Comme nous traitons de la question de savoir comment le révisionnisme chinois a rompu avec le principe maoïste de la divisibilité de la matière, nous allons porter un regard approfondi quant à la conception de la science chez Deng Xiaoping.
Deng Xiaoping
C’est cette conception qui a été le principal outil pour promouvoir et faire triompher le révisionnisme. Cette arme idéologique réactionnaire doit être comprise, de sorte de ne pas arriver au même révisionnisme qui consiste à voir le marxisme comme une « méthode ».
Deng Xiaoping ne doit pas être considéré comme un « individu » qui a trahi, mais comme le porteur d’une vision du monde toute entière. Après la mort de Mao Zedong, il avait une façon bourgeoise de « comprendre » le maoïsme, afin de réorganiser l’Etat suivant les besoins de la bourgeoisie.
Cette voie bourgeoise consiste principalement en une compréhension particulière de la science, nous allons voir de quelles positions il s’agissait … ou il s’agit, vu qu’il y a encore des « maoïstes » qui sont en fait des dengistes cachés.
La
thèse de la neutralité de la recherche et les décisions d’en haut
Selon le matérialisme dialectique, la pensée est le reflet du
mouvement de la matière, les communistes luttent pour que cette
pensée soit conforme à la réalité.
Une fois le mouvement
éternel de la matière rejeté, il n’y a pas de place pour une telle
conception. Il n’y aurait pas de pensée, mais seulement une bataille
et une construction. Le marxisme serait une « méthode »
et de ce fait, ce qui est nécessaire n’est pas un cadre
révolutionnaire à chaque niveau, mais un « expert ».
C’est pourquoi Deng Xiaoping pourrait promouvoir le socialisme
« par en haut », comme quand il dit:
« Il convient de sélectionner quelques milliers de sujets d’élite dans les milieux scientifiques et techniques, pour lesquels on créera les conditions nécessaires afin qu’ils puissent se consacrer entièrement à leurs travaux de recherche. »
Respecter les connaissances et les hommes de talent, 14 mai 1977
Cette approche voit la « science » comme neutre dans
son contenu et son développement. Dans un autre document, Deng
Xiaoping dit :
« Que l’on fasse du travail manuel ou intellectuel, on est un travailleur dans la société socialiste (…).
En déformant la notion de la division du travail – manuel et intellectuel – existant aujourd’hui dans notre société, pour la présenter comme un antagonisme de classes, la bande des Quatre cherchait en fait à attaquer et à persécuter les intellectuels, à miner l’alliance des ouvriers et des paysans avec les intellectuels, à détruire les forces productives sociales et à saper notre révolution et notre édification socialistes.
La science et la technologie sont une partie des forces productives. »
Discours à la conférence nationale sur les sciences, 18 mars 1978
Deng
Xiaoping contre la GRCP
La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP)
affirmait exactement le contraire. Ce n’était pas seulement une
tentative de bloquer une restauration réactionnaire ; la GRCP était
un moyen de progresser dans les domaines du matérialisme
dialectique.
Dans la GRCP, la science et la technologie étaient considérées
comme une manière d’approcher la réalité, et de cette façon elles
ne sont pas des « forces productives », mais des choix
idéologiques, qui reflètent un caractère de classe. Les communes
populaires n’ont rien à voir avec la Chine capitaliste des années
2000.
Deng Xiaoping était bien conscient de cela, comme il était le
principal ennemi de la GRCP. Mais s’il a réussi à prendre la tête
de la Chine après la mort de Mao, c’est parce qu’il a réussi à
prendre un aspect du maoïsme – le développement du pays – mais pour
le transformer dans le sens d’un développement pragmatique.
C’est pourquoi le révisionnisme pouvait réussir: il est apparu
comme une amélioration de la situation, la réorganisation apparente
de l’économie, mais en fait pour la transformer. Voici comment Deng
Xiaoping explique son point de vue:
« La « révolution culturelle » a
certainement été une grave erreur, mais notre Parti a brisé les
cliques contre-révolutionnaires de Lin Piao et des Quatre, et mis
fin à cette « révolution culturelle », ce qui nous a
permis d’arriver où nous en sommes (…).
Quand nous disons « rétablir le cours normal des
choses », nous entendons justement réparer les ravages causés
par Lin Piao et les Quatre, critiquer les erreurs commises par le
camarade Mao Zedong dans les dernières années de sa vie, et ramener
toutes les activités dans la juste voie de la pensée Mao
Zedong. » (Entretien du 25 octobre 1980 avec des
camarades responsables du Comité central)
Deng
Xiaoping à propos de la science et de la production
L’astuce tactique de Deng Xiaoping était ainsi d’assimiler la
science et de la production. C’est très proche du révisionnisme
soviétique: comme les forces productives croissantes sont la preuve
du développement du socialisme, alors tout ce qui aide est
« socialiste ».
Ce qui compte n’est pas le choix de comment et de savoir ce qui doit être produit, mais la production en elle-même. Il s’agit d’une conception bourgeoise mécanique, visant seulement à satisfaire le besoin du capital à se développer.
Voici comment Deng Xiaoping explique cela :
« Il faut comprendre que la science et la technique
constituent une force productive. La bande des Quatre a fait beaucoup
de tapage autour de cette question, inversant la vérité et jetant
la confusion dans les esprits.
Le marxisme a toujours considéré que la science et la technique font partie des forces productives. Il y a un peu plus d’un siècle déjà, Marx avait dit que l’essor de la production mécanisée impliquait l’application consciente des sciences de la nature. Et d’ajouter que « les forces productives comprennent aussi la science. »
Le progrès de la science et de la technique modernes resserre chaque jour davantage les liens entre la science et la production. Le rôle considérable de la science et de la technique en tant que forces productives s’affirme avec toujours plus d’évidence. »
Discours à la conférence nationale sur les sciences, 18 mars 1978
La conception de Deng Xiaoping n’a servi que le capital.
Quelle est la clé du révisionnisme, en URSS et
en République Populaire de Chine? C’est l’idéologie, il y avait un
espace ouvert pour révisionnisme en URSS et en République populaire
de Chine, où les éléments bourgeois ont pu s’agglutiner et ensuite
faire un coup d’État.
En URSS, cet espace était dans le domaine de la
biologie. La conception bourgeoise de l’ADN comme support de tout ce
qu’est la vie a été bien comprise comme une illusion réactionnaire.
Néanmoins, cela a été confronté avec la
conception erronée de modifier la matière depuis l’extérieur, sans
suivre le principe selon lequel la contradiction est interne.
Lyssenko prétendait modifier la matière
d’une manière conforme à la volonté des êtres humains, ce qui a
conduit à un échec scientifique et a permis au révisionnisme,
plein de subjectivisme bourgeois, de s’organiser.
Nikita Khrouchtchev n’a pas rejeté Lyssenko après
la mort de Staline, au contraire, il a nié tous les enseignements
matérialistes dialectiques, mais a conservé Lyssenko comme valable.
Le révisionnisme prétendait changer la nature, la réalité, depuis
l’extérieur, selon la volonté.
Mao Zedong a réussi à « réparer » matérialisme dialectique avec la conception selon laquelle la contradiction est interne, comme quoi rien n’est indivisible. Le révisionnisme a dû lutter contre cela.
Pour cette raison, le révisionnisme chinois vint de ce domaine. Les promoteurs du mouvement de Tien’anmen en 1989 viennent directement de ce domaine de la cosmologie. Ils étaient protégés par Deng Xiaoping.
Couverture du Time, avec Deng Xiaoping. « CHINE S’écartant de Marx »
Mais comment a-t-il été possible pour le
révisionnisme chinois de lutter contre la cosmologie de Mao ? Ici,
Deng Xiaoping apparaît avec ce que nous devons considérer comme une
idéologie : le dengisme.
Selon le dengisme, la technologie n’est pas une
superstructure, mais une infrastructure. Il a formulé cela dans une
phrase célèbre: « Ce n’est pas grave si un chat est blanc
ou noir, pourvu qu’il attrape les souris. »
Quand
on voit cela, il est facile de comprendre que la plupart des
« maoïstes » dans le monde sont des dengistes ; ils
maintiennent encore quelques enseignements de Mao Zedong, mais ils
ont la même conception pragmatique d’une méthode suprême. Comme
Deng Xiaoping, ils résument Mao Zedong à quelques livres,
notamment De la pratique ; ce n’est pas une
surprise que la plupart de ces « maoïstes » aient viré
en « marxistes-léninistes » pro-albanais.
Le pragmatisme est la base même du dengisme. Il
rejette le principe de l’indivisibilité de la matière ; il
considère que le monde obéit à un mouvement mécanique, où il est
possible de pousser dans une direction ou une autre.
Le prachandisme au
Népal, l’avakianisme aux Etats-Unis … sont des
idéologies empruntant directement leurs conceptions au dengisme,
depuis une incompréhension du maoïsme, de la Grande Révolution
Culturelle Prolétarienne (GRCP).
Le GRCP voulait mettre l’idéologie au poste de
commande dans tous les domaines, alors que le dengisme limite
l’idéologie à une méthode en politique. En fait, les « maoïstes »
qui ne parlent jamais de la culture, de la science, de l’histoire …
révèlent leur nature dengiste avec cette conception étroite.
Ces faux « maoïstes » acceptent les valeurs bourgeoises dans tous les domaines, mais pas dans la politique, en tout cas ils le prétendent. Leur refus de reconnaître la crise écologique, de rejeter la destruction de la nature et l’utilisation des êtres vivants, est une grande preuve de leur approche non matérialiste dialectique. En fait, ils sont gens rêvant d’être les gestionnaires d’une réorganisation du capitalisme – comme Deng Xiaoping.
Couverture du Time, avec Deng Xiaoping. « Bannissant le fantôme de Mao »
Voici ce que Deng Xiaoping a répondu à la
question de savoir si, finalement, le capitalisme n’est pas si mal
que ça:
« Il importe d’éclaircir ce qu’est le capitalisme. Le capitalisme marque une supériorité par rapport au féodalisme. Il est certaines choses qui ne sauraient être qualifiées de capitalistes.
Par exemple, la technologie et la gestion dans la production relèvent du domaine de la science ; elles sont utiles à n’importe quelle société et à n’importe quel pays.
Nous avons l’intention d’acquérir des compétences techniques, scientifiques et de gestion avancées pour servir notre production socialiste. Et ces choses en tant que tels n’ont pas de caractère de classe. »
Réponses aux questions de la journaliste italienne Oriana Fallaci, août 1980
« Ces choses en tant que tels n’ont pas de caractère de classe » – c’est la grande ligne révisionniste, exactement ce qui a été combattu par la GRCP.
Je voudrais aujourd’hui, au cours des catéchèses sur les Pères de l’Eglise, parler d’une figure très mystérieuse: un théologien du sixième siècle, dont le nom est inconnu, qui a écrit sous le pseudonyme de Denys l’Aréopagite.
Avec ce pseudonyme, il fait allusion au passage de l’Ecriture que nous venons d’entendre, c’est-à-dire à l’histoire racontée par saint Luc dans le chapitre XVII des Actes des Apôtres, où il est rapporté que Paul prêcha à Athènes sur l’Aréopage, pour une élite du grand monde intellectuel grec, mais à la fin la plupart des auditeurs montrèrent leur désintérêt et s’éloignèrent en se moquant de lui; pourtant certains, un petit nombre nous dit saint Luc, s’approchèrent de Paul en s’ouvrant à la foi.
L’évangéliste nous donne deux noms: Denys, membre de l’Aréopage, et une certaine femme, Damaris.
Si l’auteur de ces livres a choisi cinq siècles plus tard le pseudonyme de Denys l’Aréopagite, cela veut dire que son intention était de mettre la sagesse grecque au service de l’Evangile, d’aider la rencontre entre la culture et l’intelligence grecque et l’annonce du Christ; il voulait faire ce qu’entendait ce Denys, c’est-à-dire que la pensée grecque rencontre l’annonce de saint Paul; en étant grec, devenir le disciple de saint Paul et ainsi le disciple du Christ.
Pourquoi a-t-il caché son nom et choisi ce pseudonyme? Une partie de la réponse a déjà été donnée: il voulait précisément exprimer cette intention fondamentale de sa pensée. Mais il existe deux hypothèses à propos de cet anonymat et de ce pseudonyme.
Une première hypothèse dit: c’était une falsification voulue, avec laquelle, en antidatant ses œuvres au premier siècle, au temps de saint Paul, il voulait donner à sa production littéraire une autorité presque apostolique.
Mais mieux que cette hypothèse – qui me semble peu crédible – il y a l’autre: c’est-à-dire qu’il voulait précisément faire un acte d’humilité.
Ne pas rendre gloire à son propre nom, ne pas créer un monument pour lui-même avec ses œuvres, mais réellement servir l’Evangile, créer une théologie ecclésiale, non individuelle, basée sur lui-même.
En réalité, il réussit à construire une théologie que nous pouvons certainement dater du VI siècle, mais pas attribuer à l’une des figures de cette époque: c’est une théologie un peu désindividualisée, c’est-à-dire une théologie qui exprime une pensée et un langage commun.
C’était une époque de dures polémiques après le Concile de Chalcédoine; lui, en revanche, dans sa Septième Epître dit: « Je ne voudrais pas faire de polémiques; je parle simplement de la vérité, je cherche la vérité ».
Et la lumière de la vérité fait d’elle-même disparaître les erreurs et fait resplendir ce qui est bon.
Et avec ce principe, il purifia la pensée grecque et la mit en rapport avec l’Evangile.
Ce principe, qu’il affirme dans sa septième lettre, est également l’expression d’un véritable esprit de dialogue: ne pas chercher les choses qui séparent, chercher la vérité dans la Vérité elle-même, qu’ensuite celle-ci resplendisse et fasse disparaître les erreurs.
La théologie de cet auteur, tout en étant donc pour ainsi dire « suprapersonnelle », réellement ecclésiale, peut être située au VI siècle.
Pourquoi? Il rencontra dans les livres d’un certain Proclus, mort à Athènes en 485, l’esprit grec qu’il plaça au service de l’Evangile: cet auteur appartenait au platonisme tardif, un courant de pensée qui avait transformé la philosophie de Platon en une sorte de religion, dont le but à la fin était de créer une grande apologie du polythéisme grec et de retourner, après le succès du christianisme, à l’antique religion grecque.
Il voulait démontrer que, en réalité, les divinités étaient les forces en œuvre dans le cosmos.
La conséquence était que l’on devait considérer le polythéisme plus vrai que le monothéisme, avec un unique Dieu créateur.
C’était un grand système cosmique de divinités, de forces mystérieuses, celui que nous montre Proclus, pour qui dans ce cosmos déifié l’homme pouvait trouver l’accès à la divinité.
Il distinguait cependant les voies pour les simples, qui n’étaient pas en mesure de s’élever aux sommets de la vérité – pour eux certains rites même superstitieux pouvaient suffire – et les voies pour les sages, qui en revanche devaient se purifier pour arriver à la pure lumière.
Cette pensée, comme on le voit, est profondément antichrétienne. C’est une réaction tardive contre la victoire du christianisme.
Un usage antichrétien de Platon, alors qu’était déjà en cours un usage chrétien du grand philosophe.
Il est intéressant que ce Pseudo-Denys ait osé se servir précisément de cette pensée pour montrer la vérité du Christ; transformer cet univers polythéiste en un cosmos créé par Dieu, dans l’harmonie du cosmos de Dieu où toutes les forces sont une louange à Dieu, et montrer cette grand harmonie, cette symphonie du cosmos qui va des séraphins, aux anges et aux archanges, à l’homme et à toutes les créatures qui ensemble reflètent la beauté de Dieu et sont une louange à Dieu.
Il transformait ainsi l’image polythéiste en un éloge du Créateur et de sa créature.
Nous pouvons de cette manière découvrir les caractéristiques essentielles de sa pensée: elle est tout d’abord une louange cosmique. Toute la création parle de Dieu et est un éloge de Dieu.
