, le parti devra d’abord aujourd’hui instaurer son leadership sur les organisations de masse.

Car un examen de l’histoire du parti sur une longue période révélerait qu’en conséquence de la pensée révisionniste consistant à considérer les dirigeants des syndicats et des organisations de paysans [krishak sabha] comme les véritables représentants du peuple, le parti fut réduit à un parti de quelques individus.

En raison de cette pensée, les activités politiques du parti se sont éteintes, et le prolétariat a également commencé à être privé d’une direction révolutionnaire correcte. Tous les mouvements se sont fait enfermer à l’intérieur des chaînes des mouvements basés sur des revendications.

En conséquence, les membres du parti s’enthousiasmaient d’une simple victoire et se décourageaient d’une simple défaite. Deuxièmement, en conséquence d’une surestimation de l’importance de cette organisation, un autre genre de régionalisme est né.

Les camarades pensent que le parti subira une lourde perte si un quelconque camarade est muté de sa région, et ils considèrent ceci comme une perte pour le leadership personnel. Un autre type d’opportunisme se développe à partir de ce régionalisme.

Les camarades pensent que leur région est la plus révolutionnaire. Naturellement, rien ne devrait être fait ici de sorte qu’il y ait une persécution policière. A cause de ce point de vue, ils n’analysent pas la situation politique du pays tout entier.

Résultat : le commandisme se développe et le travail organisationnel et de propagande quotidienne souffre.

En conséquence, lorsqu’il y a un appel à la lutte, ils affirment qu’ils ne feront pas n’importe quel petit travail et s’engagent dans l’aventurisme. Naturellement, la question se pose : quelles sont les méthodes qui aident à surmonter ces déviations ? Quelles sont ces directives marxistes qui deviennent les tâches essentielles pour la création d’un parti révolutionnaire ?

Premièrement, tous les travaux d’organisation dans le futur devront être effectués en étant complémentaires au parti. En d’autres termes, les organisations de masse devront être utilisées comme un élément au service du but principal du parti. Pour cette raison, naturellement, il faudra asseoir le leadership du parti sur les organisations.

Deuxièmement, immédiatement, dès maintenant, l’effort tout entier du parti devra être consacré au recrutement de nouveaux cadres et à la création d’innombrables Groupes Militants composés par eux. Il ne faut pas oublier que dans la période de luttes à venir, les masses devront être éduquées par l’intermédiaire de l’appareil illégal.

Donc, à partir de maintenant, il faudra accoutumer chaque membre du parti au travail illégal. Pour s’habituer au travail illégal, une tâche essentielle pour chaque Groupes militants est de coller des affiches illégales.

Ce n’est qu’à travers ce processus qu’ils seront capables de faire office de noyau audacieux pour mener les luttes durant la période de luttes.

Autrement, la révolution se réduira à un vain rêve petit-bourgeois.

Troisièmement, ce sera par l’intermédiaire de ces organisations actives que le parti sera en mesure d’établir son leadership sur les organisations de masse. Donc, nous devons dès à présent aider les membres des Groupes Militants afin qu’ils puissent courageusement critiquer les dirigeants des organisations de masse et leur travail.

Quatrièmement, le travail des organisations de masse devra être discuté et décidé dans le parti avant d’être mis en œuvre dans les organisations de masse. Il faut se rappeler ici que, pendant très longtemps, la politique des organisations de masse a été mal appliquée. Organiser des discussions sur les décisions du parti ne s’appelle pas le centralisme démocratique. Cette pensée n’est pas conforme au marxisme.

Et à partir de toute cette réflexion, il faut tirer la conclusion que le programme du parti sera adopté d’en bas. Mais s’il est adopté à partir du niveau inférieur, alors la voie marxiste correcte n’est pas appliquée ; dans toutes ces activités, il y a inévitablement des déviations bourgeoises.

La vérité marxiste du centralisme démocratique est que la directive du parti en provenance de dirigeants supérieurs doit être exécutée. Parce que le plus haut dirigeant du parti est celui qui s’est fermement imposé comme marxiste pendant une longue période de mouvements et de débats théoriques.

Nous avons le droit de critiquer les décisions du parti ; mais une fois qu’une décision a été prise, si quelqu’un la critique sans la mettre en œuvre, ou entrave le travail, ou hésite à l’exécuter, il sera coupable du grave délit de ne pas respecter la discipline du parti.

En conséquence de cette façon de penser la démocratie de parti comme une société de conférences, la voie est grande ouverte pour l’espionnage à l’intérieur du parti. Naturellement, la direction révolutionnaire du parti fait alors faillite et la classe ouvrière est privée d’une direction révolutionnaire correcte.

Cette façon de penser petite-bourgeoise au sein du parti mène le parti au bord de la destruction. Et ceci est la manifestation d’opinions petites-bourgeoises à l’intérieur du parti. Leur vie et leur attitude confortable de critique indisciplinée réduit le parti à une simple société de conférences.

Ces opinions deviennent un obstacle sur le chemin de la création d’un parti du prolétariat – aussi robuste que du fer.

Cinquièmement, la vie indisciplinée de la petite-bourgeoisie l’attire vers la critique indisciplinée ; c’est-à-dire qu’elle ne veut pas critiquer dans les limites de l’organisation.

Pour se défaire de cette déviation, il faut que nous restions conscients du point de vue marxiste en ce qui concerne la critique. Les caractéristiques de la critique marxiste sont :

1) les critiques doivent être faites au sein de l’organisation du parti, c’est-à-dire à la réunion du parti.

2) il faut que le but de la critique soit constructif. C’est-à-dire que le but de la critique est de faire progresser le parti du point de vue des principes et de l’organisation, et nous devons toujours être vigilants pour qu’il n’y ait aucune critique peu scrupuleuse à l’intérieur du parti.

Rejoignez-nous, camarades, dans l’actuelle période révolutionnaire, terminons la Révolution Démocratique Populaire en luttant résolument contre le révisionnisme.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: Nos tâches dans la situation actuelle (janvier 1965)

8 janvier 1965

Le gouvernement du Congrès a arrêté un millier de communistes ce dernier mois.

La majorité de la direction centrale et provinciale est aujourd’hui en prison.

Gulzarilal Nanda a annoncé qu’il n’accepterait pas le verdict des urnes (et il ne l’a pas fait), et a commencé à débiter des absurdités à propos de la guérilla.

Cette offensive contre la démocratie a démarré à cause de la crise interne et internationale du capitalisme.

Le gouvernement indien est progressivement devenu le partenaire politique principal dans l’expansion de l’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain.

Le principal objectif de l’impérialisme américain est de consacrer l’Inde comme la principale base réactionnaire en Asie du Sud-Est.

La bourgeoisie indienne est incapable de trouver quelque voie que ce soit pour résoudre sa crise interne.

La crise alimentaire endémique, les prix toujours plus élevés, créent des obstacles au plan quinquennal, et comme conséquence, il n’y a plus d’autre solution pour la bourgeoisie indienne pour sortir de la crise que d’importer toujours plus de capital impérialiste anglo-américain.

Comme conséquence de cette dépendance à l’égard de l’impérialisme, la crise interne du capitalisme augmente jour après jour.

La bourgeoisie indienne n’a pas été capable de trouver d’autre moyen, à part liquider la démocratie, confrontée aux exigences de l’impérialisme américain et de sa propre crise interne.

Il y avait des exigences impérialistes derrière ces arrestations, puisque le chef de la police américaine Macbright était à Delhi pendant l’arrestation des communistes, et qu’elle a partout eu lieu seulement après des discussions avec lui.

En liquidant la démocratie, il ne peut y avoir de solution à cette crise, et la bourgeoisie indienne sera aussi incapable de la résoudre.

Au plus le gouvernement dépendra de l’impérialisme, au plus il faillira dans la solution de sa crise interne.

Chaque jour qui passera, le mécontentement du peuple augmentera, et la contradiction interne de la bourgeoisie augmentera.

Le capital impérialiste exige l’arrestation des communistes comme un préalable aux investissements ; il veut aussi une solution temporaire à la pénurie alimentaire.

Pour résoudre cette pénurie alimentaire, des mesures pour arrêter la spéculation dans l’alimentation sont nécessaires, et c’est pour cela que le contrôle est nécessaire.

Dans un pays à l’économie arriérée comme l’Inde, ce contrôle fait invariablement face à une opposition d’un large secteur.

Cette contradiction de la bourgeoisie n’est pas principalement un conflit entre les capitalistes monopolistes et la bourgeoisie nationale.

Ce conflit est essentiellement entre les commerçants et les industriels monopolistes.

Dans un pays à l’économie arriérée, les commerce dans l’alimentation et les denrées de première nécessité est inévitable pour la création de capital, et le contrôle crée des obstacles dans la création de ce capital, et comme conséquence, la contradiction interne prend la forme d’une crise interne.

L’Inde est un pays vaste.

Il n’est pas possible de diriger 450 millions d’habitants en suivant une politique de répression.

Il n’est pas possible, pour quelque pays impérialiste, de prendre une telle responsabilité. L’impérialisme américain est pris de convulsions en gardant ses engagements envers les pays auxquels il a promis son aide.

Pendant ce temps, une crise industrielle se développe aux États-Unis.

Cela se voit dans la déclaration même du Président Johnson selon laquelle le nombre de chômeurs augmente dans le pays.

Selon le communiqué officiel, quatre millions de personnes sont absolument au chômage ; 35 millions de personnes sont en chômage partiel, et dans les usines aussi, le chômage partiel continue. Le gouvernement indien échouera donc à contenir le mécontentent toujours croissant du peuple.

Cette attaque contre la démocratie transformera inévitablement le mécontentement populaire en luttes.

Des indications sur les formes de lutte de demain sont disponibles dans le mouvement linguistique de Madras.

L’ère à venir n’est donc pas seulement une ère de grandes luttes mais aussi de grandes victoires.

Par conséquent, le Parti Communiste devra prendre la responsabilité de diriger les luttes révolutionnaires du peuple dans l’ère à venir, et nous serons capables de mener cette tâche à bien seulement quand nous serons capables d’édifier l’organisation du parti comme une organisation révolutionnaire.

Quelle est la base principale pour édifier l’organisation révolutionnaire ?

Le camarade Staline a dit : « La base principale dans l’édification de l’organisation révolutionnaire est le cadre révolutionnaire. »

Qui est ce cadre révolutionnaire ?

Le cadre révolutionnaire est celui qui peut analyser la situation de sa propre initiative et peut adopter une politique en fonction.

Il n’attend l’aide de personne.

Nos Slogans Organisationnels :

1. Chaque membre du Parti doit former au moins un Groupe de cinq militant. Il instruit les cadres de ce Groupe Militant en éducation politique.

2. Chaque membre du Parti doit veiller à ce qu’aucun camarade ne soit exposé à la police.

3. Il doit y avoir un local clandestin pour les réunions de chaque Groupe Militant. Si nécessaire, des abris pour en garder un ou deux dans la clandestinité doivent être mis en place.

4. Chaque Groupe Militant doit déterminer une personne pour les contacts.

5. Un endroit doit être mis en place pour cacher les documents secrets.

6. Un membre du Groupe Militant doit devenir membre du Parti dès qu’il devient expert en éducation et travail politiques.

7. Après être devenu membre du Parti, le Groupe Militant doit couper tout contact avec.

On doit adhérer fermement à ce style organisationnel.

Cette organisation elle-même prendra dans le futur la responsabilité de l’organisation révolutionnaire.

Quelle sera l’éducation politique ?

La base principale de la révolution en Inde est la révolution agraire.

Le slogan principal de la campagne de propagande politique sera donc « réussir la révolution agraire ».

C’est seulement dans la mesure où nous serons capables de répandre le programme de la révolution agraire parmi les ouvriers et la petite-bourgeoisie et de les éduquer ainsi, qu’ils seront formés dans l’éducation politique. Chaque Groupe Militant doit discuter de l’analyse de classe parmi la paysannerie, de la propagande pour le programme de la révolution agraire.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ?

Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ?

C’est l’une des questions les plus importantes dans le monde aujourd’hui. Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ? La révolution indienne, dans les années 1960, a-t-elle produit une pensée guide, par un dirigeant révolutionnaire ayant compris la nature de la société indienne ?

De nos jours, les révolutionnaires indiens disent que non, étant donné qu’ils rejettent le principe lui-même depensée guide. Est-ce correct ? Regardons cela, comme c’est, ce 21 septembre, le dixième anniversaire de la fondation du Parti Communiste d’Inde (Maoïste).

Charu Mazumdar

Charu Mazumdar et le PCI (ML)

La date choisie pour la fondation du Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste) – PCI (ML) fut le 22 avril 1969, parce que Lénine était né le 22 avril 1870.

Le PCI (ML) était pratiquement né directement de la lutte de Charu Mazumdar dans le Parti Communiste d’Inde (Marxiste), donnant naissance à la « Comité pan-indien de coordination des révolutionnaires communistes » et ensuite au PCI (ML).

Dans cette lutte, Charu Mazumdar écrivit de nombreux documents pour proposer une ligne révolutionnaire, dont l’expression fut principalement l’organe révolutionnaire « Liberation ».

Comment une pensée guide doit-elle être définie ?

Pour comprendre s’il y a une Pensée Charu Mazumdar, nous devons définir le critère d’une telle pensée guide.

Une pensée guide est produite par un dirigeant révolutionnaire comprenant la situation sociale de son pays et promouvant une lutte authentiquement révolutionnaire – par un Parti -, sur une base scientifique et sans compromis avec le révisionnisme.

Cela signifie qu’un révolutionnaire, dans un pays donné, participe à la lutte des classes et par les travaux scientifiques, comprend les contradictions sociales, qu’il explique, organisant l’avant-garde sur ces conceptions, pavant la voie pour la guerre populaire.

L’Inde en lutte et Charu Mazumdar

Comme le révolutionnaire formant la pensée guide participe à la lutte de classe, nous devons voir quelles luttes Charu Mazumdar connaissait. De fait, nous le trouvons dans le mouvement paysan Tebhaga en 1946 et bien entendu de manière plus connue la révolte paysanne de Naxalbari en 1967.

Parlant au sujet du mouvement Tebhaga, Charu Mazumdar nous dit, alors qu’il était un témoin actif depuis la clandestinité :

« Les paysans participant à ce mouvement étaient au nombre d’environ six millions. Il faut se souvenir ici que pour l’ensemble du mouvement paysan c’était l’âge d’or. Dans le caractère massif du mouvement, dans l’intensité des émotions, dans l’expression de la haine de classe, ce mouvement était le plus haut niveau de la lutte de classes. »

Parlant au sujet du mouvement Naxalbari, Charu Mazumdar explique :

« Si la lutte paysanne de Naxalbari a une leçon quelconque pour nous, c’est : les luttes militantes doivent être menées non pas pour la terre, pour les récoltes, etc., mais pour la prise du pouvoir d’Etat. C’est précisément cela qui donne son caractère unique à la lutte de Naxalbari. »

Les « naxals » et les huit documents historiques

La participation a conduit Charu Mazumdar à former l’arrière-plan théorique de ce qui sera connu comme le mouvement « naxalite ». Il a organisé la rupture avec le Parti Communiste d’Inde (Marxiste) qui était devenu révisionniste.

Ainsi, Charu Mazumdar a théorisé ce qu’il a pensé comme étant la voie nécessaire pour la révolution indienne, notamment ce qui est connu comme les « huit documents historiques » : « Nos tâches dans la situation actuelle », « Faire de la Révolution Démocratique Populaire un succès en luttant contre le révisionnisme », « Quelle est la source de l’éruption révolutionnaire spontanée en Inde », « Continuer la lutte contre le révisionnisme moderne », « Quelle possibilité indique l’année 1965 ? » ; « La tâche principale aujourd’hui est la lutte pour construire le Parti vraiment révolutionnaire à travers la lutte sans compromis contre le révisionnisme », «Prendre cette opportunité », « Continuer en avant la lutte paysanne en combattant le révisionnisme ».

Charu Mazumdar

La nature des écrits de Charu Mazumdar

Le contenu des écrits de Charu Mazumdar à analyser doit être divisé en quatre types :

* d’un côté :

– ceux traitant de la lutte armée, dans l’esprit de la révolte de Naxalbari,

– ceux traitant de la construction du Parti ;

* de l’autre côté :

– ceux traitant de la société indienne,

– ceux traitant de l’idéologie comme guide révolutionnaire.

Le premier aspect est lié à la forme de la lutte, le second à l’infrastructure du pays.

L’Inde comme pays semi-féodal semi-colonial

Charu Mazumdar défend le point de vue du matérialisme dialectique au sujet de l’Inde. Selon lui :

« Le système social qui existe en Inde est semi-féodal et semi-colonial. Ainsi, la révolution démocratique dans ce pays signifie la révolution agraire. Tous les problèmes de l’Inde sont liés à cette tâche. »

C’est la position correcte expliquant que l’Inde a besoin d’une Révolution de Nouvelle Démocratie.

« Venez, camarades, que tous les travailleurs se préparent de manière unie pour la lutte armée contre ce gouvernement, sous la direction de la classe ouvrière, sur la base du programme de la révolution agraire. D’autre part, posons la fondation de l’Inde de nouvelle démocratie populaire en construisant des zones paysannes libérées par des révoltes paysannes. »

La révolution agraire

La question est ici : est-ce que Charu Mazumdar a formulé la voie pour la révolution agraire ? Oui, il l’a fait. Il a analysé la société indienne et proposé une voie à suivre. Voici comment il l’explique :

« La révolution agraire est la tâche de ce moment précis ; cette tâche ne peut pas être laissée non réalisée, et sans la réaliser, rien de bien ne peut être fait pour les paysans.

Mais avant de mener la révolution agraire, la destruction du pouvoir d’État est nécessaire. Faire des efforts pour la révolution agraire sans la destruction du pouvoir d’Etat, cela revient à un révisionnisme complet. Par conséquent, la destruction du pouvoir d’Etat est aujourd’hui la première et principale tâche du mouvement paysan.

Si cela ne peut pas être fait sur une base à l’échelle de tout le pays, de tout l’Etat, les paysans attendront-ils silencieusement ? Non, le marxisme-léninisme Pensée Mao Zedong nous a enseigné que si dans une zone les paysans peuvent être soulevés politiquement, alors on doit aller de l’avant avec la tâche de détruire le pouvoir d’État dans cette zone. C’est ce qui est appelé comme une zone libérée de paysans.

La lutte pour construire cette zone libérée est la tâche la plus urgente du mouvement paysan aujourd’hui, un tâche du moment. Que devons-nous appeler une zone libérée ? Nous devons appeler cette zone paysanne libérée là où nous avons été capable de renverser les ennemis de classe. Pour construire cette zone libérée, nous avons besoin de la force armée des paysans. Lorsque nous parlons de force armée, nous avons à l’esprit les armes faites par les paysans. Ainsi, nous voulons également des armes. »

La lutte armée comme tâche centrale

Comme la révolution agraire nécessite la destruction de l’Etat, alors la position de Charu Mazumdar est, en elle-même, celle de la lutte armée. Pour lui, il est clair que :

« Nous sommes encore incapable de réaliser que dans l’époque présente, nous ne pouvons pas construire des mouvements de masse pacifiquement. Car la classe dominante ne nous donnera pas et ne nous donne pas non plus une telle opportunité. »

Et malgré cela :

« Il y a quelques camarades qui prennent peur lorsque les luttes armées sont mentionnées, et continuent d’y voir le spectre de l’aventurisme. »

Selon Charu Mazumdar, la seule conséquence logique de tout cela est que :

« Si nous prenons conscience de la vérité comme quoi la révolution indienne prendra invariablement la forme de la guerre civile, alors la tactique de la prise du pouvoir par zone est la seule tactique. La tactique de la prise du pouvoir en Chine est la seule tactique. La tactique qui a été adopté par le grand dirigeant de la Chine Mao Zedong – la même tactique doit être adoptée par les marxistes indiens. »

L’anéantissement

Ce n’est pas tout. La position clef de Charu Mazumdar dans son affirmation de la lutte armée est la politique de l’anéantissement. Cela lui est très particulier ; au début des années 1970, la politique de l’anéantissement était la pensée de Charu Mazumdar en elle-même.

Voici comment il explique sa conception :

« Tous les types de mouvement doivent être portés à toutes les époques, mais la forme du mouvement principal dépend de la classe dominante.

La caractéristique présente de notre époque est que le gouvernement combat tout mouvement par de violentes attaques. Ainsi, pour le peuple, le mouvement de résistance armée est apparu comme la nécessité la plus importante.

Ainsi, dans l’intérêt des mouvements de masse, l’appel doit être donné à la classe ouvrière, la paysannerie combattante et chaque personne combattante : (1) prendre les armes ; (2) former des unités armées pour la confrontation ; (3) éduquer politiquement chaque unité armée.

Ne pas donner cet appel signifie pousser sans considération les masses désarmées à la mort. La classe dominante veut cela, car de cette manière ils peuvent briser la force de l’esprit des masses combattantes. Les masses agitées aujourd’hui attaquent des stations de train, des commissariats, etc. D’innombrables agitations éclatent contre les bâtiments gouvernementaux, ou les bus, les trams et les trains.

