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  • Staline : Entretien avec les délégations ouvrières de l’étranger

    5 novembre 1927

    Première partie : réponse de Staline

    A l’entretien assistaient 80 délégués des pays suivants : Allemagne, France, Autriche, Tchécoslovaquie, Amérique du Sud, Chine, Belgique, Finlande, Danemark et Esthonie. L’entretien dura six heures.

    Staline. — Camarades, on m’a fait parvenir hier une liste non signée de questions, en allemand. Ce matin, j’ai reçu deux nouvelles listes : l’une de la délégation française, l’autre de la délégation danoise.

    Commençons par la première liste de questions, bien qu’on ne sache pas quelle délégation l’a envoyée. Nous pourrons ensuite passer aux deux listes suivantes. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous allons commencer. (Les délégués expriment leur assentiment.)

    Première question. — Pourquoi l’U.R.S.S. ne prend-elle pas part à la Société des nations ?

    Réponse. — Les raisons pour lesquelles l’Union soviétique ne prend pas part à la Société des nations ont déjà été exposées à maintes reprises dans notre presse. Je vais vous donner quelques-unes de ces raisons.

    L’Union soviétique n’est pas membre de la Société des nations et ne participe pas à la S.D.N. avant tout parce qu’elle ne veut pas prendre la responsabilité de la politique impérialiste de la S.D.N., des « mandats » que la S.D.N. octroie pour exploiter et asservir les peuples coloniaux.

    L’Union soviétique ne prend pas part à la S.D.N. parce qu’elle est entièrement contre l’impérialisme, contre l’oppression des colonies et des pays dépendants.

    L’Union soviétique ne prend pas part à la S.D.N., en second lieu, parce qu’elle ne veut pas prendre la responsabilité des préparatifs de guerre, de la croissance des armements, des nouvelles alliances militaires, etc., que couvre et sanctionne la S.D.N. et qui ne peuvent pas ne pas conduire à de nouvelles guerres impérialistes.

    L’Union soviétique ne prend pas part à la S.D.N. parce qu’elle est entièrement contre les guerres impérialistes.

    Enfin, l’Union soviétique ne prend pas part à la S.D.N. parce qu’elle ne veut pas être partie intégrante du paravent des intrigues impérialistes que constitue la S.D.N. et que celle-ci cache par les discours onctueux de ses membres. La S.D.N. est la « maison de rendez-vous » pour les impérialistes qui font leurs affaires dans les coulisses. Ce qu’on dit officiellement à la Société des nations n’est qu’un vain bavardage destiné à tromper les ouvriers.

    Ce que les gouvernants impérialistes font officieusement dans les coulisses est la vraie politique impérialiste, hypocritement cachée par les orateurs grandiloquents de la Société des nations. Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que l’Union soviétique ne veuille pas être membre et complice de cette comédie contre les peuples ? Deuxième question. — Pourquoi, dans l’Union soviétique, ne peut-on pas tolérer le Parti social-démocrate ?

    Réponse. — Le Parti social-démocrate (c’est-à-dire les menchéviks) n’est pas toléré dans l’Union soviétique pour les mêmes raisons qu’on n’y tolère pas les contre-révolutionnaires. Il se peut que cela vous étonne, mais il n’y a là rien d’étonnant.

    Les conditions de développement sont telles que la social-démocratie, qui a été sous le régime tsariste un parti plus ou moins révolutionnaire, est devenue après le renversement du tsarisme, sous Kérenski, un parti gouvernemental, un parti de la bourgeoisie, de la guerre impérialiste ; puis, après la révolution d’Octobre, elle s’est transformée en un parti de franche contre-révolution contre la dictature du prolétariat.

    Vous ne pouvez ignorer que chez nous la social-démocratie a pris part à la guerre civile aux côtés de Koltchak et de Dénikine contre le pouvoir des Soviets.

    A l’heure actuelle, c’est un parti de la restauration du capitalisme, de la liquidation de la dictature du prolétariat. Je pense qu’une telle évolution de la social-démocratie n’est pas seulement typique pour l’U.R.S.S., mais aussi pour les autres pays. La social-démocratie a été chez nous plus ou moins révolutionnaire quand existait le régime tsariste.

    C’est ce qui explique, à vrai dire, pourquoi nous, bolcheviks, nous avons été alors avec les menchéviks, c’est-à-dire avec les social-démocrates, dans un seul parti.

    La social-démocratie devient soit un parti d’opposition, soit un parti gouvernemental bourgeois lorsque la bourgeoisie prétendument démocratique accède au pouvoir. Elle se transforme en un parti de franche contre-révolution lorsque c’est le prolétariat révolutionnaire qui accède au pouvoir.

    Un des délégués. — Cela veut-il dire que la social-démocratie n’est une force contre-révolutionnaire qu’en U.R.S.S., ou bien qu’elle peut être qualifiée ainsi dans les autres pays également ?

    Staline. — J’ai déjà dit que nous avons ici une certaine différence.

    La social-démocratie, dans le pays de la dictature du prolétariat, est une force contre-révolutionnaire qui aspire à la restauration du capitalisme et à la liquidation de la dictature du prolétariat au nom de la « démocratie » bourgeoise.

    Dans les pays capitalistes, où le prolétariat n’est pas encore au pouvoir, la social-démocratie est soit un parti d’opposition, soit un parti à moitié gouvernemental faisant coalition avec la bourgeoisie libérale contre les forces les plus réactionnaires du capitalisme, soit un parti entièrement gouvernemental défendant ouvertement le capitalisme et la « démocratie » bourgeoise contre le mouvement révolutionnaire du prolétariat.

    C’est seulement lorsque le pouvoir du prolétariat devient une réalité, qu’elle devient complètement révolutionnaire et que sa tendance contre-révolutionnaire se dirige contre le pouvoir du prolétariat.

    Troisième question. — Pourquoi n’y a-t-il pas de liberté de presse en U.R.S.S.?

    Réponse. — De quelle liberté de presse parlez-vous ? De la liberté de la presse pour quelle classe ? Pour la bourgeoisie ou pour le prolétariat ?

    S’il s’agit de la liberté de la presse pour la bourgeoisie, elle n’existe pas et elle n’existera pas chez nous tant qu’existera la dictature du prolétariat.

    Si vous parlez de la liberté de la presse pour le prolétariat, je dois dire que vous ne trouverez pas au monde un autre pays où la liberté de la presse soit aussi large et complète pour le prolétariat que dans l’U.R.S.S.

    La liberté de la presse pour le prolétariat n’est pas un vain mot. Il n’y a pas de liberté de la presse pour le prolétariat s’il ne possède pas les meilleures imprimeries, les meilleures maisons d’éditions ; s’il n’y a pas des organisations légales de la classe ouvrière, depuis les plus petites jusqu’aux plus grandes, groupant des millions d’ouvriers ; s’il n’y a pas la plus large liberté de réunion.

    Voyez les conditions de vie en U.R.S.S., faites une tournée dans les quartiers ouvriers et vous comprendrez que les meilleures imprimeries, les meilleures maisons d’éditions, des fabriques entières de papier, des usines entières de matières colorantes, nécessaires pour la presse, d’énormes palais pour les réunions : tout cela, et bien d’autres choses encore, nécessaires pour la liberté de la presse de la classe ouvrière, tout cela est entièrement à la disposition de la classe ouvrière et des masses laborieuses.

    C’est ce qu’on appelle chez nous la liberté de la presse pour la classe ouvrière. Chez nous, il n’y a pas de liberté de la presse pour la bourgeoisie. Il n’y a pas de liberté de la presse pour les menchéviks et les s.-r. Qui, chez nous, représentent les intérêts de la bourgeoisie battue et renversée.

    Qu’y a-t-il là d’étonnant ? Nous n’avons jamais pris l’engagement de donner la liberté de la presse à toutes les classes, de faire le bonheur de toutes les classes.

    En prenant le pouvoir, en octobre 1917, les bolcheviks ont ouvertement déclaré que ce serait le pouvoir d’une seule classe, du prolétariat, qui écraserait la bourgeoisie dans l’intérêt des masses travailleuses des villes et des campagnes, énorme majorité de la population de l’U.R.S.S.

    Comment peut-on après cela exiger de la dictature du prolétariat la liberté de la presse pour la bourgeoisie ?

    Quatrième question. — Pourquoi ne relâche-t-on pas les menchéviks emprisonnés ?

    Réponse. — Il s’agit évidemment des menchéviks militants. Oui c’est vrai, nous gardons en prison les menchéviks actifs jusqu’à l’expiration de leur peine. Est-ce surprenant ? Pourquoi n’a-t-on pas relâché, par exemple, les bolcheviks emprisonnés en juillet, août, septembre et octobre 1917, alors que les menchéviks et les s.-r.

    Étaient ou pouvoir ?

    Pourquoi Lénine a-t-il été obligé de se cacher et de vivre illégalement de juillet à octobre 1917, alors que le pouvoir était aux mains des menchéviks et des s.-r.?

    Comment expliquer que le grand Lénine, dont le nom est un drapeau pour les prolétaires de tous les pays, ait été obligé de se cacher de juillet à octobre 1917, en Finlande, loin de la « République démocratique » de Kérenski et de Tsérételli, de Tchernov et de

    Dan, tandis que l’organe du parti de Lénine, la Pravda, était pillée par les junkers bourgeois, bien qu’à la tête du gouvernement il y eût alors des militants actifs et connus de la IIe Internationale ?

    Cela s’explique, évidemment, par le fait que la lutte entre la contre­ révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne est accompagnée fatalement de certaines répressions. J’ai déjà dit que la social-démocratie est chez nous un parti de contre-révolution. Il en résulte que la révolution prolétarienne ne peut manquer d’arrêter les militants de ce parti contre-révolutionnaire.

    Ce n’est pas tout. Il en résulte ensuite que l’arrestation des menchéviks est chez nous la continuation de la politique de la révolution d’Octobre ?

    Au fond, qu’est-ce que là révolution d’Octobre ? C’est avant tout le renversement du pouvoir de la bourgeoisie. A l’heure actuelle, tous les ouvriers plus ou moins conscients de tous les pays reconnaissent que les bolcheviks ont bien fait, en octobre 1917, de renverser le pouvoir de la bourgeoisie. Je ne doute pas que vous soyez du même avis.

    Mais voici une question : qui donc, à vrai dire, le prolétariat a-t-il renversé en octobre 1917 ? L’histoire, les faits disent qu’en octobre 1917, le prolétariat a renversé les menchéviks et les s.-r., car ce sont eux précisément, Kérenski et Tchernov, Gotz et Lieber, Dan et Tsérételli, Abramovitch et Avxentiev qui étaient alors au pouvoir.

    Or, que sont les partis des menchéviks et des s.-r. ? Ce sont des partis de la IIe Internationale.

    Il s’avère donc qu’en accomplissant la révolution d’Octobre, le prolétariat de l’U.R.S.S. a renversé les partis de la IIe Internationale.

    C’est peut-être désagréable à certains social-démocrates, mais c’est un fait indiscutable qu’il serait puéril de contester.

    Par conséquent, au moment de la révolution prolétarienne on pouvaitet on devait renverser le pouvoir des menchéviks et des s.-r. Pour

    que le pouvoir du prolétariat pût triompher. Mais si on peut renverser les menchéviks et les s.-r., pourquoi ne peut-on les arrêter lorsqu’ils passent ouvertement et résolument dans le camp de la contre-révolution bourgeoise ?

    Pensez-vous que le renversement des menchéviks et des s.r. soit un moyen moins violent que leur arrestation ? On ne peut estimer juste la politique de la révolution d’Octobre sans estimer aussi juste ses conséquences inévitables.

    De deux choses l’une : ou bien la révolution d’Octobre a été une faute, et dans ce cas, c’est une faute d’arrêter les menchéviks et les s.-r., ou bien la révolution d’Octobre n’est pas une faute, et alors on ne peut considérer comme une faute l’arrestation des menchéviks et des s.-r. Logique oblige.

    Cinquième question. — Pourquoi le correspondant du Bureau de la presse social-démocrate n’a-t-il pas reçu l’autorisation de venir en U.R.S.S. ?

    Réponse. — Parce que la presse social-démocrate à l’étranger, en particulier le Vorwaerts, a dépassé par ses calomnies monstrueuses contre l’U.R.S.S. et ses représentants beaucoup de journaux bourgeois. Parce que nombre de journaux bourgeois, par exemple la Vossische Zeitung, se conduisent dans la lutte contre l’U.R.S.S. bien plus « objectivement » et « convenablement » que le Vorwaerts.

    Cela peut sembler « étrange », mais c’est un fait avec lequel on doit compter.

    Si le Vorwaerts pouvait se conduire aussi bien que les journaux bourgeois, ses représentants, certainement, auraient leur place dans l’U.R.S.S., à l’égal des représentants des autres journaux bourgeois.

    Un de ces jours, un représentant du Vorwaerts s’est adressé à un des collaborateurs de notre représention diplomatique à Berlin pour lui demander les conditions auxquelles le correspondant du Vorwaertspourrait être autorisé à venir en U.R.S.S.

    On lui répondit : « Lorsque le Vorwaerts montrera effectivement qu’il est prêt à se conduire envers l’U.R.S.S. et ses représentants aussi bien qu’un journal libéral « convenable », dans le genre de la Vossische Zeitung, le gouvernement soviétique ne fera pas obstacle à la venue du correspondant du Vorwaerts en U.R.S.S. »

    Je pense que la réponse est parfaitement claire.

    Sixième question. — La fusion des IIe et IIIe Internationales est-elle possible ?

    Réponse. — Je pense que c’est impossible. C’est impossible puisque la IIe et la IIIe Internationales ont des positions absolument différentes et regardent de deux côtés différents.

    Si la IIIe Internationale regarde du côté du renversement du capitalisme et de l’instauration de la dictature du prolétariat, la IIe Internationale, par contre, regarde du côté du maintien du capitalisme et de la destruction de tout ce qui est nécessaire pour instaurer la dictature du prolétariat.

    La lutte entre ces deux Internationales est le reflet idéologique de la lutte entre les partisans du capitalisme et ceux du socialisme.

    De cette lutte doit sortir victorieuse soit la IIe, soit la IIIe Internationale. Il n’y a nulle raison de douter que ce soit la IIIe Internationale qui triomphe dans le mouvement ouvrier. J’estime que la fusion de ces deux Internationales est impossible.

    Septième question. — Comment juger la situation dans l’Europe occidentale ? Faut-il s’attendre à des événements révolutionnaires dans les prochaines années ?Réponse. — Je pense qu’en Europe grandissent et grandiront les éléments de la crise la plus profonde du capitalisme. Le capitalisme peut partiellement se stabiliser, rationaliser sa production, comprimer temporairement la classe ouvrière : il est encore en état de le faire pour le moment, mais il ne retournera jamais à la « stabilité » et à 1’ « équilibre » dont il jouissait avant la guerre mondiale et la révolution d’Octobre.

    Il ne reviendra jamais à cette « stabilité » et à cet « équilibre ». On le voit, ne serait-ce que par les brasiers révolutionnaires qui s’allument en Europe comme dans les colonies, ressources du capitalisme européen.

    Aujourd’hui, c’est en Autriche que se produit une explosion révolutionnaire ; demain, c’est en Angleterre ; après-demain, quelque part en France ou en Allemagne ; puis, en Chine, dans l’Indonésie, dans l’Inde, etc. Or, qu’est-ce que l’Europe et les colonies ?

    C’est le centre et la périphérie du capitalisme. La tranquillité ne règne plus dans les centres du capitalisme européen. Elle règne encore moins dans sa périphérie. Les conditions mûrissent pour de nouveaux événements révolutionnaires.

    Je pense que la preuve la plus éclatante de la crise croissante du capitalisme, l’exemple le plus clair du mécontentement et de l’indignation qui s’accumulent dans la classe ouvrière, ce sont les événements qui se rattachent à l’assassinat de Sacco et Vanzetti.

    Qu’est-ce que l’assassinat de deux ouvriers pour le charnier capitaliste ? Est-ce que jusqu’à présent on ne tuait pas les ouvriers par dizaines, par centaines, chaque semaine, chaque jour ? Pourtant, il suffit de l’assassinat de deux ouvriers, Sacco et Vanzetti, pour mettre en mouvement la classe ouvrière du monde entier ?

    Qu’est-ce à dire ? Que le terrain est de plus en plus brûlant sous les pieds du capitalisme.

    Que les conditions mûrissent pour de nouveaux événements révolutionnaires. Le fait que les capitalistes réussirent à tenir durant la première secousse de l’explosion révolutionnaire n’est nullement une consolation pour eux.

    La révolution contre le capitalisme ne peut avancer en une vague continue et générale. Elle grandit toujours avec des flux et des reflux. Il en a été ainsi en Russie. Il en sera ainsi en Europe. Nous sommes à la veille de nouveaux événements révolutionnaires.

    Huitième question. — L’opposition est­elle forte dans le Parti russe ? Sur quels milieux s’appuie-t-elle ?

    Réponse. — Je pense qu’elle est très faible. Bien plus, ses forces sont presque nulles dans notre parti. J’ai en mains le journal d’aujourd’hui. On y donne le bilan de plusieurs jours de discussion.

    Les chiffres disent que plus de 135.000 membres du Parti ont voté pour le Comité central de l’U.R.S.S. et pour ses thèses, et 1.200 seulement pour l’opposition.

    Cela ne fait même pas 1 %. Je pense que, dans la suite, le vote donnera des résultats encore plus humiliants pour l’opposition. La discussion continuera chez nous jusqu’au congrès.

    Nous nous efforçons, pendant ce temps, de demander l’opinion de tout le Parti. J’ignore comment chez vous, dans les partis social-démocrates, on discute. Je ne sais si on discute en général dans les partis social-démocrates. Nous considérons la discussion d’une façon sérieuse.

    Nous demanderons l’opinion de tout le Parti, et vous verrez que l’importance de l’opposition dans notre parti est encore plus infime que ne le montrent les chiffres que je viens d’indiquer. Il se peut très bien qu’au XVe congrès l’opposition n’ait pas un représentant, pas un délégué.

    Dans la grande usine Tréougolnik, à Léningrad, il y a 15.000 ouvriers, dont 2,122 communistes ; 39 d’entre eux ont voté pour l’opposition. A l’usine Poutilov, à Léningrad également, il y a environ 11.000 ouvriers, dont 1.718 communistes ; 29 ont voté pour l’opposition.

    Sur quels milieux s’appuie l’opposition ? Je pense que c’est surtout sur les milieux non prolétariens. Si l’on demandait aux couches non prolétariennes de la population, à celles qui sont mécontentes du régime de la dictature du prolétariat, de quel côté vont leurs sympathies, elles répondraient sans hésiter que c’est du côté de l’opposition.

    Pourquoi ?

    Parce que la lutte de l’opposition, au fond, est une lutte contre le Parti, contre le régime de la dictature du prolétariat, dont certaines couches non prolétariennes sont fatalement mécontentes.

    L’opposition est le reflet du mécontentement, de la poussée des couches non prolétariennes de la population contre la dictature du prolétariat.

    Neuvième question. — Les bruits répandus en Allemagne par Ruth Fischer et Maslow, qui déclarent que la direction actuelle de l’I.C. et du Parti russe livre les ouvriers à la contre-révolution, sont-ils vrais ?

    Réponse. — Il faut croire qu’ils sont vrais. Il faut croire que l’Internationale communiste et le Parti communiste russe livrent pieds et poings liés la classe ouvrière de l’U.R.S.S. aux contre­ révolutionnaires de tous les pays.

    Bien plus, je puis vous annoncer que l’I.C. et le Parti communistes russe ont décidé ces jours­ci de rappeler tous les capitalistes et tous les hobereaux qui avaient été chassés du pays et de leur rendre les usines et les fabriques. Ce n’est pas tout. L’Internationale communiste et le P.C. de l’U.R.S.S. sont allés plus loin en décidant qu’il est temps pour les bolchéviks de commencer à se nourrir dechair humaine. Enfin, nous avons décidé de nationaliser toutes les femmes et de faire commerce du viol de nos propres sœurs.

    (Hilarité générale.)

    Des voix : Qui a pu poser une telle question ?

    Je vois que vous riez. Peut-être quelques-uns d’entre vous pensent-ils que je ne réponds pas sérieusement à la question. C’est exact, camarades on ne peut répondre sérieusement à de telles questions. Je pense qu’on ne peut répondre à de telles questions qu’en les tournant en ridicule. (Vifs applaudissements.)

    Dixième question. — Quelle est votre attitude envers l’opposition et la tendance Ruth Fischer et Maslow en Allemagne ? Réponse. — Mon attitude envers l’opposition et ses agents en Allemagne est la même que l’attitude du célèbre romancier français Alphonse Daudet envers Tartarin de Tarascon. (Mouvements de gaité parmi les délégués.)

    Vous avez sans doute lu ce fameux récit d’Alphonse Daudet. Le héros de cet ouvrage était, au fond, un habituel « bon » petit bourgeois.

    Mais sa fantaisie était si puissante, sa faculté de « mentir innocemment » était si développée, qu’à la fin des fins il a été lui-même victime de ses extraordinaires capacités.

    Tartarin se vantait à tout venant d’avoir tué dans la chaîne de l’Atlas un nombre incalculable de lions et de tigres. Les amis crédules de Tartarin lui décernèrent le titre de premier chasseur de lions du monde.

    Pourtant, Alphonse Daudet, savait parfaitement, aussi bien que Tartarin lui-même, que ce dernier n’avait jamais vu ni lions, ni tigres.

    Tartarin s’était vanté en assurant à tous qu’il avait fait l’ascension du mont Blanc. Ses crédules amis lui décernèrent le titre de premier alpiniste du monde. Pourtant, Alphonse Daudet savait parfaitement que Tartarin n’avait jamais été sur le mont Blanc.

    Tartarin s’était vanté et avait assuré à tous qu’il avait fondé une grande colonie dans un pays lointain de la France. Ses crédules amis lui décernèrent le titre de premier colonisateur du monde.

    Pourtant, Alphonse Daudet, aussi bien que son héros, savait que les idées fantaisistes de Tartarin ne pouvaient aboutir à rien d’autre qu’à la confusion de ce dernier et de ses amis.

    Vous savez à quelle confusion, à quel ridicule, la vantardise de Tartarin a conduit ses amis.

    Je pense que le tapage et la vantardise des leaders de l’opposition, à Moscou et à Berlin, se termineront par la même confusion et le même ridicule pour l’opposition. (Hilarité générale.) Staline. — Nous venons d’épuiser la première liste des questions.

    Passons maintenant aux questions de la délégation française.

    Première question. — De quelle façon le gouvernement de l’U.R.S.S. pense-t-il combattre les firmes pétrolières étrangères ?

    Réponse. — La question, à mon avis, est mal posée. Ainsi formulée, elle pourrait donner à croire que l’industrie soviétique du naphte s’est assignée pour but de livrer bataille aux firmes de la même industrie des autres pays et qu’elle veut les couler et les liquider. En est-il ainsi en réalité ? Non.

    Voici de quoi il s’agit au fond : certaines firmes pétrolières des pays capitalistes s’efforcent d’étouffer l’industrie soviétique du naphte, celle-ci doit se défendre pour vivre et se développer. Le fait est que l’industrie pétrolière soviétique est plus faible que l’industrie pétrolière des pays capitalistes, aussi bien en ce qui concerne l’extraction (nous extrayons moins qu’eux) que dans les relations avec le marché (ils ont bien plus de relations avec le marché mondial que nous).Comment l’industrie soviétique du pétrole se défend-elle ?

    Elle se défend en améliorant la qualité de la production et, avant tout, en baissant les prix du pétrole, en vendant sur le marché un produit bon marché, meilleur marché que le pétrole des firmes capitalistes.

    Mais, pourra-t-on demander, les Soviets sont-ils donc si riches qu’ils ont la possibilité de vendre moins cher que les plus riches firmes capitalistes ?

    Naturellement, l’industrie soviétique n’est pas plus riche que les firmes capitalistes. Au contraire, les firmes capitalistes sont beaucoup plus riches que l’industrie soviétique.

    Mais il ne s’agit pas de richesses. Le fait est que l’industrie soviétique du pétrole n’est pas une industrie capitaliste, et c’est pourquoi elle n’a pas besoin de surprofits fabuleux, alors que les firmes capitalistes ne peuvent s’en passer. C’est précisément parce que l’industrie soviétique du pétrole n’a pas besoin de surprofits formidables qu’elle peut vendre ses produits moins cher que les firmes capitalistes. On peut en dire autant des céréales, du bois soviétique, etc.

    En général, il faut dire que les produits soviétiques, en particulier le pétrole, sont sur le marché international un facteur comprimant les prix et allégeant ainsi la situation des masses de consommateurs.

    C’est là, pour le pétrole soviétique, une force, un moyen de défense contre les tentatives des firmes pétrolières capitalistes. C’est pourquoi les grands pétroliers de tous les pays, en particulier Déterding, crient à tue-tête contre les Soviets et contre le pétrole soviétique en dissimulant leur politique des hauts prix et le pillage du consommateur par des phrases à la mode sur la « propagande communiste ».

    Deuxième question. — Comment pensez-vous réaliser le collectivisme parmi la paysannerie ?

    Réponse. — Nous pensons réaliser le collectivisme parmi la paysannerie graduellement, par des mesures d’ordre économique,financier, politique et éducatif. Je pense que la question la plus intéressante est celle des mesures d’ordre économique.

    Dans ce domaine, nos mesures vont dans trois directions : l’organisation des exploitations paysannes individuelles dans les coopératives ; l’organisation des exploitations paysannes, surtout celle des paysans pauvres, dans les sociétés de production ; et, enfin, les mesures à prendre par les organes de plan et de régularisation étatiques pour embrasser l’économie paysanne aussi bien en ce qui concerne l’écoulement des produits ruraux que la fourniture aux paysans des objets de notre industrie qui leur sont nécessaires.

    Il y a quelques années, il existait entre l’industrie et l’agriculture de nombreux intermédiaires représentés par des entrepreneurs privés qui fournissaient aux paysans les produits de la ville et vendaient aux ouvriers le pain des paysans.

    Il est compréhensible que ces intermédiaires ne « travaillaient » pas pour rien et retiraient des dizaines de millions en pressurant la population rurale et la population urbaine.

    C’était la période où l’alliance entre la ville et le village, entre l’industrie socialiste et l’économie paysanne individuelle était encore mal organisée. Le rôle de la coopération et des organes de répartition de l’État était alors relativement insignifiant. Depuis, l’état de chose a foncièrement changé.

    Maintenant, dans les échanges entre la ville et le village, entre l’industrie et l’économie rurale, le rôle de la coopération et des organes commerciaux de l’État peut être considéré non seulement comme prépondérant, mais comme nettement dominant, sinon exclusif.

    Dans la fourniture des tissus aux paysans, la part vendue par les coopératives et les organes de l’État s’élève à plus de 70 % ; dans la fourniture de machines agricoles, elle atteint presque 100 %.

    Dans l’achat des céréales des paysans, la part des coopératives et des organes de l’État dépasse 80 %.Dans l’achat des matières premières pour l’industrie, telles que le coton, la. Betterave, etc., elle est presque de 100 %.

    Que signifie cela ?

    Cela signifie, premièrement, que le capitalisme est évincé de la sphère des échanges, que l’industrie se soude directement à l’économie paysanne, que les bénéfices qui allaient aux intermédiaires spéculateurs restent dans l’industrie et dans l’agriculture, que les paysans ont la possibilité d’acheter les produits de la ville moins cher, que les ouvriers, à leur tour, ont la possibilité de payer moins cher pour les denrées agricoles.

    Deuxièmement, qu’en éliminant de l’échange les intermédiaires capitalistes, l’industrie a la possibilité d’entraîner à sa remorque l’économie rurale, de l’influencer, d’élever son niveau, de la rationaliser, de l’industrialiser.

    Troisièmement, qu’en soudant l’agriculture à l’industrie, l’État a la possibilité d’introduire le principe du plan, de la prévision dans le développement de l’agriculture, de lui fournir de meilleures semences et de meilleurs engrais, de déterminer le montant de sa production, de l’influencer dans le sens de la politique des prix, etc.

    Enfin, cela signifie que, dans les villages, il se crée des conditions favorables à la liquidation des éléments capitalistes, à la restriction et à la liquidation des éléments koulaks, à l’organisation des paysans travailleurs dans des sociétés de production, au financement de ces sociétés par l’État.

    Prenons, par exemple, la production de la betterave à sucre et celle du coton.

    Le montant de la production de ces deux matières premières, de même que les prix et la qualité, ne sont pas déterminés sporadiquement, par le jeu des forces sur le marché inorganisé, par les intermédiaires spéculateurs, par la Bourse et les comptoirs capitalistes de toute espèce, mais par le Plan, par des traités préalables et précis entre les syndicats du sucre, les syndicats du textile d’une part, et les dizaines de millions de producteurs paysans en la personne de la coopération de la culture de la betterave et du coton, de l’autre.

    Il n’y a ici ni Bourses, ni comptoirs, ni agiotage sur les prix, etc. Tous ces accessoires de l’économie capitaliste n’existent plus chez nous dans ce domaine.

    Il n’y a plus ici que les deux parties en présence, sans Bourses ni intermédiaires : d’une part, les syndicats de l’État, d’autre part, les paysans coopérés.

    Les syndicats de l’État signent des contrats avec les organisations coopératives intéressées pour la production de telle ou telle quantité de betterave ou de coton, pour la fourniture aux paysans de semences, de prêts, etc.

    Après la récolte, toute la production est mise à la disposition des syndicats, et les paysans reçoivent la somme qui leur revient selon les clauses des contrats signés à l’avance. C’est ce qu’on appelle chez nous le système de contractation.

    Ce système est bon en ce sens qu’il a des avantages pour les deux parties et qu’il soude l’agriculture à l’industrie directement, sans nul intermédiaire. Ce système est la voie la plus sûre vers la collectivisation de l’économie paysanne.

    On ne peut dire que les autres branches de l’agriculture soient arrivées à un tel degré de développement. Mais on peut dire avec assurance que toutes les branches de l’économie rurale, sans en excepter la production des céréales, devront peu à peu passer par là.

    Ce chemin conduit directement à la collectivisation de l’économie rurale.

    La collectivisation générale n’arrivera que lorsque les exploitations rurales seront réorganisées sur une nouvelle base technique, grâce à l’emploi généralisé des machines et à l’électrification ; lorsque la majorité des paysans travailleurs seront groupés dans les organisations coopératives ; lorsque la majorité des villages serontcouverts d’un réseau de sociétés agricoles à caractère collectiviste.

    On va vers ce but, mais on n’y est pas encore arrivé et on n’y arrivera pas de sitôt.

    Pourquoi ? Entre autres, parce qu’il faut pour cela des capitaux immenses dont notre Etat ne dispose pas encore, mais qui, incontestablement, s’accumuleront avec le temps.

    Marx disait qu’aucun nouveau régime social ne se consolide sans être intensément financé, sans que des centaines et des centaines de millions soient dépensés pour cela. Je pense que nous entrons déjà dans la période de développement de l’agriculture où l’État commence à avoir la possibilité de financer plus énergiquement le nouvel ordre social.

    Le fait que l’industrie socialiste a déjà conquis le rôle d’élément dirigeant dans l’économie nationale, et entraîne à sa suite l’agriculture, est la garantie la plus sûre que l’économie paysanne suivra la voie de la collectivisation.

    Troisième question. — Quelles ont été les principales difficultés sous le communisme de guerre, lorsqu’on a tenté de supprimer l’argent ?

    Réponse. — Les difficultés ont été nombreuses aussi bien en ce qui concerne le développement intérieur que les relations extérieures. Si l’on prend les rapports intérieurs d’ordre économique, on peut constater trois principales difficultés.

    Premièrement, notre industrie était ruinée et paralysée, abstraction faite de l’industrie de guerre qui fournissait les munitions aux fronts de la guerre civile pendant l’intervention. Les deux tiers de nos usines et fabriques chômaient, les transports clochaient, il n’y avait pas ou presque pas de marchandises.

    Deuxièmement, l’agriculture allait très mal, la main d’œuvre agricole était sur le front, on manquait de matières premières, on manquait de pain pour la population des villes et, avant tout, pour les ouvriers.

    Nous donnions alors aux ouvriers une demi-livre de pain, et parfois même 1/8 de livre par jour.

    Troisièmement, il n’y avait pas ou presque pas d’appareil commercial soviétique de transmission plus ou moins organisé entre la ville et le village, d’appareil capable de fournir au village les produits de la ville et à la ville les denrées du village. La coopération et les organes commerciaux de l’État étaient dans un état embryonnaire.

    Après la guerre civile et l’instauration de la nouvelle politique économique, la situation économique du pays a changé radicalement.

    L’industrie s’est développée et renforcée et a occupé une position dominante dans toute l’économie nationale. Ce qu’il y a de plus caractéristique à cet égard, c’est que pendant les deux dernières années nous avons réussi à investir dans l’industrie plus de 2 milliards de roubles tirés de nos propres accumulations, sans l’aide de l’extérieur, sans aucun emprunt étranger. On ne peut plus dire maintenant qu’il n’y a plus de marchandises pour les paysans.

    L’agriculture s’est relevée, sa production a repris les proportions d’avant-guerre. On ne peut plus dire maintenant que pour les ouvriers il n’y a pas de pain ou d’autres produits de l’agriculture.

    La coopération et les organes commerciaux de l’État se sont développés au point d’occuper dans les échanges du pays une position dominante. On ne peut plus dire que nous n’avons pas d’appareil de transmission et de répartition entre la ville et le village, entre l’industrie et l’agriculture.

    Tout cela, bien entendu, ne suffit pas pour édifier dès maintenant l’économie socialiste. Mais c’est parfaitement suffisant pour aller del’avant dans le chemin de l’édification victorieuse du socialisme.

    Nous avons besoin maintenant de réoutiller notre industrie, de construire de nouvelles usines sur une nouvelle base technique. Il nous faut relever le niveau de l’agriculture, fournir aux paysans le maximum de machines agricoles, organiser dans les coopératives la majorité des paysans travailleurs, réorganiser les producteurs isolés dans un large réseau de sociétés agricoles.

    Il nous faut organiser notre appareil de transmission et de répartition entre la ville et le village de façon qu’il soit capable d’évaluer les moyens et de satisfaire les besoins de la ville et du village dans tout le pays, de la même façon que chaque personne calcule son budget, ses recettes et ses dépenses.

    Tout cela réalisé, nous arriverons au temps où l’on n’aura plus besoin d’argent. Mais nous en sommes encore loin.

    Quatrième question. — Qu’en est-il des « ciseaux » ?

    Réponse. — Si, par « ciseaux », on entend l’écart entre les prix des denrées agricoles et ceux des produits industriels du point de vue du prix de revient, la situation des « ciseaux » est la suivante : Il est incontestable que nos produits industriels se vendent encore plus cher qu’il serait possible de les vendre dans d’autres conditions.

    Cela s’explique par la jeunesse de notre industrie, la nécessité de la protéger contre la concurrence extérieure, de lui créer des conditions accélérant son développement.

    Or son développement rapide est nécessaire aussi bien aux villes qu’aux campagnes.

    Autrement il ne serait pas possible de fournir à temps et en quantité suffisante aux paysans les tissus et les machines agricoles. Cette circonstance crée un écart entre les prix des produits industriels et ceux des produits agricoles, avec un certain préjudice pourl’économie rurale.

    Pour mettre fin à ce désavantage de l’agriculture, le gouvernement et le Parti se sont donnés pour tâche d’appliquer une politique de baisse graduelle, mais constante, des prix des produits industriels. Peut-on dire que cette politique soit réaliste ?

    J’estime qu’elle l’est incontestablement. On sait par exemple que, pendant la dernière année, nous avons réussi à baisser les prix de détail des produits industriels de 8 à 10 %. On sait aussi que nos organisations industrielles réduisent systématiquement les prix de revient et les prix de vente des produits industriels.

    Il n’y a pas de raisons de douter que cette politique ne continue à l’avenir. Bien plus, je dois dire que la politique de baisse constante des prix des produits industriels est la pierre angulaire de notre politique économique, sans laquelle ni l’amélioration ni la rationalisation de notre économie industrielle, ni la consolidation de l’alliance de la classe ouvrière avec les paysans ne sauraient se concevoir.

    Dans les pays bourgeois, on suit à cet égard une autre politique.

    Dans ces pays, les entreprises s’organisent habituellement en trusts et en syndicats pour majorer à l’intérieur les prix des marchandises fabriquées par l’industrie, pour s’assurer un monopole de fait sur les prix, pour réaliser ainsi le maximum de bénéfices et constituer des fonds leur permettant de vendre ces mêmes marchandises à bas prix dans les pays étrangers afin de conquérir de nouveaux marchés.

    C’était là la politique appliquée chez nous, en Russie, à l’époque du régime bourgeois, alors que le sucre, par exemple, était vendu à l’intérieur du pays trois fois plus cher qu’à l’étranger, trois fois plus cher qu’en Angleterre par exemple, où il était vendu si bon marché qu’on en nourrissait les cochons.

    Le gouvernement soviétique suit une politique diamétralement opposée.Il estime que l’industrie est faite pour servir la population, et non pas le contraire.

    Il pense que la baisse constante des prix industriels est le moyen essentiel sans lequel le progrès normal de l’industrie est impossible. Sans parler du fait que la politique de baisse des prix industriels contribue à accroître la consommation de la population, augmente la capacité d’achat du marché intérieur, urbain et rural, et crée ainsi la base, sans cesse élargie, nécessaire au déploiement intérieur de l’industrie.

    Cinquième question. — Quelles sont les propositions du gouvernement soviétique aux petits porteurs français de fonds russes ?

    Comment les porter à la connaissance des rentiers français ?

    Réponse. — Nos propositions en ce qui concerne les dettes d’avant-guerre ont été publiées dans la fameuse interview du camarade Rakovski. Je pense que vous devez les connaître.

    Elles sont conditionnées par l’obtention simultanée de crédits par l’U.R.S.S. Nous nous en tenons ici au fameux principe : donnant, donnant. Si vous nous accordez des crédits, vous obtiendrez de nous quelque chose en ce qui concerne les dettes d’avant-guerre ; si vous ne donnez rien, vous ne recevrez rien.

    Cela veut-il dire que nous reconnaissons ici en principe les dettes d’avant-guerre ?

    Pas le moins du monde.

    Cela veut seulement dire que, tout en laissant en vigueur le célèbre décret sur l’abolition des dettes tsaristes, nous consentons néanmoins, à titre d’accord pratique, à payer quelque chose de ces dettes, si l’on nous fournit en échange les crédits qui nous sont nécessaires et qui seront profitables à l’industrie française.

    Nous considérons les paiements pour les dettes comme des intérêts supplémentaires pour les crédits que nous recevrons pour le développement de notre industrie.

    On parle des dettes de guerre de la Russie tsariste. On parle de toute sorte de prétentions à l’égard de l’U.R.S.S. à la suite des résultats de la révolution d’Octobre. Mais on oublie que notre révolution est la négation de principe des guerres impérialistes et des dettes tsaristes qui s’y rattachent.

    On oublie que l’U.R.S.S. ne peut pas ne pas faire entrer en ligne de compte les pillages et les violences qu’elle a subis pendant plusieurs années, pendant l’intervention étrangère, et pour lesquels elle présente certaines revendications. Qui répond de ces pillages et de ces violences ? Qui doit en répondre ? Qui doit payer ces pillages et ces violences ? Les gouvernants impérialistes sont enclins à oublier ces choses désagréables. Mais ils doivent savoir que de telles choses ne s’oublient pas.

    Sixième question. — Comment concilier le monopole de l’eau-de-vie et la lutte contre l’alcoolisme ?

    Réponse. — Je pense qu’il est en général difficile de les concilier. Il y a ici une contradiction indubitable. Le Parti connaît cette contradiction et il s’y est engagé consciemment, sachant qu’au moment actuel l’admission de cette contradiction est un moindre mal.

    Quand nous avons établi le monopole de l’eau-de-vie nous étions devant cette alternative : ou bien nous laisser asservir par les capitalistes, leur livrer de nombreuses usines et fabriques des plus importantes et recevoir en échange certaines ressources nécessaires pour nous tirer d’affaire ; ou bien, établir le monopole de l’eau-de-vie afin d’obtenir les capitaux de roulement nécessaires pour pouvoir développer notre industrie par nos propres moyens.

    Les membres du Comité central, dont je faisais partie, ont eu alors une conversation avec Lénine, qui a reconnu que, dans le cas où l’on ne pourrait obtenir des emprunts à l’étranger, il faudrait recourir ouvertement et directement au monopole de l’eau-de-vie.

    Naturellement, il aurait mieux valu se passer de la vodka, car celle-ci est un mal. Mais il aurait fallu alors s’asservir temporairement aux capitalistes, ce qui est un mal encore plus grand. C’est pourquoi nous avons préféré le moindre mal. A l’heure actuelle, la vodka donne plus de 500 millions de roubles de revenus.

    Renoncer maintenant à la vodka serait renoncer à ce revenu ; de plus, il n’y a aucune raison de croire que l’alcoolisme en serait réduit, car le paysan commencerait à distiller lui-même son eau de vie, s’intoxiquant ainsi avec un alcool impur fabriqué par des moyens de fortune.

    Evidemment, le bas niveau culturel de nos campagnes joue ici un certain rôle. Sans compter que la renonciation immédiate au monopole de l’eau-de-vie priverait notre industrie de plus d’un demi­ milliard de roubles, somme qui ne pourrait être tirée d’une autre source.

    S’ensuit-il que le monopole de l’alcool doive subsister à l’avenir ? Nullement. Ce n’est qu’une mesure provisoire.

    C’est pourquoi, elle devra être supprimée dès que notre économie nationale trouvera de nouvelles sources de revenus pour le développement de notre industrie. Et il n’est pas douteux que nous arriverons à trouver ces sources.

    Avons-nous bien fait en laissant entre les mains de l’État la fabrication et la vente de l’eau-de-vie ? Je pense que oui.

    Si la vodka était livrée à des particuliers, cela aboutirait : premièrement, à renforcer le capital privé ; deuxièmement, à priver le gouvernement de la possibilité de régler convenablement la production et la consommation de la vodka ; troisièmement, à rendre plus difficile la suppression, dans un avenir prochain, de la production et de la consommation de la vodka.

    A l’heure actuelle, notre politique consiste à réduire peu à peu la production de la vodka. Je pense que, dans un avenir prochain, nous réussirons à supprimer complètement ce monopole, à réduire la production de l’alcool jusqu’au minimum nécessaire pour l’industrie et, ensuite, à liquider complètement la vente de l’eau-de-vie.

    Je pense que nous n’aurions affaire ni avec la vodka ni avec beaucoup d’autres choses désagréables si les prolétaires d’Europe occidentale prenaient le pouvoir et nous fournissaient l’aide dont nous avons besoin.

    Mais que faire ? Nos frères d’Europe occidentale, pour le moment, ne veulent pas prendre le pouvoir, et nous sommes obligés de nous débrouiller par nos propres moyens. Ce n’est déjà plus notre faute.

    Telles sont les circonstances. Mais, comme vous le voyez, une part de la responsabilité du monopole de la vodka retombe sur nos amis de l’Europe occidentale. (Rires, applaudissements.)

    Septième question. — Droits judiciaires de la Guépéou, jugements sans témoins et sans défenseurs, arrestations secrètes. Ces mesures étant difficiles à faire admettre par l’opinion publique française, il serait intéressant d’en connaître la raison d’être. Pense-t-on les changer ou les supprimer ?

    Réponse. — La Guépéou ou Tchéka est l’organe punitif du pouvoir soviétique. Cet organe est plus ou moins analogue au Comité de Salut public créé pendant la grande Révolution française. Il punit surtout les espions, les conspirateurs, les terroristes, les bandits, les spéculateurs, les faux-monnayeurs.

    C’est en quelque sorte un tribunal militaire-politique créé pour protéger les intérêts de la révolution contre les attentats des bourgeois contre-révolutionnaires et de leurs agents.

    Cet organe a été créé au lendemain de la révolution d’Octobre, aprèsla découverte de toute sorte d’organisations terroristes, d’espionnage

    et de conjuration, financées par les capitalistes russes et étrangers.

    Cet organe s’est développé et renforcé après la perpétration de plusieurs attentats terroristes contre les hommes d’État soviétiques ; après l’assassinat du camarade Ouritski, membre du Comité révolutionnaire de Léningrad, qui fut tué par un s.-r.; après l’assassinat du camarade Volodarski, membre du même Comité révolutionnaire de Léningrad et également tué par un s.-r.; après l’attentat contre la vie de Lénine (blessé par un membre du parti des s.-r.).

    Il faut reconnaître que la Guépéou, lorsqu’elle portait des coups aux ennemis de la révolution, frappait juste et sans rater. D’ailleurs, elle a conservé cette qualité jusqu’à ce jour. Depuis sa création, la Guépéou, est une terreur pour la bourgeoisie, la sentinelle vigilante de la révolution, le glaive du prolétariat.

    Il n’est pas étonnant que les bourgeois de tous les pays nourrissent contre la Guépéou une haine bestiale. On fait courir sur elle les légendes les plus fantastiques, on répand les calomnies les plus monstrueuses sur son action.

    Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que la Guépéou défend bien les intérêts de la révolution. Les ennemis jurés de la révolution hurlent contre la Guépéou ; donc la Guépéou travaille bien.

    Les ouvriers n’ont pas la même opinion de la Guépéou. Allez dans les quartiers ouvriers et questionnez les ouvriers à ce sujet. Vous verrez l’estime qu’ils ont pour la Guépéou. Pourquoi ? Parce qu’ils voient en elle le défenseur fidèle de la révolution. Je comprends la haine et la méfiance des bourgeois contre la Guépéou.

    Je comprends les voyageurs bourgeois qui, venant en U.R.S.S., commencent par demander si la Guépéou subsiste encoreou s’il n’est pas temps de la liquider. Tout cela est compréhensible et nullement étonnant.

    Mais je ne peux comprendre certains délégués ouvriers qui, venant en U.R.S.S., demandent anxieusement : Y a-t-il beaucoup de contre-révolutionnaires punis par la Guépéou ? Punira-t-on encore les terroristes et les conjurateurs qui complotent contre le pouvoir soviétique ?

    N’est-il pas temps de mettre fin à l’existence de la Guépéou ? D’où vient chez certains délégués ouvriers cette sollicitude pour les ennemis de la révolution prolétarienne ?

    Comment l’expliquer ? Comment la justifier ? On prêche la plus grande indulgence, on conseille de supprimer la Guépéou, mais peut-on garantir qu’après la suppression de la Guépéou les capitalistes de tous les pays cesseront d’organiser et de financer les groupes contre-révolutionnaires de conjurateurs, de terroristes, d’incendiaires, de lanceurs de bombes ?

    Désarmer la révolution sans avoir la garantie que les ennemis de la révolution seront aussi désarmés, n’est-ce pas une sottise, un crime contre la classe ouvrière ?

    Non, camarades, nous ne voulons pas répéter les erreurs des Communards de Paris. Les Communards ont été trop doux pour les Versaillais, et Marx les a autrefois sévèrement critiqués à juste titre.

    Ils ont payé cher leur indulgence car, lorsque Thiers est entré à Paris, des dizaines de milliers d’ouvriers ont été fusillés par les Versaillais. Pensez-vous donc, camarades, que les bourgeois et hobereaux russes soient moins sanguinaires que les Versaillais ?

    Nous savons en tout cas comment ils châtiaient les ouvriers lorsqu’ils occupaient la Sibérie, l’Ukraine, le nord du Caucase ; lorsqu’ils étaient alliés aux interventionnistes français, anglais, japonais et américains.Je ne veux nullement dire que la situation intérieure du pays nous oblige à avoir des organes révolutionnaires punitifs.

    A l’intérieur de l’U.R.S.S., la révolution est si forte, si fermement assise qu’on pourrait peut-être se passer de la Guépéou. Mais les ennemis de l’intérieur ne sont pas solitaires, isolés ; ils sont rattachés par des milliers de liens aux capitalistes de tous les pays, qui les soutiennent de toutes leurs forces, par tous les moyens. Nous sommes un pays entouré d’Etats capitalistes.

    Les ennemis intérieurs de notre révolution ne sont que les agents des capitalistes de tous les pays. Les Etats capitalistes sont la base et l’arrière des ennemis de notre révolution. En combattant les ennemis de l’intérieur, nous combattons en même temps les éléments contre-révolutionnaires de tous les pays. Jugez maintenant vous-mêmes si l’on peut, dans ces conditions, se passer d’organes punitifs dans le genre de la Guépéou.

    Non, camarades, nous ne voulons pas renouveler les erreurs des Communards de Paris. La Guépéou est indispensable à la révolution et elle vivra, redoutée des ennemis du prolétariat. (Vifs applaudissements.)

    Un des délégués. — Permettez-moi, camarade Staline, de vous remercier au nom de tous les délégués ici présents, de nous avoir donné ces explications et d’avoir dissipé les mensonges répandus à l’étranger au sujet de l’U.R.S.S. Ne doutez pas que nous saurons raconter aux ouvriers de chez nous la vérité sur l’U.R.S.S.

    Staline. — Ce n’est pas la peine de remercier, camarades, J’estime que mon devoir est de répondre à vos questions et de vous rendre des comptes. Nous, militants soviétiques, nous nous jugeons obligés de rendre des comptes de notre action à nos frères de classe sur tous les points qu’ils désirent éclaircir. Notre Etat est l’enfant du prolétariat mondial.

    Nos hommes d’État ne font que leur devoir envers le prolétariat mondial lorsqu’ils rendent des comptes à ses représentants. (Applaudissements.)

    =>Oeuvres de Staline

  • Entretien avec la première délégation ouvrière américaine (Questions)

    1927

    II ­ Questions du camarade Staline et réponses des délégués Staline. — Si la délégation n’est pas trop fatiguée, je la prierai de m’autoriser à lui poser, à mon tour, quelques questions. (La délégation donne son acquiescement.)

    Première question. — Comment expliquer l’infime pourcentage des ouvriers syndiqués en Amérique ? Je crois que l’Amérique compte 17 millions d’ouvriers industriels. (Les délégués indiquent que ce nombre est de 18 à 19 millions.) Les ouvriers syndiqués ne sont qu’au nombre de trois millions. (Les délégués indiquent que la Fédération américaine du travail compte trois millions environ d’ouvriers organisés et que dans les autres syndicats il y a, en outre, près de cinq cent mille ouvriers syndiqués, ce qui porte à trois millions et demi le nombre total des ouvriers syndiqués.

    A mon avis c’est là un pourcentage très faible des ouvriers organisés.

    Chez nous, en U.R.S.S., 90 % des prolétaires sont syndiqués. Je veux demander aux délégués s’ils considèrent comme favorable ce degré relativement faible d’organisation des ouvriers d’Amérique.

    La délégation ne pense-t-elle pas que c’est là un indice de faiblesse du prolétariat américain, de faiblesse de ses moyens de lutte contre les capitalistes dans le domaine économique ?

    Brophi. — Les effectifs peu nombreux des syndicats s’expliquent non par la tactique peu réussie des organisations syndicales, mais par la situation économique générale du pays, qui, étant favorable, ne pousse pas toute la masse des ouvriers à s’organiser et rétrécit lalutte de la classe ouvrière contre les capitalistes. Certes, cette situation changera ; parallèlement, les syndicats se renforceront et le mouvement syndical tout entier empruntera une autre voie.

    Douglas. — Je partage le point de vue émis par l’orateur précédent.

    Je voudrais seulement y ajouter ceci. D’abord, il ne faut pas perdre de vue que depuis quelque temps, les capitalistes des Etats-Unis ont d’eux-mêmes porté les salaires à un niveau très élevé. Ce relèvement des salaires a eu lieu en 1917, 1919 et plus récemment.

    En comparant le salaire réel d’aujourd’hui à celui de 1911, on constate que le premier est considérablement plus élevé. Le mouvement syndical, au cours de son développement, était basé, avant comme aujourd’hui, sur le principe de l’organisation par métiers, par professions, et les syndicats étaient formés surtout à l’intention des ouvriers qualifiés.

    Ces syndicats étaient dirigés par des chefs représentant une organisation fermée et s’efforçant d’obtenir de bonnes conditions pour leurs membres. Rien n’incitait ces chefs à élargir les cadres des syndicats et à y attirer des ouvriers non qualifiés.

    En outre, le mouvement syndical américain doit compter avec un capitalisme admirablement organisé qui dispose de tous les moyens nécessaires pour contrecarrer l’organisation des ouvriers en syndicats.

    Si une industrie trustifiée se heurte, dans une des ses entreprises, à la résistance trop vigoureuse du syndicat, elle va jusqu’à fermer cette entreprise, quitte à transférer cette production dans l’une de ses autres entreprises.

    Et la résistance du syndicat se trouve ainsi brisée.

    Le capitalisme américain relève les salaires de sa propre initiative, mais sans donner aux ouvriers le moindre pouvoir économique ni lapossibilité de lutter pour leur mieux-être.

    Un autre facteur très important en Amérique, c’est que les capitalistes attisent la haine nationale entre les ouvriers de différentes nationalités. La plupart du temps, les ouvriers non qualifiés sont des émigrés d’Europe et, depuis quelque temps, des travailleurs noirs. Les capitalistes sèment la discorde entre ouvriers de différentes nationalités.

    Cette division des ouvriers par nationalités se pratique parmi les ouvriers aussi bien qualifiés que non qualifiés. Les capitalistes sèment de façon systématique l’antagonisme entre les travailleurs de différentes nationalités, sans égard à la qualification de leur travail.

    Depuis dix ans, le capitalisme américain fait une politique plus éclairée, en ce sens qu’il crée des syndicats à lui, dits company-unions. Il recrute des ouvriers, les intéresse aux bénéfices de l’entreprise, etc. Le capitalisme américain manifeste la tendance de substituer la division verticale à la division horizontale, autrement dit, de scinder la classe ouvrière, en l’amadouant et en l’intéressant aux bénéfices de l’entreprise.

    Coyle. — J’examinerai la question du point de vue pratique et non du point de vue théorique. J’estime que les ouvriers se laissent plus facilement organiser quand la situation est favorable. Seulement, la statistique des adhérents à la Fédération américaine du travail montre que cette fédération perd de plus en plus ses adhérents non-qualifiés et augmente le nombre de ses membres qualifiés.

    La Fédération américaine du travail tend ainsi à devenir surtout une organisation pour travailleurs qualifiés. Le mouvement syndical en Amérique n’englobe presque pas les travailleurs non qualifiés. Il est des branches d’industrie importantes qui ne sont pas atteintes par le mouvement syndical.

    Parmi ces principales branches d’industrie, seuls les mineurs et les cheminots sont organisés jusqu’à un certain point ; il n’en reste pas moins que l’industrie houillère compte 65 % d’ouvriers non syndiqués.

    Dans la fonderie d’acier, le caoutchouc et l’automobile, les ouvriers ne sont presque pas du tout organisés. On peut dire que les syndicats n’ont pas de membres non qualifiés.

    Il existe en dehors de la Fédération américaine du travail une série de syndicats indépendants qui s’efforcent d’organiser les ouvriers non qualifiés et semi-qualifiés.

    Quant à la position des chefs de la Fédération américaine du travail, l’un d’entre eux, le président de l’Union des métaux, a déclaré ouvertement ne pas vouloir recruter pour son union des ouvriers non qualifiés. Les chefs syndicaux forment une caste à part, composée de quelques dizaines de personnes bien rétribuées (jusqu’à dix mille dollars et au-delà par an), et entièrement inaccessible.

    Dunne. — La question posée par le camarade Staline n’est pas équitable, car, si les syndicats de son pays groupent plus de 90 % de travailleurs, c’est que le pouvoir est exercé par la classe ouvrière, alors que dans les pays capitalistes les ouvriers sont une classe opprimée et la bourgeoisie y prend toutes les mesures pour les empêcher de s’organiser syndicalement.

    En outre, dans les pays capitalistes, il existe des syndicats réactionnaires dirigés par des chefs réactionnaires. Etant donné les conditions actuelles où vivent les ouvriers américains, il est très difficile de faire pénétrer dans l’esprit des ouvriers l’idée syndicale.

    Voilà la raison pour laquelle le mouvement syndical a une si faible extension en Amérique.Staline. — Le dernier orateur est-il d’accord avec l’orateur précédent pour affirmer que certains chefs syndicaux américains cherchent à rétrécir le mouvement syndical ?

    Dunne. — Oui, je suis d’accord.

    Staline. — Je ne voudrais faire affront à personne. Je voulais tout simplement me rendre compte de la différence entre la situation en U.R.S.S. et celle en Amérique. Si j’ai froissé quelqu’un, je le prie de m’excuser. (Rires parmi les délégués.)

    Dunne. — Je ne suis nullement froissé.

    Staline. — Existe-t-il en Amérique des assurances sociales aux frais de l’État.

    Un des délégués. — Il n’en existe pas du tout.

    Coyle. — Dans la plupart des Etats on accorde une indemnité en cas d’accident de travail, indemnité qui ne dépasse pas les 30 % de l’invalidité contractée.

    Cela se pratique dans la plupart des Etats. Le payement s’effectue par les maisons où l’ouvrier a perdu sa capacité de travail, la loi obligeant le patronat à cette compensation.

    Staline. — Y a-t-il en Amérique l’assurance contre le chômage aux frais de l’État?

    Un des délégués. — Non, le fonds d’assurance contre le chômage ne peut satisfaire que 80 à 100.000 chômeurs dans tous les Etats.

    Coyle. — Il y a l’assurance (non par l’État) contre les accidents de travail industriels, c’est-à-dire accidents survenus sur le chantier ou dans l’atelier.Mais l’invalidité par suite de vieillesse ou de maladie n’est pas assurée. Le fonds d’assurance est alimenté.par les cotisations ouvrières.

    A vrai dire, toutes ces sommes sont versées par les ouvriers eux-mêmes, car, si ces derniers n’entretenaient pas ce fonds, ils recevraient un supplément de salaire ; or, la formation de ce fonds étant réglée par un accord commun entre ouvriers et patronat, les ouvriers touchent un supplément de salaire moins grand. Les versements des ouvriers sont presque l’unique source alimentant ce fonds.

    Le patronat ne verse, en fait, qu’une partie infime de la somme totale, soit 10 % environ.

    Staline. — Je crois que les camarades auront intérêt à apprendre que nous dépensons en U.R.S.S. plus de 800 millions de roubles par an pour les assurances sociales aux frais de l’État.

    Vous apprendrez avec non moins d’intérêt que les ouvriers de chez nous touchent, à titre supplémentaire, en dehors de leur salaire en espèces, un tiers environ du salaire pour des assurances, l’amélioration des conditions d’existence, les besoins culturels, etc.

    Deuxième question. — Comment expliquer l’absence aux Etats-Unis d’Amérique d’un parti ouvrier de masse ? La bourgeoisie américaine dispose de deux partis, — républicain et démocrate — alors que les ouvriers américains n’ont pas leur propre parti de masse.

    Les camarades ne pensent-ils pas que l’absence d’un parti ouvrier de masse comme, par exemple, le Labour Party anglais, affaiblit la classe ouvrière dans sa lutte politique contre les capitalistes ? Et puis, pourquoi les chefs du mouvement ouvrier d’Amérique, Green et d’autres, se prononcent-ils nettement contre la fondation d’un parti ouvrier en Amérique ?Brophi. — En effet, les leaders ont décidé qu’il n’y avait aucune nécessité de fonder en Amérique un parti ouvrier. Cependant, il est une minorité pour laquelle la fondation d’un tel parti s’impose.

    La situation objective en Amérique est aujourd’hui telle que, comme on vient de le dire, le mouvement syndical est très faiblement développé aux Etats-Unis.

    Cet état de choses s’explique par le fait que la classe ouvrière n’éprouve pas, pour le moment, le besoin de s’organiser et de lutter contre les capitalistes, ceux-ci relevant d’eux-mêmes les salaires des ouvriers auxquels ils assurent une situation matérielle convenable.

    Staline. — Oui, mais c’est surtout la situation des ouvriers qualifiés qui est améliorée. Il y a là une contradiction.

    D’une part, il semble que l’organisation n’est pas nécessaire, les ouvriers ayant une situation assurée ; de l’autre, on nous dit que les syndicats groupent dans leur sein justement les ouvriers qualifiés, c’est-à-dire les mieux assurés ; et enfin, il ressort des déclarations des délégués que les ouvriers semi-qualifiés, qui auraient le plus besoin d’une organisation syndicale, ne sont pas syndiqués. Je n’arrive pas à comprendre cette contradiction.

    Brophi. — Oui, il y a là une contradiction, mais la réalité américaine n’est pas moins contradictoire, au point de vue économique et politique.

    Brebner. — Sans être organisés syndicalement, les ouvriers non qualifiés jouissent du droit politique de vote. En sorte que les ouvriers non qualifiés peuvent, au besoin, exprimer leur mécontentement, en usant de leur droit de vote.

    D’autre part, les ouvriers syndiqués, s’ils traversent une périodedifficile, ne s’adressent pas au syndicat, mais utilisent leur droit de

    vote. De la sorte, le droit politique de vote compense l’absence d’organisation syndicale.

    Israels. — L’obstacle le plus important est le système électoral en vigueur aux Etats-Unis d’Amérique. Aux élections présidentielles, n’est pas élu celui qui réunit la majorité des voix de l’ensemble du pays, ou même la majorité des voix d’une classe donnée.

    Chacun des Etats possède des collèges électoraux, chacun des Etats bénéficie d’un nombre déterminé de voix qui participent aux élections du président. Pour être élu, ce dernier doit avoir recueilli 51 % des suffrages. S’il y avait trois ou quatre partis, le président ne serait jamais élu, et les élections seraient transférées au congrès.

    Tel est l’argument qu’on fait valoir contre la fondation d’un troisième parti. Les adversaires de la création d’un troisième parti raisonnent ainsi : Ne posez pas de troisième candidature, car vous diviserez les voix du parti libéral et empêcherez d’élire le candidat de ce parti.

    Staline. — Cependant, le sénateur La Follette a créé en son temps un troisième parti bourgeois. Donc, un troisième parti, s’il est bourgeois, ne saurait provoquer la division des voix, et s’il est ouvrier, il est susceptible de diviser les voix.

    Davies. — J’estime que le fait signalé par l’orateur précédent n’est pas essentiel. A mon sens, le fait fondamental consiste en ceci. Je prendrai, à titre d’exemple, la ville où j’habite. Pendant la campagne électorale, le représentant de tel ou tel parti arrive et confie un poste responsable au chef de l’organisation syndicale donnée ; en connexion avec la campagne électorale, il remet au chef syndical des fonds dont celui-ci dispose pour ses fins personnelles ; en outre, le poste confié lui confère un certain prestige.

    Ainsi, les chefs syndicaux deviennent partisans de tel ou tel parti bourgeois. On conçoit donc que lorsque la question se pose de

    fonder un troisième parti, un parti ouvrier, ces chefs syndicaux ne font rien pour faire aboutir le projet. Ils invoquent l’argument que la fondation d’un troisième parti ne fera qu’apporter la scission dans le mouvement syndical.

    Douglas. — Le fait que les syndicats groupent uniquement des travailleurs qualifiés s’explique surtout par le droit d’entrée et les cotisations élevées imposées aux membres des syndicats, cotisations qui exigent une situation matérielle assurée.

    Toutes ces conditions faisant défaut chez les ouvriers non qualifiés.

    En outre, ces derniers sont menacés de renvoi s’ils essaient de s’organiser syndicalement. Les ouvriers non qualifiés pourraient se syndiquer uniquement avec le concours actif des ouvriers qualifiés.

    Or, la plupart du temps, ce concours leur fait défaut.

    C’est ce point qui constitue l’un des obstacles les plus importants à l’organisation syndicale des travailleurs non qualifiés. Les ouvriers défendent leurs droits, en faisant valoir surtout les libertés constitutionnelles.

    Telle est pour moi la principale raison pour laquelle les ouvriers non qualifiés ne sont pas syndiqués. J’estime que la base économique est la raison essentielle du manque d’organisation des ouvriers non qualifiés dans le domaine syndical et politique.

    Je dois signaler une particularité du système électoral américain : ce sont les élections directes permettant à tout citoyen de fréquenter les réunions électorales, de se dire démocrate ou républicain et de voter.

    Je crois que Gompers ne pourrait pas garder ses effectifs avec un programme apolitique, s’il ne tirait pas argument des élections directes.

    Il a toujours répété aux ouvriers que s’ils veulent de l’action politique, ils n’ont qu’à entrer dans un des deux partis politiques

    existants, y conquérir tel ou tel poste et y gagner de l’autorité. C’est avec cet argument que Gompers a pu empêcher les ouvriers d’organiser la classe ouvrière et de fonder un parti ouvrier.

    Troisième question. — D’où vient que dans le problème de la reconnaissance de l’U.R.S.S., les chefs de la Fédération américaine du travail se révèlent plus réactionnaires que bien des bourgeois ? Comment se fait-il que des bourgeois tels que M. Borah et d’autres, se prononcent pour la reconnaissance de l’U.R.S.S. tandis que les leaders du mouvement ouvrier américain, depuis Gompers jusqu’à Green, ont fait et continuent à faire une propagande des plus réactionnaire contre la reconnaissance de la première République ouvrière, contre la reconnaissance de l’U.R.S.S.?

    Comment se fait-il qu’un réactionnaire aussi avéré que l’ex-président de l’Amérique du Nord, Woodrow Wilson, ait cru possible de « saluer » la Russie soviétique, tandis que Green et les autres chefs de la Fédération américaine du travail veulent être plus réactionnaires que les capitalistes ?