La créature étant une louange de Dieu, la théologie de Pseudo-Denys devient une théologie liturgique: Dieu se trouve surtout en le louant, pas seulement en réfléchissant; et la liturgie n’est pas quelque chose que nous avons construit, quelque chose d’inventé pour faire une expérience religieuse au cours d’une certaine période de temps; elle est un chant avec le chœur des créatures et l’entrée dans la réalité cosmique elle-même.
Et c’est précisément ainsi que la liturgie n’apparaît plus seulement ecclésiastique mais devient vaste et grande, devient notre union avec le langage de toutes les créatures. Il dit: on ne peut pas parler de Dieu de manière abstraite; parler de Dieu est toujours – dit-il avec un mot grec – un « hymnein », un chant pour Dieu avec le grand chant des créatures, qui se reflète et se concrétise dans la louange liturgique.
Toutefois, bien que sa théologie soit cosmique, ecclésiale et liturgique, elle est également profondément personnelle.
Il créa la première grande théologie mystique. Le mot « mystique » acquiert même avec lui une nouvelle signification. Jusqu’à cette époque, pour les chrétiens ce mot était équivalent au mot « sacramentel », c’est-à-dire ce qui appartient au « mysterion », au sacrement.
La parole « mystique » devient avec lui plus personnelle, plus intime: elle exprime le chemin de l’âme vers Dieu.
Et comment trouver Dieu? Nous observons de nouveau ici un élément important dans son dialogue entre la philosophie grecque et le christianisme, en particulier la foi biblique.
Apparemment, ce que dit Platon et ce que dit la grande philosophie sur Dieu est beaucoup plus élevé, est beaucoup plus vrai; la Bible apparaît assez « barbare », simple, précritique dirait-on aujourd’hui; mais lui remarque que c’est justement ce qui est nécessaire parce qu’ainsi nous pouvons comprendre que les concepts les plus élevés sur Dieu n’arrivent jamais jusqu’à sa vraie grandeur; ils sont toujours inappropriés.
En réalité, ces images nous font comprendre que Dieu est au delà de tous les concepts; dans la simplicité des images, nous trouvons plus de vérité que dans les grands concepts.
Le visage de Dieu est notre incapacité d’exprimer réellement ce qu’Il est. Aussi parle-t-on – comme le fait Pseudo-Denys – d’une « théologie négative ».
Nous pouvons plus facilement dire ce que Dieu n’est pas, plutôt que d’exprimer ce qu’Il est véritablement.
Ce n’est qu’à travers ces images que nous pouvons deviner son vrai visage, et de l’autre côté ce visage de Dieu est très concret: c’est Jésus Christ.
Et bien que Denys nous montre, en suivant en cela Proclus, l’harmonie des chœurs célestes, de telle façon qu’il nous semble que tous dépendent de tous, il reste vrai que notre chemin vers Dieu demeure fort éloigné de Lui; Pseudo-Denys nous montre que, finalement, la route vers Dieu est Dieu lui-même, Lequel se rapproche de nous en Jésus Christ.
C’est ainsi qu’une théologie tellement grande et mystérieuse devient également très concrète autant dans l’interprétation de la liturgie que dans le discours tenu sur Jésus Christ: avec tout cela, Denys l’Aréopagite eut une grande influence sur toute la théologie médiévale, sur toute la théologie mystique autant en Orient qu’en Occident, il fut presque redécouvert au treizième siècle notamment par saint Bonaventure, le grand théologien franciscain qui dans cette théologie mystique trouva le moyen conceptuel d’interpréter l’héritage tellement simple et profond de saint François: le « poverello », avec Denys, nous dit finalement que l’amour voit plus que la raison.
Là où se trouve la lumière de l’amour on ne souffre plus des ténèbres de la raison; l’amour voit, l’amour est un œil et l’expérience nous donne plus que la réflexion.
Quelle que soit cette expérience, Bonaventure le vit en saint François: c’est l’expérience d’un cheminement très humble, très réaliste, jour après jour, c’est cela aller avec le Christ, en acceptant sa croix.
Dans cette pauvreté et dans cette humilité, dans l’humilité que l’on éprouve également dans la vie ecclésiale, on fait une expérience de Dieu qui est plus élevée que celle que l’on atteint par la réflexion: à travers elle, nous touchons réellement le cœur de Dieu.
Il existe aujourd’hui une nouvelle actualité de Denys l’Aréopagite: il apparaît comme un grand médiateur dans le dialogue moderne entre le christianisme et les théologies mystiques de l’Asie, dont la caractéristique la plus connue est la conviction selon laquelle on ne peut pas dire qui est Dieu; on ne peut parler de Lui que sous forme négative; on ne peut parler de Dieu qu’avec le « ne pas », et ce n’est qu’en entrant dans cette expérience du « ne pas » qu’on Le rejoint.
On voit ici une proximité entre la pensée de l’Aréopagite et celle des religions asiatiques: il peut être aujourd’hui un médiateur comme le il fut entre l’esprit grec et l’Evangile. On voit ainsi que le dialogue n’accepte pas la superficialité.
C’est justement quand quelqu’un entre dans la profondeur de la rencontre avec le Christ que s’ouvre également le vaste espace pour le dialogue.
Quand quelqu’un rencontre la lumière de la vérité, on s’aperçoit qu’il est une lumière pour tous; les polémiques disparaissent et il devient possible de se comprendre l’un l’autre ou au moins de parler l’un avec l’autre, de se rapprocher.
Le chemin du dialogue est justement la proximité dans le Christ à Dieu dans la profondeur de la rencontre avec Lui, dans l’expérience de la vérité qui nous ouvre à la lumière et nous aide à aller à la rencontre des autres: la lumière de la vérité, la lumière de l’amour.
Et il nous dit en fin de compte: empruntez la voie de l’expérience, de l’expérience humble de la foi, chaque jour.
Le cœur devient alors grand et peut voir et illuminer également la raison pour qu’elle voie la beauté de Dieu. Prions le Seigneur pour qu’il nous aide aujourd’hui aussi à mettre au service de l’Evangile la sagesse de notre époque, en découvrant à nouveau la beauté de la foi, la rencontre avec Dieu dans le Christ.
Pseudo-Denys l’Aréopagite, en niant la
dialectique au profit de l’unité suprême tout en reconnaissant la
réalité matérielle, n’est pas loin du panthéisme. Cependant, en
niant le mouvement, il ne peut pas y aboutir, basculant de ce fait
dans une religiosité où c’est Dieu qui met en mouvement.
Ce mouvement est insuffisant, car la vie
matérielle est nécessairement « pleine de mutabilité et
d’angoisses » ; la hiérarchie permet de donner du
sens et de faire en sorte « de nous unir à Dieu autant
qu’il est possible ».
Il est frappant, à ce niveau, de voir que, à
l’opposé complet d’Augustin, Pseudo-Denys l’Aréopagite ne mentionne
que très rarement les Écritures. La Bible n’est pour lui qu’un
outil théorique, l’incarnation justifiée ; il n’aborde pas les
points élaborés à l’intérieur, comme si le christianisme pouvait
d’une certaine manière s’en passer.
Ainsi, Pseudo-Denys l’Aréopagite résume le
squelette du christianisme, là où Augustin fournit sa chair. Cela
permet de lire avec une grande clarté l’interprétation chrétienne
du rapport entre l’un et le multiple, clef de toute idéologie.
On a ainsi la définition de Dieu, qui est tout
mais de manière unique, formant un seul « un », sans
partage ni découpage :
« En Dieu, l’unité précède et domine la
distinction ; mais la distinction n’entame pas, ne déchire pas
l’unité. »
L’être humain relève du multiple, mais il est
tout de même « un » ; c’est le paradoxe du statut
de l’homme :
« Un des devoirs et des secrets de la foi, c’est
d’étudier le divin dans l’humain, l’incréé dans le créé, l’unité
dans la multiplicité. »
Le bien est général, car seul le « Un »
existe ; le mal n’est qu’un échec de ce rapport à l’un, et
donc de nature multiple :
« Pour tout dire en un mot, le bien procède d’une
cause unique et totalement parfaite, le mal résulte de défectuosités
multiples et particulières. »
Patrologiae cursus completus. 2, S. Dionysii Areopagitae Opera omnia, Georgii Pachymerae paraphrasi continenter illustrata, 1856
Voici deux autres passages, très importants car ils abordent la question de l’unité et donc du cercle, au sens où le multiple fait comme entourer le « un » qui lui fournit, tel le soleil, la force d’exister.
On a ici le cœur même de l’énergologie
néo-platonicienne dans sa version catholique :
« Ainsi apparaît-il excellemment que le saint
amour ne reconnaît ni commencement ni fin : c’est comme un cercle
éternel, dont la bonté est à la fois le plan, le centre, le rayon
vecteur et la circonférence : cercle que décrit dans une invariable
révolution la bonté qui agit sans sortir d’elle-même, et revient
au point qu’elle n’a pas quitté. »
« Puis donc que l’absolue et infinie bonté produit
l’être comme son premier bienfait, il convient de la louer d’abord
de cette grâce, qui précède toutes les autres grâces.
Ainsi, la participation de l’être, les principes des
choses et les choses elles-mêmes, et tout ce qui existe en quelque
sorte que ce soit, viennent de la bonté et subsistent en elle d’une
façon incompréhensible, sans diversité, sans pluralité.
De même tout nombre préexiste, confondu dans l’unité,
et l’unité renferme tout nombre en sa simplicité parfaite; tout
nombre est un en l’unité, et plus il s’éloigne d’elle, plus il se
divise et se multiplie.
Également tous les rayons du cercle se trouvent unis
dans un centre commun; et ce centre indivisible comprend en lui-même
tous les rayons qui sont absolument indistincts, soit les uns des
autres, soit du point unique d’où ils partent.
Entièrement confondus dans ce milieu, s’ils s’en
éloignent quelque peu, dès lors ils commencent à se séparer
mutuellement ; s’ils s’en éloignent davantage, ils continuent à se
séparer en la même proportion; en un mot, plus ils sont proches ou
distants du point central, plus aussi s’augmente leur proximité ou
leur distance respective. »
Cependant, cela pose donc un certain rapport à
l’Univers lui-même unifié, que ne manqueront pas de
souligner Avicenne, Averroès, Spinoza, c’est-à-dire tous
ceux qui prendront au pied de la lettre l’unicité cosmique, se
débarrassant de la fantasmagorie d’un Dieu « au-delà ».
Voici, à l’opposé, la vision de Pseudo-Denys
l’Aréopagite, qui correspond à la vision religieuse.
« Dieu est nommé un, parce que dans l’excellence
de sa singularité absolument indivisible, il comprend toutes choses,
et que sans sortir de l’unité, il est le créateur de la
multiplicité : car rien n’est dépourvu d’unité; mais comme tout
nombre participe à l’unité, tellement qu’on dit une couple, une
dizaine et une moitié, un tiers, un dixième, ainsi toutes choses,
et chaque chose, et chaque partie d’une chose tiennent de l’unité;
et ce n’est qu’en vertu de l’unité que tout subsiste.
Et cette unité, principe des êtres, n’est pas portion
d’un tout; mais, antérieure à toute universalité et multitude,
elle a déterminé elle-même toute multitude et universalité.
Car il n’y a pas de pluralité qui ne soit une par
quelque endroit : ce qui est multiple en ses parties, est un dans sa
totalité; ce qui est multiple en ses accidents est un dans sa
substance; ce qui est multiple en nombre, ou par les facultés, est
un par l’espèce; ce qui est multiple en ses espèces, est un par le
genre; ce qui est multiple comme production, est un dans son
principe.
Et il n’y a rien qui n’entre en participation quelconque
de cet un absolument indivisible, et renfermant dans sa simplicité
parfaite chaque chose individuellement, et toutes choses ensemble,
alors même qu’elles sont mutuellement opposées.
La pluralité n’existerait pas sans la singularité ;
mais la singularité peut exister sans la pluralité, comme l’unité
précède tout nombre multiple.
Et si vous considérez les diverses parties de l’univers
comme unies de tout point entre elles, vous aurez alors l’unité dans
la totalité. »
Et c’est précisément cette unité inatteignable
qui justifie qu’on s’attarde sur le multiple, et donc sur les
oracles, sur ce qu’on pourrait appeler des transmissions indirectes
du « un » inaccessible et incompréhensible.
C’est en ce sens que Pseudo-Denys l’Aréopagite
montre bien, dans les faits, que le néo-platonisme ne pouvait
subsister sans reconnaître un corps d’écrits divins permettant
l’incarnation, c’est-à-dire la reconnaissance de la puissance sur
terre de ce qui est au-delà.
On retrouve ainsi le christianisme avec Jésus,
l’Islam avec Mahomet, le judaïsme avec non pas Moïse mais ses
figures messianiques concrètes (Sabbataï Tsevi au XVIIe siècle,
Menachem Mendel Schneerson, le Rabbi de Loubavitch, au XXe siècle).
Il est frappant de voir d’ailleurs que
Pseudo-Denys l’Aréopagite parle des « divins oracles »,
tel un païen, un néo-platonicien, et non des saintes Ecritures, de
la Bible. C’est qu’en fait, les écrits saints ne sont, pour lui,
qu’un oracle à décoder, par une lecture mystique.
Voici la synthèse du point de vue de Pseudo-Denys
l’Aréopagite :
« Nous disons donc que, par un décret d’amour,
cette suprême béatitude, qui possède la divinité par nature et y
fait participer ceux qui sont dignes de cette glorieuse
transformation, a établi la hiérarchie pour le salut et la
déification de tous les êtres, soit raisonnables, soit purement
spirituels.
Seulement, pour les bienheureuses essences qui habitent
les cieux, cette institution n’a rien de sensible et de corporel; car
ce n’est point par l’extérieur que Dieu les attire et les élève
aux choses divines; mais il fait étinceler au dedans d’elles-mêmes
les purs rayons et les splendeurs intelligibles de son adorable
volonté.
Au contraire, ce qui leur est départi uniformément et
pour ainsi dire en masse, nous est transmis, à nous, comme en
fragments et sous la multiplicité de symboles variés dans les
divins oracles.
Car ce sont les divins oracles qui fondent notre
hiérarchie.
Et par ce mot il faut entendre non seulement ce que nos
maîtres inspirés nous ont laissé dans les saintes Lettres et dans
leurs écrits théologiques, mais encore ce qu’ils ont transmis à
leurs disciples par une sorte d’enseignement spirituel et presque
céleste, les initiant d’esprit à esprit d’une façon corporelle
sans doute, puisqu’ils parlaient, mais j’oserai dire aussi
immatérielle, puisqu’ils n’écrivaient pas.
Mais ces vérités devant se traduire dans les usages de
l’Église, les Apôtres les ont exposées sous le voile des symboles
et non pas dans leur nudité sublime, car chacun n’est pas saint; et,
comme dit l’Écriture, la science n’est pas pour tous. »
On a ainsi ici uniquement un aspect du christianisme, mais c’est le plus épuré et, finalement, le plus intéressant dans la mesure où il montre son noyau dur, au-delà des discours de la Bible, sur la Bible, qui bien entendu joueront également un rôle historique toujours prépondérant, le christianisme s’éloignant toujours davantage des conditions de son origine et donc de sa nature initiale.
La dimension panthéiste du christianisme
représente l’expression de sa base dynamique, correspondant à la
modification profonde de la réalité et au besoin de cette
modification. Karl Marx a explicité de manière tout à fait claire
le double aspect de la religion, qui est à la fois consolation et
protestation, en plus d’être, en tant qu’idéologie, un reflet.
Cependant, la dimension dynamique est
nécessairement atténuée, freinée, paralysée par la conception du
monde qui attribue aux cieux une valeur supérieure à la réalité
terrestre.
Ce n’est pas nécessairement l’aspect principal,
car le christianisme fait œuvre de civilisation, accompagnant
l’effondrement de l’esclavagisme, modifiant les mentalités en
fonction. Mais le panthéisme est toujours relatif, la dignité du
réel ne saurait être complète.
L’exigence de comportements non barbares est, en
effet, justifié par les cieux, tout comme Platon les justifiait en
fonction du « Beau » de son « monde des idées »,
un monde non matériel, purement spirituel.