C’est comme l’agitation des Luddites contre les machines. Les révolutionnaires doivent apporter la direction consciente, frapper les bureaucrates haïs, les employés de la police, les officiers militaires ; le peuple doit se voir enseigner que la répression n’est pas faite par les commissariats, mais par les officiers en charge de ceux-ci, les attaques ne visent pas les bâtiments gouvernementaux ou les transports, mais les hommes de la machine répressive du gouvernement, et c’est contre ceux-ci que nos attaques sont dirigées.

La classe ouvrière et les masses révolutionnaires doivent se voir enseigner qu’elles ne doivent pas attaquer simplement pour attaquer, mais doivent finir la personne qu’elles attaquent. Car, si elles attaquent seulement, la machinerie réactionnaire se vengera. Mais si elles anéantissent, chaque élément de la machinerie répressive basculera dans la panique. »

La bataille de l’anéantissement

L’anéantissement n’est pas seulement une tactique décisive, c’est la stratégie, la pensée de Charu Mazumdar en elle-même. L’anéantissement est considérée comme le principe en lui-même de la lutte de classe. Charu Mazumdar dit :

« Sans la lutte de classe – la bataille de l’anéantissement – l’initiative des masses paysannes pauvres ne peut pas être lancée, la conscience politique des combattants ne peut pas être élevée, l’humain nouveau ne peut pas émerger, l’armée du peuple ne peut pas être créé.

Ce n’est qu’en menant la lutte de classe – la bataille de l’anéantissement – que l’humain nouveau sera créé, l’humain nouveau qui défiera la mort et sera libre de toutes les pensées d’intérêt personnel.

Et avec cet esprit défiant la mort, il se rapprochera de l’ennemi, volera son fusil, vengera les martyrs et l’armée du peuple émergera.

Se rapprocher de l’ennemi est nécessaire pour conquérir toute pensée de soi. Et cela ne peut être achevé que par le sang des martyrs. Qui inspire et crée des humains nouveaux à partir des combattants, les remplit avec la haine de classe et les fait aller proche de l’ennemi et lui arracher à mains nues son fusil. »

Et c’est universel :

« L’anéantissement de la classe ennemie – cette arme dans nos mains – est le plus grand danger des réactionnaires et des révisionnistes dans le monde entier. »

Charu Mazumdar

Le Parti militarisé

La conséquence de la conception de Charu Mazumdar est que le PCI (ML) fut un Parti militarisé opérant depuis la clandestinité. La tâche primaire des cadres était la lutte armée.

Charu Mazumdar explique ici :

« La signification des Groupes Activistes du Parti aujourd’hui est qu’ils seront des « unités combattantes ». Leur devoir principal sera la campagne de propagande politique et de frapper les forces contre-révolutionnaires.

Nous devons toujours garder à l’esprit que l’enseignement de Mao Zedong – « les attaques ne sont pas menées dans l’intention d’attaquer simplement, les attaques sont seulement pour l’anéantissement ». Ceux qui doivent être attaqués sont principalement : (1) les représentants de la machinerie d’Etat comme la police, les officiers militaires ; (2) la bureaucratie haïe ; (3) les ennemis de classe.

L’objectif de ces attaques doit également être l’obtention d’armes. A l’époque présente, ces attaques peuvent être menées partout, dans les villes et dans les campagnes. Notre attention particulière doit être donnée spécialement dans les zones paysannes. »

Le volontarisme

Pour Charu Mazumdar, l’époque entière était marquée par la lutte armée ; il parle de « l’époque de la lutte armée », il dit : « Aujourd’hui, dans l’époque du soulèvement révolutionnaire ». En raison de cela, il appelle au volontarisme, à l’esprit de sacrifice :

« Encore et encore, l’agitation parmi les paysans a éclaté. Ils ont de manière répétée recherchée une orientation de la part du Parti Communiste. Nous ne leur avons pas dit que la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte des armes constituent la seule voie. Cette voie est la voie de la classe ouvrière, la voie de la libération, la voie de l’établissement d’une société libre de l’exploitation.

Dans chaque État de l’Inde, les paysans sont aujourd’hui dans un état d’agitation, les communistes doivent leur montrer la voie. La voie est celle de la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte d’armes. Nous devons porter de manière ferme cette seule et unique voie de la libération.

La grande révolution culturelle de la Chine a déclaré la guerre à tous les types d’égoïsme, de mentalité de groupe, de révisionnisme, de suivisme de la bourgeoisie, d’éloge de l’idéologie bourgeoise – l’impact étincelant de cette révolution a également atteint l’Inde.

L’appel de cette révolution est : « Sois préparé à faire de manière résolue toutes les sortes de sacrifice, à balayer tous les obstacles le long de la voie, un par un, la victoire sera à nous. » 

Aussi terrible que soit l’apparence de l’impérialisme, aussi horrible que soit le piège posé par le révisionnisme, les jours des forces réactionnaires sont comptés, les brillants rayons du soleil du marxisme-léninisme Pensée Mao Zedong effaceront toute obscurité. »

La lutte armée comme ligne de démarcation

La conséquence de la position de Charu Mazumdar fut le rejet du révisionnisme du PCI (Marxiste), parce que ce parti prétendait lancer la révolution un jour, mais ne s’engageait pas dans la lutte armée.

Ainsi, la lutte armée devint le critère, la ligne de démarcation :

« Il faut toujours rappeler que si les mots « Prise du Pouvoir Politique » sont abandonnés, le Parti ne reste plus un Parti révolutionnaire. Bien qu’il reste un Parti révolutionnaire sur le plan du nom, il sera réduit en fait en un parti réformiste de la bourgeoisie.

Lorsqu’ils parlent de la prise du pouvoir politique, certains pensent au centre [du pouvoir]. Ils pensent qu’avec l’expansion graduelle des limites du mouvement, notre seul objectif est de capturer le pouvoir centralement. Cette pensée n’est pas seulement fausse ; cette pensée détruit la pensée révolutionnaire correcte au sein du parti et le réduit à un parti réformiste. »

L’aide idéologique de la Chine

La position de Charu Mazumdar était bien connue par la Chine Rouge, qui la soutenait. C’est ce que veut dire Charu Mazumdar quand il dit :

« C’est pourquoi la direction internationale nous a encore et encore rappelé de l’importance de construire un Parti. »

De fait, le Parti Communiste de Chine a saluté fraternellement à la fois le PCI (ML) et Charu Mazumdar. Construire le Parti était une tâche devant arriver rapidement ; Charu Mazumdar dit :

« Nous devons immédiatement prendre en main la tâche de construire un tel parti. Ce n’est peut-être pas possible, juste maintenant, de construire un tel Parti sur une base pan-indienne, mais cela ne doit pas nous décourager.

Nous devons commencer notre travail où que ce soit où nous pouvons construire un tel parti, quelle que soit la petitesse d’une zone. Nous devons mettre de côté les peurs d’être une minorité, et avancer avec une foi inébranlable dans la pensée du Président [Mao Zedong]. »

Le Parti comme condition d’une étape supérieure de la révolution

La révolution indienne a de fait réalisé un grand saut avec la naissance du PCI (ML), parce que sans cela, les luttes auraient été isolées. D’un manière correcte, dans une position qui est celle de la social-démocratie historiquement, lorsqu’elle était révolutionnaire, le Parti est nécessaire pour amener le mouvement à une étape supérieure :

« L’autorité révolutionnaire ne peut pas grandir si nous dépendons seulement des initiatives locales pour développer toutes ces luttes sur la même voie et à une étape supérieure. Comme résultat, ces luttes échoueront à aller à une étape supérieure.

Pour amener ces luttes plus avant, il est nécessaire de construire un Parti dans toute l’Inde et un centre reconnu par tous les révolutionnaires. La discipline auto-imposée est essentielle pour construire ce centre. »

Et ainsi, toutes les tâches étaient inter-reliées :

« La tâche principale de notre politique sera d’établir consciemment cette lutte armée sur une base de masse. Les trois points élémentaires sont : (1) l’unité ouvrière-paysanne sous la direction de la classe ouvrière, (2) l’établissement conscient de la lutte armée sur une base de masse et (3) le ferme établissement de la direction du Parti Communiste.

Il est impératif de ne pas mettre de côté une seule de ces trois tâches. »

La construction du Parti comme clef

La conclusion de l’interconnexion  de ces tâches est que la construction du Parti est l’aspect principal pour évaluer le niveau de la révolution indienne.

« Le futur de la révolution dépend d’à quelle vitesse nous pouvons construire durant cette période les organisations du Parti parmi les classes. De cela dépendra si nous sommes capables de diriger ce soulèvement révolutionnaire ou pas.

Il est possible que ce soulèvement prendra place durant la lutte arrivant pour saisir les récoltes. Faisons que les intellectuels révolutionnaires aillent de l’avant et aident à construire le parti révolutionnaire en répandant et en propageant la pensée du Président Mao parmi les ouvriers et les paysans. »

Et :

« Nos tâches cardinales, ainsi, sont de construire le Parti et de l’avoir enraciné parmi les sans-terres et les paysans pauvres. La construction du Parti signifie le développement de la lutte de classe armée. Et sans lutte de classe armée, le Parti ne peut pas être développé et ne peut pas s’enraciner dans les masses. »

La pensée de Charu Mazumdar considérée comme reflet de la Pensée Mao Zedong

Quand il expliquait tout cela, Charu Mazumdar considérait seulement qu’il était en train de redire la conception de Mao Zedong. Charu Mazumdar essaie d’être l’activiste le plus discipliné et il met en avant la pensée Mao Zedong comme pensée à suivre :

« Nous devons sans cesse propager la politique de la révolution agraire et la pensée du président Mao parmi la classe ouvrière. »

« Les citations de la Guerre Populaire publiées par les Comité Central du grand Parti Communiste de Chine sont maintenant disponibles pour nous, une traduction en bangla ayant déjà été publiée. Ce libre est fait à l’intention des ouvriers et paysans révolutionnaires. Nous devons faire de celles-ci notre propagande et notre matériel d’agitation.

Si un ouvrier est révolutionnaire ou non sera jugé sur la base du nombre d’ouvriers et de paysans à qui il a lu et expliqué ce livre. »

« L’organisation politique de la jeunesse et des étudiants doit nécessairement être une organisation Garde Rouge, et ils doivent entreprendre la tâche de répandre les citations du Président Mao de manière aussi large que possible dans différentes zones. »

Reconnaissance du maoïsme

Ici, nous trouvons la clef. Charu Mazumdar reconnaissait l’aspect universel des contributions de Mao Zedong. Il était en fait à la fois faisant cela, et formant une pensée – une pensée qu’il pensait être celle de Mao Zedong, et non pas la sienne.

C’est pourquoi il peut dire :

« La Révolution Démocratique du Peuple dans notre pays peut être amenée à une fin victorieuse seulement sur la base de la pensée du Président Mao. La mesure dans laquelle quelqu’un assimile et applique la pensée du Président détermine si c’est un révolutionnaire ou pas.

Qui plus est, la mesure du soulèvement révolutionnaire dépendra d’à quel point nous pouvons diffuser et propager la pensée du Président parmi les paysans et les ouvriers. Cela, parce que la pensée du Président n’est pas simplement le marxisme-léninisme de notre époque présente : le Président a fait progresser le marxisme-léninisme lui-même jusqu’à une étape complètement nouvelle.

C’est pourquoi l’époque présente est devenu l’époque de la pensée du Président. »

Les pensées Charu Mazumdar et Mao Zedong – unies de manière abstraite

La conséquence de la non-compréhension par Charu Mazumdar des deux côtés de la question – sa pensée comme expression nationale indienne et en tant qu’application du maoïsme universel, a amené une confusion idéologique, tous ces aspects étant mélangés.

Cela est clair quand Charu Mazumdar dit :

« Dans l’époque présente, la pensée du Président Mao est le plus haut développement du marxisme-léninisme. Le président Mao n’a pas seulement appliqué créativement le marxisme-léninisme, mais a enrichi le marxisme-léninisme et l’a développé jusqu’à une nouvelle étape. La pensée de Mao Zedong peut être appelé le marxisme-léninisme de notre époque où l’impérialisme va à son effondrement complet et où le socialisme avance vers la victoire à l’échelle mondiale.

Le Président Mao nous a enseigné que dans un pays semi-féodal, semi-colonial, les paysans constituent la majorité de la population et que la paysannerie est exploitée et gouvernée par trois montagnes, à savoir l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique.

C’est pourquoi les paysans sont extrêmement désireux de faire la révolution. Ainsi, le prolétariat doit s’appuyer sur les paysans, afin d’achever la victoire par la Guerre Populaire.

Le Président Mao nous a enseigné que les paysans sont la principale force de la révolution, et la victoire de la révolution dépend de l’éveil et de l’armement des masses paysannes. C’est le devoir du parti révolutionnaire du prolétariat d’aller aux masses paysannes et d’assidûment travailler parmi elles pour une longue période, avec en perspective la construction de zones de lutte armée dans les campagnes.

Le manque à réaliser l’importance de cette question paysanne aboutit à la formation au sein du parti de déviations de « gauche » et de droite. Et la révolution démocratique est de manière primaire une révolution agraire. Par conséquent, c’est la responsabilité du prolétariat de fournir la direction à cette révolution agraire. »

C’est à la fois universel et indien.

La Pensée Charu Mazumdar existe : la synthèse

Par conséquent, nous devons dire qu’il y a une pensée Charu Mazumdar, synthétisée dans la position suivante:

« En Inde, qui est maintenant comme un volcan, la révolte des masses paysannes peut être victorieuse seulement en appliquant avec succès la pensée du Président Mao, c’est-à-dire en enthousiasmant les masses paysannes avec la politique de la prise du pouvoir et ainsi leur rendant possible, sous la direction des ouvriers et des paysans pauvres et sans-terres, de participer activement à mener plus avant la révolution agraire ; en chassant les ennemis de classe des campagnes au moyen de la lutte de guérilla, en étendant de telles zones et en établissant des zones libérées, en construisant une armée du peuple à partir des groupes armés de guérilla et en encerclant les villes parles campagnes pour finalement les capturer.

Ce n’est qu’ainsi que l’Inde peut être libérée. Par conséquent, les masses rebelles de chaque zone doivent suivre cette voie pour réaliser la victoire. »

Les manques de la Pensée de Charu Mazumdar

Il y a bien entendu une conséquence mauvaise dans la non-compréhension du double aspect de Charu Mazumdar, qui était d’un côté Plékhanov apportant le marxisme et Lénine le formulant dans un pays donné.

Il était facile, de fait, pour le gauchisme de bouger dans le sens d’appliquer un modèle chinois, s’éloignant de la société indienne. C’est ce qui est en partie arrivé, l’Inde étant considéré comme la Chine d’avant de 1949 et puis voilà.

Nous devons noter ici que, malheureusement, il n’y a pas de documents de Charu Mazumdar en tant que tel traitant de la superstructure du pays.

Nous ne trouvons pas, dans les documents de Charu Mazumdar, d’explication matérialiste de l’hindouisme, de la littérature et des films indiens, ou de la poésie, dont l’histoire est si riche, etc.

Cela provient d’une non-compréhension des deux aspects de sa pensée, et malheureusement la confusion a amené le militarisme, un gigantesque mouvement de masse de la jeunesse bengalie tentant d’être des « gardes rouges » avant d’être écrasée par la violence à une échelle massive, et enfin l’effondrement entier du PCI (ML).

L’héritage de Charu Mazumdar

Charu Mazumdar lui-même fut arrêté le 16 juillet 1972, torturé pendant dix jours, isolé du monde, avant de mourir le 28 juillet 1972. Le PCI (ML) s’effondra bientôt après, avec de nombreux groupes scissionnistes apparaissant.

La question de l’héritage de Charu Mazumdar fut bien entendu centrale, avec le principe de l’anéantissement comme débat principal. Dans les années 1960-1970, être pour l’anéantissement signifiait être avec Charu Mazumdar, le rejeter signifiait le rejeter lui, soit comme dirigeant du PCI (ML), soit, en étant en-dehors de ce dernier, en rejetant à la fois le PCI (ML) et Charu Mazumdar.

Depuis les années 1970 et jusqu’à aujourd’hui, il y a de nombreux courants prétendant soutenir le PCI (ML) des années 1970 d’une manière ou d’une autre, mais rejetant la ligne de Charu Mazumdar comme « gauchiste ». Ces gens disent que la lutte armée était séparée du mouvement de masse, que c’était militariste, gauchiste, une copie aveugle de la révolution démocratique chinoise, etc.

Déjà à l’époque de Charu Mazumdar, certaines personnes autour de Kanhai Chatterji formèrent le Centre Communiste Maoïste, rejetant l’anéantissement sous le même prétexte de séparation de la lutte paysanne.

Aujourd’hui, le Parti Communiste d’Inde (Maoïste) soutient à la fois Charu Mazumdar et Kanhai Chatterji.

La pensée de Charu Mazumdar et l’Inde

Mais il n’est pas possible de mettre en avant à la fois Charu Mazumdar et Kanhai Chatterji, sur le même plan. Si à leur époque, deux partis existaient, c’était pour une bonne raison, il n’est pas possible d’évacuer cette question. Cependant, le Parti Communiste d’Inde (Maoïste) n’a pas de position à ce sujet.

La raison de cela est que la conclusion logique censée se produire est de reconnaître la pensée Charu Mazumdar et de séparer l’aspect universel des aspects indiens.

Cela permettrait de comprendre le processus réel de la naissance du PCI (ML), pour voir comment Charu Mazumdar a réactivé le matérialisme dialectique en Inde.

Au lieu de cela, le « gauchisme » de Charu Mazumdar est oublié, comme son exigence d’avoir une perspective depuis en haut, et par conséquent les aspects nationaux sont effacés : aussi ahurissant que cela puisse sembler, les maoïstes indiens n’ont pas d’études sur l’hindouisme, l’Islam et Bollywood. La culture indienne n’est pas un thème – et c’est l’aspect manquant qui a permis à la propagande fasciste de Narendra Modi d’avoir un tel terrible succès en Inde.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Georges Sand, Procope le grand (1869)


« Ils troublent et confondent tous les droits humains, en disant qu’il ne faut point obéir aux rois, que tous les biens doivent être communs, et que tous les hommes sont égaux. » (Lettre du pape Martin V au roi de Pologne.)

Nous avons promis à nos lecteurs, en terminant l’abrégé de l’histoire de Jean Ziska, un récit succinct de la vie de Procope, son élève dans l’art de la guerre, et son successeur dans le commandement de l’armée Taborite.

On lit peu aujourd’hui l’histoire des sectes qui ont précédé la Réforme de Luther. Nous croyons pourtant cette étude fort curieuse, fort utile et intimement liée à la solution des problèmes qui agitent les peuples d’aujourd’hui. Nous nous promettons de l’approfondir et de la développer ailleurs. L’esquisse rapide que nous allons tracer ne doit être considérée que comme un fragment d’une œuvre plus complète.

Ziska, Procope, sont deux soldats glorieux d’une cause glorieuse. Il faudrait expliquer Ziska et Procope par les doctrines qu’ils ont soutenues de leur épée, et pour lesquelles ils moururent.

Comprendrait-on nos guerres de la Révolution ; si on n’avait aucune lumière sur les principes de cette Révolution ? Ne faut-il pas Voltaire et Rousseau pour expliquer la Convention, Danton et Robespierre ?

Les figures de Jean Huss, de Jérôme de Prague, de Wicklef, devraient donc précéder celles de Ziska et de Procope. Mais les réformateurs au quinzième siècle avaient eu leurs devanciers au treizième et au quatorzième. D’ailleurs toute cette cause se rattachait à l’Évangile, au Christ. Voilà donc en première ligne le Christ et l’Évangile ; là est la lumière qui devrait éclairer le sujet tout entier.

On le voit, nous sentons bien, du moins, l’immense difficulté d’une pareille tâche ; et on nous pardonnera si, dans cette biographie comme dans la précédente, il s’agit plus des événements que de leur cause, plus d’histoire proprement dite que de théologie. Nous resserrons notre point de vue, pour pouvoir le remplir et pour être utile.

Avant de commencer, pourtant, nous prierons le lecteur de remarquer notre épigraphe ; car, à défaut de mieux, elle explique, quant à présent, ce que nous avons tenté déjà de faire reconnaître et toucher au doigt dans l’histoire de Ziska.

Voici, dans son entier, le fragment authentique où nous avons puisé cette épigraphe. C’est un passage d’une lettre écrite par le pape Martin V au roi de Pologne, en 1430, pour l’engager à se joindre à la croisade contre les hérétiques de Bohême.