    Voici le message de sympathie adressé par Woodrow Wilson en mars 1918 au congrès des Soviets de Russie au moment où les troupes du kaiser marchaient sur le Pétrograd soviétique : « Par l’intermédiaire du congrès des Soviets, je voudrais, au nom des peuples des Etats-Unis, exprimer ma sympathie sincère au peuple russe, surtout à l’heure actuelle où l’Allemagne a expédié des forces armées à l’intérieur du pays afin d’entraver la lutte pour la liberté, d’anéantir toutes ses conquêtes et de réaliser les menées germaniques tendant à asservir le peuple russe.

    Bien que, à l’heure actuelle, le gouvernement des Etats-Unis ne soit pas en état, malheureusement, d’apporter à la Russie un secours direct, comme il l’aurait désiré, je voudrais donner l’assurance aupeuple russe, par l’intermédiaire du congrès des Soviets, que le gouvernement des Etats-Unis usera de tous les moyens pour assurer de nouveau à la Russie la souveraineté absolue et l’indépendance complète dans ses affaires intérieures, ainsi que le rétablissement intégral de son grand rôle dans la vie de l’Europe et de l’humanité moderne.

    Le peuple des Etats-Unis sympathise de tout cœur avec le peuple russe dans son aspiration à se libérer à jamais de l’autocratie et à devenir maître de ses destinées. » (Pravda, n° 50 du 16 mars 1918.) Est-il normal que les chefs de la Fédération américaine du travail cherchent à se montrer plus réactionnaires que le réactionnaire Wilson ?

    Brophi. — Je ne saurais préciser la chose, mais j’estime que les raisons pour lesquelles la Fédération américaine du travail n’adhère pas à l’Internationale d’Amsterdam sont celles pour lesquelles les leaders de cette fédération sont contre la reconnaissance de la Russie soviétique.

    La différence consiste dans la philosophie spéciale des ouvriers américains ainsi que dans la situation économique de ces ouvriers et des ouvriers européens.

    Staline. — Mais, les chefs de la Fédération américaine du travail, que je sache, n’objectent rien à la reconnaissance de l’Italie ou de la Pologne où règnent les fascistes.

    Brophi. — En citant, à titre d’exemple, la Pologne et l’Italie, où le pouvoir est exercé par des gouvernements fascistes, vous expliquez par là même la raison de la non-reconnaissance de l’U.R.S.S. par les Etats-Unis. L’attitude d’hostilité envers l’U.R.S.S. s’explique par les ennuis que les chefs syndicaux américains ont à subir dans leurs rapports avec leurs propres communistes.Dunne. — La raison invoquée par l’orateur précédent, — à savoir que les chefs du mouvement syndical américain s’affirment contre la reconnaissance de l’U.R.S.S. par suite de désaccords avec leurs propres communistes — n’est pas convaincante. Les chefs du mouvement syndical américain se livraient à une propagande contre la reconnaissance de l’U.R.S.S. bien avant la fondation du P.C. américain. —

    La raison véritable est que les chefs de la Fédération américaine du travail sont contre tout ce qui frise le socialisme. Dans cet ordre d’idées, ils subissent l’influence des capitalistes dont l’organisation dite la National Civic Fédération s’efforce, par tous les moyens, d’inspirer à toute la société américaine la haine de tout ce qui rappelle le socialisme, sous quelque forme que ce soit. Cette organisation avait pris position contre Ivey Lees qui s’était prononcé pour le développement des rapports commerciaux de l’Amérique avec l’U.R.S.S.

    Voici ce que disaient les dirigeants de cette organisation : Pourrions-nous mettre de l’ordre dans notre classe ouvrière quand les libéraux se livrent à cette propagande ?

    La National Civic Fédération est un groupe de capitalistes qui ont investi des fonds considérables dans cette organisation dont ils sont les maîtres. A noter que le poste de vice-président de cette association réactionnaire, est assuré par le vice-président de la Fédération américaine du travail, Matthew Woll.

    Brophi. — Les raisons invoquées par les orateurs précédents pour expliquer la mentalité réactionnaire des dirigeants syndicaux ne sont pas essentielles. Cette question doit être étudiée plus à fond.

    La présence d’une délégation américaine en U.R.S.S. est la meilleure réponse et un témoignage de la sympathie d’une fraction des ouvriers américains envers l’U.R.S.S. Je crois que l’opinion des dirigeants de la Fédération américaine du travail, quant à l’U.R.S.S., ne diffère pas de l’opinion de la majorité de la classe ouvrière d’Amérique.

    Or, la position de la majorité de la classe ouvrière d’Amérique s’explique par l’éloignement où se trouve l’U.R.S.S. La classe ouvrière américaine se désintéresse des problèmes internationaux ; d’autre part, dans la question de la reconnaissance de l’U.R.S.S., la classe ouvrière subit fortement l’influence de la bourgeoisie.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : La contre-révolution internationale

    Akhali Tskhovréba [la Vie Nouvelle] n°20, 14 juillet 1906.
    Signé : Koba. Traduit du géorgien.

    La Russie d’aujourd’hui rappelle en bien des points la France du temps de la grande révolution. Cette ressemblance se manifeste, entre autres, en ce que, chez nous comme en France, la contre-révolution s’étend et, à l’étroit dans ses propres frontières, s’allie à la contre-révolution des autres Etats ; elle revêt peu à peu un caractère international.

    En France, l’ancien régime avait conclu une alliance avec l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse ; il appela leurs armées à son aide et engagea l’offensive contre la révolution populaire. En Russie, l’ancien régime conclut une alliance avec les empereurs d’Allemagne et d’Autriche ; il entend appeler leurs armées à son aide et noyer dans le sang la révolution populaire.

    Il y a à peine un mois, des bruits précis couraient que « la Russie » et « l’Allemagne » menaient des pourparlers secrets. (Voir la Sévernaïa Zemlia [1], n°3).

    Par la suite, ces bruits se sont répandus avec une insistance croissante. Maintenant les choses en sont venues au point que le journal ultra-réactionnaire la Rossia [2] déclare explicitement que les fauteurs de l’actuelle situation difficile de « la Russie » (c’est-à-dire de la contre-révolution) sont les éléments révolutionnaires.

    « Le gouvernement impérial allemand, déclare le journal, se rend parfaitement compte de cette situation ; aussi a-t-il pris toute une série de mesures appropriées qui ne manqueront pas d’aboutir aux résultats souhaités ». Il s’avère que ces mesures consistent en ceci : « l’Autriche » et « l’Allemagne » se préparent à envoyer des troupes pour venir en aide à « la Russie » au cas où la révolution russe remporterait des succès.

    Elles se sont déjà entendues à ce sujet et ont déclaré que « dans certaines conditions l’Intervention active dans les affaires intérieures de la Russie, pour réprimer ou limiter le mouvement révolutionnaire, pourrait être désirable et utile… ». Ainsi parle la Rossia.

    Comme on le voit, la contre-révolution internationale fait depuis longtemps de grands préparatifs. On sait que, depuis longtemps déjà, elle apporte une aide financière à la Russie contre-révolutionnaire dans sa lutte contre la révolution. Mais elle ne s’en est pas tenue là. Aujourd’hui, visiblement, elle a décidé de lui venir en aide en envoyant aussi des troupes.

    Après cela, même un enfant comprendrait sans peine le sens véritable de la dissolution de la Douma, ainsi que des « nouvelles » dispositions de Stolypine [3] et des « vieux » pogroms de Trépov [4]…

    Il est à présumer qu’après cela se dissiperont les espoirs fallacieux de différents libéraux et autres gens naïfs ; ils se convaincront enfin que nous n’avons pas de « constitution », que nous sommes en guerre civile et que la lutte doit être menée militairement.

    Mais la Russie d’aujourd’hui ressemble à la France de jadis à un autre point de vue encore. A cette époque, la contre-révolution internationale avait provoqué un élargissement de la révolution ; la révolution déborda des frontières de la France et, tel un torrent puissant, se répandit sur l’Europe. Si les « têtes couronnées » de l’Europe s’unissaient dans une alliance commune, les peuples de l’Europe, eux aussi, se tendaient la main. Aujourd’hui, nous constatons le même phénomène en Russie. « La taupe creuse bien »…

    La contre-révolution de Russie, en s’unissant à la contre-révolution européenne, élargit sans cesse la révolution ; elle unit entre eux les prolétaires de tous les pays et pose les fondements d’une révolution internationale.

    Le prolétariat de Russie marche à la tête de la révolution démocratique ; il tend une main fraternelle, il s’unit au prolétariat européen qui commencera la révolution socialiste. Comme on le sait, après la manifestation du 9 janvier, de grands meetings se sont déroulés dans toute l’Europe. L’action de décembre a provoqué des manifestations en Allemagne et en France.

    Sans aucun doute, la prochaine action de la révolution russe fera se lever, d’une façon plus résolue encore, le prolétariat européen. La contre-révolution internationale ne fera que fortifier et approfondir, renforcer et consolider la révolution internationale. Le mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » trouvera son expression véritable.

    Eh bien, messieurs, travaillez, travaillez ! La révolution russe, qui s’élargit sera suivie de la révolution européenne, — et alors… alors sonnera la dernière heure non seulement des survivances du servage, mais aussi de votre capitalisme bien-aimé. Oui, messieurs les contre-révolutionnaires, vous « creusez bien ».

    Notes

    [1] La Sévernaïa Zemlia [la Terre du Nord], quotidien bolchévik légal ; parut à Pétersbourg du 23 au 28 juin 1906.

    [2] La Rossia [la Russie], journal quotidien de caractère policier ultra-réactionnaire, parut de novembre 1905 à avril 1914. Organe du ministère de l’Intérieur.

    [3] En juin et juillet 1906, le ministre de l’intérieur P. Stolypine envoya aux autorités locales des instructions en vue de réprimer impitoyablement, par la force armée, le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans et de liquider des organisations révolutionnaires.

    [4] D. Trépov, gouverneur général de Pétersbourg, dirigea la répression de la révolution de 1905.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Sur la question actuelle

    Discours prononcé à la quinzième séance
    du IVe congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie
    le 17 (30) avril 1906

    Ce n’est un secret pour personne que, dans le développement de la vie sociale et politique de la Russie, deux chemins se dessinent : celui des pseudo-réformes et celui de la révolution.

    De même, il est évident que les gros industriels et les grands propriétaires fonciers, avec le gouvernement tsariste à leur tête, prennent le premier chemin, tandis que la paysannerie révolutionnaire et la petite bourgeoisie, avec le prolétariat à leur tête, prennent le second.

    La crise qui s’étend dans les villes et la famine dans les campagnes rendent inévitables une nouvelle explosion. Les hésitations sont donc en l’occurrence inadmissibles : ou bien la révolution monte, et nous ne devons la mener à son terme, ou bien elle décroît, et nous ne pouvons ni ne devons nous assigner une pareille tâche.

    Roudenko a tort de penser que cette façon de poser le problème n’est pas dialectique. Roudenko cherche une voix médiane ; il veut dire que la révolution monte et ne monte pas, qu’il faut la mener à son terme et qu’il ne le faut pas, car, selon lui, la dialectique oblige précisément à poser ainsi la question !

    C’est autrement que nous comprenons la dialectique de Marx…

    Ainsi, nous sommes à la veille d’une nouvelle explosion, la révolution monte, et nous devons la mener à son terme.

    Nous sommes tous d’accord là-dessus. Mais dans quelles conditions pouvons-nous et devons-nous le faire : dans celles de l’hégémonie du prolétariat ou de l’hégémonie de la démocratie bourgeoise ?

    C’est là que commence la divergence fondamentale.

    Déjà dans Deux dictatures, le camarade Martynov déclarait que l’hégémonie du prolétariat dans la révolution bourgeoise actuelle est une utopie dangereuse. La même idée perce dans son discours d’hier. Les camarades qui l’ont applaudi sont, sans doute, d’accord avec lui.

    S’il en est ainsi, si, d’après les camarades menchéviks, il nous faut non pas l’hégémonie du prolétariat, mais l’hégémonie de la bourgeoisie démocratique, il va de soi que nous ne devons prendre de part active et directe ni à l’organisation de l’insurrection armée, ni à la prise du pouvoir. Tel est le « schéma » des menchéviks.

    Au contraire, si les intérêts de classe du prolétariat conduisent à son hégémonie, si le prolétariat doit marcher, non en queue, mais à la tête de la révolution en cours, il va de soi que le prolétariat ne peut renoncer ni à une participation active à l’organisation de l’insurrection armée, ni à la prise du pouvoir.

    Tel est le « schéma » des bolchéviks.

    Ou bien l’hégémonie du prolétariat, ou bien l’hégémonie de la bourgeoisie démocratique, voilà comment se pose la question dans le parti, voilà sur quoi portent nos divergences.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : La lutte des classes

    L’Akhali Droéba [le Temps nouveau]2 1, 14 novembre 1906.
    Signé : K…
    Traduit du géorgien.

       « L’union de la bourgeoisie ne peut être ébranlée que par l’union du prolétariat. » Karl Marx.

    La vie actuelle est bien compliquée ! Ce n’est, partout que classes et groupes divers : grande, moyenne et petite bourgeoisie ; grands, moyens et petits féodaux ; apprentis, manoeuvres et ouvriers d’usines qualifiés ; haut, moyen et bas clergé ; haute, moyenne et petite bureaucratie ; intellectuels de toute sorte, et d’autres groupes encore, tel est le tableau bigarré que présente notre vie !

    Mais ce qui est non moins évident, c’est que plus la vie se développe, et plus clairement s’affirment dans cette vie compliquée deux tendances fondamentales, plus nettement cette vie compliquée se divise en deux camps opposés : celui des capitalistes et celui des prolétaires. Les grèves économiques de janvier (1905) ont montré clairement que la Russie se divise effectivement en deux camps. Les grèves de novembre à Pétersbourg (1905) et les grèves de juin-juillet dans toute la Russie (1906) ont mis aux prises les chefs de l’un et de l’autre camp ; ce faisant, elles ont mis à nu les contradictions de classes actuelles. Depuis lors, le camps des capitalistes veille jour et nuit ; il se livre à une préparation fiévreuse et incessante : des unions locales de capitalistes se créent, les unions locales se groupent en unions régionales, les unions régionales en unions panrusses ; on fonde des caisses et des journaux ; on convoque des conférences et des congrès panrusses de capitalistes…

    C’est ainsi que les capitalistes s’organisent en une classe distincte pour mater le prolétariat.

    D’un autre côté le camp des prolétaires veille, lui aussi. Ici également on se prépare fiévreusement à la bataille qui vient.

    Malgré les poursuites de la réaction, ici également on fonde des syndicats locaux ; les syndicats locaux se groupent en syndicats régionaux ; on fonde des caisses syndicales ; la presse syndicale se développe ; on convoque des congrès et des conférences de syndicats ouvriers pour toute la Russie…

    Comme on le voit, les prolétaires s’organisent, eux aussi, en une classe distincte pour mater l’exploitation.

    Il fut un temps où « le calme et la tranquillité » régnaient dans la vie.

    Alors, on ignorait ces classes et leurs organisations. Bien entendu, il y avait également lutte à l’époque, mais cette lutte présentait un caractère local, et non un caractère de classe généralisé : les capitalistes n’avaient pas d’union à eux, et chacun d’eux était obligé de venir à bout de « ses » ouvriers par ses propres forces.

    Les ouvriers non plus n’avaient pas de syndicats ; en conséquence, ceux de chaque usine ne pouvaient compter que sur leurs propres forces. Les organisations social-démocrates locales dirigeaient, il est vrai, la lutte économique des ouvriers, mais chacun conviendra que cette direction était faible et occasionnelle : les organisations social-démocrates n’arrivaient pas même à régler les affaires du parti.

    Les grèves économiques de janvier ont marqué un tournant. Les capitalistes se sont inquiétés et ont commencé à organiser des unions locales.

    Des unions de capitalistes de Pétersbourg, de Moscou, de Varsovie, de Riga et d’autres villes ont vu le jour à la suite des grèves de janvier. Quant aux capitalistes des industries du pétrole, du manganèse, du charbon et du sucre, ils ont transformé leurs anciennes unions « pacifiques » en unions « de lutte » et se sont mis à fortifier leurs positions.

    Mais les capitalistes ne s’en sont pas tenus là. Ils ont décidé de constituer une union pour toute la Russie ; et voilà qu’en mars 1905, sur l’initiative de Morozov, ils se sont réunis en un congrès général à Moscou.

    Ce fut le premier congrès panrusse des capitalistes. Ils y ont conclu un accord, par lequel ils s’engagent à ne faire aucune concession aux ouvriers sans s’être concertés au préalable et, « dans les cas extrêmes », à déclarer le lock-out (1).

    Dès lors commence une lutte acharnée des capitalistes contre les prolétaires. Dès lors commence en Russie une série de grands lock-outs. Pour lutter sérieusement, il faut une union sérieuse, et les capitalistes décidèrent de s’assembler encore une fois pour fonder une union plus étroite.

    C’est ainsi que trois mois après le premier congrès était convoqué à Moscou un second congrès panrusse des capitalistes (juillet 1905). Ils y ont confirmé les résolutions de leur premier congrès ; ils ont reconnu la nécessité des lock-outs et nommé un bureau qui devait élaborer leurs statuts et s’occuper de la convocation d’un nouveau congrès.

    Entre temps, les résolutions des congrès étaient mises en application. Les faits ont montré que les capitalistes appliquaient exactement leurs résolutions. Si l’on se rappelle les lock-outs déclarés par les capitalistes à Riga, Varsovie, Odessa, Moscou et dans d’autres grandes villes ; si l’on se rappelle les journées de novembre où 72 capitalistes menacèrent d’un lock-out impitoyable 200.000 ouvriers pétersbourgeois, on comprendra facilement quelle force importante représente l’union panrusse des capitalistes et avec quelle exactitude ils appliquent les résolutions de leur union.

    Puis, après le deuxième congrès, les capitalistes en ont convoqué encore un autre (janvier 1906) ; enfin, en avril de cette année, a eu lieu le congrès constituant des capitalistes de Russie, qui a adopté un statut unique et élu le Bureau central. D’après les journaux, ce statut est déjà approuvé par le gouvernement.

    Ainsi, il est hors de doute que la grande bourgeoisie de Russie s’est désormais organisée en une classe distincte ; elle possède ses organisations à l’échelle locale, régionale et centrale et elle peut mobiliser les capitalistes de toute la Russie d’après un plan d’ensemble.

    Baisse des salaires, prolongation de la journée de travail, affaiblissement du prolétariat et destruction de ses organisations : tels sont les but que s’assigne l’union générale des capitalistes.

    En même temps grandissait et se développait le mouvement syndical des ouvriers. Les grèves économiques de janvier 1905 ont eu, ici aussi, leur effet.

    Le mouvement a pris un caractère de masse, ses revendications se sont élargies et, avec le temps, il est devenu clair que les organisations social-démocrates ne pouvaient simultanément conduire les affaires du parti et les affaires syndicales.

    Une sorte de division du travail entre le parti et les syndicats s’imposait. Il devenait nécessaire que les affaires du parti fussent réglées par les organisations du parti, et les affaires syndicales par les syndicats. C’est alors qu’a commencé l’organisation des syndicats.

    A Moscou, Pétersbourg, Varsovie, Odessa, Riga, Kharkov, Tiflis, partout se sont créés des syndicats. Il est vrai que la réaction y faisait obstacle, mais les nécessités du mouvement l’ont emporté et les syndicats se sont multipliés. Peu après les syndicats locaux, ont apparu des syndicats régionaux et enfin, en septembre de l’année dernière, on a convoqué jusqu’à une conférence des syndicats de toute la Russie.

    Ce fut la première conférence des syndicats ouvriers. Elle a eu pour résultat, entre autres, de rapprocher les syndicats des différentes villes ; enfin, elle a élu un Bureau central qui devait préparer la convocation d’un congrès général des syndicats. Vinrent les journées d’octobre, et les forces des syndicats doublèrent.

    Les syndicats locaux et, enfin, les syndicats régionaux, grandissaient chaque jour. Il est vrai que la « défaite de décembre » a freiné sensiblement la création de syndicats ; mais, par la suite, le mouvement syndical s’est remis à flot et a si bien progressé qu’en février de cette année, une deuxième conférence des syndicats a été convoquée avec une représentation beaucoup plus large et plus complète qu’à la première conférence.

    La conférence a reconnu la nécessité de créer des centres locaux et régionaux, de même qu’un centre pour toute la Russie; elle a élu une « commission d’organisation », chargée de convoquer le prochain congrès de Russie, et adopté des résolutions sur les questions urgentes du mouvement.

    Ainsi, malgré le déchaînement de la réaction, les prolétaires s’organisent sans aucun doute, eux aussi, en une classe distincte ; ils fortifient inlassablement leurs organisations syndicales à l’échelle locale, régionale et centrale ; ils s’attachent avec la même énergie à grouper contre les capitalistes leurs innombrables frères.

    Augmenter les salaires, diminuer la journée de travail, améliorer les conditions de travail, mettre un frein à l’exploitation et faire échec aux unions des capitalistes, tels sont les buts que s’assignent les syndicats ouvriers.

    Ainsi, la société moderne se trouve scindée en deux vastes camps ; chacun de ces camps s’organise un une classe distincte ; la lutte des classes allumée entre eux s’approfondit et se renforce chaque jour, et autour de ces deux camps se rassemblent tous les autres groupes.

    Marx disait que toute la lutte des classes est une lutte politique. Cela signifie que si, aujourd’hui, les prolétaires et les capitalistes soutiennent les uns contre les autres une lutte économique, demain ils seront obligés de soutenir également une lutte politique et de défendre ainsi leurs intérêts de classe sur un double front de lutte.

    Les capitalistes ont leurs intérêts professionnels particuliers. Et c’est pour sauvegarder ces intérêts que leurs organisations économiques existent.

    Mais en plus de leurs intérêts professionnels particuliers, ils ont encore des intérêts de classe généraux, qui visent à renforcer le capitalisme. C’est pour défendre ces intérêts généraux qu’ils ont besoin d’une lutte politique et d’un parti politique.

    Les capitalistes de Russie  ont tranché cette question très simplement : ils ont vu que le seul parti défende « ouvertement et sans peur » leurs intérêts est le parti des octobristes ; aussi ont-ils décidé de se grouper autour de ce parti et de se soumettre à sa direction idéologique.

    Depuis lors, les capitalistes mènent leur lutte politique sous la direction idéologique de ce parti ; avec son appui, ils exercent une influence sur le gouvernement actuel (qui interdit les associations ouvrières, mais se hâte, en revanche,de sanctionner les unions des capitalistes), ils font élire ses candidats à la Douma, etc…

    Ainsi, lutte économique à l’aide des unions, lutte politique générale sous la direction idéologique du parti octobriste : telle est la forme que revêt aujourd’hui la lutte de classe de la grande bourgeoisie.

    De l’autre côté, dans le mouvement de classe du prolétariat, des phénomènes analogues s’observent à l’heure actuelle. Pour défendre les intérêts professionnels des prolétaires, on fonde des syndicats qui luttent pour l’augmentation des salaires, la diminution de la journée de travail, etc…

    Cependant, en plus de leurs intérêts professionnels, les prolétaires ont encore des intérêts de classe généraux qui tendent à la révolution socialiste et à l’instauration du socialisme.

    Or, il est impossible d’instaurer la révolution socialiste tant que le prolétariat n’aura pas conquis le pouvoir politique, en tant que classe une et indivisible. C’est pour cette raison que le prolétariat a besoin d’une lutte politique et d’un parti politique, qui assume la direction idéologique de son mouvement politique.

    Sans doute, les syndicats ouvriers sont, pour la plupart, sans-parti et neutres. Mais cela signifie simplement qu’ils ne sont indépendants du parti qu’en ce qui concerne les finances et l’organisation, c’est-à-dire qu’ils ont leurs propres caisses, leurs propres dirigeants, qu’ils tiennent leurs propres congrès et ne sont pas obligés, officiellement, de se soumettre aux décisions des partis politiques.

    Quant à la dépendance idéologique des syndicats à l’égard de tel ou tel parti politique, elle doit absolument exister, et elle ne peut pas ne pas exister pour la raison, entre autres, que les syndicats comprennent des membres de différents partis, et ceux-ci ne manqueront pas d’y apporter leurs convictions politiques.

    Il est clair que si le prolétariat ne peut se passer de lutte politique, il ne peut pas davantage se passer de la direction idéologique de tel ou tel parti politique. Bien plus, il doit lui-même rechercher un parti capable de conduire dignement ses syndicats jusqu’à la « terre promise », jusqu’au socialisme.

    Mais là, le prolétariat doit se tenir sur ses gardes et agir avec circonspection. Il doit étudier attentivement le bagage idéologique des partis politiques et accepter librement la direction idéologique du parti qui défendra ses intérêts de classe avec courage et esprit de suite, qui tiendra plus haut le drapeau rouge du prolétariat et le conduira hardiment à la domination politique, à la révolution socialiste.

    Jusqu’à présent, ce rôle est rempli par le Parti ouvrier social-démocrate de Russie ; par conséquent, le devoir des syndicats est d’accepter sa direction idéologique.

    Comme on le sait, c’est aussi ce qui se passe en fait.

    Donc, batailles économiques à l’aide des syndicats, attaques politiques sous la direction idéologique de la social-démocratie : telle est la forme que revêt aujourd’hui la lutte de classe du prolétariat.

    Il est hors de doute que la lutte de classe s’intensifiera sans cesse. Le devoir du prolétariat est d’introduire dans sa lutte un plan systématique et l’esprit d’organisation.

    Pour cela, il est indispensable de renforcer les syndicats et de les unir : sous ce rapport, un congrès général des syndicats de Russie pourrait être d’une grande utilité.

    Non pas « un congrès ouvrier sans-parti », mais un congrès des syndicats ouvriers, voilà ce qu’il nous faut aujourd’hui pour que le prolétariat s’organise en une classe une et indivisible.

    D’autre part, le prolétariat doit s’appliquer par tous les moyens à consolider et à renforcer le parti qui assumera la direction idéologique et politique de sa lutte de classe.

    Notes

    1 Le lock-out est une grève des patrons qui ferment intentionnellement leurs usines pour briser la résistance des ouvriers et enterrer leurs revendications. (J.S.).

    2 L’Akhali Droéba [le Temps nouveau], hebdomadaire syndical légal, parut en géorgien, à Tiflis, du 14 novembre 1906 au 8 janvier 1907, sous la direction de J. Staline, M.. Tskhakaïa et M. Davitachvili. Il fut interdit par ordre du gouverneur de Tiflis.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : La situation actuelle et le Congrès d’unification du parti ouvrier

    Conforme au texte de la brochure publiée par les éditions « Prolétariat », en 1906.
    Signé : Camarade K.
    Traduit du géorgien.

    I

       Ce que nous attendions avec tant d’impatience s’est réalisé : le Congrès d’unification a paisiblement terminé ses travaux, le parti a évité la scission, la fusion des fractions a été officiellement consacrée, et par cela même se trouvent posés les fondements de la puissance politique du parti.

       Il faut maintenant se rendre compte, prendre une connaissance plus précise de ce qu’a été la physionomie du congrès, et apprécier sainement ses bons et ses mauvais côtés.

       Qu’a fait le congrès ?

       Que devait-il faire ?

       Les résolutions du congrès fournissent une réponse à la première question. En ce qui concerne la seconde, il faut, pour y répondre, savoir dans quelle ambiance le congrès s’est ouvert et quelles étaient les tâches que lui imposait la situation actuelle.

       Commençons par la deuxième question.

       Il est clair à présent que la révolution populaire n’est pas morte ; que malgré la « défaite de décembre », elle grandit et s’élève vers son point culminant. Nous disons qu’il doit d’ailleurs en être ainsi : les forces motrices de la révolution continuent à vivre et à agir ; la crise industrielle qui a éclaté ne cesse de croître ; la famine qui ruine définitivement les campagnes, s’aggrave de jour en jour.

    Tout cela signifie que l’heure est proche où déferlera, pareil à un torrent redoutable, le courroux révolutionnaire du peuple. Les faits attestent qu’un nouveau mouvement, plus résolu et plus puissant que celui de décembre, mûrit dans la vie sociale russe. Nous nous trouvons à la veille de l’insurrection.

       D’autre part, la contre-révolution, que le peuple exècre, prend des forces et se consolide progressivement. Elle est déjà parvenue à organiser une camarilla, elle enrôle sous son drapeau toutes les forces ténébreuses, elle se place à la tête du « mouvement » des Cent-Noirs, elle prépare une nouvelle agression contre la révolution populaire, elle rallie autour d’elle grands propriétaires fonciers et industriels sanguinaires : elle se prépare donc à écraser la révolution populaire.

       Et au fur et à mesure que les choses avancent, le pays se divise nettement en deux camps ennemis, celui de la révolution et celui de la contre-révolution ; l’opposition des deux camps — le prolétariat et le gouvernement du tsar, — devient de plus en plus redoutable, et on voit clairement que tous les ponts ont été coupés entre eux.

    De deux choses l’une : ou bien la victoire de la révolution et le pouvoir absolu du peuple, ou bien la victoire de la contre-révolution et le pouvoir absolu du tsar. Qui s’assied entre deux chaises trahit la révolution. Qui n’est pas avec nous est contre nous ! La pitoyable Douma, avec ses pitoyables cadets, s’est assise justement entre ces deux chaises.

    Elle veut réconcilier la révolution et la contre-révolution, pour que loups et brebis paissent ensemble — et mater ainsi « d’un seul coup » la révolution. C’est pourquoi la Douma n’a fait jusqu’à présent que perdre son temps, c’est pourquoi elle n’a pu rallier le peuple autour d’elle et, n’ayant aucune base sous ses pieds, elle reste suspendue dans le vide.

       Comme auparavant, c’est la rue qui demeure l’arène principale de la lutte. Ainsi parlent les faits. Les faits l’attestent : c’est dans la lutte actuelle, dans les combats de rue, et non au sein de la bavarde Douma, que les forces de la contre-révolution s’affaiblissent et se désagrègent chaque jour, tandis que les forces de la révolution grandissent et se mobilisent ; ils attestent que le rassemblement et l’organisation des forces révolutionnaires se font sous l’égide des ouvriers d’avant-garde et non de la bourgeoisie.

    Cela signifie qu’il est parfaitement possible d’assurer la victoire de la révolution actuelle et de la conduire à son terme. Mais possible seulement si les ouvriers d’avant-garde continuent de marcher à sa tête, si le prolétariat conscient s’acquitte dignement de sa mission de dirigeant de la révolution.

       Dés lors on voit clairement quelles tâches la situation actuelle imposait au congrès et ce que ce dernier devait faire.

       Engels a dit que le parti ouvrier « est l’interprète conscient d’un processus inconscient », c’est-à-dire que le parti doit s’engager consciemment sur le chemin que suit inconsciemment la vie elle-même ; qu’il doit exprimer consciemment les idées que la vie bouillonnante met en avant inconsciemment.

       Les faits attestent que le tsarisme n’a pas réussi ) écraser la révolution populaire, qu’au contraire, celle-ci grandit de jour en jour, qu’elle monte toujours plus haut et qu’on va vers une nouvelle action. En conséquence, la tâche du parti est de se préparer consciemment à cette action et de conduire la révolution populaire à son terme.

       Il est clair que le congrès devait indiquer cette tâche et engager les membres du parti à la remplir honnêtement.

       Les faits attestent qu’il est impossible de concilier la révolution et la contre-révolution ; que la Douma qui, dés le début, a prétendu les concilier, ne pourra rien faire ; qu’une telle Douma ne sera jamais le centre politique du pays, qu’elle ne ralliera pas le peuple autour d’elle et qu’elle deviendra forcément un appendice de la réaction.

    En conséquence, la tâche du parti est de dissiper espoirs fallacieux que l’on fonde sur la Douma ; de combattre les illusions politiques du peuple et de proclamer à la face du monde entier que l’arène principale de la révolution est la rue et non la Douma ; que la victoire du peuple viendra principalement de la rue, des combats de rue, et non de la Douma, ni du bavardage auquel on s’y livre.

       Il est clair que dans ses résolutions, le Congrès d’unification devait indiquer notamment cette tâche, pour déterminer nettement l’orientation de l’activité du parti.

       Les faits attestent que la révolution peut vaincre et être conduite à son terme, que le pouvoir absolu du peuple peut être instauré seulement au cas où les ouvriers conscients se placent à la tête de la révolution, où la social-démocratie, et non pas la bourgeoisie, prend la direction de la révolution.

    En conséquence, la tâche du parti consiste à être le fossoyeur de l’hégémonie de la bourgeoisie, à rallier autour de lui les éléments révolutionnaires de la ville et de la campagne, à diriger leur lutte révolutionnaire, à prendre la tête de leur action et à consolider ainsi le terrain pour l’hégémonie du prolétariat.

       Il est clair que le Congrès d’unification devait consacrer une attention particulière à cette troisième tâche, qui est fondamentale, afin de montrer au parti son énorme importance.

       Voilà ce que la situation actuelle imposait au Congrès d’unification et ce qu’il devait faire.

       A-t-il rempli ces tâches ?

    II

       Pour élucider cette question, il est nécessaire de connaître la physionomie du congrès lui-même.

       Au cours de ses séances, le congrès a abordé de nombreuses questions : mais la question principale, autour de laquelle gravitaient toutes les autres, était celle de la situation actuelle. La situation actuelle de la révolution démocratique et les objectifs de classe du prolétariat, tel était le nœud de la question, le problème où venaient s’entremêler toutes nos divergences tactiques.

       La crise s’aggrave dans les villes, disaient les bolchéviks ; la famine augmente dans les campagnes, le gouvernement se désagrège complètement et le courroux populaire monte chaque jour davantage ; donc, la révolution, loin de décliner, grandit au contraire de jour en jour et se prépare à une nouvelle attaque. D’où notre tâche : aider la révolution montante, la mener jusqu’au bout et la couronner par le pouvoir absolu du peuple. (Voir la résolution des bolchéviks : « La situation actuelle… »).

       Les menchéviks disaient à peu près la même chose.

       Mais comment mener jusqu’au bout la révolution actuelle ? Quelles sont les conditions nécessaires pour cela ?

       Selon les bolchéviks, mener jusqu’au bout la révolution actuelle et la couronner par le pouvoir absolu du peuple n’est possible que si les ouvriers conscients se mettent à la tête de cette révolution, que si le prolétariat socialiste, et non des démocrates bourgeois, en prend la direction.

    « Mener jusqu’au bout la révolution démocratique, disaient les bolchéviks, seul le prolétariat en est capable à la condition qu’il… entraîne derrière lui la masse des paysans en conférant une conscience politique à leur lutte spontanée… »

    Sinon le prolétariat sera contraint de renoncer au rôle de « chef de la révolution populaire » et se trouvera « à la remorque de la bourgeoisie monarchiste libérale », qui ne s’efforcera jamais de mener la révolution jusqu’au bout. (Voir la résolution : « Les objectifs de classe du prolétariat… »).

    Certes, notre révolution est une révolution bourgeoise et, à cet égard, elle rappelle la grande révolution française, dont la bourgeoisie a récolté les fruits. Mais il est clair, d’autre part, qu’il y a une grande différence entre ces deux révolutions.

    A l’époque de la révolution française, la grande production mécanique que nous voyons chez nous aujourd’hui n’existait pas ; les antagonismes de classe n’étaient pas aussi nettement accusés que chez nous : aussi le prolétariat français était-il faible, tandis que le nôtre est plus fort, plus uni. Il faut également considérer que le prolétariat, là-bas, n’avait pas un parti à lui, tandis qu’il en a un ici, avec son programme et sa tactique propres.

    Il n’est pas étonnant que les démocrates bourgeois aient dirigé la révolution française et que les ouvriers se soient mis à la remorque de ces messieurs : « Les ouvriers se battaient, et les bourgeois s’emparaient du pouvoir ». D’autre part, on conçoit parfaitement que le prolétariat de Russie ne se contente pas de se mettre à la remorque des libéraux, qu’il soit la force dominante de la révolution et appelle sous son drapeau tous les « opprimés et les déshérités ».

    Voilà en quoi notre révolution l’emporte sur la révolution française, et voilà pourquoi nous pensons que notre révolution peut être conduite à son terme et aboutir au pouvoir absolu du peuple. Il faut seulement favoriser consciemment l’hégémonie du prolétariat et rassembler autour de lui le peuple en lutte, pour qu’il soit possible ainsi de conduire à son terme la révolution actuelle.

    Or, il est nécessaire de conduire la révolution à son terme pour que la bourgeoisie ne soit pas seule à en récolter les fruits, pour que la classe ouvrière, outre la liberté politique obtienne la journée de huit heures, un allègement des conditions de travail, pour qu’elle réalise entièrement son programme minimum et s’ouvre ainsi un chemin vers le socialisme.

    Voilà pourquoi celui qui défend les intérêts du prolétariat; qui ne veut pas que le prolétariat devienne un appendice de la bourgeoisie et tire pour elle les marrons du feu, celui qui lutte afin que le prolétariat devienne une force indépendante et utilise à ses propres fins la révolution actuelle, doit condamner ouvertement l’hégémonie des démocrates bourgeois; doit consolider le terrain pour l’hégémonie du prolétariat socialiste dans la révolution actuelle.

       Ainsi raisonnaient les bolchéviks.

       Les menchéviks disaient tout autre chose. Certes, la révolution se renforce et il faut la mener à son terme, mais point n’est besoin pour cela de l’hégémonie du prolétariat socialiste. Que ces mêmes démocrates bourgeois soient les dirigeants de la révolution ! disaient-ils. pourquoi, qu’est-ce à dire ?

    Parce que la révolution actuelle est bourgeoise et que la bourgeoisie doit en être le chef, répondaient les menchéviks. Mais alors, que doit faire le prolétariat ? Il doit suivre les démocrates bourgeois, « les pousser » et, de cette façon, « faire progresser la révolution bourgeoise ». Ainsi parlait le chef des menchéviks, Martynov, qu’ils avaient désigné comme « rapporteur ».

    La même pensée se trouve exprimée, bien que moins nettement, dans la résolution des menchéviks : « Sur la situation actuelle ».

    Déjà dans Deux dictatures, Martynov avait dit que « l’hégémonie du prolétariat est une utopie dangereuse », une fantaisie, que la révolution bourgeoise « doit être dirigée par l’extrême opposition démocratique », et non par le prolétariat socialiste ; que le prolétariat en lutte « doit marcher derrière la démocratie bourgeoise » et la pousser sur le chemin de la liberté (Voir la brochure connue de Martynov : Deux dictatures).

    Il a développé la même pensée au Congrès d’unification. D’après lui, la grande révolution française est l’original, et notre révolution une pâle copie ; et de même qu’en France la révolution avait à sa tête à ses débuts « l’Assemblée nationale » et ensuite la « Convention nationale », dans lesquelles prédominait la bourgeoisie, de même chez nous le dirigeant de la révolution, qui rassemblera autour de lui le peuple, doit être d’abord la Douma d’Etat et ensuite quelque autre assemblée représentative, plus révolutionnaire que la Douma.

    A la Douma, comme au sein de cette future assemblée représentative, les démocrates bourgeois prédomineront. En conséquence, il nous faut l’hégémonie de la démocratie bourgeoise et non celle du prolétariat socialiste.

    Il faut seulement suivre pas à pas la bourgeoisie et la pousser en avant toujours plus loin, vers la liberté véritable. A noter que les menchéviks ont salué le discours de Martynov par de vifs applaudissements.

    A noter aussi que pas une de leurs résolutions ne mentionne la nécessité de l’hégémonie du prolétariat ; l’expression « hégémonie du prolétariat » est complètement bannie de leurs résolutions de même que des résolutions du congrès. (Voir les résolutions du congrès.)

       Telle a été, au congrès, la position des menchéviks.

       Comme on le voit, il y a là deux positions qui s’excluent et c’est de là que partent toutes les autres divergences.

       Si le prolétariat conscient est le guide de la révolution actuelle, tandis que dans la Douma actuelle dominent les cadets bourgeois, il est évident que l’actuelle Douma ne pourra se transformer en un « centre politique du pays » ; elle ne pourra rallier autour d’elle le peuple révolutionnaire, ni devenir, quels que soient ses efforts, le guide de la révolution montante.

    Ensuite, si le prolétariat conscient est le chef de la révolution alors qu’il est impossible de diriger la révolution du sein de la Douma, il apparaît clairement que l’arène principale de notre activité, à l’heure actuelle, doit être la rue et non la salle de la Douma.

    Ensuite, si le prolétariat conscient est le chef de la révolution et la rue la principale arène de la lutte, il va de soi que notre tâche est de participer activement à l’organisation de la lutte de rue, de porter une attention accrue à l’armement, de multiplier les détachements rouges et de diffuser les connaissances militaires parmi les éléments d’avant-garde.

    Enfin, si le prolétariat d’avant-garde est le chef de la révolution et s’il doit participer activement à l’organisation de l’insurrection, il va de soi que nous ne pouvons pas nous tenir à l’écart du gouvernement provisoire révolutionnaire en nous en lavant les mains ; nous devrons, en commun avec la paysannerie, conquérir le pouvoir politique et faire partie du gouvernement provisoire (2) : le chef de la rue révolutionnaire doit être également le chef du gouvernement de la révolution.

       Telle était la position des bolchéviks.

       Si au contraire, comme le pensent les menchéviks, la direction de la révolution appartient aux démocrates bourgeois — et les cadets de la Douma « se rapprochent de ce genre de démocrates », — il va de soi que la Douma actuelle peut se transformer en « centre politique du pays » ; la Douma actuelle peut rassembler autour d’elle le peuple révolutionnaire, en devenir le guide et se transformer en arène principale de la lutte, il est inutile de porter une attention accrue à l’armement et à l’organisation de détachements rouges ; ce n’est pas notre affaire de porter une attention particulière à l’organisation de la lutte de rue, et moins encore de conquérir, en commun avec la paysannerie, le pouvoir politique et de faire partie du gouvernement provisoire. Que les démocrates bourgeois s’en occupent, eux qui seront les dirigeants de la révolution ! Sans doute ne serait-il pas mauvais d’avoir des armes et des détachements rouges ; c’est même, au contraire indispensable, mais cela n’a pas la grande importance que les bolchéviks y attachent.

       Telle était la position des menchéviks.

       Le congrès a choisi la seconde voie, c’est-à-dire qu’il a repoussé l’hégémonie du prolétariat socialiste et approuvé la position des menchéviks.

       Ce faisant, le congrès a montré clairement qu’il n’avait pas compris les exigences essentielles du moment présent.

       Là est l’erreur fondamentale du congrès, erreur qui devait fatalement entraîner toutes les autres.

    III

       Après que le congrès eut écarté l’idée de l’hégémonie du prolétariat, on comprit clairement comment il allait résoudre les autres questions : « Sur l’attitude envers la Douma d’Etat », « Sur l’insurrection armée », etc..

       Passons à ces questions.

       Commençons par la Douma d’Etat.

       Nous n’allons pas examiner laquelle des deux tactiques était la plus juste, boycottage ou participation aux élections. Notons seulement ce point : si aujourd’hui la Douma ne s’occupe que de bavardages, si elle est restée suspendue entre la révolution et la contre-révolution, cela signifie que les partisans de la participation aux élections se trompaient quand ils appelaient le peuple à voter, en le leurrant d’espoirs mensongers.

    Mais laissons cela. c’est un fait qu’au moment du congrès, les élections étaient déjà terminées (sauf au Caucase et en Sibérie) ; nous connaissions déjà les résultats des élections et, par conséquent, il ne pouvait être question que de la Douma elle-même, appelée à se réunir quelques jours plus tard.

    Il est évident que le congrès ne pouvait revenir sur le passé ; il devait porter son attention principalement sur le caractère de la Douma et sur l’attitude que nous devions adopter à son égard.

       Qu’est-ce donc que la Douma actuelle et quelle doit être notre attitude à son égard ?

       On savait déjà, par le manifeste du 17 octobre, que la Douma n’avait pas de pouvoirs particulièrement importants ; c’est une assemblée de députés qui « a le droit » de délibérer, mais « n’a pas le droit » de passer outre aux « lois fondamentales » existantes.

    Elle est placée sous la surveillance du Conseil d’Etat qui « a le droit » de casser toute décision de la Douma. Cependant que veille le gouvernement tsariste, armé de pied en cap, qui « a le droit » de dissoudre la Douma si elle outrepasse son rôle consultatif.

       Quant à la physionomie de la Douma, nous savions, dés avant l’ouverture du congrès, quelle en serait la composition, nous savions déjà que la Douma serait composée en majorité de cadets.

    Nous ne voulons pas dire par là que les cadets eux-mêmes allaient constituer la majorité de la Douma ; nous disons simplement que sur les cinq cents membres — à peu près — de la Douma, un tiers serait composé de cadets, un autre tiers de groupes intermédiaires et de la droite (« parti des réformes démocratiques (3) », éléments modérés parmi les députés sans parti, octobristes (4), etc…) qui, au moment de la lutte contre l’extrême gauche (groupe ouvrier et groupes des paysans révolutionnaires), s’uniraient aux cadets et voteraient pour eux : ainsi les cadets seraient les maîtres de la situation à la Douma.

       Et que sont les cadets ? Peut-on les qualifier de révolutionnaires ? Non, certes ! Alors, que sont-ils donc ?

    Les cadets, c’est le parti des conciliateurs : s’ils veulent limiter les droits du tsar, ce n’est pas qu’ils soient partisans de la victoire du peuple, — les cadets entendent remplacer le pouvoir absolu du tsar par le pouvoir absolu de la bourgeoisie, et non par celui du peuple (voir leur programme), — c’est pour que, de son côté, le peuple modère son esprit révolutionnaire, renonce à ses revendications révolutionnaires et s’entende d’une façon ou d’une autre avec le tsar. Les cadets, veulent un accord entre le tsar et le peuple.

       Comme on le voit, la majorité de la Douma devait être composée de conciliateurs, et non de révolutionnaires. Cela était évident dés la première quinzaine d’avril.

       Ainsi, boycottée et impuissante, dotée de droits insignifiants, d’une part, non révolutionnaire et conciliatrice dans sa majorité, d’autre part, telle était la Douma. Généralement, les faibles sont déjà portés à la conciliation, mais si, en outre, leur orientation n’est pas révolutionnaire, ils y glissent d’autant plus vite. C’est ce qui devait arriver à la Douma d’Etat.

    Elle ne pouvait prendre entièrement parti pour le tsar, puisqu’elle désire limiter les pouvoirs du tsar, mais elle ne pouvait non plus passer du côté du peuple, puisque le peuple présente des revendications révolutionnaires. C’est pourquoi elle devait se placer entre le tsar et le peuple, s’attacher à les réconcilier, c’est-à-dire perdre son temps.

    D’une part, il lui fallait persuader le peuple de renoncer à ses « revendications excessives » et de s’entendre d’une façon ou d’une autre avec le tsar ; d’autre part, il lui fallait servir de courtier auprès du tsar, afin qu’il cédât quelque chose au peuple et mit ainsi fin aux « troubles révolutionnaires ».

       C’est à cette Douma que le Congrès d’unification du parti avait affaire.

       Quelle devait être l’attitude du parti à son égard ? Inutile de dire qu’il ne pouvait prendre sur lui de soutenir cette Douma, car soutenir la Douma, c’était soutenir la politique de conciliation; or, la politique de conciliation est en contradiction radicale avec notre objectif d’approfondissement de la révolution.

    Certes, le parti devait utiliser aussi bien la Douma elle-même que les conflits entre elle et le gouvernement ; mais cela ne signifie pas encore qu’il doive soutenir la tactique non révolutionnaire de la Douma. Au contraire, révéler la duplicité de la Douma, la critiquer impitoyablement, dévoiler au grand jour sa tactique de trahison, telle doit être l’attitude du parti à son égard.

       Dans ces conditions, il est clair que la Douma des cadets n’exprime pas la volonté du peuple, qu’elle ne peut remplir le rôle de représentant du peuple, qu’elle ne peut devenir le centre politique du pays ni rallier le peuple autour d’elle.

       Le devoir du parti était donc de dissiper les espoirs mensongers que l’on fondait sur la Douma et de proclamer hautement qu’elle n’exprime pas la volonté du peuple, que, par conséquent, elle ne peut devenir l’instrument de la révolution et que, maintenant, la principale arène de la lutte est la rue et non la Douma.

       En même temps, il était clair que le groupe paysan « du travail » (5) qui existait à la Douma, groupe peu nombreux par rapport aux cadets, ne pouvait suivre jusqu’au bout la tactique conciliatrice des cadets ; il devait, un jour ou l’autre, engager la lutte contre les cadets, traîtres au peuple, et prendre le chemin de la révolution.

    Le devoir du parti était de soutenir le « groupe du travail » dans sa lutte contre les cadets, de développer à fond ses tendances révolutionnaires, d’opposer sa tactique révolutionnaire à la tactique non révolutionnaire des cadets et de mettre ainsi en pleine lumière les tendances de trahison des cadets.

       Qu’a fait le congrès ? Qu’a-t-il déclaré dans sa résolution sur la Douma d’Etat ?

       La résolution proclame que la Douma est une institution issue « du sein de la nation ». C’est-à-dire que la Douma, malgré ses défauts, n’en est pas moins, paraît-il, l’interprète de la volonté du peuple.

       Il est clair que le congrès n’a pas su donner une appréciation juste sur la Douma des cadets ; il a oublié que la majorité de la Douma est composée de conciliateurs, qui rejettent la révolution, ne peuvent exprimer la volonté du peuple et que, par conséquent, nous n’avons pas le droit d’affirmer que la Douma est sortie « du sein de la nation ».

       Qu’ont dit les bolchéviks à ce propos au congrès ?

       Ils ont dit que

       la Douma d’Etat, telle qu’elle apparaît dés maintenant, avec sa composition (essentiellement) cadette, ne peut en aucun cas remplir le rôle de véritable représentant du peuple.

       C’est-à-dire que la Douma actuelle n’est pas sortie du sein du peuple, qu’elle est antipopulaire et ne peut donc exprimer la volonté du peuple. (Voir la résolution des bolchéviks).

       Le congrès s’est, sur ce point, prononcé contre les bolchéviks.

       La résolution du congrès proclame que, malgré son caractère « pseudo-constitutionnel, la Douma », néanmoins, « se transformera en un instrument de la révolution »…, que ses conflits avec le gouvernement peuvent s’étendre « jusqu’à permettre d’en faire le point de départ de larges mouvements de masses, ayant pour but de renverser l’ordre politique existant ».

    C’est-à-dire que la Douma peut, paraît-il, se transformer en un centre politique, rallier autour d’elle le peuple révolutionnaire et brandir l’étendard de la révolution.

       Ouvrier, vous entendez : la Douma conciliatrice des cadets peut, paraît-il, se transformer en un centre de la révolution et se trouver à sa tête, — autant dire qu’une chienne peut mettre bas un agneau ! A quoi bon vous tourmenter ?

    Dorénavant, il n’est plus besoin d’hégémonie du prolétariat, ni que le peuple se rassemble précisément autour du prolétariat : la Douma non révolutionnaire ralliera elle-même autour d’elle le peuple révolutionnaire, et tout ira bien ! Voilà comment il faut, paraît-il, mener jusqu’au bout la révolution actuelle !

       Le congrès n’a évidemment pas compris que l’hypocrite Douma, avec ses hypocrites cadets, se trouvera inévitablement placée entre deux chaises : qu’elle cherchera à réconcilier le tsar et le peuple ; et puis qu’elle sera amenée, comme tous ceux qui font preuve de duplicité, à pencher du côté de celui qui promettra le plus !

       Qu’ont dit les bolchéviks à ce propos au congrès ?

       Ils ont déclaré que

       les conditions n’étaient pas encore réunies pour que notre parti s’engageât dans la voie parlementaire,

       c’est-à-dire que nous ne pouvons pas encore jouir d’une vie parlementaire tranquille, que la principale arène de la lutte demeure la rue et non la Douma. (Voir la résolution des bolchéviks.)

       Sur ce point également, le congrès a repoussé la résolution des bolchéviks.

       La résolution du congrès ne dit rien de précis sur la présence au sein de la Douma, d’une minorité de représentants de la paysannerie révolutionnaire (« groupe du travail »), qui seront obligés de rejeter la politique conciliatrice des cadets et de prendre le chemin de la révolution; rien sur la nécessité de les encourager, de les soutenir dans leur lutte contre les cadets et de les aider à s’engager, avec plus d’assurance encore, dans la voie révolutionnaire.

       Le congrès n’a évidemment pas compris que le prolétariat et la paysannerie sont les deux forces principales de la révolution actuelle ; qu’au moment présent, le prolétariat, en tant que chef de la révolution, doit soutenir les paysans révolutionnaires dans la rue comme à la Douma, si seulement ils engagent la lutte contre les ennemis de la révolution.

       Qu’ont dit les bolchéviks à ce propos au congrès ?

       Ils ont déclaré que la social-démocratie doit dénoncer impitoyablement

       l’inconséquence et l’inconstance des cadets, observer avec une attention particulière les éléments de la démocratie révolutionnaire paysanne, les unir, les opposer aux cadets, soutenir celles de leurs actions qui répondent aux intérêts du prolétariat. (Voir la résolution.)

       Le congrès n’a pas accepté non plus cette proposition des bolchéviks. Sans doute parce que le rôle d’avant-garde du prolétariat dans la lutte actuelle y est trop clairement exprimé ; or, le congrès, comme on l’a vu plus haut, avait marqué sa défiance à l’égard de l’hégémonie du prolétariat, — la paysannerie devant, selon lui, se grouper autour de la Douma, et non autour du prolétariat !

       Voilà pourquoi le journal bourgeois Nacha Jizn (6) loue la résolution du congrès, voilà pourquoi les cadets de Nacha Jizn se sont écriés à l’unisson : enfin les social-démocrates se sont ravisés et ont abandonné le blanquisme ! (Voir Nacha Jizn, n°432.)

       Certes, ce n’est pas sans raison que les ennemis du peuple — les cadets — louent la résolution du congrès ! Ce n’est pas sans raison que Bebel disait : ce qui plaît à nos ennemis nous est nuisible !

    IV

       Passons à la question de l’insurrection armée.

       Aujourd’hui, ce n’est plus un mystère pour personne qu’une action populaire est inévitable. Si la crise et la famine s’aggravent dans les villes et les campagnes ; si l’effervescence grandit de jour en jour dans le prolétariat et la paysannerie, si le gouvernement tsariste se décompose ; si, par conséquent, la révolution monte, il est évident que la vie prépare une nouvelle action populaire, plus vaste et plus vigoureuse que celles d’octobre et de décembre.

    Que cette nouvelle action soit désirable ou non, qu’elle soit un bien ou un mal, il est inutile d’en parler aujourd’hui : car il ne s’agit pas nos désirs, mais du fait que l’action populaire mûrit d’elle-même, qu’elle est inévitable.

       Mais il y a action et action. Incontestablement, la grève générale de janvier à Pétersbourg (1905) a été une action populaire. La grève politique générale d’octobre a été, elle aussi, une action populaire. La « bataille de décembre » à Moscou et chez les Lettons a été également une action populaire. Il est clair qu’il existait aussi entre elles une différence.

    Alors qu’en janvier (1905) la grève jouait le rôle principal, en décembre elle n’a servi que de prologue et s’est transformée par la suite en insurrection armée, à laquelle elle a cédé le rôle principal.

    Les actions de janvier, octobre et décembre ont montré que si « pacifique » que soit le début d’une grève générale, si « délicate » que soit la façon dont on formule les revendications, si désarmé qu’on se présente sur le champ de bataille, les choses se termineront quand même par un combat (souvenez-vous du 9 janvier à Pétersbourg lorsque le peuple s’avançait avec des croix et le portrait du tsar), le gouvernement recourra quand même aux canons et aux fusils, le peuple prendra quand même les armes, et c’est ainsi que la grève générale se transformera quand même en une insurrection armée.

    Qu’est-ce que cela signifie ? Ceci seulement : la future action populaire ne sera pas une simple action ; elle prendra nécessairement le caractère d’un conflit armé et, ainsi, l’insurrection armée jouera le rôle décisif.

    L’effusion de sang est-elle désirable ou non, est-ce un bien ou un mal, il n’y a pas à en parler. Nous le répétons : il ne s’agit pas de nos désirs, mais du fait que l’insurrection armée aura certainement lieu et qu’il n’est pas possible de l’éviter.

       Notre objectif aujourd’hui est d’instaurer le pouvoir absolu du peuple. Nous voulons que les rênes du gouvernement soient remises entre les mains du prolétariat et de la paysannerie. Peut-on atteindre ce but par une grève générale ?

    Les faits attestent que non (rappelez-vous ce qui a été dit plus haut). Mais peut-être que la Douma nous aidera avec ses cadets emphatiques, peut-être que le pouvoir absolu du peuple (rappelez-vous ce qui a été dit plus haut).

       Il est clair que la seule voie sûre, c’est l’insurrection armée du prolétariat et de la paysannerie. Seule une insurrection armée peut renverser la domination du tsar et instaurer la domination du peuple, si, bien entendu, cette insurrection se termine par la victoire.

    Dès lors, si la victoire du peuple est aujourd’hui impossible sans la victoire de l’insurrection et si, d’un autre côté, la vie elle-même prépare une action populaire armée, si cette action est inévitable, il va de soi que la tâche de la social-démocratie est de se préparer consciemment à cette action, de préparer consciemment sa victoire.

    De deux choses l’une : ou bien nous devons renoncer au pouvoir absolu du peuple (à la république démocratique) et nous contenter d’une monarchie constitutionnelle — et nous serons alors en droit de dire que ce n’est pas notre affaire d’organiser l’insurrection armée ; ou bien nous devons, aujourd’hui comme auparavant, nous assigner pour but d’établir le pouvoir absolu du peuple (la république démocratique) et rejeter résolument la monarchie constitutionnelle, — mais alors nous ne serons pas en droit de dire que ce n’est pas notre affaire d’organiser consciemment l’action qui mûrit spontanément.

       Mais comment nous préparer à l’insurrection armée, comment contribuer à sa victoire ?

       L’action de décembre a montré que nous, social-démocrates, en plus de tous nos autres péchés, sommes coupables devant le prolétariat encore d’un gros péché : nous ne nous sommes pas souciés, ou guère souciés, de l’armement des ouvriers et de l’organisation de détachements rouges.

    Souvenez-vous de décembre !

    Qui ne se rappelle le peuple enfiévré, prêt à se battre à Tiflis, dans le Caucase occidental, dans le sud de la Russie, en Sibérie, à Moscou, à Pétersbourg, à Bakou ? Pourquoi l’autocratie a-t-elle pu si facilement disperser ce peuple déchaîné ? Est-ce vraiment parce que le peuple n’était pas encore convaincu de l’indignité du gouvernement tsariste ? Non, certes ! Alors pourquoi ?

       Tout d’abord, parce que le peuple n’avait pas ou n’avait guère d’armes : si conscient qu’on soit, il est impossible de résister aux balles, les mains nues ! Oui, on avait raison de nous prendre à partie en disant  : vous vous faites donner de l’argent, mais les armes, on ne les voit pas.

       En second lieu, parce que nous ne possédions pas de détachements rouges bien entraînés, capables de mener les autres, de se procurer des armes par les armes et d’armer le peuple : dans les combats de rue, le peuple est un héros, mais s’il n’est pas conduit par des frères en armes qui lui donnent l’exemple, il peut devenir une simple foule.

       Troisièmement, parce que l’insurrection était sporadique et inorganisée. Quand Moscou se battait sur les barricades, Pétersbourg restait coi. Tiflis et Koutaïs se préparaient à L’assaut quand Moscou était déjà « soumise ».

    La Sibérie a pris les armes quand le Sud et les Lettons étaient déjà « vaincus ». Cela signifie que le prolétariat en lutte s’est trouvé, lors de l’insurrection, fractionné en groupes séparés, de sorte qu’il a été relativement facile au gouvernement  de lui infliger une « défaite« .

       Quatrièmement, parce que notre insurrection s’en est tenue à une politique de défensive et non d’offensive. L’insurrection de décembre a été provoquée par le gouvernement lui-même qui nous a attaqués ; il avait son plan, tandis que son attaque nous a pris au dépourvu ; nous n’avions pas de plan bien arrêté, nous nous sommes vus contraints de nous tenir à une politique d’autodéfense et donc de nous mettre à la remorque des événements.

    Si les Moscovites avaient, dés le début, opté pour la politique d’offensive, ils se seraient immédiatement emparés de la gare Nikolaevski, le gouvernement n’aurait pu lancer ses troupes de Pétersbourg à Moscou, et l’insurrection de Moscou aurait ainsi duré plus longtemps, ce qui aurait exercé une heureuse influence sur les autres villes.

    Il faut en dire autant des Lettons : si, dés le début, ils avaient choisi l’offensive, ils se seraient d’emblée emparés des canons et auraient porté un coup sensible aux forces du gouvernement.

       Ce n’est pas sans raison que Marx a dit :

       « Une fois l’insurrection commencée, il faut agir avec une extrême résolution et passer à l’offensive. La défensive est la mort de toute insurrection armée… Il faut attaquer l’ennemi à l’improviste tant que ses forces sont encore dispersées ; il faut obtenir chaque jour des succès nouveaux, fussent-ils minimes ; il faut conserver l’ascendant moral acquis par le premier mouvement victorieux des insurgés ; il faut entraîner les éléments hésitants qui vont toujours ver ceux qui sont les plus forts et se mettent toujours du côté le plus sûr ; il faut contraindre l’ennemi à reculer avant qu’il ait pu rassembler ses forces contre vous. En un mot, agissez comme le dit Danton, le plus grand maître de la tactique révolutionnaire que l’on connaisse jusqu’ici : De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. » (Voir Karl Marx : Esquisses historiques, p. 95).

       C’est cette « audace », cette politique d’offensive qui ont manqué à l’insurrection de décembre.

       On nous dira : ce ne sont pas là toute les causes de la « défaite » de décembre ; vous oubliez qu’en décembre la paysannerie n’a pas su s’unir au prolétariat, et c’est là aussi une des causes principales du recul de décembre. C’est la vérité même, et nous n’avons garde de l’oublier. Mais pourquoi la paysannerie n’a-t-elle pas su s’unir au prolétariat, quelle en a été la cause ?

    On nous dira : le manque de conscience. Bon, mais comment devons-nous rendre les paysans conscients ? par la diffusion de brochures ?

    Evidemment, cela ne suffit pas ! Alors comment ? Par la lutte, en les entraînant dans la lutte et en les guidant pendant la lutte. Aujourd’hui, la ville est appelée à diriger la campagne, et l’ouvrier à diriger le paysan ; si le travail n’est pas organisé dans les villes en vue de l’insurrection, jamais la paysannerie n’ira à la bataille aux côtés du prolétariat d’avant-garde.

       Tels sont les faits.

       Dés lors, on voit clairement l’attitude que le congrès devait prendre à l’égard de l’insurrection armée, les mots d’ordre qu’il devait donner aux camarades du parti.

       L’armement laissait à désirer dans le parti, on l’avait négligé jusque-là. Donc, le congrès devait dire au parti : armez-vous, portez une attention accrue aux choses de l’armement, pour que l’action révolutionnaire à venir nous trouve tant soit peu préparés.

       Poursuivons. L’organisation par le parti, de détachements armés laissait à désirer. Il ne se préoccupait pas suffisamment de multiplier les détachements rouges.

    Donc, le congrès devait dire au parti : Formez des détachements rouges, diffusez dans le peuple les connaissances militaires, portez une attention accrue à l’organisation de détachements rouges, pour que nous puissions plus tard nous procurer des armes par les armes et étendre l’insurrection.

       Poursuivons. L’insurrection de décembre avait trouvé le prolétariat divisé, personne ne pensait sérieusement à organiser l’insurrection.

    Donc, le congrès devait donner au parti le mot d’ordre de procéder énergiquement au rassemblement des éléments de combat, à leur mise en action suivant un plan unique, à l’organisation active de l’insurrection armée.

       Poursuivons. Jusqu’à présent, le prolétariat, dans l’insurrection armée, s’en est tenu à la politique de la défensive, jamais il n’a pris l’offensive, et c’est ce qui a empêché l’insurrection de triompher. Donc, le congrès se devait de signaler aux camarades du parti que le montant de la victoire de l’insurrection approchait et qu’il fallait passer à la politique d’offensive.

       Qu’a fait le congrès, et quels mots d’ordre a-t-il donnés au parti ?

       Le congrès déclare que

       « …la tâche essentielle du parti, à l’heure actuelle, est de développer la révolution en élargissant et en renforçant la propagande dans les larges couches du prolétariat, de la paysannerie, de la petite bourgeoisie des villes et parmi les troupes : de les entraîner à la lutte active contre le gouvernement par l’intervention constante de la social-démocratie et du prolétariat qu’elle dirige, dans toutes les manifestations de la vie politique du pays… [Le parti] ne peut assumer l’engagement d’armer le peuple, ce qui susciterait des espoirs mensongers ; il doit se limiter à aider la population à d’armer par elle-même, à organiser et à armer des groupes de combat… Le parti a le devoir de s’opposer à toutes les tentatives d’entraîner le prolétariat à une collision armée quand les conditions sont défavorables…, etc…, etc… » (Voir la résolution du congrès.)

       Il s’ensuit qu’aujourd’hui, en ce moment précis, où nous sommes à la veille d’une nouvelle action populaire, le plus important pour la victoire de l’insurrection, c’est la propagande, tandis que l’armement et l’organisation de détachements rouges sont choses accessoires ; il ne faut pas nous laisser fasciner par elles, et nous devons, à cet égard, « limiter » notre action à une « aide ».

    Quant à la nécessité d’organiser l’insurrection au lieu de la faire en ordre dispersé, quant à la nécessité d’avoir une politique d’offensive (rappelez-vous les paroles de Marx), le congrès n’en souffle mot. Il est clair que, pour lui, ces questions sont sans importance.

       Les faits disent : armez-vous et renforcez par tous les moyens les détachements rouges. Le congrès répond : ne vous laissez pas trop fasciner par l’armement et l’organisation de détachements rouges ; « limitez » votre action dans ce domaine, car le principal est la propagande.