Pseudo-Denys l’Aréopagite n’échappe pas à ce
rapport entre le bien et le mal, malgré une véritable tentative de
préserver la dignité du réel.
Voici comment il parle de comportements erronés,
en les justifiant paradoxalement relativement, dans la mesure où il
explique qu’ils relèvent du bien, car ils existent. Le mal, en
effet, n’existe pas en soi, il n’est qu’une mauvaise compréhension
de l’inclination inévitable vers le bien.
On voit tout de suite en quoi cette conception
porte en elle une détermination panthéiste-matérialiste, dans la
mesure où l’être humain est bon, la tendance générale à la
complexité et la compassion.
« Ainsi l’impudique, d’un côté, s’exclut du bien
par sa brutale convoitise, et comme tel, il n’est qu’un non-être, et
les choses qu’il désire sont un non-être; mais d’autre part, il
participe encore au bien en ce sens qu’il garde un reste d’amitié et
une manière d’alliance avec ce qui est.
Également la fureur tient au bien par le fait de son
émotion, et par son désir de redresser et de ramener ce qu’elle
estime mauvais à un but qui semble louable.
De même celui qui se précipite dans les dérèglements,
aspirant à une vie qui le charme, n’est pas totalement déchu du
bien, puisqu’il a un désir, le désir de la vie, d’une vie qui lui
sourit.
Enfin, si vous supprimez tout bien absolument, il n’y a
plus dès lors ni substance, ni vie, ni désir, ni mouvement, ni quoi
que ce soit. »
Cette dernière phrase, si on la lit de manière
matérialiste en supprimant Dieu, est juste. Toutefois, Pseudo-Denys
l’Aréopagite n’est pas matérialiste.
Là où le matérialisme dialectique voit le
communisme dans le produit synthétique de la matière éternelle en
mouvement, il voit le paradis dans la nature unique de Dieu éternel
et statique.
Pour cette raison, il est obligé de rejeter de
manière explicite la dialectique : « la dualité ne peut
être principe ».
« Si le mal n’émane pas du bien, il a donc
évidemment une autre origine, une autre cause. Car ou le mal dérive
du bien, ou le bien dérive du mal, ou il faut assigner au bien et au
mal une source différente : car la dualité ne peut être principe,
l’unité au contraire est le principe de la dualité.
Or personne assurément ne soutiendra que d’une seule et
même chose puissent procéder deux choses de tout point contraires,
et qu’au lieu d’être simple et un, le même principe soit composé,
double, opposé à lui-même et variable.
Mais on n’admettra pas non plus deux principes
contraires, qui d’une part se pénètrent mutuellement et régissent
le monde, et de l’autre se livrent constamment la guerre; ou en cas
qu’on les admette, d’abord Dieu ne sera pas indépendant, ni sans
contradiction, si toutefois son éternelle paix peut jamais être
troublée; ensuite le désordre et une hostilité permanente
régneraient dans l’univers.
Pourtant la bonté suprême établit l’harmonie entre
tous les êtres ; et elle est la paix même, et elle donne la paix,
comme disent les écrivains sacrés. C’est pourquoi toutes choses
bonnes s’entr’aiment, et forment un merveilleux concert, produites
par une même activité, ordonnées par rapport à un même bien,
régulières et unanimes dans leur mouvement, et se prêtant un
mutuel appui. »
Il en découle inévitablement un affaiblissement fondamental de la perspective panthéiste. La réalité matérielle ne peut être, chez Pseudo-Denys l’Aréopagite, que finalement « privation, faiblesse, mélange inharmonique de substances dissemblables ».
Ce qu’on appelle le mal n’est alors plus
critiquable en soi, car il découle de la nature même de la matière,
au lieu d’être une simple erreur d’inclination.
Le mal n’est plus un défaut quantitatif, il est
dans la qualité même de la matière. Pseudo-Denys l’Aréopagite dit
ainsi au sujet du mal :
« Par suite il est une privation, une défectuosité,
une faiblesse, un dérèglement, une erreur, une illusion ; il est
sans beauté, sans vie, sans intelligence, sans raison, sans
perfection, sans fixité, sans cause, sans manière d’être
déterminée.
Il est infécond, inerte, impuissant, désordonné, plein
de contradiction, d’incertitude, de ténèbres; il n’a pas de
substance et n’est absolument rien de ce qui existe. »
Ou encore :
« Tout ce qui résulte naturellement d’une chose,
trouve en elle sa raison d’être déterminée ; or le mal, n’ayant
pas sa raison d’être déterminée, n’est le résultat naturel
d’aucune chose; car ce qui est contre nature ne dérive pas de la
nature, comme l’irrégularité n’a pas sa raison dans la règle.
Est-ce donc que l’âme est cause du mal, comme le feu est
cause de la chaleur, et qu’elle emplit de sa malice les substances
auxquelles elle s’allie? Ou originairement douée d’une nature bonne,
ses opérations seraient-elles tantôt bonnes et tantôt mauvaises?
Or, si l’âme est naturellement mauvaise, alors d’où vient sa
substance ?
Est-ce du principe souverainement bon qui a créé tous
les êtres?
Mais, en ce cas, comment peut-elle être essentiellement mauvaise, puisque la cause suprême ne produit que des œuvres bonnes? Si au contraire l’âme est mauvaise dans ses actions, du moins ce n’est pas toujours : autrement et si elle n’était créée conforme au bien, d’où lui viendrait la vertu?
Reste donc à conclure que le mal est faiblesse et
défection dans le bien. »
Même les démons cherchent, paradoxalement, le
bien :
« Le mal donc n’est point un être, et ne subsiste
dans aucun être. Le mal, en tant que mal, n’est nulle part, et quand
il se produit, ce n’est pas comme résultat d’une force, mais d’une
infirmité.
Ainsi l’existence des démons est chose bonne, et elle
procède du bien; le mal pour eux consiste en ce qu’ils sont déchus
de leur destination propre, qu’ils n’ont pas su se tenir immuables
dans leur état originel, ni garder dans son intégrité la
perfection angélique qui leur était départie.
Les démons recherchent le bien quand ils désirent
l’être, la vie, l’intelligence; et quand ils ne désirent pas le
bien, ils recherchent ce qui n’est pas : ce n’est point là
proprement un désir, c’est plutôt le néant du désir véritable. »
La lecture panthéiste-matérialiste est ainsi littéralement plombé par la vision du bien relevant de Dieu, hors la matière. On voit néanmoins très bien que la religion ne saurait se placer uniquement en-dehors de la réalité ; s’il n’y avait pas une profonde dimension matérielle, elle n’aurait eu aucune réalité historique.
Le grand souci de l’approche de Pseudo-Denys
l’Aréopagite, par rapport à la nature même de la religion, est que
le principe d’incarnation utilisée afin de christianiser le
néo-platonisme aboutit, de manière inévitable à une divinisation
de l’être humain.
D’un côté, cette divinisation est reportée à la fin des temps, à la résurrection:
« Quand nous serons devenus incorruptibles et
immortels, et que le Christ nous aura associés à sa félicité
glorieuse, alors, comme il est écrit, nous habiterons éternellement
avec le Seigneur, admis à la chaste contemplation de sa sainte
humanité, il nous inondera des torrents de sa splendide lumière,
comme il arriva aux disciples dans le mystère de la transfiguration
;
également il fera luire ses clartés intelligibles sur
notre âme dégagée alors de la matière et des passions, et parmi
les douceurs d’une inconcevable union, elle s’enivrera des rayons
épanouis de ce merveilleux soleil à peu près comme les célestes
intelligences;
car, ainsi que dit la parole de vérité, nous serons
semblables aux anges et enfants de Dieu, puisque nous serons enfants
de la résurrection. »
Mais de l’autre côté, le principe même
d’incarnation implique que Dieu soit présent partout :
« Il habite les cœurs, les esprits et les corps,
le ciel et la terre; constamment immuable, il est dans le monde,
autour du monde, par delà le monde, par delà les cieux, par delà
toute substance; il est soleil, étoile, feu et eau, vent, rosée et
nuage, pierre angulaire et rocher; il est tout ce qui est, et n’est
rien de ce qui est. »
Par conséquent, on trouve une tendance à
l’esthétisation : puisque Dieu est partout, alors la création
elle-même tend au bon (comme dans le néo-platonisme), mais même
incarne le bon, au moins de manière relative.
« Le bon et le beau, essentielle unité, est donc
la cause générale de toutes les choses belles et bonnes.
De là vient la nature et la subsistance des êtres; de
là leur unité et distinction, leur identité et diversité, leur
similitude et dissemblance; de là les contraires s’allient, les
éléments se mêlent sans se confondre; de là les choses plus
élevées protègent celles qui le sont moins, les égales
s’harmonisent, les inférieures se subordonnent aux supérieures, et
ainsi toutes se maintiennent par une immuable persistance en leur
condition originelle. »
Oeuvres du Pseudo-Denys l’Aréopagite, 1556
Pseudo-Denys l’Aréopagite porte véritablement l’accent dessus : le monde est organisé, par l’amour qui vient de Dieu :
« Voilà pourquoi le beau et le bon est pour tous
les êtres un objet de désir, d’appétence et d’amour : par lui et
en vue de lui, dans l’effusion d’un mutuel amour, les inférieurs
aspirent vers les supérieurs, les semblables s’entre-communiquent,
les plus excellents s’inclinent vers de moins nobles; tous se
maintiennent avec amour dans l’existence, et ce qu’ils font et
veulent, ils le fout et le veulent par amour du bon et du beau.
Même nous pouvons dire, en restant dans la vérité, que
la cause universelle, parla surabondance de sa tendresse, aime,
produit, perfectionne, conserve et dirige toutes choses, et que le
divin amour est bonté en lui-même, dans sa source et dans son objet
: car ce sublime artisan de tout ce qu’il y a de bon dans les êtres,
éternel comme la bonté où il réside excellemment, ne la laissa
point dans une oisive fécondité, mais lui persuada d’exercer cette
puissance merveilleuse qui a produit l’univers. »
On aboutit à une lecture pratiquement panthéiste,
esthétisant le monde comme lieu d’amour potentiellement universel.
L’expression du besoin naturel de communisme est ici patent et on
comprend la portée historique du christianisme, ce qu’il représente
à l’époque :
« Le beau et le bon est pour tous les êtres un
objet de désir, d’appétence et d’amour : par lui et en vue de lui,
dans l’effusion d’un mutuel amour, les inférieurs aspirent vers les
supérieurs, les semblables s’entre-communiquent, les plus excellents
s’inclinent vers de moins nobles; tous se maintiennent avec amour
dans l’existence, et ce qu’ils font et veulent, ils le fout et le
veulent par amour du bon et du beau.
Même nous pouvons dire, en restant dans la vérité, que
la cause universelle, parla surabondance de sa tendresse, aime,
produit, perfectionne, conserve et dirige toutes choses, et que le
divin amour est bonté en lui-même, dans sa source et dans son objet
: car ce sublime artisan de tout ce qu’il y a de bon dans les êtres,
éternel comme la bonté où il réside excellemment, ne la laissa
point dans une oisive fécondité, mais lui persuada d’exercer cette
puissance merveilleuse qui a produit l’univers. »
L’irrationalisme a ainsi un sens apparemment
justifié : celui de permettre l’accès à l’ordre cosmique lui-même,
devenu bon par rapport à la terreur hiérarchisée due l’univers mis
en avant idéologiquement, religieusement, socialement par le système
esclavagiste.
« La saine raison apprend que c’est à cause des
sens qu’on se sert de lettres, de syllabes, de mots, d’écriture et
de parole; tellement que les sens et les choses sensibles sont de
trop lorsque l’âme s’applique aux choses intelligibles par
l’entendement pur; comme aussi la puissance intellectuelle devient
elle-même inutile, lorsque l’âme divinisée se précipite, par une
sorte d’aveugle course, et par le mystère d’une inconcevable
union, dans les splendeurs de la lumière inaccessible.
Mais si la pensée essaie de s’élever à la
contemplation de la vérité, par le moyen des choses matérielles,
assurément il faut préférer celles qui se présentent aux sens
avec une évidence plus frappante, comme les paroles les plus
claires, les objets les plus connus; car, si les sens ne sont
éveillés que par une vague image, ils ne peuvent transmettre à
l’esprit qu’une notion obscure.
Mais afin qu’on ne s’imagine pas que, par cette
explication, nous faussons les Écritures, citons-les à ceux qui
nous blâment d’avoir nommé l’amour : « Aime la sagesse, est-il
dit, et elle te conservera ; environne-la, et elle t’élèvera ;
honore-la, afin qu’elle t’embrasse. » (Proverbes) Et il y a une
foule d’autres passages où les divins oracles parlent d’amour. »
On comprend pourquoi cette dimension a, historiquement, porté une dimension explosive, tendant au matérialisme panthéiste, présentant un danger terrible inhérent au christianisme.
Pour mieux saisir la démarche de Pseudo-Denys
l’Aréopagite, si capitale pour le christianisme, revenons sur les
points essentiels. Le premier est que selon lui, il faut une
hiérarchie spirituelle sur Terre imitant ce qu’il y a dans les
cieux.
De la même manière que depuis Dieu,
l’illumination tombe en cascade sur les anges selon leur hiérarchie,
l’Église fait ruisseler sur Terre le message divin :
« La perfection des membres de la hiérarchie est
de s’approcher de Dieu par une courageuse imitation, et, ce qui est
plus sublime encore, de se rendre ses coopérateurs, comme dit la
parole sainte, et de faire éclater en eux, selon leur force propre,
les merveilles de l’action divine.
C’est pourquoi l’ordre hiérarchique étant que les uns
soient purifiés et que les autres purifient; que les uns soient
illuminés et que les autres illuminent; que les uns soient
perfectionnés et que les autres perfectionnent ;
il s’ensuit que chacun aura son mode d’imiter Dieu.
Car cette bienheureuse nature, si l’on me permet une si
terrestre locution, est absolument pure et sans mélange, pleine
d’une éternelle lumière, et si parfaite qu’elle exclut tout défaut
;
elle purifie, illumine et perfectionne ;
que dis-je? Elle est pureté, lumière et perfection
même, au-dessus de tout ce qui est pur, lumineux et parfait ;
principe essentiel de tout bien, origine de toute
hiérarchie, surpassant même toute chose sacrée par son excellence
infinie. »
A ce titre, l’illumination est un processus
mystique et les rituels les plus sacrés sont réservés aux initiés,
les autres devant être mis à l’écart.
Voici une consigne donnée par Pseudo-Denys
l’Aréopagite :
« Quant aux catéchumènes, aux énergumènes, aux
pénitents, la loi de notre hiérarchie leur permet bien d’entendre
le chant des cantiques et la lecture des saintes Lettres; mais elle
les exclut du sacrifice et de la vue des choses saintes, que l’œil
pur des parfaits doit seul contempler.
Car, reflet de Dieu, et remplie d’une souveraine équité,
la hiérarchie, se réglant avec un pieux discernement sur le mérite
des sujets, les appelle à la participation des dons divins chacun en
son temps et dans la proportion convenable.
Or, les catéchumènes ne sont qu’au dernier rang ; car
jusqu’alors ils n’ont reçu aucun sacrement, et ne sont point élevés
à ce divin état que donne la naissance spirituelle; mais ils sont
encore portés, pour ainsi dire, dans les entrailles de ceux qui les
instruisent; là, leur organisation se forme et se parfait, tant
qu’enfin arrive cet heureux enfantement qui leur communique vie et
lumière. »
L’approche est résolument mystique :
« Dieu habite le sanctuaire d’une lumière
inaccessible. Il est à lui-même son propre spectacle; mais le
regard de la créature ne supporterait pas l’excès de ces éternelles
splendeurs : dans cette vie surtout, l’homme ne peut contempler la
divinité qu’en énigme et à travers un voile. »
Par conséquent, il faut rejeter la science et la
raison :
« Les choses les plus divines et les plus élevées
qu’il nous soit donné de voir et de connaître sont, en quelque
sorte, l’expression symbolique de tout ce que renferme la souveraine
nature de Dieu : expression qui nous révèle la présence de celui
qui échappe à toute pensée et qui siège par delà les hauteurs du
céleste séjour.