Ce prince lituanien (Wladislas IV), très-récemment converti à la loi chrétienne, n’était probablement pas très-rompu aux subtilités théologiques. Aussi, le pape, jugeant à propos de lui parler clair et de ne pas équivoquer sur les mots, afin qu’il comprit l’importance de son alliance avec le saint-siége et l’Empire, s’exprimait en ces termes : « Ce n’est pas seulement l’altération de la religion qui doit animer contre eux un roi catholique : la prudence le veut aussi. Par les dogmes de ces gens-là, toute police est renversée ; l’autorité des rois est foulée aux pieds ; ils troublent et confondent tous les droits humains, en disant qu’il ne faut obéir à aucune puissance, pas même aux rois, que tous les biens doivent être communs, et que tous les hommes sont égaux ! »

Voilà donc la dispute théologique qui a paru si embrouillée, si ridicule et si méprisable aux écoles philosophiques du siècle dernier, résumée, jugée et condamnée par le pape, en deux mots.

Qu’on ne dise donc plus que les hommes du passé se sont émus et ont lutté pour de vaines subtilités. Jean Huss et Jérôme de Prague ne sont pas les victimes volontaires d’un fol orgueil de rhéteurs, comme les écrivains orthodoxes ont osé le dire : ils sont les martyrs de la Liberté, de la Fraternité et de l’Égalité.

Oui, nos pères, qui eux aussi avaient cette devise, portaient la sainte doctrine éternelle dans leur sein ; et la guerre des Hussites est, non-seulement dans ses détails, mais dans son essence, très-semblable à la Révolution française. Oui, comme nous l’avons déjà dit bien des fois, ce cri de révolte : la coupe au peuple ! était un grand et impérissable symbole.

Oui, les saintes hérésies du moyen âge malgré tout le sang qu’elles ont fait couler, comme notre glorieuse Révolution malgré tout le sang qu’elle a versé, sont les hautes révélations de l’Esprit de Dieu, répandues sur tout un peuple. Il faut avoir le courage de le dire et de le proclamer.

Ce sang fatalement sacrifié, ces excès, ces délires, ces vertiges, ces crimes d’une nécessité mal comprise, tout ce mal qui vient ternir la gloire de ces révolutions et en souiller les triomphes, ce mal n’est point dans leur principe : c’est un effet déplorable d’une cause à jamais sacrée.

Mais d’où vient-il ce mal dont on accuse sans distinction et ceux qui le provoquent et ceux qui le rendent ? Il vient de la lutte obstinée, des hostilités, des provocations iniques des ennemis de la lumière et de la Vérité divine.

Plus profondément, sans doute, il vient de l’épouvantable antagonisme des deux principes, le bien, et le mal. C’est peut-être ainsi que l’entendaient, dans leur origine, ces religions qui admettaient une lutte formidable entre le bon et le mauvais Esprit.

Moins diaboliques que le Christianisme perverti, elles annonçaient la conversion et la réhabilitation de l’Esprit du mal ; elles le réconciliaient, à la fin des siècles, avec le Dieu bon ; elles prophétisaient peut-être ainsi sans le savoir la réconciliation de l’Humanité universelle, le triomphe miséricordieux de l’Égalité, la conversion et la réhabilitation des individus aujourd’hui rois, princes, pontifes, riches et nobles, esclaves de Satan, avec les peuples émancipés.

Et si nous ne croyons pas un peu nous-mêmes à ce miracle de l’éternelle sagesse, de quel côté se tourneront nos espérances ? Retournerons-nous aux fureurs du Taborisme, à la Jacquerie, aux persécutions, à l’holocauste effroyable de toute une caste, à la guillotine, qu’au lendemain de la Révolution nous aurions dû briser pour ne la relever jamais, même pour les plus grands criminels ? Non.

Ces fureurs, quelques légitimes qu’elles aient pu sembler, dans les siècles d’ignorance et dans les jours de désespoir, n’ont point profité à nos pères. L’Église de Rome a longtemps expié les supplices des hérétiques. Les hérétiques, à leur tour, ont expié de farouches représailles. Et nous ; qui avons frappé par le glaive, nous sommes gouvernés par le glaive !

Nous n’étions pas mûrs pour faire régner une vérité sans tache : on ne nous juge pas dignes d’être gouvernés par la vérité. On nous enferme dans des murailles, on nous entoure de canons et de forteresses. Nous n’avons donc pas vaincu !

Et dire que tous les hommes sont égaux, que tous les biens doivent être communs à tous, en ce sens qu’ils doivent profiter à la communion universelle, et par cette communion, à chacun individuellement, est encore une hérésie condamnable et punissable, au nom du pape et du roi.

La doctrine de l’Église, comme la doctrine du trône, est encore ce qu’elle était au temps de Martin V et de Sigismond ; et il y a encore des croisades toutes prêtes à se former contre nous, quand nous voudrons donner la coupe à tout le monde.

Hâtons donc le triomphe de la Vérité, et faisons avancer la loi de Dieu par les moyens conformes à la lumière de notre siècle et au respect de l’Humanité, telle qu’il nous est enfin accordé de la comprendre et de la connaître, après tant de siècles d’erreur et de misère. Admirons, dans le passé, la foi de nos pères les hérétiques, jointe à tant d’audace et de force ; mais enseignons à nos fils, avec la foi, le courage et la force, la douceur et la mansuétude.

La mission pacifique du Christ a porté de plus beaux fruits et transformé le monde plus profondément que les missions sanguinaires entreprises depuis en son nom. Les grands guerriers, les nobles champions de l’hérésie ont laissé des œuvres incomplètes, parce qu’ils ont versé le sang. L’Église est tombée au dernier rang dans l’esprit des peuples, parce qu’elle a versé le sang. L’Église n’est plus représentée que par des processions et des cathédrales, comme la royauté n’est plus représentée que par des citadelles et par des soldats.

Mais l’Évangile, la doctrine de l’Égalité et de la Fraternité, est toujours et plus que jamais vivant dans l’âme du peuple. Et voyez le crucifié, il est toujours debout au sommet de nos édifices, il est toujours le drapeau de l’Église !

Il est là sur son gibet, ce Galiléen, cet esclave, ce lépreux, ce paria, cette misère, cette pauvreté, cette faiblesse, cette protestation incarnées ! Il est là-haut, non pas, comme ils le disent, dans les cieux inaccessibles, mais sur la terre, et comme planant au-dessus d’elle, au sommet des temples, et sur la coupole des hauts lieux réservés à la prière et à la méditation.

Sa prophétie s’est accomplie : il est remonté dans le Ciel, parce qu’il est rentré dans l’Idéal. Et de l’Idéal il redescendra pour se manifester sur la terre, pour apparaître dans le réel. Et voilà pourquoi, depuis dix-huit siècles, il plane adoré sur nos têtes.

Étrange vicissitude de ta longue royauté, ô Christ ! ô le plus petit, le plus pauvre, le plus humble, le plus méprisé et le plus méconnu des enfants du peuple ! La tyrannie des papes, la tyrannie des empereurs et des rois, celle de la noblesse, celle de l’hypocrisie, toutes les tyrannies ont conservé ton symbole, comme une protestation invincible des petits et des pauvres contre l’orgueil et la dureté des puissants et des riches.

On traîne à l’échafaud un misérable que la brutalité de l’ignorance et le désespoir furieux de la misère ont poussé au crime ; les lois religieuses et civiles le condamnent, la foule le contemple sans émotion, les gendarmes le lient, et le bourreau s’en empare. Un prêtre l’accompagne à l’échafaud, et lui présente un emblème. C’est une croix, c’est la figure d’un gibet !

La société tue ce misérable, qu’elle a abandonné au mal, et qu’elle ne sait ni ne veut convertir.

Et si une voix puissante comme celle du Christ s’élevait dans la foule pour crier que cet homme est moins coupable que la société, et que, par conséquent, la société n’a pas le droit de l’immoler ; si le peuple, ému de cette parole, se soulevait ; s’il renversait l’échafaud, s’il repoussait la soldatesque, s’il courait vers la demeure du souverain pour lui demander la grâce des criminels et les moyens d’empêcher de nouveaux crimes, du pain et de l’instruction pour tous, au nom de l’Égalité, au nom de l’Évangile, au nom du Christ… la soldatesque reviendrait plus nombreuse et mieux armée, elle disperserait l’émeute, elle saisirait ceux qui ne voudraient pas fuir, elle les remettrait à des geôliers ; et ils comparaîtraient devant des juges, et ils seraient accusés comme révolutionnaires, comme criminels de lèse-société. Et s’ils voulaient plaider leur cause, l’Évangile à la main, ils seraient condamnés à la prison, à l’exil, à la mort peut-être.

Et là, sur l’échafaud, un prêtre viendrait encore leur montrer le gibet, l’instrument du supplice de cet homme divin qui crut à l’Égalité, et qui fut condamné et immolé pour n’avoir pas ménagé les puissances de son temps, pour n’avoir pas redouté Caïphe et Pilate.

Ô société inique et absurde ! où est donc ta force, puisque toi-même tu courbes le front et plies le genou devant l’image du représentant et du révélateur de cette Doctrine que tu condamnes !

Ô Révélation de l’Égalité ! quelle n’est donc pas ta puissance, puisque tu triomphes encore dans ton symbole, puisque tu protestes toujours contre le mensonge qui se pare de ton nom, puisque tu es toujours parmi nous sous la figure d’une croix rayonnante, pour proclamer au monde que ton règne, après deux mille ans, ne l’ait encore que de commencer !

Procope était, comme Ziska, un gentilhomme bohème de médiocre fortune. Élevé et adopté par un oncle qui le destinait à l’état ecclésiastique, il voyagea en France, en Italie, en Espagne, et jusque dans la Terre-Sainte. À son retour, rasé et ordonné prêtre malgré lui, il quitta bientôt la soutane pour l’épée, et s’élança sous les étendards de Ziska.

On l’a déjà vu se distinguer en Moravie contre les Autrichiens et Jean, l’évêque de fer. À la mort du redoutable aveugle, il fut élu chef des Taborites. Ziska, comme nous l’avons vu dans le précédent récit, mourut en 1424, désignant lui-même pour son successeur Procope, surnommé Rase, ou le Rasé, à cause de la circonstance que nous venons de mentionner.

Quant au surnom de Grand, peut-être ne fut-il donné d’abord à Procope qu’à cause de sa taille et pour le distinguer d’un autre Procope surnommé le Petit, un des chefs des Orphelins. Toutefois l’historien Jacques Lenfant, qui a étudié et résumé les chroniques relatives à cette époque, affirme positivement que ce furent ses exploits militaires qui lui firent donner le nom de Grand.

Procope commença sa nouvelle carrière par une course en Autriche et par la prise de plusieurs places, entre autres celle de Hraditz qui était extrêmement forte, et où le combat fut acharné. La ville fut brûlée, et les habitants massacrés.

Dans le même temps les Hussites firent une course dans la Misnie, avec quatre mille lances, c’est-à-dire seize à vingt mille hommes, et prirent une autre place forte avec la même fureur et les mêmes scènes de carnage. Harcelés de tous côtés, anathématisés par le concile de Sienne et menacés d’une nouvelle croisade, les Bohémiens obéissaient à la nécessité de poursuivre le terrible système de Ziska.

Martin V fit jouer tous les ressorts de la politique pour réunir tous les rois, tous les princes et tous les évêques de l’Allemagne et des pays slaves du nom chrétien, contre les Hussites, pour extirper l’infâme hérésie, et pour exterminer tous les hérétiques. Il autorisa les princes de l’Église à lever des impôts extraordinaires pour les frais de la guerre sainte.

Il écrivit à Sigismond qu’il devait, en cette circonstance, justifier sa qualité d’empereur, c’est-à-dire celle de défenseur de l’Église, que cette dignité lui impose. Enfin, il exhorta tous les souverains à oublier leurs propres querelles, et à se réconcilier pour l’amour de Dieu et pour l’extinction de l’hérésie.

À ces menaces, les Bohémiens répondirent « qu’on les attaquait contre tout droit divin et humain ; qu’on les diffamait sans preuve, et sans avoir voulu les entendre ; qu’on ne pouvait, avec vérité, leur reprocher de croire à autre chose qu’à la parole de Dieu, et aux symboles de Nicée, de Constantinople, d’Éphèse, et de Chalcédoine ; qu’ils étaient résolus de défendre cette foi, au péril de leurs biens et de leurs vies ; qu’il n’y avait rien de plus contraire à l’esprit du Christianisme que de vouloir les exterminer au gré du pape et de l’Empereur.

Enfin, que si on les attaquait encore, appuyés qu’ils se croyaient du secours de Dieu, ils repousseraient la force par la force, et que tout le monde, femmes et enfants, ils feraient une résistance qui serait admirable à tout l’univers. »

Les Bohémiens tinrent leur promesse, et cette résistance qu’ils annonçaient fut admirable en effet. Mais ils devaient être vaincus un jour par la ruse des souverains, par leur propre lassitude, et surtout par leurs divisions de croyances et d’intérêts.

On n’a pas oublié que plusieurs sectes s’agitaient dans le sein du Hussitisme. Les armées de Ziska n’étaient pas, comme celles de tous les souverains de cette époque, des troupes d’aventuriers mercenaires ayant pour unique but le pillage, et ne connaissant en campagne ni amis ni ennemis.

Ces armées étaient de véritables sectes religieuses, qui considéraient la violence et la cruauté comme des devoirs sacrés, et le pillage comme l’unique moyen de pourvoir aux frais de la guerre nationale.

S’il y avait du fanatisme et de la férocité dans cette doctrine militaire, il y avait du moins un sentiment élevé de la mission du guerrier chrétien. Dans ces époques de lutte ardente, les hommes ne peuvent être grands que par la révolte et par la guerre. Jeanne d’Arc elle-même, cette figure angélique qui eût pu se placer à côté de celle de Marie dans la divine épopée de Jésus, apparaît au moyen âge sous la cuirasse et sous le casque, comme l’archange Michel, et c’est l’épée à la main qu’elle accomplit sa prédication sublime[1].

Mais les sectes de Tabor étaient grandes et austères, il s’en fallait de beaucoup qu’elles fussent toutes suffisamment éclairées pour demeurer d’accord. Elles étaient parties en apparence de Wicklef et de Jean Huss, mais quelques-unes de leurs doctrines remontaient jusqu’à Pierre Valde et à Bérenger.

Nous avons vu Ziska, en grand général et en politique habile, pactiser tantôt avec les Calixtins, tantôt avec les Catholiques, poursuivre les Picards ou prétendus tels, et ensuite les tolérer ou se faire tolérer par eux. L’espèce de scission qui s’opéra dans son armée, au lendemain de sa mort, montre bien la différence des opinions qu’il avait réussi à tenir unies pour l’action, grâce au prestige de sa gloire et à l’ascendant de sa parole concise, énergique et vaillante.

Mais on ne doit pas oublier qu’il se souciait plus de la guerre que de la foi, et qu’il se sentit, vers la fin, dépassé dans le mal apparent par l’ardeur sauvage de ses troupes, dans le bien réel par l’enthousiasme religieux qui les animait.

Il était mort, laissant la paix jurée, grâce à son habileté et aussi à sa clémence, entre toutes les branches du Hussitisme. Cette union ne pouvait durer.

Les Orphelins, les Orébites, et les Taborites, en se constituant en trois corps et en se choisissant des chefs différents, avaient semblé prévoir qu’ils ne marcheraient pas d’accord, s’ils ne se séparaient dans le repos pour se retrouver sur la brèche et s’entraider à l’heure du péril. Procope le Grand sentit qu’il fallait permettre cette division, et que sa mission était de cimenter au moins une alliance durable entre toutes ces forces de la résistance nationale.

Il y travailla toute sa vie ; mais, plus religieux et peut-être plus sincère que Ziska, il n’abjura jamais sa croyance personnelle, et resta franc Picard envers et contre tous. Ce fut sa gloire et la cause de sa perte.

Il eut bientôt à continuer l’œuvre de Ziska dans le maintien d’une alliance plus difficile encore. Je veux parler de l’espèce de paix qui, en présence de l’ennemi commun, soit le pape, soit l’Empereur, ou les princes soulevés par eux, réunissait les différentes sectes exaltées du Hussitisme au juste-milieu nobiliaire et bourgeois du temps.

Les Orphelins ne tardèrent pas à rompre l’union avec ceux de Prague, c’est-à-dire avec les Calixtins.

Fidèles au principe de faire avancer la loi de Dieu, et obéissant à la nécessité de constituer et de formuler leurs doctrines, tous les Hussites étaient d’accord sur un point admirable, mais dangereux dans la circonstance : c’était d’employer en discussions sur les matières de foi, en assemblées de docteurs et en synodes généraux ou particuliers, tout le temps qui n’était pas employé à la défense du pays et aux travaux de la guerre. Pendant que le concile de Sienne mettait à prix le sang de la Bohême, on débattait en Bohême les plus hautes questions théologiques.

Ce peuple qu’on traitait de barbare, de sanguinaire, d’impie et de débauché, offrait aux yeux du monde étonné le spectacle d’une Église nouvelle qui cherchait à réformer l’ancienne plus radicalement que les conciles œcuméniques, et qui, au milieu des mines, et sous le feu de vingt puissances ennemies, s’efforçait de formuler et d’organiser les bases et la législation de la véritable religion évangélique.

Le pape écrivait à l’Empereur qu’il ne concevait pas qu’il ne pût venir à bout d’une hérésie réfugiée dans un petit coin du monde.

Ce petit coin était plus grand alors que le monde tout entier ; et la vaste Réforme de Luther était là en germe, avec bien d’autres Réformes encore que l’Humanité accomplira sans aucun doute, et peut-être sans violence, dans un avenir plus ou moins prochain.

Il arriva donc que les docteurs Orphelins, maître Jean Przibram, et maître Pierre de Mladowitz, ami de Jean Huss, se trouvèrent en dissidence sur les matières de foi avec le savant Wickléfite Pierre Payne, dit l’Anglais, et maître Jean de Rockisane, celui qui avait conclu la paix entre les Pragois et Ziska, et qui devait jouer encore un grand et fâcheux rôle dans cette révolution.

On verra ailleurs quel était le fond de la dispute, et combien, sous ses formes ardues et mystérieuses en apparence, elle devait intéresser la religion et la politique de la nation.

Les docteurs Orphelins furent mis en prison, puis élargis à la sollicitation de Rockisane ; et la décision de l’assemblée fut que Payne et Przibram, chacun de leur côté, ne parleraient de l’Eucharistie que dans les termes de l’Écriture et des Pères : conclusion fort vague, car la discussion roulait sur ces textes mêmes et sur l’interprétation qu’on devait leur donner. On essaya de calmer les esprits par une mesure de haute tolérance, en défendant aux deux docteurs de se traiter mutuellement d’hérétiques, non plus que Jean Wicklef, Jean Huss, et Jacobel.

Mais si les Calixtins de Prague prenaient prudemment leur parti dans ces sortes de conflits dangereux, les Orphelins n’étaient pas d’humeur à transiger avec leurs doctrines ardentes et leur enthousiasme révolutionnaire.

Leurs docteurs quittèrent Prague fort irrités, avec ceux des Pragois qui partageaient leurs sentiments, et ils allèrent trouver l’armée Orpheline dans son campement de chariots, ces villes ambulantes dont ils ne sortaient même pas pour se battre, ayant frappé d’interdit toutes les cités habitées par les autres hommes, on ne nous dit pas en vertu de quel préjugé fanatique ou de quelle protestation austère.

Aussitôt les Orphelins se mettent en campagne, ayant à leur tête Welichs et Procope le Petit, vaillant homme de guerre. Ils livrent de terribles assauts à la ville pragoise de Litomils avec tant de furie, qu’on eût dit des démons sortis de l’enfer. La ville est emportée, ravagée, et arrosée de sang après une vigoureuse résistance.

Plusieurs autres villes éprouvèrent le même sort. Ensuite s’étant réunis à ceux des villes de Launi et de Zatec, ils allèrent se joindre à leurs frères les Taborites, qui étaient aux prises devant une ville autrichienne avec l’archiduc Albert. La ville fut prise et brûlée, mais le combat n’en fut que plus acharné avec les Autrichiens. Les Taborites y perdirent leurs chariots, et cependant ils en sortirent vainqueurs, après quoi, étant rentrés en Bohême malgré le grand froid (décembre 1425) ils allèrent tous ensemble tenter un coup de main sur Prague.

Mais les Pragois agirent avec Procope le Grand comme ils avaient fait avec Ziska ; ils lui confièrent le salut de la patrie ; et Procope, apaisant les fureurs de son armée, conclut une paix éternelle entre toutes les sectes ennemies.

De là, il alla avec les siens prendre ses quartiers d’hiver à Klattau ; mais il n’y fut pas longtemps oisif. Dès le printemps, et tandis que les princes allemands rassemblaient leurs forces pour une attaque décisive, il alla aux frontières de la Misnie châtier deux généraux de l’électeur de Saxe, qui exerçaient d’horribles cruautés sur les Bohémiens dans ces parages. Il reprit plusieurs places, puis courut au secours des Pragois, qui venaient d’éprouver un échec considérable devant Aussig.