       C’est à croire que nous nous sommes beaucoup occupés d’armement jusqu’ici, que nous avons armé une foule de camarades, organisé de nombreux détachements, mais négligé la propagande ! Et ce congrès de nous faire la leçon : cessez de vous armer, cessez de vous occuper de cela ; la tâche principale, voyez-vous, c’est la propagande !

       Certes, la propagande demeure en tout temps et en tout lieu une des armes principales du parti; mais est-ce la propagande qui va décide de la victoire de l’insurrection prochaine ?

    Si le congrès avait dit cela il y a quatre ans, quand l’insurrection ne figurait pas chez nous à l’ordre du jour, c’eût été encore concevable. mais aujourd’hui nous sommes à la veille d’une insurrection armée, que l’insurrection figure à l’ordre du jour; qu’elle peut éclater sans notre volonté ou contre elle, que peut-on faire « principalement » par la propagande, à quoi peut-on arriver par cette « propagande » ?

       Ou encore : admettons que nous ayons élargi la propagande, admettons que le peuple se soit soulevé, et après ? Comment peut-il lutter sans armes ?

    N’a-t-on pas fait assez couler le sang du peuple désarmé ? D’autre part, à quoi bon des armes au peuple s’il ne sait pas s’en servir, s’il ne possède pas un nombre suffisant de détachements rouges ? On nous dira : nous ne renonçons ni à l’armement, ni aux détachements rouges. Soit, mais si vous ne prêtez pas une attention suffisante à l’armement, si vous le négligez, cela signifie qu’en fait vous y renoncez.

       Est-il besoin de dire que le congrès n’a soufflé mot de l’organisation de l’insurrection ni de la politique d’offensive ? Il ne pouvait en être autrement, puisque la résolution du congrès retarde de quatre ou cinq ans sur la vie et que l’insurrection est restée pour le congrès une question théorique.

       Qu’est-ce que les bolchéviks ont dit au congrès à ce propos ?

       Ils on dit :

       « …Dans le travail de propagande et d’agitation du parti, une attention accrue doit être accordée à l’étude de l’expérience pratique de l’insurrection de décembre, à sa critique au point de vue militaire et aux enseignements immédiats à en tirer pour l’avenir ; il convient de mener une action encore plus énergique pour augmenter le nombre des groupes de combat, améliorer leur organisation et les pourvoir en armes de toute espèce ; au surplus, ainsi que l’expérience nous le suggère, il faut organiser non seulement des groupes de combat du parti, mais aussi des groupes touchant de près au parti ou sans-parti… ; devant le progrès du mouvement paysan qui peut, dans un avenir très prochain, conduire à une explosion, à une véritable insurrection, il est désirable d’orienter nos efforts vers la coordination des actions des ouvriers et des paysans, afin d’organiser, si possible, des opérations de combat combinées et simultanées ; [par conséquent], étant données la croissance et l’aggravation d’une nouvelle crise politique, la possibilité s’offre de passer des formes défensives de la lutte armée à ses formes offensives … ; [il est nécessaire d’entreprendre en commun avec les soldats] les actions offensives les plus résolues contre le gouvernement…, etc… » (Voir la résolution des bolchéviks.)

       Voilà ce qu’ont dit les bolchéviks.

       Mais leur position n’a pas été approuvée par le congrès.

       Après cela, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les résolutions du congrès ont été accueillies avec tant d’enthousiasme par es cadets libéraux (voir Nacha Jizn, n°432) : ils ont compris que ces résolutions retardaient de plusieurs années sur la révolution actuelle ; qu’elles ne reflétaient nullement les objectifs de classe du prolétariat ; que ces résolutions-là tendaient à faire du prolétariat un appendice des libéraux plutôt qu’une force indépendante. Ils ont compris tout cela, et voilà pourquoi ils les couvrent d’éloges.

       La tâche des camarades du parti est de juger ces résolutions du congrès avec esprit critique et, l’heure venue, d’y introduire les rectifications nécessaires

       C’est précisément cette tâche que nous avions en vue en commençant à écrire cette brochure.

       Il est vrai que nous n’avons examiné ici que deux résolutions : « Sur l’attitude à l’égard de la Douma d’Etat » et « Sur l’insurrection armée », mais elles sont certainement toutes deux les résolutions fondamentales, celles qui expriment le plus nettement la position tactique du congrès.

       Nous voilà arrivés à notre conclusion principale ; nous constatons que, dans le parti, le problème se pose de la façon suivante : le prolétariat conscient doit-il exercer l’hégémonie dans la révolution actuelle, ou bien doit-il se mettre à la remorque des démocrates bourgeois?

       Nous avons vu que la solution de ce problème commande la solution de tous les autres.

       Nos camarades mettront d’autant plus de soin à peser ce qui constitue le fond des deux thèses en présence.

    Notes

    Cette étude parut en 1906, à Tiflis, en géorgien, aux éditions du Prolétariat. A la brochure étaient annexés trois projets de résolutions des bolchéviks pour le IVe congrès (« Congrès d’unification ») : 1. « La situation actuelle de la révolution démocratique » (Voir V. Lénine : Oeuvres, 4e éd. russe, t. X, p. 130-131) ; 2. « Les objectifs de classe du prolétariat dans la situation actuelle de la révolution démocratique » (voir Les résolutions et décisions des congrès, conférences et assemblées plénières du Comité central du P.C. (b) de l’U.R.S.S., 1re partie, 6e éd. russe, 1940, p.65) ; 3. « L’insurrection armée » (voir V. Lénine : Oeuvres, 4e éd. russe, t. X, p. 131-133) ; puis le projet de résolution sur la Douma d’Etat, présenté au congrès par Lénine au nom des bolchéviks (voir V. Lénine : Oeuvres, 4e éd. russe, t. X, p. 266-267). Enfin la résolution du congrès sur l’insurrection armée et le projet de résolution des menchéviks : « Sur la situation actuelle de la révolution et les objectifs du prolétariat ».

    2. Nous n’envisageons pas ici l’aspect de principe de la question. (J.S.).

    3. Le « parti des réformes démocratiques », parti de la bourgeoisie monarchiste libérale, s’était constitué lors des élections à la 1re Douma d’Etat, en 1906.

    4. Octobristes, ou « Union du 17 octobre » : parti contre-révolutionnaire de la grosse bourgeoisie industrielle et commerçante et des grands propriétaires fonciers, qui fondé en novembre 1905, soutenait à fond le régime de Stolypine, la politique intérieure et étrangère du tsarisme.

    5. Troudoviks, ou « groupe du travail » : groupe de démocrates petits-bourgeois, fondé en avril 1906 et composé de députés paysans de la Ire Douma d’Etat. Les troudoviks réclamaient l’abolition de toutes les restrictions découlant de la nationalité ou de l’ordre, la démocratisation de l’administration autonome des villes et des zemstvos, le suffrage universel pour les élections à la Douma d’Etat et, avant tout, une solution de la question agraire.

    6. Nacha Jizn [Notre Vie], journal bourgeois libéral, parut à Pétersbourg, avec des interruptions, de novembre 1904 à décembre 1906.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Plénum de juillet du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (bolchevik)

    Rapport présenté à l’Assemblée des militants de l’organisation de Léningrad du Parti communiste de l’Union soviétique (bolchevik), le 13 juillet 1928

    Le Plénum du Comité central qui vient de clôturer ses travaux s’est occupé de deux séries de problèmes. La première comporte les problèmes fondamentaux de l’Internationale communiste et de son VI9 congrès, dont les assises vont se tenir prochainement.

    La deuxième série comprend des problèmes ayant trait à notre édification en U.R.S.S., tant dans le domaine de l’agriculture — céréales et approvisionnement en blé — que dans celui de la formation de cadres de techniciens intellectuels, nécessaires à notre industrie, en vue d’assurer à celle-ci un personnel technique instruit d’origine ouvrière.

    Je commence par la première série de problèmes.

    I Problèmes de l’Internationale communiste

    1. Les problèmes essentiels touchant le VIe congrès de l’Internationale communiste

    Quels sont les problèmes fondamentaux qui se posent en ce moment devant le VIe congrès de l’I.C.?

    Quand on examine la période écoulée entre le Ve et le VIe congrès, il faut avant tout s’arrêter aux contradictions qui se sont accumulées,pendant cette période, dans le camp des impérialistes.

    Quelles sont ces contradictions ?

    A l’époque du Ve congrès, les antagonismes anglo-américains n’étaient pas considérés comme essentiels. A ce moment, on parlait même d’une alliance anglo-américaine.

    Par contre, on parlait d’autant plus volontiers des antagonismes entre l’Angleterre et la France, l’Amérique et le Japon, les vainqueurs et les vaincus. La différence entre la période d’alors et celle d’aujourd’hui consiste en ce que, à l’heure présente, parmi les nombreux antagonismes qui se manifestent dans le camp des capitalistes, l’antagonisme fondamental est devenu celui qui met aux prises le capitalisme américain et le capitalisme anglais.

    Que ce soit la question du naphte, qui a une importance décisive tant pour l’édification de l’économie capitaliste que pour la guerre ; ou celle des débouchés, dont la portée est immense pour la vie et le développement du capitalisme mondial, car pour produire des marchandises, il faut que l’écoulement en soit assuré ; qu’il s’agisse des marchés d’exportation de capitaux, qui constituent le trait le plus caractéristique de l’étape impérialiste ; qu’il s’agisse, enfin, des voies conduisant aux débouchés et aux marchés de matières premières, — partout on se heurte au problème fondamental de la lutte entre l’Amérique et l’Angleterre pour l’hégémonie mondiale.

    De quelque côté que l’Amérique se tourne, ce pays de capitalisme, croissant par bonds gigantesques, que ce soit vers la Chine, vers les colonies, vers l’Amérique du Sud, vers l’Afrique, — partout elle rencontre des obstacles insurmontables sous la forme de positions préalablement fortifiées par l’Angleterre.

    Bien entendu, cela ne change rien aux autres antagonismes du camp capitaliste : entre l’Amérique et le Japon, l’Angleterre et la France, la France et l’Italie, l’Allemagne et la France, etc. Mais ce qui estcertain, c’est que ces antagonismes touchent par un côté ou par l’autre à l’antagonisme fondamental entre l’Angleterre, dont l’étoile décline, et l’Amérique, dont l’astre suit une ligne ascendante.

    Quels peuvent être les effets de cet antagonisme fondamental ?

    Il est certain qu’il contient virtuellement la guerre. Quand deux géants se heurtent l’un contre l’autre et qu’ils se sentent à l’étroit sur la planète, ils cherchent à se mesurer l’un avec l’autre et à résoudre, au moyen de la guerre, la question litigieuse de la suprématie mondiale.

    Premier point à retenir.

    Le deuxième antagonisme existe entre l’impérialisme et les colonies.

    Cet antagonisme se manifestait déjà à l’époque du Ve congrès. Mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’il s’est particulièrement envenimé. A l’époque du Ve congrès, nous n’assistions pas encore à cette puissante extension du mouvement révolutionnaire chinois, à cette formidable secousse qui a réveillé des millions de travailleurs et paysans chinois, à laquelle nous avons assisté il y a un an et dont nous sommes aujourd’hui encore les témoins.

    Mais ce n’est pas tout. A l’époque du V congrès de l’Internationale communiste, il n’y avait pas aux Indes cette recrudescence vigoureuse du mouvement ouvrier et de la lutte d’affranchissement national que l’on observe de nos jours. Ces deux facteurs fondamentaux posent, dans toute sa plénitude, le problème des colonies et des pays assujettis.

    Qu’implique le développement de cet antagonisme ? Il implique des guerres nationales aux colonies et une intervention armée des puissances impérialistes.

    Deuxième point à retenir.

    Enfin, un troisième antagonisme, celui existant entre le monde capitaliste et l’U.R.S.S. et qui, loin de faiblir, se renforce. Si, àl’époque du Ve congrès de l’Internationale communiste, on était fondé à dire qu’un équilibre, incertain, il est vrai, mais plus ou moins durable, s’était établi entre les deux mondes, entre les deux antipodes, entre le inonde des Soviets et celui du capitalisme, — aujourd’hui, par contre, nous avons toutes les raisons d’affirmer que cet équilibre arrive à échéance.

    Est-il besoin de démontrer que le développement de cet antagonisme implique fatalement le danger d’une intervention.

    Il faut croire que le VIe congrès tiendra compte de ce facteur.

    Ainsi, tous ces antagonismes conduisent inéluctablement à un danger principal, — à celui de nouvelles guerres et interventions impérialistes.

    C’est pourquoi le danger de nouvelles guerres et interventions impérialistes constitue le problème fondamental de l’actualité.

    Le pacifisme moderne, avec sa Société des nations, sa propagande de la « paix », son « interdiction » de la guerre, son bavardage sur le « désarmement », etc., est le moyen le plus usité aujourd’hui, pour donner le change à la classe ouvrière et la détourner de la lutte contre le danger de guerre.

    Nombreux sont ceux qui s’imaginent que le pacifisme impérialiste est un instrument de paix. Cela est radicalement faux. Le pacifisme impérialiste sert à préparer la guerre et à voiler ses préparatifs au moyen de discours hypocrites sur la paix. Sans ce pacifisme et son instrument, la Société des nations, la préparation de la guerre est impossible dans l’état actuel des choses.

    Il est des naïfs pour croire que, puisqu’il existe un pacifisme impérialiste, il ne saurait y avoir de guerre. Cela est entièrement faux. Bien au contraire, quiconque veut aboutir à la vérité doit retourner cette thèse et dire : puisque fleurit le pacifisme impérialiste avec sa Société des nations, il y aura sûrement de nouvelles guerres et interventions impérialistes.

    Et le plus important dans ceci, c’est que la social-démocratie est le principal propagateur du pacifisme impérialiste et, par suite, le principal appui du capitalisme dans la classe ouvrière, pour la préparation de nouvelles guerres et interventions.

    Mais le pacifisme ne suffit pas à préparer de nouvelles guerres, même s’il est étayé d’une force aussi importante que la social-démocratie. Il lui faut encore certains moyens de répression des masses dans les centres de l’impérialisme. On ne saurait faire la guerre au profit de l’impérialisme, sans renforcer le front-arrière impérialiste. D’autre part, on ne saurait renforcer l’arrière sans juguler les ouvriers. Et c’est le rôle du fascisme.

    De là, le développement des contradictions intérieures dans les pays capitalistes, des antagonismes entre Travail et Capital.

    Prêcher, par la bouche des social­démocrates, le pacifisme afin de se préparer avec d’autant plus de succès à de nouvelles guerres ; et, d’autre part, réprimer, en recourant aux méthodes fascistes, les ouvriers, les partis communistes de l’arrière afin de pouvoir, plus aisément, faire la guerre et organiser une intervention, — telle est la voie de la préparation de nouvelles guerres.

    De là, les tâches des partis communistes se présentent comme suit : En premier lieu, lutter sans relâche contre le social-démocratisme sur toute la ligne, dans le domaine économique aussi bien que dans le domaine politique ; démasquer le pacifisme dans toutes ses manifestations à l’effet de conquérir la majorité de la classe ouvrière.

    En second lieu, créer le front unique des ouvriers des pays avancés et des masses laborieuses des colonies en vue de prévenir le danger de guerre ou, lorsque la guerre aura éclaté, transformer la guerre impérialiste en guerre civile, anéantir le fascisme, renverser lecapitalisme, instaurer le régime soviétique, affranchir les colonies, organiser la défense internationale de la première République du monde.

    Tels sont les principaux problèmes et objectifs qui se posent devant le VIe congrès.

    C’est de ces problèmes et objectifs que le Comité exécutif de l’I.C.

    s’inspire, comme on peut facilement s’en convaincre en regardant l’ordre du jour du VIe congrès de l’Internationale communiste.

    2. Le programme de l’Internationale communiste

    Le programme de l’Internationale communiste se trouve en connexion étroite avec les problèmes essentiels du mouvement ouvrier mondial.

    Le programme de l’Internationale communiste tire sa très grande valeur du fait qu’il formule scientifiquement les problèmes fondamentaux du mouvement communiste, trace les solutions essentielles de ces problèmes, et fait apparaître de la sorte devant les sections de l’Internationale toute la netteté des objectifs et des moyens, sans laquelle il est impossible d’assurer la marche en avant.

    Un mot sur les particularités du projet de programme de l’Internationale communiste, présenté par la commission du programme du C.E. de l’I.C. Ces particularités sont au nombre de sept au moins :

    1. Le projet offre un programme non pour l’une ou l’autre des sections de l’I.C, mais pour l’ensemble des partis communistes, il renferme ce qui leur est essentiel et commun à tous. De là son caractère théorique, de principe.

    2. Auparavant, on donnait d’ordinaire un programme aux nations « civilisées ». Or, le présent projet vise toutes les nations du monde,blancs et noirs, métropoles et colonies. De là son caractère universel, profondément international.

    3. Le projet prend pour point de départ non le capitalisme de tel ou tel pays ou partie du monde, mais le système capitaliste mondial tout entier, en lui opposant le système mondial d’économie communiste.

    C’est ce qui le distingue de tous les autres programmes que nous avons eus jusqu’à présent.

    4. Le projet part du point de vue du développement inégal du capitalisme mondial et conclut à la victoire possible du socialisme dans un ou plusieurs pays isolément, il préconise la formation de deux centres parallèles d’attraction — centre mondial du capitalisme et centre mondial du socialisme, tous deux en lutte pour la suprématie du monde.

    5. Au mot d’ordre « Etats-Unis d’Europe », le projet de programme oppose celui de la Fédération des Républiques soviétiques détachées, ou en train de se détacher, du système économique impérialiste et instituées dans les pays avancés ou dans les colonies, fédération qui, dans sa lutte pour le socialisme mondial, se dresse contre le système capitaliste mondial.

    6. Le projet s’aiguille contre la social-démocratie, appui principal du capitalisme au sein de la classe ouvrière, principal adversaire du communisme ; il estime que tous les autres courants se faisant jour au sein de la classe ouvrière (anarchisme, anarcho-syndicalisme, Guild Socialism, etc.) ne sont au fond que des variétés de ce même social-démocratisme.

    7. Le projet met au premier plan la nécessité de renforcer les partis communistes d’Occident et d’Orient, condition préliminaire indispensable pour assurer au prolétariat l’hégémonie d’abord, la dictature ensuite.

    Le Plénum du C.G. a approuvé, en substance, le projet et engagé lescamarades ayant des amendements à présenter, à les soumettre à la

    commission du programme du VIe congrès.

    Voilà pour les problèmes de l’Internationale communiste.

    Passons maintenant à ceux de notre édification nationale.

    II ­ Problèmes de l’édification socialiste en U.R.S.S.

    I. Sur la politique du stockage des blés

    Permettez-moi de vous en tracer un bref historique.

    A combien se montait notre stock au 1er janvier de cette année ? Vous savez par des documents du Parti qu’au 1er janvier nous avions un déficit de 128 millions de pouds de blé en comparaison avec l’année précédente.

    Je ne vais pas en analyser les causes ; elles sont exposées dans les documents connus que le Parti a publiés. Ce qui nous importe en ce moment, c’est de signaler le déficit de 128 millions que nous avions à l’époque. Deux ou trois mois seulement nous séparaient du dégel.

    Nous étions ainsi placés devant cette alternative : ou récupérer les pertes et arriver à réaliser un rythme normal des approvisionnements pour l’avenir, ou avouer l’imminence d’une crise sérieuse de l’ensemble de notre économie nationale.

    Que fallut-il entreprendre pour réparer nos pertes ?

    Il fallut avant tout frapper les koulaks et les spéculateurs, qui provoquaient la hausse des prix sur les céréales et mettaient le pays en péril de famine. Il fallut ensuite envoyer le maximum de marchandises industrielles dans les régions du blé. Il fallut enfin mettre sur pied toutes les organisations du Parti et modifier notre travail en matière d’approvisionnements, en renonçant pratiquement au système des livraisons volontaires.

    Force nous a été de recourir aux mesures extraordinaires. Il convientde dire que les mesures prises furent efficaces, et, fin mars, nous

    avions un stock de 275 millions de pouds de céréales. Nous avions rattrapé le temps perdu, prévenu une crise économique générale, atteint le niveau d’approvisionnement de l’année précédente et, en plus, nous eussions pu sortir indemnes de la crise des stockages si, dans les mois suivants (avril, mai, juin), nous avions gardé un rythme plus ou moins normal de stockage.

    Mais par suite de la perte des blés d’hiver l’Ukraine du Sud et le Caucase du Nord étaient, la première entièrement et le dernier partiellement rayés de la liste des régions productrices de blé, ce qui eut pour effet de priver la République de 20 à 30 millions de pouds de céréales.

    En outre, nous avions imprudemment dépensé plus de blé que nous ne devions le faire. Cet ensemble de circonstances nous plaça devant la nécessité de forcer les approvisionnements dans les autres rayons et de puiser aux fonds d’assurance des paysans, ce qui ne pouvait pas ne pas aggraver la situation.

    Si de janvier à mars nous avions réussi à stocker presque 300 millions de pouds, en puisant surtout aux réserves disponibles des paysans — d’avril à juin, par contre, nous n’avons pu recueillir même 100 millions de pouds, parce qu’obligés, pour nous approvisionner, d’entamer les réserves d’assurance des paysans — alors qu’on ne savait pas encore à quoi s’en tenir sur la prochaine récolte.

    Et cependant il fallait constituer les stocks de céréales. Aussi dûmes-nous recourir à nouveau aux mesures extraordinaires. Celles-ci engendrèrent l’arbitraire administratif, la violation de la légalité révolutionnaire, la visite des maisons paysannes, des perquisitions illégales, etc. — ce qui ne manqua pas d’aggraver la situation politique du pays et de mettre en péril l’alliance de la ville et de la campagne.

    Etait-ce bien la fin de l’alliance de la classe ouvrière et des paysans ? Non. Etait-ce peut-être une chose insignifiante ? Non plus. C’était une menace contre l’alliance de la classe ouvrière et des paysans.

    C’est la raison pour laquelle certains de nos militants manquèrent de sang­froid et de fermeté pour envisager la situation nouvelle, sainement et sans exagération.

    Plus tard, les conjonctures étant favorables pour la prochaine récolte, les mesures extraordinaires ayant été partiellement levées, le calme revint et la situation se rétablit.

    Quelle est la nature de nos difficultés sur le front des céréales ? Où en est la cause ? On sait que nous possédons des emblavures presque aussi grandes qu’avant la guerre (à 5 % près); que nous produisons aujourd’hui presque autant de céréales qu’avant la guerre (5 milliards environ, soit seulement à 200­300 millions de pouds près).

    Comment se fait-il que, malgré cela, nous produisons deux fois moins qu’avant la guerre de blé marchand ? Cela provient de l’état de dispersion, de la « parcellation » de notre économie rurale. Au lieu de 16 millions environ d’exploitations paysannes d’avant la guerre, nous en avons aujourd’hui au moins 24 millions ; en outre, le morcellement des terres paysannes n’a pas tendance à s’arrêter. Or, qu’est-ce que les petites exploitations paysannes ? Elles sont les moins marchandes, les moins productives et les plus primitives ; elles fournissent à peine de 12 à 15 % de leur production au marché.

    Cependant, les villes et les industries prennent chez nous une extension de plus en plus considérable, l’édification va croissant et la demande en blé marchand croît avec une rapidité incroyable.

    Telle est la cause de nos embarras sur le front des céréales.

    Voici ce qui dit à ce sujet Lénine dans sa brochure : Sur l’impôt alimentaire :Si l’économie paysanne peut se développer dans l’avenir, il est nécessaire de lui assurer solidement une transition ultérieure, transition qui consiste inéluctablement en ce que les petites exploitations paysannes, économies individuelles les moins avantageuses et les plus arriérées, doivent être peu à peu unifiées, groupées en grandes exploitations collectives.

    C’est ainsi qu’envisageaient la question tous les socialistes de toutes les époques. Tel est aussi le point de vue de notre parti communiste.

    Voilà donc la raison de nos difficultés sur le front des céréales.

    Où est la solution ?

    Elle consiste avant tout à relever la petite et la moyenne exploitation paysanne, en l’aidant par tous les moyens à accentuer son rendement et à augmenter sa récolte. Remplacer la charrue primitive par la charrue moderne, fournir des semences sélectionnées, des engrais, des instruments aratoires, englober les exploitations paysannes individuelles dans un vaste réseau de coopératives, conclure des contrats (de consignation) avec des villages entiers — voilà la tâche qui s’impose.

    Il est des contrats entre les coopératives rurales et des villages entiers, qui ont pour objectif d’approvisionner les paysans en semences, de contribuer ainsi à accroître le rendement de la terre, d’assurer à l’État la fourniture, en temps opportun, de blé par les paysans, d’accorder à ceux-ci des primes sous forme de versements complémentaires en dehors du prix convenu, et de créer des rapports stables entre l’État et les paysans. L’expérience montre que cette méthode donne des résultats effectifs.

    D’aucuns s’imaginent que l’économie individuelle a vécu, qu’elle ne mérite pas qu’on la soutienne. C’est faux. Ceux qui pensent ainsi n’ont rien de commun avec la ligne de notre parti. D’autres s’imaginent que l’économie paysanne individuelle est lecommencement et la fin de l’agriculture en général. C’est également faux. Bien plus : ces gens n’ont rien de commun avec le léninisme.

    Nous n’avons besoin ni de détracteurs ni de thuriféraires de l’économie paysanne individuelle. Il nous faut des hommes pourvus de sens réel de la politique capable tirer de l’économie paysanne individuelle le maximum de ce qu’elle peut donner, et de faire passer par étapes successives l’économie individuelle au système collectiviste.

    En outre, ce qui importe, c’est d’unifier graduellement les petites et les moyennes exploitations paysannes individuelles, de les grouper en grandes collectivités et associations, absolument libres et travaillant sur la base d’une technique perfectionnée — tracteurs et autres machines agricoles.

    Quel est l’avantage des fermes collectives ? C’est qu’elles ont le moyen d’utiliser toutes les acquisitions de la science et de la technique, sont plus consistantes, plus productives et fournissent davantage au marché. Il ne faut pas oublier qu’elles vendent de 30 à 35 % de leur production brute et que le rendement de la terre atteint parfois 200 pouds et plus par déciatine. [Déciatine : ancienne mesure russe équivalant à 1 h. 092.]

    La solution consiste enfin à perfectionner les vieilles fermes d’État (sovkhoz) et à en créer d’autres non moins importantes. Il faut se rappeler que les fermes d’État sont des unités économiques à production marchande considérable. Nous en avons qui fournissent au marché jusqu’à 60 % de leur production brute.

    Le tout est de bien savoir combiner ces trois tâches et de se mettre au travail dans ces trois directions.

    Ce qui caractérise la période actuelle, c’est que la réalisation de la première tâche, à savoir le relèvement de l’économie paysanne petite et moyenne, tâche qui est toujours au premier plan de notre travaildans le domaine agricole, ne suffit plus pour résoudre le problème dans son ensemble. La période que nous traversons a ceci de particulier qu’elle nous impose la nécessité de compléter la première tâche par deux autres tâches pratiques : le relèvement des fermes collectives et l’amélioration des fermes d’État.

    Mais en dehors des causes principales, il est des causes spécifiques, temporaires, qui ont fait aboutir nos difficultés d’approvisionnement à une crise. Quelles sont ces causes ?

    La résolution du Plénum y rattache les facteurs suivants : a) Déséquilibre apporté au marché et aggravation de ce déséquilibre, par suite de l’accroissement rapide de la demande et de la capacité d’achat de la population paysanne, comparativement à l’offre de marchandises industrielles. Ce déséquilibre provient de l’accroissement des revenus ruraux, dû à une série de récoltes, et surtout de l’augmentation des revenus réalisés par les couches rurales aisées et les koulaks.

    b) Rapport défavorable entre les prix du blé et ceux des autres produits agricoles, ce qui a eu pour effet d’affaiblir ce qui servait de stimulant à la réalisation des excédents de blé. Le Parti n’a pourtant pas réussi à modifier cet état de choses au cours du printemps dernier sans porter atteinte aux intérêts des couches rurales pauvres.

    c) Fautes commises dans la fixation des plans, surtout en ce qui concerne l’acheminement en temps opportun des marchandises industrielles et l’imposition fiscale (les couches aisées de la campagne étaient frappées d’un impôt insuffisant), ainsi que la consommation déréglée du blé.

    d) Défauts dans le travail des organismes de constitution des stocks, ceux de l’État et du Parti (absence de front unique, absence de vigueur dans l’action, confiance excessive dans les livraisons volontaires).

    e) Violation de la légalité révolutionnaire, arbitraire administratif, visite des maisons paysannes, fermeture partielle des marchés locaux, etc.

    f) Utilisation de toutes ces lacunes par les éléments capitalistes de la ville et de la campagne (les koulaks et les mercantis) en vue de compromettre la campagne du stockage et de provoquer une aggravation de la situation politique du pays.

    S’il faut de nombreuses années pour liquider les causes d’ordre général, par contre, les causes spécifiques temporaires peuvent être éliminées dès maintenant, afin de parer à l’éventualité d’une nouvelle crise dans le stockage des céréales.

    Dans quelles conditions ces causes spécifiques peuvent-elles être liquidées ?

    a) Abandon immédiat de la visite domiciliaire, des perquisitions illégales et de toutes autres formes de violation de la légalité révolutionnaire.

    b) Liquidation urgente de toute récidive de « réquisition alimentaire », ainsi que de toutes tentatives de fermeture des marchés. L’État doit adopter des formes souples de régularisation du commerce.

    c) Relèvement des prix du blé, qui varieront avec les régions et la nature des céréales.

    d) Organisation d’un acheminement régulier de marchandises vers les régions à blé.

    e) Organisation rationnelle de la consommation du blé, excluant tout excès de dépense.

    f) Constitution obligatoire par l’État d’une réserve de blé.

    L’application scrupuleuse et systématique de ces mesures, étant donné la bonne récolte actuelle, créera un état de choses excluant lanécessité de mesures extraordinaires lors de la prochaine campagne d’approvisionnement.

    La tâche immédiate du Parti est de surveiller l’application stricte de ces mesures.

    En connexion avec les difficultés d’approvisionnement, se pose devant nous la question de l’alliance de la ville et de la campagne, de son sort ultérieur, des moyens destinés à la consolider. On dit que cette union des ouvriers et des paysans n’existe plus chez nous, qu’elle a fait place à la « désunion ». Voilà bien une sottise digne de gens en pleine panique.

    Quand l’alliance fait défaut entre la classe ouvrière et les paysans, ces derniers perdent leur foi en l’avenir, se replient sur eux-mêmes, cessent de croire à la stabilité du gouvernement soviétique, principal acheteur de blé paysan, se mettent à réduire leurs emblavures et, tout au moins, ne se risquent pas à les agrandir, craignant de nouvelles visites domiciliaires, perquisitions, confiscation de leur blé, etc.

    Or, en réalité, on voit que la superficie des blés de printemps s’est élargie dans tous les rayons. Il est établi que dans les principales régions à blé, les paysans ont augmenté de 2 à 15 et jusqu’à 20 % leurs emblavures en blé de printemps.

    Il en résulte nettement que les paysans ne croient pas en la durée des mesures extraordinaires : ils escomptent, non sans raison, une hausse sur les blés. Est-ce là la fin de l’alliance de la ville et de la campagne ?

    Naturellement, cela ne veut point dire que cette alliance ne soit pas ou n’ait pas été menacée. Mais en conclure à la fin de cette alliance, c’est perdre la tête et se laisser impressionner par l’ambiance.

    Certains camarades s’imaginent que pour raffermir l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, il faut déplacer le centre de gravité de l’industrie lourde vers l’industrie légère (le textile)estimant que le textile est l’industrie maîtresse nécessaire et suffisante pour assurer cette alliance. C’est faux. C’est tout à fait faux.

    Certes, l’industrie textile contribue considérablement à créer une circulation de marchandises entre l’industrie socialiste et l’économie paysanne. Mais vouloir en conclure que le textile est une base suffisante pour entretenir cette alliance, c’est commettre une lourde erreur.

    En effet, l’alliance de l’industrie et de l’économie paysanne est basée, non seulement sur la cotonnade indispensable à l’usage personnel des paysans, mais aussi sur le métal, les semences, les engrais, les machines de toute espèce nécessaires au paysan en tant que producteur de blé. En outre l’industrie textile, par elle-même, ne saurait subsister ni se développer sans le développement de l’industrie lourde.

    L’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie nous est nécessaire, non pour conserver et perpétuer les classes, mais pour rapprocher les paysans de la classe ouvrière, les rééduquer, refaire leur mentalité individualiste, les transformer dans le sens du collectivisme, et préparer ainsi la liquidation, la suppression des classes sur la base de la société socialiste.

    Quiconque ne s’en rend pas compte n’est pas un marxiste, ni un léniniste, mais un philosophe paysan regardant en arrière au lieu de regarder en avant.

    Comment procéder pour transformer le paysan, pour le rééduquer ? Cela ne saurait se faire que sur la base de la technique moderne, sur celle du travail collectif.

    Voici ce qu’écrivait Lénine à ce sujet :La rééducation du petit cultivateur, le changement de toute sa psychologie et de ses mœurs durera plusieurs générations. Seules la base matérielle, la technique, l’application de tracteurs et de machines agricoles sur une vaste échelle, l’électrification en grand pourront résoudre le problème concernant le petit cultivateur, assainir, pour ainsi dire, sa psychologie. Voilà ce qui aiderait à rééduquer à fond et avec rapidité le petit cultivateur. (Lénine, Œuvres complètes, t. XXVI.)

    Aussi, quiconque croit pouvoir assurer l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie au moyen de l’industrie textile seule, sans tenir compte de la métallurgie et des machines susceptibles de transformer l’économie paysanne sur la base du travail collectif, perpétue les classes et s’avère non un révolutionnaire prolétarien, mais un philosophe paysan.

    Voici un autre passage emprunté aux œuvres de Lénine : Ce n’est que si nous parvenons à montrer dans la pratique aux paysans les avantages de l’exploitation agricole collective, sociale, par artels et associations ; ce n’est que si nous réussissons à apporter aux paysans une aide, en organisant des artels et associations pour cultiver la terre, — que la classe ouvrière exerçant le pouvoir pourra réellement démontrer aux paysans tout le bien fondé de sa tactique, gagner réellement à sa cause, solidement et pour de bon, les millions de paysans. (Lénine, Œuvres complètes, t. XXIV. Discours au Ier congrès des communes et artels agricoles.)

    C’est ainsi qu’on parvient à assurer, de façon effective et solide, la conquête des larges masses paysannes à la cause de la classe ouvrière, à celle du socialisme.

    On dit, parfois, que pour raffermir l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, nous n’avons qu’une seule ressource, celle des concessions à consentir aux paysans. Partant de ce point de vue, ons’engage parfois dans la voie des concessions continuelles, estimant que ces concessions sont susceptibles de consolider les positions de la classe ouvrière. Cela est inexact. Cela est absolument inexact.

    Cette théorie est plutôt susceptible de compromettre la situation de la classe ouvrière.

    C’est la théorie du désespoir. Pour renforcer l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, il faut utiliser, en plus des concessions, toute une série d’autres moyens d’ordre économique (points d’appui à la campagne : coopératives, collectivités agricoles et fermes d’État développées) et d’ordre politique (redoublement d’activité auprès des paysans pauvres, appui assuré de ces derniers).

    La paysannerie moyenne est une classe oscillante. Sans l’appui des paysans pauvres, et si le régime soviétique n’est pas solidement ancré dans les campagnes, la paysannerie moyenne peut passer aux côtés du koulak.

    Par contre, si le soutien de la paysannerie pauvre nous est assuré, il est certain que les paysans moyens s’orienteront vers le régime soviétique. C’est pourquoi la tâche immédiate du Parti consistera à faire une action systématique parmi les paysans pauvres, à les approvisionner en semences et en blé à bon compte.

    2. Formation de cadres pour l’édification industrielle

    Passons maintenant au problème de la formation de nouveaux cadres de techniciens intellectuels pour notre industrie.

    Je veux parler de nos embarras dans le domaine industriel, des difficultés révélées à propos du procès de Chakhti.

    Quelle déduction faut-il tirer de ce procès du point de vue de l’amélioration de l’industrie ? Le fait est que nous sommes presque désarmés et marquons un retard formidable pour pouvoir assurer à notre industrie un minimum de spécialistes dévoués à la cause prolétarienne.La leçon qui se dégage du procès de Chakhti, c’est qu’il faut accélérer la formation de nouveaux techniciens intellectuels pris au sein de la classe ouvrière, attachés à la cause du socialisme et capables d’exercer la direction technique de notre industrie socialiste.

    Est-ce à dire que nous répudions les spécialistes n’ayant pas une mentalité soviétique, qui ne partagent pas le point de vue communiste, mais acceptent de collaborer avec le régime soviétique.

    Non, évidemment. Nous nous évertuerons, par tous les moyens en notre pouvoir, à attirer, tout comme par le passé, les spécialistes et les techniciens sans parti, qui acceptent de marcher la main dans la main avec le régime soviétique, pour édifier notre industrie.

    Nous ne leur demandons nullement d’abjurer leurs conceptions, ou de les modifier séance tenante. Ce que nous leur demandons, c’est de collaborer honnêtement avec le gouvernement soviétique, dès le moment où ils s’y prêtent de leur propre initiative.

    Seulement, parmi les vieux spécialistes, le nombre de ceux qui acceptent de travailler la main dans la main avec le gouvernement soviétique diminue, relativement, de plus en plus. Il faut des hommes nouveaux pour les remplacer.

    C’est pourquoi le Parti estime que, si nous voulons nous mettre à l’abri de nouvelles surprises, il convient d’accélérer la formation de la nouvelle génération de spécialistes, recrutés dans la classe ouvrière. C’est ce que nous appelons former de nouveaux techniciens intellectuels susceptibles de faire face aux besoins de notre industrie.

    Les faits montrent que le commissariat du peuple à l’Instruction publique n’a pas su s’acquitter de cette tâche importante. Nous n’avons pas de raisons de supposer que ce commissariat, livré à lui-même, étant peu lié à la production industrielle, inerte et conservateur, saura s’acquitter de cette tâche dans un proche avenir.

    Aussi le Parti a-t-il été amené à conclure que le travail de formation accélérée de nouveaux techniciens intellectuels doit être partagé entre trois commissariats : le commissariat de l’Instruction publique, celui des Voies et Communications et le Conseil supérieur de l’économie nationale.

    Le Parti considère que c’est la solution la plus rationnelle susceptible d’assurer le rythme nécessaire au travail dans ce domaine important.

    Voilà la raison pour laquelle plusieurs écoles techniques supérieures seront placées sous les auspices du Conseil supérieur de l’économie nationale et du commissariat des Voies et Communications.

    Naturellement, en mettant les écoles techniques supérieures sous une autre direction, on n’aura pas tout fait pour accélérer la formation de nouveaux cadres de techniciens intellectuels. Certes, l’entretien des étudiants aux frais de l’État jouera ici un très grand rôle.

    Aussi, le gouvernement soviétique a-t-il décidé d’affecter à la formation de nouveaux cadres une somme proportionnée aux dépenses engagées dans les grands travaux d’édification industrielle et d’inscrire au budget annuel, à titre de supplément, 40 millions de roubles.

    III ­ Conclusion

    Il faut avouer, camarades, que nos erreurs et difficultés nous ont toujours été profitables. Jusqu’à présent, du moins, l’histoire nous a toujours instruit et a fortifié notre parti au milieu de difficultés et de crises de toute nature.

    C’est ce qui s’est produit en 1918 où, à la suite des difficultés sur le front oriental, des échecs subis dans la lutte contre Koltchak, nous avons été amenés à la nécessité de créer une infanterie régulière.

    C’est ce qui arriva encore en 1919 : des difficultés ayant surgi sur le front de Dénikine, et Mamontov ayant effectué un raid sur l’arrière de nos armées, nous fûmes amenés à former une forte cavalerie pour faire mordre la poussière aux ennemis de la classe ouvrière. Je crois qu’aujourd’hui la situation est sensiblement la même.

    Les difficultés d’approvisionnement nous seront d’un enseignement précieux. Elles secoueront les bolcheviks et les pousseront à s’atteler sérieusement à la besogne pour développer l’agriculture et, surtout, la production de céréales.

    Sans ces difficultés, les bolcheviks n’auraient évidemment pas envisagé avec tout le sérieux nécessaire le problème des céréales. Il faut en dire autant du procès de Chakhti et des difficultés qui s’y rattachent. Le procès nous aura apporté des leçons dont le Parti ne peut pas ne pas tenir compte. Elles nous incitent à poser dans toute son ampleur la question de la formation de nouveaux cadres de techniciens intellectuels capables de diriger notre industrie socialiste.

    Vous le voyez, du reste, nous avons franchi le premier pas sérieux pour résoudre le problème relatif aux techniciens intellectuels. Espérons que ce pas ne sera pas le dernier. (Ovation.)

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Questions de politique agraire

    DISCOURS PRONONCE A LA CONFERENCE DES MARXISTES SPECIALISTES DE LA QUESTION AGRAIRE, LE 27 DECEMBRE 1929

    Camarades, le fait essentiel de notre vie sociale et économique à l’heure présente, et qui retient l’attention générale, c’est la croissance prodigieuse du mouvement de collectivisation agricole.

    Le trait caractéristique de l’actuel mouvement de collectivisation agricole est que, non seulement des groupes isolés de paysans pauvres entrent dans les kolkhoz, comme cela s’est fait jusqu’ici, mais que les paysans moyens, dans leur grande masse, en ont également pris le chemin.

    C’est dire que le mouvement de collectivisation agricole, de mouvement de groupes et catégories de paysans travailleurs qu’il était, est devenu le mouvement de millions et de millions d’hommes, formant la masse essentielle de la paysannerie.

    C’est par là, entre autres, qu’il convient d’expliquer ce fait d’une importance capitale : le mouvement kolkhozien, ayant pris le caractère d’une avalanche anti­koulak toujours plus puissante, brise la classe des koulaks, balaie leur résistance et fraie la voie à un vaste mouvement de construction socialiste dans les campagnes.

    Mais si nous avons raison d’être fiers des succès pratiques del’édification socialiste, on ne saurait en dire autant des succès de notre travail théorique en ce qui touche l’économie en général, l’agriculture en particulier.

    Bien plus : il faut reconnaître que la pensée théorique ne va pas aussi vite que nos succès pratiques ; qu’il existe une certaine disproportion entre nos succès pratiques et le développement de la pensée théorique.

    Or, il est nécessaire que le travail théorique non seulement emboîte le pas au travail pratique, mais qu’il le devance et constitue une arme aux mains de nos praticiens dans leur lutte pour la victoire du socialisme.

    Je ne m’étendrai pas ici sur l’importance de la théorie. Elle vous est suffisamment connue. On sait que la théorie, si elle est vraiment la théorie, donne aux praticiens la force d’orientation, la clarté de perspective, l’assurance dans le travail, la foi en la victoire de notre cause. Tout cela a — et ne peut pas ne pas avoir — une énorme importance pour notre construction socialiste.

    Le malheur est que nous commençons à boiter dans ce domaine, précisément dans celui de l’étude théorique des problèmes de notre économie.

    Car autrement comment expliquer que chez nous, dans notre vie sociale et politique, aient encore libre cours diverses théories bourgeoises et petites­bourgeoises concernant notre économie ? Comment expliquer que ces théories et ces théoriettes ne rencontrent pas jusqu’ici la riposte qu’elles méritent ?

    Comment expliquer que l’on oublie certains principes fondamentaux de l’économie politique marxiste-léniniste, qui sont le plus sûr antidote contre les théories bourgeoises et petites-bourgeoises ;comment expliquer que ces principes ne soient pas popularisés dans notre presse, qu’ils ne soient pas placés au premier plan ?

    Est-il difficile de comprendre que, sans une lutte intransigeante contre les théories bourgeoises sur la base de la théorie marxiste-léniniste, il est impossible de remporter une victoire complète sur les ennemis de classe ?

    La nouvelle pratique fait que l’on envisage d’une façon nouvelle les problèmes économiques de la période de transition.

    C’est d’une manière nouvelle que l’on envisage maintenant la Nep, les classes, les rythmes de la construction, l’alliance de la ville et des campagnes, la politique du Parti.

    Pour ne pas retarder sur la pratique, il faut dès maintenant se mettre à l’étude de tous ces problèmes, du point de vue de la situation nouvelle. Sinon, il est impossible de triompher des théories bourgeoises qui encrassent le cerveau de nos praticiens. Sinon, il est impossible d’extirper ces théories qui ont acquis la solidité de préjugés. Car c’est seulement dans la lutte contre les préjugés bourgeois, sur le terrain théorique, que l’on peut renforcer les positions du marxisme-léninisme.

    Permettez-moi de faire la caractéristique de quelques-uns de ces préjugés bourgeois, appelés théories, et de montrer leur indigence en éclairant certaines questions capitales de notre œuvre de construction.

    LA THEORIE DE L’ «EQUILIBRE»

    Vous n’êtes pas sans savoir que la théorie dite de l’ «équilibre» des secteurs de notre économie nationale a cours jusqu’ici parmi les communistes. Cette théorie n’a évidemment rien de commun avec le marxisme.Cependant, elle est propagée par certains hommes du camp de la droite.

    Cette théorie suppose que nous avons d’abord un secteur socialiste, — une sorte de wagonnet — et que nous avons en outre un secteur non socialiste, capitaliste si vous voulez, — un autre wagonnet.

    Ces deux wagonnets posés sur des rails différents, glissent paisiblement en avant, sans se toucher. On sait, la géométrie nous le dit, que les lignes parallèles ne se rencontrent pas.

    Toutefois les auteurs de cette remarquable théorie pensent que ces parallèles se rencontreront un jour, et, qu’une fois la rencontre faite, nous aurons le socialisme.

    Au surplus, cette théorie perd de vue que, derrière ces «wagonnets», il y a des classes, et que le mouvement de ces «wagonnets» se fait au travers d’une lutte de classes acharnée, d’une lutte à mort, d’une lutte suivant le principe : «Qui l’emportera ? »

    Il n’est pas difficile de comprendre que cette théorie n’a rien de commun avec le léninisme. Il n’est pas difficile de comprendre que cette théorie, objectivement, a pour but de sauvegarder les positions de l’économie paysanne individuelle, de fournir aux éléments koulaks une «nouvelle» arme théorique dans leur lutte contre les kolkhoz, et de discréditer les positions de ces derniers.

    Cependant cette théorie a cours, jusqu’ici, dans notre presse.

    Et l’on ne saurait dire qu’elle rencontre une riposte sérieuse, encore moins une riposte foudroyante de la part de nos théoriciens. Car, comment expliquer cette incohérence sinon par le retard de notre pensée théorique ?

    Or, il suffirait de tirer du trésor marxiste la théorie de la reproduction et de l’opposer à la théorie de l’équilibre des secteurs,pour que de cette théorie il ne restât pas trace.

    En effet, la théorie marxiste de la reproduction enseigne que la société contemporaine ne peut se développer sans accumuler d’année en année, et qu’il est impossible d’accumuler sans une reproduction élargie d’une année à l’autre. Voilà qui est clair.

    Notre grande industrie socialiste centralisée se développe selon la théorie marxiste de la reproduction élargie, puisque, chaque année, elle augmente de volume, elle accumule, et elle avance à pas de géant. Mais notre grande industrie, ce n’est pas encore toute notre économie nationale. Au contraire, dans notre économie nationale domine encore, jusqu’ici, la petite économie paysanne.

    Peut-on dire que notre petite économie paysanne se développe selon le principe de la reproduction élargie ? Non, on ne saurait le dire.

    Notre petite économie paysanne non seulement ne réalise pas, dans sa masse, une reproduction élargie chaque année, mais, au contraire, elle ne peut pas toujours réaliser même la reproduction simple.

    Peut-on encore faire progresser, à une allure accélérée, notre industrie socialisée, avec une base agricole telle que la petite économie paysanne, incapable de reproduction élargie et qui représente la force prédominante dans notre économie nationale ? Non.

    Peut-on, pendant une période de temps plus ou moins longue, faire reposer le pouvoir des Soviets et l’édification socialiste sur deux bases différentes — la base de la plus grande industrie socialiste unifiée et la base de l’économie paysanne à petite production marchande, la plus morcelée et la plus arriérée ? Non.

    Cela doit finir un jour par l’effondrement de l’économie nationale tout entière. Où donc est l’issue ? Il faut agrandir les exploitationsagricoles, les rendre capables d’accumulation, de reproduction élargie, et transformer ainsi la base agricole de l’économie nationale.

    Mais comment les agrandir ?

    Pour cela il existe deux voies. La voie capitaliste : agrandir les exploitations agricoles en y établissant le capitalisme, voie conduisant à l’appauvrissement de la paysannerie et au développement des entreprises capitalistes dans l’agriculture. Cette voie, nous la répudions comme incompatible avec l’économie soviétique.

    Il existe une autre voie, la voie socialiste ; établir les kolkhoz et les sovkhoz dans l’agriculture, voie conduisant à grouper les petites exploitations paysannes en de grandes exploitations collectives, armées de la technique et de la science, et à évincer de l’agriculture les éléments capitalistes. Nous sommes pour cette deuxième voie.

    La question se pose ainsi : ou l’une ou l’autre voie ; ou en arrière, vers le capitalisme, ou en avant vers le socialisme.

    Il n’existe et il ne peut exister de troisième voie. La théorie de l’ «équilibre» est une tentative de tracer une troisième voie. Et c’est précisément parce qu’elle table sur une troisième voie (inexistante), qu’elle est utopique, antimarxiste.

    Ainsi, il suffirait d’opposer la théorie de la reproduction de Marx à la théorie de l’ «équilibre» des secteurs, pour qu’il ne restât pas trace de cette dernière théorie.

    Pourquoi donc nos marxistes spécialistes de la question agraire ne le font-ils pas ?

    Qui a besoin que la théorie ridicule de l’ «équilibre» ait cours dans notre presse, et que la théorie marxiste de la reproduction reste enfouie dans les tiroirs ?

    LA THEORIE DE LA «SPONTANEITE»
    DANS LA CONSTRUCTION SOCIALISTE

    Passons au deuxième préjugé en matière d’économie politique, à la deuxième théorie de type bourgeois.

    J’entends la théorie de la «spontanéité» dans la construction socialiste, théorie qui n’a rien de commun avec le marxisme, mais que, dans le camp de droite on prêche avec zèle. Les auteurs de cette théorie soutiennent à peu près ce qui suit : Nous avions le capitalisme, l’industrie se développait sur la base capitaliste, et la campagne suivait la ville capitaliste d’elle-même, spontanément, se transformant à l’image et à la ressemblance de la ville capitaliste.

    Si les choses allaient ainsi sous le capitalisme, pourquoi ne peut-il pas en être de même dans l’économie soviétique ?

    Pourquoi la campagne, la petite économie paysanne ne peut-elle pas suivre spontanément la ville socialiste et se transformer d’elle-même à l’image et à la ressemblance de cette dernière ? Les auteurs de cette théorie soutiennent donc que la campagne peut suivre la ville socialiste d’une façon spontanée.

    D’où la question de savoir s’il vaut la peine que nous nous dépensions à former des sovkhoz et des kolkhoz, que nous rompions des lances à ce sujet, si de toute façon la campagne doit suivre la ville socialiste.

    Voilà encore une théorie ayant objectivement pour but de mettre une arme nouvelle entre les mains des éléments capitalistes de la campagne, dans leur lutte contre les kolkhoz. L’essence antimarxiste de cette théorie est absolument incontestable.

    N’est-il pas étrange que nos théoriciens n’aient pas encore pris le temps de mettre en pièces cette singulière théorie, qui encrasse lecerveau de nos praticiens des kolkhoz ? Il est certain que le rôle directeur de la ville socialiste à l’égard de la campagne petite-paysanne, est grand, inappréciable. C’est là-dessus justement que se base le rôle transformateur de l’industrie à l’égard de l’agriculture.

    Mais ce facteur est-il suffisant pour que la campagne petite-paysanne suive d’elle-même la ville dans la construction socialiste ? Non, il n’est pas suffisant. Sous le capitalisme, la campagne suivait spontanément la ville parce que l’économie capitaliste de la ville et l’économie à petite production marchande du paysan sont, quant au fond, des économies du même type.

    Evidemment, la petite économie paysanne à production marchande, ce n’est pas encore l’économie capitaliste. Mais elle est, quant au fond, du même type que l’économie capitaliste, parce qu’elle repose sur la propriété privée des moyens de production.

    Lénine a mille fois raison quand, dans ses notes au sujet du livre de Boukharine, l’Economie de la période de transition, il parle de la «tendance de la paysannerie à la production marchande capitaliste» opposée à la tendance socialiste du prolétariat.

    C’est ce qui explique que la «petite production engendre le capitalisme et la bourgeoisie constamment, chaque jour, à chaque heure, d’une manière spontanée et dans de vastes proportions» (Lénine).

    Peut-on dire, par conséquent, que l’économie paysanne à petite production marchande soit, au fond, du même type que la production socialiste de la ville ?

    Il est évident qu’on ne saurait le dire sans rompre avec le marxisme. Autrement, Lénine n’aurait pas dit que «tant que nous vivons dans un pays, de petits paysans, il existe en Russie, pour le capitalisme, une base économique plus solide que pour le communisme».

    Par conséquent, la théorie de la spontanéité en matière de construction socialiste est une théorie pourrie, anti-léniniste.

    Par conséquent, pour que la campagne petite-paysanne suive la ville socialiste, il est nécessaire, en plus de tout le reste, d’établir dans les villages, comme base du socialisme, de grandes exploitations socialistes, sovkhoz et kolkhoz, susceptibles d’entraîner, sous la conduite de la ville socialiste, les masses essentielles de la paysannerie.

    La chose est claire. La théorie de la «spontanéité» dans la construction socialiste est une théorie antimarxiste.

    La ville socialiste doit entraîner derrière elle la campagne petite-paysanne, en établissant kolkhoz et sovkhoz à la campagne et en transformant cette dernière selon un mode nouveau, socialiste.

    Il est singulier que la théorie antimarxiste de la «spontanéité» dans la construction socialiste ne rencontre pas jusqu’ici la riposte qui s’impose de la part de nos théoriciens de la question agraire.

    LA THEORIE DE LA «STABILITE» DE LA PETITE ECONOMIE PAYSANNE

    Passons au troisième préjugé en matière d’économie politique, à la théorie de la «stabilité» de la petite économie paysanne. Tout le monde connaît les objections formulées par l’économie politique bourgeoise contre la fameuse thèse marxiste, relative à l’avantage de la grosse exploitation sur la petite, thèse qui, paraît-il, ne vaut que pour l’industrie, et ne saurait s’appliquer à l’agriculture.

    Les théoriciens social-démocrates genre David et Hertz, qui prêchent cette théorie, ont tenté de s’«appuyer» sur le fait que le petit paysan est endurant, patient, prêt à subir n’importe quelle privation pour garder son lopin de terre ; que pour cette raison la petite économie paysanne fait preuve de stabilité dans sa lutte contre la grosse exploitation agricole. Il n’est pas difficile de comprendre qu’une telle «stabilité» est pire que tout instabilité.

    Il n’est pas difficile de comprendre que cette théorie antimarxiste n’a qu’un but : exalter et consolider le régime capitaliste. Et c’est précisément parce qu’elle poursuit ce but, que les marxistes ont pu si facilement battre cette théorie.

    Mais la question n’est pas là, maintenant. La question est que notre pratique, notre réalité fournit des arguments nouveaux contre cette théorie ; or, nos théoriciens, chose étrange, ne veulent pas ou ne peuvent pas se servir de cette nouvelle arme contre les ennemis de la classe ouvrière.

    J’entends : l’abolition de la propriété privée de la terre, la nationalisation de la terre chez nous, pratique qui affranchit le petit paysan de son attachement servile à son lopin de terre et facilite, par là, le passage de la petite exploitation paysanne à la grosse exploitation collective.

    En effet, qu’est-ce qui attachait, attache et continuera d’attacher le petit paysan d’Europe occidentale à sa petite économie marchande ? D’abord surtout, son lopin de terre, la propriété privée du sol.

    Il a amassé de l’argent durant des années pour acheter un lopin de terre ; celui-ci une fois acheté, il ne veut évidemment pas s’en séparer, il préfère endurer des privations de toute sorte, vivre comme un sauvage pourvu qu’il garde son lopin de terre, base de son économie individuelle.

    Peut-on dire que ce facteur, tel quel, continue d’agir chez nous, dans les conditions du régime soviétique ? Non évidemment. Evidemment non, car la propriété privée de la terre n’existe pas chez nous.

    Et c’est pour cette raison précisément que notre paysan n’a pas cet attachement servile pour la terre, que l’on voit en Occident. Et cette circonstance ne peut pas ne pas faciliter le passage de la petite économie paysanne dans la voie des kolkhoz.

    C’est là une des raisons pour lesquelles chez nous, avec la nationalisation de la terre, les grandes exploitations à la campagne, les kolkhoz, prouvent si facilement leur supériorité sur la petite exploitation paysanne.

    C’est là la grande portée révolutionnaire des lois agraires soviétiques, qui ont supprimé la rente absolue, aboli la propriété privée de la terre et établi la nationalisation du sol.

    Il s’ensuit donc que nous disposons d’un nouvel argument contre les économistes bourgeois, qui proclament la stabilité de la petite exploitation paysanne dans sa lutte contre la grande exploitation.

    Pourquoi donc ce nouvel argument n’est-il pas suffisamment utilisé par nos théoriciens de la question agraire, dans leur lutte contre les théories bourgeoises de toute sorte ?

    En procédant à la nationalisation de la terre, nous nous sommes basés, entre autres, sur les développements théoriques que l’on trouve dans le tome III du Capital, au livre bien connu de Marx sur les Théories de la plus-value, et dans les ouvrages agraires de Lénine, ce richissime trésor de la pensée théorique. J’entends la théorie de la rente foncière en général, la théorie de la rente foncière absolue, en particulier.

    Maintenant, il est clair pour tout le monde que les thèses théoriques de ces ouvrages ont été brillamment confirmées par la pratique de notre édification socialiste, à la ville et à la campagne.

    Seulement, on ne comprend pas pourquoi les théories antiscientifiques d’économistes «soviétiques» du type Tchaïanov, doivent avoir libre cours dans nos publications, tandis que les œuvres géniales de Marx-Engels-Lénine sur la théorie de la rente foncière et de la rente foncière absolue ne doivent pas être popularisées et mises au premier plan, mais rester enfouies dans les tiroirs.

    Vous vous souvenez sans doute de la brochure bien connue d’Engels sur la Question paysanne. Vous vous rappelez assurément avec quelle circonspection Engels envisage la question de savoir comment amener les petits paysans dans la voie de l’association agricole, de l’économie collective. Permettez-moi de citer ce passage :

    Nous sommes résolument du côté du petit paysan ; nous ferons tout le possible pour lui rendre la vie plus supportable, pour lui faciliter le passage à l’association s’il s’y décide ; mais au cas où il ne serait pas encore en état de prendre cette décision, nous nous efforcerons de lui donner le plus de temps possible pour qu’il y réfléchisse sur son lopin de terre.

    Vous voyez avec quelle circonspection Engels envisage la question de savoir comment amener l’économie paysanne individuelle dans la voie du collectivisme. Comment expliquer cette circonspection, exagérée à première vue, d’Engels ?

    Sur quoi se basait-il en l’occurrence ? Evidemment, sur la propriété privée du sol, sur le fait que le paysan possède «son lopin» de terre dont il lui sera difficile de se séparer. Telle est la paysannerie en Occident.

    Telle est la paysannerie des pays capitalistes, où existe la propriété privée du sol. On conçoit qu’une grande circonspection y soit nécessaire. Peut-on dire que la situation soit la même chez nous, en U.R.S.S. ? Non.

    On ne saurait le dire, parce que nous n’avons pas cette propriété privée du sol qui rive le paysan à son exploitation individuelle.

    On ne saurait le dire, parce que chez nous la terre est nationalisée, ce qui facilite le passage du paysan individuel dans la voie du collectivisme.

    C’est là une des raisons de la facilité et de la rapidité relatives avec lesquelles se développe chez nous, ces derniers temps, le mouvement kolkhozien.

    Il est regrettable que nos théoriciens de la question agraire n’aient pas encore essayé de montrer, avec toute la clarté voulue, cette différence entre la situation du paysan chez nous et en Occident.

    Pourtant un ouvrage de ce genre serait d’une très grande importance non seulement pour nous, militants soviétiques, mais aussi pour les communistes de tous les pays.

    En effet, pour la révolution prolétarienne dans les pays capitalistes il n’est pas indifférent de savoir s’il faudra, dès les premiers jours de la prise du pouvoir par le prolétariat, édifier le socialisme sur la base de la nationalisation de la terre, ou sans cette base.

    Dans mon article récemment paru, «L’année du grand tournant», j’ai développé certains arguments relatifs à la supériorité de la grande exploitation agricole sur la petite ; je parlais des grands sovkhoz.

    Inutile de démontrer que tous ces arguments sont aussi valables, entièrement et sans réserve pour les kolkhoz, comme grandes unités économiques.

    Je parle non seulement des kolkhoz développés, pourvus d’une base de machines et de tracteurs, mais aussi des kolkhoz primitifs, représentant pour ainsi dire la période manufacturière de la construction des kolkhoz, et dont la base est formée par le matériel agricole du paysan. Je veux parler de ces kolkhoz primitifs qui se constituent de nos jours dans les régions de collectivisationintégrale, et s’appuient sur la simple mise en commun des instruments de production des paysans.

    Prenons, par exemple, les kolkhoz du rayon de Khoper, dans l’ancienne région du Don. Ces kolkhoz, au point de vue de la technique, ne diffèrent pas, semble-t-il, de la petite économie paysanne (ils ont peu de machines, peu de tracteurs).

    Et pourtant, la simple mise en commun des instruments paysans, au sein des kolkhoz, a eu un résultat dont nos praticiens n’osaient pas même rêver. Quel a été ce résultat ?

    C’est que l’adoption du système des kolkhoz a donné une extension de 30, 40 et 50 % de la surface ensemencée. Comment expliquer ce résultat «vertigineux» ?

    C’est que les paysans, impuissants dans les conditions du travail individuel, sont devenus une force prodigieuse, quand ils ont mis en commun leurs instruments et se sont groupés dans les kolkhoz.

    C’est que les paysans ont pu faire valoir les terres vierges ou abandonnées, qui se laissent difficilement cultiver dans les conditions du travail individuel.

    C’est que les paysans ont pu prendre en main les terres vierges. C’est qu’il est devenu possible de mettre en valeur les terrains vagues, les parcelles isolées, les lisières des champs, etc., etc.

    La culture des terres vierges ou abandonnées a une importance énorme pour notre agriculture. Vous savez que le pivot du mouvement révolutionnaire, dans la Russie d’autrefois, était la question agraire. Vous savez que l’un des objets du mouvement agraire était de remédier à la pénurie de terre.

    Beaucoup croyaient alors que cette pénurie était absolue, c’est-à-dire qu’il n’y avait plus en U.R.S.S de terres vacantes, susceptibles d’être cultivées.

    Or, quelle était la situation de fait ? Aujourd’hui, il est clair pour tous qu’il y avait et qu’il reste encore en U.R.S.S des dizaines de millions d’hectares de terres vacantes. Mais le paysan était dans l’impossibilité absolue de les travailler avec ses misérables instruments.

    Et précisément parce qu’il ne pouvait pas travailler les terres vierges ou abandonnées, il recherchait les «terres douces», celles qui appartenaient aux grands propriétaires fonciers, les terres commodes à cultiver avec le matériel paysan, sous le régime du travail individuel.

    Voilà d’où venait la «pénurie de terre». Aussi n’est-il pas étonnant que notre Trust des céréales puisse aujourd’hui mettre en valeur une vingtaine de millions d’hectares de terres disponibles, non occupées par les paysans et ne pouvant être cultivées par les méthodes du travail individuel, avec le matériel du petit paysan.

    L’importance du mouvement kolkhozien dans toutes ses phases — dans sa phase primitive comme dans sa phase plus évoluée, alors qu’il est pourvu de tracteurs, — c’est que les paysans peuvent aujourd’hui mettre en valeur les terres vierges ou abandonnées.

    C’est là le secret de l’extension prodigieuse des surfaces ensemencées, lorsque les paysans passent au travail collectif. C’est là une des raisons de la supériorité des kolkhoz sur l’économie paysanne individuelle.

    Inutile de dire que la supériorité des kolkhoz sur l’économie paysanne individuelle deviendra encore plus incontestable, lorsque les kolkhoz primitifs, dans les régions de collectivisation intégrale, seront secondés par nos stations et colonnes de machines et de tracteurs ; lorsque les kolkhoz eux-mêmes pourront concentrer dans leurs mains tracteurs et moissonneuses-batteuses.

    IV ­ LA VILLE ET LA CAMPAGNE

    Il existe au sujet de ce qu’on appelle les «ciseaux» un préjugé cultivé par les économistes bourgeois, et auquel il faut déclarer une guerre sans merci, comme du reste à toutes les autres théories bourgeoises malheureusement répandues dans la presse soviétique.

    J’ai en vue la théorie qui prétend que la Révolution d’Octobre a moins donné à la paysannerie que la révolution de Février ; que la Révolution d’Octobre n’a, à proprement parler, rien donné à la paysannerie.

    Ce préjugé, un économiste «soviétique» l’a fait mousser à un moment donné dans notre presse.

    Il est vrai que cet économiste «soviétique», a, par la suite, renoncé à sa théorie. (Une voix : «Qui est-ce ?») C’est Groman.

    Mais cette théorie a été reprise par l’opposition trotskiste-zinoviéviste et exploitée contre le Parti. Et il n’y a aucune raison d’affirmer qu’elle n’ait pas cours, aujourd’hui encore, dans les milieux «soviétiques».

    C’est là une question très importante, camarades.

    Elle touche au problème des rapports entre la ville et la campagne.