Alors, délivrée du monde sensible et du monde
intellectuel, l’âme entre dans la mystérieuse obscurité d’une
sainte ignorance, et, renonçant à toute donnée scientifique, elle
se perd en celui qui ne peut être ni vu ni saisi; tout entière à
ce souverain objet, sans appartenir à elle-même ni à d’autres;
unie à l’inconnu par la plus noble portion d’elle-même, et en
raison de son renoncement à la science; enfin puisant dans cette
ignorance absolue une connaissance que l’entendement ne saurait
conquérir. »
L’approche mystique étant difficile, il faut par
conséquent que tout soit marqué du sceau du secret, seuls les
initiés ayant le droit d’accéder aux informations divines :
« Pour vous, mon fils, selon la loi sacrée de la
tradition sacerdotale, recevez avec de saintes dispositions des
paroles saintes; devenez divin par cette initiation aux choses
divines;
cachez au fond de votre cœur les mystères de. ces
doctrines d’unité, et ne les livrez pas aux profanations de la
multitude.
Car, comme disent les oracles, il ne faut pas jeter aux
pourceaux l’éclat si pur et la beauté si splendide des perles
spirituelles. »
Or, ce qu’il découle inévitablement de tout
cela, c’est que l’être humain relève de la création divine et que
par conséquent, il porte une dignité lui-même, il porte lui-même
l’illumination. La créature créée devient elle-même divine…
« Il est la lumière des illuminés, la sainteté
des parfaits.
C’est en sa divinité que les créatures se divinisent,
en sa simplicité qu’elles se simplifient, en son unité qu’elles
atteignent l’unité elles-mêmes. Il est le principe radical et
suréminent de tout principe; il manifeste le secret de sa perfection
avec une sage bonté. En un mot, il est la vie de ce qui vit,
l’essence de ce qui est, le principe et la cause de toute vie, de
toute existence, par la fécondité de son amour qui a produit et qui
conserve les créatures. »
Il y a ici une dynamique indirecte d’une portée essentielle pour le christianisme.
Naturellement, la
combinaison néo-platonisme – christianisme pose
un problème : si le néo-platonisme est magique et de type
symbolique, la Bible s’appuyant sur l’incarnation ne cesse d’employer
des expressions très concrètes, des images tout à fait bien
définies.
Pour cette raison, Pseudo-Denys l’Aréopagite a
été obligé de nier que ce qui est raconté dans la Bible doit être
interprété de manière littérale ; il s’agit uniquement
de symboles, car l’humanité ne peut pas comprendre des vérités la
dépassant.
Toutes les images dans la Bible ne seraient que
des symboles, nullement à prendre au pied de la lettre.
Cela veut dire que Pseudo-Denys l’Aréopagite
fait de la Bible une œuvre entièrement sujette à interprétation,
où tout serait codé, à interpréter de manière mystique.
Et il faut bien avoir une méthode
d’interprétation de ces symboles et de ces formes intermédiaires
: voilà pourquoi Pseudo-Denys l’Aréopagite soutient la thèse de
la hiérarchisation pour trouver une solution viable.
Voici un exemple de comment il interprète le
symbole du feu qu’on trouve dans la Bible.
« Au début de nos interprétations mystiques,
cherchons pourquoi, parmi tous les symboles, la théologie choisit
avec une sorte de prédilection le symbole du feu.
Car, comme vous pouvez savoir, elle nous représente des
roues ardentes, des animaux tout de flamme, des hommes qui
ressemblent à de brûlants éclairs; elle nous montre les célestes
essences entourées de brasiers consumants, et de fleuves qui roulent
des flots de feu avec une bruyante rapidité.
Dans son langage, les trônes sont de feu; les augustes
séraphins sont embrasés, d’après la signification de leur nom
même, et ils échauffent et dévorent comme le feu ;
enfin, au plus haut comme au plus bas degré de l’être,
revient toujours le glorieux symbole du feu.
Pour moi, j’estime que cette figure exprime une certaine
conformité des anges avec la divinité;
car chez les théologiens l’essence suprême, pure et
sans forme, nous est souvent dépeinte sous l’image du feu, qui a,
dans ses propriétés sensibles, si on peut le dire, comme une
obscure ressemblance avec la nature divine.
Car le feu matériel est répandu partout, et il se mêle,
sans se confondre, avec tous les éléments dont il reste toujours
éminemment distingué; éclatant de sa nature, il est cependant
caché, et sa présence ne se manifeste qu’autant qu’il trouve
matière à son activité;
violent et invisible, il dompte tout par sa force propre,
et s’assimile énergiquement ce qu’il a saisi; il se communique aux
objets et les modifie, en raison directe de leur proximité;
il renouvelle toutes choses par sa vivifiante chaleur, et
brille d’une lumière inextinguible;
toujours indompté, inaltérable, il discerne sa proie,
nul changement ne l’atteint, il s’élève vers les cieux, et, par la
rapidité de sa fuite, semble vouloir échapper à tout
asservissement;
doué d’une activité constante, les choses sensibles
reçoivent de lui le mouvement; il enveloppe ce qu’il dévore et ne
s’en laisse point envelopper; il n’est point un accident des autres
substances; ses envahissements sont lents et insensibles, et ses
splendeurs éclatent dans les corps auxquels il s’est pris : il est
impétueux et fort, présent à tout d’une façon inaperçue; qu’on
l’abandonne à son repos, il semble anéanti ;
mais qu’on le réveille, pour ainsi dire, par le choc, à
l’instant il se dégage de sa prison naturelle, et rayonne et se
précipite dans les airs, et se communique libéralement, sans
s’appauvrir jamais.
On pourrait signaler encore de nombreuses propriétés du
feu, lesquelles sont comme un emblème matériel des opérations
divines.
C’est donc en raison de ces rapports connus que la
théologie désigne sous l’image du feu les natures célestes :
enseignant ainsi leur ressemblance avec Dieu, et les efforts qu’elles
font pour l’imiter. »
Voici comment ils parlent des parties du corps
humain, les interprétant de manière symbolique :
« On peut encore, à mon avis, emprunter aux diverses parties du corps humain des images qui représentent assez fidèlement les esprits angéliques.
Ainsi l’organe de la vue indique avec quelle profonde intelligence les habitants des cieux contemplent les secrets éternels, et avec quelle docilité, avec quelle tranquillité suave, avec quelle rapide intuition, ils reçoivent la limpidité si pure et la douce abondance des lumières divines.
Le sens si délicat de l’odorat symbolise la faculté qu’ils ont de savourer la bonne odeur des choses qui dépassent l’entendement, de discerner avec sagacité et de fuir avec horreur tout ce qui n’exhale pas ce sublime parfum.
L’ouïe rappelle qu’il leur est donné de participer avec une admirable science au bienfait de l’inspiration divine.
Le goût montre qu’ils se rassasient des nourritures spirituelles et se désaltèrent dans des torrents d’ineffables délices.
Le tact est l’emblème de leur habileté à distinguer ce qui leur convient naturellement de ce qui pourrait leur nuire.
Les paupières et les sourcils désignent leur fidélité à garder les saintes notions qu’ils ont acquises.
L’adolescence et la jeunesse figurent la vigueur toujours nouvelle de leur vie, et les dents, la puissance de diviser, pour ainsi dire, en fragments la nourriture intelligible qui leur est donnée; car tout esprit, par une sage providence, décompose la notion simple qu’il a reçue des puissances supérieures, et la transmet ainsi partagée à ses inférieurs, selon leur disposition respective à cette initiation.
Les épaules, les bras et les mains marquent la force qu’ont les esprits d’agir et d’exécuter leurs entreprises.
Par le cœur, il faut entendre leur vie divine qui va se communiquant avec douce effusion sur les choses confiées à leur protectrice influence; et par la poitrine, cette mâle énergie qui faisant la garde autour du cœur maintient sa vertu invincible.
Les reins sont l’emblème de la puissante fécondité des célestes intelligences.
Les pieds sont l’image de leur vive agilité, et de cet impétueux et éternel mouvement qui les emporte vers les choses divines; c’est même, pour cela que la théologie nous les a représentées avec des ailes aux pieds.
Car les ailes sont une heureuse image de la rapide course, de cet essor céleste qui les précipite sans cesse plus haut, et les dégage si parfaitement de toute vile affection. La légèreté des ailes montre que ces sublimes natures n’ont rien de terrestre, et que nulle corruption n’appesantit leur marche vers les cieux.
La nudité en général, et en particulier la nudité des pieds, fait comprendre que leur activité n’est pas comprimée, qu’elles sont pleinement libres d’entraves extérieures, et qu’elles s’efforcent d’imiter la simplicité qui est en Dieu.
Mais puisque, dans l’unité de son but et la diversité de ses moyens, la divine sagesse donne des vêtements aux esprits, et arme leurs mains d’instruments divers, expliquons encore, du mieux possible, ce que désignent ces nouveaux emblèmes.
Je pense donc que le vêtement radieux et tout de feu figure la conformité des anges avec la divinité, par suite de la signification symbolique du feu, et la vertu qu’ils ont d’illuminer, précisément parce que leur héritage est dans les cieux, doux pays de la lumière; et enfin leur capacité de recevoir et leur faculté de transmettre la lumière purement intelligible.
La robe sacerdotale enseigne qu’ils initient à la contemplation des mystères célestes, et que leur existence est tout entière consacrée à Dieu.
La ceinture signifie qu’ils veillent à là conservation de leur fécondité spirituelle, et que recueillant fidèlement en eux-mêmes leurs puissances diverses, ils les retiennent par une sorte de lien merveilleux dans un état d’identité immuable.
Les baguettes qu’ils portent sont une figure de leur royale autorité, et de la rectitude avec laquelle ils exécutent toutes choses.
Les lances et les haches expriment la faculté qu’ils ont de discerner les contraires, et la sagacité, la vivacité et la puissance de ce discernement.
Les instruments de géométrie et des différents arts montrent qu’ils savent fonder, édifier, et achever leurs œuvres, et qu’ils possèdent toutes les vertus de cette providence secondaire qui appelle et conduit à leur fin les natures inférieures. »
Ἀρχαία ἑλληνικὴ: Dionysiou Ta Sozomena Panta, 1756
Pareillement, les « vents » sont interprétés comme le symbole d’agilité extrême, de rapidité ; voici également comment Pseudo-Denys l’Aréopagite explique les comparaisons faites au sujet des anges :
« D’autres fois les anges sont dits apparaître
comme l’airain, l’électre, ou quelque pierre de diverses couleurs.
L’électre, métal composé d’or et d’argent, figure, à
raison de la première de ces substances, une splendeur
incorruptible, et qui garde inaltérablement sa pureté non souillée;
et à cause de la seconde, une sorte de clarté douce et céleste.
L’airain, d’après tout ce qu’on a vu, pourrait être
assimilé soit au feu, soit à l’or même.
La signification symbolique des pierres sera différente,
selon la variété de leurs couleurs; ainsi les blanches rappellent
la lumière; les rouges, le feu; les jaunes, l’éclat de l’or; les
vertes, la vigueur de la jeunesse.
Chaque forme aura donc son sens caché, et sera le type
sensible d’une réalité mystérieuse. »
Voici l’explication au sujet de l’huile :
« Nous disons d’abord que cette huile se compose
par le mélange de diverses substances aromatiques, possédant les
propriétés des plus riches parfums, tellement que ceux qu’elle
louche sont embaumés, à proportion de la quantité qui leur en fut
départie. Or, nous savons que le très divin
Jésus est suavité merveilleuse, et qu’il inonde
invisiblement nos âmes des torrents de ses saintes voluptés.
Et si les senteurs matérielles flattent, et en quelque
sorte nourrissent agréablement notre odorat, pourvu qu’il soit sain
alors et qu’il se présente convenablement à l’action du parfum, on
peut assurément dire la même chose de notre discernement spirituel
: car si les facultés de notre âme ne sont pas corrompues, ni
inclinées vers le mal, elles percevront les célestes parfums, se
rempliront d’une sainte suavité et d’un surnaturel aliment, selon la
mesure de l’opération divine, et en raison de notre fidélité à
lui correspondre.
Ainsi donc la composition mystique de l’huile sainte,
autant que le grossier symbole peut exprimer la réalité invisible,
nous représente que Jésus-Christ, source abondante d’où émanent
les parfums surnaturels, exhale sa bonne odeur, dans des proportions
d’infinie sagesse, sur les esprits qui lui sont plus conformes ; de
sorte que l’âme, dans le transport d’une joie douce et enivrée du
bienfait divin, se nourrit d’aliments célestes qu’elle puise dans
les délicieuses communications de la divinité. »
Voici l’explication des symboles pour
quelques animaux :
« La forme d’aigle rappelle leur royale élévation
et leur agilité, l’impétuosité qui les emporte sur la proie dont
se nourrissent leurs facultés sacrées, leur attention à la
découvrir et leur facilité à l’étreindre, et surtout cette
puissance de regard qui leur permet de contempler hardiment et de
fixer sans fatigue leurs regards sur les splendides et éblouissantes
clartés du soleil divin.
Le cheval est l’emblème de la docilité et de
l’obéissance; sa couleur est également significative : blanc, il
figure cet éclat des anges qui les rapproche de la splendeur incréée
; bai, il exprime l’obscurité des divins mystères; alezan, il
rappelle la dévorante ardeur du feu ; marqué de blanc et de noir,
il symbolise la faculté de mettre en rapport et de concilier
ensemble les extrêmes, d’incliner sagement le supérieur vers
l’inférieur, et d’appeler ce qui est moins parfait à s’unir avec ce
qui est plus élevé. »
Evidemment, l’explication des symboles forme une
doctrine secrète :
« Or, nos premiers chefs dans la hiérarchie,
pleins des grâces célestes dont Dieu bienfaisant les avait comblés,
reçurent de l’adorable Providence la mission d’en faire part à
d’autres, et puisèrent eux-mêmes dans leur sainteté le généreux
désir d’élever à la perfection et de déifier leurs frères.
Pour cela, et selon de saintes ordonnances, et en des
enseignements écrits et non écrits, ils nous firent entendre par
des images sensibles ce qui est céleste, par la variété et la
multiplicité ce qui est parfaitement un, par les choses humaines ce
qui est divin, par la matière ce qui est incorporel, et par ce qui
nous est familier les secrets du monde supérieur.
Ils agirent ainsi d’abord à cause des profanes qui ne
doivent pas même toucher les signes de nos mystères, et ensuite
parce que notre hiérarchie, se proportionnant à la nature humaine,
est toute symbolique, et qu’il lui faut des figures matérielles pour
nous élever mieux aux choses intelligibles.
Toutefois la raison des divers symboles n’est pas
inconnue aux hiérarques, mais ils ne peuvent la révéler à
quiconque n’a point encore reçu l’initiation parfaite; car ils
savent qu’en réglant nos mystères d’après la tradition divine, les
apôtres ont divisé la hiérarchie en ordres fixes et inviolables et
en fonctions sacrées qui se confèrent d’après le mérite de
chacun. »
Cette approche explique pourquoi les symboles jouent un rôle si grand dans l’Église catholique : ils sont également porteurs d’une pseudo-charge mystique. Le mouvement artistique du XIXe siècle appelé le symbolisme n’est qu’une variante néo-platonicienne de cette approche catholique, ayant comme base idéologique Emanuel Swedenborg et son mouvement religieux des Rose-Croix.
Le problème de l’approche de Pseudo-Denys
l’Aréopagite est qu’il est obligé de pratiquer la fuite en avant,
afin de maintenir l’équilibre entre un Dieu inaccessible et
indéfinissable (comme chez Plotin) et une religiosité mystique
(comme chez Proclus). Il est obligé, par conséquent, de renforcer
le principe de l’incarnation.