Enfin, au mois de juin 1426, arriva une armée allemande de cent mille hommes, commandée par plusieurs princes de l’Empire et burgraves considérables. Les Hussites, ayant à leur tête un Podiebrad[2], un seigneur de Waldstein et Procope le Grand, se retranchèrent, pour attendre le combat, dans une enceinte de cinq cents chariots liés ensemble de doubles chaînes. Les Allemands passèrent tout un jour de chaleur excessive à briser ces chaînes avec des haches à deux tranchants dont on les avait munis à cet effet pour la première fois.

Les Bohémiens, à couvert derrière leurs grands boucliers fichés en terre, les laissèrent s’épuiser à ce travail ; et dès que la cavalerie se présenta, ils la renversèrent avec leurs machines de guerre. Leurs fantassins étaient en outre armés d’une lance crochue de nouvelle invention, avec laquelle ils désarçonnaient les cavaliers.

Le combat fut acharné, et les Hussites y perdirent trois mille hommes, perte considérable vu leur petit nombre ; mais cinquante mille Allemands périrent, dit-on, en Bohême, dans cette bataille et dans les diverses escarmouches qui harcelèrent leur fuite. La fleur de leur noblesse y demeura et fut ensevelie à Tœplitz sous des poiriers sauvages, qui, selon la tradition, ne portèrent jamais plus de fruit depuis ce temps-là. La même nuit qui vit cette déroute immense des Allemands, ceux des Taborites qui étaient restés occupés au siége d’Aussig emportèrent la place, la brûlèrent, et n’y laissèrent pas un être vivant.

Après la bataille, l’armée Hussite, qui semblait ne pas connaître le repos et se fortifier dans les fatigues et les combats, fit encore d’autres exploits, et enleva d’autres places aux Catholiques. En général, les assiégés se défendaient en désespérés, sachant bien que les Taborites ne faisaient pas quartier aux vaincus.

Mais, par exception, la ville de Mise se rendit à dix hommes commandés par un chef Taborite appelé Przibik Klenowky, et surnommé le héros invincible. En réponse aux reproches de couardise de leurs voisins de Pilsen, Ce chef, dirent ceux de Mise, avait une si longue épée, qu’elle pouvait atteindre d’une porte à l’autre.

Pendant que les Taborites étaient occupés dans l’intérieur du pays, on ravageait leurs frontières. L’archiduc d’Autriche assiégeait une place de Moravie dans laquelle Procope avait mis garnison ; mais en apprenant l’approche du rasé, il s’en retira précipitamment, et Procope lui prit d’autres forteresses.

Une seule fut opiniâtrement défendue par une jeune fille dont le père venait de mourir en lui confiant la garde de sa forteresse, jusqu’à l’arrivée d’un secours qu’on attendait des Catholiques. Le secours n’arriva point, les Taborites le détruisirent en chemin ; mais l’héroïne résista quinze jours encore aux menaces et aux promesses de Procope.

Lorsqu’elle vit tous ses murs démantelés, elle accepta une capitulation honorable, et se retira avec une partie des siens, sous l’escorte d’un des capitaines assiégeants, abandonnant toutefois les vivres et les munitions de guerre.

Les Allemands étaient encore une fois vaincus ; la discorde malheureusement reparut bientôt en Bohême.

On se rappelle Koribut, ce parent du roi de Pologne dont les Calixtins de Prague et les Catholiques de la Bohême avaient voulu faire un roi avant la mort de Ziska. Wladislas le leur avait envoyé dans un moment de dépit contre l’Empereur. Puis, s’étant réconcilié avec ce dernier, il l’avait rappelé.

Mais Koribut, soit qu’il eût pris sincèrement parti pour cette nation héroïque, soit qu’il n’eût pas renoncé à l’espoir de régner, était rentré en Bohême avec quelques troupes ; et après avoir communié sous les deux espèces avec son monde, il faisait la guerre aux Allemands comme chef bohémien.

Il accompagna les deux Procope dans une expédition qu’ils firent en Autriche, et d’où, après avoir ravagé le pays jusqu’aux bords du Danube, après avoir promené le fer et la flamme dans l’Autriche, la Hongrie, la Lusace et la Silésie, les Taborites et les Orphelins rapportèrent tant de butin que la Bohême se trouva un instant riche et l’armée pourvue de tout. Le bétail enlevé sur les terres ennemies était si considérable, qu’on achetait à cette époque en Bohême quinze bœufs pour deux écus.

Mais Koribut était tombé dans la disgrâce de ces Calixtins qui l’avaient appelé quelques années auparavant contre le gré des Taborites.

On ne sait pas bien les causes véritables de cette inconstance, mais on peut présumer que Koribut, qui était un rude soldat fort aimé désormais des Taborites, avait plutôt abandonné que repris ses projets de royauté, et que les Calixtins lui en faisaient un crime et une honte. S’il en est ainsi, leur conduite à son égard fut hypocritement odieuse. Ils l’accusèrent d’avoir négocié sa réconciliation avec Martin V, et de vouloir trahir la Bohême pour s’en faire le souverain catholique et absolu.

En conséquence, ils publieront que ses mœurs brutales et ses intrigues criminelles avec Rome le rendaient incapable et indigne de gouverner ; et l’ayant affublé par dérision d’un capuchon de moine, ils l’enfermèrent dans un couvent et ensuite dans la grande tour du château de Prague.

Ce coup d’État souleva une grande indignation parmi les seigneurs catholiques qui voulaient qu’on respectât le sang royal, et qui regardaient peut-être la monarchie tempérée de Koribut comme un contre-poids bientôt nécessaire au despotisme du juste-milieu Calixtin.

Cette guerre de religion était aussi une guerre de castes. L’opinion calixtine réunissait le plus grand nombre de gentilshommes, caste qui occupait entre les seigneurs et le peuple une place analogue à celle de la bourgeoisie dans nos dernières révolutions.

Cette opinion eut ses savants et ses martyrs, ses doctrinaires et ses girondins ; mais en général elle n’eut pas le plus beau rôle dans toute cette guerre ; elle fit avorter tous les grands desseins de Ziska ; elle ne sut pas profiter de ses exploits. Brave et sanguinaire aussi quand elle défendait ses intérêts, elle devenait pusillanime, ingrate et rusée dès qu’elle les voyait menacés.

Ces rigueurs envers Koribut irritèrent aussi les Taborites et les Orphelins, qui l’avaient vu combattre hardiment avec eux contre las ennemis du pays et s’exposer, pour la cause bohémienne, à la disgrâce de son parent le roi de Pologne, aux anathèmes du pape et aux fureurs de l’Autriche. On vit alors une de ces monstrueuses alliances qui s’opèrent dans les grandes crises politiques entre deux minorités désespérées.

L’extrême gauche et l’extrême droite de la nation, les Catholiques et les Taborites de Prague se liguèrent pour délivrer Keribut et s’emparer de la métropole. Un coup de main fut tenté pendant la nuit, et jeta l’alarme dans la ville. La paix éternelle jurée par Procope n’avait pas duré plus que l’apparition des Allemands en Bohème.

Mais Procope fut étranger à cette conspiration ; et, d’ailleurs, les Calixtins avaient violé le pacte les premiers en violant le droit des gens dans la personne de Koribut, sans consulter la nation. Les bourgeois de Prague tendirent les chaînes des rues et repoussèrent l’attaque avec fureur ; plusieurs seigneurs catholiques y périrent.

Un d’entre eux, Hiacko de Waldstein, le même qui commandait avec Procope dans la grande bataille contre les Allemands, fut assassiné et pendu au gibet par un scélérat qu’il avait résolument sauvé de la corde. Les Orphelins et les Taborites de Prague furent si horriblement massacrés, qu’il ne s’en sauva pas vingt.

Le parti calixtin préludait, par ces dates de rigueur et de haine, à la grande hécatombe de jacobins et de montagnards qu’elle devait bientôt offrir à l’Allemagne pour rentrer en grâce auprès d’elle.

Le lendemain, tandis qu’on procédait à l’exécution des citoyens soupçonnés d’avoir pris part à la conspiration, on força Koribut à signer son abdication, et on le renvoya secrètement nous bonne escorte jusqu’aux frontières de la Pologne.

Cependant la conduite ultérieure de ce prince nous démontre la sincérité de ses intentions. Il appela auprès de lui les principaux d’entre les Orphelins et les Taborites, et alla trouver le roi de Pologne, non pour rentrer en grâce avec lui et le saint-siège, mais pour lui demander hardiment secours et protection pour les libertés de la Bohême.

Wladislas, qui ne se souciait plus de s’attaquer à l’Empereur et au pape, affecta un grand zèle pour la religion, et traita Koribut et ses adhérents comme des impies et des insensés.

Tout ce qu’ils obtinrent de lui, ce fut de nouvelles promesses de les recommander à la miséricorde de Dieu et du saint-siège, s’ils voulaient se convertir. Koribut ne fléchit point, et s’emporta même jusqu’à menacer en termes peu diplomatiques le roi, les évêques, les églises de Pologne et jusqu’à saint Stanislas, patron du royaume, de la fureur des Taborites. Après cette sortie non équivoque, il fut forcé de quitter la Pologne, où l’interdit et les menaces le poursuivaient de ville en ville, et il rentra en Bohême avec ses jacobins pour se joindre à l’armée taborite.

Étrange destinée d’un prince qui était venu chercher le pouvoir au milieu de cette révolution, qui avait combattu le peuple pour s’emparer de la couronne, et qui maintenant se jetait dans les bras de ce même peuple, calomnié et persécuté par ses premiers partisans, pour avoir passé à la république.

La guerre civile recommença donc avec fureur entre les modérés et les enthousiastes. Taborites, Orébites et Orphelins reprirent plusieurs villes sur le juste-milieu, ravagèrent tout le district de Pilsen, et marchèrent sur Prague pour l’assiéger de nouveau.

Mais la publication d’une nouvelle croisade de Martin V et l’approche d’une nouvelle armée allemande engagèrent, comme de coutume, les Pragois à demander la paix. Ils le firent, cette fois, par l’intermédiaire du prêtre taborite Coranda. Comme de coutume, les Taborites laissèrent apaiser leur ressentiment, et, en sauvant encore une fois la patrie, ils augmentèrent ce trésor d’ingratitude qu’on amassait contre eux.

Au milieu de juin 1427, l’armée allemande vint mettre le siége devant Mise. Elle n’était composée cette fois que de quatre-vingt mille hommes. Pour vaincre une armée de dix-huit à vingt mille Bohémiens, c’était peu ; mais le pape comptait sur l’énergie, l’habileté et le zèle du cardinal de Winchester son légat, qui avait levé lui-même les troupes en Angleterre, en Saxe, Franconie, Thuringe, Bavière, Carinthie, etc.

L’électeur de Brandebourg commandait un des corps d’armée, et le cardinal en personne dirigeait le plus considérable. Sigismond ni aucun membre de sa famille ne se joignirent à cette seconde croisade ; ils avaient agi de même à l’égard de la précédente.

D’une part, l’Empereur n’était pas fort bien réconcilié avec le saint-siège ; de l’autre, il ne voulait plus se compromettre en personne contre ses futurs sujets. En avançant en âge, l’Empereur, qui s’était imaginé d’abord ne rencontrer qu’une poignée de mutins et n’avoir qu’à montrer sa belle personne, son épaisse barbe blonde et ses longs cheveux bouclés, ceints de la couronne de Charlemagne, pour faire tomber à genoux les porte-fléaux et les cordonniers de la Bohême, avait fait bien des réflexions et profité de ses rudes désastres.

Il comprenait enfin que l’intrigue et la désunion pouvaient seules corrompre ou paralyser ces fiers courages. Les prêtres taborites, peu touchés de sa beauté, l’avaient surnommé le Cheval roux de l’Apocalypse, comme ils appelaient le pape simoniaque l’Antechrist.

L’Antechrist, en homme médiocre, se flattait toujours de réduire l’hérésie par la force des armes, et d’inaugurer les bûchers de l’inquisition sous les tilleuls de la Bohême.

Mais le Cheval roux, meilleur politique, disait, sans s’émouvoir au récit des exploits de son peuple révolté : « Les Bohémiens ne seront vaincus que par les Bohémiens. »

Amère et froide sentence, triste parole prophétique ! Il se tenait donc désormais à l’écart, et laissait faire ; sachant bien que son jour viendrait, et qu’avec de la ruse il ferait oublier ce que ses commencements avaient eu d’impopulaire et d’odieux ; même il affectait de blâmer les croisades du pape et les ravages des gens de guerre, qui lui gâtaient et lui ruinaient à plaisir sa pauvre, sa chère Bohême.

Dès que ceux de Prague eurent avis de l’arrivée des Allemands, il s’envoyèrent en toute hâte demander secours à Procope le Grand et à toute sa bande de héros. Soit qu’en effet la marche des Taborites vers l’ennemi les contraignit de traverser Prague, soit que ces fières cohortes voulussent tirer une vengeance courtoise de leurs adversaires réconciliés, ils demandèrent le passage à travers la ville.

On le leur accorda en tremblant, et en les conjurant de ne pas s’arrêter et de passer en bon ordre, sans commettre aucun acte de vengeance. Ils le promirent, et défilèrent lentement avec leurs chariots. Procope vint le dernier avec sa cavalerie et les chariots d’élite.

On avait en lui une telle confiance, qu’on le retint et le logea dans la ville avec son monde durant quelques jours. Plusieurs seigneurs catholiques, des grands de Bohême et de Moravie, se joignirent même à lui pour combattre l’ennemi commun. Ils eussent été moins hardis et moins patriotes s’il se fût agi, comme du temps de Ziska, d’aller à la rencontre de Sigismond. Mais cette armée de mercenaires, commandée par un légat, représentait à leurs yeux un ennemi moins redoutable, un maître moins légitime, le pape. L’Europe, la Germanie surtout, tendait à se séculariser, à s’affranchir du joug de Rome, ouvertement ou indirectement.

Ce récit est monotone à force de présenter durant quatorze ans les mêmes circonstances merveilleuses.

C’est la sixième fois, et non la dernière, que la vieille société germanique vient battre de toutes ses forces ces murailles vivantes qui défendent la coupe, le mystérieux symbole des libertés de la Bohême ; et cette fois encore ce petit coin du monde, si méprisé par le pape, sera la grande nation qui repoussera toutes les nations étrangères. Bien des siècles auparavant, les moines poëtes de l’ancienne chevalerie avaient rêvé les légendes du saint Graal, la coupe eucharistique que les preux devaient chercher au fond des déserts, à travers tous les dangers, et voir une fois dans leur vie pour conquérir la gloire dans l’éternité.

Mais au temps de la guerre des Hussites, l’esprit chevaleresque n’était plus dans les castes féodales. Le saint Graal était bien en Bohême, les Taborites en étaient bien les Templistes jaloux, les austères défenseurs ; mais les chevaliers de d’ancien monde ne savaient même plus vaincre les mécréants. Les Turcs menaçaient la Chrétienté, et la Chrétienté ne songeait qu’à lutter mollement contre une hérésie sortie de son sein. Il est vrai que la Chrétienté officielle, c’était la vieille société des castes, prête à se dissoudre, et que l’hérésie, la nouvelle Jérusalem, le nouveau saint Graal, c’était le Peuple, son esprit, son symbole, son avenir et ses destinées.

Cette sixième déroute des Allemands est plus fabuleuse que les précédentes. Les historiens l’ont comparée à celle de Crassus chez les Parthes, de Vexoris et de Darius chez les Scythes, et de Xerxès chez les Grecs.

Les Bohémiens n’eurent qu’à se montrer inopinément sur la rive opposée de la rivière de Mise, où était établi le camp des Allemands occupés au siége de la ville. Une terreur panique s’empara de ceux-ci, et tout prit la fuite à leur seul aspect sans coup férir, entraînant les chefs indignés et furieux, l’électeur de Brandebourg, celui de Trèves, et le cardinal de Winchester lui-même, qui faisait de vains efforts pour ranimer leur courage.

Un immense butin abandonné fut la proie du vainqueur. Il n’y eut si petit serviteur de la cause qui n’en tirât sa bonne part. « De l’aveu de plusieurs gentilshommes catholiques dont les familles sont à présent fort distinguées, dit l’historien dont nous suivons le récit[3], ce fut là le commencement de leur fortune. Les fuyards crurent s’être mis à couvert en gagnant la forêt de Tausch.

Les vainqueurs les battirent en queue, et les paysans en assommèrent un bon nombre ; les Bohémiens n’y perdirent que peu de gens. Quand on eut cette bonne nouvelle à Prague, on y chanta un Te Deum en grande solennité. Cependant l’armée victorieuse assiégea et prit après seize jours de siége Tausch, ou s’était retiré le reste des fuyards. On y passa tout au fil de l’épée. » D’après ces récits, il ne serait rien échappé de cette armée de quatre-vingt mille hommes.

« Nous avons appris avec une sensible douleur la fuite honteuse des fidèles qui étaient allée en Bohême, écrivit le pape au légat consterné ; mais il faut se raidir avec plus de courage que jamais contre la disgrâce. Prenez des mesures pour lever cet opprobre de dessus l’Église. »

Peu de temps après, le pape écrivait à ceux de Pilsen et de Carlstein (où la religion catholique prévalait) :

« Nous avons appris par les lettres de notre cher fils Jean, cardinal-prêtre de Saint-Cyriaque (c’est l’évêque de fer), que vous avez fait trêve avec les perfides et détestables hérétiques, et qu’à Noël prochain il se trouvera des gens de part et d’autre pour entrer en conférence sur la loi et sur l’Écriture sainte à l’occasion de leurs erreurs.
Nous ne doutons point que vous ne l’ayez fait de bonne foi et à bonne intention ; mais il faut se conduire avec beaucoup de précaution à l’égard de ces serpents rusés et imbus du venin de Satan. Ce qu’ils en font n’est pas dans le dessein de se convertir, mais de vous pervertir par leurs sophismes et fourberies. Ils ont la peau de l’agneau, mais ils ont les dents du loup.
C’est pourquoi nous vous prions, sans pourtant vous rien enjoindre, que vous évitiez un pas si glissant, de peur que vous ne tombiez. Évitez une telle entrevue et des disputes qui ne peuvent aboutir qu’à la destruction de vos âmes.
La foi catholique est bien assez appuyée et confirmée par le sang des martyrs ; elle a été d’ailleurs éclaircie par tant de conciles, par tant de décrets des saints papes et d’écrits des saints docteurs, qu’il serait superflu d’en disputer davantage. Il est bien plus salutaire de s’en tenir à ce qu’ils en ont décidé. Fuyez donc, encore une fois, cette conférence où vous ne pouvez rien gagner et pouvez beaucoup perdre. »

Ainsi toute la foi, toute la force de l’Église catholique en était réduite à ce point, que le pape suppliait les fidèles de ne point disputer, pour n’être pas vaincus ! Voilà l’extrémité où une poignée de plébéiens inspirés avaient amené la religion officielle !

Et ce n’est pas la crainte de leurs armes qui fait reculer le pape dans ce duel de l’esprit avec les Hussites ; car il poursuit son plan d’extermination, et promet les secours de la force matérielle aux croyants, faute de pouvoir leur fournir les armes de l’intelligence, les forces vives de la doctrine !

« Soyez assurés, leur dit-il en terminant sa lettre, que nous vous assisterons d’une telle manière, que l’orgueil des méchants sera brisé, et que non-seulement vous pourrez résister à leurs efforts, mais encore devenir victorieux. »

Martin V en écrivit aussi à Jean de Fer, qui s’efforça d’empêcher la conférence, en faisant valoir ouvertement les mêmes raisons.

Il publia un mandement dans son diocèse de Moravie pour ordonner de croire « le purgatoire, la vénération des reliques, le culte des images, les indulgences et les ordres ; et pour défendre, sous peine d’excommunication, de lire les livres de Jean Huss, de Wieklef et de Jacobel, qui ont été traduits en bohémien, de chanter les chansons défendues comme étant ineptes, scandaleuses et séditieuses, et surtout celles qui ont été faites contre le concile de Constance, à la louange de Jean Huss et de Jérôme de Prague. »

L’archiduc, de son côté, menaça de peines sévères ceux de ses sujets qui chanteraient lesdites chansons dans les places, dans les tavernes, et jusque dans les maisons particulières. Nous regrettons bien de n’avoir pas quelques-unes de ces chansons ineptes, pour savoir à quoi nous en tenir sur le goût littéraire du cardinal et de l’archiduc.

La conférence eut lieu, malgré toutes les prières et les défenses de l’Église. Un historien catholique, qui déclare qu’elle n’aboutit qu’à une division plus profonde dans les esprits, semble confesser pourtant que plusieurs Moraves s’y rendirent, et qu’ils y furent convertis au hussitisme, car il prend soin de dire que ce furent de pauvres gens, de ceux, par conséquent, qui se vendent au plus offrant.

Il assure qu’aucun grand de Moravie ne daigna s’y rendre, d’où il s’ensuit apparemment que la foi catholique fut sauvée en cette occurrence. De quel poids pourrait être, en effet, la conversion des pauvres gens ? Les députés de Pilsen ne furent sans doute pus bien féroces, car ils obtinrent une nouvelle trêve.