    Elle touche au problème de la suppression du contraste entre la ville et la campagne. Elle touche à un problème d’actualité intense, à celui des «ciseaux». C’est pourquoi je pense qu’il vaut la peine de s’occuper de cette étrange théorie.

    Est-il vrai que les paysans n’aient rien reçu de la Révolution d’Octobre ? Voyons les faits.

    J’ai en main le tableau bien connu du statisticien bien connu, le camarade Nemtchinov, tableau reproduit dans mon article «Sur le front du blé».De ce tableau il ressort qu’avant le Révolution les grands propriétaires fonciers ne «produisaient» pas moins de 600 millions de pouds de grains. C’est donc que les grands propriétaires fonciers détenaient à l’époque 600 millions de pouds de blé.

    Les koulaks «produisaient» alors 1.900 millions de pouds de blé.

    C’était une très grande force dont disposaient les koulaks à l’époque.

    Les paysans pauvres et moyens produisaient 2.500 millions de pouds de blé. Tel était le tableau de la situation dans les campagnes d’avant la Révolution d’Octobre.

    Quels changements sont intervenus dans les campagnes après Octobre ? J’emprunte les chiffres au même tableau. Prenons par exemple l’année 1927. Combien les grands propriétaires fonciers ont-ils produit cette année-là ?

    Il est clair qu’ils n’ont rien produit et ne pouvaient rien produire, les propriétaires fonciers ayant été supprimés par la Révolution d’Octobre. Vous comprendrez que c’était là un grand soulagement pour la paysannerie, puisqu’elle était affranchie du joug des grands propriétaires fonciers.

    C’est là évidemment ‘un gain considérable que la paysannerie a reçu de la Révolution d’Octobre. Combien les koulaks ont-ils produit en 1927 ? 600 millions de pouds de blé au lieu de 1.900 millions. C’est donc qu’après la Révolution d’Octobre les koulaks sont devenus trois fois plus faibles, et même plus faibles encore.

    Vous comprendrez que cela ne pouvait manquer d’alléger la situation des paysans pauvres et moyens. Et combien les paysan pauvres et moyens ont-ils produit en 1927 ? 4 milliards de pouds au lieu de 2.500 millions. C’est donc qu’après la Révolution d’Octobre les paysans pauvres et moyens produisent 1,5 milliard de pouds de plus qu’avant la Révolution.

    Voilà des faits témoignant du gain colossal que les paysans pauvres et moyens ont reçu de la Révolution d’Octobre.Voilà ce que la Révolution d’Octobre a donné aux paysans pauvres et moyens.

    Comment peut-on affirmer après cela que la Révolution d’Octobre n’a rien donné aux paysans ?

    Ce n’est pas tout, camarades. La Révolution d’Octobre a supprimé la propriété privée du sol, elle a supprimé les Opérations d’achat et de vente sur la terre, elle a procédé à la nationalisation du sol.

    Qu’est-ce à dire ? C’est que le paysan, pour produire du blé, n’a nul besoin d’acheter de la terre. Autrefois il amassait l’argent durant des années, il s’endettait, se laissait asservir à seule fin d’acheter de la terre.

    Les frais d’achat pesaient, évidemment, sur le coût de la production du blé. Aujourd’hui cette nécessité ne s’impose plus au paysan. Il peut produire le blé sans acheter de la terre. Cela allège-t-il, oui ou non, le sort du paysan ? Evidemment oui.

    Poursuivons. Jusqu’à ces derniers temps le paysan était obligé de gratter la terre avec un vieux matériel, sous le régime du travail individuel. Tout le monde sait que le travail individuel, pourvu de vieux instruments de production, aujourd’hui inutilisables, ne fournit pas au paysan le gain nécessaire pour vivre convenablement, améliorer constamment sa situation matérielle, développer sa culture et s’engager sur la grande route de la construction socialiste.

    Maintenant que le mouvement kolkhozien a pris un développement intense, les paysans peuvent unir leur travail à celui de leurs voisins, se grouper en kolkhoz, défricher les terres vierges, exploiter les terres abandonnées, recevoir des machines et des tracteurs, et doubler sinon tripler la productivité de leur travail.

    Qu’est-ce à dire ? C’est que les paysans aujourd’hui ont la possibilité, étant groupés dans les kolkhoz, de produire beaucoup plus qu’auparavant, en dépensant la même somme de travail. Cela signifie, par conséquent, que la production du blé revient à bien meilleur marché que jusqu’à ces derniers temps. Cela signifie enfin que, si les prix sont stabilisés, le paysan peut toucher pour son blé beaucoup plus qu’il n’a touché jusqu’ici.

    Comment peut-on affirmer après cela que la paysannerie n’a rien gagné à la Révolution d’Octobre ?

    N’est-il pas clair que les gens qui annoncent cette absurdité calomnient manifestement le Parti, le pouvoir des Soviets ? Mais que résulte-t-il de tout cela ?

    Il en résulte que la question des «ciseaux», de la suppression des «ciseaux», doit être posée maintenant d’une façon nouvelle. Il en résulte que, si le mouvement kolkhozien se développe au rythme actuel, les «ciseaux» seront supprimés dans un proche avenir.

    Il en résulte que la question des rapports entre la ville et la campagne se pose sur un terrain nouveau ; que le contraste entre la ville et la campagne s’effacera à un rythme accéléré.

    Cette circonstance, camarades, a une importance très grande pour toute notre édification. Elle transforme la mentalité du paysan et le fait se tourner face à la ville.

    Elle crée les conditions nécessaires pour supprimer le contraste entre la ville et la campagne ; pour que le mot d’ordre du Parti : «Face à la campagne» soit complété par le mot d’ordre des paysans-kolkhoziens : «Face à la ville».

    Et il n’y a là rien d’étonnant, puisque le paysan reçoit aujourd’hui dela ville les machines, les tracteurs, les agronomes, les organisateurs,

    enfin une aide directe pour combattre et vaincre les koulaks. Le vieux type de paysan, avec sa méfiance farouche de la ville qu’il tenait pour une pillarde, recule à l’arrière-plan.

    C’est le paysan nouveau qui le remplace, le paysan-kolkhozien, qui regarde la ville avec l’espoir d’en recevoir une aide réelle dans la production.

    Le vieux type de paysan, qui craint de tomber au niveau du paysan pauvre et ne s’élève que furtivement à la situation de koulak (car on peut le priver du droit électoral !), est remplacé par le paysan nouveau, ayant une perspective nouvelle : adhérer au kolkhoz et se tirer de la misère pour s’engager sur la grande route de l’essor économique.

    Voilà le tour que prennent les choses, camarades.

    Il est d’autant plus fâcheux, camarades, que nos théoriciens de la question agraire niaient pas pris toutes les mesures nécessaires pour démolir et extirper les théories bourgeoises de toute sorte, tendant à discréditer les conquêtes Ide la Révolution d’Octobre et le mouvement croissant des kolkhoz.

    DE LA NATURE DES KOLKHOZ

    Les kolkhoz, comme type d’économie, sont une des formes de l’économie sociaJiste. Il ne saurait y avoir aucun doute là-dessus.

    Un des orateurs a pris la parole ici pour discréditer les kolkhoz. Il a assuré qu’en tant qu’organisations économiques, les kolkhoz n’avaient rien de commun avec la forme socialiste de l’économie.

    Je dois déclarer, camarades, qu’une telle caractéristique des kolkhozest absolument fausse. Il est hors de doute que cette caractéristique

    n’a rien de commun avec le léninisme.

    Qu’est-ce qui détermine le type de l’économie ? Evidemment, ce sont les rapports des hommes dans le processus de production. Par quel autre moyen, en effet, peut-on déterminer le type de l’économie ? Mais existe-t-il dans le kolkhoz une classe d’hommes possesseurs des moyens de production, et une classe d’hommes privés de ces moyens de production ?

    Existe-t-il dans le kolkhoz une classe d’exploiteurs et une classe d’exploités ? Est-ce que le kolkhoz ne représente pas la collectivisation des principaux instruments de production, et cela sur une terre qui appartient à l’État ?

    Quelle raison y a-t-il d’affirmer que les kolkhoz, comme type d’économie, ne représentent pas une des formes de l’économie socialiste ?

    Certes, il y a des contradictions dans les kolkhoz. Certes, il s’y manifeste des survivances individualistes et même koulaks, qui n’ont pas encore disparu, mais qui doivent nécessairement disparaître à la longue, au fur et à mesure de l’affermissement des kolkhoz, au fur et à mesure de leur mécanisation.

    Mais peut-on nier que les kolkhoz pris dans l’ensemble, avec leurs contradictions et leurs défauts, les kolkhoz comme fait économique, représentent au fond une nouvelle voie de développement de la campagne, celle de son développement socialiste, à l’opposé de la voie du développement koulak, capitaliste ?

    Peut-on nier que les kolkhoz (je parle des kolkhoz, et non des pseudo-kolkhoz) représentent dans nos conditions la base et le foyer de l’édification socialiste à la campagne, formés en des combats acharnés contre les éléments capitalistes ?N’est-il pas clair que les tentatives faites par certains camarades pour discréditer les kolkhoz et les proclamer forme bourgeoise de l’économie, sont dénuées de tout fondement ?

    En 1923 nous n’avions pas encore de mouvement kolkhozien de masse. Dans sa brochure De la coopération Lénine avait en vue toutes les formes de coopération, les formes inférieures (coopératives de consommation et de vente) comme les formes supérieures (kolkhoz).

    Que disait-il alors de la coopération, des entreprises coopératives ? Voici un des passages de la brochure de Lénine :

    Dans notre régime actuel les entreprises coopératives se distinguent des entreprises capitalistes privées, comme entreprises collectives, mais elles ne se distinguent pas des entreprises socialistes, si la terre où elles sont bâties et les moyens de production appartiennent à l’État, c’est-à-dire à la classe ouvrière, (t. XXVII, p. 396, éd. Russe.)

    Ainsi Lénine envisage les entreprises coopératives non en elles-mêmes, mais en liaison avec notre régime existant, en liaison avec le fait qu’elles fonctionnent sur une terre appartenant à l’État, dans un pays où les moyens de production appartiennent à l’État, et, les considérant de la sorte, Lénine affirme que les entreprises coopératives ne se distinguent pas des entreprises socialistes.

    Voilà ce que Lénine dit des entreprises coopératives, en général.

    N’est-il pas clair qu’on peut, avec plus de raison encore, en dire autant des kolkhoz de la période où nous sommes ? Et c’est ce qui explique, entre autres, que Lénine considère la «simple croissance de la coopération», dans nos conditions, comme «identique à la croissance du socialisme».Vous voyez qu’en discréditant les kolkhoz, l’orateur dont j’ai parlé a commis une erreur très grave contre le léninisme.

    De cette erreur découle son autre erreur : au sujet de la lutte de classes dans les kolkhoz. L’orateur a fait une peinture si vive de la lutte de classes dans les kolkhoz, qu’on pourrait croire que cette lutte ne se distingue pas de celle qui se livre en dehors des kolkhoz.

    Bien plus, on pourrait croire qu’elle y devient encore plus acharnée.

    D’ailleurs, l’orateur mentionné n’est pas seul à pécher dans cette question.

    Le bavardage sur la lutte de classes, les glapissements et piailleries sur la lutte de classes dans les kolkhoz, constituent maintenant le trait caractéristique de tous nos braillards de «gauche».

    Mais le plus comique dans ces piailleries, c’est que les piailleurs «voient» la lutte de classes là où elle n’existe pas ou presque pas et ne la voient pas là où elle existe, où elle déferle.

    Y a-t-il des éléments de lutte de classes dans les kolkhoz ? Oui. Il ne peut pas ne pas y en avoir, si des survivances de la mentalité individualiste, voire koulak, y subsistent encore ; s’il y subsiste une certaine inégalité.

    Peut-on dire que la lutte de classes dans les kolkhoz soit identique à la lutte de classes en dehors des kolkhoz ?

    Non, on ne saurait le dire. L’erreur de nos phraseurs de «gauche» est précisément de ne pas voir cette différence.

    Que signifie la lutte de classes en dehors des kolkhoz, avant la formation des kolkhoz ?

    Cela signifie la lutte contre le koulak qui possède les instruments etmoyens de production, et asservit les paysans pauvres à l’aide de ces

    instruments et moyens de production.

    Cette lutte est une lutte à mort. Et que signifie la lutte de classes sur la base des kolkhoz ? Cela signifie d’abord que le koulak est battu et privé des instruments et moyens de production. Cela signifie en second lieu que les paysans pauvres et moyens sont unis dans les kolkhoz sur la base de la collectivisation des principaux instruments et moyens de production.

    Cela signifie, enfin, qu’il s’agit d’une lutte entre membres de kolkhoz, dont les uns ne se sont pas encore libérés des survivances individualistes et koulaks, et cherchent à tirer avantage d’une certaine inégalité dans les kolkhoz, tandis que les autres veulent en chasser ces survivances et cette inégalité.

    N’est-il pas clair que seuls des aveugles peuvent ne pas voir la différence entre la lutte de classes sur la base des kolkhoz et la lutte de classes en dehors des kolkhoz ?

    Ce serait une erreur de croire que s’il y a kolkhoz, il y a tout ce qui est nécessaire pour la construction du socialisme. Ce serait une erreur encore plus grande de croire que les membres des kolkhoz soient déjà devenus des socialistes.

    Non, il faudra encore travailler beaucoup pour refaire le paysan-kolkhozien, pour corriger sa mentalité individualiste et en faire un vrai travailleur de la société socialiste. Et l’on y arrivera d’autant plus vite que les kolkhoz seront plus vite pourvus de machines et de tracteurs. Mais cela ne diminue en rien l’importance considérable des kolkhoz comme levier de la transformation socialiste des campagnes.

    La grande importance des kolkhoz, c’est précisément qu’ils sont une base essentielle pour l’emploi des machines et des tracteurs dans l’agriculture, qu’ils sont la base essentielle pour la refonte du paysan, pour la transformation de sa mentalité dans le sens du socialisme prolétarien. Lénine avait raison quand il disait :

    La transformation du petit cultivateur, de toute sa mentalité et de ses habitudes est une chose qui réclame des générations entières. Résoudre cette question à l’égard du petit cultivateur, assainir pour ainsi dire toute sa mentalité, seules peuvent le faire une base matérielle, la technique, l’emploi — sur une vaste échelle — de tracteurs et de machines dans l’agriculture, l’électrification réalisée dans de vastes proportions. («Rapport sur l’impôt en nature au Xe congrès du P. C. (b) R., t. XXVI, p. 239, éd. Russe.)

    Peut-on nier que les kolkhoz soient précisément la forme d’économie socialiste qui, seule, peut permettre à des millions de petits paysans d’accéder aux machines et aux tracteurs, leviers de l’essor économique, leviers du développement socialiste de l’agriculture ? Tout cela nos phraseurs de «gauche»­ l’ont oublié.

    Notre orateur l’a oublié de même.

    VI ­ LES CHANGEMENTS DANS LES RAPPORTS DE CLASSES ET LE TOURNANT OPERE DANS LA POLITIQUE DU PARTI

    Enfin, en ce qui concerne les changements intervenus dans les rapports de classes et l’offensive du socialisme contre les éléments capitalistes de la campagne.

    Notre travail, au cours de la dernière année, a ceci de caractéristique que, comme Parti, comme pouvoir des Soviets, a) nous avons déployé l’offensive sur tout le front contre les éléments capitalistes de la campagne, et que b) cette offensive a donné et donne encore,on le sait, des résultats positifs, très tangibles.

    Qu’est-ce à dire ? C’est que de la politique de limitation des tendances exploiteuses du koulak nous avons passé à la politique de liquidation du koulak comme classe. C’est que nous avons opéré et continuons d’opérer un tournant décisif dans toute notre politique.

    Jusqu’à ces derniers temps, le Parti s’en est tenu à la limitation des tendances exploiteuses du koulak. Cette politique, on le sait, avait été proclamée dès le VIIIe congrès. Cette même politique fut affirmée à nouveau, lors de l’institution de la Nep, ainsi qu’au XIe congrès de notre Parti.

    Tout le monde se souvient de la lettre adressée par Lénine à Préobrajenski (1922), dans laquelle il revenait à la nécessité de pratiquer justement une telle politique. Celle-ci fut enfin confirmée par le XVe congrès de notre Parti. Et c’est cette politique que nous avons pratiquée jusqu’à ces derniers temps.

    Etait-elle juste, cette politique ? Oui, elle l’était incontestablement.

    Pouvions-nous, il y a quelque cinq ou trois ans, entreprendre cette offensive contre le koulak ?

    Pouvions-nous alors escompter le succès d’une telle offensive ? Non.

    C’eût été verser dans le plus dangereux esprit d’aventure. C’eût été jouer le plus dangereusement à l’offensive.

    Car ici nous nous serions enferrés à coup sûr et, ce faisant, nous aurions affermi les positions du koulak.

    Pourquoi ?

    Parce que nous n’avions pas encore dans les campagnes ces points d’appui que sont les nombreux sovkhoz et kolkhoz, sur lesquels nouseussions pu nous baser pour engager une offensive résolue contre le koulak. Parce que nous n’avions pas à ce moment la possibilité de remplacer la production capitaliste du koulak par la production socialiste des kolkhoz et des sovkhoz.

    En 1926-1927, l’opposition zinoviéviste-trotskiste s’efforçait d’imposer au Parti une politique d’offensive immédiate contre le koulak. Le Parti ne s’est pas jeté dans cette dangereuse aventure, sachant que les gens sérieux ne peuvent se permettre de jouer à l’offensive.

    L’offensive contre le koulak est chose sérieuse. Il ne faudrait pas la confondre avec les déclamations contre le koulak. Il ne faudrait pas non plus la confondre avec la politique de coups d’ongle contre le koulak, que l’opposition zinoviéviste-trotskiste s’efforçait d’imposer au Parti. Mener l’offensive contre le koulak, c’est le briser et le liquider comme classe.

    En dehors de ces buts, l’offensive n’est que déclamation, coups d’ongle, vain bavardage, tout ce qu’on voudra, sauf une véritable offensive bolchevique. Mener l’offensive contre le koulak, c’est se préparer à l’action et frapper le koulak, mais frapper de façon qu’il ne puisse plus se remettre sur ses pieds. C’est ce que nous appelons, nous bolcheviks, une véritable offensive.

    Pouvions-nous, il y a quelque cinq ou trois ans, entreprendre une telle offensive et escompter le succès ? Non, nous ne le pouvions pas.

    En effet, le koulak produisait en 1927 plus de 600 millions de pouds de blé, et, sur ce total, il en livrait environ 130 millions au marché, en dehors de ce qui était vendu à la campagne même.

    Force assez sérieuse, dont il était impossible de ne pas tenir compte.

    Et combien produisaient alors nos kolkhoz et sovkhoz ? Environ 80millions de pouds, dont près de 35 millions étaient jetés sur le marché (blé marchand).

    Jugez vous-mêmes si nous pouvions alors remplacer la production et le blé marchand du koulak par la production et le blé marchand des kolkhoz et sovkhoz ? Il est clair que nous ne le pouvions pas.

    Que signifie dans ces conditions entreprendre une offensive résolue contre le koulak ? C’est s’enferrer à coup sûr, renforcer les positions des koulaks et rester sans blé. Voilà pourquoi nous ne pouvions ni ne devions entreprendre à ce moment l’offensive contre le koulak, en dépit des déclamations des aventuriers de l’opposition zinoviéviste-trotskiste.

    Et maintenant ? Où en sont les choses ? Maintenant, nous avons une base matérielle suffisante pour frapper le koulak, briser sa résistance, le liquider comme classe et remplacer sa production par celle des kolkhoz et des sovkhoz.

    On sait qu’en 1929 la production de blé dans les kolkhoz et les sovkhoz n’a pas été inférieure à 400 millions de pouds (soit 200 millions de pouds de moins que la production globale de l’économie koulak en 1927). On sait ensuite qu’en 1929 les kolkhoz et les sovkhoz ont fourni plus de 130 millions de pouds de blé marchand (c’est-à-dire plus que le koulak n’en avait fourni en 1927).

    On sait enfin qu’en 1930 la production globale des kolkhoz et des sovkhoz ne sera pas inférieure à 900 millions de pouds (c’est-à-dire qu’elle dépassera la production globale du koulak en 1927), et la quantité de blé qu’ils livreront sur le marché atteindra au moins 400 millions de pouds (c’est-à-dire infiniment plus que n’en avait livré le koulak en 1927).

    Voilà, camarades, où en sont les choses aujourd’hui. Voilà le changement qui s’est fait dans l’économie du pays. Voilà le changement qui s’est opéré, ces derniers temps, dans le rapport des forces de classes.Nous disposons maintenant, comme vous le voyez, d’une base matérielle pour remplacer la production du koulak par celle des kolkhoz et des sovkhoz.

    Voilà pourquoi notre offensive contre le koulak se poursuit maintenant avec un succès indéniable. Voilà comment il faut marcher contre le koulak, si l’on veut vraiment marcher contre lui et non pas se borner à de stériles déclamations contre les koulaks.

    Voilà pourquoi, ces derniers temps, nous avons passé de la politique de limitation des tendances exploiteuses du koulak à la politique de liquidation du koulak comme classe.

    Et comment faire avec la politique de dépossession du koulak ? La politique de dépossession du koulak est-elle admissible dans les régions de collectivisation intégrale ? Demande-t-on de différents côtés. Question ridicule !

    On ne pouvait admettre la dépossession du koulak aussi longtemps que nous nous en tenions au point de vue de la limitation des tendances exploiteuses du koulak, aussi longtemps que nous ne pouvions passer résolument à l’offensive contre les koulaks, aussi longtemps que nous ne pouvions remplacer la production des koulaks par celle des kolkhoz et des sovkhoz.

    Alors, la politique qui n’admettait pas la dépossession du koulak était nécessaire et juste. Et maintenant ? Maintenant c’est une autre affaire.

    Nous avons la possibilité d’engager aujourd’hui une offensive résolue contre le koulak, de briser sa résistance, de le liquider comme classe et de remplacer sa production par celle des kolkhoz et des sovkhoz.

    Maintenant, la dépossession du koulak est faite par les masses mêmes de paysans pauvres et moyens, qui réalisent la collectivisation intégrale.

    Maintenant, la dépossession du koulak dans les régions de collectivisation intégrale n’est plus une simple mesure administrative. La dépossession du koulak y est partie constitutive de la formation et du développement des kolkhoz. Voilà pourquoi il est ridicule et peu sérieux de s’étendre aujourd’hui sur la dépossession du koulak. Une fois la tête tranchée, on ne pleure pas après les cheveux.

    Non moins ridicule paraît cette autre question : Peut-on admettre le koulak dans le kolkhoz ? Non, évidemment. On ne le peut pas, car il est ennemi juré du mouvement kolkhozien. C’est clair, je pense.

    VII ­ CONCLUSIONS

    Voilà, camarades, six questions capitales auxquelles nos marxistes spécialistes de la question agraire ne sauraient passer outre dans leur travail théorique.

    L’importance de ces questions, c’est d’abord que leur étude marxiste permet d’extirper les théories bourgeoises de toute sorte qui, parfois, à notre honte, sont propagées par nos camarades communistes, et qui encrassent le cerveau de nos praticiens.

    Or, il y a longtemps qu’on aurait dû extirper ces théories et les rejeter loin de nous. Car ce n’est qu’en livrant une lutte sans merci à ces théories, que peut grandir et se fortifier la pensée théorique des marxistes spécialistes de la question agraire.

    L’importance de ces questions, enfin, c’est qu’elles font apparaître sous un nouvel aspect les vieux problèmes de l’économie en période de transition.Maintenant la question de la Nep, des classes, des kolkhoz, de l’économie en période de transition, se pose d’une manière nouvelle.

    Il faut dénoncer l’erreur de ceux qui conçoivent la Nep comme un recul et seulement comme un recul.

    En réalité, lors même de l’institution de la Nep, Lénine disait que celle-ci n’était pas simplement un recul, qu’elle préparait en même temps une nouvelle offensive résolue contre les éléments capitalistes de la ville et des campagnes.

    Il faut dénoncer l’erreur de ceux qui croient que la Nep est nécessaire simplement pour assurer la liaison entre la ville et les campagnes.

    Ce qu’il nous faut, ce n’est pas une liaison quelconque entre la ville et les campagnes ; c’est une liaison assurant la victoire du socialisme.

    Et si nous nous en tenons à la Nep, c’est parce qu’elle sert la cause du socialisme. Dès qu’elle cessera de servir la cause du socialisme, nous la rejetterons au diable. Lénine disait que la Nep était instituée pour de bon et pour longtemps. Mais il n’a jamais dit qu’elle était instituée pour toujours.

    Il faut également envisager la popularisation de la théorie marxiste de la reproduction. Il faut étudier les questions relatives à l’établissement d’un schéma de balance de notre économie nationale.

    Ce que la Direction centrale de la statistique a publié en 1926 comme balance de l’économie nationale, n’en est pas une ; c’est une jonglerie de chiffres.

    La façon dont Bazarov et Groman traitent les problèmes de la balance de l’économie nationale ne convient pas non plus. Ce sont les marxistes révolutionnaires qui doivent élaborer un schéma de balance de l’économie nationale de l’U.R.S.S., si tant est qu’ils veuillent étudier les problèmes de l’économie de la période de transition.

    Il serait bon que nos économistes marxistes confient à un groupe spécial l’étude des problèmes de l’économie de la période de transition, tels qu’ils se posent de nos jours.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Le Parti social-démocrate de Russie et ses tâches immédiates

    La Brdzola [la Lutte], n°2-3, novembre-décembre 1901.
    Article non signé.
    Traduit du géorgien.

    I

    La pensée humaine a dû passer par bien des épreuves, des tourments et des vicissitudes avant d’aboutir au socialisme fondé et élaboré sur une base scientifique.

    Les socialistes de l’Europe occidentale ont dû très longtemps errer à l’aveuglette dans le désert du socialisme utopique (chimérique, irréalisable) avant de se frayer un chemin, d’analyser et de dégager les lois de la vie sociale et, par suite, de conclure à la nécessité du socialisme pour l’humanité.

    Depuis le début du siècle dernier, l’Europe a donné nombre de chercheurs scientifiques honnêtes, courageux, remplis d’abnégation, qui ses sont efforcés d’élucider et de résoudre ce problème : comment sauver l’humanité du fléau qui grandit et s’aggrave sans arrêt à mesure que se développent le commerce et l’industrie ?

    Bien des tempêtes, bien des torrents de sang ont déferlé sur l’Europe occidentale pour abolir l’oppression de la majorité par la minorité, mais le mal subsistait, les plaies demeuraient aussi vives et les souffrances se faisaient chaque jour plus intolérables.

    Il faut voir l’une des principales raisons de cette situation dans le fait que le socialisme utopique n’expliquait pas les lois de la vie sociale ; il planait au-dessus de la vie, se perdait dans l’empyrée, alors qu’il fallait de solides attaches avec le réel.

    Les socialistes utopiques se proposaient de réaliser le socialisme dans l’immédiat, alors que la vie n’offrait aucune base à sa réalisation : et, chose plus affligeante encore par ses conséquences, les utopistes attendaient la réalisation du socialisme des puissants de ce monde, qui devaient, d’après eux, facilement se convaincre de la justesse de l’idéal socialiste (Robert Owen, Louis Blanc, Fourier et d’autres).

    Cette conception perdait complètement de vue le mouvement ouvrier réel et la masse ouvrière, seul représentant naturel de l’idéal socialiste. Les utopistes ne pouvaient le comprendre. Ils voulaient créer le bonheur sur la terre à coups de lois de proclamations, sans l’aide du peuple lui-même (des ouvriers). Ils n’accordaient pas d’attention particulière au mouvement ouvrier, et souvent même ils en niaient l’importance.

    Aussi leurs théories restaient-elles des théories ; elles ne faisaient que passer à côté de la masse ouvrière, au sein de la quelle mûrissait, tout à fait indépendamment de ces théories, la grande idée annoncée au milieu du siècle dernier par la bouche de ce génie que fut Karl Marx : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes… Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

    Ces paroles ont rendu claire cette vérité, maintenant évidente même pour des « aveugles » : l’idéal socialiste ne peut se réaliser que par l’action propre des ouvriers et leur union en une force organisée, indépendamment de la nationalité et du pays.

    Il fallait démontrer cette vérité, comme l’ont magnifiquement fait Marx et son ami Engels, afin de donner une base solide au puissant Parti social-démocrate qui, aujourd’hui, tel un destin inexorable, se dresse au-dessus du régime bourgeois en Europe , en menaçant de l’anéantir pour édifier sur ses décombres le régime socialiste.

    Le développement de l’idée socialiste en Russie a suivi à peu près la même voie qu’en Europe occidentale.

    En Russie également, les socialistes ont dû longtemps errer à l’aveuglette avant d’aboutir à la conscience social-démocrate, au socialisme scientifique. Ici aussi, il y avait des socialistes, il y avait un mouvement ouvrier, mais ils suivaient des voies indépendantes, chacun allant de son côté : les socialistes, vers un rêve utopique (« Terre et liberté », « la Volonté du peuple »), le mouvement ouvrier vers des révoltes spontanées.

    Tous deux luttaient à la même époque (1870-1890), mais s’ignoraient. Les socialistes n’avaient pas de base dans la population laborieuse ; aussi leur action restait-elle abstraite, sans fondement. Les ouvriers, eux, manquaient de dirigeants, d’organisateurs ; aussi, leur mouvement aboutissait-il à des révoltes désordonnées.

    C’est là la raison essentielle pour laquelle la lutte héroïque des socialistes pour le socialisme est demeurée stérile et leur courage légendaire s’est brisé contre les murs solides de l’autocratie. Les socialistes russes ne se sont rapprochés de la masse ouvrière que depuis 1890. Ils ont vu que le salut ne pouvait venir que de la classe ouvrière, et que seule, elle réaliserait l’idéal socialiste.

    Dès lors, la social-démocratie russe a concentré tous ses efforts et toute son attention sur le mouvement qui se produisait , à cette époque, parmi les ouvriers russes. Encore insuffisamment conscient et non préparé à la lutte, l’ouvrier russe s’efforçait de sortir petit à petit de sa situation désespérée et d’améliorer quelque peu son sort. il n’existait évidemment pas alors, au sein de ce mouvement, un travail d’organisation ordonné : le mouvement était spontané.

    Et voilà que la social-démocratie s’est chargée de guider ce mouvement inconscient, spontané, inorganisé.

    Elle s’est efforcée de développer la conscience des ouvriers, de coordonner la lutte éparse, décousue, qu’engageaient différents groupes isolés d’ouvriers contre des patrons isolés, de les fondre dans une lutte de classe commune afin que cette lutte fût celle de la classe ouvrière russe contre la classe des oppresseurs de la Russie, en s’attachant à conférer à cette lutte un caractère organisé.

    Au début, la social-démocratie ne pouvait étendre son activité au sein de la masse ouvrière : aussi se contentait-elle d’agir dans des cercles de propagande et d’agitation. L’étude dans les cercles constituait alors sa seule forme d’activité.

    Ces cercles avaient pour objet de créer parmi les ouvriers eux-mêmes un groupe capable de diriger par la suite le mouvement. Aussi étaient-ils composés d’ouvriers avancés : une élite ouvrière avait seule la possibilité d’y étudier.

    Mais la période des cercles prit rapidement fin. La social-démocratie ressentit bientôt le besoin de ce cadre étroit et d’étendre son influence aux larges masses ouvrières. Les conditions extérieures s’y prêtaient également. A cette époque, le mouvement spontané s’était particulièrement développé parmi les ouvriers.

    Qui de vous ne se souvient de l’année où ce mouvement spontané s’étendit à Tiflis presque tout entier ? Des grèves non organisées se succédaient dans les manufactures de tabac et les ateliers de chemins de fer.

    Cela se passait chez nous en 1897et en 1898 ; en Russie, un peu plus tôt. Il fallait venir à la rescousse en temps opportun ; c’est ce que fit la social-démocratie. La lutte commença pour la diminution de la journée de travail, pour la suppression des amendes, pour l’augmentation des salaires, etc.

    La social-démocratie savait très bien que le mouvement ouvrier dans son développement ne se limitait pas à ces menues revendications, qu’elles n’étaient pas le but du mouvement, mais seulement un moyen d’atteindre le but.

    Sans doute, ces revendications étaient minimes ; sans doute, les ouvriers des diverses villes et régions luttaient alors séparément ; mais cette lutte même leur apprenait que la victoire totale ne sera remportée que le jour où la classe ouvrière tout entière constituée en force unique, puissante, organisée, livrera assaut à son ennemi.

    Cette lutte leur montrait également qu’en dehors de leur ennemi direct, le capitaliste, ils en ont un autre, encore plus vigilant : la force organisée de toute la classe bourgeoise, l’Etat capitaliste actuel, avec son armée, ses tribunaux, sa police, ses prisons, sa gendarmerie.

    Si, même en Europe occidentale, là où les droits de l’homme sont déjà conquis, l’ouvrier doit engager une lutte directe contre le pouvoir, l’ouvrier de Russie, à plus forte raison, est contraint à se heurter, dans son mouvement, au pouvoir autocratique, cet ennemi toujours en éveil de tout mouvement ouvrier, non seulement parce que ce pouvoir défend les capitalistes, mais aussi parce que, en sa qualité de pouvoir autocratique, il ne peut admettre aucune activité propre des classes sociales, et surtout d’une classe comme la classe ouvrière, plus opprimée et plus accablée que les autres.

    C’est ainsi que la social-démocratie de Russie concevait la marche du mouvement, et elle consacrait tous ses efforts à diffuser ces idées parmi les ouvriers. Là résidait sa force, et c’est ce qui explique son grand et triomphal développement. dés le premier jour, comme on l’a vu par la grève grandiose des ouvriers du textile de 1896 à Pétersbourg.

    Mais les premières victoires ont désorienté quelques esprits faibles et leur ont tourné la tête. Si jadis les socialistes utopiques ne prenaient en considération que le but final et, aveuglés par lui, ne remarquaient aucunement ou niaient le mouvement ouvrier réel qui se développait sous leurs yeux, certains social-démocrates russes, en revanche, ne prêtaient uniquement attention qu’au mouvement ouvrier spontané, à ses besoins quotidiens.

    La conscience de classe des ouvriers russes étaient alors (il y a cinq ans) très faible. L’ouvrier russe sortait à peine de sa torpeur séculaire et ses yeux, habitués aux ténèbres, ne remarquaient évidemment pas tout ce qui se passait devant lui. Il n’avait pas de grands besoins et ses revendications étaient minimes.

    Il n’allait pas encore au delà d’une insignifiante augmentation de son salaires ou d’une diminution de ses heures de travail. Quant à la nécessité de changer le régime existant, de supprimer la propriété privée, d’organiser un régime socialiste, la masse des ouvriers russe n’en avait pas même l’idée.

    Elle n’osait guère non plus envisager la suppression de l’esclavage dans lequel tout le peuple russe végète sous le régime autocratique, ni la liberté du peuple, ni sa participation à l’administration de l’Etat.

    Et tandis qu’une partie de la social-démocratie russe considérait de son devoir d’introduire dans le mouvement ouvrier ses idées socialistes, l’autre partie, toute à la lutte économique, à la lutte pour une amélioration partielle de la situation des ouvriers (par exemple, une diminution des heures de travail et une augmentation des salaires), était prête à oublier totalement son grand devoir, ses grands idéals.

    A l’instar de leurs congénères d’Europe occidentale (ceux qu’on appelle les bernsteiniens), ils disaient : « Pour nous, le mouvement est tout, le but final n’est rien ». Ce pour quoi la classe ouvrière lutte, ne les intéressait aucunement ; il suffisait qu’elle luttât. Une politique à la petite semaine s’instaurait.

    On en arriva un beau jour à ce que la Rabotchaïa Mysl (1), journal de Pétersbourg, déclara : « Notre programme politique, c’est la journée de 10 heures, le rétablissement des jours fériés abolis par la loi du 2 juin (2) »(!!!) (3)

    Au lieu de guider le mouvement spontané, d’introduire dans la masse l’idéal social-démocrate et de l’orienter vers notre but final, cette partie de la social-démocratie russe est devenue un instrument aveugle du mouvement ; elle a suivi aveuglément la fraction des ouvriers insuffisamment développés et s’est bornée à formuler les besoins, les nécessités, dont la masse ouvrière avait déjà pris conscience. En un mot, elle restait devant une porte ouverte et frappait sans oser entrer dans la maison.

    Elle s’est montrée incapable d’expliquer à la masse ouvrière son but final : le socialisme, ou même, au moins, son but immédiat : le renversement de l’autocratie ; le plus triste, c’est qu’elle considérait tout cela comme inutile et même nuisible.

    Elle regardait l’ouvrier russe comme un enfant et craignait de l’effrayer avec des idées aussi hardies. Bien plus, selon une fraction de la social-démocratie, le socialisme ne nécessite aucune lutte révolutionnaire ; ce qu’il faut, c’est uniquement une lutte économique : des grèves et des syndicats, des coopératives de consommation et de production, — et voilà le socialisme tout prêt.

    Elle tenait pour erronée la théorie de l’ancienne social-démocratie internationale d’après laquelle, aussi longtemps que le pouvoir politique ne passe pas entre les mains du prolétariat (dictature du prolétariat), la transformation du régime existant est impossible, et impossible l’affranchissement total des ouvriers.

    A l’en croire, le socialisme par lui-même n’offre rien de nouveau et, à proprement parler, ne diffère pas du système capitaliste existant : le socialisme s’y intégrera facilement ; chaque syndicat, et même chaque boutique de coopérative ou chaque société de production, est déjà, d’après ces gens là, « un fragment de socialisme ».

    Et c’est avec ce stupide ravaudage de vieux habits, qu’ils pensaient confectionner un vêtement neuf pour l’humanité souffrante !

    Mais la chose la plus triste et par elle-même incompréhensible pour des révolutionnaires, c’est que cette partie de la social-démocratie russe a élargi l’enseignement de ses maîtres occidentaux (Bernstein et consorts) au point de déclarer cyniquement : la liberté politique (le droit de grève, la liberté d’association, la liberté de parole, etc…) est compatible avec le tsarisme ; une lutte politique spéciale, une lutte pour le renversement de l’autocratie, est donc absolument superflue ; car pour atteindre le but, il suffit que les grèves soient plus fréquentes, en dépit de l’interdiction des autorités ; celles-ci se lasseront alors de châtier les grévistes ; le droit de grève et la liberté de réunion viendront d’eux-mêmes.

    Ainsi ces soi-disant « social-démocrates » s’attachaient à démontrer que l’ouvrier russe ne devait consacrer tout son effort, toute son énergie qu’à la lutte économique, sans poursuivre de « vastes idéals ». Dans la pratique, leur action s’inspirait de l’idée que leur devoir était de se borner à un travail local dans telle ou telle ville.

    L’organisation d’un parti ouvrier social-démocrate de Russie ne présentait aucun intérêt : au contraire, l’organisation d’un parti leur apparaissait comme un jeu comique et puéril, qui les détournait de leur « devoir » direct : la lutte économique. La grève, et encore la grève, la collecte de gros sous pour le fonds de lutte, tel était l’alpha et l’oméga de leur activité.

       On pensera certainement que puisque ces adorateurs du « mouvement » spontané avaient tellement rétréci leurs tâches, puisqu’ils avaient renoncé aux idées de la social-démocratie, ils faisaient du moins beaucoup pour ce mouvement.

    Mais là encore une déception nous attend. L’histoire du mouvement à Pétersbourg nous en convainc. Son brillant développement et ses progrès audacieux à l’origine, en 1895-1897, ont fait place par la suite à d’aveugles tâtonnements et, en fin de compte, le mouvement est arrivé à un point mort.

    A cela, rien d’étonnant : tous les efforts des « économistes » pour créer une solide organisation en vue de la lutte économique se sont invariablement heurtés au mur épais du pouvoir, contre lequel ils se sont toujours brisés.

    Les terribles conditions policières excluaient toute possibilité d’avoir des organisations économiques quelconques. les grèves ne servaient à rien, car sur 100 grèves, 99 étaient étouffées dans l’étau de la police ; les ouvriers étaient impitoyablement expulsés de Pétersbourg, les murs des prisons et les glaces de la Sibérie les vidaient implacablement de leur énergie révolutionnaire.

    Nous sommes profondément convaincus que les conditions extérieures, policières, ne sont pas seules responsables du retard (évidemment tout relatif) du mouvement ; la faute en incombe tout autant à un retard dans le progrès des idées elles-mêmes, de la conscience de classe, — d’où l’affaiblissement de l’énergie révolutionnaire des ouvriers.

    Tandis que leur mouvement se développait, les ouvriers restaient incapables de comprendre pleinement les buts élevés et le sens profond de leur lutte, le drapeau sous lequel devait lutter l’ouvrier russe n’étant qu’un vieux chiffon défraîchi avec son mot d’ordre mesquin de lutte économique ; c’est pourquoi les ouvriers devaient nécessairement apporter à cette lutte moins d’énergie, moins d’entrain, moins d’aspirations révolutionnaires : une grande énergie ne naît que pour un grand but.

    Mais le danger qui de ce fait menaçait le mouvement aurait été plus grand encore si les conditions mêmes de notre vie n’avaient poussé obstinément, chaque jour davantage, les ouvriers russes à la lutte politique directe.

    Une simple petite grève posait de front devant l’ouvrier la question de l’absence, chez nous, de tout droit politique ; elle le mettait aux prises avec le pouvoir et la force armée, et lui prouvait l’insuffisance manifeste d’une lutte exclusivement économique.

    Voilà pourquoi, contrairement aux vœux de ces mêmes « social-démocrates », la lutte prenait de jour en jour un caractère plus nettement politique.

    Chaque tentative des ouvriers sortis de leur torpeur pour exprimer ouvertement leur mécontentement de la situation économique et politique, dont le joug fait aujourd’hui gémir l’ouvrier russe ; chaque tentative de s’affranchir de ce joug poussait les ouvriers à des manifestations qui ressemblaient de moins en moins à une lutte économique.

    Ce sont les fêtes du 1er Mai qui, en Russie, ont frayé le chemin à la lutte politique et aux manifestations politiques. L’ouvrier russe a ajouté à la grève, autrefois son unique moyen de lutte, un moyen neuf et puissant, — la manifestation politique, — essayé pour la première fois lors de la grandiose journée du 1er Mai 1900 à Kharkov.

    C’est ainsi qu’en vertu de son développement interne, le mouvement ouvrier russe est passé de la propagande dans les cercles et de la lutte économique par la grève à la lutte politique et à l’agitation.

    Ce passage s’est sensiblement accéléré quand la classe ouvrière a vu apparaître dans l’arène des éléments d’autres classes sociales de Russie, fermement résolus à conquérir la liberté politique.

    II

       La classe ouvrière n’est pas seule à gémir sous le joug du régime tsariste. la lourde poigne de l’autocratie étouffe encore d’autres classes sociales. On entend gémir la paysannerie russe, tenaillée par une famine permanente, réduite à la misère par des charges fiscales accablantes et livrée aux trafiquants bourgeois et aux propriétaires « nobles ».

    On entend gémir le menu peuple des villes, les petits employés des administrations publiques et des établissements privés, les petits fonctionnaires, bref toute cette nombreuse population citadine de petites gens dont l’existence n’est pas plus assurée que celle de la classe ouvrière et qui a sujet d’être mécontente de sa situation sociale.

    On entend gémir une fraction de la petite et même moyenne bourgeoisie, qui ne peut se résigner au knout et à la nagaïka du tsar, et surtout la partie instruite de la bourgeoisie, ceux qu’on appelle les représentants des professions libérales (membres de l’enseignement, médecins, avocats, étudiants et, d’une façon plus générale, la jeunesse des écoles).

    On entend gémir les nations et les confessions opprimées en Russie, entre autres les Polonais, chassés de leur patrie et blessés dans leurs sentiments les plus sacrés, et les Finlandais, dont l’autocratie foule insolemment aux pieds les droits et la liberté, que leur a octroyés l’histoire.

    On entend gémir les Juifs, perpétuellement persécutés et insultés, privés même des pitoyables droits dont jouissent les autres sujets russes : le droit de vivre partout, celui de fréquenter les écoles, de remplir un emploi public, etc…

    On entend gémir les Géorgiens, les Arméniens, et les membres d’autres nation, privés du droit d’avoir leurs écoles, de travailler dans les administrations publiques, contraints de se soumettre à la politique honteuse et oppressive de la russification , qui est pratiquée avec tant de zèle par l’autocratie. On entend gémir les millions d’adeptes des sectes russes, qui veulent croire et pratiquer selon leur conscience, et non comme le désirent les popes orthodoxes.

    On entend gémir… mais il est impossible d’énumérer tous ceux que l’autocratie russe opprime et persécute. Ils sont si nombreux que si tous s’en rendaient compte, si tous comprenaient où est leur ennemi commun, le pouvoir despotique ne pourrait subsister un jour de plus en Russie.

    Malheureusement, la paysannerie russe est encore accablée par l’esclavage, la misère et l’ignorance séculaires ; elle ne fait que s’éveiller, elle n’a pas compris où est son ennemi. Les nations opprimées de Russie ne peuvent pas même songer à se libérer par leurs propres forces tant qu’elles ont contre elles non seulement le gouvernement russe, mais même le peuple russe qui ne s’est pas encore rendu compte que leur ennemi commun est l’autocratie. Restent la classe ouvrière, les petites gens des villes et la fraction instruite de la bourgeoisie.

    Mais la bourgeoisie de tous les pays et de toutes les nations sait fort bien s’approprier les fruits de la victoire que d’autres ont remportée ; elle sait fort bien faire tirer aux autres les marrons du feu. Elle n’a jamais le désir de risquer sa situation relativement privilégiée dans la lutte contre un ennemi puissant , dans une lutte où il n’est pas encore facile de triompher.

    Bien qu’elle soit mécontente, elle ne vit pas mal : aussi cède-t-elle avec plaisir à la classe ouvrière, et en général au simple peuple, le droit de présenter le dos aux nagaïkas des cosaques et aux balles des soldats, de combattre sur les barricades, etc…

    Quant à elle, elle « sympathise » avec la lutte et, dans le meilleur des cas, elle « s’indigne » (à part soi) de la cruauté avec laquelle l’ennemi déchaîné réprime le mouvement populaire. Elle craint les actes révolutionnaires, et c’est seulement aux derniers moments de la lutte, quand elle se rend nettement compte de l’impuissance de l’ennemi, qu’elle passe elle-même aux mesures révolutionnaires.

    Voilà ce que nous apprend l’expérience de l’histoire… Seuls, la classe ouvrière et le peuple en général, qui dans leur lutte n’ont rien à perdre que leurs chaînes, constituent une force révolutionnaire réelle.

    Et l’expérience de la Russie, tout indigente qu’elle soit encore, confirme cette vieille vérité que l’histoire de tous les mouvements révolutionnaires nous enseigne.

    Parmi les représentants de la société privilégiée, seule une partie des étudiants s’est montrée résolue à lutter jusqu’au bout pour ses revendications.

    Mais nous ne devons pas oublier que cette fraction des étudiants est, elle aussi, composée de fils de citoyens opprimés et que les étudiants, la jeunesse des écoles, tant qu’ils ne sont pas plongés dans l’océan de la vie n’y occupent pas une situation sociale déterminée, sont plus que quiconque enclins à des aspirations idéales, qui les appellent à la lutte pour la liberté.

    Quoi qu’il en soit, les étudiants apparaissent à l’heure actuelle, dans le mouvement de la « société », presque comme des chefs de file, comme une avant-garde. Autour d’eux se groupe aujourd’hui la partie mécontente de diverses classes sociales. Au début, les étudiants s’efforçaient de lutter à l’aide d’un moyen emprunté aux ouvriers : les grèves.

    Mais lorsque le gouvernement eut riposté à leurs grèves par une loi, une loi scélérate (« le Règlement provisoire » (4)), en vertu de laquelle les étudiants en grève étaient incorporés dans l’armée comme simples soldats, il ne resta plus aux étudiants qu’un seul moyen de lutte : appeler la société russe à l’aide et passer des grèves aux manifestations de rue.

    C’est ce qu’ils firent. Ils ne déposèrent pas les armes ; au contraire, ils poursuivirent la lutte avec encore plus de courage et de résolution.

    Autour d’eux se groupèrent les citoyens opprimés, la classe ouvrière leur tendit une secourable, et le mouvement, plus vigoureux , devint une menace pour le pouvoir. Voici deux ans déjà que le gouvernement de Russie, avec tous ses soldats, sa police et se gendarmes, soutient une lutte acharnée, mais stérile, contre les citoyens récalcitrants.

    Les événements des derniers jours montrent que la défaite des manifestations politiques est impossible. Ce qui s’est passé dans les premiers jours de décembre à Kharkov, Moscou, Nijni-Novgorod, Riga, etc…, montre qu’à l’heure actuelle le mécontentement social se manifeste déjà de façon consciente et que la société mécontente est prête à passer de la protestation muette à l’action révolutionnaire.

    Mais les revendications présentées par les étudiants, — un drapeau dont le sens soit clair et familier à tous, capable d’unir toutes les revendications. Ce drapeau, c’est le renversement de l’autocratie. C’est uniquement sur les ruines de l’autocratie qu’il sera possible d’édifier un ordre social fondé sur la participation du peuple à l’administration de l’Etat et garantissant la liberté de l’enseignement, des grèves, de paroles, de religion, des nationalités, etc…, etc…

    Ce régime seul assurera au peuple le moyen de se défendre contre tous les oppresseurs, contre les trafiquants et les capitalistes, contre le clergé, la noblesse ; ce régime seul ouvrira la voie à un avenir meilleur, à une lutte libre pour l’établissement d’un régime socialiste.

       Certes, les étudiants réduits à leur propres forces ne peuvent engager cette lutte grandiose ; leurs faibles mains seront incapables de tenir ce lourd drapeau. Il faut pour cela des mains plus fortes, et dans les conditions actuelles ce ne saurait être que celles des travailleurs unis.

    Par conséquent, la classe ouvrière doit prendre des mains débiles des étudiants, le drapeau de toute la Russie et, après y avoir inscrit : « A bas l’autocratie ! Vive une constitution démocratique ! », conduire le peuple russe à la liberté. Quant aux étudiants, nous devons leur savoir gré de la leçon qu’ils nous ont donnée : ils ont montré toute l’importance que revêt la manifestation politique dans la lutte révolutionnaire.

       La manifestation de rue présente cet intérêt qu’elle a tôt fait d’entraîner dans le mouvement une partie considérable de la population, qu’elle la familiarise d’emblée avec nos revendications et prépare un vaste terrain favorable où nous pouvons hardiment semer le bon grain des idées socialistes et de la liberté politique.

    La manifestation de rue entraîne l’agitation de rue, qui touche forcément jusqu’à la partie arriérée et timide de la société (5)).

    Il suffit de sortir dans la rue au moment d’une manifestation pour voir des combattants courageux, pour comprendre les buts de leur lutte, pour entendre une parole libre, appelant tout le monde à la lutte, un chant de combat dénonçant le régime établi et mettant à nu nos plaies sociales. C’est pourquoi les autorités craignent par-dessus tout la manifestation de rue. Aussi menacent-elles de punir sévèrement non seulement les manifestants, mais même les « curieux ».

    Et ces « curieux » se comptent aujourd’hui par dizaines de milliers dans chaque grande ville. désormais, en Russie, on ne court plus se cacher, comme auparavant, quand on entend dire que des troubles ont éclaté quelque part (« Pourvu que je n’y sois pas impliqué ; le mieux est de filer », disait-on autrefois).

    Aujourd’hui, on se hâte vers le lieu des troubles, on « est curieux » de connaître la cause de ces troubles, de savoir pourquoi tant de gens présentent le dos à la nagaïka des cosaques.

    Dans ces conditions, les « curieux » cessent d’écouter avec indifférence le sifflement des nagaïkas et des sabres. Ils voient les manifestants se rassembler dans la rue pour proclamer leurs désirs et leurs revendications, tandis que les autorités leur répondent par des matraquages et une répression féroce.

    Le « curieux » ne se sauve plus devant le sifflement des nagaïkas ; au contraire, il s’approche et la nagaïka ne peut plus distinguer le simple « curieux » de « l’émeutier ».

    Avec une « égalité parfaitement démocratique », sans distinction de sexe, d’âge, ni même de catégorie sociale, la nagaïka s’abat, désormais, sur le dos des uns et des autres.

    Elle nous rend ainsi un grand service, elle accélère la transformation du « curieux » en révolutionnaire. D’instrument de la paix publique, elle devient éveilleuse de conscience.

    Aussi, qu’importe si les manifestations de rue ne nous donnent pas de résultats directs ! Qu’importe si la force des manifestants est encore trop débile aujourd’hui pour imposer au pouvoir des concessions immédiates aux revendications populaires !

    Les sacrifices que nous faisons aujourd’hui dans les manifestations de rue nous seront payés au centuple. Chaque combattant tombé dans la lutte ou arraché à nos rangs en fait lever des centaines d’autres. Plus d’une fois encore nous serons matraqués dans les rues, plus d’une fois encore le gouvernement sortira vainqueur des batailles de rue.

    Mais ce seront des « victoires à la Pyrrhus ». Encore quelques unes comme celles-là, et la défaite de l’absolutisme est certaine. Sa victoire d’aujourd’hui prépare la défaite. Quant à nous, fermement convaincus que ce jour viendra, que ce jour n’est plus éloigné, nous affrontons les nagaïkas pour semer le bon grain de l’agitation politique et du socialisme.

    Le pouvoir n’en est pas moins convaincu que nous : l’agitation de rue signifie sa condamnation à mort, il suffit de deux ou trois ans encore pour qu’il voie se dresser devant lui le spectre de la révolution populaire.

    Le gouvernement a déclaré l’autre jour, par la bouche du gouverneur d’Ekaterinoslav, qu’il « ne reculerait pas même devant des mesures extrêmes pour écraser les moindres tentatives de manifestation de rue ».

    Cette déclaration, on le voit, sent les balles, et peut-être même les obus, mais nous pensons que la balle ne suscite pas moins de mécontentement que la nagaïka. Nous ne croyons pas que le gouvernement puisse, même par ces « mesures extrêmes », faire longtemps obstacle à l’agitation politique et en entraver le développement.

    Nous espérons que la social-démocratie révolutionnaire saura adapter son agitation aux conditions nouvelles que le gouvernement créera en appliquant ces « mesures extrêmes ». Quoi qu’il en soit, la social-démocratie doit suivre les évènements avec vigilance ; elle doit sans retard tirer la leçon des évènements et savoir conformer ses actes aux conditions changeantes.

    Mais pour cela la social-démocratie a besoin d’une organisation forte, étroitement unie ; plus précisément, d’une organisation de parti, unie non seulement par le nom, mais encore par les principes fondamentaux et les conceptions tactiques. Notre tâche est de travailler à la création de ce parti fort, armé de principes fermes et d’un appareil clandestin indestructible.

    Le Parti social-démocrate doit mettre à profit de ce nouveau mouvement, — la manifestation de rue, — qui vient de naître ; il doit prendre en main le drapeau de la démocratie russe et le conduire à la victoire désirée par tous !

       Ainsi s’ouvre devant nous une période de lutte essentiellement politique.

    Cette lutte est pour nous inévitable, car dans les conditions politiques existantes, la lutte économique (les grèves) ne peuvent rien apporter de substantiel. les grèves même dans les Etats libres, sont une arme à double tranchant : même dans les pays où les ouvriers possèdent pourtant des moyens de lutte, — liberté politique, fortes organisations syndicales, moyens financiers, — les grèves se terminent souvent par leur défaite.

    Chez nous, où la grève est un délit puni d’emprisonnement et réprimé par la force armée, où les associations ouvrières, quelles qu’elles soient, sont interdites — chez nous les grèves ne revêtent qu’un caractère de protestation.

    Mais les manifestations sont, pour protester, une arme plus puissante. Dans les grèves, la force des ouvriers est dispersée : n’y participent que les ouvriers d’une ou de quelques usines ; dans le meilleur des cas, ceux d’une même profession.

    L’organisation d’une grève générale est très difficile, même en Europe occidentale ; chez nous, elle est absolument impossible. En revanche, dans les manifestations de rue les ouvriers unissent d’emblée leurs forces.

       On mesure par là l’étroitesse de vues dont font preuve les « social-démocrates » qui veulent enfermer le mouvement ouvrier dans le cadre de la lutte économique et des organisations économiques, en laissant la lutte politique aux « intellectuels », aux étudiants, à la société, et en n’attribuant aux ouvriers que le rôle d’une force auxiliaire. l’histoire nous enseigne que, dans ces conditions, les ouvriers devront tirer les marrons du feu pour la bourgeoisie, et pour elle seule.

    D’ordinaire, la bourgeoisie a volontiers recours aux bras musclés des ouvriers pour lutter contre le pouvoir autocratique et, la victoire acquise, elle s’en approprie les résultats, laissant les ouvriers les mains vides.

    S’il en va de même chez nous, les ouvriers ne tireront rien de cette lutte. Quant aux étudiants et autres protestataires de la société, ne font-ils pas partie de cette même bourgeoisie ?

    Qu’on leur donne une « Constitution loqueteuse », parfaitement inoffensive, n’accordant au peuple que des droits infimes, et tous ces protestataires changeront de ton et vanteront le « nouveau » régime.

    La bourgeoisie vit dans la peur continuelle du « spectre rouge » du communisme ; elle s’efforce, dans toutes les révolutions, d’en finir dès le début. Sitôt qu’elle a obtenu la moindre concession avantageuse pour elle, la bourgeoisie, qui tremble devant les ouvriers, tend au pouvoir une main conciliante et trahit sans vergogne la cause de la liberté (6)).

       Seule, la classe ouvrière est un appui sûr pour la démocratie véritable. Seule, elle refusera de pactiser avec l’autocratie au prix d’une concession, et ne se laissera pas endormir au doux son du luth constitutionnel.

       C’est pourquoi il importe éminemment pour la cause démocratique en Russie de savoir si la classe ouvrière saura prendre la tête du mouvement démocratique général, ou si elle mettra à la remorque du mouvement comme force auxiliaire des « intellectuels », c’est-à-dire de la bourgeoisie.

    Dans le premier cas, le renversement de l’autocratie aura pour résultat une large Constitution démocratique, qui accordera des droits égaux à l’ouvrier, et au paysan accablé et au capitaliste. Dans le second cas, nous aurons cette « Constitution loqueteuse » qui, tout autant que l’absolutisme, saura fouler aux pieds les revendications ouvrières et n’accordera au peuple qu’un semblant de liberté.

       Mais pour jouer de ce rôle de dirigeant, la classe ouvrière doit s’organiser en parti politique indépendant. Alors, elle n’aura à redouter, dans la lutte contre l’absolutisme, ni trahison, ni perfidie de la part de « la société », son alliée provisoire. Dés que cette « société » trahira la cause de la démocratie, la classe ouvrière fera toute seule, par ses propres forces, progresser cette cause : un parti politique indépendant lui en donnera la force.

    Notes

    1. La Rabotchaïa Mysl [la Pensée ouvrière], journal professant ouvertement les idées opportunistes des « économistes », parut d’octobre 1897 à décembre 1902. Seize numéros virent le jour.

    2. La loi du 2 juin 1897 instituait pour les ouvriers des entreprises industrielles et des chemins de fer la journée de travail de onze heures et demie ; elle diminuait en même temps le nombre des jours fériés pour les ouvriers.

    3. Il faut noter que ces derniers temps « l’Union de lutte » de Pétersbourg et la rédaction de son journal ont renoncé à leur ancienne tendance exclusivement économiste et s’efforcent d’introduire dans leur action de idées de lutte politique. (J.S.)

    4. Le « Règlement provisoire sur l’accomplissement du service militaire par les élèves des établissements d’enseignement supérieur », promulgué par le gouvernement le 29 juillet 1899, prescrivait que les étudiants qui auraient participé à des manifestations collectives contre le régime policier en vigueur dans les établissements d’enseignement supérieur, en seraient exclus et incorporés comme simples soldats dans l’armée du tsar pour une durée d’un an à trois ans.

    5. Dans les conditions actuelles de la Russie, le livre illégal, le tract d’agitation n’atteignent que très difficilement chaque habitant. Bien que la diffusion de la littérature illégale porte de beaux fruits, elle n’atteint dans la plupart des cas qu’une minorité de la population. (J.S.

    6. Bien entendu, nous ne parlons pas ici des intellectuels qui ont rompu avec leur classe et luttent dans les rangs des social-démocrates. Mais ces intellectuels constituent une exception ; ce sont des « merles blancs ». (J.S.)

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Questions et réponses

    Discours prononcé à l’Université Sverdlov le 9 juin 1925

    Camarades, je vais répondre aux questions écrites que vous m’avez posées. J’y répondrai dans l’ordre où elles m’ont été remises. Comme vous le savez, il y en a dix.

    Commençons par la première.

    I

    Quelles sont les mesures et les conditions devant contribuer à consolider l’alliance de la classe ouvrière avec les paysans en régime de dictature du prolétariat, si l’Union soviétique n’est pas soutenue par la révolution du prolétariat occidental dans les 15 années prochaines ?

    J’estime que cette question englobe toutes celles que vous m’avez posées. C’est pourquoi j’y ferai une réponse générale, qui sera loin d’épuiser le sujet. Autrement, il ne me resterait plus rien à dire sur les autres questions.

    Les résolutions de la 14e conférence du parti donnent une réponse complète à cette question. Elles affirment que la principale garantie de la consolidation de l’alliance est une politique rationnelle envers la paysannerie. Mais qu’est-ce qu’une bonne politique envers la paysannerie ?

    Elle consiste dans un ensemble de mesures économiques,administratives, politiques et culturelles destinées à assurer cette alliance.

    Prenons le domaine économique.

    Il faut, tout d’abord, liquider les survivances du communisme de guerre dans les campagnes. Il faut ensuite établir une politique rationnelle des prix sur les produits fabriqués et les denrées agricoles, de façon à assurer un essor rapide de l’industrie et de l’agriculture et à supprimer les « ciseaux ».

    Il faut réduire la somme totale de l’impôt agricole et transformer peu à peu celui-ci, d’impôt d’État, en impôt local. Il faut attirer à la coopération, principalement à la coopération agricole et à la coopération de crédit, l’immense masse rurale, afin que les paysans, eux aussi, participent à la réalisation du socialisme.

    Il faut introduire dans les campagnes les tracteurs, qui sont les leviers de la révolution technique dans l’agriculture et les moyens de créer des foyers de civilisation dans les campagnes. Il faut enfin exécuter le plan d’électrification, moyen de rapprocher la campagne de la ville et de faire disparaître leur antagonisme.

    Voilà ce que doit faire le parti s’il veut assurer l’alliance économique de la ville et de la campagne.

    Je tiens à attirer votre attention sur la transformation de l’impôt agricole, d’impôt d’État, en impôt local. Cela peut vous paraître surprenant. Néanmoins, c’est un fait que l’impôt agricole devient de plus en plus et deviendra entièrement un impôt de caractère local. Il y a deux ans, l’impôt agricole constituait la part principale, ou peu s’en faut, de nos revenus, tandis que maintenant il n’en est qu’une partie insignifiante.

    Alors que le budget d’État se monte à deux nous donnera cette annéeau plus 250 à 260 millions de roubles, soit 100 millions de moins

    que l’année passée. Comme vous le voyez, c’est bien peu.

    Et plus notre budget d’État s’élargira, plus l’importance relative de l’impôt agricole diminuera. Ensuite, de ces 260 millions, 100 millions, soit plus du tiers, sont destinés aux budgets locaux.

    Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que, de tous les impôts existants, l’impôt agricole est celui qui s’adapte le. Mieux aux conditions locales, qui peut le ‘mieux être utilisé pour les besoins locaux.

    Il n’est pas douteux que le budget local s’accroîtra de plus en plus. Et il augmentera en absorbant une partie de plus en plus importante de l’impôt agricole, qui doit être le mieux possible approprié aux conditions locales.

    Cela est d’autant plus certain que la part principale des revenus de l’État est et sera de plus en plus constituée par les bénéfices des entreprises d’État, les impôts indirects, etc.

    Voilà pourquoi la transformation de l’impôt agricole en impôt local deviendra un jour nécessaire et utile à la consolidation de notre alliance avec les paysans.

    Passons aux mesures qui doivent assurer cette alliance dans le domaine administratif et politique.

    Réalisation de la démocratie soviétiste à la ville et au village afin de simplifier, de rendre moins onéreux l’appareil d’État, de l’assainir moralement, d’en éliminer le bureaucratisme et les facteurs de décomposition bourgeoise, de le lier intimement à la masse, telle est la voie que doit suivre le parti s’il veut renforcer l’alliance dans le domaine administratif et politique.

    La dictature du prolétariat n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’un moyen, la voie qui mène au socialisme.

    Or, qu’est-ce que le socialisme ? C’est une étape entre le régime de dictature du prolétariat et la société sans Etat. Mais pour parcourir cette étape, ilfaut préparer le renouvellement de l’appareil étatique de façon à assurer la transformation effective de la société à dictature prolétarienne en société sans Etat, en société communiste.

    C’est pourquoi, nous prenons pour mots d’ordre de vivifier les soviets, de réaliser la démocratie soviétiste à la ville et au village, de confier à l’élite ouvrière et paysanne la gestion des affaires de l’État.

    Corriger l’appareil d’État, le rénover véritablement, en éliminer le bureaucratisme et les éléments de décomposition, le rapprocher des masses et le leur rendre sympathique, tout cela est impossible sans la collaboration active des masses elles-mêmes.

    Mais cette collaboration constante et active est à son tour impossible sans la participation des meilleurs éléments ouvriers et paysans aux organes administratifs, sans une liaison directe entre l’appareil d’État et les couches profondes des travailleurs.

    Qu’est-ce qui distingue l’appareil d’État soviétiste de l’appareil d’État bourgeois ?