Ainsi, la combinaison de l’esprit initiatique et
de la théologie négative aboutit à une démarche insistant
grandement sur la symbolique. Il s’agit en effet d’imiter les formes
divines. Ce passage témoigne bien de l’approche globale qui est
faite :
« On donne au nouveau chrétien des habits d’une
éclatante blancheur ; car échappant par une ferme et divine
constance aux attaques des passions, et aspirant avec ardeur à
l’unité, ce qu’il avait de déréglé rentre dans l’ordre, ce qu’il
avait de défectueux s’embellit, et il resplendit de toute la lumière
d’une pure et sainte vie. »
On retrouve par conséquent ce qui est au cœur de
l’Église catholique : la figure du grand initié, qui est le grand
maître des cérémonies, la clef de voûte de la hiérarchie
spirituelle sur Terre qui reproduit la hiérarchie céleste.
À l’incarnation divine terrestre de
Jésus, Pseudo-Denys l’Aréopagite a dû ajouter, comme tout
le catholicisme, une incarnation terrestre divine, celle du pape.
La figure de la Vierge Marie joue un rôle capital
dans ce dispositif, parce qu’elle justifie la possibilité d’une
figure terrestre divine. Le catholicisme ne peut que, historiquement,
toujours davantage renforcer l’importance de la Vierge Marie.
Chez Pseudo-Denys l’Aréopagite, on a fort
logiquement ce système où la fuite en avant pour maintenir
l’équilibre Dieu inaccessible / mystique organisée exige une forme
concrète, un portail vers l’au-delà.
Le grand initié, le pape, l’évêque, etc. joue
le rôle de vecteur suprême sur Terre. Voici un passage
où Pseudo-Denys l’Aréopagite raconte son rôle dans une
cérémonie :
« Le pontife alors lui apprend que Dieu très pur
et infiniment parfait veut qu’on se donne à lui complètement et
sans réserve; et exposant les préceptes qui règlent la vie
chrétienne, il l’interroge sur sa volonté de les suivre.
Après la réponse affirmative du postulant, le pontife
lui pose la main sur la tête, le munit du signe de la croix, et
ordonne aux prêtres d’enregistrer les noms du filleul et du parrain.
Après cette formalité, une sainte prière commence;
quand l’Église entière avec son pontife l’a terminée, les diacres
délient la ceinture et ôtent le vêtement du catéchumène.
L’hiérarque le place en face de l’occident, les mains
dressées en signe d’anathème contre cette région de ténèbres, et
lui ordonne de souffler sur Satan par trois fois, et de prononcer les
paroles d’abjuration.
Trois fois le pontife les proclame, trois fois le futur
initié les répète.
Alors le pontife le tourne vers l’orient, lui faisant
lever au ciel les yeux et les mains, et lui commande de s’enrôler
sous l’étendard du Christ et d’adhérer aux enseignements sacrés
qui nous sont venus de Dieu. »
A côté de cette figure religieuse suprême qui
est une représentation symbolique de la hiérarchie, il faut bien
entendu un moment mystique où l’incarnation se reproduit.
C’est naturellement de l’Eucharistie qu’il s’agit,
ce moment clef où le pain et le vin symbolisent de manière mystique
et donc concrète le sacrifice de Jésus.
Ce moment est vital pour l’Église catholique, car
il imite justement un moment donnant le sens même à la communauté
religieuse, qui vit par le Christ. On sait que le protestantisme va
précisément attaquer cette lecture mystique, qui justifie de par sa
portée l’existence sur Terre d’une hiérarchie parallèle à celle
dans les cieux.
Voici un long passage où Pseudo-Denys
l’Aréopagite en parle et où il insiste grandement sur le fait que
la célébration possède une grande dimension élitiste. C’est
essentiel car, tout comme l’existence du pape est vitale de par
la hiérarchie, la cérémonie du pain et du vin est intouchable, car
elle possède une dimension capitale : celle de l’incarnation
permettant de donner un sens réel à un discours magico-mystique
puisée dans le néo-platonisme.
Si on ne voit pas cela, on ne comprend pas
pourquoi l’Église catholique a catégoriquement refusé de remettre
en cause tant le pape que la cérémonie de l’Eucharistie : il y a
ici une portée mystique capitale pour elle.
La focalisation sur ces deux aspects par
le protestantisme ne doit rien au hasard. Le maintien de
ces deux aspects est le maintien de la prétention du catholicisme à
être un portail réel avec les cieux.
Voici ce que dit Pseudo-Denys l’Aréopagite sur
la hiérarchie et la nécessité de la maintenir fermement, en
fermant les accès, en maintenant l’initiation, etc. :
« Or, ceux qui ont fermé l’oreille à la trompette
évangélique ne doivent pas même contempler les symboles de nos
sacrés mystères, puisqu’ils ont dédaigné de recevoir le salutaire
sacrement de la régénération divine, opposant aux paroles saintes
ce lamentable refus : je ne veux pas connaître vos voies.
Quant aux catéchumènes, aux énergumènes, aux
pénitents, la loi de notre hiérarchie leur permet bien d’entendre
le chant des cantiques et la lecture des saintes Lettres; mais elle
les exclut du sacrifice et de la vue des choses saintes, que l’œil
pur des parfaits doit seul contempler.
Car, reflet de Dieu, et remplie d’une souveraine équité,
la hiérarchie, se réglant avec un pieux discernement sur le mérite
des sujets, les appelle à la participation des dons divins chacun en
son temps et dans la proportion convenable.
Or, les catéchumènes ne sont qu’au dernier rang ; car
jusqu’alors ils n’ont reçu aucun sacrement, et ne sont point élevés
à ce divin état que donne la naissance spirituelle; mais ils sont
encore portés, pour ainsi dire, dans les entrailles de ceux qui les
instruisent; là, leur organisation se forme et se parfait, tant
qu’enfin arrive cet heureux enfantement qui leur communique vie et
lumière.
De même que dans l’ordre naturel, si le fruit encore
imparfait et informe échappe avant le temps à sa prison de chair,
et si, triste avorton, il est précipité à terre sans connaissance,
pour ainsi dire, sans vie, sans lumière, personne assurément ne
jugera ici d’après la seule apparence; personne ne dira que cet
enfant est venu au jour, parce qu’il est sorti des ténèbres du sein
maternel : car, comme enseigne la médecine si versée dans la
science de notre organisme, la lumière tombe en vain sur les sujets
qui ne peuvent la recevoir.
Ainsi, dans les choses sacrées, la science sacerdotale
façonne d’abord et prépare à la vie les catéchumènes par
l’aliment des Écritures, et voilà la conception spirituelle : puis
elle les porte jusqu’au temps de l’enfantement divin, et alors elle
leur communique les dons salutaires de la lumière et de la
perfection.
C’est donc pour cela qu’elle éloigne les imparfaits des
choses parfaites, veillant ainsi au respect des mystères et
environnant des soins prescrits par la hiérarchie la génération et
l’enfantement des catéchumènes.
La foule des énergumènes est traitée comme immonde
aussi; toutefois elle tient le second rang, et ainsi précède les
catéchumènes qui sont les derniers.
Car je ne pense pas qu’il faille mettre sur la même
ligne ceux qui ne furent point initiés, qui demeurent encore
étrangers aux choses saintes, et ceux qui, ayant déjà participé à
quelque sacrement, se débattent encore sous le joug des voluptés de
la chair et des passions de l’esprit; bien qu’on refuse à ceux-ci
l’honneur de contempler et de recevoir les sacrés mystères, et cela
pour une haute raison.
Effectivement l’homme vraiment divin et digne de
participer aux choses divines, et qui, se transformant par les
pratiques de la perfection, s’élève jusqu’à la plus haute
conformité qu’il puisse avoir avec Dieu ; l’homme qui ne s’occupe de
sa chair, que quand la nature l’exige et comme en passant, et qui,
temple et compagnon fidèle du Saint-Esprit, s’applique de tous ses
efforts à lui ressembler, préparante ce qui est divin une demeure
divine : cet homme, dis-je, ne sera jamais tourmenté par les
illusions et les terreurs diaboliques ; au contraire il s’en rira, il
repoussera leur attaque; plus actif que passif vis-à-vis d’elles, il
les poursuivra victorieusement, et, par la force de son courage
inaccessible aux passions, il délivrera ses frères de l’influence
des malins esprits.
Aussi je pense, ou mieux je suis parfaitement convaincu
que nos hiérarques, dans leur sagesse consommée, regardent comme
soumis à la plus désastreuse des possessions, ceux qui, apostats de
la vie divine, se rangent aux sentiments et, habitudes des démons,
et qui, victimes de leur folie extrême, se détournent des seuls
vrais biens, des biens impérissables et éternellement doux, pour
ambitionner et conquérir je ne sais quoi de matériel, plein
d’instabilité et de troubles immenses, des plaisirs hideux et
corrupteurs, et pour demander à des choses fugitives et étrangères
quelque joie apparente, mais non pas réelle.
C’est pourquoi la réprobation du ministre chargé de
faire le discernement tombe d’abord et spécialement sur ceux-ci,
plutôt que sur les énergumènes; car il ne convient pas qu’il leur
soit rien communiqué des choses saintes, si ce n’est la doctrine des
Écritures, qui peut les ramener à de meilleurs sentiments.
Et en effet, si l’auguste mystère qui se célèbre,
accessible seulement à ce qui est pur et saint, repousse les
pénitents qui cependant y ont déjà participé: s’il prononce que,
dans sa sublimité, il ne doit être ni contemplé, ni reçu par ceux
que l’imperfection empêche encore de s’élever jusqu’à la hauteur
de la divine ressemblance (car cette parole très pure frappe
quiconque ne peut s’unir aux hommes jugés dignes de la communion); à
plus forte raison, cette multitude que tourmentent les passions
mauvaises sera estimée profane, sera privée de la vue et de la
réception des choses saintes.
Quand donc on aura exclu du temple et du sacrifice dont
ils sont indignes, et ceux qui n’ont pas encore été appelés à la
grâce de l’initiation, et ensuite les transfuges de la vertu, et
puis ceux qui se laissent aller mollement aux frayeurs et illusions
des démons ennemis, n’ayant pas encore atteint l’efficace et
inébranlable vertu de l’état divin par une ferme et constante
application aux choses du ciel ; et ceux qui, sortis de la vie du
péché, en conservent les impures imaginations, parce qu’ils n’ont
pas encore contracté l’habitude du saint et divin amour; et enfin
ceux qui ne sont pas réunis parfaitement à l’unité et auxquels,
pour employer les termes de la loi, il reste encore quelque tache,
quelque souillure : après cela, dis-je, les ministres sacrés et les
pieux assistants contemplent avec respect le mystère sacré, et
dans une commune louange, célèbrent le souverain auteur et
distributeur de tout bien, par lequel nous furent accordés ces
sacrements salutaires qui opèrent la sainteté et la déification
des initiés.
Ce cantique, les uns l’appellent hymne de louange, les
autres, symbole de la religion; on l’a nommé plus divinement, selon
moi, très sainte Eucharistie ou action de grâces, parce qu’elle
renferme tous les dons que Dieu a fait descendre sur nous. »
On a ici la clef de voûte du système religieux catholique (et orthodoxe).
Le souci de la dimension initiatique est qu’il est
nécessaire de la justifier, surtout que le message de Jésus est
universel. Comment combiner un message universel avec une démarche
hiérarchisée et sélective, non universaliste ?
Pseudo-Denys l’Aréopagite se voit obliger de
justifier le clergé en se fondant sur le principe de Proclus :
l’illumination ne touche pas tout le monde pareillement, il faut une
purification qui est un cheminement avec plusieurs étapes, selon les
« forces » spirituelles qu’on est capable de mettre en
branle.
Mais en ce qui concerne le divin, Pseudo-Denys
l’Aréopagite prolonge la perspective de Plotin, au point de ne
même plus définir Dieu autrement que par la négative.
Ce qui caractérise le discours de Pseudo-Denys
l’Aréopagite, c’est ainsi un lyrisme rempli de paradoxes, d’éloge
de la non-connaissance, exprimés parfois de manière pratiquement
provocatrice, comme lorsqu’il dit :
« Nous osons tout nier de Dieu, afin de pénétrer
dans cette sublime ignorance. »
Pseudo-Denys l’Aréopagite n’a, en fait, pas le
choix. Le seul moyen de justifier la hiérarchie sur Terre, qui
contredit l’appel universaliste de Jésus mais qui reflète de
manière matérialiste la société terrestre hiérarchisée malgré
l’effondrement de l’esclavagisme, c’est de faire de Dieu une entité
indéfinissable.
Voici comment, conformément à la « théologie
négative » qu’il inaugure en pratique, il définit Dieu
négativement :
« Voici encore ce que nous disons en élevant notre
langage : Dieu n’est ni âme, ni intelligence; il n’a ni imagination,
ni opinion, ni raison, ni entendement; il n’est point parole ou
pensée, et il ne peut être ni nommé, ni compris : il n’est pas
nombre, ni ordre; grandeur, ni petitesse; égalité, ni inégalité;
similitude, ni dissemblance.
Il n’est pas immobile, pas en mouvement, pas en repos. Il
n’a pas la puissance, et n’est ni puissance ni lumière. Il ne vit
point, il n’est point la vie.
Il n’est ni essence, ni éternité, ni temps. Il n’y a
pas en lui perception.
Il n’est pas science, vérité, empire, sagesse; il n’est
ni un, ni unité, ni divinité, ni bonté. Il n’est pas esprit, comme
nous connaissons les esprits; il n’est pas filiation, ou paternité,
ni aucune des choses qui puissent être comprises par nous, ou par
d’autres.
Il n’est rien de ce qui n’est pas, rien même de ce qui
est.
Nulle des choses qui existent ne le connaît tel qu’il
est, et il ne connaît aucune des choses qui existent, telle qu’elle
est.
Il n’y a en lui ni parole, ni nom, ni science; il n’est
point ténèbres, ni lumière; erreur, ni vérité.
On ne doit faire de lui ni affirmation, ni négation
absolue ; et en affirmant, ou en niant les choses qui lui sont
inférieures, nous ne saurions l’affirmer ou le nier lui-même, parce
que cette parfaite et unique cause des êtres surpasse toutes les
affirmations, et que celui qui est pleinement indépendant, et
supérieur au reste des êtres, surpasse toutes nos négations. »
La conséquence est alors inévitable : tout
comme chez Plotin, la connaissance du divin est impossible, la
rationalité inutile.
Chez Pseudo-Denys l’Aréopagite la parole peut
nommer mais ne permet pas d’arriver à une explication, la pensée
peut concevoir, mais pas connaître.
Dieu est tellement au-dessus que le seul moyen de
le percevoir est de faire en sorte que son âme soit en quelque sorte
sur la même longueur d’onde que lui. On est ici dans une perspective
cosmique irrationnelle, où la théologie mystique n’est pas
connaissance, mais aventure mystique.
Cela était nécessaire, afin de justifier coûte
que coûte la valeur de la hiérarchie sur Terre, qui ne pouvait
prendre de sens qu’en-dehors de la rationalité, dans la mystique
tournée vers des cieux imaginaires.
Le mysticisme vient ici maintenir une religion
hiérarchisée appelant à la fin cosmique de toute hiérarchie.
Pseudo-Denys l’Aréopagite pose la problématique
de la manière suivante :
« La théologie mystique est la science
expérimentale, affective, infuse de Dieu et des choses divines.
En elle-même et dans ses moyens elle est surnaturelle;
car ce n’est pas l’homme qui, de sa force propre, peut faire invasion
dans le sanctuaire inaccessible de la Divinité : c’est Dieu, source
de sagesse et de vie, qui laisse tomber sur l’homme les rayons de la
vérité sacrée, le touche, l’enlève jusqu’au sein de ces
splendeurs infinies que l’esprit ne comprend pas, mais que le cœur
goûte, aime et révère.
La prière seule, quand elle part de lèvres pures, peut
incliner Dieu vers nous et nous mériter la participation aux dons
célestes.