Procope, après avoir séjourné quelque temps à Prague, pour y pacifier toutes choses autant qu’il put, alla assiéger Kolin, avec ceux de Prague. Mais la défense fut si vigoureuse, qu’il fallut appeler les Taborites et les Orphelins. Ils finirent par s’en rendre maîtres, mais non sans beaucoup de pertes et de revers. Procope y fut blessé d’une balle de plomb.

Au commencement de l’an 1423, il y eut en Bohême une nouvelle conférence pour pacifier les démêlés de religion, et formuler les dogmes hussitiques. Tout cet enfantement d’une nouvelle Église était laborieux et ne devait aboutir qu’à une immense élaboration de matériaux pour l’avenir. Les Orphelins, les Taborites et les Calixtins formaient à cette époque trois partis bien tranchés.

On connait et on apprécie les dissentiments des deux dernières sectes, mais on ne sait pas quelles idées séparaient les Taborites des Orphelins. La partie la plus importante de cette révolution est encore enveloppée de nuages, les historiens s’étant beaucoup plus occupés des effets que des causes.

À la guerre, ils nous montrent constamment les Orphelins entreprenant les choses les plus téméraires, et sans doute avec moins de science et de tactique que les Taborites ; car ils échouent souvent, éprouvent des pertes terribles, et sont même raillés par les Taborites, qui, les voyant écrasés par leur faute au siége de Kolin, leur demandent s’ils ont eu une bonne Saint-Martin.

Mais, en toute rencontre, ces mêmes Taborites volent à leur secours, et achèvent glorieusement ce qu’ils ont audacieusement commencé. Les Orphelins jouent là le rôle que les troupes régulières de Marie-Thérèse laissaient aux Pandoures de la Croatie, dans les guerres contre Frédéric le Grand. Ce sont eux qui tentent les coups les plus insensés, qui se jettent dans l’eau, dans le feu, dans la glace, et qui, par leur fanatique mépris de la vie, rendent possible ce que la raison eût repoussé.

Il est vrai que, sans Procope et sa cohorte invincible, à la fois prudente et acharnée, ces enthousiastes eussent été martyrs plus souvent que vainqueurs. Expliquera-t-on leurs querelles en temps de paix par la différence de leurs tempéraments et de leur conduite en temps de guerre ?

Ce serait expliquer le fait par le fait, et il est évident pour nous que cette fureur aveugle qui les poussait à sacrifier leurs vies, sans égard pour les dangers formidables qu’ils attiraient sur le reste de l’armée, était le résultat de quelque croyance particulière, peut-être celle de la résurrection immédiate dans de nouveaux corps, qui avait été prêchée à couvert durant les dernières années de Ziska.

Quoi qu’il en soit, la conférence de Béraune[4] remua chaudement la question du dogme de la transsubstantiation, et celle du libre arbitre, de la justification et de la prédestination. On ne nous dit pas quelle part y eurent les uns ou les autres. On nous montre Procope soutenant, sans défaillance et sans variation, la croyance des Picards Taborites, qu’on pourrait appeler aussi croyances Bérengariennes.

Comme, depuis le commencement de la révolution, ces doctrines s’étaient puissamment élaborées dans les fortes intelligences des prêtres taborites, Coranda, Jacobel, Biscupec et autres, et qu’ils firent encore des progrès dans la suite, nous les expliquerons en leur lieu, et nous suivrons rapidement les événements de la guerre.

Les Orphelins attaquant toujours, et les Taborites accourant toujours pour les sauver, l’armée révolutionnaire fit des expéditions formidables en Silésie et en Moravie. Douze villes furent brûlées, et le pays ravagé. La terreur fut portée jusqu’à Breslau. Après Neissa, Bruna fut assiégée, et Procope y soutint un de ces terribles combats où l’engageait trop souvent la confiance fanatique des Orphelins. De là il retourna porter la désolation et l’épouvante jusqu’aux portes de Vienne.

Mais, à son retour, il trouva une de ses meilleures places enlevée et rasée par la garnison allemande de Bechin. Il assiégea cette dernière place, et y éprouva une grande douleur. Jaroslas, son intime ami, l’unique frère de Ziska, fut tué à ses côtés. Enfin il enleva Bechin, et y mit garnison. Tabor, qui était située dans le voisinage, avait couru de grands dangers durant cette campagne. De leur côté, après un long siége et de grandes pertes, les Orphelins prirent Lichtenberg, et pénétrant dans le district de Glatz, y mirent tout à feu et à sang.

Ils y soutinrent une bataille dans laquelle ils eussent succombé, sans l’arrivée du grand Procope, qui avait hérité de Ziska le don de porter toujours des coups décisifs. Mais, en somme, ces campagnes en Silésie et en Moravie furent presque aussi désastreuses qu’avantageuses aux Hussites. Ces races slaves, aux prises les unes contre les autres, ne pouvaient s’étreindre mollement.

Ce n’étaient pas là les timides croisés de Martin V, ces mercenaires allemands, qui fuyaient à la seule vue du bouclier hussitique. La famille slave eût conquis le monde à cette époque, si elle eût été unie par une même foi. Le temps de Hunniade et de Scanderbeg approchait. Quelle croisade contre les Turcs, si Procope et Ziska l’eussent commencée !

Sigismond profita de l’hiver, qui ramenait et concentrait en Bohême tous les partis, pour envoyer une ambassade et proposer la paix. Procope reçut une députation à Tabor, et se flatta de négocier une réconciliation honorable. Il obtint un sauf-conduit, et alla trouver l’empereur en Autriche. Mais Sigismond ne voulut point se départir de son autorité, et Procope n’était pas homme à transiger avec la foi et l’honneur de sa patrie. Il revint irrité de l’obstination et de la folie de l’Empereur.

Cependant les deux villes de Prague (la vieille Prague et la nouvelle) exerçant de mortelles inimitiés l’une contre l’autre, Procope jugea bientôt qu’il devait faire tous ses efforts pour procurer la paix. Il proposa de recevoir Sigismond, à condition que lui et tous ses Hongrois voulussent suivre l’Écriture sainte, communier sous les deux espèces, et accorder aux Bohémiens toutes les grâces qu’ils lui demanderaient. Procope n’était pas l’homme des concessions, et ses bonnes intentions ne pouvaient combler un abîme.

On accusait les Orphelins et les Taborites de rejeter tous les accommodements, pour perpétuer une guerre de rapines qui ne profitait qu’à eux. Ces accusations étaient amères au noble cœur de Procope. Il envoya faire de nouvelles offres à l’Empereur, et ce dernier assembla une diète à Presbourg, où Procope se rendit à la tête de la députation des grands de Bohême et des seigneurs de Prague. Mais la timide politique des Calixtins voulait déborder la fière et loyale contenance du rasé.

Pendant les conférences de la diète, les États de Prague s’assemblèrent, et résolurent d’envoyer à l’Empereur des propositions qui sans doute n’eussent pas été du goût de Procope ; car les Orphelins et une partie des Taborites s’opposèrent à cette résolution, et proclamèrent avec une sainte fureur qu’un peuple libre n’avait pas besoin d’un roi.

Les hostilités entre les partis des deux villes de Prague recommencèrent. Les négociations furent rompues, et Procope, averti sans doute de l’espèce de trahison qui tendait à le compromettre, revint à Prague sans rien conclure avec l’Empereur.

Il rétablit la paix dans la capitale, et se joignant aux Orphelins avec son armée, il résolut, pendant que les Orébites iraient fourrager les districts de Glatz, de faire irruption dans la Misnie. Il harangua ses soldats en les appelant, comme faisait Ziska, ses très-chers frères, et les ayant enflammés de l’ardeur qui le remplissait, il passa l’Elbe et alla s’emparer de la vieille ville de Dresde. Repoussés par une surprise nocturne, les Bohémiens allèrent le long de l’Elbe, brûlant en chemin les pressoirs, dégâtant les vignes et pillant les villages.

Ils entrèrent dans Meissen, et emprisonnèrent l’évêque Jean Hoffmann, qui avait voté la mort de Jean Huss à Constance. Ils remplirent de terre les puits et les fosses métalliques de Scharffenberg, et bouchèrent les veines et canaux des mines. Après quoi ils continuèrent à remonter l’Elbe, pillant et brûlant tout, jusqu’à Torgau et à Magdebourg.

De là, ils jetèrent un pont sur le fleuve, passèrent dans la Lusace et dans la marche de Brandebourg, réduisirent Gouben en cendres, assiégèrent Gorlitz, et Bautschen, qui se défendit vigoureusement et finit par se racheter pour une forte somme. Ils rentrèrent en Bohême à l’époque de Noël, avec de riches provisions ; dès le commencement de 1430, ils s’apprêtèrent à de nouvelles excursions. Ils se partagèrent en diverses bandes dont chacune prit un nom particulier, collecteurs, petits chapeaux, petits cousins, troupes de loups, petits hommes chaussés, etc.

Un renfort de Hussites de Moravie vint les rejoindre après avoir enlevé la ville épiscopale de Jean de Fer et ravagé sa province. Ces bandes terribles réunies formaient une année de vingt mille chevaux, et de trente mille hommes de pied, avec trois mille chariots attelés de six, de huit, et même de quatorze chevaux.

Ils étaient commandés par Procope le Rasé, Guillaume de Kostka[5] et Jean Zmrzlik. Ils firent une nouvelle irruption sur la Misnie, et retournèrent jusqu’au delà de Dresde. À Grimme et à Coldilz près de Leipsick, ils battirent l’électeur de Brandebourg et repoussèrent une armée de confédérés, commandée par plusieurs princes et prélats qui venaient au secours de leur voisin.

Mais la division était parmi ces seigneurs ; l’empire germanique était en pleine dissolution, et la race allemande ne pouvait lutter contre les Bohémiens.

L’ivresse fanatique des Hussites augmentait avec leurs victoires. Ils prirent Altenbourg, ville impériale de la Misnie, et y exercèrent d’effrayantes représailles des bûchers de Jean et de Jérôme. La ville entière, avec la noblesse et les moines, fut à son tour un vaste bûcher. Parmi les vaincus, il y avait un bouffon qui s’écria : « Nous avons cuit l’oie, mais les Bohémiens nous donnent la sauce. » Allusion au nom de Huss, qui signifie oie[6].

Dans le Voigtland, après avoir brûlé quatre villes, ils assiégèrent Plaven et la traitèrent comme Altenbourg.

Enfin, après avoir ravagé la Saxe et le duché de Cobourg, brûlé Culmbach, Bareith, forcé l’évêque de Bamberg à racheter sa ville pour neuf mille ducats d’or, arraché les mêmes actes de capitulation à l’électeur de Brandebourg, au duc de Bavière, au marquis d’Anspach, à l’évêque de Salzbourg, etc., ils exigèrent dix mille ducats d’or de Nuremberg pour l’épargner, et rentrèrent en Bohême au milieu de l’hiver.

On compte « plus de cent places, tant forts que villes, qui furent détruits dans cette expédition. »

1429 et 1430 virent mourir deux des héros de cette histoire : le premier fut Jacobel ou Jacques de Mise, l’ami de Jean Huss et le principal instigateur de la révolution de Bohême, homme éminent sous tous les rapports, et théologien redoutable à l’église romaine.

Le second fut le cardinal évêque d’Olmutz, ce Jean de Prague ou Jean de Fer, prélat aux inclinations martiales, au courage de lion, mais dont la vaillante épée ne put servir la cause de Rome en proportion du mal que lui firent les écrits et les prédications de son compatriote Jacobel.

L’Empereur, épouvanté des progrès des Hussites, se rendit à Nuremberg, et y convoqua une diète qui dura huit mois. Presque tous les prélats et princes de l’Empire s’y rendirent, et il fut résolu une nouvelle expédition, que les historiens comptent pour la sixième, bien qu’elle soit effectivement la septième contre les Bohémiens. Le pape y envoya son légat pour prêcher en personne la croisade.

La bulle de Martin contenait ces chefs principaux :

« On accorde cent jours d’indulgences à ceux qui assisteront aux prédications du légat. — Indulgence plénière tant à ceux qui se croiseront et qui iront à la sainte guerre, soit qu’ils y arrivent heureusement, soit qu’ils meurent en chemin, qu’à ceux qui, n’étant pas en état d’y aller eux-mêmes, y enverront à leurs dépens ou aux dépens d’autrui. — On remet soixante jours de pénitence aux personnes de l’un et de l’autre sexe qui, pendant l’expédition, feront des prières et jeûneront pour son heureux succès. — On ordonne de fournir des confesseurs aux croisés, soit séculiers, soit réguliers, pour entendre leurs confessions et leur donner l’absolution, quand même ils auraient usé de violence contre des clercs ou des religieux, quand ils auraient brûlé des églises ou commis d’autres sacriléges, et même dans les cas réservés au siége apostolique. On défend aux confesseurs de prendre des croisés au delà d’un demi-gros de Bohème, pour la confession, et cela quand on l’offrira et sans l’exiger. — On dispense de leurs vœux ceux qui en auraient fait pour quelque pèlerinage, comme à Rome ou à Saint-Jacques de Compostelle, à condition que l’argent qu’ils auraient pu dépenser en ces voyages sera employé à la croisade. »

Ce fut là le dernier acte de Martin. Il mourut d’une attaque d’apoplexie, le 30 janvier 1434. On l’ensevelit dans un mausolée d’airain, avec ces paroles pour épitaphe : « Il fut la félicité de son temps, » ironie sanglante à la destinée de ces temps malheureux !

Dès le 6 mars, quatorze cardinaux élurent Eugène IV, en lui imposant des conditions de soumission qu’il ne tint pas mieux que son prédécesseur. Le cardinal Julien fut confirmé dans la charge de légat en Allemagne pour la réduction des Bohémiens, et envoya des lettres et mandements d’un langage si haineux et si fanatique, qu’on les croirait aussi bien émanés de Tabor ou du camp des Orphelins que de la chaire pontificale.

Les damnables hérétiques y sont comparés à l’aspic, aux bêtes farouches, etc. ; et au milieu de l’énergie d’expression que comportait une époque si tragique, ces pièces ont une éloquence ampoulée qui est aussi un des traits caractéristiques de l’école apostolique et romaine au quinzième siècle.

Pendant les préparatifs de la guerre, Sigismond s’avança jusqu’à Egra, et envoya deux seigneurs à Prague pour faire une nouvelle tentative d’accommodement.

Il comptait sur la lassitude et la démoralisation du juste-milieu. Il savait que le Hussitisme s’était effacé autant que possible dans l’esprit des gentilshommes de Bohême, sorte de bourgeoisie noble attachée à ses intérêts plus qu’à ses doctrines. Cependant il connaissait mal l’espèce de résistance sourde et tenace dont est capable une bourgeoisie en train de s’affranchir.

Les quatre articles des Calixtins étaient moins pour eux, comme nous l’avons dit souvent, des articles de foi, que des droits politiques, et il n’était pas si facile de les leur enlever qu’on se l’imaginait. Les Taborites, plus courageux et plus croyants, consentaient à reconnaître Sigismond, à la condition qu’il observerait lesdits articles, non-seulement quant à la forme, mais quant au fond, et qu’il les entendrait dans les sens politique et religieux. Ils s’obstinaient donc à le faire communier à leur façon, lui et toute sa grandesse hongroise et catholique.

Quant aux Orphelins, inflexibles dans leur austère jacobinisme, ils ne voulaient aucune composition, et s’indignaient des illusions généreuses du candide Procope. Une députation à laquelle on adjoignit un prêtre taborite alla toutefois discuter avec l’Empereur pendant quinze jours ; mais Sigismond avait besoin de nouvelles leçons pour s’amender et se convaincre de la nécessité des concessions.

Il n’accordait rien, et pendant ce temps ses plénipotentiaires intriguaient à Prague pour semer la division et lui faire des créatures. Et pendant ce temps aussi, ou prêchait la croisade, et on armait tout l’Empire contre la Bohême. Les Orphelins s’écrièrent que les lenteurs de la conférence étaient un piége de Sigismond pour les endormir et pour fondre sur eux à l’improviste. La méfiance et la peur relevèrent le courage des Calixtins.

Les députés furent rappelés, et quittèrent Sigismond avec cette protestation : « qu’on ne pouvait plus désormais reprocher aux Bohémiens de ne vouloir pas terminer par une paix loyale une guerre si désastreuse, puisqu’il était notoire que c’était la faute des autres, et non la leur. »

Lorsqu’ils firent leur rapport à Prague, les seigneurs, consternés, appelèrent le peuple aux armes, et proclamèrent le danger de la patrie pendant la procession de la Fête-Dieu.

Le peuple entra en fureur, et le Cheval roux fut chargé de mille malédictions nouvelles. Le juste-milieu envoya avertir les troupes de loups, les petits cousins et toutes les bandes les plus effroyables des Taborites, des Orébites et des Orphelins.

Elles s’étaient dispersées, sans s’inquiéter du résultat de la diète, dans de nouvelles expéditions à l’extérieur et aux frontières. Tous revinrent, et « mirent sous leurs pieds leurs inimitiés et leurs discordes, pour ne penser plus qu’au salut de leur patrie. Les grands de Bohême et de Moravie s’unirent étroitement dans la même vue, les villes renouvelèrent leurs confédérations. Petits et grands, on vit tout le monde s’armer avec une allégresse commune.

De sorte qu’en fort peu de temps il se trouva, à la revue qui fut faite dans le cercle de Pilsen, cinquante mille hommes d’infanterie et sept mille chevaux sous les armes, avec trois mille six cents chariots. D’autre côté, on prit soin de garder les avenues. Les districts de Zatec et de Launi, celui de Gratz et plusieurs villes frontières avaient l’œil sur la Moravie et sur l’Autriche, pour fermer l’entrée à l’archiduc ou au capitaine de Moravie. Pendant que ces choses se passaient en Bohême, le cardinal Julien se donnait tous les mouvements imaginables pour animer le flegme des Allemands[7]. »

C’était une entreprise difficile, comme le fait très-bien pressentir notre naïf historien, dont le vieux style est agréable quand il n’est pas trop obscur. L’Allemagne embrassait froidement la querelle de Sigismond, et les terribles courses des hérétiques au cœur de ses plus riches provinces l’avaient frappée d’épouvante. C’était, parmi les troupes des divers États, à qui n’entrerait pas la première en Bohême.

L’archiduc devait faire une diversion par la Moravie, pour forcer l’ennemi à dégarnir ses autres frontières ; mais Albert voulait que le cardinal vînt le joindre, et le cardinal n’y alla pas. Chacun voulait rester chez soi pour se défendre, trouvant que c’était bien assez d’embarras, comme dirait notre auteur, sans aller chercher le danger au foyer de l’enfer.

D’ailleurs plusieurs princes de l’Empire étaient occupés à se faire la guerre, et laissaient le légat prêcher cette morale : « Au nom du Christ qui vous a enseigné la charité, ô mes frères ! armez-vous et unissez-vous ; car il y a du sang à verser en Bohême, et les hommes qui osent défendre leurs autels et leurs foyers attendent de votre mansuétude la mort et la damnation éternelles. »

Cette doctrine est pleinement développée dans toutes les lettres du savant et disert cardinal Julien.

Il écrit aux Bohémiens au moment d’entrer en campagne, non pour leur promettre de n’y point entrer s’ils se réconcilient, mais pour les exhorter tendrement à se laisser convertir et persuader par une armée de cent trente mille hommes :

— « Revenez donc à l’Église, votre mère, et ne l’affligez pas plus longtemps. Elle gémit, elle fond en larmes, elle jette des cris perçants. Revenez à nous, chers cœurs, nous irons au-devant de vous ; nous nous jetterons à vos cous, nous vous donnerons des vêtements nouveaux, nous tuerons le veau gras, nous inviterons nos voisins et nos amis (les cent trente mille mercenaires) pour se réjouir avec nous du retour de nos enfants. Au fond, pourquoi feriez-vous difficulté de revenir à nous ? Ne sommes-nous pas nés d’une même mère ? N’avons-nous pas la même foi chrétienne, la même parole, les mêmes sacrements ? Ne recevons-nous pas la même Écriture sainte ? Qu’est-ce donc qui vous éloigne de nous ?… Nous vous le protestons la larme à l’œil, ce n’est qu’à notre grand regret et par la plus cruelle nécessité que nous nous armons contre vous. Nous y sommes portés par l’amour de nos prochains, persécutés, dépouillés, massacrés inhumainement par les Bohémiens. »

C’est à eux qu’il écrit ainsi à la seconde et à la troisième personne en même temps. Massacrés par vous eût été trop impoli, apparemment… « Si vous rejetez nos offres et nos invitations, ne nous imputez pas les malheurs de la guerre, et ne vous en prenez qu’au refus des gens qui veulent être plus sages qu’il ne faut.

Croyez-vous que ces gens-là en sachent plus que l’ancienne Église et celle d’aujourd’hui ? Qu’est-ce que peuvent vous apprendre des gens de guerre, des paysans, des bourgeois grossiers ?