    L’appareil d’État bourgeois se place au-dessus des masses, il est séparé de la population par une barrière infranchissable ; il est, par son esprit même, étranger aux masses populaires, tandis que l’appareil soviétiste se confond avec les masses, perd son caractère s’il se place au-dessus de ces dernières et ne peut toucher les travailleurs que s’il leur est accessible. C’est là une différence essentielle entre l’appareil de l’État bourgeois et celui de l’État soviétiste.

    Dans sa brochure : Les bolcheviks conserveront-ils le pouvoir ? Lénine disait que les 240.000 membres du parti bolchevik sauraient certainement diriger le pays au profit des pauvres, contre les riches, du moment que 130.000 grands propriétaires fonciers avaient pu jusqu’alors diriger le pays au profit des riches contre les pauvres.

    Interprétant de façon erronée ces paroles, certains communistes pensent que l’appareil d’État se réduit à quelques centaines de

    milliers d’adhérents du parti, et que cela suffit pour diriger notre immense pays. C’est pourquoi ils identifient parfois le parti avec l’État. C’est une erreur.

    C’est une déformation de la pensée de Lénine. Parlant des 240.000 membres du parti bolchevik, Lénine ne voulait pas dire que ce chiffre limite, ou peut limiter, l’appareil d’État soviétiste.

    Au contraire, outre les communistes, il considérait comme faisant partie de notre appareil d’État le million d’électeurs qui votèrent pour les bolcheviks à la veille de la révolution d’Octobre ; il déclarait que nous pouvons décupler notre appareil d’État, c’est-à-dire le porter au moins à dix millions d’hommes, en faisant participer les travailleurs à l’administration journalière de l’État.

    Ces 240.000 hommes, dit Lénine, ont déjà maintenant un million d’adeptes au moins, car, comme le confirme l’expérience de l’Europe en général et celle de la Russie en particulier (élections d’août à la Douma de Pétrograd), on peut calculer ainsi le nombre des membres du parti d’après le nombre des voix obtenues.

    Nous voilà donc déjà en possession d’un « appareil étatique» d’un million d’hommes, dont le dévouement à l’État socialiste est basé sur des raisons d’ordre moral et non sur l’attente de la forte somme à toucher le 20 du mois.

    Bien plus, nous avons encore un moyen merveilleux de décupler d’un coup notre appareil étatique, moyen dont aucun Etat capitaliste n’a jamais pu et ne pourra jamais disposer. Ce moyen, c’est la participation des classes pauvres à l’administration journalière de l’État.

    Comment faisons-nous « participer les travailleurs, la population pauvre à l’administration journalière de l’État » ?Au moyen de nos organisations d’initiative des masses, commissions et comités de toutes sortes, conférences et assemblées de délégués, qui se forment autour des soviets, organes économiques, conseils d’entreprises, institutions culturelles, organisations du parti et des Jeunesses, associations coopératives diverses, etc., etc.

    Souvent, nos camarades ne remarquent pas qu’autour des organisations de base du parti, des soviets, des syndicats, des Jeunesses communistes, etc., il y a une multitude d’organismes, de commissions, d’assemblées auxquels participent des millions d’ouvriers ou de paysans sans-parti et qui, par leur modeste labeur journalier, créent en somme la vie de l’État soviétiste dont ils sont la force.

    Sans ces organisations groupant des millions d’hommes, il serait impossible de gouverner et d’administrer notre grand pays.

    L’appareil d’État soviétiste n’est pas formé par les soviets seulement.

    Il comprend, au sens profond du terme, les soviets ainsi que les innombrables groupements de communistes et de sans-parti qui unissent les soviets aux masses, permettent à l’appareil d’État de se confondre avec les masses et détruisent peu à peu toute barrière entre l’appareil d’État et la population.

    Voilà comment nous « décuplons » notre appareil d’État en le rapprochant des millions de travailleurs, en le leur rendant sympathique, en l’épurant des vestiges de bureaucratisme, en le fondant avec la masse et en préparant par là la transition du régime de dictature du prolétariat à une société sans Etat, à une société communiste.

    Tels sont le sens et la portée du mot d’ordre de vivification des soviets et de réalisation de la démocratie soviétiste. Telles sont les mesures capitales qui renforceront notre alliance avec les paysans dans le domaine administratif et politique.Quant aux mesures propres à assurer cette alliance dans le domaine de la culture et de l’éducation, il est superflu de s’y étendre, car elles sont évidentes et universellement connues.

    Je me bornerai à rappeler la ligne principale de notre activité dans ce domaine. Il s’agit de préparer la réalisation de l’instruction primaire obligatoire dans toute l’U.R.S.S. Ce sera là une réforme immense, qui représentera un triomphe splendide non seulement sur le front de l’instruction publique, mais aussi sur les fronts politique et économique.

    Cette réforme sera, pour notre pays, le prélude d’un essor prodigieux. Mais elle exigera des centaines de millions de roubles ; elle nécessitera presque un demi-million d’instituteurs et d’institutrices. Néanmoins, nous devons la préparer dès à présent, si nous voulons élever notre pays à une civilisation supérieure. Et nous le ferons incontestablement.

    II

    Quels sont les dangers de dégénérescence du parti que déterminera la stabilisation du capitalisme si elle se prolonge ?

    Ces dangers existent-ils vraiment ?

    Oui, et ils existent indépendamment de la stabilisation, qui ne fait que les rendre plus tangibles. Voici les trois principaux de ces dangers :

    a) Perte de la perspective socialiste dans l’organisation de notre pays et, par suite, apparition d’une tendance à liquider les conquêtes de la révolution ;

    b) Perte de la perspective révolutionnaire internationale et, partant, apparition du nationalisme ;

    c) Disparition de la direction du parti et, partant, possibilité detransformation du parti en appendice de l’appareil étatique.

    Commençons par le premier de ces dangers.

    Il se caractérise par le scepticisme à l’égard des forces intérieures de notre révolution, à l’égard de l’alliance ouvrière et paysanne et du rôle dirigeant de la classe ouvrière dans cette alliance, à l’égard de la transformation de la « Russie de la Nep » en « Russie socialiste », à l’égard de la réalisation du socialisme dans notre pays.

    C’est là une mentalité qui mène à l’abandon des principes et des buts de la révolution d’Octobre, à la transformation de l’État prolétarien en Etat démocratique bourgeois.

    L’origine de cette mentalité est dans le renforcement de l’influence bourgeoise sur notre parti sous le régime de la Nep, caractérisé par une lutte à mort entre les éléments capitalistes et les éléments socialistes au sein de notre économie.

    Les éléments capitalistes ne mènent pas seulement la lutte dans le domaine économique, ils s’efforcent de la transporter dans le domaine de l’idéologie, cherchant à inspirer à nos détachements les moins fermes le scepticisme à l’égard des possibilités de réalisation du socialisme, et l’on ne saurait dire que leurs efforts aient été complètement stériles.

    « Comment pouvons-nous, arriérés comme nous sommes, réaliser le socialisme intégral ? Disent certains de ces communistes contaminés.

    L’état des forces de production de notre pays ne nous permet pas de nous proposer des objectifs aussi utopiques. Puissions-nous seulement nous maintenir tant bien que mal au pouvoir sans penser au socialisme ! Faisons ce que nous pouvons pour le moment, et après on verra. »

    « Nous avons déjà accompli notre mission révolutionnaire en faisant la révolution d’Octobre, disent d’autres ; tout dépend maintenant de la révolution internationale, car sans la victoire du prolétariat occidental, nous ne pouvons réaliser le socialisme, et, à proprement parler, un révolutionnaire n’a plus rien à faire en Russie. » On sait qu’en 1923, lors des événements révolutionnaires d’Allemagne, une partie de la jeunesse de nos écoles était prête à abandonner ses livres et à partir pour l’Allemagne, estimant qu’en Russie, un révolutionnaire n’avait plus rien à faire et que son devoir était d’aller accomplir la révolution en Allemagne.

    Comme vous le voyez, ces deux groupes de « communistes » nient, l’un et l’autre, les possibilités de réalisation du socialisme dans notre pays ; ils ont une mentalité de « liquidateurs ». La différence est que les premiers couvrent cette mentalité par des raisonnements doctoraux sur les « forces de production » (ce n’est pas pour rien que Milioukov les a appelés, il y a quelques jours, dans ses Posliédnié Novosti, des « marxistes sérieux »), tandis que les seconds la couvrent de phrases gauchistes et « terriblement révolutionnaires » sur la révolution mondiale.

    En effet, admettons qu’un révolutionnaire n’ait rien à faire en Russie, qu’il soit impossible de réaliser le socialisme dans notre pays avant sa victoire dans les autres pays, que la victoire du socialisme dans les pays avancés n’ait lieu que dans dix ou vingt ans. Peut-on croire que, dans notre pays entouré d’Etats bourgeois, les éléments capitalistes de notre économie consentent à cesser leur lutte sans merci contre les éléments socialistes et attendent, les bras croisés, le triomphe de la révolution mondiale ?

    Il suffit d’émettre cette supposition pour en voir toute l’absurdité.

    Mais alors, que reste-t-il à faire à nos « marxistes sérieux » et à nos « terribles révolutionnaires » ? Il ne leur reste qu’à suivre le courant et à se transformer peu à peu en vulgaires démocrates bourgeois.

    De deux choses l’une : ou bien nous considérons notre pays comme la base de la révolution mondiale, nous possédons, comme dit

    Lénine, toutes les données nécessaires à la réalisation du socialisme intégral, et alors nous devons entreprendre cette réalisation, dans l’espoir de remporter une victoire totale sur les éléments capitalistes de notre économie ; ou bien nous ne considérons pas notre, pays comme la base de la révolution mondiale, nous n’avons pas les données nécessaires à l’édification du socialisme, il nous est impossible de le réaliser, et alors, si la victoire du socialisme dans les autres pays se fait attendre, nous devons nous résigner à voir les éléments capitalistes de notre pays prendre le dessus, le pouvoir des soviets se décomposer, le parti dégénérer.

    Voilà pourquoi le scepticisme à l’égard des possibilités de réalisation du socialisme mène à la liquidation des conquêtes de la révolution et à la dégénérescence.

    Voilà pourquoi notre parti doit lutter contre le danger de liquidation, surtout dans la période de stabilisation provisoire du capitalisme.

    Passons au deuxième danger.

    Il est caractérisé par le scepticisme envers la révolution prolétarienne mondiale et le mouvement de libération nationale des colonies et des pays vassaux ; par l’incompréhension du fait que, sans l’appui du mouvement révolutionnaire international, notre pays n’eût pu résister à l’impérialisme mondial ; par l’incompréhension de cet autre fait que le triomphe du socialisme dans un pays ne peut être définitif (ce pays n’étant pas garanti contre une intervention) tant que la révolution n’a pas vaincu au moins dans plusieurs autres pays ; par l’absence de cet internationalisme élémentaire qui veut que le triomphe du socialisme dans un pays soit non pas une fin en soi, mais un moyen de développer et de soutenir la révolution dans les autres pays.

    C’est là la voie menant au nationalisme, à la dégénérescence, à la liquidation totale de la politique internationale du prolétariat, carceux qui sont atteints de cette maladie considèrent notre pays non pas comme une partie du mouvement révolutionnaire mondial, mais comme le début et l’achèvement de ce mouvement, puisqu’ils estiment que l’on doit sacrifier aux intérêts de notre pays ceux de tous les autres.

    Faut-il soutenir le mouvement de libération nationale en Chine ? A quoi bon ? N’est-ce pas dangereux ? Est-ce que cela ne nous brouillera pas avec les autres pays ? Ne serait-il pas mieux d’établir des sphères d’influence en Chine de concert avec les puissances « civilisées » et de nous emparer d’une partie de ce pays ? Ce serait avantageux et nous ne risquerions rien…

    Faut-il soutenir le mouvement d’émancipation en Allemagne ? Est-ce que cela en vaut la peine ? Ne serait-il pas mieux de se mettre d’accord avec l’Entente sur le traité de Versailles et d’obtenir une petite compensation ?

    Faut-il conserver notre amitié à la Perse, à la Turquie, à l’Afghanistan ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Ne serait-il pas mieux de rétablir les sphères d’influence d’accord avec certaine grande puissance ? Etc., etc.

    Telle est cette mentalité nationaliste d’un genre nouveau, qui tend à la liquidation de la politique extérieure de la révolution d’Octobre et représente un bouillon de culture pour les éléments de dégénérescence.

    Si l’origine du premier danger est le renforcement de l’influence bourgeoise sur le parti dans la politique intérieure, dans la lutte entre les éléments capitalistes et socialistes de notre économie, l’origine du second est dans le renforcement de l’influence bourgeoise sur le parti dans la politique extérieure, dans la lutte des Etats capitalistes contre la dictature du prolétariat.

    Il est certain que la pression des Etats capitalistes sur le nôtre est formidable, que les employés de notre Commissariat des Affaires étrangères ne parviennent pas toujours à y résister, que, pour éviter des complications internationales, ils sont souvent tentés de s’engager dans la voie de moindre résistance, dans la voie du nationalisme.

    Il est évident que c’est seulement sur la base de l’internationalisme conséquent, de la politique extérieure de la révolution d’Octobre, que le premier Etat prolétarien peut rester le porte-drapeau du mouvement révolutionnaire mondial ; il est clair que la ligne de moindre résistance et le nationalisme en politique extérieure signifient l’isolement et la décomposition du pays de la première révolution victorieuse.

    Voilà pourquoi l’absence d’une perspective révolutionnaire internationale mène au danger de nationalisme et de dégénérescence.

    Voilà pourquoi la lutte contre le danger de nationalisme dans la politique extérieure est un des devoirs du parti.

    Passons au troisième danger.

    Ce danger est caractérisé par le scepticisme à l’égard des forces intérieures du parti et de son rôle dirigeant ; par la tendance de l’appareil d’État à affaiblir la direction du parti, à s’en émanciper ; par l’incompréhension du fait que, sans direction du parti communiste, il ne peut y avoir de dictature du prolétariat.

    Ce danger nous menace de trois côtés.

    Premièrement, les classes que nous devons diriger ont changé. Les ouvriers et les paysans ne sont plus les mêmes que lors du communisme de guerre. Auparavant, la classe ouvrière était déclassée et dispersée, les paysans étaient en proie à la crainte de voir revenir le propriétaire foncier en cas de défaite dans la guerrecivile, le parti était la seule force concentrée et gouvernait d’une façon toute militaire. Maintenant, la situation est tout autre. Il n’y a plus de guerre. Partant, le danger direct qui groupait les masses travailleuses autour de notre parti n’existe plus.

    Le prolétariat s’est rétabli, il s’est élevé sous le rapport matériel et intellectuel. Les paysans, eux aussi, se sont élevés et développés.

    L’activité de ces deux classes s’est accrue et continuera de s’accroître. On ne peut plus gouverner d’une façon militaire.

    Il faut maintenant de la souplesse dans les méthodes de direction. Il faut ensuite une attention extrême aux besoins et aux aspirations des ouvriers et des paysans, il faut enfin savoir amener au parti les ouvriers et paysans qui se sont particulièrement fait remarquer par leur activité et leur intelligence politiques.

    Mais toutes ces qualités ne s’acquièrent pas du jour au lendemain.

    De là une disproportion entre ce qui est exigé du parti et ce que celui-ci peut donner actuellement. De là aussi le danger d’affaiblissement de la direction assumée par le parti, de liquidation de la direction communiste.

    En second lieu, il est à remarquer que, ces derniers temps, au cours de la période d’essor économique, l’appareil des organisations gouvernementales et autres s’est fortement développé. Les trusts et syndicats, les organismes de commerce et de crédit, les administrations, les groupements éducatifs et la coopération sous toutes ses formes se sont sensiblement accrus et élargis, recrutant des centaines de milliers de travailleurs nouveaux, sans-parti pour la plupart.

    Mais ces appareils n’augmentent pas seulement numériquement.

    Leur force et leur influence augmentent également. Et plus leur importance s’accroît, plus leur pression sur le parti devient sensible, plus ils résistent au parti. Il faut opérer un regroupement des forces et une répartition des militants dirigeants dans ces appareils de façon à assurer la direction du parti dans la situation nouvelle où nous nous trouvons.

    Mais cela est impossible à faire d’un seul coup. De là le danger que l’appareil d’État se détache du parti.

    En troisième lieu, le travail lui-même est devenu plus compliqué et plus varié. Je parle de notre travail actuel de construction. De nouveaux domaines d’activité ont surgi dans les villes et les campagnes. C’est pourquoi la direction est devenue plus concrète.

    Autrefois, on parlait toujours de direction « d’ensemble ».

    Maintenant, la direction « d’ensemble » n’est que du verbiage, ce n’est plus de la direction. Il faut une direction concrète. La période précédente a créé un type de militant omniscient, prêt à répondre à n’importe quelle question de théorie et de pratique. Maintenant ce type doit céder la place à un type nouveau de militant spécialisé dans une ou deux branches.

    Pour diriger réellement, il faut connaître à fond sa partie, il faut l’étudier consciencieusement, patiemment, opiniâtrement. On ne peut diriger à la campagne sans connaître l’agriculture, la coopération, la politique des prix, sans avoir étudié les lois de l’économie rurale.

    On ne peut diriger à la ville sans connaître l’industrie, les conditions d’existence des ouvriers, leurs revendications, leurs aspirations, sans connaître la coopération, les syndicats, les clubs. Malheureusement, toutes ces connaissances ne s’acquièrent pas en un clin d’œil.

    Pour élever la direction communiste à la hauteur de sa tâche, il faut élever avant tout le niveau des militants du parti. Désormais, c’est la qualité du militant qui importe le plus. Mais il n’est pas facile de l’élever rapidement. Les anciennes habitudes de bâclage du travail, qui malheureusement remplacent chez nous la science et l’expérience, sont encore vivaces dans les organisations du parti.

    C’est pourquoi la direction communiste dégénère parfois en une accumulation d’ordres parfaitement inutiles, en une « direction »verbale, purement imaginaire. C’est là un des dangers les plus sérieux d’affaiblissement et de disparition de la direction du parti.

    Telles sont les raisons qui font que le danger de disparition de la direction du parti mène à la désagrégation et à la dégénérescence de ce dernier.

    Voilà pourquoi combattre ce danger est un des devoirs de notre parti.

    III

    Comment lutter contre la bourgeoisie rurale (koulaks) sans attiser la lutte de classe ?

    J’estime que cette question est trop abrégée et, par suite, mal posée.

    De quelle lutte de classe s’agit-il ? S’il s’agit de la lutte de classe à la campagne en général, le prolétariat ne la mène pas contre les koulaks seulement.

    En effet, les antagonismes entre le prolétariat et la paysannerie, n’est-ce pas la lutte de classe, quoique sous une forme assez spéciale ?

    Le prolétariat et les paysans constituent actuellement les deux principales classes de notre société ; entre ces deux classes il existe des antagonismes, qui peuvent, il est vrai, être aplanis et le seront en fin de compte, mais qui pourtant suscitent une lutte entre elles.

    J’estime que, dans notre pays, la lutte de classe entre la ville et la campagne, les ouvriers et les paysans, se déroule sur trois fronts principaux :

    a) La lutte entre l’ensemble du prolétariat (personnifié par l’État) et la paysannerie au sujet des prix limites sur les produits fabriqués et les denrées agricoles, au sujet de la normalisation des impôts, etc. ; b) La lutte entre l’ensemble du prolétariat (personnifié par l’État) et la bourgeoisie rurale (koulaks) au sujet de la réduction des prix exagérés fixés par les spéculateurs sur les denrées agricoles, au sujetde l’imposition renforcée des koulaks, etc. ;

    c) La lutte entre les paysans pauvres, les ouvriers agricoles surtout, et la bourgeoisie rurale.

    Ces trois fronts, on le voit, n’ont pas la même importance, et la lutte n’y revêt pas le même caractère. C’est pourquoi notre attitude envers les formes de la lutte de classe sur ces trois fronts doit être différente.

    Examinons la question d’un peu plus près.

    Premier front. — Le prolétariat (personnifié par l’État), vu la faiblesse de notre industrie et l’impossibilité d’obtenir des emprunts, a établi un ensemble de mesures pour défendre notre industrie contre la concurrence étrangère et la développer à l’avantage de toute notre économie, l’agriculture y comprise.

    Monopole du commerce extérieur, impôt agricole, achat et vente par l’État des produits agricoles, plan général pour le développement de l’économie nationale, telles sont ces mesures basées sur la nationalisation des principales branches de l’industrie, des transports, du crédit.

    Ces mesures ont donné ce qu’elles devaient donner : elles ont mis fin à la dégringolade des prix des produits industriels et à renchérissement exagéré des denrées agricoles. Mais il est clair que la paysannerie, obligée d’acheter des produits industriels et de vendre des produits agricoles, préfère acheter le meilleur marché et vendre le plus cher possible. De même, elle voudrait que l’on supprimât complètement l’impôt agricole, ou du moins qu’on le réduisît au minimum.

    Voilà le terrain de la lutte entre le prolétariat et la paysannerie.

    L’État peut-il annuler purement et simplement les mesures indiquées plus haut ? Non. Car ce serait, actuellement, ruiner notre industrie,désagréger le prolétariat en tant que classe, transformer notre pays en colonie agricole des pays à industrie développée, couler toute notre révolution.

    La paysannerie dans son ensemble a-t-elle intérêt à la suppression de ces mesures ? Non, car leur suppression signifierait actuellement le triomphe de l’évolution capitaliste. Or celle­ci implique l’appauvrissement de la majorité des paysans et l’enrichissement d’une poignée de riches, de capitalistes.

    Qui osera affirmer que les paysans ont intérêt à leur propre appauvrissement, à la transformation de notre pays en colonie, qu’ils ne sont pas profondément intéressés au développement socialiste de notre économie ?

    Voilà le terrain de l’alliance entre le prolétariat et les paysans.

    Est-ce à dire que nos organes industriels, s’appuyant sur le monopole, puissent augmenter démesurément leurs prix au détriment de la masse paysanne et de l’industrie elle-même ? Jamais de la vie. Cela nuirait avant tout au développement de l’industrie, qui, hier encore, anémique et artificiellement entretenue, doit devenir demain un organisme robuste et puissant.

    De là notre campagne pour la réduction des prix sur les produits fabriqués et pour l’augmentation du rendement du travail. Vous savez que cette campagne a déjà donné d’assez bons résultats.

    Nos organes d’achat et de vente peuvent-ils profiter du monopole pour jouer sur la baisse des produits agricoles et ruiner ainsi les paysans au détriment du prolétariat et de toute notre économie ? Jamais de la vie.

    Une telle politique tuerait notre industrie, car elle désorganiserait son marché intérieur et empêcherait l’approvisionnement desouvriers en produits agricoles. De là notre campagne contre les « ciseaux », campagne qui a déjà donné des résultats favorables.

    Enfin, nos organes locaux et centraux pour la perception de l’impôt agricole peuvent-ils considérer la loi comme quelque chose d’absolu et aller jusqu’à démolir les granges et à ôter les toits des maisons des contribuables indigents, comme cela s’est vu dans certains districts du gouvernement de Tambov ? Jamais de la vie.

    De tels procédés enlèvent au paysan toute confiance dans le prolétariat et dans notre Etat. De là les dernières mesures du parti pour réduire l’impôt agricole, lui donner un caractère plus local, régulariser notre appareil fiscal, liquider les abus qui se produisent en certains endroits. Ces mesures, vous le savez, ont déjà en partie atteint leur but.

    Nous avons donc, premièrement, la communauté d’intérêts du prolétariat et de la paysannerie dans les questions fondamentales, ces deux classes ayant avantage à la réalisation du socialisme. De là le bloc ouvrier et paysan.

    Nous avons, deuxièmement, des antagonismes entre la classe ouvrière et les paysans dans les questions courantes. De là une lutte au sein de ce bloc, lutte largement compensée par la communauté d’intérêts des parties constituantes et qui cessera lorsque les ouvriers et les paysans ne seront plus des classes, lorsqu’ils seront les travailleurs d’une société sans classes.

    Nous avons, troisièmement, des moyens et des procédés pour résoudre ces antagonismes, en maintenant et en consolidant le bloc ouvrier et paysan à l’avantage des deux alliés. Et nous appliquons déjà avec succès ces procédés dans la situation compliquée créée par la Nep et la stabilisation temporaire du capitalisme.

    Ainsi, devons-nous attiser la lutte de classe sur ce front ? Nullement.

    De tout ce que j’ai dit il découle au contraire que nous devons atténuer par tous les moyens la lutte sur ce front, en la modérant par

    des accords et des concessions mutuelles et en l’empêchant de revêtir des formes aiguës, de dégénérer en collisions violentes. Et c’est ce que nous faisons. Nous avons d’ailleurs toutes les possibilités pour le faire, car la communauté d’intérêts qui unit paysans et ouvriers est plus profonde que les antagonismes qui les séparent.

    Comme vous le voyez, il ne saurait être question d’attiser la lutte de classe sur le premier front.

    Deuxième front. — Les combattants sont ici le prolétariat (personnifié par l’État soviétiste) et la bourgeoisie rurale. Les formes de la lutte de classe ont ici un caractère aussi spécial que sur le premier front.

    Voulant donner à l’impôt agricole un caractère nettement progressif, l’État en fait peser le poids principalement sur la bourgeoisie rurale.

    Cette dernière riposte et met en œuvre toute la force et toute l’influence dont elle dispose à la campagne pour rejeter le fardeau de l’impôt sur les paysans moyens et pauvres.

    Luttant contre la cherté et s’efforçant de maintenir la stabilité des salaires, l’État établit, pour les produits agricoles, des prix limites équitables qui correspondent entièrement aux intérêts des paysans.

    La bourgeoisie rurale riposte en achetant la récolte des paysans pauvres et moyens, en accaparant des quantités considérables de produits agricoles, qu’elle garde dans ses granges afin de provoquer la hausse des prix et de réaliser ensuite des bénéfices scandaleux.

    Vous savez sans doute que, dans certaines provinces, les koulaks ont réussi à faire monter le prix du blé jusqu’à huit roubles le poud.

    De là, sur ce front, une lutte de classe plus ou moins voilée.

    Il semble au premier abord qu’il soit de bonne politique d’attiser lalutte de classe sur ce front. Mais rien n’est plus faux. Là non plus,

    nous n’avons aucun intérêt à accentuer la lutte de classe. Nous pouvons et devons éviter une lutte de classe aiguë, avec toutes les complications qu’elle entraînerait.

    Nous pouvons et devons vivifier les soviets, conquérir le paysan moyen et organiser les paysans pauvres dans les soviets afin d’alléger l’imposition fiscale de la masse rurale et faire payer la plus grande partie des impôts par les koulaks. Comme vous le savez, nous avons déjà adopté à cet effet des mesures qui donnent d’excellents résultats.

    Nous pouvons et devons tenir à la disposition de l’État des réserves alimentaires suffisantes pour exercer une pression sur le marché, intervenir lorsque c’est nécessaire, maintenir les prix à un niveau acceptable pour les masses travailleuses et faire avorter ainsi les manœuvres des spéculateurs ruraux. Vous savez que nous avons employé à cela, cette année, plusieurs dizaines de millions de pouds de blé.

    Les résultats que nous avons obtenus sont des plus favorables, car non seulement nous avons réussi à maintenir le pain à bon marché à Léningrad, Moscou, Ivanovo-Voznessensk, dans le bassin du Donetz, etc., mais nous avons, dans plusieurs régions, obligé le koulak à capituler en le contraignant de jeter sur le marché les réserves de blé qu’il avait accumulées.

    Il est évident que tout ne dépend pas de nous seulement.

    Il est possible que, dans certains cas, la bourgeoisie paysanne elle-même veuille attiser la lutte de classe, l’aggraver à l’extrême, la transformer en banditisme et en soulèvements. Mais alors le mot d’ordre de l’aggravation de la lutte de classe ne sera pas notre mot d’ordre, mais celui des koulaks, donc un mot d’ordre contre-révolutionnaire.

    D’ailleurs, il est certain que la bourgeoisie rurale aura à se repentir de l’avoir lancé.Comme vous le voyez, il ne saurait être question d’attiser la lutte sur le deuxième front.

    Troisième front. — Les forces en présence sont ici les paysans pauvres, principalement les ouvriers agricoles, et la bourgeoisie rurale. Formellement, l’État n’est pas en cause.

    Ce front, on le voit, n’est pas si vaste que les deux précédents. La lutte de classe y est claire, nettement accusée, tandis qu’elle est plus ou moins masquée sur les deux autres fronts.

    Il s’agit de l’exploitation directe des salariés ou demi-salariés par le paysan patron. C’est pourquoi nous ne pouvons mener ici une politique d’adoucissement, de modération. Notre tâche est d’organiser la lutte des paysans pauvres contre la bourgeoisie paysanne et de la diriger.

    Mais n’est-ce pas là attiser la lutte de classe ? Nullement.

    Attiser la lutte ne signifie pas seulement l’organiser et la diriger. C’est aussi l’exacerber artificiellement et intentionnellement. Des mesures artificielles ne sont nullement nécessaires maintenant que nous avons la dictature du prolétariat et que les organisations syndicales agissent avec la plus entière liberté.

    On ne saurait donc préconiser non plus l’aggravation de la lutte de classe sur le troisième front.

    Ainsi, la question de la lutte de classe dans les campagnes n’est pas si simple qu’elle le semble à première vue.

    IV

    Gouvernement ouvrier-paysan comme réalité ou comme mot d’ordre d’agitation ?

    Cette question me semble quelque peu étrange. On pourrait croire que le parti lance des mots d’ordre qui ne correspondent pas à la réalité et ne servent qu’à masquer des manœuvres habiles, qualifiées en l’occurrence d’ « agitation ». Il semblerait que le parti donne parfois des mots d’ordre qui ne sont pas et ne peuvent pas être justifiés scientifiquement.

    En est-il ainsi ? Evidemment, non.

    Un parti qui agirait de la sorte ne serait pas le parti du prolétariat, il n’aurait pas une politique scientifique, il ne serait que l’écume à la surface des événements.

    Notre gouvernement est, par son caractère, son programme et sa tactique, un gouvernement ouvrier, prolétarien, communiste. Il ne saurait y avoir là-dessus ni doute ni discussion. Notre gouvernement ne peut avoir deux pronement ouvrier-paysan ? Nullement.

    Prolétarien par son programme et son travail pratique sont prolétariens, communistes, et, dans ce sens, notre gouvernement est certainement prolétarien et communiste.

    Est-ce à dire qu’il ne soit pas en même temps un gouvernement ouvrier-paysan ? Nullement Prolétarien par son programme et son travail, il est en même temps un gouvernement ouvrier-paysan.

    Pourquoi ?

    Parce que les intérêts fondamentaux de la masse paysanne coïncident entièrement avec ceux du prolétariat.

    Parce que les intérêts des paysans trouvent, par suite, leur expression intégrale dans le programme du prolétariat, du gouvernement soviétiste.

    Parce que le gouvernement soviétiste s’appuie sur le bloc des ouvriers et des paysans, basé sur la communauté de leurs intérêts fondamentaux.

    Parce que, enfin, dans les organes du gouvernement, dans les soviets, il y a non seulement des ouvriers mais aussi des paysans, quiluttent contre l’ennemi commun et travaillent à la réalisation du socialisme avec les ouvriers, sous la direction des ouvriers.

    Voilà pourquoi le mot d’ordre du gouvernement ouvrier-paysan n’est pas un simple mot d’ordre d’ « agitation », mais un mot d’ordre révolutionnaire du prolétariat, qui trouve sa justification scientifique dans le programme du communisme.

    V

    Certains camarades interprètent notre politique envers les paysans comme un élargissement de la démocratie pour les paysans et une modification du caractère du pouvoir. Cette interprétation est-elle juste ?

    Elargissons-nous réellement la démocratie dans les campagnes ? Oui.

    Est-ce une concession aux paysans ?

    Certainement.

    Cette concession est-elle considérable et dépasse-t-elle les cadres de notre Constitution ?

    J’estime qu’elle n’est pas très grande et qu’elle ne change en rien notre Constitution.

    Mais alors, que modifions-nous et en quoi consiste à proprement parler notre concession ?

    Nous modifions nos méthodes de travail à la campagne, car elles ne répondent plus à la nouvelle situation. Nous modifions le régime existant dans les villages, régime qui entrave notre alliance avec les paysans et nuit aux efforts que fait le parti pour grouper lapaysannerie autour du prolétariat.

    Dans beaucoup de régions, les villages étaient jusqu’à présent dirigés par un petit groupe d’hommes, beaucoup plus liés avec les autorités du district et de la province qu’avec les paysans.

    Par suite, les administrateurs ruraux se souciaient beaucoup plus de leurs supérieurs que de la population ; ils se sentaient responsables non pas devant leurs électeurs, mais devant les autorités du district et de la province, ne comprenant pas que la direction supérieure et la population forment une seule et même chaîne et que si cette chaîne se rompt par en bas, elle se rompt aussi par en haut.

    Résultat : absence de tout contrôle, arbitraire de la part des administrateurs et mécontentement de la part des administrés. Aussi, avons-nous dû, vous le savez, faire arrêter et emprisonner beaucoup de présidents de comités exécutifs cantonaux et de membres des cellules qui s’acquittaient déplorablement de leurs fonctions.

    Maintenant, nous supprimons résolument et définitivement les abus à la campagne.

    Dans beaucoup de régions, les élections des soviets ruraux n’étaient jusqu’à présent que la simple confirmation des députés présentés par un petit groupe de dirigeants qui, dans la crainte de perdre le pouvoir, faisaient pression sur la population pour l’amener à voter selon leurs vues. Par suite, les soviets risquaient de devenir des organes étrangers aux masses et la direction de la paysannerie par la classe ouvrière, direction qui est la base de la dictature du prolétariat, était fortement menacée.

    C’est pourquoi le parti fut obligé de faire procéder à la réélection des soviets. Cette réélection montra que les anciens procédés, dans beaucoup de régions, étaient une survivance du communisme deguerre et devaient être liquidés comme essentiellement nuisibles.

    C’est ce à quoi nous nous employons en ce moment avec énergie.

    Voilà l’essentiel de notre concession, la base de l’élargissement de la démocratie dans les campagnes.

    Cette concession n’est pas nécessaire aux paysans seulement. Elle l’est aussi au prolétariat, car elle le renforce, elle rehausse son prestige dans les campagnes, elle raffermit la confiance des paysans à son égard. Nos concessions et compromis ont pour but, comme on le sait, de renforcer en fin de compte le prolétariat.

    Quelles sont, pour le moment, les limites de nos concessions ? Ces limites ont été fixées par la 14e conférence du parti et le 3e congrès des soviets. Vous savez qu’elles ne sont pas très larges et ne dépassent nullement les cadres dont j’ai parlé. Mais il ne s’ensuit pas qu’elles doivent rester immuables.

    Loin de là, elles s’élargiront certainement au fur et à mesure que notre économie se développera, que le mouvement révolutionnaire se renforcera en Occident et en Orient et que la situation internationale de l’État soviétiste se consolidera.

    Lénine parlait en mars 1918 de la nécessité qu’il y aurait « d’étendre la constitution soviétiste à toute la population, à mesure que cesserait la résistance des exploiteurs ».

    Il s’agit, comme vous le voyez, d’étendre la constitution à toute la population, la bourgeoisie y comprise. Mais pendant les six années qui s’écoulèrent entre le moment où il fit cette déclaration et sa mort, Lénine ne proposa jamais de réaliser cet élargissement.

    Pourquoi ? Parce qu’il est encore trop tôt. Il faut attendre le moment où la situation intérieure et extérieure de l’État soviétiste sera définitivement consolidée.

    Voilà pourquoi, tout en prévoyant l’extension de la démocratie dans un avenir plus ou moins rapproché, nous estimons nécessaire de limiter, pour le moment, les concessions démocratiques aux cadres fixés par la 14e conférence du parti et le 3e congrès des soviets.

    Ces concessions modifient-elles le caractère du pouvoir ? Pas le moins du monde.

    Introduisent-elles dans le système de la dictature du prolétariat des modifications susceptibles d’affaiblir cette dernière ? Nullement.

    La dictature du prolétariat, loin de s’affaiblir, se renforce lorsque les soviets se vivifient et que l’élite de la paysannerie participe à l’administration. La direction de la paysannerie par le prolétariat non seulement se maintient grâce à l’élargissement de la démocratie, mais revêt un caractère plus effectif, tout en créant une atmosphère de confiance autour du prolétariat. Or, c’est là l’essentiel dans la dictature du prolétariat en ce qui concerne les rapports entre le prolétariat et la paysannerie.

    Il ne faut pas croire que la notion de dictature du prolétariat se réduise à la notion de violence. La dictature du prolétariat n’est pas seulement la violence, mais aussi la direction des classes non- prolétariennes par les masses travailleuses, la réalisation progressive de l’économie socialiste, plus parfaite que l’économie capitaliste et supérieure à cette dernière par la productivité du travail. La dictature du prolétariat est :

    1° La violence, juridiquement non limitée, envers les capitalistes et les propriétaires fonciers ;

    2° La direction de la paysannerie par le prolétariat ; 3° La réalisation progressive du socialisme pour toute la société.

    On ne saurait négliger un seul de ces trois aspects sans déformer la notion de dictature du prolétariat. Seule, leur réunion donne une idée complète, achevée de la dictature du prolétariat.

    La nouvelle tactique de démocratie soviétiste est-elle défavorable à la dictature du prolétariat ? Nullement.

    Le cours nouveau que nous avons adopté renforce au contraire la dictature du prolétariat.

    Pour ce qui est de l’élément violence de la dictature, violence dont l’armée rouge est l’expression, il est superflu de démontrer que la réalisation de la démocratie soviétiste dans les campagnes ne peut qu’améliorer l’état de l’armée rouge en la soudant plus fortement au pouvoir soviétiste, car l’armée est chez nous composée en majorité de paysans.

    Pour ce qui est de l’élément direction, la vivification des soviets facilitera au prolétariat cette direction en raffermissant la confiance des paysans dans la classe ouvrière. Quant à la réalisation du socialisme, il n’est guère nécessaire de démontrer que le cours nouveau du parti ne peut que la faciliter, car il consolidera le bloc ouvrier-paysan, sans lequel l’édification du socialisme est impossible.

    Donc, les concessions aux paysans, dans la situation actuelle, renforcent le prolétariat et consolident sa dictature, sans altérer le caractère du pouvoir.

    VI

    Notre parti fait-il des concessions à la droite de l’Internationale communiste en raison de la stabilisation du capitalisme, et si oui, est-ce vraiment une manœuvre tactique indispensable ? Il s’agit apparemment du parti communiste tchécoslovaque et de notre accord avec le groupe Sméral et Zapotocky contre les éléments de droite dudit parti.

    J’estime que notre parti n’a fait aucune concession à la droite de l’Internationale communiste. Bien au contraire, l’Exécutif élargi s’est efforcé d’isoler les éléments de droite de l’I.C. Lisez les résolutions de l’I.C. sur le parti tchécoslovaque, sur la bolchévisation, et vous verrez qu’elles étaient dirigées principalement contre les éléments de droite du communisme.

    Voilà pourquoi on ne saurait parler de concessions de notre parti à la droite de l’I.C.

    Sméral et Zapotocky, à proprement parler, ne sont pas de la droite.

    Ils n’adoptent pas la plate-forme de Brünn. Ce sont plutôt des hommes qui hésitent entre les léninistes et les droitiers, tout en penchant légèrement pour ces derniers.

    A l’Exécutif élargi, sous l’impression de notre critique et la menace d’une scission provoquée par la droite, ils se sont ralliés à nous et se sont engagés à faire bloc avec les léninistes contre la droite.

    Cet acte leur fait le plus grand honneur. Ne devions-nous pas aller au-devant de ces éléments hésitants lorsqu’ils ont commencé à pencher vers les léninistes, lorsqu’ils ont fait des concessions aux léninistes contre la droite ?

    C’est là une chose évidente et il serait triste d’avoir parmi nous des hommes incapables de comprendre les principes élémentaires de la tactique bolchéviste. Les faits n’ont-ils pas déjà montré que la politique de l’I. C. envers le parti communiste tchécoslovaque est la seule juste ?

    Sméral et Zapotocky ne continuent-ils pas, de concert avec les léninistes, à lutter contre la droite ; la tendance de Brünn n’est-elle pas déjà isolée dans le parti tchécoslovaque ?

    Mais, me demandera-t-on, cela durera-t-il longtemps ? Je ne puis le savoir, je ne veux pas faire de prophéties.

    Toujours est-il que, tant qu’il y aura lutte entre les partisans de Sméral et la droite, il y aura accord entre Sméral et nous, et que si Sméral abandonne sa position actuelle, cet accord cessera. Mais là n’est pas la question maintenant.

    La question est que le bloc actuel contre la droite renforce les léninistes, leur donne de nouvelles possibilités d’entraîner à leur suite les hésitants.

    C’est cela, et non pas les fluctuations éventuelles de Sméral et de Zapotocky, qui importe pour le moment.

    Il est des gens qui croient que les léninistes doivent soutenir tous les braillards et neurasthéniques de gauche, que, les léninistes sont toujours et partout les plus à gauche parmi les communistes. C’est faux, camarades. Nous sommes à gauche par rapport aux partis non-communistes de la classe ouvrière.

    Mais nous n’avons jamais juré d’être « plus à gauche que tout le monde », comme le voulait autrefois Parvus, ce qui lui attira une semonce de Lénine. Parmi les communistes, nous ne sommes ni « gauche », ni « droite », nous sommes simplement des léninistes.

    Lénine savait ce qu’il faisait en luttant sur deux fronts, contre la déviation de gauche dans le communisme aussi bien que contre la déviation de droite.

    Ce n’est pas par hasard qu’il a consacré toute une brochure au communisme de gauche, qu’il a appelé la maladie infantile du communisme.

    Je pense que cette sixième question ne m’aurait pas été posée si l’on avait bien compris cela.

    VII

    N’est-il pas à craindre, avec le cours nouveau, que l’agitation antisoviétiste ne se renforce à la campagne par suite de la faiblesse des organisations rurales du parti ?

    Ce danger existe incontestablement.

    On ne peut guère douter que les élections des soviets sous le mot d’ordre de la vivification signifient la liberté de propagande électorale. Les éléments antisoviétistes ne laisseront pas échapper une occasion aussi favorable de s’introduire par la porte qui leur est ouverte et de saboter le pouvoir soviétiste.

    De là le danger d’un renforcement de l’agitation antisoviétiste dans les campagnes. Les élections dans le Kouban, en Sibérie, en Ukraine prouvent éloquemment l’existence de ce danger, que la faiblesse de nos organisations rurales, ainsi que les velléités d’intervention des puissances impérialistes, contribuent certainement à accroître.

    Quelles sont les causes de ce danger ?

    A mon avis, il y en a au moins deux.

    Premièrement, les éléments antisoviétistes sentent qu’il s’est produit ces derniers temps dans les campagnes un certain déplacement de forces en faveur de la bourgeoisie paysanne, que, dans certaines régions, le paysan moyen s’est tourné vers le koulak.

    On pouvait déjà s’en douter avant les dernières élections, mais maintenant le fait est indiscutable. Telle est la principale cause qui fait que l’agitation antisoviétiste dans les campagnes menace de revêtir un caractère organisé.

    Deuxièmement, dans plusieurs régions, nos concessions aux paysansont été interprétées comme un signe de faiblesse. On pouvait encore

    en douter avant les élections, mais maintenant le doute n’est plus possible. De là, le cri de guerre des éléments réactionnaires des campagnes : « Allez-y plus fort ! » C’est là la seconde cause, moins importante il est vrai, du renforcement de l’agitation antisoviétiste dans les campagnes.

    Les communistes doivent comprendre tout d’abord que la période actuelle, dans les campagnes, est une période de lutte pour le paysan moyen, qu’il nous faut à tout prix amener ce dernier aux côtés du prolétariat, sinon le danger de l’agitation antisoviétiste se renforcera et le cours nouveau du parti ne profitera qu’aux réactionnaires.

    Les communistes doivent comprendre ensuite que l’on ne peut maintenant conquérir le paysan moyen qu’en appliquant la nouvelle politique du parti dans la question des soviets, de la coopération, du crédit, de l’impôt agricole, du budget local, etc.; que les méthodes de pression administrative ne peuvent que faire avorter cette politique ; qu’il faut, par des mesures d’ordre économique et politique, convaincra le paysan moyen de la justesse de notre tactique ; qu’on ne peut le gagner que par l’exemple, par des leçons de choses.

    Les communistes doivent comprendre, enfin, que le cours nouveau est destiné non pas à raviver les éléments antisoviétistes, mais à vivifier les soviets et à y attirer la masse rurale, qu’il n’exclut pas, mais implique une lutte vigoureuse contre les éléments antisoviétistes, que si ces derniers crient :

    « Allez-y plus fort ! », considérant nos concessions aux paysans comme un signe de faiblesse et les utilisant à des fins contre-révolutionnaires, il faut absolument leur démontrer que le pouvoir des soviets est fort et leur rappeler que la prison n’est pas loin.

    Je pense que, si l’on comprend bien ces tâches et si l’on s’en acquitte convenablement, le danger de renforcement de l’agitation antisoviétiste dans les campagnes sera écarté.

    VIII

    N’est-il pas à craindre qu’avec le renforcement de l’influence des sans-parti, il se forme des fractions organisées de sans-parti dans les soviets ?

    Ce danger est très relatif. Il n’y a aucun danger à ce que l’influence des sans-parti plus ou moins organisés s’accroisse là où l’influence des communistes ne pénètre pas encore. Il en est ainsi pour les syndicats dans les villes et les associations sans-parti, plus ou moins soviétistes, dans les campagnes. Le danger ne commence que lorsque les associations de sans-parti songent à se substituer au parti.

    D’où vient ce danger ?

    Fait caractéristique, ce danger n’existe pas ou presque pas dans la classe ouvrière. La raison en est qu’il existe un nombreux contingent d’ouvriers sans-parti actifs qui gravitent autour du parti, l’entourent d’une atmosphère de confiance et le lient à des millions d’ouvriers.

    Fait non moins caractéristique, ce danger est particulièrement sensible parmi la paysannerie.

    Pourquoi ? Parce que, dans la masse rurale, le parti est faible, il n’a pas encore autour de lui un fort contingent de sans-parti actifs, pouvant le relier aux dizaines de millions de paysans. Or, nulle part, semble-t-il, nous n’avons un besoin aussi urgent de sans-parti actifs que parmi les paysans.

    Par conséquent, pour que les masses paysannes sans-parti ne s’éloignent pas, ne se détachent pas du parti, il faut créer autour de ce dernier un nombreux contingent de paysans sans-parti actifs.

    Mais on ne peut y arriver d’un seul coup, ou en quelques mois. On ne peut recruter ce contingent dans la masse rurale qu’avec le temps, au cours du travail journalier, par la vivification des soviets, l’organisation de la coopération.

    Pour cela, il faut que le communiste se comporte différemment envers le sans-parti, qu’il le considère comme un égal, qu’il ait confiance en lui, qu’il entretienne avec lui des relations fraternelles.

    On ne saurait exiger la confiance des sans-parti si on leur répond par la méfiance. Lénine disait que la confiance mutuelle doit être à la base des rapports entre communistes et sans-parti. Il ne faut pas oublier ces paroles.

    Créer une atmosphère de confiance mutuelle entre communistes et sans-parti, voilà ce qu’il faut avant tout pour préparer la formation d’un nombreux contingent de paysans actifs groupés autour du parti.

    Comment se crée cette confiance ? Progressivement et non par des ordres. Elle ne peut se former, comme le disait Lénine, que par le contrôle mutuel amical des communistes et des sans-parti au cours du travail pratique.

    Lors de la première épuration du parti, les communistes ont été contrôlés par les sans-parti, ce qui a donné d’excellents résultats et a eu pour effet de créer une atmosphère de confiance autour du parti.

    Les leçons de la première épuration, disait alors Lénine, ont montré que le contrôle mutuel des communistes et des sans-parti doit être étendu à tous les domaines de notre travail. Je pense qu’il est temps de nous rappeler ces paroles de Lénine et de les mettre en pratique.

    Ainsi, c’est par une critique et un contrôle mutuels au cours du travail journalier que l’on arrivera à créer la confiance entre communistes et sans parti.

    C’est là la voie que doit suivre le parti s’il veut empêcher les sans-parti de se détacher de lui et créer autour de ses organisations rurales un fort contingent de paysans actifs.

    IX

    Pourrons-nous, sans l’aide de l’étranger, renouveler et augmenter considérablement le capital fondamental de la grande industrie ? On peut comprendre cette question de deux façons.

    Ou bien on veut parler de l’aide immédiate à l’État soviétiste sous forme de crédits accordés par les Etats capitalistes, crédits qui seraient la condition nécessaire du développement de l’industrie soviétiste.

    Ou bien on veut parler de l’aide crue donnera le prolétariat d’Occident à l’État soviétiste, après sa victoire, en tant que condition nécessaire à l’organisation de l’économie socialiste.

    Je vais essayer de répondre à cette question dans ses deux acceptions.

    Tout d’abord, la grande industrie soviétiste peut-elle, dans notre pays entouré d’Etats capitalistes, se développer sans crédits extérieurs ?

    Oui, elle le peut. Il y aura évidemment de grandes difficultés à surmonter, de dures épreuves à traverser ; néanmoins, en dépit de tous les obstacles, nous pourrons industrialiser notre pays sans crédits extérieurs.

    Les voies qui ont permis jusqu’à présent la formation et le développement de puissants Etats industriels sont au nombre de trois.

    La première voie est celle des conquêtes et du pillage des colonies.

    C’est ainsi que s’est développée l’Angleterre, qui s’est taillé des colonies dans toutes les parties du monde, en a extrait durant deux siècles de la plus-value pour renforcer son industrie et est devenue en fin de compte la « fabrique » de l’univers. Cette voie ne nous convient nullement, car la conquête et la spoliation coloniales sont incompatibles avec l’essence du régime soviétiste.

    La deuxième voie est celle des victoires militaires et des contributions de guerre prélevées par un pays sur un autre. C’est la voie qu’a suivie l’Allemagne, qui, après avoir écrasé la France en 1870 et lui avoir extorqué cinq milliards de francs, employa cette somme au développement de son industrie.

    Au fond, cette deuxième voie ne se distingue pas de la première, et elle est, il va de soi, également incompatible avec l’essence du régime soviétiste.

    La troisième voie est celle des concessions et des emprunts, qui ont pour effet de mettre un pays arriéré sous la tutelle de pays à capitalisme plus développé.

    Ainsi la Russie tsariste, accordant des concessions aux puissances occidentales et en obtenant des emprunts, tomba dans une situation de demi-colonie, ce qui n’excluait pas pour elle la possibilité d’avoir par la suite un développement industriel indépendant, à condition, évidemment, de faire quelques guerres victorieuses et de mettre à sac quelques pays. Inutile de démontrer que cette voie non plus ne convient pas au pays des soviets.

    Ce n’est pas pour nous remettre volontairement sous le joug de l’étranger, au lendemain de notre victoire dans la guerre civile, que nous avons., pendant trois ans, combattu, les armes à la main, les impérialistes de tous les pays.

    Il serait faux de croire que, dans la pratique, il faille choisir une de ces voies et la suivre à l’exclusion des autres. Un Etat peut parfaitement adopter une de ces voies, puis s’engager dans une autre ; c’est ce que montre, entre autres, l’exemple des Etats-Unis.

    La raison en est que ces voies de développement, malgré leurs différences, ont quelque chose de commun qui les rapproche et les fait parfois se confondre : toutes, elles conduisent à la création d’Etats industriels capitalistes, toutes, elles impliquent l’afflux de « capitaux supplémentaires » de l’extérieur, comme condition indispensable de la formation de ces Etats.

    Mais on ne saurait les confondre, les identifier, car elles sont l’expression de trois méthodes différentes de formation d’Etats capitalistes industriels, et chacune d’elles imprime un caractère spécial à la physionomie de ces Etats.

    Que reste-t-il à faire à l’État soviétiste, pour lequel les anciennes voies de l’industrialisation sont inadmissibles, s’il ne peut obtenir de capitaux sans se mettre sous la tutelle des prêteurs ?

    Il lui reste une autre voie, celle du développement de la grande industrie sans crédit extérieur, sans affluence du capital étranger, il lui reste la voie esquissée par Lénine dans son article Peu mais bien.

    Nous devons tâcher — dit Lénine — de construire un Etat dans lequel les ouvriers maintiennent leur direction sur les paysans, conservent la confiance de ces derniers et se gardent strictement de tout superflu. Nous devons réduire notre appareil d’État de façon à réaliser le maximum d’économie…

    Si nous conservons à la classe ouvrière la direction de la paysannerie, nous pourrons, en nous en tenant à une rigoureuse économie dans notre production et notre appareil d’État, employer les moindres sommes mises de côté pour développer l’électrification…

    C’est alors seulement que nous pourrons troquer notre haridelle contre la monture nécessaire au prolétariat : la grande industriemécanique, l’électrification, l’utilisation de la force des cours d’eau, etc.

    Voilà la voie où notre pays s’est déjà engagé et qu’il doit continuer de suivre pour développer sa grande industrie et devenir un Etat industriel prolétarien.

    Cette voie n’a pas été explorée par les Etats bourgeois. Mais cela ne signifie nullement qu’elle soit impraticable pour un Etat prolétarien.

    Ce qui est impossible, ou presque impossible, en l’occurrence aux Etats bourgeois convient parfaitement à l’État prolétarien.

    Car l’État prolétarien a des avantages que n’ont pas et ne peuvent pas avoir les Etats bourgeois. Industrie, transport et crédit nationalisés, commerce extérieur monopolisé, commerce intérieur réglé par l’État : autant de sources de « capitaux supplémentaires » susceptibles d’être utilisés pour le développement de l’industrie de notre pays et dont les Etats bourgeois n’ont jamais disposé. L’État prolétarien, lui, les utilise et il a déjà obtenu des résultats importants dans le développement de notre industrie.

    Voilà pourquoi cette voie de développement, qui n’est pas accessible aux Etats bourgeois, l’est parfaitement pour un Etat prolétarien, malgré toutes les difficultés qu’elle présente.

    Il faut remarquer en outre que le capital étranger ne peut continuer à nous boycotter éternellement. Il a déjà commencé, en petite quantité, à venir dans notre pays. Nul doute que cette tendance ne se renforce à mesure que notre économie se consolidera.

    Passons maintenant à la seconde interprétation de la question.

    Pouvons-nous construire une économie socialiste dans notre pays sans la victoire préalable du socialisme dans les principaux pays européens, sans l’aide technique du prolétariat européen victorieux ?

    Avant d’examiner cette question, je voudrais dissiper un malentendu des plus fréquents.

    Certains camarades identifient la question du renouvellement de l’outillage et de l’accroissement du capital fondamental de la grande industrie avec la question de l’édification de l’économie socialiste.

    Cette identification est-elle justifiée ?

    Non.

    Pourquoi ?

    Parce que la première question est beaucoup plus étroite que la seconde. Parce que l’élargissement du capital fondamental de l’industrie n’embrasse qu’une partie de l’économie nationale, l’industrie, tandis que la question de l’édification de l’économie socialiste embrasse toute l’économie nationale, c’est-à-dire l’industrie et l’agriculture.

    Parce que le problème de la réalisation du socialisme, c’est le problème de l’organisation intégrale de l’économie nationale, c’est le problème de la coordination rationnelle de l’industrie et de l’agriculture, tandis que la question de l’élargissement du capital fondamental de l’industrie n’effleure même pas, à strictement parler, ce problème.

    Le capital fondamental de l’industrie peut se renouveler et s’élargir sans que le problème de l’édification de l’économie socialiste soit par là même résolu.

    Le socialisme est une association de production et de consommation des travailleurs de l’industrie et de l’agriculture. Si, dans cette association, l’industrie n’est pas en harmonie avec l’agriculture, qui donne les matières premières, les denrées alimentaires et absorbe les produits industriels, si l’industrie et l’agriculture ne constituent pas un tout économique, il n’y aura jamais de socialisme.

    Voilà pourquoi la question des rapports entre l’industrie et l’agriculture, le prolétariat et les paysans, est capitale pour l’édification de l’économie socialiste.Voilà pourquoi le renouvellement de l’outillage et l’accroissement du capital fondamental de la grande industrie ne doivent pas être confondus avec l’édification de l’économie socialiste.

    Ainsi, est-il possible d’édifier le socialisme chez nous sans le triomphe préalable du socialisme dans les autres pays, sans l’aide technique et matérielle directe du prolétariat d’Occident ?

    Cela est non seulement possible, mais nécessaire et inévitable. Car nous procédons déjà à la réalisation du socialisme en développant l’industrie nationalisée, en la soudant à l’agriculture, en introduisant la coopération dans les campagnes, en incluant l’économie paysanne dans le système général de l’économie soviétiste, en vivifiant les soviets, en incorporant la masse de la population à l’appareil étatique, en créant une nouvelle culture et un nouvel ordre social.

    Dans cette voie, à coup sûr, nous aurons à surmonter des difficultés et des épreuves sans nombre. Il n’est pas douteux que la victoire du socialisme en Occident faciliterait grandement notre tâche.

    Mais cette victoire n’arrive pas aussi vite que nous le voudrions ; d’ailleurs, les difficultés auxquelles nous nous heurtons ne sont pas insurmontables ; la preuve en est que nous en avons déjà surmonté une partie.

    Je voudrais maintenant vous donner un aperçu historique de la question et vous en montrer l’importance pour le parti.

    Abstraction faite de la discussion de 1905-1906, la question de la réalisation du socialisme dans un pays isolé s’est posée pour la première fois dans le parti au cours de la guerre impérialiste, en 1915.

    Lénine formula alors sa thèse de la « possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays capitaliste ». Trotsky la combattit et déclara : « On ne saurait espérer, par exemple, que la Russie puisse tenir contre l’Europe conservatrice ».

    En 1921, après la révolution d’Octobre et la guerre civile, la question de la réalisation du socialisme vint de nouveau à l’ordre du jour dans le parti. C’était le moment où l’adoption de la nouvelle politique économique était interprétée par certains camarades comme une renonciation aux tâches socialistes, à l’édification du socialisme.

    Dans sa brochure L’impôt agricole, Lénine définit alors la Nep comme la condition nécessaire pour réaliser la soudure de l’industrie et de l’économie rurale et créer une base solide pour l’édification du socialisme. En janvier 1922, dans la préface de son ouvrage intitulé : 1905, Trotsky soutient une thèse tout opposée.

    Il déclare que « les contradictions auxquelles un gouvernement ouvrier est aux prises dans un pays arriéré, à population rurale prédominante, ne peuvent trouver leur solution qu’à l’échelle internationale, sur l’arène de la révolution mondiale du prolétariat ».

    Un an après, nous avons de nouveau deux déclarations contraires : celle de Lénine au soviet de Moscou : « La Russie de la Nep deviendra la Russie socialiste » et celle de Trotsky dans la postface de son Programme de paix : « L’essor véritable de l’économie socialiste en Russie ne sera possible qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d’Europe ».

    Enfin, peu avant sa mort, en mai 1923, Lénine revient à cette question dans son article De la coopération, où il déclare que nous possédons, dans notre Union soviétique, « tout ce qui est nécessaire à la réalisation du socialisme intégral ».

    De cet historique succinct, il ressort que la réalisation du socialisme dans notre pays est un des problèmes qui ont le plus préoccupé notre parti. Inutile de dire que si Lénine est si souvent revenu à cettequestion, c’est qu’il la considérait comme fondamentale.

    Dans la suite, l’essor de notre économie, l’aggravation de la lutte entre les éléments socialistes et capitalistes et surtout la stabilisation provisoire du capitalisme ont encore accru l’importance de la question de l’édification socialiste. En quoi cette question est-elle importante pour le travail pratique de notre parti ?

    En ce qu’elle concerne la perspective et les objectifs de notre œuvre de construction. On ne peut construire sans savoir ce qu’on construit.

    On ne peut avancer sans connaître la direction à suivre. La question de la perspective est essentielle pour notre parti, habitué à avoir toujours devant lui un but clair et précis.

    Construisons-nous en vue du socialisme dont nous escomptons la victoire finale, ou bien construisons-nous à l’aveuglette, en fumant, dans l’attente de la révolution socialiste mondiale, le sol où fleurira la démocratie bourgeoise ? C’est là, en ce moment, une question fondamentale et qui exige une réponse claire.

    Des milliers de militants du parti, des syndicats, des coopératives, des organisations économiques et culturelles, de l’armée rouge, des Jeunesses s’adressent à nous et nous demandent : Quel est le but de notre travail, que construisons-nous ?

    Et malheur aux chefs qui ne sauront pas ou ne voudront pas donner à cette question une réponse claire et précise, qui louvoieront, renverront les gens de Pilate à Hérode et chercheront à noyer dans les brumes de leur scepticisme d’intellectuels les perspectives socialistes de notre édification.

    Un des grands mérites du léninisme, c’est de ne pas faire le travail à l’aveuglette, de ne pas concevoir l’édification sans une perspective déterminée, de définir clairement notre perspective en déclarant que nous avons toutes les données nécessaires à la réalisation du socialisme intégral et que, par suite, nous devons nous mettre à l’œuvre sans retard.

    Voilà ce qu’il en est de la possibilité de réalisation du socialisme.

    Autre chose est de savoir si nous parviendrons à coup sûr à transformer cette possibilité en réalité. Cela ne dépend pas uniquement de nous. Cela dépend aussi de la force des ennemis et des amis que nous avons à l’étranger.

    Nous arriverons à notre but si on nous laisse la paix, si la période de « trêve » se prolonge, si de puissants Etats capitalistes ne nous attaquent pas, si la force du mouvement révolutionnaire international et de notre pays suffit à rendre impossible toute tentative sérieuse d’intervention. Et, au contraire, nous n’arriverons pas à réaliser le socialisme si une intervention militaire victorieuse nous terrasse.

    X

    Indiquez-nous les principales difficultés que, en raison de la stabilisation du capitalisme et du retard de la révolution mondiale, nous aurons à surmonter dans notre action communiste et soviétiste, et principalement dans les rapports entre le parti et la classe ouvrière, la classe ouvrière et les paysans.

    Ces difficultés, à ne considérer que les principales, sont au nombre de cinq. La stabilisation du capitalisme les accentue quelque peu.

    Première difficulté. — Elle résulte du danger d’intervention. Cela ne veut pas dire que nous soyons menacés d’un danger immédiat d’intervention, que les impérialistes soient déjà prêts à attaquer notre pays et en état de le faire.

    Il faudrait pour cela que l’impérialisme soit au moins aussi puissant qu’il l’était avant la guerre, ce qui n’est pas le cas.La guerre du Maroc et l’intervention en Chine, répétitions des guerres et interventions futures, montrent nettement que le capitalisme est affaibli.

    Il ne s’agit donc pas d’un danger direct d’intervention, mais de la permanence d’un danger d’intervention tant qu’existe l’encerclement capitaliste, et, partant, de la nécessité pour nous d’entretenir une armée et une flotte de guerre, qui engloutissent chaque années des centaines de millions de roubles, ce qui nous oblige à réduire d’autant nos dépenses dans les domaines culturel et économique.

    S’il n’y avait pas de danger d’intervention, nous pourrions employer cet argent à renforcer l’industrie, à améliorer l’agriculture, à assurer l’instruction primaire obligatoire, etc. Ainsi, le danger d’intervention entrave dans une certaine mesure notre œuvre de construction, nous crée une première difficulté.

    Cette difficulté, il ne dépend pas seulement de nous de la vaincre ; elle ne peut être surmontée que par les efforts simultanés de notre pays et du mouvement révolutionnaire des autres pays.

    Deuxième difficulté. — Elle découle des antagonismes entre le prolétariat et la paysannerie. J’en ai déjà parlé dans mon analyse de la lutte de classe dans les campagnes, et il est inutile d’y revenir.

    Ces antagonismes se manifestent dans la question des prix des produits industriels et agricoles, de l’administration rurale, etc. Le danger réside ici dans la désagrégation du bloc ouvrier-paysan et dans l’affaiblissement de la direction exercée par la classe ouvrière sur la paysannerie.

    Ce qui distingue cette difficulté de la précédente, c’est qu’elle peut être entièrement surmontée par nos propres forces.

    Le cours nouveau dans les campagnes, voilà ce qu’il faut pour vaincre cette difficulté.Troisième difficulté. — Elle découle des antagonismes qui se manifestent entre le « centre » et les régions périphériques de l’U.R.S.S. et qui ont leur source dans la diversité de développement économique et culturel des différentes parties de notre pays. Si l’on peut considérer les antagonismes politiques comme surmontés, les antagonismes culturels et surtout économiques commencent seulement à apparaître.

    Le danger est double : tout d’abord danger de morgue et d’arbitraire bureaucratique des institutions centrales, ne sachant pas ou ne voulant pas donner l’attention nécessaire aux besoins des républiques nationales ; ensuite, danger d’isolement national, de méfiance nationale des républiques et des régions autonomes à l’égard du « centre ».

    La lutte contre ces dangers, le premier surtout, est nécessaire pour venir à bout des difficultés qui se présentent dans la question nationale. La troisième difficulté que nous venons d’exposer peut, comme la précédente, être surmontée par les forces intérieures de l’Union soviétique.

    Quatrième difficulté. — Elle provient de la possibilité pour l’appareil d’État de se détacher du parti, d’échapper peu à peu à la direction de ce dernier. J’ai parlé de ce danger en analysant le danger de dégénérescence du parti. Inutile de répéter.

    Ce danger est entretenu par l’existence d’éléments bureaucratiques bourgeois au sein de l’appareil étatique et considérablement renforcé par l’extension et l’importance croissantes de cet appareil.

    Notre devoir est de réduire le plus possible l’appareil d’État, d’en éliminer les éléments qui y introduisent le bureaucratisme et l’influence bourgeoise, de répartir les forces du parti dans les principaux centres de l’appareil d’État et de mettre ainsi ce dernier sous la direction communiste.La quatrième difficulté peut également être surmontée par nos propres forces.