Le but de la théologie mystique, comme de toute grâce divine, est de nous unir à Dieu, notre principe et notre fin : voilà pourquoi le premier devoir de quiconque aspire à cette science est de se purifier de toute souillure, de toute affection aux choses créées; de s’appliquer à la contemplation des adorables perfections de Dieu, et, autant qu’il est possible, d’exprimer en lui la vive image de celui qui, étant souverainement parfait, n’a pas dédaigné de se nommer notre modèle.
Quand l’âme, fidèle à sa vocation, atteint enfin Dieu par ce goût intime et ce sentiment ineffable que ceux-là peuvent apprécier, qui l’ont connu et expérimenté, alors elle se tient calme et paisible dans la suave union dont Dieu la gratifie.
Rien ne saurait donner une idée de cet état : c’est la déification de la nature. »
Ce dernier point est d’une importance capitale. Au
VIe siècle, une telle phrase relève de l’irrationalisme,
purement et simplement. Mais cette conception d’une humanité capable
de s’élever jusqu’au divin va être au cœur de la Renaissance, qui
va détourner cette approche de Pseudo-Denys l’Aréopagite vers une
lecture humaniste-panthéiste, avec notamment Marsile Ficin, dont
l’un des disciples sera Jean Pic de La Mirandole.
Ce retour au néo-platonisme en Italie, en Toscane, n’est toutefois pas conforme, malgré son inspiration, à la démarche de Pseudo-Denys l’Aréopagite, pour qui l’incarnation de Jésus est le point culminant du néo-platonisme, car permettant de comprendre sans comprendre le divin, les rituels sacrés permettant d’avoir une voie certaine pour y accéder.
Version latine des écrits du Pseudo-Denys l’Aréopagite, traduit par l’humaniste et théologien toscan Ambrogio Traversari (1386-1439), XVe siècle
Ce que dit Pseudo-Denys l’Aréopagite d’une
certaine façon, c’est que toute la théologie est obscure, mais en
même temps lumineuse, même si on n’y comprend rien ou justement
parce qu’on est dépassé, le chemin est là :
« Trinité supra-essentielle, très divine,
souverainement bonne, guide des chrétiens dans la sagesse sacrée,
conduisez-nous à cette sublime hauteur des Écritures, qui échappe
à toute démonstration et surpasse toute lumière.
Là, sans voiles, en eux-mêmes et dans leur
immutabilité, les mystères de la théologie apparaissent parmi
l’obscurité très lumineuse d’un silence plein d’enseignements
profonds : obscurité merveilleuse qui rayonne en splendides éclairs,
et qui, ne pouvant être ni vue ni saisie, inonde de la beauté de
ses feux les esprits saintement aveuglés.
Telle est la prière que je fais. »
Il faut, comme il l’explique, nier la raison,
basculer dans la vision propre au mysticisme :
« Exercez-vous sans relâche aux contemplations
mystiques; laissez de côté les sens et les opérations de
l’entendement, tout ce qui est matériel et intellectuel, toutes les
choses qui sont et celles qui ne sont pas, et d’un essor surnaturel,
allez vous unir, aussi intimement qu’il est possible, à celui qui
est élevé par-delà toute essence et toute notion. »
C’est ni plus ni moins qu’une réutilisation du platonisme, qui justifiait son système de castes au nom du Beau, du Bon, du Bien, avec toute une hiérarchie selon qu’on en soit proche. Mais cette fois on n’est plus dans un système de castes organisé dans le cadre de l’esclavagisme ; on est dans un irrationnel propre à l’effondrement de l’esclavagisme justement.
Si le christianisme apporte
l’individualité, il est frappant que le protestantisme ne
se développe que seize siècles après Jésus. Auparavant,
on a le christianisme hiérarchisé, avec un clergé s’opposant aux
laïcs.
Il y a deux raisons à cela. La première,
matérielle, est que le système esclavagiste ne s’est effondré que
par à-coups, que l’individu n’émergera au sens strict que
par le capitalisme. Le statut de serf, intermédiaire entre
l’esclave et l’individu autonome, va exister pour toute une période
historique, celle de la féodalité.
La seconde, d’ordre idéologique et donc
secondaire par rapport à la première, est qu’il était très
compliqué de faire en sorte que l’individu dispose d’une
reconnaissance d’en haut. Seul le communisme, qui place le haut
en bas, les « cieux » sur la Terre, peut reconnaître
l’individu comme pouvant être complet, authentique, dans la mesure
où sa dignité provient de la matière elle-même, de ce qu’il est
matière, une composante d’un ensemble, ici la Biosphère.
Tant qu’il y a la fiction des cieux, alors le bas
dépend du haut et Jésus ne reconnaissait donc les
individus que pour que ceux-ci puissent se tourner vers le royaume
des cieux.
Cela présuppose, en l’absence de réalisation des
promesses à court terme, tout un niveau d’intermédiaires entre Dieu
et l’être humain. Pseudo-Denys l’Aréopagite va se charger de
faire en sorte d’y voir clair.
Les lettres n’ayant que peu de valeur en soi,
c’est dans les traités qu’il faut chercher la doctrine de
Pseudo-Denys l’Aréopagite. Ceux-ci sont au nombre de quatre :
– Les Noms divins (Peri
theion onomaton en grec, De Divinis Nominibus en
latin) est le traité le plus long, avec treize chapitres cherchant à
souligner le caractère inaccessible de la divinité ;
– La Théologie mystique (Peri
mustikes theologias en grec, De mystica
theologia en latin) est un court traité définissant la
nature mystique de l’étude de Dieu ;
– La Hiérarchie céleste (Peri
tes ouranias hierarchias en grec, De coelesti
hierarchia en latin) est un traité d’angélologie ;
– La Hiérarchie ecclésiastique (Peri
tes ekklestiastikes hierarchias en grec, De
ecclesiastica hierarchia en latin) est un traité sur
l’Église dont l’organisation doit refléter la hiérarchie
céleste.
Début de la version latine des écrits du Pseudo-Denys l’Aréopagite, traduit par l’humaniste et théologien toscan Ambrogio Traversari (1386-1439), XVe siècle
On peut ici brièvement résumer la conception de Pseudo-Denys l’Aréopagite : Dieu est inaccessible et incompréhensible (comme chez Plotin), mais le monde matériel a un sens et se hiérarchise selon sa distance à Dieu (comme chez Proclus), et justement Jésus a expliqué le sens de cette hiérarchie en incarnant le Dieu inaccessible dans le monde matériel (ce qui permet de se débarrasser de la magie de la seconde phase du néo-platonisme).
On a donc non plus simplement une opposition entre
haut et en bas comme chez Platon, reflet de l’antiquité avec
l’opposition hommes libres/esclaves, mais bien une hiérarchisation
de la distance Dieu-individu, reflet de la hiérarchisation
générale se développant dans la société alors.
La notion de hiérarchie est donc capitale, les
dix lettres de Pseudo-Denys l’Aréopagite suivant par ailleurs
symboliquement un ordre hiérarchique croissant.
Les quatre premières sont à un moine dénommé
Gaius (avec donc le même nom qu’un compagnon de Paul, que ce dernier
appelle « le bien-aimé »).
La cinquième est destinée à une diaconesse, la
sixième à un prêtre, les trois suivantes à des hiérarques, ainsi
qu’à « Jean, théologien, apôtre et évangéliste, en exil
dans l’Île de Patmos », avec entre-temps la huitième lettre,
destinée à un prêtre justement accusé de bouleverser l’ordre
hiérarchique.
La hiérarchie de l’esprit correspond à la
hiérarchie entre le monde matériel et Dieu ; c’est l’aspect
central, façonnant toute l’Église catholique. Cette dernière est
la variante terrestre de ce qui existe dans les cieux, l’individu et
Dieu formant les deux extrêmes.
Pseudo-Denys l’Aréopagite reprend, en fait,
directement le schéma du néo-platonisme : il prend le Dieu
isolé de Plotin (du début du néo-platonisme), la hiérarchie
magique des formes intermédiaires de Proclus (de la fin du
néo-platonisme), il y ajoute l’incarnation judéo-chrétienne pour
clarifier et unifier le tout.
Par conséquent, au lieu de se tourner en mystique
vers Dieu (comme chez Plotin) ou de pratiquer la magie (comme chez
Proclus), il faut écouter l’appel de Dieu transmis par Jésus et
suivre une ascèse permettant de se tourner réellement vers lui, à
travers un cheminement strictement parallèle à la hiérarchie
existant entre Dieu et nous.
Il s’agit de grimper, d’une certaine manière, les
échelons divins, un par un. Il faut d’abord expier, ensuite être
illuminé, puis tendre à la perfection. Le niveau hiérarchique dans
l’Église correspond à cette progression spirituelle (que Proclus
ne concevait, en l’absence d’incarnation divine, que sous la forme du
mysticisme et de la magie).
Chez Plotin, il n’y avait que l’unité divine,
sans qu’on ait réellement de manière de la rejoindre autrement que
par la méditation. Chez Proclus, l’unité divine était à
l’arrière-plan de tout un système d’intermédiaires
magico-mystiques qu’il fallait utiliser pour avancer vers elle.
Pseudo-Denys l’Aréopagite combine les deux et
résout la contradiction au moyen de l’incarnation de Dieu (=le Dieu
isolé plotinien) par Jésus (=l’unité magico-mystique là où
Proclus mutlipliait les entités intermédiaires).
Comment procède-t-il ? Au début de son
écrit « de la hiérarchie céleste », il affirme
immédiatement :
« Tout vient de Dieu et retourne à Dieu, les
réalités et la science que nous en avons. Une véritable unité
subsiste au fond de la multiplicité, et les choses qui se voient
sont comme le vêtement symbolique des choses qui ne se voient pas.
C’est donc une loi du monde que ce qui est supérieur
se reflète en ce qui est inférieur, et que des formes sensibles
représentent les substances purement spirituelles, qui ne peuvent
être amenées sous les sens.
Ainsi la sublime nature de Dieu, et, à plus forte
raison, la nature des esprits célestes, peuvent être dépeintes
sous l’emblème obscur des êtres corporel : mais il y a une racine
unique et un type suprême de ces reproductions multiples. »
C’est là quelque chose de très subtil :
les formes intermédiaires ne sont compréhensibles qu’à partir de
l’un divin, et non pas de manière indépendante comme le pensait
Proclus. Il n’y a donc pas à faire de la magie indépendamment
du un divin.
Il n’y a pas Dieu sans entités intermédiaires
(comme chez Plotin), il n’y a pas Dieu et des entités intermédiaires
relativement indépendantes (comme chez Proclus), les deux sont liés,
par la figure du Christ.
Pour cette raison, Pseudo-Denys l’Aréopagite
utilise l’image du soleil. Dieu est comme un soleil éclairant
hiérarchiquement : plus on est en bas, moins on a de lumière.
Il s’agit de cheminer vers toujours plus de lumière.
Voici un long passage où il développe cette
conception, véritable clef du catholicisme :
« Expliquons-nous plus clairement par le moyen
d’exemples qui conviennent mal à la suprême excellence de Dieu,
mais qui aideront notre débile entendement : le rayon du soleil
pénètre aisément cette matière limpide et légère qu’il
rencontre d’abord, et d’où il sort plein d’éclat et de splendeur;
mais s’il vient à tomber sur des corps plus denses, par l’obstacle
même qu’opposent naturellement ces milieux à la diffusion de la
lumière, il ne brille plus que d’une lueur terne et sombre, et même
s’affaiblissant par degrés, il devient presque insensible.
Également sa chaleur se transmet avec plus d’intensité
aux objets qui sont plus susceptibles de la recevoir, et qui se
laissent plus volontiers assimiler par le feu ; puis son action
apparaît comme nulle ou presque nulle dans certaines substances qui
lui sont opposées ou contraires; enfin ce qui est admirable, elle
atteint, par le moyen des matières inflammables, celles qui ne le
sont pas; tellement qu’en des circonstances données, elle envahira
d’abord les corps qui ont quelque affinité avec elle, et par eux se
communiquera médiatement soit à l’eau, soit à tout autre élément
qui semble la repousser.
Or cette loi du monde physique se retrouve dans le monde
supérieur.
Là, l’auteur souverain de toute belle ordonnance, tant
visible qu’invisible, fait éclater d’abord sur les sublimes
intelligences les splendeurs de sa douce lumière; et ensuite les
saints et précieux rayonnements passent médiatement aux
intelligences subordonnées.
Ainsi celles qui les premières sont appelées à
connaître Dieu, et nourrissent le brûlant désir de participer à
sa vertu, s’élèvent aussi les premières à l’honneur de retracer
véritablement en elles cette auguste image, autant que le peut la
créature ; puis elles s’appliquent avec amour à attirer vers le
même but les natures inférieures, leur faisant parvenir les riches
trésors de la sainte lumière, que celles-ci continuent à
transmettre ultérieurement.
De la sorte, chacune d’elles communique le don divin à
celle qui la suit, et toutes participent à leur manière aux
largesses de la Providence.
Dieu est donc, à proprement parler, réellement et par
nature, le principe suprême de toute illumination, parce qu’il est
l’essence même delà lumière, et que l’être et la vision viennent
de lui ; mais à son imitation et par ses décrets, chaque nature
supérieure est, en un certain sens, principe d’illumination pour la
nature inférieure, puisque, comme un canal, elle laisse dériver
jusqu’à celle-ci les flots de la lumière divine.
C’est pourquoi tous les rangs des anges regardent à
juste titre le premier ordre de l’armée céleste comme étant, après
Dieu, le principe de toute connaissance sacrée et pieux
perfectionnement, puisqu’il envoie au reste des esprits bien-heureux,
et à nous ensuite, les rayons de l’éternelle splendeur : de là
vient que, s’ils rapportent leurs fonctions augustes et leur sainteté
à Dieu comme à celui qui est leur créateur, d’un autre côté, ils
les rapportent aussi aux plus élevées des pures intelligences qui
sont appelées les premières à les remplir et à les enseigner aux
autres.
Le premier rang des hiérarchies célestes possède donc,
à un plus haut degré que tous les autres, et une dévorante ardeur,
et une large part dans les trésors de la sagesse infinie, et la
savante et sublime expérience des mystères sacrés, et cette
propriété des trônes qui annonce une intelligence toujours
préparée aux visites de la divinité.
Les rangs inférieurs participent, il est vrai, à
l’amour, à la sagesse, à la science, à l’honneur de recevoir Dieu
; mais ces grâces ne leur viennent qu’à un degré plus faible et
d’une façon subalterne, et ils ne s’élèvent vers Dieu que par le
ministère des anges supérieurs qui furent enrichis les premiers des
bienfaits célestes.
Voilà pourquoi les natures moins sublimes reconnaissent
pour leurs initiateurs ces esprits plus nobles, rapportant à Dieu
d’abord, et à eux ensuite, les fonctions qu’elles ont l’honneur de
remplir. »
La luminosité divine n’est donc pas générale,
elle est hiérarchisée. L’Église est le reflet de cette
hiérarchisation de la lumière divine. Il faut remonter pas à pas
vers plus de lumière. Impossible de concevoir l’Église sans le
principe de hiérarchie. C’est la base même du catholicisme.
On retrouve également chez Pseudo-Denys
l’Aréopagite l’un des principes au cœur du néo-platonisme :
celui de l’imitation. Il faut fonctionner par analogie, par
imitation, tenter de reproduire le divin à sa propre échelle, pour
déclencher ce que, plus tard, Emanuel Swedenborg et Charles
Baudelaire appelleront des correspondances.
« Les ordres de l’Église étant les images des opérations divines, en ce qu’ils représentent l’harmonieux mélange des splendeurs diverses que Dieu fait éclater dans ses actes, ils se divisent en puissances de premier, second et troisième degré hiérarchiquement distinctes, pour reproduire par là, comme je l’ai dit, l’unité et la variété des œuvres divines.
Car, puisque Dieu souverain commence par purifier les intelligences qui le reçoivent, puis les illumine, et enfin les réforme à l’image de sa propre perfection, il est juste que la hiérarchie, figure des choses célestes, se divise en ordres et puissances multiples, pour rendre évident que les opérations de Dieu se distinguent avec parfaite exactitude, et forment aussi un merveilleux ensemble. »
On a, par conséquent, une division tripartite :
« Voici d’abord quelle est la divine énergie de
nos augustes sacrements.