Des gens sans lettres sont-ils plus habiles que tant de docteurs, que tant d’académies où avaient fleuri les saintes lettres ? Écoutez saint Augustin qui vous dit qu’il n’aurait pas cru à l’Évangile sans le témoignage de l’Église, etc., etc. »

Autant la lettre du cardinal, dit Jacques Lenfant, est pathétique, insinuante et artificieuse (il aurait pu ajouter aristocratique), autant la réponse des Bohémiens est libre, ferme et même assez dure, mais nette et précise. La voici :

« Il est impossible, révérend père en Christ (c’est le titre qu’on donnait à un simple prêtre), qu’une personne d’un aussi grand esprit et d’une aussi grande autorité ignore que le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ, pendant sa vie sur la terre, non-seulement a donné aux hommes divers préceptes très-salutaires, mais qu’il les a pratiqués lui-même ; entre lesquels ces quatre sont les principaux : 1º que le vénérable sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ doit être administré sous les deux espèces ;que la parole de Dieu doit ce prêcher librement et selon la vérité ;qu’il faut punir les péchés publics, commis sous prétexte de religion ;qu’il faut ôter l’administration de la république aux ecclésiastiques[8].

Ces quatre articles se prouvent clairement par les Évangiles, par les Apôtres, et par tous les saints Pères… Ils ont été reçus dans l’Église chrétienne, et gardés fidèlement pendant quelques siècles, comme cela paraît par les commentateurs et docteurs vraiment catholiques.

Mais ils ont été violés et supprimés par nous ne savons quels petits prêtres, qui, dégénérant de la piété de leurs prédécesseurs, se sont éloignés de la règle de l’ancienne Église, s’ingérant dans les affaires du siècle, engagés dans les embarras et les épines des richesses mondaines, et, ce qui est plus déplorable et plus cuisant encore, croupissant dans la mollesse et dans l’oisiveté, au grand et irréparable dommage des âmes fidèles.

« C’est pour cela que, tout indignes que nous sommes, mais appuyés des secours de Dieu, nous avons toujours travaillé, depuis plusieurs années, à les remettre sur pied, à les rétablir, à les éclaircir et à les faire observer et respecter, selon leur poids et leur mérite.

Combien n’avons-nous point souffert d’inimitiés, d’injures, fait de dépenses, enduré de fatigues, encouru de périls pour les soutenir, sans même épargner nos vies ? Nous avons même demandé plusieurs fois avec instance d’être admis et écoutés publiquement, dans un concile libre, paisible et sûr ; mais tout cela inutilement jusqu’ici.

Qui peut s’empêcher d’admirer la diligence et l’exactitude de vos pères, tant vantés, de vos prélats, et de l’Église romaine, à remédier aux maux de la chrétienté ? Au lieu d’empêcher que les vérités salutaires, annoncées et reçues avec tant d’éclat dans le monde, ne fussent ensevelies dans l’oubli, vous avez été les premiers à les négliger, surtout l’article de l’Eucharistie, où, depuis tant d’années, par le plus grand des sacrilèges, vous avez retranché le calice au peuple, à qui jésus-christ l’a donné.

Comment avez-vous souffert cet abus ? comment ne l’avez-vous pas vengé, pendant que vous étiez si soigneux de recevoir vos dîmes et vos impôts ? Mais, sans parler ici de l’intérêt qu’a toute l’Église à ce rétablissement, pourquoi nous l’avez-vous refusé si opiniâtrement, il nous qui l’avons demandé avec tant d’instance, et à qui même vous l’auriez dû accorder, quand nous ne l’aurions pas demandé, pour prévenir tant d’illusion de sang ? Nous ne saurions nous empêcher de croire qu’il y a là-dessous quelque dessein caché.

« Considérez la chose de près. Ne valait-il pas mieux rétablir une institution si utile, si nécessaire à l’Église, que d’assembler, au péril de leurs vies, de leurs États et de leurs âmes, et avec des frais immenses, tant de rois, de princes et de peuples de diverses nations et de diverses langues ? Et pourquoi ? Pour amener le royaume de Bohême à la religion romaine et a ses usages, rites et constitutions ecclésiastiques.

Mais vous avez beau faire, ce royaume persistera dans la foi, et se reposera, comme il fait, dans le sein de la Sainte Mère Église orthodoxe, dont Jésus-Christ est le chef. Mais vous-mêmes, tous tant que vous êtes, vous rendriez un grand service à l’Église catholique, si vous vouliez embrasser ces vérités salutaires. Car, ni vous, mon très-cher père, ni vos adjudants, ne pourrez, selon le droit et la raison, être juges de cette cause.

Cette sainte et éternelle loi dont Dieu lui-même est l’auteur, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ a confirmée par sa vie et par sa mort, est très-juste par elle-même ; et il n’y a rien de plus indigne que de prétendre l’assujettir au jugement arbitraire des hommes, sujets à la mort et au péché, puisque saint Paul a dit : Anathème même à un ange du ciel qui annoncerait un autre Évangile que celui que Jésus-Christ a enseigné.

Le cœur de l’homme abandonne souvent la vérité immuable pour suivre la direction d’une raison qui peut s’égarer, et qui s’égare en effet souvent. Nous n’avons donc garde de commettre le jugement de notre cause à des gens qui, ayant renoncé à la piété, regardent cette vérité comme une erreur manifeste, en traitant d’hérétiques damnables ceux qui s’y attachent, et qui, outre cela, sont nos ennemis déclarés.

Pour nous, nous sommes dans ce sentiment, que, dans un concile, il ne doit y avoir d’autre autorité que celle de l’Écriture sainte, qui est une règle très-certaine et le juge équitable que Dieu a laissé au monde, qui n’est point trompé et ne trompe point ; y joignant le témoignage des saints docteurs, quand ils sont conformes à cette règle divine ; et quand l’Église l’aura reçue sur ce pied-là, nous serons tous réunis ensemble. Alors, toute l’Église militante, purgée de son mauvais levain, reprendra sa première splendeur ; la foi germera, la paix fleurira, l’amour et la concorde régneront.

« Mais c’est ce qui n’arrivera pas par votre nouvelle méthode, inconnue comme nous croyons aux Apôtres, de venir contre nous avec tant de milliers de soldats à qui les épées, les flèches et toutes sortes d’instruments de guerre tiennent lieu de l’Écriture et du raisonnement. Sont-ce là des armes dont un père se sert pour gagner ses enfants, comme vous nous appelez ?

Mais puisque vous avez choisi ces armes, nous en avons aussi de même trempe, et nous sommes prêts à en venir à un combat décisif. Si vous étiez entrés chez nous comme saint Pierre entra chez Corneille, vous y auriez sans doute fait de grands fruits, et vous auriez réjoui les Pères de l’Église chrétienne ; et au lieu d’un veau ils auraient tué un bœuf gras, et invité leurs voisins à se réjouir avec eux.

Toutes ces choses bien pesées, on voit assez ce qui nous sépare les uns des autres, quoique nous ayons le même baptême. C’est que nous autres non-seulement nous professons de bouche la religion, mais nous la pratiquons et l’exerçons en effet. Ainsi, nous vous prions de nous écouter fraternellement, parce que la fin du monde approche, de vous joindre avec nous et de marcher avec ardeur sur les traces de Jésus-Christ et de ses disciples. C’est par ce moyen que le peuple de Christ reposera paisiblement dans les tabernacles de l’espérance et obtiendra le salut éternel. « À Prague, au mois de juillet 1431. »

En même temps parut un Manifeste adressé, de la part des États de Bohême et de Moravie, à tous les rois, princes, comtes, marquis, etc., orthodoxes, où les quatre articles de foi religieuse et politique sont expliqués avec d’amples développements, et où, après avoir rappelé qu’on a toujours refusé de les entendre et de les discuter avec eux, les Bohémiens concluent ainsi :

« Jugez vous-mêmes si, après un refus si obstiné, nous devons reconnaître de tels juges, principalement les ecclésiastiques, qui, comme des écailles, se tiennent serrés auprès de l’Empereur de peur que la vérité ne pénètre.

Cette obstination ne leur vient que de leur orgueils et de leur arrogance. Oubliant l’humilité de leur profession, ils ne pensent, ils n’agissent que dans la vue d’envahir tous les empires et tous les biens de la chrétienté. Pour y réussir, ils tournent à tous vents, et font de la foi chrétienne une boule qui roule du côté que l’on veut.

Au lieu d’imiter Jésus-Christ et les Apôtres, ils nagent dans les délices et dans les voluptés de la chair. Comme des pourceaux, ils foulent les choses saintes aux pieds ; ils deviennent les temples du Diable. Comme les sergents de l’Ante-Christ, ils traitent d’hérésie les vérités chrétiennes, et il ne tient pas à eux que Jésus-Christ lui-même ne soit hérétique.

Quoique non plus qu’aux Juifs il ne leur soit permis de faire mourir personne, ils assassinent par les traits empoisonnés de leurs langues ; ils le font à la lettre par cette croisade sanguinaire, et ils vous ont engagé contre nous, ô rois et princes ! comme si vous étiez leurs vassaux ou plutôt leurs satellites et leurs bourreaux. C’est pour vous y amorcer qu’ils vous promettent la rémission de vos péchés qu’ils n’ont pas pour eux-mêmes, beaucoup moins peuvent-ils donner le salut éternel dont ils vous bercent dans leurs diplômes mêlés de fiel et de miel. »

Ce manifeste se termine par cette fière déclaration : « Si donc séduits par les artifices de vos petits prêtres, vous faites irruption chez nous, les armes à la main, appuyés sur le secours de celui dont nous défendons la cause, nous repousserons la force par la force, et nous nous vengeront des injures qui ne sont pas tant faites à nous qu’à Dieu. Pour vous, la chair est votre bras ; mais le nôtre, c’est le Dieu des armées qui combat pour nous. À lui soient gloire et louanges dans tous les siècles ! »

Enfin la septième armée pénétra en Bohême, sous les ordres du cardinal Julien et de l’électeur de Brandebourg, qui avait reçu en grande solennité, à Nuremberg, l’étendard bénit des mains de ce prélat. Frédéric le Belliqueux, électeur de Saxe, ainsi que plusieurs autres princes et évêques, venaient après eux, avec des renforts considérables.

C’était la plus grosse armée qu’on eût encore envoyée contre les Hussites ; mais on grossissait en vain le nombre des hommes, le courage allait diminuant toujours. La Bohême était regardée superstitieusement comme le tombeau de l’Allemagne, et, au son du tambour des Taborites, on croyait voir apparaître le spectre exterminateur de Ziska.

On entra donc timidement sur cette terre glorieuse, en détachant force espions en avant, et on s’enfonça en tremblant dans ces montagnes du Bœhmerwald où l’en s’attendait à mille embuscades. Procope, irrité de vaincre ces grandes armées sans les combattre, désirait les attirer à l’intérieur et les voir se réunir sous sa main terrible.

Il s’avisa à cet effet d’un stratagème. Ce fut de tromper les espions, en leur faisant croire que la division s’était mise parmi les Hussites, que Prague abandonnait les Taborites, et que les Taborites, à leur tour, se séparaient des Orphelins.

À cet effet, il fit faire aux divers corps de l’armée bohémienne diverses marches et contre-marches, qui semblaient annoncer l’incertitude et la désertion. En peu de jours les Impériaux furent persuadés qu’ils pouvaient hasarder leurs forces a découvert, et qu’ils n’avaient à combattre que de paysans et des ouvriers mal armés et mal dirigés. Sur ces fausses nouvelles, l’armée hâta sa marche, chantant le triomphe avant la victoire.

Après avoir traversé la forêt de Bohême, les Allemands allèrent assiéger Taschau sur la Mise. On les laissa s’y agglomérer et s’y installer ; puis, tout à coup, Procope fondit sur eux avec ses Taborites et les Orphelins. Ce fut le signal de la déroute la plus complète. Les Allemands épouvantés se répandirent au hasard dans le pays, ravageant tout sur leur passage, et se vengeant de leur honte par mille cruautés.

Enfin, s’étant ralliés vers Taus (Tusta), dans le district de Pilsen, ils allèrent camper à Riesenherg, château situé sur une haute montagne. Procope se dirigeait sur eux à grandes journées ; mais dès qu’ils en eurent avis et dès qu’ils apprirent le bon accord qui régnait parmi les Bohémiens pour les expulser, ils furent saisis d’une terreur panique et s’enfuirent vers la forêt, sans qu’il fût possible à leurs chefs de les rallier.

C’est en vain que le cardinal leur adressa une harangue en beau style ; c’est en vain qu’il s’écria : « Ô Allemagne ! ô Allemagne ! que diraient les Arioviste, les Tuiscon et les Arminius, s’ils voyaient fuir ainsi leurs descendants au seul nom de l’ennemi ? Ô honte ! ô infamie ! nous fuyons la Bohême, mais la Bohême nous poursuivra et nous exterminera dans les lieux de nos retraites.

Où seront les murailles qui pourront nous mettre à couvert ? Non, non, ce se sont pas les murailles qui défendent les hommes, c’est la bravoure et l’honneur ![9] »

La voix éloquente du prélat se perdit dans les profondeurs du Bœhmerwald, et lui-même, entraîné par les fuyards, perdit sur les chemins la bulle du pape, son chapeau et son habit de cardinal, sa croix et sa clochette. Ces insignes furent ramassés et portés à Taus, où ils restèrent longtemps dans les archives de la ville.

L’épouvante fut si grande, qu’ayant oublié par où ils étaient venus, et assourdis par le bruit de cent cinquante gros canons qu’ils avaient abandonnés, et que les Bohémiens s’amusaient à faire partir pour augmenter leur terreur, ils s’enfoncèrent pêle-mêle dans les chemins tortueux de la montagne, courant à toute bride ; les chariots se croisant, se heurtant, les cavaliers s’abattant de tous côtés.

C’était une confusion, des cris, un désordre dont rien ne peut donner l’idée, un spectacle lamentable à voir. Onze mille hommes périrent, pour ainsi dire, en courant. Sept cents tombèrent aux mains de l’ennemi. Toutes les munitions de guerre et de bouche, deux cent quarante chariots remplis les uns de vin, les autres d’or et d’argent, furent abandonnés.

L’armée en déroute arriva à Ratisbonne dans un état déplorable, et y apporta le désespoir. Cette ville s’était épuisée pour les frais de la croisade, et il fallait qu’elle s’imposât à la hâte de nouveaux sacrifices pour se fortifier, car on attendait l’ennemi et sa vengeance. Mais le cardinal l’avait dit : « Ce ne sont pas les murailles qui défendent les hommes. »

« Qui l’aurait cru, s’écrie à cette occasion l’historien Cochlée, qu’une armée de quarante mille chevaux eût pu prendre la fuite si soudainement ? Le Turc, lui-même, ce tyran si puissant par un si grand nombre de royaumes et de provinces, n’oserait pas combattre une telle armée. »

Sans doute personne n’eût voulu le prévoir, cet ascendant irrésistible de la bonne cause sur la mauvaise ; et bien que l’histoire soit pleine de pareilles leçons, les hommes sans croyance et sans enthousiasme s’en étonneront toujours. Mais la vie de l’Humanité est semée de miracles : malheur aux puissants qui ne les comprennent pas !

De son côté l’archiduc Albert profitait de cette diversion pour réduire son duché de Moravie et pour en extirper l’hérésie[10]. Il y prit plusieurs villes qu’il livra au pillage de ses soldats, et y brûla cinq cents villages.

Mais il ne les convertit pas, et fut forcé de fuir devant Procope le Petit et ses Orphelins, qui, ayant ravagé le territoire catholique, allèrent brûler les faubourgs d’Olmutz et dévaster l’Autriche jusqu’aux rives du Danube.

Procope le Grand fit une nouvelle course en Silésie ; puis, s’étant réuni à Procope le Petit, il pénétra au cœur de le Hongrie.

Mais certaines dissensions, qu’on ne nous explique pas, ayant forcé les Orphelins et les Taborites de se séparer, Procope le Rasé entra en Moravie ; et Procope le Petit, bien qu’il se défendit comme un lion, tomba dans une embuscade, et y éprouva de grandes pertes.

Les Orphelins avaient hérité de l’intrépidité de Ziska, mais non de sa ruse et de sa prudence. Ils furent mis en déroute par les montagnards valaques, au milieu des glaces de l’hiver, et rentrèrent en Bohême, horriblement maltraités.

Le cardinal Julien, de retour à Nuremberg, fit à l’Empereur de grandes plaintes de la lâcheté des princes allemands. Le concile de Bâle venait de se rassembler. Il fut résolu d’y appeler ces terribles hérétiques, contre lesquels les armes ne pouvaient rien, et de tâcher de les gagner par composition.

Il avait fallu bien des leçons pour ramener ainsi les choses à leur point de départ, et le supplice de Jean et de Jérôme était suffisamment vengé. En conséquence, l’Empereur écrivit aux Bohémiens une lettre fort gracieuse, mais un peu tardive. « Nous avons appris, disait-il, qu’il s’est répandu des bruits en Bohême ; qu’étant à Egra, nous avions commandé à notre armée d’entrer incessamment dans ce royaume, et d’y mettre tout à feu et à sang, sans distinction d’âge ni de sexe. Mais il faut que vous sachiez qu’une telle pensée ne nous est jamais venue dans l’esprit, non pas même en dormant… Nous souhaitons que vous n’ajoutiez pas foi à ces faux bruits. Nous vous exhortons et vous conseillons de revenir à l’Église romaine, et de comparaître au concile. Là, vous trouverez le révérend père en Dieu, le seigneur cardinal-légat du pape, avec notre lieutenant, le très-illustre et sérénissime marquis de Brandebourg, que nous avons chargé de protéger tous ceux qui viendront de Bohême pour expliquer leur foi, de les aider, de les soutenir, de confirmer tout ce dont on sera convenu, et de vous faire connaître combien votre roi et seigneur héréditaire est disposé à vous gratifier en toutes choses et avancer vos intérêts » (octobre 1431).

Immédiatement les Bohémiens répondirent en ces termes : « Nous, les seigneurs, les chevaliers, les villes et les États séculiers et ecclésiastiques de Bohême, faisons savoir à Votre auguste Majesté que, par nos députés envoyés à Egra et par les propres lettres de Votre Majesté, nous avons appris et compris que, mal instruite par des ecclésiastiques contre lesquels nous nous défendons avec vigueur et constance, Votre Majesté est portée à empêcher la divine vérité que nous proposons d’être annoncée à qui que ce soit, et qu’elle n’a point d’autre vue que de nous en détacher pour nous unir à l’Église romaine.

C’est ce qui fit retirer nos députés, et ce qui nous a empêchés d’entendre à aucune négociation ; car les lois divines et humaines nous défendent d’accepter ce parti. Que Votre auguste Majesté ne soit donc pas surprise que nous refusions de déférer ni à Votre auguste Majesté elle-même, ni à l’Église de Rome ; puisque, vous opposant à la volonté de Dieu, vous ne voulez pas nous procurer une audience légitime, selon le désir que nous avons de rendre raison de notre foi.

Ce n’est pas de notre propre mouvement que nous nous trouvons réduits à cette honnête désobéissance. C’est par ordre de saint Pierre lui-même, qui nous apprend à obéir plus à Dieu qu’aux hommes. C’est pourquoi nous notifions à tous et à chacun que, puisqu’à la sollicitation des ecclésiastiques qui préfèrent leur volonté à celle de Dieu, on veut nous contraindre à une obéissance illégitime, nous sommes résolus de nous défendre, appuyés sur le secours de Dieu » (octobre 1431).

En même temps que l’Empereur, le cardinal Julien écrivait de son côté : « Il vous sera permis de dire librement vos sentiments sur la religion, de consulter et de proposer des expédients… Nous avons appris que vous vous êtes souvent plaints de ne point obtenir d’audience. Ce sujet de plainte cessera désormais. On vous entendra, à l’avenir, publiquement et autant de temps que vous le souhaiterez.

C’est pourquoi nous vous prions et supplions de tout notre cœur de ne point différer à entrer par cette belle et grande porte qui vous est ouverte, et de venir en toute confiance au concile. De peur que vous ne soyez retenus par quelque méfiance, nous sommes prêts à vous donner un sauf-conduit plein et suffisant pour venir, pour demeurer, pour vous en retourner ; et nous vous accorderons, au nom de l’Église universelle, tout ce qui pourra contribuer à la liberté et à la sûreté de vos députés. Nous vous prions, au reste, de les bien choisir, et d’envoyer des gens pieux, doux, consciencieux, humbles de cœur, pacifiques, désintéressés, chérissant la gloire de Jésus-Christ, et non la leur. »

Il y a loin de cet humble et pacifique appel au bref que, trois ans auparavant, le pape adressait aux habitants de Pilsen, pour les détourner de discuter avec ces serpents rusés, à la peau d’agneau et aux dents de loup. L’Église, consternée de ses désastres, s’efforce enfin de revêtir elle-même cette peau d’agneau ; et, au risque de la perdition des âmes, elle consent à la discussion tant repoussée et tant redoutée.