    Cinquième difficulté. — Il est à craindre que les organisations communistes et syndicales ne s’éloignent de la masse ouvrière et ne négligent les besoins et les aspirations de cette masse. Ce danger provient de d’existence d’éléments bureaucratiques existant dans nombre d’organisations communistes et syndicales, y compris les cellules et les comités d’entreprises.

    Il s’est encore accru ces derniers temps par suite de l’adoption du mot d’ordre « Face à la campagne », qui a eu pour résultat de concentrer l’attention de nos organisations sur la paysannerie.

    Beaucoup de camarades n’ont pas compris que, tout en faisant face à la campagne, il ne fallait pas tourner le dos au prolétariat, que notre nouveau mot d’ordre ne pouvait être réalisé que par les forces du prolétariat, que la négligence des besoins de la classe ouvrière ne pouvait que contribuer à détacher les organisations communistes et syndicale des masses ouvrières.

    Quels sont les symptômes de ce danger ?

    Premièrement, l’attention insuffisante de nos organisations communistes et syndicales aux besoins et aspirations des masses ouvrières.

    Deuxièmement, l’inintelligence du fait que les ouvriers ont maintenant davantage 4e sentiment de leur dignité, qu’ils se sentent davantage classe dirigeante, qu’ils ne comprennent pas et ne souffriront pas les procédés bureaucratiques des organisations communistes et syndicales.

    Troisièmement, l’incompréhension du fait qu’on ne doit pas donner aux ouvriers des ordres irréfléchis, que, maintenant, il ne s’agit plusde donner des ordres, mais de gagner la confiance de toute la classe ouvrière.

    Quatrièmement, l’incompréhension du fait que l’on ne peut réaliser des réformes de quelque envergure dans le travail à l’usine sans éclairer préalablement les ouvriers sur la question, sans prendre leur avis dans des conférences industrielles.

    Aussi est-il à craindre, comme l’ont montré les récents conflits du textile, que les organisations communistes et syndicales ne se détachent de la masse ouvrière et que des conflits n’éclatent dans les entreprises.

    Telles sont les caractéristiques de la cinquième difficulté.

    Pour la surmonter, il faut avant tout épurer les organisations communistes et syndicales de tous les éléments nettement bureaucratiques, renouveler les comités d’entreprises, stimuler l’activité des conférences industrielles, concentrer le travail du parti dans les grandes cellules industrielles et y détacher nos meilleurs militants.

    Plus d’attention aux besoins et aux aspirations de la classe ouvrière !

    Moins de formalisme bureaucratique dans le travail de nos organisations communistes et syndicales, plus de respect pour la dignité des ouvriers !

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Réponse au Social-démocrate

    La Prolétariatis Brdzola [la Lutte du prolétariat], n°11, 15 août 1905.
    Article non signé.
    Traduit du géorgien.

       Je dois tout d’abord m’excuser auprès du lecteur d’avoir tardé à répondre. Qu’y faire ? Les circonstances m’ayant obligé à travailler dans un autre domaine, force m’a été de différer ma réponse ; nous ne disposons pas de nous-mêmes vous le savez bien.

       Je tiens encore à faire remarquer ceci : beaucoup de gens croient que la brochure : Coup d’œil rapide sur les divergences dans le parti a pour auteur le Comité de l’Union et non une seule personne. Je dois déclarer que cette brochure est de moi. Le Comité de l’Union n’a fait que l’éditer.

       Et maintenant, abordons le sujet.

       L’adversaire m’accuse de « ne pas apercevoir l’objet du débat », « d’escamoter les questions » (1) ; il prétend que ce sont « les questions d’organisation et non celles de programme qui sont matière à litige » (p. 2).

       Il suffit d’être un peu observateur pour découvrir la fausseté des affirmations de l’auteur. En effet, ma brochure est une réponse au premier numéro du Social-démocrate, elle était déjà sous presse quand a paru le second numéro du Social-démocrate.

    Que disait l’auteur dans le premier numéro ? Simplement que la « majorité » s’est engagée dans la voie de l’idéalisme et que sa position « contredit foncièrement » le marxisme.

    Ici, pas un mot sur les questions d’organisation. Que devais-je répondre ? Ce que j’ai répondu : que la « majorité » se place sur les positions du marxisme authentique, et que si la « minorité » ne l’a pas compris, c’est qu’elle-même s’est écartée du marxisme authentique.

    Quiconque entend quelque chose à la polémique aurait agi de même. Mais l’auteur ne fait que répéter : pourquoi ne dis-tu rien des questions d’organisation ? Si je n’en dis rien, honorable philosophe, c’est parce que vous n’en aviez soufflé mot à cette date.

    Comment répondre à des questions qui n’ont pas encore été posées ? Il est évident que « les problèmes escamotés », « l’objet du débat passé sous silence », etc…, ne sont qu’inventions de l’auteur. J’ai, en revanche, toute raison de croire que c’est lui qui passe sous silence certaines questions.

    Il déclare que les « problèmes d’organisation sont matière à litige », alors qu’il existe aussi entre nous des divergences de tactique, qui ont beaucoup plus d’importance que les divergences en matière d’organisation. pourtant notre « critique » n’en a pas soufflé mot dans sa brochure. C’est bien ce qui s’appelle « escamoter les problèmes ».

       Qu’est-il dit dans ma brochure ?

       La vie sociale, de nos jours, est organisée sur le mode capitaliste. Il existe deux grandes classes : la bourgeoisie et le prolétariat, engagés dans une lutte à mort. Les conditions de vie de la bourgeoisie l’obligent à consolider le régime. Les conditions de vie du prolétariat l’obligent à saper ce régime, à le détruire.

    Deux consciences s’élaborent qui correspondent à ces deux classes : l’une bourgeoise, l’autre socialiste. A la situation du prolétariat correspond la conscience socialiste. C’est pourquoi le prolétariat fait sienne cette conscience, se l’assimile est lutte avec une énergie redoublée contre le régime capitaliste.

    Est-il besoin de dire que, s’il n’y avait ni capitalisme ni lutte des classes, il n’y aurait pas non plus de conscience socialiste ? Mais à présent la question est de savoir qui élabore, qui a la possibilité d’élaborer cette conscience socialiste (c’est-à-dire le socialisme scientifique).

    Kautsky dit, et je reprends sa pensée, que la masse des prolétaires, tant qu’ils restent des prolétaires, n’a ni le temps, ni la possibilité d’élaborer une conscience socialiste. « La conscience socialiste d’aujourd’hui ne peut surgir que sur la base d’une profonde connaissance scientifique » (2), dit Kautsky.

    Or les représentants de la science sont des intellectuels comme Marx, Engels, d’autres encore, qui ont le temps et la possibilité de se placer à la pointe de la science et d’élaborer une conscience socialiste. Il est évident que l’élaboration d’une conscience socialiste est l’oeuvre d’un petit nombre d’intellectuels social-démocrates qui disposent du temps et des moyens nécessaires.

       Mais quelle importance a, par elle-même, la conscience socialiste si elle ne s’est pas propagée dans le prolétariat ? Elle restera une phrase creuse, rien de plus !

    Il en ira tout autrement si cette conscience se répand dans le prolétariat : d’un pas accéléré vers une vie socialiste.

    C’est alors qu’intervient la social-démocratie (et non seulement les intellectuels social-démocrates), qui introduit la conscience socialiste dans le mouvement ouvrier. C’est ce que Kautsky a en vue quand il dit que « la conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat » (3).

       Ainsi, la conscience socialiste est élaborée par un petit nombre d’intellectuels social-démocrates. Cette conscience est introduite dans le mouvement ouvrier par la social-démocratie dans son ensemble, qui donne à la lutte spontanée du prolétariat un caractère conscient.

       C’est de cela qu’il est question dans ma brochure.

       Telle est la position du marxisme et aussi de la « majorité ».

       Qu’oppose à cela mon adversaire ?

       A vrai dire, rien de substantiel. Il est bien plus préoccupé d’invectiver que d’élucider la question. Il a l’air joliment fâché !

    Il n’ose poser les questions ouvertement, il n’y répond pas directement ; mais ce « foudre de guerre » pusillanime évite l’objet même du débat, estompe hypocritement les questions clairement posées et, par surcroît, assure : j’ai élucidé l’ensemble des questions en un tournemain !

    C’est ainsi que l’auteur n’envisage absolument pas l’élaboration de la conscience socialiste, il ne se décide pas à dire franchement de quel côté il se range dans cette question : du côté de Kautsky ou du côté des « économistes ».

    Il est vrai que dans le premier numéro du Social-démocrate notre critique a fait des déclarations assez osées: il parlait alors carrément le langage des « économistes ».

    Mais qu’y faire ?

    Alors, il disait une chose ; maintenant son « humeur a changé » et, au lieu de critiquer, il élude la question, peut-être parce qu’il s’est rendu compte de son erreur sans toutefois se résoudre à la reconnaître ouvertement. En somme, notre auteur est pris entre deux feux.

    Il n’arrive pas à savoir de quel côté il doit se ranger. S’il se joint aux « économistes », il lui faudra rompre avec Kautsky et le marxisme ; or, il n’y trouve pas son profit ; s’il rompt avec « l’économisme » et se joint à Kautsky, il devra nécessairement souscrire à ce que dit la « majorité », — et il n’en a pas le courage. Ce qui fait qu’il est pris entre deux feux. Que restait-il à faire à notre « critique » ? Il vaut mieux ne rien dire, décide-t-il : et en effet, il passe lâchement sous silence la question posée plus haut.

       Que dit l’auteur au sujet de l’introduction de la conscience ?

       Là encore, il fait preuve de la même hésitation, de la même pusillanimité? Il escamote la question et déclare avec beaucoup d’aplomb : Kautsky ne dit pas du tout que « les intellectuels importent du dehors le socialisme dans la classe ouvrière » (p. 7).

       Fort bien, mais nous autres, bolchéviks, ne le disons pas non plus, monsieur le « critique » ; quel besoin avez-vous de vous battre contre des moulins à vent ?

    Comment n’arrivez-vous pas à comprendre que, selon nous, selon les bolchéviks c’est la social-démocratie qui introduit la conscience socialiste dans le mouvement ouvrier (4), et non les seuls intellectuels social-démocrates ? Pourquoi pensez-vous que le Parti social-démocrate est composé uniquement d’intellectuels ?

    Ignoreriez-vous que la social-démocratie compte dans ses rangs beaucoup plus d’ouvriers que d’intellectuels ? Les ouvriers social-démocrates ne peuvent-ils pas introduire la conscience socialiste dans le mouvement ouvrier ?

       L’auteur se rend visiblement compte de la faiblesse de son « argumentation » et il passe à un autre « argument » :

       Kautsky écrit, poursuit notre « critique » : « En même temps que le prolétariat, naît avec une nécessité naturelle une tendance socialiste, aussi bien chez les prolétaires que chez ceux qui adoptent le point de vue du prolétariat ; ainsi s’explique la naissance des aspirations socialistes ».

    D’où il résulte, commente notre « critique », que le socialisme n’est pas importé du dehors dans le prolétariat, mais qu’au contraire il sort du prolétariat et entre dans la tête de ceux qui adoptent les conceptions du prolétariat. (Réponse au Comité de l’Union).

       Ainsi parle notre « critique » qui s’imagine avoir élucidé la question ! Que signifient les termes de Kautsky ? Simplement que l’aspiration socialiste naît d’elle-même dans le prolétariat.

    Et cela est juste, bien entendu. Notre débat porte non sur l’aspiration socialiste, mais sur la conscience socialiste ! Qu’y a-t-il de commun entre l’une et l’autre ?

    La conscience et l’aspiration sont-elles une seule et même chose ? L’auteur ne peut-il vraiment distinguer entre la « tendance socialiste » et la « conscience socialiste » ? Et n’est-ce pas indigence de pensée que de conclure des termes de Kautsky que le « socialisme n’est pas importé du dehors »?

    Quoi de commun entre la « naissance de la tendance socialiste » et l’introduction de la conscience socialiste ? Le même Kautsky ne dit-il pas que la « conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat » ? (Voir Que faire ?).

       Il faut croire que l’auteur se rend compte qu’il s’est mis en fâcheuse posture et, pour terminer, il se voit obligé d’ajouter :

       De la citation de Kautsky il ressort en effet que la conscience socialiste est importée du dehors dans la lutte de classe. (Voir la Réponse au Comité de l’Union, p. 7).

       Toutefois il ne se décide pas à reconnaître franchement, courageusement, cette vérité scientifique. Notre menchévik fait preuve en face de la logique, ici encore, des mêmes hésitations et de la même pusillanimité que précédemment.

       Telle est la « réponse » équivoque que monsieur le « critique » fait aux deux questions principales.

       Que dire des autres menues questions qui découlent logiquement de ces deux grandes? Le mieux serait que le lecteur compare lui-même ma brochure à celle de notre auteur ! Il est seulement une question qu’il faut encore examiner.

    Si l’on en croit l’auteur, il ressort que, selon nous, la scission s’est produite parce que le congrès… n’a pas désigné comme rédacteurs Axelrod, Zassoulitch et Starover… (Réponse, p. 13) ; [qu’ainsi nous] nions la scission, nous en dissimulons la profondeur de principe et nous présentons toute l’opposition comme l’œuvre de trois rédacteurs « factieux ». (Idem, p. 16).

       Là encore, l’auteur brouille tout. La vérité est que deux questions sont ici posées : la cause de la scission et la forme sous laquelle les divergences se sont manifestées.

       Je réponds explicitement à la première question :

       On se rend bien compte à présent sur quel terrain ont surgi les divergences dans le parti. Comme on le voit, deux tendances se sont révélées dans notre parti : celle de la fermeté prolétarienne et celle de l’instabilité propre aux intellectuels. Et l’actuelle « minorité » exprime justement cette instabilité propre aux intellectuels. (Voir Coup d’oeil rapide).

       Comme on le voit j’explique ici les divergences par les tendances, intellectuelle et prolétarienne, qui existent dans notre parti, et non par l’attitude de Martov et d’Axelrod. L’attitude de Martov et des autres n’est que l’expression de l’instabilité propre aux intellectuels. Mais notre menchévik n’a sans doute pas compris ce passage de ma brochure.

       En ce qui concerne la deuxième question, j’ai dit en effet, et je dirai toujours que les chefs de la « minorité » ont pleurniché pour se faire attribuer les « premières places » et qu’ils ont donné précisément cette forme-là à la lutte dans le parti. Notre auteur ne veut pas le reconnaître.

    Mais c’est un fait que les chefs de la « minorité » ont boycotté le parti, qu’ils ont réclamé ouvertement des sièges au Comité central, à l’organe central, au Conseil du parti, et qu’ils ont en outre déclaré : « Nous posons ces conditions comme pouvant seules assurer au parti la possibilité d’éviter un conflit qui menacerait son existence même ». (Voir le Commentaire, p. 26).

    Qu’est-ce à dire, sinon que les chefs de la « minorité » ont inscrit sur leur drapeau non pas : lutte d’idées, mais : « lutte pour les places » ? On sait que nul ne les empêchait d’engager une lutte d’idées et de principes. Les bolchéviks ne leur disaient-ils pas : fondez votre organe distinct et défendez vos idées, le parti peut vous donner cet organe ? (Voir le Commentaire). Pourquoi ne l’ont-ils pas accepté, s’ils s’intéressaient vraiment aux principes, et non aux « premières places » ?

       C’est ce que nous appelons la veulerie politique des chefs menchéviks. Ne vous formalisez pas, messieurs, si nous appelons les choses par leur nom.

       Naguère, les chefs de la « minorité reconnaissaient avec le marxisme et avec Lénine que la conscience socialiste est importée du dehors dans le mouvement ouvrier. (Voir l’article-programme de l’Iskra, n°1). Mais, par la suite, ils ont hésité et engagé la lutte contre Lénine, brûlant aujourd’hui ce qu’ils adoraient hier. J’ai dit que c’était là se jeter d’un côté et de l’autre. Cette fois non plus, il ne faut pas vous formaliser, messieurs les menchéviks.

       Hier, vous vous incliniez devant les centres et vous jetiez feu et flamme contre nous : pourquoi, disiez-vous, avoir exprimé de la défiance envers le Comité central ? Mais aujourd’hui, vous sapez non seulement les centres mais aussi le centralisme. (Voir la « Première Conférence de Russie »). C’est ce que j’appelle absence de principes et j’espère que cette fois non plus, vous ne m’en voudrez pas, messieurs les menchéviks.

       Si l’on met ensemble veulerie politique, lutte pour les sièges, versatilité, absence de principes et autres traits semblables, on aboutira à une particularité commune ; l’instabilité propre à la gent intellectuelle, dont cette catégorie est affligée plus que tout autre.

    Il est clair que l’instabilité propre à la gent intellectuelle est le terrain (la base) sur lequel se développent « la lutte pour les sièges », l’ « absence de principes », etc… Quant à la versatilité des intellectuels, elle est conditionnée par leur situation sociale. Voilà comment nous expliquons la scission dans le parti. Avez-vous compris enfin, notre auteur, la différence qui existe entre la cause de la scission et ses formes ? J’en doute.

       Telle est la position absurde et équivoque du Social-démocrate et de son drôle de « critique » qui, en revanche, fait preuve d’une grande vivacité dans un autre domaine. Dans les huit feuillets de sa brochure, il a trouvé le moyen, en parlant des bolchéviks, de mentir huit fois, et de façon à donner le fou-rire. Vous ne me croyez pas ? Voici les faits.

       Premier mensonge. Selon l’auteur, « Lénine veut rétrécir le parti, en faire une organisation étroite de professionnels » (p. 2). Or Lénine dit :

       « Il ne faut pas croire que les organisations du parti ne doivent pas comprendre que des révolutionnaires professionnels. Nous avons besoin des organisations les plus diverses, de toute sorte, de tout rang et de toute nuance, depuis des organisations extrêmement étroites et clandestines, jusqu’à d’autres très larges et très libres. » (Procès-verbaux, p. 240).

       Deuxième mensonge. Selon l’auteur, Lénine entend « n’introduire dans le parti que les membres du Comité » (p. 2). Or Lénine dit :

       « Tous les groupes, cercles, sous-comités, etc… doivent relever du Comité ou être ses filiales. Certains de ces groupes exprimeront directement leur désir d’adhérer organiquement au Parti ouvrier social-démocrate de Russie et, sous réserve de ratification par le Comité, ils seront incorporés dans le parti » (voir Lettre à un camarade, p. 17) (5)

       Troisième mensonge. Selon l’auteur, « Lénine exige l’hégémonie des intellectuels soit instaurée dans le parti. » (p. 5). Or Lénine dit :

       « Doivent faire partie du Comité… si possible, tous les principaux dirigeants du mouvement ouvrier, ouvriers eux-mêmes » (voir « Lettre à un camarade », p. 7-8), ce qui signifie que non seulement dans toutes les autres organisations, mais aussi dans le Comité aussi doivent prédominer les voix des ouvriers avancés.

       Quatrième mensonge. L’auteur dit que la citation reproduite à la page 12 de ma brochure : « la classe ouvrière est attirée spontanément vers le socialisme », etc…, « est inventée de toutes pièces » (p. 6). Or, ce passage, je l’ai tout simplement pris et traduit de Que faire ? Voici ce qu’on y lit à la page 29 :

       « La classe ouvrière est attirée spontanément vers le socialisme, mais l’idéologie bourgeoise la plus répandue (et constamment ressuscitée sous les formes les plus variées) n’en est pas moins celle qui, spontanément, s’impose surtout à l’ouvrier. »

       C’est ce passage qui est traduit à la page 12 de ma brochure. Voilà ce que notre « critique » appelle une citation inventée ! Je ne sais s’il faut attribuer cela à la distraction de l’auteur ou à son charlatanisme.

       Cinquième mensonge. Selon l’auteur, « Lénine ne dit nulle part que les ouvriers vont « avec une nécessité naturelle » au socialisme » (p. 7). Or, Lénine dit que « la classe ouvrière est attirée spontanément vers le socialisme » (Que faire ? p. 29).

       Sixième mensonge. L’auteur m’attribue cette idée que « le socialisme est importé du dehors dans la classe ouvrière par les intellectuels ». (p. 7). Alors que je dis que c’est la social-démocratie (et non pas seulement les intellectuels social-démocrates) qui introduit dans le mouvement la conscience socialiste (p. 18).

       Septième mensonge. Selon l’auteur, Lénine dit que l’idéologie socialiste est apparue « tout à fait indépendamment du mouvement ouvrier » (p. 9). Or, cette idée n’a évidemment jamais effleuré l’esprit de Lénine. Il dit que l’idéologie socialiste est apparue « d’une façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier » (Que faire ? p. 21).

       Huitième mensonge. L’auteur dit que mon assertion selon laquelle « Plékhanov quitte la « minorité » n’est qu’un ragot. » Or, mes paroles se sont vérifiées. Plékhanov a déjà quitté la « minorité » (6)…

       Je ne m’arrête pas aux petits mensonges dont l’auteur a si généreusement assaisonné sa brochure.

       Mais l’auteur, il faut le reconnaître, a tout de même énoncé une vérité, une seule. Il nous dit que « lorsqu’une organisation commence à s’occuper de ragots, ses jours sont comptés » (p. 15). C’est, évidemment, la vérité pure. La question est de savoir qui fait des ragots : le Social-démocrate et son étrange paladin, ou le Comité de l’Union ? Au lecteur d’en juger.

       Encore une question et nous en resterons là. l’auteur déclare, très docte:

       Le Comité de l’Union nous reproche de répéter les idées de Plékhanov. nous considérons, nous, comme un mérite de répéter ce qu’ont dit des marxistes aussi connus que Plékhanov, Kautsky et d’autres (p. 15).

       Donc, vous considérez comme un mérite de répéter les paroles de Plékhanov et de Kautsky. Fort bien, messieurs. En ce cas, écoutez :

       Kautsky déclare que « la conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat, et non quelque chose que en surgit spontanément« . (Voir ce passage de Kautsky cité dans Que faire ? p. 27).

    Le même Kautsky dit que « la tâche de la social-démocratie est d’introduire dans le prolétariat la conscience de sa situation et la conscience de sa mission » (idem). nous espérons, monsieur le menchévik ; que vous répéterez ces paroles de Kautsky et dissiperez nos doutes.

       Passons à Plékhanov. Plékhanov dit :

       « … Je ne comprends pas non plus pourquoi l’on pense que le projet de Lénine (7), s’il est adopté, interdirait l’accès de notre parti à une foule d’ouvriers. Les ouvriers désireux d’adhérer au parti ne craindront pas d’entrer dans une organisation. la discipline ne leur fait pas peur. ce sont de nombreux intellectuels, imbus d’individualisme bourgeois, qui craindront d’y adhérer. Mais c’est fort bien ainsi. Ces individualistes bourgeois sont aussi d’ordinaire les représentants de toute espèce d’opportunisme. Nous devons les éloigner de nous. Le projet de Lénine peut être une barrière à leur intrusion dans le parti, et pour cette raison déjà tous les adversaires de l’opportunisme doivent voter en sa faveur. »(Voir les Procès-verbaux, p. 246.)

       Nous espérons, monsieur le « critique », que vous jetterez le masque et répéterez avec une droiture toute prolétarienne ces paroles de Plékhanov.

       Sinon, cela voudra dire que vos déclarations dans la presse sont irréfléchies et faites sans aucun esprit de responsabilité.

    Notes

    1. Voir la Réponse au Comité de l’Union*, p. 4. (J.S.).

    *La Réponse au Comité de l’Union fut publiée en annexe au n°3 du Social-démocrate du 1er juillet 1905. L’auteur de cette « réponse » était N. Jordania, leader des menchéviks géorgiens, dont Staline critique impitoyablement le point de vue dans sa brochure : Coup d’oeil rapide sur les divergences dans le parti, et ailleurs.

    2. Voir l’article de Kautsky, cité dans Que faire ?, p. 27*. (J.S.).

    *p. 41, E.S., 1947

    3. Idem. (J.S.).

    4. Voir Coup d’œil rapide sur les divergences dans le parti, p. 18. (Voir à la p. 95 du présent volume).

    5. Comme on le voit, selon Lénine, les organisations peuvent être admises dans le parti non seulement par le Comité central, mais encore par les comités locaux. (J.S.)*.

    *Voir Lénine : Œuvres, t. VI, p. 219, 4e édit. russe,

    6. Et cet auteur a l’audace de nous reprocher, dans le n°5 du Social-démocrate, de déformer les faits relatifs au IIIe congrès ! (J.S.).

    7. Il s’agit des deux formules, proposées par Lénine et par Martov pour l’article premier des statuts du parti. (J.S.).

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Réponse aux camarades kolkhoziens

    Pravda, n° 92, 3 avril 1930

    On sait par les journaux que l’article de Staline «Le vertige du succès» et la résolution que l’on connaît du Comité central sur la lutte contre les déformations de la ligne du Parti dans le mouvement de collectivisation agricole, ont éveillé de nombreux échos dans les rangs des praticiens de ce mouvement.

    A ce propos, j’ai reçu, ces derniers temps, une série de lettres de camarades kolkhoziens, me demandant de répondre aux questions qui y étaient posées. Mon devoir était de répondre à ces lettres, à titre privé. Mais cela m’a été impossible, car plus de la moitié des lettres reçues ne portaient pas l’adresse de leurs auteurs (ils avaient oublié de donner leur adresse).

    Or les questions touchées dans ces lettres sont d’un immense intérêt politique pour tous nos camarades. On comprendra de même que je n’aie pu laisser sans réponse ceux des camarades qui avaient oublié de me donner leur adresse.

    Ainsi je me suis trouvé devant la nécessité de répondre publiquement, c’est-à-dire par la presse, aux lettres des camarades kolkhoziens, en y relevant toutes les questions utiles. Je l’ai fait d’autant plus volontiers que j’avais sur ce point une décision expresse du Comité central.

    Première question. — Quelle est la racine des erreurs dans la question paysanne ?

    Réponse. — C’est la façon erronée de traiter le paysan moyen. C’estla violence dont on use dans les rapports économiques avec le paysan moyen. C’est l’oubli du fait que l’alliance économique avec les masses de paysans moyens doit se baser, non sur des mesures de contrainte, mais sur une entente avec le paysan moyen, sur l’alliance avec ce dernier.

    C’est l’oubli du fait que la base du mouvement kolkhozien, à cette heure, est l’alliance de la classe ouvrière et des paysans pauvres avec le paysan moyen contre le capitalisme en général, contre les koulaks en particulier.

    Tant que l’offensive contre les koulaks fut menée en un front unique avec le paysan moyen, tout alla bien. Mais lorsque certains de nos camarades, grisés par les succès, glissèrent insensiblement de la voie de l’offensive contre le koulak à la voie de la lutte contre le paysan moyen ; lorsque, courant après un pourcentage élevé de collectivisation, ils employèrent la violence contre le paysan moyen, le privant du droit électoral, le dépossédant et l’expropriant, l’offensive dévia, le front unique avec le paysan moyen se trouva compromis et, comme de juste, le koulak put tenter de se remettre sur ses pieds.

    On oubliait que la violence, nécessaire et utile dans la lutte contre nos ennemis de classe, est inadmissible et néfaste quand on l’exerce contre le paysan moyen, qui est notre allié.

    On oubliait que les charges de cavalerie, nécessaires et utiles pour résoudre les problèmes d’ordre militaire, ne valent rien et sont néfastes quand il s’agit de résoudre les problèmes de l’édification kolkhozienne, laquelle d’ailleurs est organisée en alliance avec le paysan moyen.

    C’est là la racine des erreurs dans la question paysanne.

    Voici ce que Lénine dit des rapports économiques avec le paysan moyen :Nous devons nous baser par­dessus tout sur cette vérité qu’on ne saurait rien obtenir ici, quant au fond, par les méthodes de violence.

    La tâche économique se présente ici tout autrement, h n’y a pas là de sommet que l’on puisse couper, en laissent tentes les fondations, tout l’édifice. Le sommet représenté dans les villes par les capitalistes, n’existe pas ici. User de la violence serait compromettre toute l’affaire… Il n’y a rien de plus stupide que l’idée même de la violence exercée dans les rapports économiques avec le paysan moyen. («Rapport sur le travail à la campagne au VIIIe congrès du P.C. (b) R.», t. XXIV p. 168, éd. Russe.)

    Plus loin :

    La violence à l’égard de la paysannerie moyenne constitue le plus grand mal. C’est une couche nombreuse, forte de millions d’hommes. Même en Europe, où nulle part elle n’atteint à cette force, où sont prodigieusement développés la technique et la culture, la vie urbaine, les chemins de fer, où il eût été si facile d’y songer, — personne, aucun des socialistes les plus révolutionnaires n’a jamais préconisé des mesures de violence à l’égard de la paysannerie moyenne. (Ibidem, p. 167.)

    C’est clair, je pense.

    Deuxième question. — Quelles sont les erreurs principales dans le mouvement de collectivisation agricole ?

    Réponse. — Elles sont, ces erreurs, au nombre de trois au moins.

    1. On a violé le principe léniniste de la libre adhésion lors de la formation (des kolkhoz. On a violé les indications essentielles du Parti et le statut-type de l’artel agricole sur le principe de la libre adhésion lors de la formation des kolkhoz.

    Le léninisme enseigne qu’il faut amener les paysans sur la voie de l’économie collective, en s’en tenant au principe de la libre adhésion, en les convainquant des avantages de l’économie commune, collective sur l’économie individuelle.

    Le léninisme enseigne qu’on ne peut convaincre les paysans des avantages de l’économie collective, que si on leur montre et démontre en fait, par l’expérience, que le kolkhoz est meilleur que l’exploitation individuelle, qu’il est plus avantageux ; que le kolkhoz permet au paysan, au paysan pauvre et au paysan moyen, de se tirer du besoin et de la misère.

    Le léninisme enseigne que ces conditions faisant défaut, les kolkhoz ne peuvent être solides. Le léninisme enseigne que toute tentative d’imposer par la force l’économie collective, que toute tentative d’implanter les kolkhoz par la contrainte, ne peut donner que des résultats négatifs, ne peut que repousser les paysans loin du mouvement de collectivisation agricole.

    En effet, tant que cette règle essentielle fut observée, le mouvement de collectivisation agricole alla de succès en succès.

    Mais certains de nos camarades, grisés par les succès, négligèrent cette règle, montrèrent une hâte excessive et, courant après un pourcentage élevé de collectivisation, fondèrent des kolkhoz en usant de la contrainte. Il n’est pas étonnant que les résultats négatifs d’une telle «politique» ne se soient pas fait attendre.

    Les kolkhoz qui avaient poussé trop vite fondirent avec la même rapidité qu’ils avaient mise à naître, et une partie des paysans qui, hier encore, témoignaient une confiance extrême aux kolkhoz, s’en détournèrent.

    Là est la première et principale erreur commise dans le mouvement de collectivisation.Voici ce que Lénine dit du principe de libre adhésion dans la formation des kolkhoz :

    Actuellement, notre tâche est de passer au travail en commun de la terre, de passer à la grande exploitation collective. Mais il ne saurait y avoir aucune contrainte de la part du pouvoir des Soviets ; aucune loi ne l’impose.

    La commune agricole se constitue volontairement, le passage au travail en commun de la terre ne peut être que volontaire, il ne saurait y avoir la moindre contrainte sous ce rapport de la part du gouvernement ouvrier et paysan ; la loi l’interdit. Si quelqu’un d’entre vous observait de telles contraintes, vous devez savoir que c’est un abus, que c’est une infraction à la loi, que nous nous attachons de toutes nos forces à rectifier et que nous rectifierons. («Ier congrès des ouvriers agricoles de la province de Pétrograd. Réponse aux questions», t. XXIV, p. 43.)

    Plus loin :

    C’est seulement dans le cas où nous réussirons à montrer en fait aux paysans les avantages de la culture en commun, collective, par associations, par artels ; c’est seulement si nous réussissons à aider le paysan à s’organiser en associations, en artels, que la classe ouvrière, tenant en mains le pouvoir d’État, prouvera réellement au paysan qu’elle a raison, attirera réellement à ses côtés, de façon durable et effective, la masse innombrable des paysans.

    C’est pourquoi on ne saurait exagérer l’importance des entreprises de toute sorte destinées à favoriser le travail de la terre par association, par artel. Nous avons des millions d’exploitations isolées, éparpillées, dispersées au fond des campagnes perdues… Lorsque nous aurons prouvé pratiquement, par une expérience accessible au paysan, que le passage à l’agriculture fondée sur l’association, sur l’artel, est nécessaire et possible, alors seulement nous serons en droit de dire que, dans un pays paysan aussi vaste que la Russie, un pas sérieux a été fait dans la voie de l’agriculture socialiste.(«Discours au Ier congrès des communes et artels agricoles», t. XXIV, pp. 579­580.)

    Enfin, encore un passage des œuvres de Lénine :

    En encourageant les associations de toute sorte, ainsi que les communes agricoles des paysans moyens, les représentants du pouvoir des Soviets ne doivent pas user la moindre contrainte au moment de leur fondation. Seules ont de la valeur les associations qui ont été constituées par les paysans eux­mêmes, sur leur libre initiative, et dont les avantages ont été vérifiés par eux dans la pratique.

    Une hâte excessive dans cette affaire est nuisible, car elle ne peut que renforcer les préventions de la paysannerie moyenne contre les innovations. Les représentants du pouvoir des Soviets, qui se permettent d’employer la contrainte non seulement directe, mais même indirecte, afin de rallier les paysans aux communes, doivent subir les plus sévères sanctions et être écartés du travail à la campagne.

    («Résolution sur l’attitude envers la paysannerie moyenne, VIIIe congrès du P.C. (b) R.», t. XXIV, p. 174.)

    C’est clair, je pense.

    Il est à peine besoin de démontrer que le Parti appliquera avec toute la rigueur voulue ces indications de Lénine.

    2. On a violé le principe léniniste de la prise en considération des conditions diverses dans les différentes régions de l’U.R.S.S., en ce qui concerne la formation des kolkhoz. On a oublié qu’il existe en U.R.S.S. des régions infiniment variées, avec une structure économique et un niveau de culture différents.

    On a oublié que parmi ces régions il en est d’avancées, moyennes et arriérées. On a oublié que les rythmes du mouvement de collectivisation agricole et les méthodes de construction des kolkhoz ne peuvent être identiques pour ces régions, lesquelles sont elles-mêmes loin d’être identiques.

    «Ce serait une erreur, dit Lénine, si nous copiions

    simplement, d’après un standard, les décrets pour toutes les régions de la Russie, si les bolcheviks-communistes, les travailleurs des administrations soviétiques en Ukraine et sur le Don se mettaient à les généraliser aux autres régions, sans discernement, en bloc»… car «nous ne nous lions en aucune façon par un standard uniforme, nous ne décidons pas une fois pour toutes que notre expérience, l’expérience de la Russie centrale, peut être entièrement appliquée à toutes les régions de la périphérie.» («Rapport du Comité central au VIIIe congrès du P.C. (b) R.», t. XXIV, pp. 125­126.) Lénine dit plus loin que :

    Standardiser la Russie centrale, l’Ukraine, la Sibérie, les soumettre à un certain standard serait la plus grande sottise.

    (t. XXVI, p. 243, éd. Russe.)

    Enfin Lénine fait un devoir aux communistes du Caucase de comprendre les particularités de leur situation, de la situation de leurs Républiques, qui se distingue de la situation et des conditions de la R.S.F.S.R., comprendre la nécessité de ne pas copier notre tactique, mais de la modifier après mûre réflexion en tenant compte de la diversité des conditions concrètes. («Directives aux communistes du Caucase et aux membres du Comité révolutionnaire de Géorgie», t. XXVI, p. 191.)

    C’est net, je pense.

    Fort de ces indications de Lénine, le Comité central de notre Parti, dans sa résolution Sur tes rythmes de la collectivisation agricole (voir la Pravda du 6 janvier 1930) a divisé les régions de l’U.R.S.S., au point de vue des rythmes de collectivisation, en trois groupes,dont le Caucase du Nord, la Moyenne et la Basse Volga peuvent avoir terminé, pour l’essentiel, la collectivisation au printemps de 1931 ; les autres régions à céréales (Ukraine, région centrale des Terres noires, Sibérie, Oural, Kazakhstan, etc.) peuvent la terminer, pour l’essentiel, au printemps de 1932, tandis que les autres régions peuvent échelonner la collectivisation jusqu’à la fin de la période quinquennale, c’est-à-dire jusqu’à 1933.

    Il me semble que c’est clair.

    Mais que s’est-il passé en fait ? Il s’est trouvé que certains de nos camarades, grisés par les premiers succès du mouvement de collectivisation agricole, ont bel et bien oublié et les indications de Lénine, et la décision du Comité central.

    La région de Moscou, dans sa course fiévreuse aux chiffres enflés de collectivisation, orienta ses militants vers l’achèvement de la collectivisation au printemps de 1930, bien que disposant d’au moins trois ans (fin 1932). La région centrale des Terres noires, ne voulant pas «rester en arrière des autres», orienta ses militants vers l’achèvement de la collectivisation au premier semestre 1930, bien que disposant d’au moins deux ans (fin 1931).

    Et ceux de la Transcaucasie et du Turkestan, dans leur ardeur à «rejoindre et dépasser» les régions avancées, s’orientèrent vers l’achèvement de la collectivisation dans le «plus bref délai», bien que disposant de quatre années entières (fin 1933). On conçoit qu’avec un tel «rythme» éperdu de collectivisation, les régions moins préparées au mouvement de collectivisation se virent obligées, dans leur ardeur à «dépasser» les régions mieux préparées, d’exercer une forte pression administrative, en essayant de suppléer, par leur propre zèle administratif, à l’absence de facteurs d’accélération des rythmes du mouvement de collectivisation.

    On connaît les résultats. Tout le monde connaît le méli­mélo qui enest résulté, dans ces régions, et qu’il a fallu débrouiller en faisant intervenir le Comité central.

    Là est la deuxième erreur dans le mouvement de collectivisation.

    3. On a violé le principe léniniste qui interdit de sauter par-dessus une forme inachevée du mouvement, dans la formation des kolkhoz.

    On a violé le principe léniniste : ne pas devancer le développement des masses, ne pas décréter le mouvement des masses, ne pas se détacher des masses, mais se mouvoir avec les masses et les faire avancer, en les amenant à nos mots d’ordre et leur ménageant la facilité de se convaincre, par leur propre expérience, de la justesse de nos mots d’ordre.

    Lorsque le prolétariat de Pétrograd et les soldats de la garnison de Pétrograd ont pris le pouvoir, dit Lénine, ils savaient parfaitement que l’édification à la campagne rencontrerait de grandes difficultés ; qu’il fallait avancer ici plus graduellement ; que c’eût été la plus grande bêtise de vouloir ici essayer d’introduire à coups de décrets et de lois le travail collectif de la terre ; que seule une quantité infime de paysans conscients pouvaient y consentir, mais que l’immense majorité des paysans ne posaient point ce problème.

    Et c’est pourquoi nous nous sommes bornés à ce qui était absolument nécessaire au développement de la révolution : ne devancer en aucun cas le développement des masses, mais attendre que de la propre expérience de ces masses, de leur propre lutte, naisse un mouvement en avant. («Discours pour l’anniversaire de la Révolution, 6 novembre 1918». t. XXIII, p. 252, éd. Russe.)

    Partant de ces indications de Lénine, le Comité central a constaté, dans sa résolution que l’on connaît Sur les rythmes de la collectivisation agricole (voir la Pravda du 6 janvier 1930) que : a) la forme principale du mouvement de collectivisation est en ce moment l’artel agricole ; b) par conséquent, il est indispensable d’élaborer un statut-type de l’artel agricole, comme forme principaledu mouvement de collectivisation ; c) on ne peut permettre, dans notre travail pratique, que l’on «décrète» d’en haut le mouvement de collectivisation, ni que l’on «joue à la collectivisation».

    C’est dire que nous devons maintenant nous orienter, non vers la commune, Tuais vers l’artel agricole, comme forme principale de la constitution des kolkhoz ; qu’on ne peut permettre de sauter par­ dessus l’artel agricole vers la commune, qu’on ne doit pas suppléer au mouvement de masse des paysans vers les kolkhoz, en «décrétant les kolkhoz», «en jouant aux kolkhoz».

    C’est clair, je pense.

    Mais que s’est-il passé en fait ? Il s’est trouvé que certains de nos camarades, grisés par les premiers succès du mouvement de, collectivisation agricole, ont bel et bien oublié et les indications de Lénine, et la décision du Comité central. Au lieu d’organiser un mouvement de masse en faveur de l’artel agricole, ces camarades se sont mis à «faire passer» les paysans individuels directement au statut de la commune.

    Au lieu de consolider la forme-artel du mouvement, ils se sont mis à «collectiviser» de force le petit bétail, la volaille, le bétail laitier non destiné au marché, les habitations.

    Les résultats de cette précipitation inadmissible pour un léniniste sont maintenant connus de tous. Naturellement, en règle générale, on n’a pas créé de communes stables. Mais en revanche, on a perdu nombre d’artels agricoles. Il est vrai qu’il en est resté de «bonnes» résolutions. Mais à quoi voulez­vous qu’elles servent ? Là est la troisième erreur dans le mouvement de collectivisation.

    Troisième question. — Comment ces erreurs ont-elles pu se produire, et comment le Parti doit-il les corriger ?

    Réponse. — Elles se sont produites sur la base de nos succès rapides en matière de collectivisation. Parfois les succès donnent le vertige.

    Souvent ils engendrent une présomption et une fatuité excessives.

    Cela peut arriver aisément surtout aux représentants du Parti exerçant le pouvoir. Surtout dans un parti comme le nôtre, dont la force et l’autorité sont presque incommensurables.

    Ici, des manifestations de la vanité communiste, que Lénine a combattue avec acharnement sont parfaitement possibles. Ici, est parfaitement possible la foi en la toute puissance du décret, de la résolution, de la disposition prise.

    Ici, le danger est parfaitement réel de voir les mesures révolutionnaires du Parti transformées en une vaine proclamation à coups de décrets bureaucratiques, par quelques représentants du Parti, sur tel ou tel point de notre immense pays.

    Je veux parler non seulement de militants locaux, mais aussi de certains dirigeants d’organisations régionales, mais aussi de certains membres du Comité central. «La vanité communiste, dit Lénine, est le fait d’un homme qui, membre du Parti communiste d’où il n’a pas encore été expulsé, se figure pouvoir s’acquitter de toutes ses tâches à coups de décrets communistes.» (t. XXVII, pp. 50-51, éd. Russe.) Voilà sur quel terrain sont nées les erreurs dans le mouvement de collectivisation agricole, les déformations de la ligne du Parti dans l’édification des kolkhoz.

    Quel peut être le danger de ces erreurs et de ces déformations si elles continuent à l’avenir, si elles ne sont pas liquidées ‘rapidement et jusqu’au bout ?

    Le danger ici, c’est que ces erreurs nous conduisent en ligne droite au discrédit du mouvement de collectivisation agricole, au désaccord avec le paysan moyen, à la désorganisation des paysans pauvres, à la confusion dans nos rangs, à l’affaiblissement de toute notre construction socialiste, au rétablissement des koulaks.

    Bref, ces erreurs ont tendance à nous pousser hors de la voie de la consolidation de l’alliance avec les masses paysannes essentielles, hors de la voie de la consolidation de la dictature du prolétariat, sur la voie de la rupture avec ces niasses, sur la voie d’une politique sapant la dictature du prolétariat.

    Ce danger est apparu dès la seconde moitié de février, au moment même où une partie de nos camarades, aveuglés par les succès antérieurs, s’éloignaient au galop de la voie léniniste.

    Le Comité central du Parti mesura ce danger, et ne tarda pas à intervenir en chargeant Staline de donner un avertissement aux camarades qui en prenaient trop à leur aise, dans un article spécial sur le mouvement kolkhozien. Il en est qui pensent que l’article «Le vertige du succès» est le résultat de l’initiative personnelle de Staline. C’est absurde évidemment.

    Ce n’est point pour laisser l’initiative personnelle à qui que ce soit dans une pareille affaire, que le Comité central existe chez nous. Ce fut une investigation à fond entreprise par le Comité central.

    Et lorsque apparurent la profondeur et l’étendue des erreurs commises, le Comité central ne tarda pas à sévir contre ces erreurs, de toute la force de son autorité, en publiant sa fameuse résolution du 15 mars 1930.

    Il est difficile d’arrêter dans leur course forcenée et (de ramener dans la bonne voie des gens qui se ruent, tête baissée, vers l’abîme. Mais notre Comité central se nomme Comité central du Parti léniniste précisément parce qu’il sait surmonter des difficultés autrement grandes. Et ces difficultés, il les a déjà surmontées pour l’essentiel.Il est difficile, en pareil cas, à des détachements entiers du Parti d’arrêter leur course, de rentrer à temps dans la bonne voie et de reformer leurs rangs en pleine marche. Mais notre Parti se nomme Parti de Lénine précisément parce qu’il possède une souplesse suffisante pour surmonter de telles difficultés. Et il a déjà surmonté ces difficultés pour l’essentiel.

    Le point principal ici, c’est de faire preuve de courage, de reconnaître ses erreurs et de trouver en soi la force de les redresser dans le plus bref délai.

    La crainte de reconnaître ses erreurs, après la griserie des succès récents, la crainte de l’autocritique, le refus de corriger ses erreurs rapidement et résolument, — là est la difficulté principale. Il suffit de vaincre cette difficulté, il suffit de rejeter loin de soi les chiffres enflés des directives et le maximalisme bureaucratique et paperassier, il suffit d’aiguiller son attention sur les tâches économiques et d’organisation des kolkhoz, pour qu’il ne reste plus nulle trace de ces erreurs.

    Il n’y a aucune raison de douter que le Parti n’ait déjà surmonté, pour l’essentiel, cette difficulté périlleuse.

    Tous les partis révolutionnaires qui ont péri jusqu’ici, dit Lénine, ont péri parce qu’ils se laissaient aller à la

    présomption, ne savaient pas voir ce qui faisait leur force, et craignaient de parler de leurs faiblesses. Mais nous nous ne périrons pas, parce que nous ne craignons pas de parler de nos faiblesses, parce que nous apprendrons à les surmonter.

    (Lénine, t. XXVII, pp. 260­261, éd. Russe.)

    Ces paroles de Lénine, on ne saurait les oublier.

    Quatrième question. — La lutte contre les déformations de la ligne du Parti n’est-elle pas un pas en arrière, un recul ?Réponse. — Evidemment non. Seuls peuvent parler ici de recul les gens qui considèrent la continuation des erreurs et des déformations comme une offensive, et la lutte contre les erreurs comme un recul.

    Offensive par l’accumulation des erreurs et des déformations, la belle «offensive» que voilà !

    Nous avons mis en avant l’artel agricole comme forme essentielle du mouvement de collectivisation dans le moment présent, et nous avons établi un statut-type pour servir de guide dans la formation des kolkhoz. Reculons-nous sur ce point ? Évidemment non !

    Nous avons mis en avant l’affermissement, en matière de production, de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre avec le paysan moyen, comme base du mouvement de collectivisation dans le moment présent. Reculons-nous sur ce point ? Évidemment non !

    Nous avons mis en avant le mot d’ordre de liquidation des koulaks comme classe, en tant que mot d’ordre principal de notre travail pratique à la campagne, dans le moment présent.

    Reculons-nous sur ce point ? Évidemment non !

    Dès janvier 1930 nous avons adopté un certain rythme pour la collectivisation de l’agriculture de l’U.R.S.S., dont nous avons divisé les régions en groupes déterminés en assignant à chaque groupe un rythme particulier. Reculons-nous sur ce point ? Evidemment non ! Où donc voyez-vous un « recul » du Parti ?

    Nous voulons que ceux qui ont commis des erreurs et des déformations renoncent à leurs erreurs. Nous voulons que les brouillons renoncent à leurs pratiques brouillonnes et reviennent aux positions du léninisme.

    Nous voulons cela, car ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra continuer l’offensive réelle contre nos ennemis de classe. Est-ce àdire que nous fassions ainsi un pas en arrière ? Évidemment non !

    Cela veut dire seulement que nous voulons mener une offensive bien comprise, et non pas jouer, en brouillons, à l’offensive.

    N’est-il pas clair que seuls des originaux et des surenchérisseurs de « gauche» peuvent considérer une telle position du Parti comme un recul ?

    Les gens qui bavardent à propos de recul ne comprennent pas deux choses pour le moins :

    1. Ils ignorent les lois de l’offensive. Ils ne comprennent pas qu’une offensive sans que soient consolidées les positions conquises, est une offensive vouée à l’échec. Quand une offensive peut­elle réussir, disons, dans une opération militaire ? Lorsque les gens ne se bornent pas à une avance en bloc, mais s’attachent en même temps à consolider les positions conquises, à regrouper leurs forces en tenant compte de la situation changée, à rallier les arrières, à ramasser les réserves.

    Pourquoi tout cela ? Pour se prémunir contre les surprises, combler certaines brèches dont aucune offensive n’est garantie, et préparer ainsi le complet anéantissement de l’ennemi. La faute des armées polonaises en 1920, à ne prendre que le côté militaire, c’est qu’elles ont dédaigné cette règle.

    C’est ce qui explique, entre autres, qu’après s’être avancées en bloc jusqu’à Kiev, elles durent refluer également en bloc jusqu’à Varsovie. La faute des armées soviétiques en 1920, à ne prendre toujours que le côté militaire, c’est que, lors de leur offensive sur Varsovie, elles ont répété la faute des Polonais.

    Il faut en dire autant des lois de l’offensive sur le front de la lutte de classes. On ne saurait mener avec succès une offensive visant à détruire l’ennemi de classe, sans consolider les positions conquises,sans regrouper ses forces, sans assurer des réserves pour le front, sans faire rallier les arrières, etc.

    La vérité est que les brouillons ne comprennent pas les lois de l’offensive. La vérité est que le Parti les comprend et les applique.

    2. Ils ne comprennent pas la nature de classe de l’offensive. Ils la proclament. Mais contre quelle classe, en alliance avec quelle classe ? Nous menons l’offensive contre les éléments capitalistes de la campagne en alliance avec le paysan moyen, car seule une telle offensive peut nous donner la victoire. Mais comment faire si l’ardeur excessive de quelques détachements du Parti aidant, l’offensive commence à dévier de la bonne voie et tourne sa pointe contre notre allié, contre le paysan moyen ? Nous faut-il une offensive en général, et non une offensive contre une classe déterminée, en alliance avec une classe déterminée ? Don Quichotte se figurait, lui aussi, qu’il attaquait des ennemis, en marchant à l’assaut des moulins. On sait pourtant qu’il s’est fendu le front dans cette offensive, s’il est permis de la nommer ainsi.

    Apparemment les lauriers de don Quichotte troublent le sommeil de nos surenchérisseurs de «gauche».

    Cinquième question. —Quel est chez nous le danger principal, celui de droite ou celui de «gauche» ?

    Réponse. — Le danger principal chez nous est celui de droite. Le danger de droite a été et reste le danger principal.

    Ce point de vue ne contredit-il pas la thèse connue de la résolution du Comité central du 15 mars 1930, disant que les fautes et déformations des surenchérisseurs de «gauche», constituent maintenant le frein principal du mouvement de collectivisationagricole ? Non, il ne contredit pas cette thèse, La vérité est que les fautes des surenchérisseurs de «gauche», en ce qui concerne le mouvement de collectivisation agricole, sont telles qu’elles favorisent le renforcement et la consolidation de la déviation de droite dans le Parti. Pourquoi ?

    Parce que ces fautes présentent la ligne du Parti sous un faux jour, c’est-à-dire qu’elles facilitent le discrédit du Parti, et, par conséquent, elles facilitent la lutte des éléments de droite contre la direction du Parti. Le discrédit de la direction du Parti est justement ce terrain premier sur lequel peut se déchaîner la lutte des fauteurs de la déviation de droite contre le Parti.

    Ce terrain, ce sont les surenchérisseurs de «gauche» qui le fournissent à ces derniers, par leurs erreurs et leurs déformations.

    C’est pourquoi, afin de combattre avec succès l’opportunisme de droite, il faut vaincre les erreurs des opportunistes de «gauche». Les surenchérisseurs de «gauche» sont objectivement les alliés des fauteurs de la déviation de droite.

    Tel est le lien original entre opportunisme de «gauche» et déviationnisme de droite.

    C’est par ce lien qu’il faut expliquer le fait que certains «hommes de gauche» parlent assez souvent d’un bloc avec les droitiers.

    C’est par là encore qu’il faut expliquer ce fait curieux qu’une partie des «gauchistes» qui, hier encore, «conduisaient» leur folle offensive et essayaient de collectiviser l’U.R.S.S. en quelque deux ou trois semaines, versent aujourd’hui dans la passivité, laissent tomber les bras et abandonnent bel et bien le champ de lutte aux fauteurs de la déviation de droite, s’orientant ainsi vers un recul véritable (sans guillemets !) devant la classe des koulaks.

    Le moment actuel a ceci de particulier que la lutte contre les fautes des surenchérisseurs de «gauche» est pour nous la condition et une

    forme originale de la lutte victorieuse contre l’opportunisme de droite.

    Sixième question. — Comment expliquer le reflux d’une partie des paysans hors des kolkhoz ?

    Réponse. — Le reflux d’une partie des paysans signifie que, ces derniers temps, il était né chez nous un certain nombre de kolkhoz peu solides, qui s’épurent maintenant des éléments instables. Cela signifie que les kolkhoz fictifs vont disparaître, que les kolkhoz solides resteront et se fortifieront. Je pense que c’est là un phénomène parfaitement normal.

    Il est des camarades que cela fait tomber dans le désespoir, dans la panique et qui se cramponnent convulsivement aux pourcentages enflés. D’autres se réjouissent malignement et prophétisent l’«échec» du mouvement de collectivisation agricole. Les uns et les autres se trompent cruellement. Les uns et les autres sont loin de comprendre en marxistes l’essence du mouvement de collectivisation.

    Ce sont d’abord tous ceux que l’on appelle les âmes mortes, qui s’en vont des kolkhoz. Ce n’est même pas un départ, c’est la constatation d’un vide.

    Avons­nous besoin d’âmes mortes ? Evidemment non. Je pense que les Caucasiens du Nord et les Ukrainiens ont parfaitement raison de dissoudre les kolkhoz peuplés d’âmes mortes, et d’en organiser de vraiment vivants et de vraiment stables. Le mouvement de collectivisation ne peut qu’y gagner.

    En second lieu, ceux qui s’en vont, ce sont les éléments étrangers, franchement hostiles à notre cause. Il est clair que plus vite ces éléments seront mis à la porte, et mieux cela vaudra pour le mouvement de collectivisation.Enfin, ceux qui s’en vont, ce sont les éléments hésitants qu’on ne peut qualifier ni d’éléments étrangers, ni d’âmes mortes. Ce sont ces mêmes paysans que nous n’avons pas encore su convaincre, aujourd’hui, de la justesse de notre cause, mais que nous convaincrons à coup sûr demain.

    Le départ de ces paysans est une perte sérieuse, quoique temporaire, pour le mouvement de collectivisation.

    C’est pourquoi la lutte pour les éléments hésitants des kolkhoz est maintenant l’une des tâches les plus urgentes du mouvement de collectivisation.

    Il s’ensuit que le reflux d’une partie des paysans hors des kolkhoz n’est pas seulement un phénomène négatif. Il s’ensuit que, dans la mesure où ce reflux libère les kolkhoz des âmes mortes et des éléments qui leur sont nettement étrangers, il marque un processus salutaire d’assainissement et de consolidation des kolkhoz.

    Il y a un mois l’on estimait que nous avions dans les régions à céréales plus de 60 % d’exploitations collectivisées.

    Il est clair maintenant que si on veut parler des kolkhoz réels et tant soit peu stables, ce chiffre était manifestement exagéré. Si le mouvement de collectivisation agricole se stabilise, après le reflux d’une partie des paysans, au chiffre de 40 % de collectivisation dans les régions à céréales — et ceci est réalisable à coup sûr, — ce sera un succès immense pour le mouvement de collectivisation à l’heure actuelle.

    Je prends la moyenne pour les régions à céréales, sachant bien qu’il existe chez nous des régions de collectivisation intégrale atteignant 80, 90 %. 40 % de collectivisation dans les régions à céréales ; c’est dire qu’au printemps de 1930 nous aurons accompli le double duplan quinquennal initial de collectivisation.

    Qui osera nier le caractère décisif de cette conquête historique dans le développement socialiste de l’U.R.S.S. ?

    Septième question. — Les paysans hésitants agissent-ils bien en quittant les kolkhoz ?

    Réponse. — Non, ils agissent mal. En quittant les kolkhoz ils vont contre leurs propres intérêts, car seuls les kolkhoz permettent aux paysans de se tirer de la misère et de l’ignorance.

    En quittant les kolkhoz, ils se mettent dans une situation pire, puisqu’ils se privent des facilités et avantages que le pouvoir des Soviets accorde aux kolkhoz. Les erreurs et déformations commises dans les kolkhoz ne sont pas une raison pour les quitter.

    Les erreurs, il faut les corriger d’un commun effort, en restant dans le kolkhoz. Elles seront d’autant plus faciles à corriger que le pouvoir des Soviets les combattra de toutes ses forces.

    Lénine dit que :

    Le système de la petite exploitation, en régime de production marchande, ne peut pas affranchir l’humanité de la misère des masses, de leur oppression. («Les tâches du prolétariat dans notre révolution», t. XX, p. 122, éd. Russe.)

    Lénine dit que :

    Impossible de sortir de la misère par la petite exploitation.

    («Discours à la Ire conférence de la R.S.F.S.R. sur le travail à la campagne», t. XXIV, p. 540, éd. Russe.)

    Lénine dit que :Si nous nous confinons comme autrefois dans les petites exploitations — fussions-nous citoyens libres sur une terre libre, nous n’en serons pas moins menacés d’une perte certaine. («Discours sur la question agraire au Ier congrès des députés paysans de Russie», t. XX, p. 417.)

    Lénine dit que :

    Ce n’est que par un travail en commun, un travail par artel, par association, que nous pourrons sortir de l’impasse où nous a acculés la guerre impérialiste, (t. XXIV, p. 537.)

    Lénine dit que :

    Il est nécessaire de passer à la culture en commun dans les grandes exploitations modèles, sans quoi nous ne nous tirerons pas de la débâcle, de la situation vraiment désespérée où se trouve la Russie, (t. XX, p. 418.)

    Que signifie tout cela ?

    Cela signifie que les kolkhoz sont le seul moyen permettant aux paysans de se tirer de la misère et de l’ignorance.

    Il est clair que les paysans n’agissent pas bien en quittant les kolkhoz.

    Lénine dit que :

    Vous savez tous évidemment, par toute l’activité du pouvoir des Soviets, quelle importance considérable i nous attachons aux communes, aux artels, et, en général, à toutes les organisations qui visent à transformer, à contribuer progressivement à la transformation de la petite économie paysanne individuelle en une économie collective, par association ou par artel. («Discours au Ier congrès descommunes et artels agricoles» t. XXIV, p. 579.) Lénine dit que :

    Le pouvoir soviétique a donné nettement la préférence aux communes et aux associations qu’il a mises au premier plan.

    (La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, t XXIII, p. 399, éd. Russe.)

    Qu’est-ce que cela signifie ?

    Cela signifie que le pouvoir des Soviets accordera aux kolkhoz des facilités et avantages par rapport aux exploitations individuelles.

    C’est dire qu’il accordera aux kolkhoz des facilités en ce qui concerne la cession de terres, leur approvisionnement en machines, en tracteurs, en blé de semence, etc., et en ce qui concerne les dégrèvements d’impôts et l’octroi de crédits.

    Pourquoi le pouvoir des Soviets accorde-t-il des facilités et avantages aux kolkhoz ?

    Parce que les kolkhoz sont le seul moyen pour affranchir les paysans de la misère.

    Parce qu’aider les kolkhoz est la manière la plus efficace d’aider les paysans pauvres et moyens.

    Ces jours-ci, le pouvoir des Soviets a décidé de libérer de toute imposition, pour deux ans, toutes les bêtes de travail (chevaux, bœufs, etc.) collectivisées dans les kolkhoz, toutes les vaches, les porcs, les moutons et la volaille, aussi bien ceux en la possession collective des kolkhoz que ceux en la possession individuelle des kolkhoziens.

    Le pouvoir des Soviets a décidé en outre d’ajourner jusqu’à la fin de l’année le payement des dettes contractées par les kolkhoziens à titrede crédits, et d’annuler toutes amendes et pénalités imposées, avant le premier avril, aux paysans membres des kolkhoz.

    Enfin il a décidé d’ouvrir sans faute, dans le courant de l’année, un crédit de 500 millions de roubles à l’intention des kolkhoziens.

    Ces facilités aideront les paysans-kolkhoziens. Elles aideront ceux des paysans-kolkhoziens qui ont su résister au reflux, qui se sont trempés dans la lutte contre les ennemis des kolkhoz, qui ont su défendre les kolkhoz et garder le grand drapeau du mouvement de collectivisation agricole.

    Ces facilités aideront les kolkhoziens, paysans pauvres et moyens, qui forment maintenant le noyau essentiel de nos kolkhoz, qui consolideront et cristalliseront nos kolkhoz, et gagneront des millions et des millions de paysans au socialisme.

    Ces facilités aideront les paysans kolkhoziens, qui forment maintenant les cadres essentiels des kolkhoz et méritent pleinement d’être appelés les héros du mouvement de collectivisation.

    Ces facilités, les paysans sortis des kolkhoz n’en bénéficieront pas.

    N’est-il pas clair que les paysans commettent une faute en sortant des kolkhoz ?

    N’est-il pas clair qu’ils ne peuvent s’assurer le bénéfice de ces facilités qu’en revenant aux kolkhoz ?

    Huitième question. — Que faire des communes, ne faut-il pas les dissoudre ?

    Réponse. — Non, il ne le faut point, il n’y pas de raison de les dissoudre. Je parle des communes véritables, et non des communes fictives. En U.R.S.S., dans les régions à céréales, existe une série de communes magnifiques, qui méritent d’être encouragées et soutenues. Je veux parler des vieilles communes qui ont résisté aux années d’épreuves et se sont trempées dans la lutte, justifiant ainsi pleinement leur existence.

    En ce qui concerne les nouvelles communes constituées tout récemment, elles ne pourront continuer d’exister que si elles se sont organisées volontairement, avec l’appui actif des paysans et sans que soit imposée à ces paysans la mise en commun de leurs moyens de consommation.

    La formation et la gestion des communes est une chose compliquée, difficile. Les grandes communes stables ne peuvent subsister et se développer que si elles disposent de cadres expérimentés et de dirigeants éprouvés. Le passage brusque du statut de l’artel au statut des communes ne peut que repousser les paysans du mouvement de collectivisation.

    C’est pourquoi il faut traiter cette affaire d’une façon particulièrement sérieuse, et sans aucune précipitation. L’artel est une chose plus facile et plus accessible à la conscience des grandes masses paysannes.

    C’est pourquoi l’artel est, à l’heure présente, la forme la plus répandue du mouvement de collectivisation. Ce n’est qu’au fur et à mesure du renforcement et de la consolidation des artels agricoles que peut se créer un terrain propice au mouvement de masse des paysans vers la commune.

    C’est pourquoi la commune, qui est la forme suprême, ne saurait être que dans l’avenir le chaînon principal du mouvement de collectivisation.

    Neuvième question. — Que faire des koulaks ?Réponse. — Jusqu’ici nous n’avons parlé que du paysan moyen. Le paysan moyen est un allié de la classe ouvrière, et notre politique envers lui doit être amicale. Il en va autrement du koulak. Le koulak est l’ennemi du pouvoir des Soviets. Avec lui, il n’y a et il ne peut y avoir de paix pour nous.

    Notre politique à l’égard du koulak est la politique de liquidation de ce dernier comme classe. Cela ne signifie évidemment pas que nous puissions le liquider d’un seul coup. Mais cela signifie que nous mènerons les choses de façon à l’encercler et à le liquider.

    Voici ce que disait Lénine du koulak :

    Les koulaks sont les exploiteurs les plus féroces, les plus brutaux, les plus sauvages ; ils ont maintes fois rétabli, comme l’atteste l’histoire des autres pays, le pouvoir des grands propriétaires fonciers, des tsars, des popes, des capitalistes.

    Les koulaks sont plus nombreux que les grands propriétaires fonciers et les capitalistes. Cependant ils sont une minorité dans le peuple… Ces buveurs de sang se sont enrichis de la misère du peuple pendant la guerre, ils ont amassé de l’argent par milliers et par centaines de milliers en faisant monter les prix du blé et des autres produits. Ces scorpions se sont engraissés aux dépens des paysans ruinés par la guerre, aux dépens des ouvriers affamés. Plus l’ouvrier souffrait de la faim dans les villes et les usines, et plus ces sangsues se gorgeaient du sang des travailleurs, plus elles s’enrichissaient.

    Ces vampires accaparaient et accaparent encore les terres seigneuriales, ils asservissent encore et encore les paysans pauvres. («Camarades ouvriers ! Marchons au dernier, au décisif combat !», t. XXIII, pp. 206-207, éd. Russe.) Nous avons toléré ces buveurs de sang, ces scorpions et ces vampires, en appliquant une politique de limitation de leurs tendances exploiteuses.

    Nous les avons tolérés, parce que nous n’avions rien pour remplacerles exploitations des koulaks, la production des koulaks. Maintenant

    nous avons la possibilité de remplacer avantageusement leur économie par l’économie de nos kolkhoz et de nos sovkhoz. Il n’y a aucune raison maintenant de tolérer plus longtemps ces scorpions et ces buveurs de sang.

    Tolérer plus longtemps ces scorpions et ces buveurs de sang qui mettent le feu aux kolkhoz, qui assassinent les militants kolkhoziens et cherchent à saboter les semailles, c’est aller contre les intérêts des ouvriers et des paysans.