Leur première puissance est de purifier les profanes, la
seconde d’initier à la lumière ceux qui furent purifiés, la
dernière, qui résume les précédentes, de consommer les initiés
dans la science des mystères déjà entrevus.
Les ministres sacrés composent la seconde distinction
hiérarchique.
Or, au premier degré, ils purifient par les sacrements
les âmes encore étrangères à la sainteté; puis, au deuxième,
ils illuminent les initiés; et au dernier et suprême degré de la
vertu sacerdotale, ils perfectionnent les pieux illuminés dans
l’intelligence des lumières qu’il leur fut donné de contempler.
Enfin, on trouve également chez les initiés un triple
degré.
Au premier, ils sont purifiés; au deuxième et après la
purification, ils sont illuminés et admis à contempler quelques-uns
des mystères ; dans le troisième et le plus élevé de tous, ils
sont enrichis de la science parfaite des splendeurs dont ils furent
inondés. »
Comme on le voit, on est ici dans un esprit d’initiation : il y a une science secrète exigeant une certaine illumination. L’Église représente la hiérarchie en rapport à cette illumination.
Le Corpus Dionysiacum représente un ensemble de très haut niveau, formant le cœur même de ce que va être le christianisme. Lorsque Martin Luther remettra en cause l’Église catholique romaine au XVIe siècle, il se verra ainsi dans l’obligation de rejeter Pseudo-Denys l’Aréopagite.
Mais pourquoi avoir repris le nom de Denys
l’Aréopagite, mentionné par Paul ? En fait, ce choix est d’une
importance capitale.
Ce qui est frappant, en effet, c’est qu’en
reconnaissant Pseudo-Denys l’Aréopagite, le christianisme assume
entièrement d’avoir comme l’un de ses principaux théoriciens
quelqu’un ayant repris le néo-platonisme pour
l’interpréter de manière chrétienne.
L’Église catholique romaine récidivera même,
en saluant Thomas d’Aquin faisant une interprétation
chrétienne d’Aristote, tout comme Pseudo-Denys l’Aréopagite a fait
une interprétation chrétienne de Platon.
Le paradoxe qui en découle inévitablement est
que cela signifie que le christianisme des origines ne suffisait pas
en soi et qu’il fallait aller plus loin pour
qu’il forme un tout cohérent.
Le christianisme apparaît, historiquement, comme
le prolongement et le dépassement du néo-platonisme ;
Pseudo-Denys l’Aréopagite est celui qui marque ce dépassement en
synthétisant l’approche nouvelle.
La clef de tout cela est dans le thème qui,
lorsque Paul rencontre le vrai Denys l’Aréopagite, choque les
Athéniens connaisseurs de la philosophie : la résurrection des
corps.
Le platonisme enseignait déjà l’éternité de
l’âme : en soi, le christianisme ne devait pas les choquer
sur ce point.
Par contre, la résurrection était un
concept inacceptable. La raison est simple à
comprendre : dans une société esclavagiste, l’individu est
relatif par rapport au corps social. Son âme ne peut donc relever
que d’une super-âme totale (chez Platon), sa sagesse que d’une
supra-sagesse (chez Aristote).
Il n’y a, en aucun cas, d’incarnation. Il n’y a
pas, dans la culture de la Grèce antique, ce principe de
l’incarnation qu’on trouve en Orient avec le judaïsme (Moïse), le
christianisme (Jésus), l’Islam (Mahomet).
Or, à l’opposé de la lecture grecque antique
liée au mode de production esclavagiste, la résurrection
des corps signifie un retour entièrement individuel, une
reconnaissance personnelle.
On va donc ici au-delà des lois cosmiques
absolues qui, pour les Grecs, formaient un horizon indépassable, et
cela quel que soit leur soutien à tel à tel courant philosophique,
même antagoniste.
Le christianisme apparaissait ici comme une
affirmation de la dignité personnelle propre à une universalité
anti-esclavagiste. C’était incompréhensible à
quiconque restait prisonnier du cadre intellectuel et culturel de
l’antiquité gréco-romaine.
Mais cette dernière était elle-même toujours
plus obligée de reconnaître que la mise en esclavage d’une
personne relevait du hasard, pas de la nature immuable de celle-ci,
que le travail se faisait mieux par une personne motivée qu’une
personne écrasée, que le système esclavagiste était intenable de
toutes manières.
Voilà pourquoi le christianisme fut le
prolongement naturel du dépassement de l’esclavage.
Voilà pourquoi on retrouve, dans la tradition
idéaliste de l’antiquité gréco-romaine, des penseurs qui
prolongent le platonisme et le néo-platonisme en le christianisme.
C’est ici qu’on a, comme figures essentielles, Pseudo-Denys
l’Aréopagite, Augustin et Boèce.
Pseudo-Denys l’Aréopagite est celui qui a mené le travail de fond pour éclaircir l’horizon magico-mystique du néo-platonisme, pour apporter l’incarnation, donc l’individualité qui permet de sortir idéologiquement du mode de pensée liée à l’esclavagisme.
Pseudo-Denys l’Aréopagite tel que montré dans le Ménologe de Basile II, X-XIe siècle
Mais pourquoi conserve-t-il alors le
néo-platonisme, au lieu de se contenter de l’incarnation?
Tout simplement, parce qu’il a bien fallu
justifier l’existence du monde, cinq cent ans après l’incarnation.
La fin des temps n’apparaissant pas comme l’horizon immédiat, il a
fallu expliquer la réalité et pour cela le néo-platonisme était
l’outil parfait. Restait, pour Pseudo-Denys l’Aréopagite, à
combiner cela avec l’incarnation.
Pour cette raison, Pseudo-Denys l’Aréopagite
a dû faire deux choses : expliquer la hiérarchie dans les cieux,
les anges étant plus ou moins hauts dans la hiérarchie,
c’est-à-dire plus ou moins proches de Dieu, mais également
expliquer la hiérarchie sur Terre.
Voici comment il décrit l’organisation des
formes intermédiaires entre le monde matériel et le un divin,
formes que le christianisme appelle les anges :
« Les pures intelligences ne sont pas toutes de la
même dignité ; mais elles sont distribuées en trois hiérarchies,
dont chacune comprend trois ordres.
Chaque ordre a son nom particulier; et, parce que tout
nom est l’expression d’une réalité, chaque ordre a véritablement
ses propriétés et ses fonctions distinctes et spéciales.
Ainsi les Séraphins sont lumière et chaleur, les
Chérubins science et sagesse, les Trônes constance et fixité :
telle apparaît la première hiérarchie.
Les Dominations se nomment de la sorte à cause de leur
sublime affranchissement de toute chose fausse et vile ; les Vertus
doivent ce titre à la mâle et invincible vigueur qu’elles déploient
dans leurs fonctions sacrées ; le nom des Puissances rappelle la
force de leur autorité et le bon ordre dans lequel elles se
présentent à l’influence divine : ainsi est caractérisée la
deuxième hiérarchie.
Les Principautés savent se guider elles-mêmes et
diriger invariablement les autres vers Dieu ; les Archanges tiennent
aux Principautés en ce qu’ils gouvernent les Anges, et aux Anges, en
ce qu’ils remplissent parfois, comme eux, la mission d’ambassadeurs :
telle est la troisième hiérarchie. »
Cela peut sembler étrange, mais c’est
inévitable et c’est là que le néo-platonisme est incontournable
pour l’idéalisme. À partir du moment où on ne reconnaît pas
la matière comme en mouvement et éternelle, alors il faut bien un
début, ce qu’on appelle la Création, ou Dieu.
Ce début étant forcément totalement indépendant
de la matière, il faut justifier qu’il donne naissance au monde
lui étant totalement extérieur ou étranger, aussi c’est le
principe de « flux » qui a été utilisé, pour expliquer
que le un divin produisait une sorte d’irrigation énergétique, à
différents niveaux, qui donne naissance au monde.
Pseudo-Denys l’Aréopagite introduit ici le
principe de la hiérarchie. De la même manière que les anges sont
plus ou moins irradiés, selon leur niveau d’existence, par la
lumière divine, les membres de l’Église reçoivent plus ou moins de
lumière divine.
L’histoire des écrits du Pseudo-Denys
l’Aréopagite et de qui il est réellement est particulièrement
tourmentée. D’ailleurs, l’Église orthodoxe réfute encore l’idée
que Denys l’Aréopagite et Pseudo-Denys l’Aréopagite seraient
deux personnes différentes ; en France, on a même
temporairement également assimilé Denys l’Aréopagite, le
Pseudo-Denys l’Aréopagite et Saint-Denis.
Cet aspect problématique est d’autant plus
frappant que, dans ses écrits, Pseudo-Denys l’Aréopagite souligne
grandement la nécessité de maintenir secret les enseignements les
plus importants, voire même le cœur de la doctrine chrétienne.
Il y a ici un grand flou qui contraste fortement
avec l’immense importance de ces écrits pour le christianisme.
Ce qui est clair, en tout cas, c’est qu’à partir
du VIe siècle commence la diffusion de documents d’un auteur
censé être Denys l’Aréopagite. Ceux-ci consistent en quatre
traités et dix lettres.
Les traités portent sur la Hiérarchie
céleste et la Hiérarchie ecclésiastique qui
en est le pendant terrestre, ainsi que sur les Noms
divins et la Théologie mystique. A cela
s’ajoutent des lettres à différentes personnes, soulignant
différents aspects des traités.
À part le nom de l’auteur qui est une claire
référence au Nouveau Testament, on ne trouve que
rarement des références au fait que l’auteur serait le vrai Denys
l’Aréopagite.
Ainsi, l’auteur raconte à un moment, comme en
passant, avoir assisté à l’éclipse du Soleil ayant eu lieu à la
mort de Jésus ; il aurait également été présent au
moment de la mort de Marie, en présence de Jacques et de Hiérothée,
son propre maître et lui-même disciple de Paul.
Il écrit également à Polycarpe (69-155), évêque
de Smyrne, et il aurait connu Timothée évêque d’Éphèse, ainsi
que Carpus mentionné par Paul ; c’est même à la demande de
Timothée qu’il aurait écrit les traités sur la hiérarchie
ecclésiastique et des noms divins.
Il a été clair pourtant dès le départ que ces
écrits ne pouvaient pas avoir comme origine le vrai Denys
l’Aréopagite ; l’évêque Hypatios d’Éphèse rejette
d’ailleurs dès 531 une telle prétention, au nom du fait que les
textes seraient inconnus de la tradition chrétienne.
De fait, les premières références aux documents
n’émergent qu’en 528 chez Sévère d’Antioche, dans un contexte de
débat intense sur la nature du Christ, le rapport entre sa part
divine et sa part humaine, amenant à de multiples scissions
religieuses.
Ce contexte va, semble-t-il, jouer un rôle
important. Entre 536 et 553, l’ensemble des œuvres du Pseudo-Denys
l’Aréopagite sont rassemblées dans un Corpus
Dionysiacum par Jean de Scythopolis, qui rédige également
des commentaires explicatifs.
Il s’agissait d’une grande figure du combat contre
le « monophysisme », qui voyait la part humaine du Christ
absorbé par la part divine. Or, justement, les œuvres du
Pseudo-Denys l’Aréopagite correspondaient parfaitement au rejet du
« monophysisme ».
À partir de là, l’œuvre se répand toujours
plus, tant dans les Églises d’Orient et d’Occident, l’authenticité
n’étant plus remise en doute.
Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’on put
constater l’impossibilité de confondre l’identité de Denys
l’Aréopagite et de celui alors appelé le Pseudo-Denys l’Aréopagite.
Les recherches universitaires attribuent alors, sans certitude
aucune, les écrits du Pseudo-Denys l’Aréopagite à Sévère
d’Antioche, Denys d’Alexandrie, Pierre l’Ibérien ou encore
Serge de Resaina.
Mais le problème ne se pose certainement pas à ce niveau. Les écrits du Pseudo-Denys l’Aréopagite sont une très haute synthèse idéologique. L’un des plus importants théologiens catholiques du XXe siècle, Benoît XVI, a présenté comme suit, alors qu’il était pape, la question de l’identité de cette figure historique.
Il s’agirait d’une sorte de signature collective :
« Je voudrais aujourd’hui [en
2008], au cours des catéchèses sur les Pères de l’Église, parler
d’une figure très mystérieuse : un théologien du sixième
siècle, dont le nom est inconnu, qui a écrit sous le pseudonyme de
Denys l’Aréopagite.
Avec ce pseudonyme, il fait allusion au
passage de l’Ecriture que nous venons d’entendre, c’est-à-dire à
l’histoire racontée par saint Luc dans le chapitre XVII des
Actes des Apôtres, où il est rapporté que Paul prêcha à Athènes
sur l’Aréopage, pour une élite du grand monde intellectuel grec,
mais à la fin la plupart des auditeurs montrèrent leur désintérêt
et s’éloignèrent en se moquant de lui ; pourtant certains, un petit
nombre nous dit saint Luc, s’approchèrent de Paul en s’ouvrant à la
foi. L’évangéliste nous donne deux noms : Denys, membre de
l’Aréopage, et une certaine femme, Damaris.
Si l’auteur de ces livres a choisi cinq siècles plus tard le pseudonyme de Denys l’Aréopagite, cela veut dire que son intention était de mettre la sagesse grecque au service de l’Évangile, d’aider la rencontre entre la culture et l’intelligence grecque et l’annonce du Christ; il voulait faire ce qu’entendait ce Denys, c’est-à-dire que la pensée grecque rencontre l’annonce de saint Paul ; en étant grec, devenir le disciple de saint Paul et ainsi le disciple du Christ.
Pourquoi a-t-il caché son nom et choisi ce pseudonyme ?
Une partie de la réponse a déjà été donnée : il voulait précisément exprimer cette intention fondamentale de sa pensée.
Mais il existe deux hypothèses à propos de cet anonymat et de ce pseudonyme. Une première hypothèse dit : c’était une falsification voulue, avec laquelle, en antidatant ses œuvres au premier siècle, au temps de saint Paul, il voulait donner à sa production littéraire une autorité presque apostolique.
Mais mieux que cette hypothèse – qui me semble peu crédible – il y a l’autre : c’est-à-dire qu’il voulait précisément faire un acte d’humilité.
Ne pas rendre gloire à son propre nom, ne pas créer un monument pour lui-même avec ses œuvres, mais réellement servir l’Évangile, créer une théologie ecclésiale, non individuelle, basée sur lui-même.
En réalité, il réussit à construire une théologie que nous pouvons certainement dater du sixième siècle, mais pas attribuer à l’une des figures de cette époque : c’est une théologie un peu désindividualisée, c’est-à-dire une théologie qui exprime une pensée et un langage commun.
C’était une époque de dures polémiques après le Concile de Chalcédoine ; lui, en revanche, dans sa Septième Epître dit : » Je ne voudrais pas faire de polémiques ; je parle simplement de la vérité, je cherche la vérité « .
Et la lumière de la vérité fait d’elle-même disparaître les erreurs et fait resplendir ce qui est bon. Et avec ce principe, il purifia la pensée grecque et la mit en rapport avec l’Evangile.
Ce principe, qu’il affirme dans sa septième lettre, est également l’expression d’un véritable esprit de dialogue : ne pas chercher les choses qui séparent, chercher la vérité dans la Vérité elle-même, qu’ensuite celle-ci resplendisse et fasse disparaître les erreurs.
La théologie de cet auteur, tout en étant donc pour ainsi dire « suprapersonnelle », réellement ecclésiale, peut être située au sixième siècle.
Pourquoi ? Il rencontra dans les livres d’un certain Proclus, mort à Athènes en 485, l’esprit grec qu’il plaça au service de l’Evangile : cet auteur appartenait au platonisme tardif, un courant de pensée qui avait transformé la philosophie de Platon en une sorte de religion, dont le but à la fin était de créer une grande apologie du polythéisme grec et de retourner, après le succès du christianisme, à l’antique religion grecque. »
La chose est entendue : il serait absurde de
ne pas voir que, ce qui compte, c’est que des documents signés
Pseudo-Denys l’Aréopagite représentent l’aboutissement théorique
le plus haut formé par le christianisme pour former une doctrine
complète.