Les Bohémiens s’émurent peu de tant de courtoisie. L’expérience les avait rendus méfiants, et leurs députés répondirent fièrement à Sigismond, dans une conférence convoquée par lui à Presbourg, « que toute petite qu’était la province de Bohême, elle était assez puissante pour rendre le double à ses ennemis. »

Sigismond, au moment d’aller en Italie pour son couronnement, leur écrivit encore « qu’aucune nation ne lui était plus chère que la leur, que par ses soins ils seraient favorablement reçus au concile, pourvu qu’ils ne prétendissent pas être plus sages que l’Église romaine ; enfin qu’il ne prétendait pas les gouverner autrement que les autres rois chrétiens. » Nonobstant ces airs de douceur, remarque l’historien J. Lenfant, il y avait toujours dans les lettres de Sigismond quelques traits ambigus qui donnaient de la défiance aux Bohémiens, tels que la soumission au concile, et l’offre ou plutôt la menace de les gouverner comme les autres, c’est-à-dire de les mettre sous le joug de l’Église romaine. C’est ce que les obligea à demander une conférence à Egra, « pour mieux savoir sur quel pied ils seraient entendus à Bâle. »

Dans cette conférence, ils demandèrent entre autres « choses que le concile fût de telle nature que toutes sortes de gens et de peuple y puissent venir ; et que le pape n’eût pas la suprême autorité sur le concile, mais qu’il fût tenu de s’y soumettre. »

Toutes leurs réclamations furent à peu de choses près les mêmes que firent les protestants au concile de Trente en 1554. Le sauf-conduit accorda tout, déclarant que le concile prenait sous sa protection non-seulement tous les ecclésiastiques et seigneurs, mais encore tous ceux du peuple de Bohême et de Moravie, de quelque condition qu’ils fussent.

Les sûretés garanties pour leur indépendance et sécurité attestent minutieusement, et honteusement pour l’Église, les méfiances qu’elle avait à surmonter, en expiation de son crime envers Jean Huss et Jérôme, immolée en violation de la foi jurée. On délibéra à Prague sur la valeur de ces garanties. Les Taborites, Orébites et Orphelins, le peuple, en un mot, se refusait aux accommodements proposés ; les Calixtins et la noblesse voulaient tenter tous les moyens de conciliation, sauf la vérité, c’est-à-dire sauf le sacrifice des articles de foi.

Durant ces démarches et ces discussions, les Taborites et les Orphelins, jugeant avec raison que plus ils se rendraient redoutables, meilleures seraient les conditions de la paix, recommencèrent leurs courses dans l’intérieur du pays contre les Catholiques qui n’avaient pas voulu traiter avec eux, dans le Voigtland, dans la Misnie, dans la Silésie, le duché de Breslau, dans la marche de Brandebourg jusqu’à Custrin, puis à Francfort sur l’Oder, dans la Basse-Lusace, à Kœnigsberg, dans la Nouvelle-Marche, à Bernaw, à Augermunde, où ils se fortifièrent et demeurèrent quelque temps, ce qui fit donner à cette ville le nom d’Augermunde l’Hérétique ; puis en Moravie, aux rives du Danube, etc.

Dans toutes ces campagnes, quoique les Orphelins fussent souvent repoussés avec perte, l’armée bohémienne remporta de grands avantages, maintint l’épouvante chez ses voisins, fit des prodiges d’audace, de valeur et de cruauté, et revint, comme à l’ordinaire, chargée de butin.

Nous ne manquons pas de détails sur ces divers événements ; mais ils ne peuvent avoir, pour ceux qui lisent aujourd’hui l’histoire, qu’un intérêt de localité, et nous n’en citerons qu’un trait relatif à Procope.

« Fumant de colère de la perte de Sternberg qui lui appartenait, il pardonna cependant à celui qui avait livré cette place à l’ennemi, et dont il voulait d’abord faire un exemple : mais ce fut à la condition qu’il le suivrait, et qu’il effacerait par quelque belle action la note d’infamie qu’il avait encourue dans cette occasion. » Il y a quelque chose d’antique et de chevaleresque dans cette justice de Procope le Grand.

Dans cette même année (1432), les Bohémiens envoyèrent une ambassade au roi de Pologne dont les Calixtins eussent préféré la protection, et la royauté au besoin, à celles de l’empereur Sigismond.

Outre leur sympathie pour un prince de leur langue, c’est-à-dire de la famille slave, ils sentaient bien que ce prince, récemment converti à la foi chrétienne, serait moins chatouilleux qu’un prince du Saint-Empire sur les articles de la foi. Ils donnèrent donc pour prétexte à leur ambassade la réconciliation de Koribut, et l’offre de secourir la Pologne contre le Prusse, les Lithuaniens révoltés, les Chevaliers teutoniques, les Valaques et les Tartares qui la menaçaient de tous côtés.

Le Polonais écouta favorablement leurs députés, et défendit à ses prélats de prononcer contre eux l’interdit, cette insultante prohibition du service divin dans les lieux souillés par leur présence, qui jusqu’alors les avait accompagnés et irrités dans tous leurs voyages à l’étranger. Wladislas regardait le secours d’une armée taborite comme une grande chance de salut, et il motiva sa tolérance envers l’hérésie sur le sauf-conduit du concile qui révoquait l’interdit et les admettait à réconciliation.

Mais il y avait à Cracovie un évêque nommé Sbinko, homme d’une orthodoxie farouche et d’un caractère héroïque, qui résista au roi, brava ses menaces, lui tint les discours les plus hardis, et fulmina l’interdit avec toute l’audace de la primitive Église.

Ce débat eut de longues et remarquables conséquences. Le roi penchait à coup sûr vers le hussidisme ; car cette doctrine faisait de grands progrès dans le monde, et Wladislas souffrait qu’un prêtre bohémien prêchât les idées de Wicklef en sa présence.

Une chaude querelle s’engagea entre l’université de Cracovie et le roi de Pologne ; et, l’avis de Sbinko ayant triomphé, le monarque slave irrité résolut de faire assassiner Sbinko. Bien que ce fait nous écarte un peu de la scène principale, comme il ressort de notre sujet, et qu’il montre une belle figure historique dans l’Église romaine, à cette époque où elles y sont fort rares, nous ne l’omettrons pas.

« Il y eut des gens qui persuadèrent le roi de faire mourir l’évêque de Cracovie. Les bourreaux étaient déjà tout prêts pour l’exécution la nuit, lorsque le palatin de Cracovie en avertit le prélat.

« Je vous suis fort obligé de l’avis charitable que vous me donnez, répondit celui-ci, mais je ne veux point fuir, ni rien changer dans ma conduite. Je me tiendrai tranquille dans le lit où j’ai accoutumé de coucher, sans avoir personne qui me garde. J’entrerai dans l’église à minuit pour célébrer les louanges de Dieu, avec un prêtre et un homme de chambre, et je ne détournerai pas ma tête de la main du bourreau. Je souhaite seulement que cette victime soit agréable à Dieu. »

Cependant l’exécution se fit point, quoique Sbinko ne prît aucune précaution. Ce Sbinko était guerrier aussi, comme l’évêque de fer. Il avait marché plusieurs fois contre Koribut, lorsqu’il se permettait des excursions sur la frontière de Pologne, et en toute occasion il s’opposa à la réconciliation de ce prince, qui eût probablement entraîné Wladislas dans les intérêts de la Bohême hussite.

Si l’Église romaine n’eût été composée que de membres aussi sincères et d’un caractère aussi noblement trempé, les vengeances de l’hérésie n’eussent peut-être pas ensanglanté les provinces slaves et germaniques. Mais il s’en fallait de beaucoup que le concile eût dans son sein de pareils éléments de grandeur.

L’Église romaine entrait en pleine dissolution, une corruption effroyable régnait parmi ses membres : la débauche, la simonie, la cupidité, le mensonge, l’intrigue, y trônaient effrontément. Le pape sentait sa puissance prête à lui échapper ; et, dans ce grand conflit du pontife cherchant à poursuivre, sans grandeur et sans idéal, l’œuvre de Grégoire VII, et de l’Église essayant de faire alliance avec les puissances du siècle pour secouer la domination du pape, il était également impossible que la papauté recouvrât sa splendeur, et que l’Église reconquit noblement ses antiques libertés républicaines.

Il y avait donc une lutte acharnée entre les conciles, pour se constituer, et le pape, pour dissoudre les conciles. Les Hussites se trouvaient d’accord avec les évêques sur un seul point, celui de soumettre les décisions du pape à celles du concile.

La vie de Martin V avait été employée à corrompre et à désunir ces assemblées ; Eugène IV continuait ce travail, mais avec moins d’habileté, et déjà il avait prononcé la dissolution du concile de Bâle, sous le prétexte que la moitié de la population de cette ville était hérétique, et que les doctrines de Wicklel et de Huss y trouveraient trop d’appui, Mais ce pontife rencontrait, dans son légat Julien, une résistance énergique, et, dans l’empereur Sigismond, un ennemi mal réconcilié, qui venait lui demander le couronne, le glaive à la main.

« Quand vous devriez, écrivait Julien au saint-père, perdre la vie à l’occasion de ce concile, il vaudrait mieux mourir que de souffrir sur vous une tache ineffaçable, et de donner lieu à des scandales dont vous rendrez compte à Dieu. » Eugène IV voyait sa puissance ébranlée, et se flattait de la rétablir par l’intrigue, en gagnant du temps.

D’un côté, il demandait au concile délai sur délai avant de répondre à la sommation d’y comparaître ou de s’y faire représenter ; de l’autre, il retardait le couronnement de Sigismond, et suscitait contre lui les princes italiens, ses auxiliaires, pour l’empêcher d’entrer en Italie.

L’Empereur, attaqué près de Milan par les Florentins et les Vénitiens réunis, fut plus heureux contre eux que contre les Bohémiens. Il les battit dos et ventre, dit notre auteur.

Les Vénitiens tentèrent de l’empoisonner ; mais, étant sorti vainqueur de tous ces périls, il traversa l’Italie avec ses Allemands et ses Hongrois, que les Italiens traitaient de barbares, et alla attendre à Sienne le bon plaisir du pape, qui céda enfin au bout de six mois, et le couronna Auguste, c’est-à-dire empereur, selon l’institution de Grégoire V. Jusque-là Sigismond n’était que César, ou roi des Romains. Néanmoins les Allemands et les Slaves lui donnaient le titre d’empereur par anticipation.

Durant toute l’année 1432, le concile ne put s’occuper des Hussites, absorbé qu’on était par la difficulté de se constituer œcuméniquement sans le concours du pape. Le pape excommuniait et demandait grâce tour à tour, sous forme de pardon. Le concile formulait et ajournait tour à tour la déchéance du pape. Ce ne fut qu’en novembre 1433 que, grâce à l’intervention de l’empereur et à un nouveau délai de quatre-vingt-dix jours obtenu par lui pour le pape, on put s’entendre provisoirement, en attendant une nouvelle rupture.

Mais, pour ne pas anticiper sur les événements, nous rétrograderons vers le commencement de 1433, époque à laquelle les députés de la Bohême arrivèrent au concile, et y jouèrent un rôle.

Ils arrivèrent à Bâle au nombre de trois cents, ayant à leur tête Procope le Grand, Jean de Rockisane, Pierre Payne, dit l’Anglais, Nicolas Biscupec, prêtre des Taborites, Ulric, prêtre des Orphelins, Kostska, guerrier célèbre par ses courses déprédatrices, etc. « Leur arrivée parut un phénomène si nouveau, que tout le peuple, dit Ænéas Sylvius, présent au spectacle, se répandit dans la ville et hors de la ville pour les voir entrer. Il se trouvait même parmi la foule plusieurs membres du concile, attirés par la réputation d’une nation si belliqueuse.

Hommes, femmes, enfants, gens de tout âge et de toute condition, étaient dans les places publiques, ou aux portes et aux fenêtres, et même sur les toits pour les attendre. Les uns montraient l’un au doigt, les autres un autre. On était surpris de voir des habits étrangers et jusqu’alors inconnus, des visages terribles, et des yeux pleins de fureur.

En un mot, on trouvait que la renommée n’avait point exagéré leur caractère[11]. Surtout on avait les yeux sur Procope : « C’est celui-là, disait-on, qui, tant de lois, a mis en fuite les armées des fidèles, qui a renversé tant de villes, qui a massacré tant de milliers d’hommes ; aussi redoutable à ses propres gens qu’à ses ennemis, capitaine invincible, hardi, intrépide et infatigable. »

Ne croirait-on pas, d’après ce récit du pape Pie II, voir l’Église retranchée, comme le vieux Priam, derrière les murailles troyennes du concile, faire le dénombrement des Grecs, et s’arrêter, avec une complaisante terreur, sur Procope, comme sur l’indomptable Achille ?

Ce devait être en effet un spectacle effrayant et bizarre que celui de ces représentants du peuple, ces guerriers implacables et ces prêtres austères, sans ornements et sans luxe, escortés d’hommes farouches, de sans-culottes terribles, traversant la foule brillante et corrompue des princes et des prélats épouvantés.

Dès la première audience, le cardinal Julien leur fit un discours emphatique et caressant, pour leur faire entendre, à l’aide de toutes les métaphores à la mode dans l’éloquence religieuse officielle de ce temps-là, qu’ils n’avaient qu’à se justifier, à se faire absoudre, et à rentrer aveuglément dans le sein de la sainte mère Église, l’arche sainte, le jardin fermé, la fontaine cachetée, dont l’eau guérit à jamais de la soif… de la connaissance, apparemment, etc., etc. ; enfin, que, pourvu qu’ils reconnussent l’infaillibilité du concile, ils pouvaient compter sur leur pardon.

Ce n’était point là ce que les Bohémiens étaient venus chercher. Ils répondirent qu’ils ne méprisaient pas les conciles, mais qu’ils se fondaient avant tout sur les saintes Lettres, les Pères de l’Église, et l’Évangile, « qu’ils demandaient une audience publique à laquelle les Laïques assistassent. » Rockisane parla avec éloquence, habileté et fermeté. L’audience publique leur fut accordée.

Ils y proposèrent leurs quatre articles, à la grande surprise du concile, qui s’attendait à leur voir soutenir, outre les doctrines Calixtines, les doctrines plus hardies des Taborites et des Orphelins.

Mais, au fond, les quatre articles bien entendus et bien interprétés contenaient la formule de toutes les libertés civiles, politiques et religieuses que réclamaient toutes les sectes hussites. Le légat eût voulu forcer les députés à se compromettre davantage, et il anima, par des questions insidieuses, Procope, qui invoqua avec impatience l’autorité des Prophètes et de Jésus-Christ contre les modernes institutions de l’Église, comme des inventions du Diable et des œuvres de ténèbres.

Le candide Procope ne savait point à quels sceptiques il avait affaire, et son impétuosité fut accueillie d’un immense éclat de rire. Cette insultants hilarité resta comme un outrage ineffaçable sur le cœur des Taborites. Le légat sentit la faute du concile, et s’efforça de répondre, d’un ton conciliant que l’Église, assistée du Saint-Esprit, pouvait aller au delà de la lettre des Prophètes et de l’Évangile.

Les conférences suivantes furent employées à la défense des quatre articles ; et chacun de ces articles fut défendu trois jours ou au moins deux jours durant, par un des docteurs élus à cet effet.

Le Calixtin Rockisane démontra la nécessité de la communion sous les deux espèces ; le Taborite Nicolas, la répression des péchés publics selon la raison et la loi de Dieu ; l’orphelin Ulric, la libre prédication ; le Wickléfite Payne, la négation du droit de possession des biens séculiers et temporels par les ecclésiastiques.

Le concile nomma quatre docteurs pour leur répondre. Jean de Raguse, général des dominicains, parla pendant huit jours sur la motion de Rockisane, et comme il appliquait souvent aux Bohémiens les mots d’hérétiques et d’hérésie, Procope, perdant patience, s’en plaignit hautement.

« Cet homme, qui est notre compatriote, dit-il, nous injurie en nous traitant d’hérétiques ! — C’est parce que je suis votre compatriote de langue et de nation, répondit le dominicain, que j’ai d’autant plus de passion de vous ramener. »

Les Bohémiens irrités voulurent sortir du concile. On eut beaucoup de peine à les apaiser. Gille Chartier employa quatre jours à répondre à la seconde proposition ; Kalteisen de Constance parla trois jours contre la troisième, et Polemar trois autres jours contre la quatrième.

Les Bohémiens paraissaient fort ennuyés de l’éloquence prolixe, fleurie et creuse de leurs adversaires.

Ils les réfutèrent avec obstination. « On trouve bien les discours des docteurs catholiques dans les actes du concile de Bâle, mais je ne sais par quelle raison on n’y a point inséré ceux des docteurs de Bohême. »

Notre historien est bien bon de s’en étonner. On sait de reste, que ce fut la conduite constante de l’Église, en pareilles occasions, d’anéantir les écrits de ses adversaires, ce qui ne prouverait point qu’elle comptât sur l’infaillibilité de ses propres réfutations.

Aussi ce sera un grand et difficile travail que de reconstruire, sur des lambeaux épars et sauvés à grand’peine, les importantes doctrines d’émancipation sociale que, jusqu’au dix-huitième siècle, on a essayé de flétrir du nom désormais glorieux d’hérésies.

Le pouvoir laïque, représenté par le duc de Bavière, protecteur du concile, était plus pressé d’arriver à la paix avec les Bohémiens qu’à la victoire des dogmes catholiques.

Il représenta au concile que ces longues discussions ne servaient qu’à aigrir les esprits de part et d’autre ; et le concile, partageant ses vues politiques, fit aux Bohémiens l’étrange proposition de s’unir par avance par quelque traité, dans l’espérance que l’union faciliterait la discussion. Mais les Bohémiens étaient venus chercher l’union religieuse avant l’union politique, et ils répondirent, en bons croyants et en bons logiciens, que l’une ne pouvait être que l’effet de l’autre.

Axiome si simple et si vrai, qu’on s’étonne de voir encore aujourd’hui tant de gens demander des bouleversements politiques avant de songer à établir des doctrines religieuses et sociales. Le légat, forcé d’admettre ce principe irréfutable, retomba dans ses métaphores accoutumées, nommant le concile le creuset du Saint-Esprit, où la rouille doit être séparée de l’or et de l’argent ; et, croyant trouver un moyen d’enlacer adroitement les Hussites, en les forçant à se condamner ou à s’absoudre eux-mêmes, il les accusa de s’être montrés Wickléfites dans leurs discours, et les somma de renier ou d’adopter Jean Huss, Jérôme et Wicklef dans certains articles sur l’Eucharistie et les autres sacrements.

Il leur fit donc une série de questions délicates qu’on leur donnerait par écrit, afin qu’ils pussent répondre chacun, à chaque article, ces seuls mots, nous croyons, ou nous ne croyons pas cela. Les Bohémiens sentirent le piège ; ils voulaient s’expliquer sur toutes ces propositions prétendues hérétiques, et les discuter en les développant, en les appuyant des textes sacrés et de l’autorité de la primitive Église.

Les accepter par oui ou par non, c’était se soumettre à une condamnation formulée à priori et odieusement consacrée d’avance par les décrets du concile de Constance contre Wicklef, Jean et Jérôme. Ils répondirent que leur mandat ne les autorisait pas à discuter autre chose que leurs quatre articles ; et ils quittèrent Bâle au mois d’avril 1433, sans avoir rien conclu, mais sans avoir cédé un pouce de terrain.

Le concile courut, en quelque sorte, après eux. Trois évêques, accompagnés de huit ou dix docteurs, des députés de plusieurs prélats et communautés, diverses ambassades des princes de l’Empire, du duc de Savoie, des électeurs et des villes libres, enfin une immense et imposante députation de diplomates choisis se rendit à Prague, en apparence pour y continuer la discussion et y offrir des accommodements ; mais, dans le fait, pour les diviser, les corrompre, détacher d’eux les seigneurs catholiques qui avaient fait en politique cause commune avec eux, séduire et flatter les ambitieux, en un mot triompher par l’intrigue, à défaut de mieux. Ceci n’est point une conjecture. Leurs ordres secrets portaient ces instructions.

Les plus beaux discours furent échangés à Prague, et Rockisane ne céda pas la palme de l’éloquence aux beaux esprits du concile. Un chanoine de Magdebourg fit au nom de l’Église une allocution ampoulée à la vanité des Pragois.

« Je te revois, s’écria-t-il, ô Prague, métropole de Bohême, ville magnifique, respectable à tous les rois et à tous les princes, pendant le temps de ta paix et de ton union au Seigneur !

Ô cité de Dieu, souviens-toi de ton ancienne dignité ! Nous sommes touchés d’une tendre compassion à la vue de ton état présent ! Qu’est devenue cette ville si célèbre et qui avait à peine son égale ? Tu as été comptée parmi les plus florissantes, et tu sais, et tu vois ce que tu es à présent, etc. »

La grande vérité que le style c’est l’homme est devenue proverbiale. Dans l’éloquence de tous les diplomates ecclésiastiques romains de cette époque, on voit percer l’enflure, la ruse et la vanité.