    Aussi la politique de liquidation des koulaks comme classe doit-elle être appliquée avec toute l’insistance et tout l’esprit de suite dont les bolcheviks sont capables.

    Dixième question. — Quelle est la tâche pratique immédiate des kolkhoz ?

    Réponse. — La tâche pratique immédiate des kolkhoz, c’est la lutte pour les semailles, pour l’extension maximum des surfaces ensemencées, pour une bonne organisation des semailles.

    Toutes les autres tâches des kolkhoz doivent, maintenant, être adaptées à la tâche des semailles.

    Tous les autres travaux des kolkhoz doivent, maintenant, être subordonnés au travail d’organisation des semailles.

    Cela signifie que la stabilité des kolkhoz et de leur cadre de militants actifs sans-parti, les capacités des dirigeants des kolkhoz et de leur noyau bolchevik seront vérifiées, non sur des résolutions tapageuses et des allocutions grandiloquentes, mais dans les faits, d’après la bonne organisation des semailles.

    Mais pour remplir avec honneur cette tâche pratique, il faut tournerl’attention des militants kolkhoziens vers les questions économiques

    de l’organisation des kolkhoz, vers les problèmes de leur structure intérieure.

    Jusqu’à ces derniers temps, la course aux chiffres élevés de collectivisation était la préoccupation principale des militants des kolkhoz, et les gens ne voulaient pas voir la différence entre la collectivisation véritable et la collectivisation fictive.

    Maintenant, il faut briser avec cet engouement pour les chiffres.

    Maintenant, l’attention des militants doit être concentrée sur la consolidation des kolkhoz, sur leur cristallisation organique, sur l’organisation du travail pratique dans les kolkhoz.

    Jusqu’à ces derniers temps, l’attention des militants des kolkhoz était concentrée sur l’organisation de grandes unités collectives, sur l’organisation de ce qu’on appelle les «géants», «géants» qui dégénéraient assez souvent en d’encombrants offices bureaucratiques, n’ayant pas de racines économiques dans les bourgs et villages. Le travail de façade absorbait, de la sorte, le travail pratique. Maintenant, il faut briser avec cet engouement pour le travail de façade.

    Maintenant, l’attention des militants doit être aiguillée sur le travail économique et d’organisation des kolkhoz dans les bourgs et villages. Quand ce travail aura porté ses fruits, les «géants» apparaîtront d’eux-mêmes.

    Jusqu’à ces derniers temps, on ne s’est pas suffisamment préoccupé d’attirer les paysans moyens au travail de direction dans les kolkhoz.

    Or, il existe parmi les paysans moyens des agriculteurs avisés, qui pourraient devenir d’excellents militants agricoles dans l’oeuvre de construction des kolkhoz.

    Il faut qu’il soit remédié maintenant à cette insuffisance dans notretravail. Maintenant la tâche est d’attirer au travail de direction, dans

    les kolkhoz, l’élite des paysans moyens, de les laisser développer leurs facultés dans ce domaine.

    Jusqu’à ces derniers temps, on n’accordait pas suffisamment d’attention au travail parmi les paysannes. La période écoulée a montré que le travail parmi les paysannes était, chez nous, le point le plus faible de notre activité. Maintenant, il faut que cette insuffisance soit liquidée résolument et sans retour.

    Jusqu’à ces derniers temps, les communistes d’une série de régions s’en tenaient à ce point de vue qu’ils pouvaient résoudre par leurs propres forces tous les problèmes touchant la construction des kolkhoz.

    Partant de ce point de vue, ils n’accordaient pas une attention suffisante à la nécessité d’attirer les sans-parti au travail responsable dans les kolkhoz, d’appeler les sans-parti au travail de direction, d’organiser un large cadre de militants actifs sans-parti. L’histoire de notre Parti a démontré — et la période écoulée de la formation des kolkhoz a montré une fois de plus — qu’une telle position est foncièrement erronée.

    Si les communistes s’enfermaient dans leur coquille, s’il s’isolaient des sans-parti par un mur, ils compromettraient toute leur entreprise.

    Si les communistes ont pu se couvrir de gloire dans les batailles pour le socialisme, et si les ennemis du communisme ont été battus, c’est, entre autres, parce que les communistes ont su intéresser au travail l’élite des sans-parti ; parce qu’ils ont su puiser des forces parmi les larges couches de sans-parti ; parce qu’ils ont su entourer leur Parti d’un large cadre de militants actifs sans-parti. Maintenant, ce défaut de notre travail parmi les sans-parti doit être supprimé résolument et sans retour.Corriger ces insuffisances de notre travail, les liquider à fond, c’est précisément orienter dans la bonne voie le travail économique des kolkhoz.

    Ainsi :

    1. Bien organiser les semailles, telle est la tâche.

    2. Concentrer l’attention sur les problèmes économiques du mouvement de collectivisation, tel est le moyen pour résoudre cette tâche.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Résumé des travaux de la 14ème conférence du PCR(b)

    Discours prononcé le 9 mai 1925 à l’Assemblée des militants de l’organisation de Moscou

    Camarades,

    Je ne crois pas qu’il soit besoin d’examiner eu détail les résolutions adoptées à la XIVe conférence de notre parti. Il suffira, me semble-t-il, d’en mettre en relief les grandes lignes, ce qui ne sera pas sans utilité pour l’étude ultérieure de ces résolutions.

    Les multiples questions envisagées dans ces résolutions peuvent se ramener à six groupes essentiels : 1° situation internationale ; 2° tâches courantes des partis communistes dans les pays capitalistes ; 3° tâches courantes des groupements communistes dans les colonies et pays vassaux ; 4° avenir du socialisme dans notre pays par rapport à la situation internationale actuelle ; 5° politique paysanne de notre parti et tâches de ses dirigeants dans les conditions nouvelles ; 6° métallurgie (branche principale de notre industrie).

    I. La situation internationale

    Qu’y a-t-il dans la situation internationale de nouveau et de particulier susceptible de définir le caractère essentiel du moment que nous traversons? C’est le fait encore tout récent, mais dont l’empreinte marque la situation internationale, qu’en Europe la révolution est en voie de recul, qu’une période d’accalmie a commencé, à laquelle nous avons donné le nom de stabilisation temporaire, et que, simultanément, nous assistons à la croissance du développement économique et de la puissance politique de l’Union Soviétique.

    Que faut-il entendre par recul de la révolution, par accalmie ? N’estèce pas là la fin de la révolution mondiale et le commencement de la liquidation de la révolution prolétarienne universelle ?

    Lénine dit qu’après la victoire du prolétariat russe, une nouvelle époque est née, époque de révolution mondiale, époque de conflits et de guerres, de flux et de reflux, de victoires et de défaites, aboutissant à la victoire du prolétariat dans les principaux pays capitalistes.

    Or si, en Europe, la révolution est en voie de déclin, ne faut-il pas en conclure que la théorie de Lénine sur la nouvelle époque, sur la révolution mondiale n’a plus de valeur et que, de ce fait, il ne peut plus être question de révolution prolétarienne en Occident ? Assurément non.

    L’époque de la révolution mondiale constitue une nouvelle étape de la révolution, une longue période stratégique, portant sur de nombreuses années, voire sur plusieurs décades. Au cours de cette période il peut et doit se produire des phases de flux et de reflux de la révolution. Il en a été ainsi chez nous. Notre révolution a passé par deux phases de développement, deux périodes stratégiques pour entrer, après Octobre, dans une troisième étape, dans une troisième période stratégique.

    La première étape, qui va de 1900 à 1917, a duré plus de 15 ans.

    Notre but était alors l’anéantissement du tsarisme et la victoire de larévolution démocratique bourgeoise. Pendant cette période, nous

    avons eu de multiples alternatives de flux et de reflux de la révolution. De 1907 à 1912, ce fut le reflux. Puis, de nouveau, nous eûmes le flux de 1912, qui commença avec les événements de la Léna, et, enfin, le reflux provoqué par la guerre.

    L’année 1917 fut le signal d’un nouveau flux qui se termina par la victoire du peuple sur le tsarisme et la victoire de la révolution démocratique bourgeoise. A chaque reflux, les liquidateurs prophétisaient la fin de la révolution. Et cependant la révolution, à travers de multiples phases d’avance et de recul, aboutit à la victoire finale de 1917.

    De ce moment date la deuxième phase de la révolution. Le but fut alors d’arracher le prolétariat russe à la guerre impérialiste, de culbuter la bourgeoisie et d’instituer la dictature du prolétariat. Cette étape, ou plutôt cette période stratégique, dura huit mois. Mais ce furent huit mois de profonde crise révolutionnaire pendant lesquels la guerre et la ruine qui en résultait stimulaient la révolution et en précipitaient le cours.

    Ces huit mois de crise révolutionnaire peuvent et doivent être considérés comme équivalant à huit années au moins de développement normal.

    Cette période stratégique, de même que la précédente, est caractérisée non pas par un mouvement continu d’ascension rectiligne de la révolution, comme se l’imaginent bon nombre de gens, mais par des alternatives de flux et de reflux. Pendant cette période, nous eûmes le formidable flux révolutionnaire des journées de juillet.

    Après la défaite bolchéviste de juillet, il y eut encore un reflux qui dura jusqu’à la marche de Kornilov sur Pétrograd et qui fit place à la poussée que couronna la révolution d’Octobre. Les liquidateurs decette période criaient, après la défaite de juillet, à la complète liquidation de la révolution. Et cependant, à travers les épreuves et les phases de recul, la révolution se termina par la victoire de la dictature du prolétariat.

    Après la révolution d’Octobre, nous entrons dans la troisième période stratégique, dans la troisième étape de la révolution, dont le but est le renversement de la bourgeoisie internationale. Il est difficile de dire combien de temps durera cette période. Il est certain qu’elle sera longue et tout aussi certain qu’elle sera accompagnée d’alternatives de flux et de reflux. Le mouvement révolutionnaire mondial est, pour le moment, entré dans une phase de reflux.

    Mais ce reflux, pour de multiples causes dont je parlerai plus loin, doit faire place à un mouvement de flux qui peut se terminer par la victoire du prolétariat, mais qui peut aussi ne pas aboutir à la victoire et auquel dans ce cas succédera une phase de reflux qui, à son tour, sera suivie d’un nouvel afflux révolutionnaire. Les liquidateurs de notre temps prétendent que l’accalmie actuelle marque la fin de la révolution. Mais ils se trompent comme ils se trompaient naguère, au cours de la première et de la deuxième étape de la révolution, quand tout reflux du mouvement révolutionnaire revêtait pour eux le sens d’un écrasement de la révolution.

    Telles furent les oscillations inhérentes à chaque étape de la révolution, à chaque période stratégique.

    Quel est le sens de ces oscillations ? Signifient-elles que la théorie de Lénine sur la nouvelle époque de la révolution mondiale ait perdu ou soit susceptible de perdre sa valeur ?

    Pas le moins du monde ! Elles signifient seulement que la révolution se développe généralement non en ligne droite, par un mouvement d’ascension continu, mais en zigzag, par alternatives d’avances et de reculs, de flux et de reflux qui trempent dans la lutte les forces de larévolution et les préparent à la victoire définitive.

    Tel est le sens historique de la phase actuelle du reflux de la révolution et de l’accalmie que nous traversons.

    Mais le mouvement de reflux n’est qu’un côté de la situation. L’autre côté est représenté par le fait que, parallèlement au reflux de la révolution en Europe, nous assistons à un développement économique extrêmement rapide de l’Union Soviétique et à l’accroissement de sa puissance politique En d’autres termes, nous n’avons pas seulement une stabilisation du capitalisme. Nous avons également une stabilisation du régime soviétiste.

    C’est donc deux stabilisations que nous avons : stabilisation momentanée du capitalisme et stabilisation du régime soviétiste.

    Entre ces deux stabilisations, il s’est établi une espèce d’équilibre provisoire qui constitue le trait caractéristique de la situation internationale actuelle.

    Mais qu’est-ce que la stabilisation ? Une stagnation ? Et dans ce cas peut-on appliquer cette définition au régime soviétiste ? Pas le moins du monde. Stabilisation ne veut pas dire stagnation.

    Par stabilisation, il faut entendre consolidation d’une situation donnée et continuation de développement. Le capitalisme mondial ne s’est pas seulement affermi sûr la base d’une situation donnée, il poursuit son développement en étendant la sphère de son influence et en multipliant ses richesses.

    C’est une erreur de croire que le capitalisme ne peut pas se développer, que la théorie de la décomposition du capitalisme soutenue par Lénine dans sa brochure L’impérialisme, dernière étape du capitalisme exclut le développement du capitalisme.

    Lénine a parfaitement démontré dans sa brochure que la croissance du capitalisme ne supprime pas, mais présuppose et prédétermine la décomposition du capitalisme. Nous avons donc ainsi deux stabilisations. A l’un des pôles, le capitalisme se stabilise, consolide la situation acquise et poursuit son développement. A l’autre pôle, le régime soviétiste se stabilise, consolide les positions conquises et va de l’avant dans la voie de la victoire.

    Toute la question est de savoir qui l’emportera.

    Comment se fait-il qu’une stabilisation aille de front avec l’autre ? C’est parce qu’il n’existe plus désormais de capitalisme maître unique du monde. C’est parce que, maintenant, la terre est divisée en deux camps : d’un côté, le capitalisme sous les auspices du capitalisme anglo-américain ; de l’autre, le socialisme ayant à sa tête l’Union Soviétique.

    C’est parce que la situation internationale sera déterminée par le rapport des forces de ces deux camps adverses.

    Ainsi la caractéristique du moment actuel ne réside pas seulement dans le fait que le capitalisme et le régime soviétiste se sont stabilisés, mais aussi dans le fait que leurs forces respectives ont atteint un certain équilibre momentané, avec un léger avantage en faveur du capital et, partant, avec un léger désavantage pour le mouvement révolutionnaire, car l’accalmie actuelle, comparée à la période d’élan révolutionnaire, est un désavantage indubitable, quoique momentané, pour le socialisme.

    En quoi ces deux stabilisations diffèrent-elles ? A quoi aboutissent­ elles ?

    La stabilisation en régime capitaliste, se traduisant par le renforcement momentané du capital, aboutit nécessairement à l’aggravation des contradictions du capitalisme : a) entre les groupes impérialistes des divers pays ; b) entre les ouvriers et les capitalistes de chaque pays ; c) entre l’impérialisme et les peuples coloniaux de tous les pays.

    Par contre, renforçant le socialisme, la stabilisation en régimesoviétiste doit nécessairement aboutir à l’atténuation des

    contradictions et à l’amélioration des rapports : a) entre le prolétariat et la paysannerie de notre pays ; b) entre le prolétariat et les peuples coloniaux des pays opprimés ; c) entre la dictature du prolétariat et les ouvriers de tous les pays.

    Le fait est que le capitalisme ne peut se développer sans intensifier l’exploitation de la classe ouvrière, sans maintenir dans un état de demi-famine la grande majorité des travailleurs, sans renforcer l’oppression des pays coloniaux et vassaux, sans entraîner des conflits et des chocs entre les divers groupements impérialistes de la bourgeoisie.

    Le régime soviétiste et la dictature du prolétariat, au contraire, ne peuvent se développer que par l’élévation constante du niveau matériel et moral de la classe ouvrière, par l’amélioration continue de la situation de tous les travailleurs du pays soviétiste, par le rapprochement progressif et l’union des ouvriers de tous les pays, par le ralliement des colonies et des pays vassaux opprimés autour du mouvement révolutionnaire du prolétariat.

    Le développement du capitalisme est synonyme d’appauvrissement et de misère pour la grande majorité des travailleurs, de situation privilégiée pour une infime catégorie de travailleurs corrompus par la bourgeoisie. Le développement de la dictature du prolétariat, au contraire, est synonyme d’un relèvement continu du bien-être de l’immense majorité des travailleurs.

    Ainsi, le développement du capitalisme ne peut pas ne pas engendrer des conditions aggravant les contradictions du capitalisme. Et le capitalisme n’est pas en mesure de surmonter ces contradictions.

    Si le capitalisme ne suivait pas un développement anarchique aboutissant aux conflits et aux guerres entre pays capitalistes pour la conquête des colonies ; s’il pouvait se développer sans l’exportation des capitaux dans les pays économiquement arriérés, dans les pays de matières premières et de main-d’œuvre à bon marché ; si l’excédent de l’accumulation capitaliste des « métropoles » était consacré non à l’exportation des capitaux, mais à un sérieux développement de l’agriculture et à l’amélioration des conditions matérielles de la paysannerie ; si, enfin, cet excédent était employé au relèvement du niveau de vie de l’ensemble de la classe ouvrière, il est évident qu’il ne pourrait plus être question d’un renforcement de l’exploitation de la classe ouvrière, de la paupérisation de la paysannerie en régime capitaliste, de l’aggravation de l’oppression des pays coloniaux et vassaux, de conflits et de guerres entre les capitalistes.

    Mais alors le capitalisme ne serait plus le capitalisme Le fait est que le capitalisme ne peut pas se développer sans envenimer toutes ces contradictions et sans accumuler par là même les facteurs qui, en définitive, contribuent à sa ruine.

    Au contraire, la dictature du prolétariat ne peut continuer à se développer sans engendrer des facteurs élevant le mouvement révolutionnaire de tous les pays à un degré supérieur et préparant la victoire définitive du prolétariat.

    Telle est la différence existant entre les deux stabilisations. Dans ces conditions, la stabilisation du capitalisme ne peut être ni solide, ni durable.

    Examinons concrètement la stabilisation du capitalisme.

    Par quoi se traduit-elle ?

    Premièrement, par le fait que l’Amérique, l’Angleterre et la France ont réussi momentanément à s’entendre sur la façon dont elles allaient dépouiller l’Allemagne et sur le montant des sommes qu’elles allaient lui extorquer ; elles sont arrivées à un accord auquelelles ont donné le nom de plan Dawes.

    Peut-on considérer cet accord comme tant soit peu solide ? Nullement. D’abord, parce qu’il a été conclu en dehors de l’intéressé, en l’occurrence le peuple allemand ; ensuite, parce qu’il signifie que le peuple allemand devra supporter une double oppression, celle de sa propre bourgeoisie et celle de la bourgeoisie étrangère.

    Et ce serait croire à l’impossible que de s’imaginer qu’une nation aussi cultivée que l’Allemagne, qu’un prolétariat aussi éduqué que le prolétariat allemand se résigneront à ce double joug sans essayer de réagir par des soulèvements révolutionnaires. Il n’est pas jusqu’à ce phénomène de réaction qu’est l’élection de Hindenburg, qui ne démontre combien l’accord de l’Entente contre l’Allemagne est fragile, éphémère.

    Deuxièmement, par le fait que le capital anglais, américain et japonais a réussi à se mettre momentanément d’accord sur la répartition des zones d’influence dans ce vaste débouché du capital international qu’est la Chine et sur la façon de mettre ce pays en coupe réglée. Peut-on considérer cet accord comme tant soit peu solide ?

    Certes, non. D’abord, parce que les parties contractantes se battent et se battront entre elles jusqu’à ce que mort s’ensuive pour le partage du butin ; ensuite, parce que cet accord a été conclu à l’insu du peuple chinois, qui ne veut pas se soumettre aux lois des détrousseurs étrangers. L’extension du mouvement révolutionnaire en Chine ne montre-t-il pas que les machinations des impérialistes étrangers sont d’ores et déjà condamnées ?

    Troisièmement, par le fait que les groupements impérialistes des pays avancés ont réussi momentanément à se mettre d’accord en renonçant réciproquement à s’immiscer dans le pillage et l’oppression de « leurs » colonies respectives.

    Peut-on considérer cette tentative d’accord comme tant soit peu sérieuse ? Pas le moins du monde.

    D’abord, parce que chacun des gouvernements impérialistes cherche et cherchera à s’approprier un morceau descolonies des autres ; ensuite, parce que la politique d’oppression des groupements impérialistes dans les colonies ne fait que rendre les colonies plus révolutionnaires et, par là même, avancer l’heure de la crise révolutionnaire.

    Les impérialistes s’efforcent de « pacifier » les Indes, de dompter l’Egypte, d’apprivoiser le Maroc, de juguler l’Indochine et, à cet effet, mettent en œuvre tous les moyens de ruse et de pression. Il se peut qu’ils obtiennent quelques « résultats ». Mais est-il besoin de dire que tontes leurs manœuvres seront, en fin de compte, déjouées.

    Quatrièmement, dans le fait que les groupes impérialistes des pays avancés chercheront à se mettre d’accord pour former un front unique contre l’Union Soviétique. Admettons qu’ils parviennent à mettre sur pied une espèce de front unique en ne reculant devant aucune machination, comme les misérables faux fabriqués à l’occasion de l’attentat de la cathédrale de Sofia et ainsi de suite.

    Avons-nous des raisons de supposer que l’accord contre notre pays ou la stabilisation dans ce domaine puisse être tant soit peu solide, tant soit peu féconde ?

    Personnellement, je n’en vois pas.

    Pourquoi ?

    D’abord, parce que la menace d’un front unique et l’attaque combinée des capitalistes sonderaient plus que jamais tout le pays au pouvoir soviétiste et en feraient une forteresse encore plus inexpugnable qu’au moment de l’offensive des quatorze Etats.

    Rappelez-vous la menace de Churchill au sujet de l’offensive des quatorze Etats.

    Et il suffit que fût proférée cette menace pour que tout le pays se serrât autour du pouvoir soviétiste, afin de repousser l’attaque éventuelle des rapaces impérialistes. Ensuite, parce que la croisade contre le pays soviétiste allumerait dans tous les pays de multiples foyers révolutionnaires, qui désagrégeraient et démoraliseraient les forces de l’impérialisme.

    Que ces foyers se soient considérablement multipliés ces derniers temps et qu’ils ne réservent rien de bon à l’impérialisme, c’est ce dont on ne peut douter. Enfin, parce que notre pays n’est déjà plus isolé, parce qu’il a pour alliés les ouvriers d’Occident et les peuples d’Orient.

    Au demeurant, il est à peu près certain que la guerre contre l’Union Soviétique se changerait en guerre de l’impérialisme contre ses propres ouvriers et ses colonies. Je n’ai pas besoin de souligner que si l’on attaque notre pays, nous ne nous contenterons pas de marquer les coups et que nous saurons prendre les mesures nécessaires pour déchaîner le torrent révolutionnaire dans tous les pays du monde.

    Les dirigeants des pays capitalistes ne doivent pas ignorer que, dans ce domaine, nous avons quelque compétence.

    Tels sont les faits et considérations qui témoignent que la stabilisation ne peut pas être solide, que cette stabilisation appelle l’apparition de facteurs aboutissant à la défaite du capitalisme, qu’en revanche la stabilisation du régime soviétiste mène à une accumulation incessante de facteurs aboutissant à l’affermissement de la dictature du prolétariat, à l’essor du mouvement révolutionnaire de tous les pays et à la victoire du socialisme.

    Cette opposition de principe entre la stabilisation capitaliste et la stabilisation soviétiste est l’expression de l’opposition entre deux systèmes d’économie et de gouvernement : le système capitaliste et le système socialiste.

    Qui ne comprend pas cette opposition ne comprendra jamais le fond véritable de la situation internationale actuelle.

    Tel est, en ce moment, le tableau général de la situation internationale.

    II ­ Tâches courantes des partis communistes dans les pays capitalistes

    Ce qui caractérise en ce moment la situation des partis communistes dans les pays capitalistes, c’est que la période de poussée révolutionnaire a fait place à une période de reflux, à une période d’accalmie.

    C’est cette accalmie qu’il s’agit de mettre à profit pour renforcer les partis communistes, les bolchéviser et les transformer en véritables partis de masse, appuyés sur les syndicats, pour grouper les travailleurs de certaines catégories sociales non-prolétariennes, et en premier lieu la paysannerie, autour du prolétariat, enfin, pour éduquer les prolétaires dans l’esprit de la révolution et la dictature du prolétariat.

    Je n’énumérerai pas toutes les tâches courantes qui se posent aux partis communistes d’Occident. Si vous lisez les résolutions adoptées à ce sujet, notamment les résolutions adoptées par l’Exécutif élargi sur la bolchévisation, vous n’aurez pas de peine à comprendre en quoi consistent pratiquement ces problèmes. Je me bornerai à examiner la tâche essentielle des partis communistes d’Occident et à la mettre en lumière, ce qui facilitera la solution de tous les autres problèmes du moment.

    Cette tâche, c’est de cimenter les partis communistes d’Occident et les syndicats, de développer et de mener à bonne fin la campagne en faveur de l’unité du mouvement syndical, d’obliger tous les communistes à adhérer aux syndicats, d’y mener un travail méthodique en faveur du front unique des ouvriers contre le capital et de créer ainsi des conditions permettant aux partis communistes de s’appuyer sur les syndicats.

    Sans l’accomplissement de cette tâche, il n’est pas possible de transformer les partis communistes en véritables partis de masse, ni de préparer des conditions favorables à la victoire du prolétariat.

    Les syndicats et les partis en Occident ne sont pas ce qu’ils sont chez nous. Leurs rapports ne ressemblent nullement à ceux qui existent en Russie. Chez nous, les syndicats ont fait leur apparition après le parti et autour du parti de la classe ouvrière.

    Chez nous, avant l’existence des syndicats, le parti et ses organisations dirigeaient déjà non seulement la lutte politique, mais la lutte économique de la classe ouvrière, jusques et y compris les grèves les moins importantes. C’est ce qui, dans une large mesure, permet de comprendre l’autorité exceptionnelle dont jouissait notre parti parmi les ouvriers avant la révolution de Février comparativement aux embryons de syndicats qui existaient alors de-ci de-là.

    Les véritables syndicats ne firent leur apparition en Russie qu’après février 1917. Mais, à la veille de la révolution d’Octobre, nous avions déjà des organisations professionnelles parfaitement constituées qui jouissaient parmi les ouvriers d’une très grande autorité. Lénine disait à ce moment que, sans l’appui des syndicats, il était impossible d’établir ou de maintenir la dictature du prolétariat.

    Mais les syndicats n’atteignirent leur plein développement qu’après la prise du pouvoir, et surtout après l’application de la Nep.

    Il est indubitable que, maintenant, nos puissants syndicats constituent un des plus fermes appuis de la dictature du prolétariat.

    Le trait le plus caractéristique de leur histoire, c’est qu’ils sont nés, qu’ils se sont développés et consolidés après le parti, autour de lui, dans une atmosphère d’amitié réciproque.

    En Europe occidentale, les syndicats se sont développés dans une ambiance très différente. D’abord ils ont surgi et grandi bien avantl’apparition des partis ouvriers. Ensuite, ce ne sont pas les syndicats qui se sont développés autour des partis, mais au contraire, les partis ouvriers qui sont issus des syndicats.

    Enfin, étant donné que dans le domaine de la lutte économique, qui touche le plus la classe ouvrière, la place était, pour ainsi dire, déjà prise par les syndicats, les partis se virent contraints de se consacrer surtout à la lutte parlementaire, ce qui devait forcément se répercuter sur le caractère de leur travail et sur leur autorité auprès de la classe ouvrière.

    Et c’est parce que les partis apparurent en Occident après les syndicats et que les syndicats naquirent longtemps avant les partis pour devenir les principales forteresses du prolétariat dans sa lutte contre le capital, que les partis, en tant que forces autonomes, sans point d’appui sur les syndicats, se virent relégués à l’arrière-plan.

    Il en résulte que si les partis communistes veulent devenir réellement une force massive, capable d’actionner la révolution, ils doivent étroitement se lier aux syndicats et s’appuyer sur eux.

    Ne pas tenir compte de cette particularité de la situation en Occident, c’est à coup sûr nuire à la cause du mouvement communiste.

    Et pourtant, il existe encore en Occident certains « communistes » qui ne veulent pas voir cette particularité et qui vont répétant leur mot d’ordre antiprolétarien et antirévolutionnaire : « Abandon des syndicats ! ». Le mouvement communiste d’Occident n’a pas d’adversaires plus nuisibles que cette espèce de « communistes » qui rêvent de se lancer à l’attaque des syndicats incarnant à leurs yeux des citadelles ennemies.

    Ils ne comprennent pas qu’une semblable politique doit forcément les faire considérer comme des ennemis par les ouvriers. Ils necomprennent pas que, bons ou mauvais, les syndicats sont pour l’ouvrier du rang comme des citadelles d’où lui vient le secours pour le maintien des salaires, de la journée de travail, et ainsi de suite. Ils ne comprennent pas qu’une semblable politique ne facilite pas, mais entrave le travail de pénétration des communistes dans les couches profondes de la classe ouvrière.

    « Vous attaquez ma citadelle, peut dire le simple ouvrier à de tels communistes, vous voulez détruire l’œuvre à laquelle je me suis consacré pendant des dizaines d’années en me persuadant que le communisme est un progrès sur le trade-unionisme : Il se peut que vous ayez raison dans vos spéculations théoriques sur le communisme, ce n’est pas à moi, simple ouvrier, d’en juger ; mais ce que je sais, c’est que j’ai ma forteresse dans mon syndicat, que ce syndicat m’a conduit à la lutte, qu’il m’a défendu tant bien que mal contre les agressions des capitalistes et que celui qui cherche à détruire cette forteresse nuit à mes intérêts.

    Cessez d’attaquer les syndicats, entrez-y, militez-y cinq années et plus s’il le faut, contribuez à les améliorer et à les renforcer, et si vous me persuadez de la supériorité de vos méthodes, soyez sûrs que je ne me refuserai pas à vous soutenir. »

    Tel est à peu près l’accueil que réserve l’ouvrier moyen de nos jours aux antiprofessionnalistes. Si l’on n’a pas compris ce trait particulier de la psychologie de l’ouvrier moyen, on ne comprendra rien à la situation de nos partis communistes à l’heure actuelle.

    En quoi réside la force de la social-démocratie en Occident ? En ce qu’elle a les syndicats pour point d’appui.

    En quoi réside la faiblesse de nos partis communistes en Occident ? Dans le fait qu’ils ne se sont pas encore intimement liés et que certains de leurs éléments ne veulent pas se lier aux syndicats.C’est pourquoi la tâche essentielle des partis communistes d’Occident en ce moment est de développer et de mener à bien la campagne en faveur de l’unité syndicale, d’obliger tous les communistes à entrer dans les syndicats, d’y accomplir un travail méthodique de longue haleine en faveur du groupement de la classe ouvrière contre le capital, et d’arriver ainsi à s’appuyer sur les syndicats.

    Tel est le sens de notre campagne en faveur de l’unité syndicale.

    Telles la signification des décisions de l’Exécutif élargi de l’Internationale communiste au sujet des tâches courantes des partis communistes d’Occident à l’heure actuelle.

    III ­ Tâches courantes des éléments communistes
    dans les pays coloniaux et vassaux

    Voici ce qu’il y a de nouveau dans ce domaine :

    a) Etant donné l’exportation croissante de capitaux des pays avancés dans les pays arriérés, exportation favorisée par la stabilisation du capitalisme, ce dernier, dans les pays coloniaux, se développe et est appelé à se développer à une allure accélérée, provoquant la disparition des anciennes formes politiques sociales et l’implantation de nouvelles ;

    b) Le prolétariat de ces pays grandit et grandira rapidement ;

    c) Le mouvement ouvrier et la crise révolutionnaire gagnent et gagneront du terrain dans les colonies ;

    d) On assiste au développement des couches les plus riches et les plus puissantes de la bourgeoisie indigène, qui, redoutant bien plus la révolution dans leur pays que l’impérialisme, préfèrent un compromis à l’affranchissement de leur patrie, qu’ils trahissent ainsi au profit de l’impérialisme (Inde, Egypte, etc.) ;

    e) Par suite, l’affranchissement de ces pays ne peut être réalisé quedans la lutte contre la bourgeoisie nationale conciliatrice ;

    f) Il en résulte que l’alliance des ouvriers et des paysans, ainsi que l’hégémonie du prolétariat dans les colonies à développement ou en voie de développement industriel, doivent passer au premier plan de l’actualité, comme ce fut le cas en Russie avant la révolution de 1905.

    Jusqu’ici, on avait accoutumé de considérer l’Orient comme un tout uniforme. Maintenant, il est clair qu’une telle appréciation de l’Orient n’est plus possible, que désormais il existe des colonies à développement ou en voie de développement capitaliste et des colonies arriérées à l’égard desquelles il ne peut être question d’appliquer la même méthode.

    Jusqu’ici, on se représentait le mouvement d’émancipation nationale comme un front ininterrompu de toutes les forces nationales des pays coloniaux et vassaux, front dans lequel on englobait tous les éléments, depuis les bourgeois les plus réactionnaires jusqu’aux prolétaires les plus révolutionnaires.

    Aujourd’hui, après la scission de la bourgeoisie nationale en aile révolutionnaire et en aile antirévolutionnaire, le tableau du mouvement national se présente tout autrement. A côté des éléments révolutionnaires du mouvement national, il se forme au sein de la bourgeoisie des éléments conciliateurs, réactionnaires, préférant un compromis avec l’impérialisme plutôt que l’affranchissement de leur pays.

    D’où la nécessité pour les éléments communistes des colonies de s’unir aux éléments révolutionnaires de la bourgeoisie nationale et, tout d’abord, à la paysannerie contre le bloc de l’impérialisme et des éléments conciliateurs de la bourgeoisie indigène, afin de mener, prolétariat en tête, une lutte révolutionnaire efficace pour la libération des colonies du joug de l’impérialisme.Nombre de pays coloniaux approchent maintenant de ce qu’on pourrait appeler leur année 1905.

    La tâche consiste à grouper les ouvriers avancés des pays coloniaux en un parti communiste unique, capable de prendre le gouvernail de la révolution.

    Voici ce que disait Lénine, en 1922, du mouvement révolutionnaire grandissant dans les pays coloniaux :

    Les « vainqueurs » actuels du premier carnage impérialiste n’ont pas même la force de vaincre la petite, l’infime Irlande, de surmonter l’anarchie qui règne parmi eux dans les questions financières et monétaires. Or, l’Inde et la Chine sont en ébullition.

    Il s’agit de plus de 700 millions d’être humains qui, avec les pays limitrophes asiatiques, représentent une bonne moitié de la population du globe.

    Avec une force irrésistible, à une allure de plus en plus accélérée, il se prépare dans ces pays un 1905, avec cette différence essentielle qu’en Russie la révolution de 1905 pouvait encore s’accomplir, du moins au début, isolément, c’est-à-dire en n’entraînant pas immédiatement les autres pays sans son orbite.

    Mais la révolution qui gronde dans l’Inde et en Chine est maintenant attirée dans la lutte révolutionnaire, dans le mouvement révolutionnaire, dans la révolution internationale.

    Les pays coloniaux sont à la veille de leur 1905, telle est la conclusion.

    Tel est le sens des résolutions adoptées sur la question coloniale par l’Exécutif élargi de l’Internationale communiste.

    IV ­ L’avenir du socialisme en U.R.S.S.

    Jusqu’ici, j’ai parlé des résolutions de notre conférence sur des sujets concernant directement l’Internationale communiste. Je passe maintenant à des questions qui se rapportent directement tant à l’I.C.

    qu’au P.C.R. et qui représentent ainsi un anneau rattachant les questions extérieures aux questions intérieures.

    Quel effet la stabilisation temporaire du capitalisme peut-elle avoir sur l’avenir du socialisme dans notre pays ? Ne devons-nous pas la considérer comme la fin ou le commencement de la fin de l’organisation socialiste dans l’Union soviétique ?

    Est-il possible, dans notre pays arriéré au point de vue technique et économique, d’édifier le socialisme si le capitalisme subsiste plus ou moins longtemps dans les autres pays ?

    Pouvons-nous obtenir une garantie complète contre la menace d’une intervention et, partant, contre la restauration de l’ancien régime, alors que nous sommes encerclés par le capitalisme, qui, ne l’oublions pas, est en ce moment stabilisé ?

    Autant de questions qui se posent à nous en raison de l’état actuel des rapports internationaux et que nous ne pouvons laisser sans réponse.

    Notre pays présente deux groupes de contradictions : contradictions intérieures entre le prolétariat et la paysannerie ; contradictions extérieures entre notre pays, en tant que nation socialiste, et les autres pays, en tant que nations impérialistes.

    Examinons séparément ces groupes de contradictions.

    Qu’il existe certaines contradictions entre le prolétariat et la paysannerie, la chose est évidemment indéniable. Il suffit de serappeler ce qui s’est passé et ce qui se passe chez nous sous le rapport de la politique des prix sur les produits agricoles, sous le rapport de la campagne pour la baisse des prix des objets manufacturés, pour comprendre toute la réalité de ces contradictions.

    Il existe en U. R. S. S. deux classes fondamentales : la classe ouvrière et la classe des petits possédants, c’est-à-dire la paysannerie.

    D’où d’inévitables contradictions.

    Le tout est de savoir si, par nos propres moyens, nous pouvons vaincre les contradictions existant entre le prolétariat et la paysannerie.

    Quand on dit : Pouvons-nous construire le socialisme avec nos seules forces ? il faut évidemment traduire : Les contradictions entre le prolétariat et la paysannerie sont-elles surmontables ?

    A cette question, le léninisme répond par l’affirmative. Nous pouvons édifier le socialisme et nous l’édifierons avec le concours de la paysannerie sous la direction de la classe ouvrière.

    Quelles sont les raisons qui permettent une telle réponse ? C’est qu’entre le prolétariat et la paysannerie, il existe des antagonismes, mais aussi une communauté d’intérêts dans les questions fondamentales.

    Or, cette communauté d’intérêts couvre ou, en tout cas, peut couvrir les antagonismes existants et constitue la base, le fondement de l’alliance des ouvriers et des paysans.

    En quoi consiste cette communauté d’intérêts ? Le fait est qu’il existe deux systèmes de développement de l’agriculture : le système capitaliste et le système socialiste. Le système capitaliste, c’est le développement par l’appauvrissement de la majeure partie de la paysannerie, mais, par contre, l’enrichissement des couches supérieures de la bourgeoisie urbaine et rurale.

    Le système socialiste, au contraire, c’est le développement par l’élévation continue du bien-être de la majorité des paysans. De même que le prolétariat, la paysannerie est particulièrement intéressée au développement socialiste, car c’est pour elle l’unique moyen de se sauver de l’appauvrissement et d’une existence de demi-famine.

    Inutile de dire que la dictature du prolétariat, qui détient les positions essentielles de l’économie, prendra toutes les mesures nécessaires pour la victoire du socialisme. Ainsi, la paysannerie est vitalement intéressée à ce que le développement s’effectue précisément dans ce sens.

    De là, la communauté d’intérêts du prolétariat et de la paysannerie qui couvre leurs contradictions.

    Voilà pourquoi le léninisme dit que nous pouvons et devons, avec la paysannerie, construire une société socialiste basée sur l’alliance des ouvriers et des paysans.

    Voilà pourquoi le léninisme dit qu’en nous appuyant sur les intérêts communs des prolétaires et des paysans, nous pouvons et devons vaincre par nos propres moyens les contradictions existant entre le prolétariat et la paysannerie.

    Mais tous nos camarades ne sont pas d’accord sur ce point avec le léninisme. Voici, par exemple, ce que pense Trotsky de ces contradictions :

    Les contradictions qui se manifestent sous un gouvernement ouvrier dans un pays arriéré, où l’immense majorité de la population est composée de paysans, ne pourront trouver leur solution qu’à l’échelle internationale, sur l’arène de la révolution mondiale du prolétariat (Préface à l’ouvrage « 1905 »).

    En d’autres termes, nous n’avons ni la force, ni les moyens de vaincre et de supprimer dans notre pays les contradictions du prolétariat et de la paysannerie. Nous ne le pourrions que si larévolution mondiale éclatait et nous permettait, enfin, de construire le socialisme.

    Inutile de dire que cette théorie n’a rien de commun avec le léninisme.

    Poursuivant sa pensée, Trotsky écrit :

    Sans l’aide gouvernementale directe du prolétariat européen, la classe ouvrière russe ne pourra se maintenir au pouvoir et transformer sa domination momentanée en dictature socialiste durable (Notre révolution).

    En d’autres termes, tant que le prolétariat d’Occident ne prendra pas le pouvoir et ne nous apportera pas son appui, il est inutile de songer à nous maintenir longtemps au pouvoir.

    Ailleurs, nous lisons encore :

    Il serait vain de penser que, par exemple une Russie révolutionnaire pût se maintenir en face d’une Europe conservatrice.

    Ainsi, non seulement nous ne pouvons pas construire le socialisme, mais nous ne sommes même pas en état de nous maintenir, ne fût­ce qu’un court laps de temps, en face d’une Europe conservatrice, bien que nous ayons tenu bon jusqu’ici et que nous ayons repoussé victorieusement de furieuses attaques de l’Europe conservatrice.

    Enfin, voici ce que dit Trotsky :

    En Russie, il ne pourra y avoir d’essor véritable de l’économie socialiste qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d’Europe.

    On ne saurait être plus clair. J’ai donné ces citations afin de les comparer à des citations de Lénine et de vous montrer qu’il est possible de construire une société socialiste intégrale dans un pays de dictature du prolétariat entouré d’Etats capitalistes.

    Voici ce qu’écrivait Lénine en 1915, pendant la guerre impérialiste :

    L’inégalité du développement économique et politique est incontestablement une loi du capitalisme. Il en résulte que le socialisme peut vaincre tout d’abord dans quelque pays capitaliste, ou même dans un seul.

    Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se dresserait contre le reste du monde capitaliste, attirerait à lui les classes opprimées des autres pays, y susciterait la révolte contre les capitalistes, interviendrait même, au besoin, par la force des armes contre les classes exploiteuses et leurs Etats…

    Car l’union libre des nations dans le socialisme est impossible sans une lutte acharnée, plus ou moins longue, des républiques socialistes contre les Etats retardataires.

    Autrement dit, le pays de la dictature prolétarienne, quoique encerclé de pays capitalistes, non seulement peut surmonter par ses propres moyens les contradictions intérieures entre le prolétariat et la paysannerie, mais encore peut et doit construire le socialisme, organiser l’économie socialiste et mettre sur pied une force armée destinée à venir en aide aux prolétaires des autres pays dans leur lutte pour le renversement du capital.

    Telle est la théorie fondamentale du léninisme sur la victoire du socialisme dans un seul pays.

    C’est ce que dit encore Lénine, quoique sous une autre forme, en 1920, au 8 e congrès des soviets, à propos de l’électrification de notrepays : Le communisme, c’est le pouvoir des soviets, plus l’électrification du pays, faute de quoi le pays serait condamné à demeurer un pays de moyenne paysannerie. C’est ce que nous devons bien nous mettre dans la tête. Nous sommes plus faibles que le capitalisme, non seulement à l’échelle internationale, mais même à l’intérieur du pays.

    C’est là une chose notoire. Nous nous en sommes convaincus et nous ferons en sorte que notre base économique, qui est en ce moment représentée par la petite paysannerie, soit constituée par la grande industrie. Ce n’est que lorsque le pays sera électrifié, lorsque l’industrie, l’agriculture et les moyens de transport auront comme fondement technique la grande industrie, que nous vaincrons définitivement.

    Lénine se rend parfaitement compte des difficultés auxquelles doit se heurter l’édification du socialisme dans notre pays, et pourtant il n’en tire nullement l’absurde déduction qu’ « en Russie, il ne pourra y avoir d’essor véritable de l’économie socialiste qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d’Europe ».

    Au contraire, il considère que nous pouvons par nos propres moyens surmonter ces difficultés et remporter la « victoire définitive », c’est-à-dire réaliser le socialisme intégral.

    Mais voici ce qu’il disait encore, une année après, en 1921 : Dix à vingt années de rapports justes avec la paysannerie et la victoire est assurée à l’échelle internationale, même si les révolutions prolétariennes, qui mûrissent, tardent à venir.

    Ainsi Lénine voyait nettement les difficultés que l’édification du socialisme aurait à surmonter dans notre pays, mais il n’en concluait pas que, « sans l’aide gouvernementale directe du prolétariat européen, la classe ouvrière russe ne pourrait se maintenir au pouvoir ». Au contraire, il estimait qu’au moyen d’une politique justeà l’égard de la paysannerie, nous pouvions parfaitement obtenir « la victoire à l’échelle internationale », c’est-à-dire réaliser le socialisme intégral.

    Qu’est-ce qu’une politique juste à l’égard de la paysannerie ? Une telle politique dépend entièrement de nous, en tant que parti dirigeant l’édification du socialisme dans notre pays.

    C’est ce que disait en 1922, mais avec plus de précision encore, Lénine dans ses notes sur la coopération :

    Possession par l’État des principaux instruments de production, possession du pouvoir politique par le prolétariat, alliance de ce prolétariat avec la masse immense des petits paysans qu’il dirige, n’est-ce pas là tout ce qu’il faut pour pouvoir, avec la seule coopération (que nous traitions auparavant de mercantile et que nous avons maintenant, jusqu’à un certain point, le droit de traiter ainsi sous la Nep), procéder à la construction pratique de la société socialiste intégrale ?

    Ce n’est pas là encore la construction de la société socialiste, mais c’est tout ce qui est nécessaire et suffisant pour cette construction.

    Ainsi, après la dictature du prolétariat, il se trouve, d’après Lénine, que nous disposons de tous les éléments nécessaires pour construire la société socialiste intégrale, en surmontant toutes les difficultés intérieures, car il est entendu que nous pouvons et devons les surmonter par nos propres moyens.

    Voilà qui est clair.

    Examinant l’objection d’après laquelle l’état économique relativement arriéré de notre pays exclut la possibilité de l’édification du socialisme, Lénine la rejette comme quelque chose d’incompatible avec le socialisme :Extrêmement banal est l’argument qu’ils ont appris par cœur au cours du développement de la social-démocratie d’Europe Occidentale et d’après lequel nous ne sommes pas mûrs pour le socialisme, nous n’avons pas en Russie, comme le disent certains « savants », les conditions objectives pour le socialisme.

    S’il en était ainsi, il eût été inutile de prendre le pouvoir en octobre 1917 et de faire la révolution. Car, si l’on exclut la possibilité et la nécessité de construire la société socialiste intégrale, la révolution d’Octobre perd son sens.

    Nier la possibilité d’édifier le socialisme dans un seul pays, c’est logiquement nier que la révolution d’Octobre fût rationnelle. Et vice versa, si l’on n’a pas foi en la révolution d’Octobre, on ne doit pas admettre la possibilité de la victoire du socialisme dans un pays encerclé par le capitalisme. La liaison entre le scepticisme à l’égard de la révolution d’Octobre et la négation des possibilités socialistes de notre pays est flagrante.

    Je sais, dit Lénine, qu’il est des sages, qui se croient fort malins et s’intitulent même socialistes, qui affirment qu’il ne fallait pas prendre le pouvoir tant que la révolution n’aurait pas éclaté dans tous les pays. Ils ne soupçonnent pas qu’en parlant ainsi, ils s’écartent de la révolution et se rangent aux côtés de la bourgeoisie. Attendre que les masses laborieuses accomplissent la révolution à l’échelle internationale, c’est se figer dans la passivité. C’est tout bonnement de l’absurdité.

    Voilà ce qu’il en est des contradictions du premier genre, des contradictions intérieures relatives à la possibilité de construire le socialisme dans l’encerclement capitaliste.

    Voyons maintenant les contradictions du second genre, c’est-à-dire les contradictions extérieures existant entre notre pays en tant que pays du socialisme et les autres pays en tant que pays ducapitalisme.

    En quoi consistent ces contradictions ?

    En ce que, tant que durera l’encerclement capitaliste, nous resterons sous la menace d’une intervention des pays capitalistes, et que, par suite, nous serons menacés d’un retour à l’ancien régime.

    Peut-on considérer ces contradictions comme parfaitement surmontables pour un seul pays ? Non. En effet, les efforts d’un seul pays, si même ce pays est un pays de dictature, sont insuffisants pour le garantir contre le danger d’une intervention. La garantie complète contre toute intervention et, partant, la victoire définitive du socialisme ne sont possibles qu’à l’échelle internationale, qu’au moyen des efforts conjugués des prolétaires d’une série de pays, ou, mieux encore, qu’après la victoire des prolétaires dans plusieurs pays.

    Qu’est-ce que la victoire définitive du socialisme ?

    C’est la garantie complète contre toute tentative d’intervention et, partant, de restauration, étant donné qu’une tentative tant soit peu sérieuse de restauration ne peut être effectuée qu’avec un appui efficace du dehors, en l’occurrence du capital international. C’est pourquoi le soutien de notre révolution par les ouvriers de tous les pays et, à plus forte raison, la victoire de ces ouvriers, ne fût-ce que dans quelques pays, représente pour le premier pays vainqueur une condition indispensable de complète garantie contre les tentatives d’intervention et de restauration, une condition indispensable pour la victoire définitive du socialisme.

    Tant que la République des Soviets, dit Lénine, restera isolée à la lisière du monde capitaliste, il serait chimérique et utopique de songer… à la disparition de toute espèce de dangers. Il est évident que, tant qu’il subsiste de telles oppositions, il subsiste des dangersque, quoi qu’on fasse, on n’arrivera pas à éviter.

    Et, plus loin :

    Nous vivons non seulement dans un Etat, mais dans un système d’Etats, et c’est pourquoi on ne peut concevoir une existence parallèle de longue durée de la République des Soviets et des Etats impérialistes. En fin de compte, l’un ou l’autre doit l’emporter.

    Voilà pourquoi, dit Lénine :

    On ne peut vaincre définitivement qu’à l’échelle internationale et seulement au prix des efforts conjugués des ouvriers de tous les pays.

    Telle est la nature des contradictions du second genre. Confondre le premier groupe de contradictions, parfaitement surmontables par les efforts d’un seul pays, avec le second groupe de contradictions, qui exigent pour leur solution les efforts des prolétaires de plusieurs pays, c’est commettre une faute grossière envers le léninisme, c’est être un confusionniste ou un opportuniste incurable.

    Pour donner un échantillon de la confusion qui règne dans certains esprits, je citerai le passage d’une lettre que m’écrivit un camarade au début de cette année au sujet de la victoire du socialisme dans un seul pays.

    Vous dites, écrit-il, que la théorie léniniste… réside dans le fait que le socialisme peut vaincre dans un seul pays. Malheureusement, je n’ai pas trouvé dans les œuvres de Lénine d’indications à ce sujet.

    Le malheur n’est pas que ce camarade, que je considère comme un des meilleurs parmi nos jeunes étudiants communistes, n’a pas trouvé ces indications. Le jour viendra où il les trouvera. Ce qui est grave, c’est qu’il a confondu les contradictions intérieures avec lescontradictions extérieures et qu’en fin de compte il s’est égaré lui­ même dans ce brouillamini.

    Peut-être ne sera-t-il pas superflu de vous donner connaissance de la réponse que j’ai faite à ce camarade :

    Il ne s’agit pas de la victoire complète, mais simplement de la victoire qui consiste à chasser les propriétaires fonciers et les capitalistes, à prendre le pouvoir, à repousser les attaques de l’impérialisme et à poser les jalons de l’organisation de l’économie socialiste.

    Le prolétariat d’un seul pays peut parfaitement atteindre ces objectifs, mais une complète garantie de restauration ne peut être obtenue qu’avec « les efforts communs des prolétaires de plusieurs pays ».

    Il eût été insensé de déclencher la révolution en Russie avec la conviction que le prolétariat russe vainqueur, bénéficiant de la sympathie active des prolétaires des autres pays, mais sans la victoire du prolétariat dans plusieurs autres pays, « ne pourrait pas se maintenir contre une Europe conservatrice ».

    Ce n’est pas du marxisme, mais du vulgaire opportunisme. Si cette théorie était juste, elle donnerait tort à Lénine, qui affirme que nous transformerons la Russie de la Nep en Russie socialiste, que nous avons « tout ce qu’il faut pour l’édification d’une société socialiste intégrale »… Le plus dangereux dans notre politique pratique, c’est la tendance à considérer un pays victorieux comme quelque chose de passif, capable seulement de marquer le pas jusqu’au moment où les prolétaires victorieux des autres pays accourront à son secours.

    Admettons que, pendant cinq ans, dix ans, l’Occident ne connaisse pas de révolution victorieuse ; admettons que, durant ce temps, notre république continue à exister et à organiser l’économie socialiste dans les conditions de la Nep. Or, dans ce cas, pensez-vous que, pendant toute cette période, notre pays s’occupera de moudre du ventet ne se livrera pas à l’édification de l’économie socialiste ? Il suffit de poser la question pour comprendre tout le danger de la théorie de la négation de la victoire du socialisme dans un seul pays.

    Mais s’ensuit-il que la victoire sera complète, définitive ? Pas le moins du monde. Tant que durera l’encerclement capitaliste, la menace d’intervention persistera.

    Tel est le jour sous lequel nous apparaît l’avenir du socialisme dans notre pays, conformément à la résolution adoptée à ce sujet par la quatorzième conférence de notre parti.

    V ­ La politique du parti à la campagne

    Avant d’aborder la résolution de la quatorzième conférence sur la politique du parti à la campagne, je voudrais dire quelques mots du battage fait par la presse bourgeoise autour de la critique de nos côtés faibles à la campagne, critique qui est l’œuvre du parti lui-même. La presse bourgeoise crie partout que la critique à ciel ouvert de nos propres erreurs est un symptôme de faiblesse du pouvoir soviétiste, un signe de décomposition et de ruine. Inutile de dire que tout ce battage n’est que falsification et mensonge.

    L’autocritique est un symptôme de force et non de faiblesse de notre parti. Seul, un parti fort, ayant des racines solides et marchant à la victoire, peut se permettre au grand jour une impitoyable critique de ses propres insuffisances. Un parti qui dissimule la vérité au peuple, qui craint la lumière et la critique, n’est pas un parti, mais une coterie de dupeurs vouée à disparaître.

    Messieurs les bourgeois nous mesurent à leur aune. Ils craignent la lumière et cachent soigneusement la vérité au peuple en dissimulant leurs crises sous le camouflage du bien-être.

    Ils s’imaginent que nous aussi, communistes, nous devons cacher la vérité au peuple ; ils craignent la lumière parce qu’il leur suffirait de se laisser aller à une autocritique tant soit peu sérieuse, à une libre critique de leurs propres vices pour qu’il ne restât rien du régime bourgeois. Ainsi ils se figurent que si nous, communistes, nous tolérons l’autocritique, c’est la preuve que nous sommes aux abois et désemparés.

    Les honorables bourgeois et social-démocrates nous mesurent à leur aune. Seuls, les partis appelés à disparaître de la scène peuvent redouter la lumière et la critique. Nous ne craignons ni l’une ni l’autre, parce que nous sommes un parti en plein essor, en route pour la victoire.

    Voilà pourquoi l’autocritique que nous faisons depuis déjà plusieurs mois est un symptôme de puissance et non de faiblesse, un moyen de consolider encore notre parti et non de le désagréger.

    Et, maintenant, passons à la politique paysanne de notre parti.

    Quels nouveaux symptômes constate-t-on dans les campagnes par suite de la situation qui s’est formée à l’intérieur et à l’extérieur du pays ?

    A mon avis, on peut mentionner quatre faits principaux : 1° Le revirement de la situation internationale et le ralentissement du développement révolutionnaire, qui exigent que nous choisissions les méthodes les moins douloureuses, même si elles sont plus lentes, pour amener la paysannerie à participer à l’édification du socialisme ; 2° L’essor économique des campagnes et le processus de différenciation de la paysannerie, qui exigent la liquidation des survivances du communisme de guerre ;

    3° L’activité politique de la paysannerie, qui exige la modification des anciennes méthodes de direction et d’administration des campagnes ;

    4° Les nouvelles élections aux soviets, qui ont montré nettement que, sur de nombreux points de notre pays, le paysan moyen s’est rangé aux côtés du paysan riche contre le paysan pauvre.

    Quelle doit être, étant donné ces nouveaux faits, la tâche principaledu parti dans les campagnes ? Partant du fait de la différenciation des campagnes, certains camarades arrivent à la conclusion que la principale tâche du parti est d’attiser la lutte de classe dans les campagnes. C’est là reprendre les anciens refrains des menchéviks. Notre tâche n’est pas là.

    L’essentiel n’est nullement d’attiser la lutte de classe au village.

    L’essentiel maintenant est de grouper les paysans moyens autour du prolétariat, c’est-à-dire de les regagner. L’essentiel est de se souder à la masse principale de la paysannerie, d’élever son niveau matériel et moral et de marcher de l’avant avec cette masse sur la voie du socialisme.

    L’essentiel est de construire le socialisme avec le concours de la paysannerie et sous la direction de la classe ouvrière, direction qui est la principale garantie que l’organisation de l’économie s’effectuera dans le sens du socialisme.

    Telle est aujourd’hui la tâche essentielle du parti.

    Peut-être n’est-il pas superflu de rappeler ce que Lénine écrivait à ce sujet au moment de l’instauration de la Nep et qui, jusqu’à présent, n’a rien perdu de son actualité.

    Toute la question désormais est de mettre en mouvement une masse incomparablement plus grande et plus puissante que jusqu’ici. Il n’y a pas d’autres moyens d’y parvenir qu’en marchant avec la paysannerie.

    Et, plus loin :

    Se souder à la masse paysanne, à tous ses éléments laborieux et marcher de l’avant, lentement, infiniment plus lentement que nous ne l’avions rêvé, mais par contre de telle façon que toute la masse s’ébranle avec nous. Et alors viendra un moment où ce mouvement s’accélérera à un degré qui dépassera toutes nos espérances.Par suite, nous avons, dans les campagnes, deux tâches essentielles à accomplir.

    1. Tout d’abord, nous devons faire en sorte que l’économie paysanne s’incorpore au système général du développement économique soviétiste. Autrefois, la ville suivait son chemin, la campagne suivait le sien. Le capitaliste s’efforçait d’inclure l’économie paysanne dans le système du développement capitaliste.

    Mais cette inclusion s’effectuait moyennant l’appauvrissement des masses paysannes et l’enrichissement des couches supérieures de la paysannerie. On sait que cette méthode s’est avérée particulièrement propre à engendrer des révolutions. Après la victoire du prolétariat, l’introduction de l’économie paysanne dans le système général de développement de l’économie soviétiste consiste dans la création des conditions susceptibles de faire avancer l’économie nationale sur la base d’un relèvement progressif, mais continu, du bien-être de la majeure partie de la paysannerie, c’est-à-dire dans un sens diamétralement opposé à celui dans lequel, avant la révolution, les capitalistes orientaient la paysannerie ou l’invitaient à s’orienter.

    Mais comment introduire l’économie paysanne dans l’organisme économique ? Par la coopération : coopératives de crédit, coopératives agricoles, coopératives de consommation, coopératives d’exploitation.

    Telles sont les voies et les sentiers par lesquels lentement, mais infailliblement, l’économie paysanne doit venir se greffer dans le système général de la construction socialiste.

    2. L’autre tâche consiste à liquider progressivement, systématiquement les anciennes méthodes d’administration et de direction des campagnes, à vivifier les soviets, à les transformer en véritables institutions électives et à implanter dans les campagnes les principes de la démocratie soviétiste.

    Lénine dit que la dictature du prolétariat représente un type supérieur de démocratie pour la plupart des travailleurs, mais que ce type supérieur de démocratie ne peut être introduit qu’après que le prolétariat aura pris le pouvoir et obtenu la possibilité de le consolider. C’est dans cette phase de consolidation du pouvoir soviétiste et d’implantation de démocratie soviétiste que nous entrons. Nous devons avancer prudemment et lentement, en constituant au fur et à mesure de notre avance des cadres nombreux de paysans sans-parti.

    Si la première tâche (introduction de l’économie paysanne dans le système général de la construction économique) nous donne la possibilité de conduire, intimement liés, la paysannerie et le prolétariat dans la voie de l’édification socialiste, par contre, la seconde (implantation dans les campagnes de la démocratie soviétiste et vivification des soviets ruraux) doit nous permettre d’améliorer notre appareil gouvernemental, de le lier aux masses populaires, de le rendre sain et honnête, simple et bon marché et de faciliter par là le passage de la dictature du prolétariat à la société sans Etat, à la société communiste.

    Telles sont les grandes lignes des résolutions adoptées par la XIV e conférence sur la politique de notre parti dans les campagnes.

    Conformément à ces résolutions, le parti doit modifier sa méthode de direction à l’égard des campagnes.

    Il est, dans le parti, des éléments qui affirment que, sous la Nep et devant la stabilisation temporaire du capitalisme européen, notre tâche consiste à pratiquer une politique de pression maximum, tant dans le pays que dans l’appareil gouvernemental. J’estime qu’une telle politique serait fausse et néfaste.

    Nous avons besoin maintenant non de redoubler notre pression, mais de faire preuve du maximum de souplesse dans la politique commedans l’organisation, faute de quoi nous ne nous maintiendrons pas au gouvernail dans les circonstances difficiles du moment. Nous avons besoin du maximum de souplesse pour conserver le gouvernail du parti et lui permettre de dominer la situation.

    D’autre part, il est indispensable que les communistes renoncent à appliquer à la campagne des méthodes détestables d’administration.

    On ne saurait administrer uniquement à coups d’arrêtés. Il faut expliquer patiemment aux paysans les questions qui leur sont incompréhensibles, il faut apprendre à les convaincre et, pour cela, ne pas ménager son temps, ni ses efforts. Il est évident qu’il est plus aisé de donner des ordres.

    Mais le plus facile n’est pas toujours le meilleur. Répondant récemment à une question du représentant du comité du gouvernement au sujet de l’absence de journaux dans le district, le secrétaire d’une cellule allait jusqu’à dire : « Quel besoin avons-nous de journaux ? Ne sommes-nous pas plus tranquilles ainsi ? Si les moujiks se mettaient à lire, ils nous assailleraient de questions et nous n’en finirions jamais. »

    Et ce secrétaire s’intitule communiste ! Est-il besoin d’ajouter que cette espèce de communiste est tout simplement un fléau. Il n’est pas possible maintenant d’éviter les « questions » des paysans et, à plus forte raison, de laisser ces derniers sans journaux. Cette vérité élémentaire, il faut bien nous la mettre en tête si nous voulons conserver au parti et au pouvoir soviétiste la direction des campagnes.

    Aujourd’hui, pour diriger, il faut savoir administrer, connaître et comprendre l’économie. Si l’on se contente de pérorer sur la « politique mondiale », sur Chamberlain et Mac Donald, on n’ira pas loin. Nous sommes en pleine phase de construction économique.

    C’est pourquoi ne peut diriger que celui qui comprend l’économie, qui peut donner au moujik de bons conseils pratiques et l’aider àorganiser rationnellement son exploitation. Etudier l’économie, pénétrer dans tous les détails de la construction économique, telles sont les tâches qui incombent maintenant aux communistes dans les campagnes. Faute de quoi, il est puéril de rêver de direction.

    Il n’est plus possible désormais de diriger avec les vieilles méthodes.

    L’activité politique de la paysannerie a pris de l’ampleur, elle doit se canaliser dans l’organisation soviétiste, et pas autrement. Dirige effectivement celui qui s’attache à vivifier les soviets et à former autour du parti une élite paysanne.

    Impossible aujourd’hui de recourir aux méthodes périmées.

    L’activité économique des campagnes s’est réveillée, il faut qu’elle se canalise dans la coopération et non en dehors de la coopération.

    Dirige effectivement celui qui implante dans les campagnes la coopération.

    Telles sont, en général, les tâches concrètes incombant au parti pour la direction des campagnes.

    VI.L’industrie métallurgique

    En quoi consiste le fait nouveau et particulier qui caractérise notre développement économique ?

    En ce que nos plans économiques commencent à retarder sur notre développement réel, qu’ils sont insuffisants et qu’à chaque instant ils ne parviennent pas à suivre la croissance de notre économie.

    Notre budget est une illustration frappante de cette constatation.

    Vous savez qu’au cours d’une demi-année, nous avons dû modifier trois fois notre budget par suite de l’augmentation rapide de nos recettes. En d’autres termes, nos calculs budgétaires et la répartition de nos ressources n’arrivaient pas à suivre la croissance de nos recettes, qui procuraient, de ce fait, des excédents considérables à notre trésorerie.

    Cela prouve que les sources de la vie économique jaillissent irrésistiblement au point de bouleverser complètement les prévisions de nos experts financiers. Cela démontre aussi que nous traversons un essor de labeur économique aussi puissant, sinon plus, que celui que connut l’Amérique, notamment au lendemain de la guerre civile.

    Le développement de notre industrie métallurgique peut être considéré comme le fait le plus caractéristique de cette nouvelle manifestation de vie de notre économie.

    L’année passée, la production métallurgique atteignait 191 millions de roubles d’avant-guerre. En novembre de la même année, le plan annuel pour 1924-1925 fut calculé sur une somme de 273 millions de roubles d’avant-guerre.

    En janvier de l’année en cours, ce plan, que la croissance précipitée de l’industrie métallurgique avait rendu trop étroit, fut modifié et établi sur une somme de 317 millions.

    En avril, ce plan élargi se révéla de nouveau insuffisant et dut être porté à 350 millions. Aujourd’hui, on nous dit qu’il est encore trop exigu et qu’il faudra l’élargir jusqu’à 360-370 millions.

    Ainsi, la production métallurgique a presque doublé comparativement à celle de l’année dernière. Et je ne parle pas de la croissance formidable de notre petite industrie, de l’extension de nos transports et du développement de notre industrie du combustible et autre.

    Ainsi, en ce qui concerne l’organisation de l’industrie, fondement du socialisme, nous sommes déjà en plein essor.

    En ce qui concerne l’industrie métallurgique, ressort principal de toute industrie en général, on peut dire que la période de stagnation est passée et que, désormais, cette industrie a toutes chances de se développer. Le camarade Dzerjinsky a raison de dire que notre pays peut et doit devenir un pays métallurgique.