Chez Rockisane, dont nous regrettons de ne pouvoir donner un échantillon de style, vu la nécessité de nous borner dans nos citations, on verrait aisément percer l’ambition et la personnalité. Mais chez Procope on ne trouve que force, droiture, religion et simplicité. « Cependant, répondit-il, il est arrivé un grand bien de cette guerre ! Plusieurs adversaires de nos salutaires vérités, s’étant joints à nous pour la défense de la patrie, en sont venus à les reconnaître et à les embrasser.

Les victoires que nous avons remportées y ont affermi le peuple, qui aurait été contraint de les abandonner par la violence de vos armes. Enfin, c’est cette guerre qui a obligé le concile de donner audience aux Bohémiens et de faire connaître nos saintes vérités à l’univers ! Ne vous attendez donc point à voir la fin de ces troubles que la vérité ne soit reçue d’un commun consentement. »

Nous abrégerons, malgré l’intérêt que nous présentent ces longues négociations. La ruse et l’intrigue l’emportaient. Les compliments et les promesses qui ramenèrent aisément les Catholiques rebelles, ébranlèrent peu à peu les Calixtins.

Le juste-milieu était las de la guerre, et se retranchait principalement derrière le premier article (la communion sous les deux espèces), comme sous le bouclier de son point d’honneur. Les trois autres articles, qui tendaient à débarrasser temporellement la Bohême laïque du joug ecclésiastique, subiront des modifications apparentes de part et d’autre.

Mais, dans le fait, l’adroite et artificieuse rédaction du concile de Bâle ruina le fond de ces importantes protestations, et, feignant de céder sur l’article de la communion, donna une conclusion vague et d’une exécution éventuelle. On permettait la libre prédication, à condition que les prédicateurs seraient approuvés par le pape.

On prononçait que les ecclésiastiques doivent administrer fidèlement les biens de l’Église et selon l’institution des saints Pères ; mais, en déclarant que ces biens ne pouvaient être usurpés sans sacrilège par les laïques, on faisait assez pressentir pour l’avenir une mesure analogue à ce que serait chez nous aujourd’hui la restitution des biens nationaux.

Enfin, sur l’article de la communion, tout en prononçant que l’Église a tout pouvoir sur une pareille question, et que les récentes institutions sont articles de foi comme les anciennes, « on accorde pour un temps aux Bohémiens la permission de communier sous les deux espèces, par autorité de l’Église, pourvu qu’ils se réunissent à elle, » et qu’ils croient sans examen au dogme de la présence réelle, tel qu’il est enseigné par l’Église catholique, apostolique et romaine.

Les Calixtins, influencés par Rockisane, qui songeait à ses propres affaires, comme le prouve la suite de sa vie, envoyèrent, non plus trois cents, mais seulement trois députés à Bâle, pour notifier l’acceptation de cet arrangement hypocrite. Le concile, ravi de joie, dressa ce fameux traité de paix connu dans l’histoire sous le nom de Compactata. La Bohême signait son arrêt par la main du juste-milieu.

L’Église et l’Empire allaient triompher sinon des libertés bourgeoises[12], du moins des grandes luttes et des inspirations infinies du peuple.

Mais Procope était encore debout au milieu de ses fiers Taborites ; Procope protestait contre ce lâche traité, et il fallait que Procope tombât, pour que Rome et l’Empereur pussent entrer à Prague sur le cadavre du prolétariat. Pendant le séjour de Procope à Bâle, il avait donné le commandement des Taborites à Pardus de Horka, lui recommandant de tenir ses troupes en haleine, afin d’intimider sans relâche le concile et le parti catholique.

Horka avait encore une fois ravagé la Hongrie, et pris nombre de villes et de forteresses jusqu’aux frontières de la Pologne, avec tant de rapidité que les Hongrois n’avaient pas même songé à se défendre. De leur côté, les Orphelins, chargés de cimenter l’alliance avec le roi de Pologne avaient été l’aider à réduire les Chevaliers Teutoniques.

Ils pénétrèrent en vainqueurs jusqu’à Dantzick, dont ils détruisirent le port et où ils remplirent des flacons d’eau de la mer pour porter de signe de lointaine victoire à leurs compatriotes. Après une bataille gagnée sur le grand maître des Chevaliers, ils firent prisonniers des mercenaires de Bohême, qu’il s’était attachés. Ils les traitèrent comme renégats et les jetèrent dans les flammes.

Enfin, ayant forcé l’Ordre à capituler avec le roi de Pologne, ils reçurent de ce dernier de grands honneurs et de riches présents, et vinrent joindre Procope qui brûlait de rompre le honteux traité de Bâle.

Les deux Procope assiégèrent donc Pilsen, qui, malgré la victoire des Hussites dans tout ce district, était restée catholique et fidèle à l’Empereur. Ce siége fut long et opiniâtre. De fâcheuses diversions le firent interrompre. Un gros de Taborites s’était jeté sur la Bavière, et, surpris dans une embuscade, y avait été complètement écrasé.

Les mêmes plaintes qui s’étaient élevées contre Ziska, vers la fin de sa laborieuse carrière, vinrent troubler le cœur magnanime de Procope. Dans ces moments de lutte désespérée, la foi au succès, surexcitée par l’impatience, se dévore et se détruit elle-même.

Les Taborites se trouvaient, nomme au temps des dernières conquêtes du redoutable aveugle, dans une situation effroyable. Ils voyaient les Calixtins et les Catholiques se liguer de nouveau ensemble et les abandonner. Le salut de la cause ne reposerait bientôt plus que sur eux, et ils éprouvaient cette profonde et douloureuse terreur qui s’empare du plus ardent fanatisme lui-même, quand l’heure de la guerre civile recommence à sonner.

Jusqu’alors les catholiques, fidèles au parti de Sigismond, avaient été considérés par eux comme des ennemis naturels, comme des étrangers.

Mais ces Catholiques réconciliés, mais ces Calixtins qui avaient presque toujours marché avec eux contre l’étranger, et qui avaient défendu comme eux la révolution autant que le sol national, ils s’étaient habitués à les regarder, malgré leurs fréquentes ruptures, comme des frères de race et de religion. Au moment de leur livrer un duel à mort, leurs consciences étaient bouleversées ; et, au moindre échec, transportés de rage, ils étaient prêts à accuser leurs chefs.

Procope fut soupçonné par eux, comme autrefois Ziska, de céder à des ressentiments personnels. Plusieurs opinions se partageaient les esprits. On disait que lorsque les chefs taborites étaient rassemblés à une même table, ils se jetaient les vases et les gobelets à la tête.

Procope éprouva un instant d’insurmontables dégoûts, et quitta l’armée. Les Taborites coururent après lui, et le ramenèrent vaincu par leurs instances et leurs larmes.

Les Pragois eux-mêmes, soit qu’ils ne se trouvassent pas prêts à se passer de lui, soit qu’ils voulussent le forcer à séparer sa cause de la leur, l’engagèrent à retourner au camp.

Le siége de Pilsen fut donc repris avec ardeur ; mais le concile fit passer de l’argent aux habitants, et les Calixtins (honteuse trahison) réussirent à y introduire des vivres.

Dans une sortie, les assiégés prirent sur les Orphelins un chameau qu’ils avaient pris en Presse sur les Chevaliers Teutoniques, et qu’ils promenaient avec amour-propre à travers la Bohême. Cette perte les affligea puérilement, et ils jurèrent de périr devant la ville, plutôt que de ne pas reconquérir leur étrange trophée.

Cependant Pilsen le conserva ; et, par la suite, Sigismond lui donna le chameau pour armes, au lieu du limaçon qu’elle portait auparavant.

Sur ces entrefaites, les députés de Bohême et ceux du concile arrivèrent à Prague, où l’on assembla sur-le-champ les États pour la signature du concordat.

Les Taborites, les Orphelins et les Orébites, qui formaient un parti dans cette capitale, s’y opposèrent avec indignation, accusèrent ouvertement Rockisane d’avoir vendu la patrie pour satisfaire ses desseins ambitieux, et déclarèrent le traité infâme, impie et frauduleux. Les députés du concile profitèrent de cette désunion pour animer la noblesse bohémienne contre les Taborites ; et alors fut résolu cet holocauste, abominable à Dieu, de tout le parti républicain, de toute la force, de toute la gloire, de toute la foi, de toute la vie de cette révolution, qui comptait, grâce à lui, quatorze années de triomphe sur le monde !

On vit reparaître alors les grands traîtres qui avaient traversé les dernières années de Ziska : les Rosenberg, les Maison-Neuve, et un certain Riesenberg, qui jurèrent la perte des Taborites. Ils se jetèrent sur la nouvelle ville, où commandaient les Orphelins et les Taborites, et les taillèrent en pièces. Quinze à vingt mille hommes de ce parti périrent dans cette horrible journée[13].

Procope le Petit, qui y était venu combattre le concordat, échappe à grand’peine à ce désastre, et alla rejoindre Procope le Grand devant Pilsen. Cette nouvelle releva le courage des assiégés, qui insultaient Procope du haut de leurs murailles, et lui conseillaient ironiquement d’aller secourir les siens au lieu d’attaquer les autres. C’était le jour de Saint-Stanislas, une grande fête pour toute la Bohême, et qui sembla néfaste aux Taborites.

Ils levèrent le siège précipitamment, et marchèrent sur Prague, dont ils ravagèrent les environs ; puis ils coururent à Cuttenberg, d’où Procope écrivit à ses confédérés, aux villes de son parti, à tous les corps épars d’Orphelins et d’Orébites, de venir à lui, pour mourir avec lui ou recouvrer Prague sur le parti des traîtres.

Les seigneurs de leur côté, écrivirent aux villes de leur parti que le moment était venu d’écraser le parti des exaltés et des furieux ; et les deux armées se trouvèrent en présence à quatre milles de Prague.

Procope n’avait pas résolu de compromettre toutes ses forces dans un combat si soudain. Il eût voulu aller droit à Prague, certain qu’il n’aurait qu’à se montrer pour s’en faire ouvrir les portes.

Les seigneurs le savaient bien, et étaient résolus de ne point l’y laisser arriver. Ils fondirent sur ses retranchements à l’improviste, et les enfoncèrent. C’était la première fois que les Taborites voyaient la cavalerie se faire passage au travers de leurs redoutables chariots. Ils reculèrent émus et comme frappée de la révélation de leur destinée.

Procope, à la tête de sa phalange d’élite, se jeta au milieu des ennemis et leur disputa la victoire, moins vaincu que las de vaincre, dit Ænéas Sylvius. Mais enveloppé par la cavalerie, il tomba frappé mortellement, sans qu’on ait su d’où partait le coup.

On en accusa un chef de sa propre armée, gagné par l’argent ou les promesses de l’autre parti ; ce traître lui-même s’en vanta à tort ou à raison par la suite. La corruption triomphait donc jusque sur les champs de bataille. Czapeck, chef taborite qui s’était distingué en Prusse, fit aussi défection.

Ô patriciens, chefs d’armée ou hommes d’État, c’est par vous que se font, dans l’histoire, ces hideuses transactions par lesquelles votre cause périt, en même temps que votre fortune s’élève ou se préserve. Procope le Petit tomba aussi percé de coups en se défendant vaillamment. Les traîtres prirent la fuite, et ne furent point poursuivis. Les fidèles périrent.

« Telle fut la fin de ses redoutables chefs et des Taborites jusqu’alors invincibles. Ainsi arriva ne que Sigismond avait prédit : que les Bohémiens ne pouvaient être vaincus que par les Bohémiens. »

Après la victoire, le seigneur de Maison-Neuve choisit les meilleurs et les plus aguerris parmi les prisonniers, les fidèles compagnons de Ziska et de Procope, et les ayant fait entrer dans une grange, où il leur promettait de les gracier et de les enrôler pour la guerre contre Sigismond, il mit le feu à ce bâtiment et les fit tous brûler.

Les troupes catholiques de Pilsen, qui avaient pris part à la bataille, égorgèrent leurs prisonniers, au nombre de mille. Ceux de Prague épargnèrent, dit-on, les leurs, pensant, comme Frédéric le Grand des Jésuites, qu’il était fort utile d’en garder pour la graine. Par la suite, ils eurent à se repentir de n’en avoir pas gardé davantage,

Ænéas Sylvius, en racontant ces événements, fait ainsi le portrait des victimes : « C’étaient des hommes noirs, endurcis au vent et au soleil, et nourris à la fumée des camps. Ils avaient l’aspect terrible et affreux, les yeux d’aigle, les cheveux hérissés, une longue barbe, des corps d’une hauteur prodigieuse, des membres tout velue, et la peau si dure qu’on eût dit qu’elle aurait résisté au fer comme une cuirasse. »

Ne dirait-on pas d’une race de sauvages importée en Bohême du fond de l’Océanie ? ou bien ces hommes intrépides, couchés dans le sang et dans la poussière, faisaient-ils encore peur au secrétaire intrigant de Sigismond, à l’écrivain hypocrite, athée et fanatique en même temps, à ce lâche des lâches qui fut pape sous le nom de Pie II ?

Mais si l’habitude de la guerre et le farouche exercice de ses droits les plus implacables avaient le don de transformer ainsi en bêtes immondes ces effrayants soldats de la liberté, n’est-il pas à craindre que l’évêque de fer, l’énergique Sbinko, le cardinal de Winchester et le légat Julien lui-même, avec bien d’autres prélats et saints pères du concile, n’eussent aussi l’œil d’aigle, la peau noire, velue et dure comme l’acier ?

Il y avait encore quelques Taborites retranchés à Lomnety et sur le Tabor. Ils firent une tentative pour se réunir avec leurs armes et leurs chariots ; ils voulaient lutter encore, ils juraient de venger la mort de Procope. Mais Ulric Rosenberg les intercepta, et livra un combat à ceux de Tabor, où, malgré leur petit nombre, ils se défendirent comme des lions, depuis midi jusqu’à minuit.

Ils n’étaient que trois cents, comme aux Thermopyles ! Enfin ils furent égorgés dans les ténèbres ! on entendit leurs cris d’un grand mille de Bohême. Ils protestaient, en succombant, contre la tyrannie qui s’apprêtait à les venger. Les échos de la Bohême répétèrent ce cri terrible de vallée en vallée. C’était le dernier cri de la liberté.

L’histoire de Tabor n’est pourtant pas finie. Il restait quelques prêtres et des fidèles dispersés et désespérés. Sigismond allait revenir, la main sur son cœur, la cocarde calixtine au chapeau, et la Marseillaise bohémienne sur les lèvres, en attendant qu’il relevât les forteresses de Prague et qu’il mît le concordat dans sa poche.

Mais les docteurs de la loi taborite conservaient dans leurs âmes comme un dépôt sacré la grande doctrine de l’égalité, formulée sous le symbole de la coupe.

Cette doctrine, élaborée par eux, continue une lutte religieuse et philosophique, tout aussi importante dans l’histoire de la révolution hussite que les combats et les victoires de Ziska et de Procope. Nous reverrons à Tabor même ces vieux et augustes débris de la loi aux prises avec l’éloquence fallacieuse d’un pape. Nous regrettons que l’espace nous manque ici pour transcrire ces précieux documents et d’autres, qui jettent un grand jour sur les doctrines de l’Église et de l’hérésie.

Nous y reviendrons dans un travail plus étendu et plus complet. Nous n’avons fait ici qu’extraire à la hâte, pour la commodité des lectrices, un livre difficile à lire, et un peu pâle de sentiments et d’opinions, en ne craignant pas d’y suppléer parfois, selon notre inspiration et notre conscience.

NOTES

1. Puisque le nom de Jeanne d’Arc se rencontre ici à propos des Hussites je rappellerai un fait intéressant et fort peu connu. Il existe quelques lignes écrites par Jeanne, où elle se montre émue et fort courroucée de l’hérésie de Bohème. Je voulais citer ces paroles textuellement. Un de mes amis, qui s’est donné de la peine à ce sujet, m’écrit : « J’ai vraiment du malheur pour cette introuvable lettre : on n’a jamais pu me la découvrir à la Bibliothèque, quoique j’en eusse l’indication exacte. Je suis réduit à rappeler mes souvenirs sur le sens des quelques lignes écrites par Jeanne. Elle annonce aux Hussites qu’après avoir chassé les Anglais du royaume de France, elle ira les guerroyer, s’ils ne se réunissent à la Sainte Mère Église. La lettre est du 3 mars 1430 ; elle a été publiée par le baron de Hormayr, dans l’Annuaire Historique de Munich (1834). Je suis désolé de l’inutilité de mes recherches. Il est étrange qu’à la Bibliothèque Nationale, qui devrait être un dépôt, non pas seulement européen, mais universel, on ne puisse se procurer les publications historiques de l’Allemagne. »

Ainsi Jeanne voulait guerroyer les Hussites, s’ils ne se réunissaient à la Sainte Mère Église ! L’Église catholique avait brûlé Jean et Jérôme, et Jeanne l’inspirée tenait pour cette Église ! Et bientôt cette même Église fit brûler Jeanne elle-même comme hérétique et comme sorcière !

Quelle conclusion le scepticisme prétendait-il tirer de là ? Jean et Jérôme, les brûlés de Constance, étaient divinement inspirés ; Jeanne, la brûlée de Rouen, l’était aussi. Et il est beau que Jeanne, qui ne pouvait connaître les faits qui se passaient en Bohème, ait tenu pour la Sainte Mère Église, c’est-à-dire pour la communion universelle du genre humain.

Elle ne se trompait pas dans son sentiment ; elle se trompait seulement en ayant la bonne foi de prendre l’Église catholique, épiscopale ou papale, pour ce qu’elle se donnait. Qui ne sent dans son cœur que si Jeanne eût vu le jour en Bohème, elle aurait été une de ces intrépides femmes de Tabor qui mouraient pour leur foi en Dieu et en l’Humanité ?

2. Boczko Podiebradski. Ce seigneur de Podiebrad était Hussite, et prit vaillamment parti contre l’armée allemande. Mais il eut bientôt après à se défendre contre les Taborites. Il avait fait des prisonniers sur eux, et ne voulait pas les rendre. Ils allèrent attaquer sa citadelle de Podiebrad, défendue par une forte garnison. Ils y perdirent huit cents hommes dès le premier assaut. On rapporte qu’il n’y avait pas de seigneur en Bohême qui fût pourvu d’une meilleure artillerie et de plus habiles bombardiers. Les Taborites se réfugièrent dans une ville voisine. Podiebrad, à son tour, alla les assiéger.

Mais ayant attaqué la place avec trop de confiance, il y fut tué. Nous mentionnons ces faits, parce que c’est de cette maison que sortit le roi George, qui gouverna la Bohême trente ans plus tard. Il était neveu de ce Boczko de Podiebrad.

3. Jacques Lenfant. Histoire de la guerre des Hussites et du concile de Bâle.

4. Ville royale de Bohême sur la Mise, dans le district de Podwester.

5. Qui fut député au concile de Bâle, et dont Ænéas Sylvius dit « qu’il était moins célèbre par sa noblesse que par le pillage des églises. » Il fut accusé plus tard d’avoir abandonné et même assassiné Procope dans la bataille où celui-ci périt.

6. C’était un nom tiré de celui de son village natal, Hussinciz.

7. Jacques Lenfant.

8. Les quatre articles sont énoncés ici plus clairement qu’ailleurs et résument fort bien les libertés que réclamait la Bohême ; liberté du culte, liberté de conscience, liberté politique, liberté civile.

9. C’est le rhéteur Æneas Sylvius (Hist. Bohem., c. 48) qui prête ce discours au cardinal. Il prétend que cette harangue ne fit nulle impression sur le soldat épouvanté.

10. Outre les progrès du Hussitisme, une nouvelle secte venait de paraître en Moravie sous le nom de médiocres.

« Ils soutenaient qu’il ne fallait donner aux seigneurs que le revenu de leurs terres, que les sujets ne devaient point porter d’autres charges, et qu’on n’avait aucun droit de les y contraindre.

Ils s’étaient réunis jusqu’à quatre mille, renforcés pas les paysans, qui se plaignaient des charges, des corvées et des contributions que leurs maîtres exigeaient d’eux. » Ils commencèrent une Jacquerie sur les terres des gentilshommes. L’archiduc les dispersa, et en extermina plusieurs. « Les autres se retirèrent dans les bois ou dans certaines villes qui leur étaient favorables. »

11. C’était un proverbe en Allemagne que dans un seul soldat bohémien y avait cent démons. (Balbin.)

12. Il semble qu’il y ait ici contradiction. Mais si nous tracions la suite de cette histoire après la restauration de Sigismond, on verrait que les Calixtins ouvrirent bientôt les yeux sur la faute qu’ils avaient faite, et qu’ils luttèrent longtemps avec succès pour la réparer. Le règne du Calixtin George Podiebrad est un triomphe assez grand de la bourgeoisie.

13. 6 mai 1434.

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