    Point n’est besoin de démontrer l’importance de ce fait pour le développement intérieur de notre pays comme pour la révolution internationale. Il est indubitable que, du point de vue du développement intérieur, l’essor de notre industrie métallurgique a une importance considérable, car elle marque un essor de l’ensemble de notre industrie et de notre économie.

    Sans puissant développement de l’industrie métallurgique, clef de voûte de toute industrie, il ne peut être question de mettre sur pied ni petite industrie, ni transport, ni combustible, ni électrification, ni agriculture. C’est pourquoi l’essor de cette industrie est synonyme d’essor général.

    Voici ce que disait Lénine de la « grande industrie », sous-entendant par là principalement l’industrie métallurgique :

    Nous savons que le salut de la Russie n’est pas seulement dans une bonne récolte — cela ne suffit pas — pas plus que dans un bon rendement de la petite industrie fournissant à la paysannerie des objets de consommation, ce qui est aussi insuffisant ; il nous faut encore la grande industrie. Plusieurs années de travail seront nécessaires pour la remettre en bon état.

    Et, plus loin :

    Si nous ne parvenons pas à sauver la grande industrie et à la relever, nous ne pourrons organiser aucune espèce d’industrie. Sans elle, nous sommes condamnés à disparaître en tant que pays indépendant.

    Quant à la portée internationale du développement de notre industrie métallurgique, elle est, à coup sûr, incalculable.

    Car qu’est-ce que l’impétueuse croissance de la métallurgie sous la dictature du prolétariat sinon la preuve éclatante que le prolétariat n’est pas seulement capable de détruire, mais de construire, d’édifier par ses propres moyens une nouvelle industrie et une nouvellesociété affranchie de l’exploitation de l’homme par l’homme ?

    Et faire cette démonstration dans la vie et non dans les livres, c’est contribuer considérablement au succès de la révolution mondiale.

    Le pèlerinage des ouvriers d’Occident en Russie n’est pas un simple effet du hasard. Il a, au point de vue de l’agitation et de la pratique, une importance immense pour le développement du mouvement révolutionnaire dans le monde. Les ouvriers qui arrivent en Russie explorent tous les coins et recoins de nos fabriques et de nos usines.

    Cela prouve qu’ils n’ajoutent pas foi aux livres et qu’ils veulent se convaincre par eux-mêmes de la capacité du prolétariat à constituer une nouvelle industrie, une nouvelle société. Lorsqu’ils s’en seront convaincus, soyez sûrs que la cause de la révolution mondiale ira de l’avant à pas de géant.

    En ce moment, dit Lénine, c’est principalement par notre politique économique que nous influons sur la révolution internationale. Les travailleurs de tous les pays, tous sans exception, ni exagération, ont les yeux tournés vers la République des Soviets.

    Dans ce champ de bataille, la lutte qui se déroule a une importance universelle. Si nous venons à bout de notre tâche, nous gagnons à coup sûr et définitivement la partie à l’échelle internationale.

    C’est pourquoi les questions qui ont trait à la construction économique acquièrent à nos yeux une importance exceptionnelle.

    Sur ce front, nous devons remporter la victoire par une ascension et une marche en avant lentes, progressives, point hâtives, mais continues.

    Telle est l’importance internationale de l’essor de notre industrie en général et de l’industrie métallurgique en particulier.

    A l’heure actuelle, il y a en Russie près de quatre millions de prolétaires industriels. C’est évidemment très peu, mais cela représente quand même quelque chose pour construire le socialismeet organiser la défense de notre pays contre les ennemis du prolétariat. Mais nous ne nous en tiendrons pas là.

    Il nous faut 15 à 20 millions de prolétaires industriels, l’électrification des principales régions du pays, l’agriculture organisée sur la base de la coopération et une industrie métallurgique hautement développée. Alors nous vaincrons sur le plan international.

    Le sens historique de la XIV e conférence réside précisément dans le fait qu’elle a nettement tracé la route vers ce but élevé.

    La voie est juste, car elle est celle de Lénine et elle conduit à la victoire définitive.

    Tel est, dans les grandes lignes, le bilan des travaux de la XIVe conférence de notre parti.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Sur le front des céréales

    Extrait de l’entretien avec les étudiants de l’Institut des professeurs rouges, de l’Académie communiste et de l’Université Sverdlov, du 28 mai 1928.

    Question. — Que faut-il considérer comme essentiel dans nos difficultés sur le front des céréales ? Comment sortir de ces difficultés ? Quelles conclusions imposent-elles en ce qui concerne le rythme de développement de notre industrie et notamment les rapports entre l’industrie légère et l’industrie lourde ?

    Réponse. — On pourrait croire au premier abord que nos difficultés sur le front des céréales ne sont qu’accidentelles ; qu’elles proviennent d’un défaut d’élaboration des plans économiques, d’erreurs de balance économique.

    Mais ce n’est là qu’une première impression. En réalité, les causes de ces difficultés sont beaucoup plus profondes. Il est hors de doute que les fautes qui ont été commises lors de l’établissement des plans et de la balance économique ont joué un rôle considérable.

    Mais ce serait tomber dans une erreur très lourde que de vouloir tout expliquer par une mauvaise élaboration des plans et par des fautes accidentelles. Ce serait amoindrir le rôle et la valeur du système du plan.

    Mais l’erreur serait plus grande encore si l’on se mettait à surestimer le rôle de principe d’un plan dans l’idée que nous avons atteint un degré de développement où nous pourrons régler toutes choses d’après un plan général.

    Il ne faut pas oublier qu’à côté des éléments pouvant être assujettis à un plan, il en existe d’autres, dans notre économie nationale, qui, pour le moment, ne se laissent pas régler ; qu’il existe enfin des classes hostiles dont le système de notre Commission des plans ne saurait avoir raison. Voilà pourquoi j’estime qu’on ne doit pas tout ramener à un simple hasard, à des fautes dues à l’élaboration des plans, etc.

    Donc, quelle est la cause essentielle de nos embarras sur le front des céréales ?

    Elle réside en ce que la production des céréales pour le marché s’accroît plus lentement que la consommation des céréales. Nous assistons à la croissance de l’industrie, à celle du nombre des ouvriers. Des villes sont édifiées ainsi que des régions entières produisant des matières premières techniques (coton, lin, betteraves, etc.), où la demande en céréales est considérable.

    Tout cela conduit à l’accroissement rapide de la consommation, de la demande de céréales au marché.

    D’autre part, la production des céréales-marchandises suit une allure affreusement lente. Nous ne pouvons pas dire que, cette année, les approvisionnements en céréales réalisées par l’État soient inférieurs à ceux de l’année dernière ou de l’avant-dernière année.

    Bien au contraire, cette année l’État a disposé d’une quantité de céréales de beaucoup plus considérable que les deux dernières années. Et cependant, nous éprouvons des difficultés.

    Voici quelques données. En 1925-26, nous avons réussi, au 1er avril, à stocker 434 millions de pouds de blé, dont nous avons exporté à l’étranger 153 millions de pouds. Il restait donc dans le pays un stock de 311 millions de pouds.

    En 1926-27, nous avions, au 1er avril, 596 millions de pouds de blé. Sur ce nombre nous avons exporté 153 millions, laissant ainsi au pays un stock de 443 millions de pouds.

    En 1927-28, nous avions, au 1er avril, un stock de 576 millions de pouds dont nous avons exporté à l’étranger 27 millions de pouds, enlaissant au pays un stock de 549 millions de pouds.

    En d’autres termes, nous avions, au 1er avril dernier, pour les besoins du pays, un stock de céréales supérieur de 100 millions de pouds à celui de l’année précédente, et de 230 millions de pouds plus fort que celui de l’avant-dernière année. Et pourtant nous éprouvons des embarras d’approvisionnement.

    J’ai déjà signalé dans un de mes rapports que ces embarras ont été exploités par les éléments capitalistes ruraux et, avant tout, par les koulaks, afin de saboter la politique économique des Soviets.

    Vous savez que ces derniers ont décrété une série de mesures tendant à liquider l’action antisoviétique des koulaks. C’est pourquoi je ne m’étendrai pas longuement là-dessus.

    Ce qui m’occupe pour le moment, c’est une tout autre question : comment expliquer la croissance ralentie de la production des céréales pour le marché, la lenteur de cette croissance par rapport à l’accroissement des besoins en blé, cela bien que nous ayons déjà atteint la norme d’avant-guerre pour la superficie emblavée et la production globale de céréales.

    En effet, il est établi que nous avons atteint la norme d’avant-guerre pour la surface emblavée. Il en est de même de la production globale de céréales qui, l’année dernière, égalait la norme d’avant-guerre, c’est-à-dire s’élevait à 5 milliards de pouds de blé. Comment se fait-il alors que, malgré cela, nous produisions pour le marché deux fois moins de céréales et exportions à l’étranger vingt fois moins de blé qu’avant la guerre ?

    Cela s’explique surtout et avant tout par la modification survenue dans la structure de l’économie rurale, par suite de la révolution d’Octobre, par le passage de la grosse exploitation foncière et koulak qui donnait au marché le maximum de céréales, à la petite et moyenne exploitation paysanne qui lui en fournit le minimum.

    Le fait seul qu’avant la guerre nous avions de 15 à 16 millions d’exploitations agricoles individuelles et qu’aujourd’hui nous en comptons de 24 à 25 millions prouve que notre économie rurale repose surtout sur la petite économie paysanne fournissant au marché le minimum de céréales.

    Dans le domaine agricole, la grande exploitation, qu’elle soit celle des propriétaires fonciers, des koulaks ou collective, a ceci de supérieur qu’elle peut employer des machines, utiliser les acquisitions de la science, se servir d’engrais, intensifier le rendement du travail et fournir ainsi le maximum de blé au marché.

    Par contre, ce qui infériorise la petite économie paysanne, c’est d’être privée ou presque de toutes ces possibilités et de travailler moitié pour sa propre consommation et moitié pour le marché. Prenons, à titre d’exemple, les collectivités agricoles et les fermes d’État.

    Ces deux catégories d’exploitations fournissent au marché 47,2 % de l’ensemble de leur production. C’est dire qu’elles en fournissent au marché plus que les exploitations des propriétaires fonciers avant la guerre. Quant aux petites et moyennes exploitations paysannes, elles ne donnent au marché que 11,2 % de toute leur production. Comme vous le voyez, la différence ne laisse pas d’être éloquente.

    Voici quelques chiffres illustrant la structure de la production des céréales, avant la guerre, et dans la période d’après Octobre. Ces chiffres m’ont été fournis par un membre du collège du Service central des statistiques, le camarade Niemtchinov. Ce dernier fait des réserves dans un mémoire explicatif au sujet de l’exactitude de ces chiffres, qui ne sont le résultat que de calculs approximatifs.

    Mais ils suffisent largement pour donner une idée de la différence qui existe entre la période d’avant-guerre et celle d’après la révolution d’Octobre sous le rapport de la structure de la production des céréales, en général, et de la production de blé-marchandise, en particulier.Que faut-il déduire de ce tableau ?

    D’abord, que la production de la plus grande partie des céréales est passée, des propriétaires fonciers et des koulaks aux petits et moyens paysans. Ce qui montre que ces derniers, totalement affranchis du joug des propriétaires fonciers et après avoir triomphé des koulaks, ont obtenu la possibilité d’améliorer leur situation matérielle d’une façon appréciable.

    C’est là une acquisition de la révolution d’Octobre. C’est là le bénéfice considérable que le gros de la paysannerie a retiré de la révolution d’Octobre.

    Il en résulte en deuxième lieu, que les principaux détenteurs de blé-marchandise sont chez nous, les paysans petits et surtout moyens.

    C’est dire que, non seulement sous le rapport de la production globale des céréales, mais aussi sous celui de la production du blé-marchandise, l’U.R.S.S. est devenue, après la révolution d’Octobre, un pays de petite et moyenne agriculture et le paysan moyen, la « figure centrale » de l’agriculture.

    En troisième lieu, que la liquidation de la grosse exploitation agricole (celle des propriétaires fonciers), la limitation de plus de trois fois de l’économie des koulaks et le passage à la petite exploitation paysanne qui ne fournit au marché que 11 % de sa production, la grosse production collective de céréales tant soit peu développée (fermes collectives et d’État) faisant défaut, tous ces facteurs devaient amener et ont réellement amené une diminution sensible de la production de céréales pour le marché en comparaison avec l’époque d’avant-guerre.

    Il est établi que nous avons aujourd’hui une production de blé-marchandise deux fois moins forte qu’avant la guerre, encore que nous ayons atteint le niveau d’avant-guerre dans la production globale des céréales.

    Telle est l’origine de nos embarras sur le front des céréales.

    Voilà pourquoi on aurait tort d’attribuer au hasard nos difficultés d’approvisionnement.

    Certes, un rôle négatif appartient, dans cet ordre d’idées à nos organisations commerciales qui s’étaient chargées à tort de la fourniture de céréales à bon nombre de villes, petites et moyennes.

    Cette circonstance n’a pas pu ne pas diminuer dans une certaine mesure les stocks de céréales de l’État. Mais il n’est pas douteux que la source de nos difficultés d’approvisionnement en céréales n’est pas là ; elle provient de la lenteur de développement de la production agricole destinée au marché, alors que les besoins de la population sont en progression rapide.

    Où chercher la solution ?

    D’aucuns estiment que, pour sortir de cette situation, il faut revenir aux exploitations koulaks, les encourager et les développer. On n’ose conseiller le retour aux exploitations de propriétaires fonciers, se rendant visiblement compte qu’il est dangereux de bavarder, à notre époque, à ce sujet.

    Mais on s’entend d’autant plus volontiers pour démontrer la nécessité d’encourager, dans la mesure du possible, les exploitations koulaks dans l’intérêt… du régime soviétique.

    Ces gens s’imaginent que le gouvernement soviétique pourrait s’appuyer à la fois sur deux classes opposées, celle des koulaks, dont la base économique est l’exploitation de la classe ouvrière, et celle des ouvriers, dont le principe économique réside dans l’abolition de toute exploitation.

    Seuls des réactionnaires seraient capables de conseiller une pareille combinaison. Inutile de démontrer que ces « plans » réactionnaires n’ont rien de commun avec les intérêts de la classe ouvrière, avec les principes du marxisme, avec les objectifs du léninisme.

    Ceux qui disent que le koulak « n’est pas plus terrible » que le capitaliste de la ville, qu’il n’est pas plus dangereux que le nepman, que nous n’avons aujourd’hui rien à « redouter », de la part des koulaks, — ceux-là se livrent à un vain bavardage libéral, destiné à endormir la vigilance de la classe ouvrière et des masses fondamentales de la paysannerie.

    Il ne faut pas oublier que si, dans l’industrie, nous pouvons opposer au petit capitaliste de la ville la grande industrie socialiste, qui fournit les neuf dixièmes de la masse des marchandises industrielles, nous ne pouvons, dans les campagnes, opposer à la grosse production des koulaks que les collectivités agricoles et fermes d’État, insuffisantes encore et produisant huit fois moins de céréales que les exploitations koulaks.

    Ceux qui ne se rendent pas compte de ce que sont les grandes exploitations agricoles koulaks, ceux qui ne comprennent pas que le rôle de ces exploitations est cent fois plus considérable que celui des capitalistes dans l’industrie urbaine, sont des fous qui cherchent à rompre avec le léninisme, à passer au camp des ennemis de la classe ouvrière.

    Donc, comment sortir de la situation ?

    1. Il faut avant tout abandonner le système des petites exploitations paysannes,

    éparpillées et retardataires, et former de grandes exploitations collectives unifiées, munies de machines, armées des progrès de la science et aptes à produire pour le marché le maximum de céréales.

    La solution réside dans le passage de l’économie paysanne individuelle à l’économie collective, sociale.

    Dès les premiers jours de la révolution d’Octobre, Lénine appela le Parti à créer des collectivités agricoles. Depuis, la propagande n’a pas cessé dans le Parti. Mais, ce n’est que tout dernièrement que l’appel pour la formation de collectivités agricoles a trouvé un écho dans les masses.

    Cela s’explique avant tout par le vaste développement de l’action coopérative dans les campagnes, qui a déterminé parmi les paysans un changement de mentalité en faveur des exploitations collectives, ainsi que par le fonctionnement d’une série d’exploitations collectives donnant dès maintenant une récolte de 150 à 200 pouds par déciatine et fournissant au marché de 30 à 40 % de leur production. Ces exploitations collectives ont créé, chez les paysans pauvres et dans les couches inférieures de la paysannerie moyenne, un penchant sérieux à la collectivisation de leur économie.

    A noter dans cet ordre d’idées un fait très important : ce n’est que depuis peu que l’État a la possibilité de financer sérieusement les collectivités agricoles. On sait que cette année l’État leur a accordé une aide financière deux fois plus forte que l’année précédente, (plus de 60 millions de roubles).

    Le XVe congrès de notre parti avait parfaitement raison d’affirmer que les conditions nécessaires au vaste développement des exploitations collectives étaient déjà mûres, que l’augmentation de leur nombre était un des moyens les plus efficaces de renforcer la production de céréales-marchandises dans le pays.

    D’après les données du Service de statistiques, les exploitationscollectives ont fourni en 1927, une production brute de 55 millions

    de pouds de céréales au minimum, dont 30 % en moyenne, pour le marché. La formation d’un grand nombre de nouvelles collectivités agricoles et l’élargissement des vieilles, à laquelle nous assistons en ce début d’année, se traduiront en fin d’année, par un accroissement considérable de la production de céréales.

    La tâche est de conserver le rythme actuel de développement des collectivités agricoles, de les agrandir, de fermer les collectivités fictives, de les remplacer par des collectivités réelles, d’établir en règle générale que les exploitations collectives livrent à l’État et aux coopératives toute leur production destinée au marché, sous la menace de se voir retirer les subsides et les crédits consentis par l’État. Je pense qu’en observant ces conditions, nous arriverons, d’ici 3 ou 4 ans, à nous faire livrer par les exploitations collectives 40 à 50 millions de pouds de blé-marchand.

    On oppose quelquefois les collectivités agricoles aux coopératives, dans l’idée, sans doute, que les collectivités agricoles et les coopératives sont choses différentes. Cela est faux, bien entendu.

    D’aucuns vont même jusqu’à opposer les collectivités agricoles au plan de coopération de Lénine.

    Inutile de dire que cette opposition n’a rien de commun avec la vérité. Ce qui est certain, c’est que les collectivités agricoles sont une variété de coopératives, la variété la plus nettement caractérisée de la coopérative de production. Il existe des coopératives de vente, des coopératives d’achat, des coopératives de production.

    Les collectivités agricoles sont partie intégrante de la coopération en général, du plan de coopération de Lénine en particulier.

    Appliquer le plan de coopération de Lénine, c’est relever la coopération rurale, en la faisant passer de la coopération de vente et d’achat à celle de production, à la coopération, si l’on peut s’exprimer ainsi, des collectivités agricoles.C’est là la raison pour laquelle les collectivités agricoles n’ont pris naissance chez nous et n’ont commencé à se développer que du fait du développement et du renforcement de la coopération d’achat et de vente.

    2. Il s’agit, en deuxième lieu, d’élargir et de consolider les vieilles fermes d’État, d’en créer de nouvelles. D’après les données du Service central de statistiques, la production globale de céréales, dans les fermes d’État actuelles, a atteint, en 1927, au moins 45 millions de pouds, dont 65 % pour le marché. Il est évident qu’un certain appui de l’État leur étant assuré les fermes d’État (sovkhoz) relèveront considérablement leur production de céréales. Mais notre tâche ne doit pas s’arrêter là.

    Il est une décision du gouvernement soviétique tendant à créer, dans les régions où il n’y a pas de lots paysans, de nouvelles et puissantes fermes d’État (de 10 à 30 déciatines chacune), qui fourniront dans 5 ou 6 ans jusqu’à 100 millions de pouds de céréales pour le marché.

    On s’occupe déjà de l’organisation de ces fermes. Il s’agit maintenant de mettre à exécution cette décision du gouvernement soviétique, coûte que coûte. Je crois que si nous nous acquittons de ces tâches nous pourrons, d’ici 3 ou 4 ans, tirer des fermes d’État, anciennes et nouvelles, de 80 à 100 millions de pouds de céréales pour le marché.

    3. Il importe enfin de relever systématiquement le rendement des exploitations paysannes individuelles, petites et moyennes. Nous ne pouvons et ne devons soutenir les grandes exploitations individuelles des koulaks.

    Par contre, nous pouvons et devons le faire pour l’économie paysanne individuelle, petite et moyenne, en en augmentant la récolte et en l’organisant sur la base coopérative.

    C’est là un vieux principe proclamé chez nous avec une force particulière déjà en 1921, lors du remplacement de la réquisition par l’impôt alimentaire. Ce principe a été confirmé par notre parti au XIVe et XVe congrès.L’importance de ce principe est corroborée aujourd’hui par les difficultés que nous devons vaincre sur le front des céréales.

    C’est pourquoi notre devoir est de nous acquitter de cette tâche avec la même persévérance que nous mettions à nous acquitter des deux premières, celle relative aux collectivités agricoles et celle de l’édification des fermes d’État.

    Tout atteste qu’il sera possible, en quelques années, de relever de 15 à 20 % le rendement de l’économie paysanne. Aujourd’hui, nous avons en service au moins 5 millions de charrues ancien modèle. Il suffirait de les remplacer par des charrues modernes pour obtenir un accroissement appréciable de la production de céréales dans le pays.

    De plus, on fournira aux paysans un certain minimum d’engrais, des semences sélectionnées, du petit outillage, etc.

    Le contrat de consignation, suivant lequel des villages et des communes entières s’engagent à fournir telle quantité de céréales contre l’approvisionnement en semences, etc. par l’État, est le moyen le plus efficace de relever le rendement des exploitations rurales et de gagner les paysans à la coopération.

    J’estime qu’en nous attelant sérieusement à cette besogne nous pourrions nous faire livrer, d’ici 3 ou 4 ans, au minimum, 100 millions de pouds de blé-marchand par les exploitations paysannes individuelles, petites et moyennes.

    Ainsi donc, si nous remplissons toutes ces tâches, l’État aura à sa disposition, dans 3 ou 4 ans, de 200 à 250 millions de pouds de blé-marchand, qui nous permettraient, plus ou moins, de manœuvrer sur le marché intérieur et extérieur.

    Telles sont, en substance, les mesures susceptibles de parer à nos embarras sur le front des céréales.

    La tâche qui se pose à nous, en ce moment, est de relier ces mesures essentielles aux mesures courantes tendant à améliorer les plans d’approvisionnement de la campagne en marchandises et de libérer nos organisations commerciales de l’obligation d’approvisionner en céréales toute une catégorie de villes petites et moyennes.

    A côté de ces mesures, ne faudrait-il pas en prendre d’autres par exemple en vue de ralentir le rythme de développement de notre industrie, dont l’augmentation provoque une demande sans cesse croissante en céréales, demande qui, pour le moment, dépasse la production des céréales destinées au marché ? Non, évidemment. En aucun cas.

    Ralentir le rythme de développement de notre industrie, c’est affaiblir la classe ouvrière, car chaque pas fait en avant, dans le sens du développement de l’industrie, toute nouvelle usine, toute nouvelle fabrique sont, d’après un mot de Lénine, une « nouvelle forteresse » de la classe ouvrière, qui vient renforcer ses positions dans la lutte contre l’influence petite-bourgeoise, contre les éléments capitalistes de notre économie.

    Bien au contraire : il est nécessaire de conserver le rythme actuel de développement de notre industrie ; de l’accentuer à la première occasion, afin d’inonder la campagne de marchandises et d’en tirer le plus de blé possible ; afin d’approvisionner l’agriculture et, en premier lieu, les fermes collectives et d’État en machines, d’industrialiser l’agriculture et de relever sa production marchande.

    Peut-être, pour plus de «prudence», ferait-on bien d’arrêter le développement de la grosse industrie et de transformer l’industrie légère, qui travaille surtout pour le marché rural, en base de notre industrie ?

    En aucun cas. Ce serait le suicide, la désorganisation de toute notre industrie, y compris l’industrie légère. Ce serait l’abandon du mot d’ordre de l’industrialisation de notre pays, la transformation de ce dernier en un appendice du système capitaliste de l’économie.

    Nous nous inspirons, dans ce que nous venons de dire, des principes bien connus de Lénine, exposés au IVe congrès de l’Internationale communiste et absolument obligatoires pour l’ensemble de notre parti.Voici ce qu’a dit à ce sujet Lénine, au IVe congrès de l’Internationale communiste :

    Nous savons que pour sauver la Russie il faut non seulement une bonne récolte dans l’économie paysanne — ce n’est pas encore assez, non seulement un bon état de l’industrie légère qui fournit les paysans en objets de consommation, cela non plus n’est pas assez — il nous faut aussi une industrie lourde.

    Ou cet autre passage :

    Nous économisons en toute chose, même sur les écoles. Pourquoi ? Parce que si nous ne sauvons pas la grande industrie, si nous ne travaillons pas à la rétablir, nous ne saurons mettre debout aucune industrie. Sans elle, nous périrons en général comme pays indépendant.

    Ces indications de Lénine ne doivent pas être oubliées.

    Quelle sera la forme de l’alliance des ouvriers et des paysans en liaison avec les mesures ci-dessus tracées ? Je pense que ces mesures ne feront que raffermir cette alliance. En effet, si les fermes collectives et d’État se développent sur un rythme accéléré ; si à la suite d’une aide directe aux petits et moyens paysans, le rendement de leur économie s’accentue et que la coopération englobe des masses paysannes de plus en plus larges ; si l’État reçoit de nouvelles centaines de millions de pouds de blé-marchand nécessaire pour manœuvrer sur le marché ; lorsque, à la suite de toutes ces mesures et d’autres analogues, la classe des koulaks sera peu à peu réduite à l’impuissance, — n’est-il pas évident que les contradictions existant dans l’alliance de la classe ouvrière et des paysans s’effaceront de plus en plus ; que la nécessité de recourir aux mesures extraordinaires d’approvisionnement en blé tombera d’elle-même ; que les larges masses paysannes se tourneront de plus en plus vers les formes collectives de l’agriculture, et que la lutte livrée aux éléments capitalistes de la campagne prendra un caractère de plus en plus universel et de plus en plus organisé ?

    N’est-il pas évident que l’alliance des ouvriers et des paysans ne fera que gagner à ces mesures ?

    Seulement, il ne faut pas perdre de vue qu’en régime de dictature du prolétariat l’alliance des ouvriers et des paysans n’est pas une simple alliance.

    C’est une forme d’union de classe particulière entre la classe ouvrière et les masses paysannes laborieuses ; elle se propose de renforcer les positions de la classe ouvrière, de lui assurer un rôle dirigeant dans cette union, et d’abolir les classes et la société qui les comporte.

    Toute autre façon de concevoir l’alliance de la classe ouvrière et des paysans est de l’opportunisme, du menchévisme, — tout ce que vous voudrez, sauf le marxisme, le léninisme.

    Comment faire concorder l’idée de l’alliance de la classe ouvrière et des paysans avec la thèse connue de Lénine, d’après laquelle « les paysans sont la dernière classe capitaliste » ? N’y a-t-il pas là une contradiction ? Non, évidemment.

    La contradiction n’y est qu’apparente, spécieuse. En réalité, elle est inexistante. Dans le même rapport, au IIe congrès de l’Internationale communiste où il définit les paysans comme la « dernière classe capitaliste », Lénine revient à plusieurs reprises sur la nécessité d’une alliance entre ouvriers et paysans, affirmant que « le principe suprême de la dictature consiste à soutenir l’alliance des ouvriers et des paysans afin que le prolétariat puisse maintenir son rôle dirigeant et le pouvoir ». Il est clair que Lénine n’y voyait aucune contradiction.

    Comment faut-il entendre la thèse de Lénine d’après laquelle les paysans sont « la dernière classe capitaliste » ?

    Est-ce à dire que la paysannerie se compose de capitalistes ? Nullement. Les paysans forment une classe à part ; celle-ci édifie son économie sur le principe de la propriété privée des instruments et moyens de production ; elle se distingue, par suite, de la classe des prolétaires dont l’économie est basée sur le principe de la propriété collective des instruments et moyens de production.

    D’autre part, la classe paysanne fournit, engendre et alimente des éléments capitalistes, des koulaks et, en général, des exploiteurs de toute espèce.

    Cette circonstance ne constitue-t-elle pas un obstacle insurmontable à l’organisation de l’alliance de la classe ouvrière et des paysans ? Non, évidemment.

    En régime de dictature du prolétariat l’alliance des ouvriers et des paysans ne porte pas sur l’ensemble de la paysannerie. Elle ne s’étend qu’à la classe ouvrière et aux paysans laborieux.

    On ne saurait réaliser cette alliance sans combattre les éléments capitalistes de la campagne, sans lutter contre les koulaks. Pour qu’elle soit solide, il est nécessaire d’organiser les paysans pauvres, soutien de la classe ouvrière dans les campagnes.

    Aussi, l’alliance des ouvriers et des paysans ne saurait-elle, dans les conditions actuelles de la dictature du prolétariat, être réalisée que sous le mot d’ordre bien connu de Lénine : Appuyons-nous sur les paysans pauvres, passons une alliance solide avec les paysans moyens, ne cessons pas un seul instant de lutter contre les koulaks.

    Ce n’est qu’en s’inspirant de ce mot d’ordre que l’on pourra intéresser les masses fondamentales de la paysannerie à l’édification socialiste.

    Ainsi, vous voyez que la contradiction entre les deux formules de Lénine n’est qu’apparente. En réalité, elle est inexistante.

    =>Oeuvres de Staline

  • Staline : Discours prononcé au premier congrès des kolkhoziens – oudarniks de l’U.R.S.S.

    LE 19 FEVRIER 1933

    Camarades kolkhoziens et kolkhoziennes, je ne pensais pas prendre la parole à votre congrès. Car les orateurs qui m’ont précédé ont déjà dit tout ce qu’il y avait à dire : ils l’ont dit et bien dit. Est-il besoin après cela de prendre la parole ? Mais puisque vous insistez, et que la force est dans vos mains (applaudissements prolongés) je dois me soumettre.

    J’examinerai brièvement quelques questions :

    LA VOIE DES KOLKHOZ EST LA SEULE JUSTE

    Première question : La voie dans laquelle s’est engagée la paysannerie kolkhozienne, la voie des kolkhoz est-elle juste ? Ce n’est pas une question oiseuse. Vous, oudarniks des kolkhoz, ne doutez certainement pas que les kolkhoz soient dans la bonne voie.

    Il se peut donc que cette question vous paraisse superflue. Mais tous les paysans ne pensent pas comme vous.

    Nombreux sont encore ceux, parmi les paysans et aussi parmi les kolkhoziens, qui doutent de la justesse de la voie des kolkhoz.Il n’y a là rien d’étonnant. En effet, durant des siècles, les gens ont vécu à la mode ancienne, marchant dans le vieux chemin, courbant l’échiné devant le koulak et le grand propriétaire foncier, devant l’usurier et le spéculateur.

    On ne saurait dire que ce vieux chemin, ce chemin capitaliste, ait rencontré l’approbation des paysans. Mais ce vieux chemin était un chemin battu, coutumier, et personne n’avait encore démontré en fait que l’on pouvait vivre autrement et mieux. D’autant plus que, dans tous les pays bourgeois, les hommes continuent à vivre à l’ancienne mode…

    Et voilà que tout à coup les bolcheviks, telle une tempête, font irruption dans cette vie ancienne, croupissante, et proclament : il est temps d’abandonner le vieux chemin ; il est temps de commencer une nouvelle vie, la vie des kolkhoz ; il est temps de commencer à vivre, non pas comme tout le monde vit dans les pays bourgeois, mais sur un mode nouveau, en artels.

    Mais qu’est-ce que cette vie nouvelle, qui le sait ? Et si elle allait être pire que la vie d’autrefois ? En tout cas, le nouveau chemin n’est pas un chemin coutumier, un chemin battu, et il n’est pas encore tout à fait exploré. Ne ferait-on pas mieux de s’en tenir au vieux chemin ? Ne ferait-on pas mieux d’attendre encore avant de s’engager dans la voie nouvelle, kolkhozienne ? Vaut-il la peine de courir ce risque ? Voilà les doutes qui travaillent aujourd’hui une partie de la paysannerie laborieuse.

    Devons-nous dissiper ces doutes ? Devons-nous les étaler au grand jour et montrer ce qu’ils valent ? Evidemment oui.

    C’est pourquoi la question que je viens de poser ne peut être appelée une question oiseuse. Ainsi, est-elle juste, la voie dans laquelle s’est engagée la paysannerie kolkhozienne ?

    Certains camarades pensent que nous avons commencé à passer dans cette nouvelle voie, dans la voie des kolkhoz, il y a trois ans Cela n’est vrai qu’en partie. Certes, l’édification en masse des kolkhoz a commencé, chez nous, il y a trois ans.

    On sait que ce passage fut marqué par l’écrasement des koulaks et la poussée de millions de paysans pauvres et moyens vers les kolkhoz.

    Tout cela est exact. Mais pour pouvoir passer en masse aux kolkhoz, il fallait réunir certaines conditions préalables, sans lesquelles, d’une façon générale, un mouvement kolkhozien de masse ne saurait se concevoir.

    Il fallait avant tout qu’existât le pouvoir des Soviets, qui a aidé et aide encore les paysans à s’engager dans la voie des kolkhoz. Il fallait, en second lieu, chasser les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, leur enlever les usines et les terres et les déclarer propriété du peuple. Il fallait, en troisième lieu, mater les koulaks et leur enlever machines et tracteurs.

    Il fallait, en quatrième lieu, déclarer que seuls les paysans pauvres et moyens groupés dans les kolkhoz peuvent utiliser les machines et les tracteurs.

    Il fallait enfin industrialiser le pays, monter une nouvelle industrie, l’industrie des tracteurs, construire de nouvelles usines de machines agricoles, pour fournir en abondance la paysannerie kolkhozienne en tracteurs et en machines.

    Sans ces conditions préalables, il eût été inutile de songer à ce passage en masse dans la voie des kolkhoz, commencé il y a trois ans.

    Par conséquent, pour s’engager dans la voie des kolkhoz, il fallait avant tout faire la Révolution d’Octobre, renverser les capitalistes et les grands propriétaires fonciers, leur enlever la terre et les usines et monter une nouvelle industrie.

    C’est avec la Révolution d’Octobre que commença le passage sur la nouvelle voie, sur la voie des kolkhoz. Si ce mouvement n’a pris une force nouvelle qu’il y a trois ans, c’est parce que les résultats économiques de la Révolution d’Octobre ne se sont révélés dans toute leur ampleur qu’à cette époque ; c’est à cette époque seulement que l’on a réussi à pousser en avant l’industrialisation du pays.

    L’histoire des peuples connaît nombre de révolutions. Ce qui les distingue de la Révolution d’Octobre, c’est que toutes furent unilatérales.

    Une forme d’exploitation des travailleurs remplaçait l’autre, mais l’exploitation elle-même demeurait.

    Les exploiteurs et les oppresseurs étaient remplacés par d’autres exploiteurs et oppresseurs, mais exploiteurs et oppresseurs demeuraient. Seule la Révolution d’Octobre s’est donné comme but de supprimer toute exploitation et de faire disparaître les exploiteurs et les oppresseurs de tout ordre et de tout genre.

    La révolution des esclaves fit disparaître les propriétaires d’esclaves ; elle abolit la forme esclavagiste d’exploitation des travailleurs. Mais elle mit à leur place les féodaux et le servage comme forme d’exploitation des travailleurs. Les exploiteurs furent remplacés par d’autres exploiteurs.

    Au temps de l’esclavage, la «loi» autorisait les propriétaires à tuer leurs esclaves. Sous le régime du servage, la «loi» autorisait «seulement» les féodaux à vendre les serfs.

    La révolution des paysans-serfs fit disparaître les féodaux et abolit le servage comme forme d’exploitation.

    Mais elle mit à leur place les capitalistes et les grands propriétaires fonciers, la forme d’exploitation des travailleurs par le capital et la grande propriété foncière. Les exploiteurs furent remplacés par d’autres exploiteurs.Sous le régime du servage, la «loi» autorisait la vente des serfs. En régime capitaliste, la «loi» autorise «seulement» à vouer les travailleurs au chômage et à l’appauvrissement, à la ruine et à la mort par inanition.

    Seule notre révolution soviétique, seule notre Révolution d’Octobre a posé la question comme suit : ne pas remplacer les exploiteurs par d’autres exploiteurs, ne pas remplacer une forme d’exploitation par une autre, mais éliminer toute exploitation, éliminer les exploiteurs, les riches et les oppresseurs de toute sorte, anciens et nouveaux.

    (Applaudissements prolongés.)

    Voilà pourquoi la Révolution d’Octobre était la condition préalable, la prémisse nécessaire pour que les paysans passent dans la voie nouvelle, dans la voie des kolkhoz.

    Les paysans ont-ils eu raison de soutenir la Révolution d’Octobre ? Oui. Ils ont eu raison puisque la Révolution d’Octobre les a aidés à se débarrasser des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, des usuriers et des koulaks, des marchands et des spéculateurs.

    Mais ce n’est là qu’un côté de la question. Chasser les oppresseurs, chasser les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, mater les koulaks et les spéculateurs, c’est très bien.

    Mais cela ne suffit pas. Pour se libérer définitivement des vieilles entraves, il ne suffit pas simplement d’écraser les exploiteurs. Il faut encore édifier une vie nouvelle, une vie qui permette au paysan travailleur d’améliorer sa situation matérielle et culturelle et de s’élever de jour en jour, d’année en année. Pour cela, il faut instituer un nouveau régime à la campagne, le régime des kolkhoz. C’est là l’autre côté de la question.

    Qu’est-ce qui distingue le vieux régime du régime nouveau, de celui des kolkhoz ?Sous l’ancien régime, les paysans travaillaient séparément ; ils travaillaient suivant les vieux procédés ancestraux, avec les vieux instruments de travail ; ils besognaient pour les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, les koulaks et les spéculateurs ; ils peinaient, souffrant la faim et enrichissant les autres.

    Sous le régime nouveau, sous le régime des kolkhoz, les paysans travaillent en commun, par artel, en employant de nouveaux instruments, tracteurs et machines agricoles ; ils travaillent pour eux- mêmes et pour leurs kolkhoz ; ils vivent sans capitalistes ni grands propriétaires fonciers, sans koulaks ni spéculateurs ; ils travaillent pour améliorer tous les jours leur situation matérielle et culturelle.

    Là, sous le vieux régime, le gouvernement est bourgeois, et il soutient les riches contre les paysans travailleurs.

    Ici, sous le nouveau régime, le régime des kolkhoz, le gouvernement est ouvrier et paysan, et il soutient les ouvriers et les paysans contre les riches de tout genre. Le vieux régime mène au capitalisme. Le nouveau, au socialisme.

    Voilà donc deux voies : la voie capitaliste et la voie socialiste ; celle qui mène en avant, vers le socialisme, et celle qui mène en arrière, vers le capitalisme.

    Il y a des gens qui pensent que l’on pourrait s’engager dans une troisième voie. Ce sont ces camarades hésitants, encore insuffisamment convaincus de la justesse de la voie kolkhozienne, qui se saisissent avec un empressement particulier de cette troisième voie que personne ne connaît.

    Ils veulent que nous revenions au vieux régime, que nous revenions à l’économie individuelle, mais où il n’y aurait ni capitalistes, ni grands propriétaires fonciers. Ils veulent, en outre, que nous admettions «seulement» les koulaks et autres petits capitalistes,comme un fait naturel dans notre régime économique. En réalité, ce n’est pas une troisième voie, c’est la deuxième, la voie conduisant au capitalisme.

    En effet, que signifie revenir à l’économie individuelle et rétablir la classe des koulaks ? C’est rétablir le joug du koulak, c’est rétablir l’exploitation de la paysannerie par les koulaks, c’est donner le pouvoir à ces derniers.

    Mais peut-on rétablir la classe des koulaks et conserver en même temps le pouvoir des Soviets ? Non. Le rétablissement de la classe des koulaks mènerait à la création d’un pouvoir koulak et à la destruction du pouvoir des Soviets. Par conséquent, il conduirait à la formation d’un gouvernement bourgeois.

    Et la formation d’un gouvernement bourgeois, à son tour, conduirait au rétablissement des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, au rétablissement du capitalisme. La prétendue troisième voie n’est en réalité que la seconde, la voie du retour au capitalisme.

    Allez donc demander aux paysans s’ils veulent rétablir le joug des koulaks, revenir au capitalisme, détruire le pouvoir des Soviets et rétablir le pouvoir des grands propriétaires fonciers et des capitalistes.

    Allez donc le leur demander, et vous saurez quelle est la voie que la majorité des paysans travailleurs considère comme la seule juste.

    Par conséquent, il n’y a que deux voies : ou bien en avant, en montant la côte, vers le nouveau régime, le régime des kolkhoz ; ou bien en arrière en dévalant la côte, vers le vieux régime, le régime des capitalistes et des koulaks.

    Il n’est point de troisième voie.

    La paysannerie travailleuse a eu raison de repousser la voiecapitaliste et de s’engager dans la voie de l’édification des kolkhoz.

    On dit que la voie des kolkhoz est une voie juste mais difficile. Ce n’est vrai qu’en partie. Certes, les difficultés existent sur cette voie.

    Une bonne vie ne se fait pas toute seule.

    Mais le fait est que les principales difficultés sont déjà surmontées ; et celles qui nous restent à vaincre, ne valent même pas la peine qu’on en parle sérieusement. En tout cas, comparées aux difficultés que les ouvriers ont eu à surmonter il y a dix, quinze ans, vos difficultés d’aujourd’hui, camarades kolkhoziens, semblent un jeu d’enfants. Vos orateurs, ici, dans leurs interventions, ont loué les ouvriers de Leningrad, de Moscou, de Kharkov, du bassin du Donetz.

    Les ouvriers, disaient-ils, ont des réalisations à enregistrer tandis que vous, kolkhoziens, vous en avez beaucoup moins. Il me semble que vos orateurs dans leurs discours laissaient percer même une sorte de jalousie de camarade à camarade ; ils avaient l’air de dire : Comme ce serait bien si nous, paysans kolkhoziens, avions des réalisations pareilles aux vôtres, à celles des ouvriers de Leningrad, de Moscou, du bassin du Donetz, de Kharkov…

    Tout cela est bien. Mais savez-vous ce que ces réalisations ont coûté aux ouvriers de Leningrad et de Moscou, quelles privations ils ont endurées pour obtenir enfin ces réalisations ?

    Je pourrais vous rapporter quelques faits de la vie des ouvriers, en 1918 : pendant des semaines entières, on ne distribuait pas aux ouvriers le moindre morceau de pain, sans parler même de la viande et des autres produits alimentaires.

    On considérait que les meilleurs jours étaient ceux où l’on pouvait distribuer aux ouvriers de Leningrad et de Moscou cinquante grammes de pain noir, et encore moitié mélangé de tourteaux.Et cela ne dura pas un mois, ni même six mois, ouais deux années entières.

    Cependant les ouvriers souffraient sans se décourager, sachant que des temps meilleurs viendraient qui leur apporteraient des succès décisifs. Eh bien, vous voyez que les ouvriers ne s’étaient pas trompés.

    Comparez un peu vos difficultés et privations à celles endurées par les ouvriers, et vous verrez qu’il ne vaut même pas la peine d’en parler sérieusement.

    Que faut-il pour pousser en avant le mouvement kolkhozien et développer à fond l’édification des kolkhoz ?

    Pour cela il faut avant tout que ces derniers disposent d’une terre cultivable et dont la jouissance leur soit pleinement assurée. L’avez-vous, cette terre ? Oui, vous l’avez. On sait que les meilleures terres ont été remises et solidement rattachées aux kolkhoz. Par conséquent, les kolkhoziens peuvent travailler et amender cette terre à volonté, sans crainte de la voir passer en d’autres mains.

    Pour cela il faut en second lieu que les kolkhoziens puissent disposer de tracteurs et de machines. Les avez-vous ? Oui, vous les avez.

    Tout le monde sait que nos usines de tracteurs et nos usines de machines agricoles travaillent avant tout et surtout pour les kolkhoz, auxquels elles fournissent tous les instruments modernes.

    Pour cela il faut enfin que le gouvernement soutienne de toutes ses forces les paysans kolkhoziens, en leur fournissant hommes et moyens financiers, et qu’il empêche les résidus des classes ennemies de désagréger les kolkhoz.

    Ce gouvernement, l’avez-vous ?

    Oui, vous l’avez.Il s’appelle le gouvernement soviétique des ouvriers et des paysans.

    Nommez-moi un pays où le gouvernement soutiendrait, non les capitalistes et les grands propriétaires fonciers, non les koulaks et autres riches, mais les paysans travailleurs.

    Un tel pays n’a jamais existé et n’existe nulle part ailleurs.

    Il n’y a que chez nous, au pays des Soviets, qu’existe un gouvernement dressé comme un rempart pour défendre les ouvriers et les paysans-kolkhoziens, pour défendre tous les travailleurs de la ville et de la campagne, contre tous les riches et tous les exploiteurs.

    (Applaudissements prolongés.)

    Par conséquent, vous avez tout ce qu’il faut pour développer l’édification des kolkhoz et vous libérer entièrement des vieilles entraves.

    De votre part, il ne faut qu’une chose : travailler honnêtement, partager les revenus du kolkhoz selon le travail de chacun, veiller aux biens des kolkhoz, veiller aux tracteurs et aux machines, entretenir avec soin les chevaux, remplir vos obligations envers votre Etat ouvrier et paysan, fortifier les kolkhoz, en chasser les koulaks et leurs sous-ordres qui s’y sont faufilés.

    Vous serez sans doute d’accord avec moi pour dire que vaincre ces difficultés, c’est-à-dire travailler honnêtement et veiller aux biens des kolkhoz, n’est pas si difficile.

    D’autant plus que vous ne travaillez plus pour les riches, ni pour les exploiteurs, mais pour vous-mêmes, pour vos propres kolkhoz.

    Vous voyez que la voie kolkhozienne, la voie du socialisme, est la seule juste pour les paysans travailleurs.

    II ­ NOTRE TACHE IMMEDIATE EST
    DE DONNER L’AISANCE A TOUS LES KOLKHOZIENS

    Deuxième question : Qu’avons-nous obtenu sur cette voie nouvelle, sur notre voie kolkhozienne, et que pensons-nous obtenir dans les deux ou trois prochaines années ?

    Le socialisme est une bonne chose. Une vie socialiste heureuse est une bonne chose sans contredit. Mais tout cela est une question d’avenir. La question principale, aujourd’hui, n’est pas ce que nous obtiendrons dans l’avenir.

    La question principale est ce que nous avons obtenu dès à présent.

    La paysannerie s’est engagée dans la voie des kolkhoz. C’est très bien. Mais qu’a-t-elle obtenu dans cette voie ? Qu’avons-nous obtenu de palpable, en suivant la voie des kolkhoz ?

    Nous avons pu aider des millions de paysans pauvres à entrer dans les kolkhoz. Nous sommes arrivés à ceci que, une fois entrés dans les kolkhoz et y bénéficiant des meilleures terres et des meilleurs instruments de production, les millions de paysans pauvres se sont élevés au niveau des paysans moyens.

    Nous sommes arrivés à ceci que les millions de paysans pauvres, qui autrefois ne mangeaient jamais à leur faim sont devenus, dans les kolkhoz, des paysans moyens, des hommes assurés du lendemain.

    Nous avons mis un terme à la différenciation des paysans en paysans pauvres et koulaks ; nous avons battu les koulaks et aidé les paysans pauvres à devenir les maîtres de leur besogne, au sein des kolkhoz, à devenir des paysans moyens.

    Quelle était la situation il y a quatre ans environ avant que se fût développée l’édification des kolkhoz ?

    Les koulaks s’enrichissaient et prospéraient, les paysans pauvress’appauvrissaient et se ruinaient, devenant la proie des koulaks. Les

    paysans moyens cherchaient à se hisser au niveau des koulaks, mais, à la grande joie de ces derniers, ils retombaient et venaient grossir les rangs des paysans pauvres.

    Il n’est pas difficile de deviner que seuls les koulaks trouvaient leur compte à tout ce gâchis, et peut-être aussi quelques-uns des paysans aisés. Sur 100 foyers paysans, l’on pouvait compter 4 ou 5 foyers koulaks, 8 ou 10 foyers de paysans aisés, 45 à 50 foyers de paysans moyens et environ 35 foyers de paysans pauvres.

    Par conséquent, les paysans pauvres, obligés de subir le joug koulak, formaient au moins 35 % de tous les foyers. Et je ne parle pas des catégories inférieures de la paysannerie moyenne dont elles formaient plus de la moitié, et qui, ayant une situation peu différente de celle des paysans pauvres, se trouvaient sous la dépendance directe des koulaks.

    En développant l’édification des kolkhoz, nous avons réussi à faire disparaître ce gâchis et cette injustice ; nous avons brisé le joug des koulaks ; toute cette masse de paysans pauvres nous l’avons attirée dans les kolkhoz ; là, nous leur avons assuré l’existence et les avons élevés au niveau de paysans moyens profitant de la terre du kolkhoz, des avantages attachés à ce dernier, des tracteurs et des machines agricoles.

    Qu’est-ce que cela signifie ? C’est qu’au moins vingt millions de population paysanne, au moins vingt millions de paysans pauvres ont été sauvés de la misère et de la ruine, sauvés de l’asservissement au koulak et, grâce aux kolkhoz, assurés du lendemain.

    C’est un grand succès, camarades. Un succès comme n’en avait jamais encore connu le monde, et qu’aucun Etat n’avait jamais atteint.

    Voilà donc les résultats pratiques, palpables de l’édification des kolkhoz, les résultats dus au fait que la paysannerie s’est engagée dans la voie kolkhozienne.

    Mais ce n’est là que notre premier pas, que notre premier succès dans la voie de l’édification des kolkhoz.

    Il serait faux de croire que nous dussions nous en tenir à ce premier pas, à ce premier succès. Non, camarades, nous ne pouvons pas nous en tenir à ce succès.

    Pour marcher en avant, et consolider définitivement les kolkhoz, nous devons faire un deuxième pas, nous devons obtenir un nouveau succès. En quoi consiste ce deuxième pas ? Il consiste à élever encore plus haut les kolkhoziens, aussi bien les anciens paysans pauvres que les anciens paysans moyens.

    Il consiste à donner l’aisance à tous les kolkhoziens. Oui, camarades, à leur donner l’aisance. (Applaudissements prolongés.) Nous avons réussi, grâce aux kolkhoz, à élever les paysans pauvres au niveau des paysans moyens. C’est très bien. Mais cela ne suffit pas. Nous devons maintenant faire encore un pas en avant, aider tous les kolkhoziens, anciens paysans pauvres et anciens paysans moyens, à s’élever au niveau des paysans aisés.

    On peut arriver à cela, et nous devons y arriver coûte que coûte.

    (Applaudissements prolongés.) Nous avons actuellement tout ce qu’il faut pour arriver à ce but.

    Nos machines et nos tracteurs sont aujourd’hui mal utilisés. Notre terre est médiocrement travaillée. Il suffit d’utiliser mieux les machines et les tracteurs, il suffit de travailler mieux la terre et nous arriverons à doubler, à tripler la quantité de nos produits. Et cela suffit amplement pour faire de tous les membres des kolkhoz, des travailleurs aisés des champs kolkhoziens.

    Comment les choses se présentaient-elles autrefois, à propos des paysans aisés ? Pour acquérir l’aisance, il fallait faire du tort à ses voisins, les exploiter, leur vendre le plus cher possible, leur acheter le meilleur marché possible, embaucher quelques salariés agricoles, les exploiter proprement, amasser un petit capital et, une fois d’aplomb, se faire koulak.

    C’est ce qui explique en somme pourquoi les paysans aisés suscitaient autrefois, sous le régime de l’économie individuelle, la méfiance et la haine des paysans pauvres et moyens. Aujourd’hui il en va autrement. Aujourd’hui, les conditions mêmes sont autres.

    Pour que les kolkhoziens acquièrent l’aisance point n’est besoin de faire du tort à ses voisins ou de les exploiter. D’ailleurs il ne serait pas facile, aujourd’hui, d’exploiter qui que ce soit, puisque la propriété privée et l’affermage de la terre n’existent plus chez nous, que les machines et tracteurs appartiennent à l’État ; quant aux possesseurs des capitaux, ils ne sont plus à la mode maintenant dans les kolkhoz.

    Cette mode fut, mais elle a disparu à jamais. Aujourd’hui, pour que les kolkhoziens acquièrent l’aisance, une chose suffit : travailler honnêtement dans les kolkhoz, utiliser rationnellement tracteurs et machines, utiliser rationnellement les bêtes de travail, cultiver rationnellement la terre, être ménager de la propriété du kolkhoz.

    On dit parfois : Puisqu’il y a socialisme, pourquoi travailler encore ? Nous travaillions autrefois, nous travaillons aujourd’hui, n’est-il pas temps de cesser de travailler ?

    De tels propos sont foncièrement erronés, camarades. C’est une philosophie de fainéants et non d’honnêtes travailleurs. Le socialisme n’est pas du tout la négation du travail. Au contraire, le socialisme est basé sur le travail. Socialisme et travail sont inséparables. Lénine, notre grand maître, disait : «Qui ne travaille pas, ne mange pas.»

    Qu’est-ce que cela signifie ? Contre qui sont dirigées ces paroles de Lénine ? Contre les exploiteurs, contre ceux qui ne travaillent pas eux-mêmes, mais qui font travailler les autres et s’enrichissent à leurs dépens.

    Contre qui encore ? Contre ceux qui fainéantent et veulent profiter du travail des autres. Ce que le socialisme exige, ce n’est pas de la fainéantise, mais que tous travaillent honnêtement, qu’ils travaillent non pour les autres, non pour les riches et les exploiteurs, mais pour eux-mêmes, pour la société.

    Et si nous travaillons honnêtement, si nous travaillons pour nous­ mêmes, pour nos kolkhoz, nous arriverons en deux ou trois années à élever tous les kolkhoziens, anciens paysans pauvres et anciens paysans moyens, au niveau de paysans aisés, au niveau d’hommes bénéficiant de l’abondance des produits et menant une vie parfaitement cultivée.

    C’est là, maintenant, notre tâche immédiate. Nous pouvons arriver à cela et nous devons y arriver, coûte que coûte. (Applaudissements prolongés.)

    III ­ QUELQUES REMARQUES

    Et maintenant, permettez-moi de faire quelques remarques.

    Tout d’abord en ce qui concerne nos membres du Parti à la campagne. Il y a parmi vous des membres du Parti, mais encore plus de sans-parti.

    C’est très bien que les sans­parti, à ce congrès, soient plus nombreux que les communistes, parce que c’est précisément les sans­parti quenous devons avant tout faire participer à notre travail. Il y a des communistes qui se comportent en bolcheviks envers les kolkhoziens sans-parti.

    Mais il y en a d’autres qui tirent vanité de leur qualité de communistes, et tiennent à distance les sans-parti. C’est mal, c’est nuisible. Ce qui fait la force des bolcheviks, la force des communistes, c’est qu’ils savent entourer notre Parti de millions de militants sans-parti.

    Nous, bolcheviks, n’aurions pas remporté les succès que nous enregistrons aujourd’hui, si nous n’avions pas su gagner au Parti la confiance de millions de sans-parti, ouvriers et paysans. Et que faut-il pour cela ?

    Il faut que les communistes, au lieu de dresser une barrière entre eux et les sans-parti, au lieu de se confiner dans leur coquille de membres du Parti, au lieu de tirer vanité de cette qualité, prêtent l’oreille à la voix des sans-parti, qu’ils ne se bornent pas à les instruire, mais s’instruisent eux­mêmes auprès d’eux.

    Il ne faut pas oublier que les membres du Parti ne tombent pas du ciel. Il faut se rappeler que tous les membres du Parti furent autrefois des sans-parti. Aujourd’hui sans-parti, demain membre du Parti. Y a-t-il là en somme de quoi tirer vanité ? Parmi nous, vieux bolcheviks, on en trouvera bon nombre qui militent dans le Parti depuis vingt ou trente ans.

    Et pourtant, nous aussi, nous étions autrefois des sans-parti. Que serait-il advenu de nous si, il y a une vingtaine ou une trentaine d’années, les membres du Parti, à cette époque, s’étaient mis à nous traiter par-dessous la jambe, et ne nous avaient pas laissés approcher du Parti ? Il est possible que nous en serions restés éloignés pendant des années. Et pourtant, nous autres vieux bolcheviks, nous ne sommes pas les derniers des hommes, camarades ! (Joyeuse animation, applaudissements prolongés.) Voilà pourquoi nos communistes, les nouveaux membres du Parti, qui parfois se donnent des airs devant les sans-parti, doivent se souvenir de tout cela, se souvenir que ce n’est pas la vanité, mais la modestie qui pare le bolchevik.

    Quelques mots maintenant à propos des femmes, à propos des kolkhoziennes. La question des femmes dans les kolkhoz est une question d’importance, camarades.

    Je sais que beaucoup d’entre vous sous-estiment le rôle des femmes et même se moquent un peu d’elles. Mais vous avez tort, camarades, grandement tort. Ce n’est pas seulement parce que les femmes représentent la moitié de la population. C’est surtout parce que le mouvement kolkhozien a porté aux postes de direction bon nombre de femmes remarquables, de femmes douées.

    Considérez ce congrès, sa composition, et vous verrez que les femmes, d’arriérées qu’elles étaient, ont depuis longtemps rejoint l’avant-garde. Les femmes, dans les kolkhoz, constituent une force importante. Tenir cette force sous le boisseau, c’est commettre un crime. Notre devoir est de promouvoir les femmes, dans les kolkhoz, et de faire agir cette force.

    Il est vrai que le pouvoir des Soviets a eu, dans un passé récent, un petit malentendu avec les kolkhoziennes. C’était à propos de leurs vaches. Mais maintenant la question des vaches est réglée, et le malentendu est dissipé. (Applaudissements prolongés.) Nous sommes arrivés à ceci que la plupart des kolkhoziens possèdent déjà une vache par foyer.

    Une année, deux années passeront encore, et vous ne trouverez plus un seul kolkhozien qui n’ait pas sa vache. Soyez assurés que nous, bolcheviks, saurons faire en sorte que chaque kolkhozien ait savache. (Applaudissements prolongés.) Pour ce qui est des kolkhoziennes, elles ne doivent pas oublier le rôle et l’importance des kolkhoz pour la femme. Elles ne doivent pas oublier que c’est seulement dans les kolkhoz qu’elles peuvent se mettre sur un pied d’égalité avec l’homme.

    En dehors des kolkhoz, c’est l’inégalité ; dans les kolkhoz, c’est l’égalité des droits. Que les camarades kolkhoziennes s’en souviennent, et qu’elles gardent le régime des kolkhoz comme la prunelle de leurs yeux. (Applaudissements prolongés.)

    Deux mots sur les kolkhoziens et les kolkhoziennes, membres des Jeunesses communistes. Les jeunes, c’est notre avenir, notre espoir, camarades. Les jeunes doivent nous remplacer, nous, les vieux. Ils doivent porter notre drapeau jusqu’à la victoire finale.

    Il y a parmi les paysans bon nombre de vieux, embarrassés du vieux fardeau, embarrassés des habitudes et des souvenirs de la vie d’autrefois. On conçoit donc qu’ils ne réussissent pas toujours à emboîter le pas au Parti, au pouvoir des Soviets.

    Il en va autrement de nos jeunes. Ils sont libres du vieux fardeau, et ils s’assimilent avec plus de facilité les enseignements de Lénine.

    Et précisément parce que les jeunes s’assimilent avec plus de facilité les enseignements de Lénine, précisément pour cette raison, ils sont appelés à entraîner les retardataires et les hésitants. Il est vrai qu’ils manquent de savoir. Mais le savoir est chose qui s’acquiert. Qui ne l’a pas aujourd’hui, l’aura demain. C’est pourquoi la tâche est d’étudier et d’étudier encore le léninisme.

    Camarades des Jeunesses communistes !

    Étudiez le bolchévisme et faites avancer ceux qui hésitent ! Bavardez moins, travaillez plus, et vous réussirez à coup sûr. (Applaudissements.)Quelques mots sur les paysans individuels.

    On a peu parlé ici des paysans individuels. Mais cela ne signifie pas encore qu’il n’y en ait plus. Non, assurément. Les paysans individuels existent, et l’on ne peut pas ne pas en tenir compte, parce que ce sont nos kolkhoziens de demain. Je sais qu’une partie des paysans individuels s’est définitivement corrompue et se livre à la spéculation.

    C’est sans doute ce qui explique que nos kolkhoziens ne les acceptent au kolkhoz qu’avec un grand discernement et, parfois même, ne les acceptent pas du tout.

    Évidemment, c’est juste, et il ne saurait y avoir là d’objections. Mais il y a une autre partie, la plus grande, des paysans individuels, celle qui ne se livre pas à la spéculation, mais gagne son pain en travaillant honnêtement.

    Ces paysans individuels ne seraient peut-être pas fâchés d’entrer au kolkhoz. Mais ce qui les en empêche, ce sont, d’une part, leurs doutes sur la justesse de la voie kolkhozienne, et, de l’autre, la rancune qui existe actuellement parmi les kolkhoziens contre les paysans individuels.

    Certes, il faut comprendre les kolkhoziens et se mettre à leur place.

    Toutes ces années, ils ont eu à endurer bien des offenses et moqueries de la part des paysans individuels. Mais offenses et moqueries ne doivent pas avoir ici une importance décisive.

    C’est un mauvais dirigeant, celui qui ne sait pas oublier les offenses et qui fait passer ses sentiments avant les intérêts de l’oeuvre kolkhozienne. Si vous voulez être des dirigeants, vous devez savoir oublier les offenses que vous ont faites certains paysans individuels.

    Il y a deux ans, je reçus de la région de la Volga une lettre d’une paysanne veuve. Elle se plaignait de se voir refuser l’accès du kolkhoz, et requérait mon aide. Je demandai des explications au kolkhoz. On me répondit qu’on ne pouvait l’accepter parce qu’elle avait outragé une réunion de kolkhoziens.

    De quoi s’agissait-il ? Pendant une réunion de paysans où les kolkhoziens appelaient les paysans individuels à entrer au kolkhoz, cette veuve, en réponse à cet appel, avait, paraît-il, relevé sa jupe en disant : Tenez, je l’ai là, votre kolkhoz ! (Joyeuse animation.

    Hilarité.) Il est évident qu’elle avait mal agi, qu’elle avait outragé la réunion.

    Mais peut-on lui refuser l’accès du kolkhoz, si un an après elle s’est repentie sincèrement et a reconnu sa faute ? J’estime que non. C’est ce que j’ai écrit au kolkhoz. On accepta la veuve. Eh bien ? Elle travaille aujourd’hui au kolkhoz, non pas dans les derniers, mais dans les premiers rangs. (Applaudissements).

    Voilà donc encore un exemple qui montre que les dirigeants, s’ils veulent rester de véritables dirigeants, doivent savoir oublier les offenses quand l’intérêt de la cause l’exige.

    Il faut en dire autant des paysans individuels, en général. Je ne m’oppose pas à ce que l’on admette au kolkhoz avec discernement.

    Mais je m’oppose à ce qu’on en ferme l’accès à tous les paysans individuels sans discernement.

    Ce n’est pas notre politique, ce n’est pas la politique bolchevique.

    Les kolkhoziens ne doivent pas oublier qu’eux­mêmes, il n’y a pas longtemps, étaient des paysans individuels.

    Enfin, quelques mots sur la lettre des kolkhoziens de Bézentchouk.

    Cette lettre a été publiée, et vous avez dû la lire. Sans nul doute, c’est une bonne lettre. Elle atteste qu’il y a parmi nos kolkhoziens bon nombre d’organisateurs et de propagandistes de l’œuvre kolkhozienne, expérimentés et conscients, et qui sont l’orgueil de notre pays.

    Mais cette lettre contient un passage erroné, avec lequel il est absolument impossible d’être d’accord : les camarades de Bézentchouk considèrent leur travail au kolkhoz comme un travail modeste et presque insignifiant, et celui des orateurs et des chefs qui prononcent parfois des discours interminables, comme une œuvre importante et créatrice.

    Peut-on être d’accord là-dessus ? Non, camarades, en aucune façon.

    Ici, les camarades de Bézentchouk ont commis une erreur. Peut-être l’ont-il commise par modestie.

    Mais l’erreur n’en reste pas moins une erreur. Les temps ne sont plus où les chefs étaient regardés comme les seuls créateurs de l’histoire, tandis que les ouvriers et les paysans ne comptaient pas. Ce ne sont plus seulement les chefs, mais d’abord et surtout les millions de travailleurs qui décident maintenant du sort des peuples et des Etats.

    Les ouvriers et les paysans qui construisent, sans bruit ni fracas, usines et fabriques, mines et chemins de fer, kolkhoz et sovkhoz, qui créent tous les biens de la vie, qui nourrissent et habillent le monde entier, voilà les véritables héros et créateurs de la vie nouvelle.

    C’est ce que nos camarades de Bézentchouk semblent avoir oublié. Quand les gens surestiment leurs forces et commencent à tirer vanité de leurs mérites, c’est mal. Cela mène à la vantardise ; or la vantardise est une mauvaise chose.

    Mais c’est encore pis quand les gens commencent à sous­estimer leurs forces et ne voient pas que leur travail «modeste» et «obscur» est, en réalité, une grande œuvre créatrice, qui décide du sort de l’histoire.

    Je voudrais que les camarades de Bézentchouk approuvent ma petite rectification à leur lettre. Si vous le voulez bien, camarades, nous en resterons là.

    (Applaudissements prolongés qui tournent en ovation. L’assistance debout acclame le camarade Staline. Les hourras éclatent. On entend dans la salle : Vive le camarade Staline, hourra ! Vive le kolkhozien d’avant-garde ! Vive notre chef, le camarade Staline !)

    =>Oeuvres de Staline