C’est une œuvre de synthèse, peut-être collective, mais en tout cas clairement comprise comme un travail d’assemblage de la compréhension de la philosophie grecque et de son dépassement par le christianisme.
Augustin, Pseudo-Denys l’Aréopagite et Boèce
sont trois penseurs ayant joué un rôle historique capital, dans la
mesure où ils ont été ceux qui, aux IVe – Ve –
VIe siècles, ont réussi à faire du christianisme une
idéologie cohérente et systématique.
Ils ont ici répondu à un besoin historique très
particulier, permettant au christianisme de ne pas en rester au
niveau d’une conception religieuse parmi d’autres, avec des
sectes vivant à l’écart du monde de manière unilatérale.
C’est grâce à eux que les monastères vont
devenir les bastions de la civilisation, maintenant le cap de la
culture malgré un Moyen-Âge odieux sur le plan du développement
des forces productives et des idées.
Ce sont ces monastères, ayant donné naissance
aux universités, qui vont accueillir l’averroïsme et permettre
à cette expression théorique matérialiste d’être reprise par les
attentes pratiques de la bourgeoisie naissante, aboutissant à
l’humanisme.
Si le profil de ces trois penseurs est très
différent, leurs apports forment un ensemble permettant à la base
du christianisme de posséder une dynamique interne capable
d’exprimer les besoins de la société.
Augustin est né en 354 dans une province romaine
en Algérie actuelle, où il meurt également en 430 ; son œuvre
majeure est La Cité de Dieu. Il a donné au
christianisme son style, son approche sur le plan de la sensibilité,
dans le sens d’une quête de ferme bienveillance tournant au
mysticisme complet, dans une optique résolument anti-matérialiste.
Pseudo-Denys l’Aréopagite a vécu au Ve siècle
et a écrit toute une série d’œuvres expliquant les principes de
la hiérarchie dans le ciel (les anges) et sur la terre (dans
l’Église). C’est l’idéologue, qui fournit la dynamique sur le
plan du rapport entre l’organisation et les idées.
Boèce est né à Rome vers 480 et est mort à
Pavie en 524 ; son œuvre majeure est Consolation de
philosophie. C’est un théoricien, qui fournit les
principes généraux justifiant la théologie par un grand souci de
cohérence et une grande exigence sur le plan intellectuel, portant
la remise en cause de toute l’approche « philosophique »
propre au stade supérieur de l’Antiquité gréco-romaine, avec
notamment l’épicurisme et le stoïcisme.
L’ensemble de ces aspects va, par la suite,
donner naissance à ce qui sera appelé historiquement
la scolastique. La scolastique adopte la méthode
de Boèce, pour traiter d’une vision du monde fourni par
Pseudo-Denys l’Aréopagite, sur la base d’une démarche apportée
par Augustin.
À ce titre, aucun de ces trois auteurs ne
relèvent de la scolastique, qui naît uniquement de la rencontre
fusionnelle de tous ces éléments.
Et le rôle du Pseudo-Denys l’Aréopagite est
absolument essentiel, comme le révèle son nom, car on ne peut pas
comprendre le christianisme sans en saisir la base néo-platonicienne.
Il s’agit d’un moine syrien, qu’on appelle Pseudo-Denys l’Aréopagite, car il s’est fait passer pour Denys l’Aréopagite, un athénien converti par Paul au Ier siècle, ce qui est raconté dans les Actes, 17:34.
Voici le passage concerné, d’une grande
importance symbolique, car témoignant de la reconnaissance par un
philosophe grec de la supériorité du christianisme. C’est cette
« fusion » revendiquée par le christianisme qui a amené
la confusion historique entre Denys l’Aréopagite et le Pseudo-Denys
l’Aréopagite, qui a vécu plusieurs centaines d’années après.
Dans ce passage, Paul, un apôtre (sans faire
partie des douze apôtres), raconte un épisode de son passage en
Grèce, sur l’Aréopage – terme désignant soit une colline, soit
la réunion des magistrats se tenant auparavant sur cette colline.
Il s’y confronte aux philosophes, affirmant la
supériorité du christianisme ; seule une poignée de
philosophes le suit finalement, dont justement Denys, surnommé pour
cette raison Denis de l’Aréopage, Denys l’Aréopagite.
1 Puis ayant traversé par Amphipolis et par Apollonie,
ils vinrent à Thessalonique, où il y avait une Synagogue de Juifs.
2 Et Paul selon sa coutume s’y rendit, et durant trois
Sabbats il disputait avec eux par les Écritures;
3 Expliquant et prouvant qu’il avait fallu que le Christ souffrît, et qu’il ressuscitât des morts, et que ce Jésus, lequel, [disait-il], je vous annonce, était le Christ.
4 Et quelques-uns d’entre eux crurent, et se joignirent à
Paul et à Silas, et une grande multitude de Grecs qui servaient
Dieu, et des femmes de qualité en assez grand nombre.
5 Mais les Juifs rebelles étant pleins d’envie, prirent
quelques fainéants remplis de malice, qui ayant fait un amas de
peuple, firent une émotion dans la ville, et qui ayant forcé la
maison de Jason, cherchèrent [Paul et Silas] pour les amener au
peuple.
6 Mais ne les ayant point trouvés, ils traînèrent
Jason et quelques frères devant les Gouverneurs de la ville, en
criant : ceux-ci qui ont remué tout le monde, sont aussi venus ici.
7 Et Jason les a retirés chez lui; et ils contreviennent tous aux ordonnances de César, en disant qu’il y a un autre Roi, [qu’ils nomment] Jésus.
8 Ils soulevèrent donc le peuple et les Gouverneurs de
la ville, qui entendaient ces choses.
9 Mais après avoir reçu caution de Jason et des autres,
ils les laissèrent aller.
10 Et d’abord les frères mirent de
nuit hors [de la ville] Paul et Silas, pour aller à Bérée, où
étant arrivés ils entrèrent dans la Synagogue des Juifs.
11 Or ceux-ci furent plus généreux que les Juifs de
Thessalonique, car ils reçurent la parole avec toute promptitude,
conférant tous les jours les Ecritures, [pour savoir] si les choses
étaient telles qu’on leur disait.
12 Plusieurs donc d’entre eux crurent, et des femmes
Grecques de distinction , et des hommes aussi, en assez grand nombre.
13 Mais quand les Juifs de Thessalonique surent que la
parole de Dieu était aussi annoncée par Paul à Bérée, ils y
vinrent, et émurent le peuple.
14 Mais alors les frères firent aussitôt sortir Paul
hors de la ville, comme pour aller vers la mer; mais Silas et
Timothée demeurèrent encore là.
15 Et ceux qui avaient pris la charge de mettre Paul en
sûreté, le menèrent jusqu’à Athènes, et ils en partirent après
avoir reçu ordre de [Paul de dire] à Silas et à Timothée qu’ils
le vinssent bientôt rejoindre.
16 Et comme Paul les attendait à Athènes, son esprit
s’aigrissait en lui-même, en considérant cette ville entièrement
adonnée à l’idolâtrie.
17 Il disputait donc dans la Synagogue avec les Juifs et
avec les dévots, et tous les jours dans la place publique avec ceux
qui s’y rencontraient.
18 Et quelques-uns d’entre les Philosophes Epicuriens et
d’entre les Stoïciens, se mirent à parler avec lui, et les uns
disaient : que veut dire ce discoureur? et les autres disaient : il
semble être annonciateur de dieux étrangers; parce qu’il leur
annonçait Jésus et la résurrection.
19 Et l’ayant pris ils le menèrent dans l’Aréopage, [et
lui] dirent : ne pourrons-nous point savoir quelle est cette nouvelle
doctrine dont tu parles?
20 Car tu nous remplis les oreilles de certaines choses
étranges; nous voulons donc savoir ce que veulent dire ces choses.
21 Or tous les Athéniens et les étrangers qui
demeuraient à [Athènes], ne s’occupaient à autre chose qu’à dire
ou à ouïr quelque nouvelle.
22 Paul étant donc au milieu de l’Aréopage, [leur] dit
: hommes Athéniens! je vous vois comme trop dévots en toutes
choses.
23 Car en passant et en contemplant vos dévotions, j’ai
trouvé même un autel sur lequel était écrit : AU DIEU INCONNU;
celui donc que vous honorez sans le connaître, c’est celui que je
vous annonce.
24 Le Dieu qui a fait le monde et toutes les choses qui y
sont, étant le Seigneur du Ciel et de la terre, n’habite point dans
des temples faits de main;
25 Et il n’est point servi par les mains des hommes, [comme] s’il avait besoin de quelque chose, vu que c’est lui qui donne à tous la vie, la respiration, et toutes choses; 26 Et il a fait d’un seul sang tout le genre humain, pour habiter sur toute l’étendue de la terre, ayant déterminé les saisons qu’il a établies, et les bornes de leur habitation :
27 Afin qu’ils cherchent le Seigneur, pour voir s’ils
pourraient en quelque sorte le toucher en tâtonnant, et le trouver;
quoiqu’il ne soit pas loin d’un chacun de nous.
28 Car par lui nous avons la vie, le mouvement et l’être;
selon ce que quelques-uns même de vos poëtes ont dit; car aussi
nous sommes sa race.
29 Etant donc la race de Dieu, nous ne devons point
estimer que la divinité soit semblable à l’or, ou à l’argent, ou à
la pierre taillée par l’art et l’industrie des hommes.
30 Mais Dieu passant par-dessus ces temps de l’ignorance,
annonce maintenant à tous les hommes en tous lieux qu’ils se
repentent.
31 Parce qu’il a arrêté un jour auquel il doit juger selon la justice le monde universel, par l’homme qu’il a destiné [pour cela] ; de quoi il a donné une preuve certaine à tous, en l’ayant ressuscité d’entre les morts.
32 Mais quand ils ouïrent ce mot de la résurrection des
morts, les uns s’en moquaient, et les autres disaient : nous
t’entendrons encore sur cela.
33 Et Paul sortit ainsi du milieu d’eux.
34 Quelques-uns pourtant se joignirent à lui, et
crurent; entre lesquels même était Denis l’Aréopagite, et une
femme nommée Damaris, et quelques autres avec eux.
Le capitalisme n’a pas besoin de la politique, seulement de gens
réduits à leur emploi, leur environnement direct et leur
consommation. Avec un capitalisme qui fournit désormais tellement de
marchandises disponibles au grand nombre, cela neutralise les esprits
et cela borne les horizons. La vie quotidienne se réduit à peu de
choses sur le plan de la culture, de l’approfondissement des idées,
d’une mise en perspective quant à l’avenir.
Pour la grande masse des gens, la vie consiste uniquement à sa
propre vie, entre famille et emploi, consommation de divertissement
et vacances, avec l’écran de télévision, d’ordinateur ou de
smartphone comme nœud central permettant de disposer d’une liaison
censée être objective avec la réalité. En réalité, on est là
dans le solipsisme, dans la négation de l’existence réelle de ce
qu’il y a autour de soi.
La passivité politique est la règle, et cela jusqu’à l’apolitisme. L’abstentionnisme n’est même plus un mépris, c’est simplement un dédain, et ceux qui se mobilisent consistent surtout en ceux qui justement affirment l’amertume de ne pouvoir satisfaire leur parfaite intégration dans la consommation et le style de vie capitaliste. Les gilets jaunes sont représentatifs de cette partie de la petite-bourgeoisie qui compte bien perpétuer son existence sociale.
La ligne des gilets jaunes, consistant à harceler l’État,
reflète cette vision nihiliste de ce qui n’est pas une classe,
seulement une couche sociale dont l’existence n’a été due qu’à un
cycle particulièrement grand de croissance capitaliste. La fin de ce
cycle marque leur inéluctable anéantissement social et leur
démarche équivaut à celle des secteurs de masses ayant soutenu le
fascisme en Italie et le national-socialisme en Allemagne.
Les élections européennes de 2019 sont un autre exemple de victoire du dédain et du populisme, avec la grande abstention, le succès de l’extrême-droite, l’apathie générale à ce sujet.
Il n’est pas besoin de chercher bien loin la nature de ce qui se
déroule. Le capitalisme est ébranlé et en même temps se renforce
comme jamais en profitant de ses gigantesques vagues successives
d’accumulation de capital et de marchandises. Ce n’est pas un
paradoxe, c’est une contradiction et cela est propre au développement
non harmonieux du capitalisme lui-même.
Cela en est au point où la notion même de société se voit étouffée. Apolitisme et populisme sont, dans les faits, indissociablement liés. Ils sont le produit du 24 heures sur 24 de la vie sous le capitalisme, tout comme de l’effondrement du niveau culturel de la bourgeoisie, qui elle-même se confond toujours plus avec les possibilités de valoriser le capital. L’ouverture acceptée de manière générale à l’individualisme le plus complet, à la consommation de drogues dites douces, à la gestation par autrui… est une véritable modification de l’évaluation culturelle bourgeoise, qui auparavant se targuait de traditions.
La bourgeoisie est pourtant la classe dominante et on voit qu’elle ne domine plus rien, le mode de production capitaliste s’emballe et l’emporte elle-même dans la tombe, comme il va lui-même à la perdition. Les limites des possibilités d’accumulation, en raison de l’émergence de solides monopoles et des compétitions entre impérialismes, forment les conditions du renforcement du parti de la guerre, de la tendance à l’affrontement ouvert à l’extérieur, ainsi que du populisme et du fascisme à l’intérieur.
Il ne faut pas ici voir le fascisme comme la tyrannie d’une idéologie « totalitaire », comme le prétend la bourgeoisie libérale. Le fascisme est le corporatisme, qui consiste en la négation de la politique. L’idéologie « totalitaire » des régimes fascistes ne servait que de dénominateur commun à une société dépolitisée de manière totale et où les monopoles contrôlaient l’État. Le fascisme, ce n’est pas la politique au pouvoir, mais la négation de la politique.
C’est là un besoin de classe propre à la bourgeoisie la plus agressive, qui a besoin de tendances corporatistes et surtout pas de débats politiques, y compris dans un sens réactionnaire. Même les tendances politiques d’extrême-droite ont été mises au pas lorsqu’elles ont voulu politiser, appliquer un certain idéalisme. Le fascisme, c’est la terreur contre la politique.
Ce qui est inquiétant pour la France, c’est que depuis plusieurs
décennies déjà le processus de dépolitisation est enclenché et
va de victoire en victoire. Il n’y a désormais de place que pour la
consommation et même ce qui reste de la politique devient du
consommable. Il n’y a plus de partis politiques, seulement des
mouvements participatifs, avec des primaires pour choisir les
candidats, avec des élans qui s’appuient sur les réseaux sociaux,
des engouements sur des individus.
Cette approche anti-politique existe déjà depuis longtemps aux
États-Unis, elle est désormais présente en France, l’élection
d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en étant une
conséquence. C’est cela qui explique la faiblesse totale des
mouvements politiques de gauche et même de droite, en comparaison
avec le succès des populistes.
Cependant, si l’on regarde bien, cette dépolitisation était déjà
là en France, avec le syndicalisme. Les activités syndicales ont
toujours eu dans notre pays une démarche corporatiste, radicalement
anti-politique. C’est la raison pour laquelle la CGT a toujours été
d’esprit syndicaliste révolutionnaire, pour laquelle elle a été
incapable d’être un puissant levier contre l’Occupation allemande,
pour laquelle elle s’est opposée de manière frontale à mai 1968.
Cela est évidemment d’autant plus vrai des autres courants
syndicaux.
C’est que la France, de par la part significative de la petite
propriété dans son économie, avait déjà préfiguré la division
des larges masses en individus. La France a toujours connu une grande
stabilité dans ses fondements, justement de par l’ampleur des petits
propriétaires. La petite propriété implique la négation de la
politique et encore plus de la question de la prise du pouvoir.
L’anarchisme, si puissant dans notre pays, est l’expression directe
de la petite-bourgeoisie qui entend nier la question du pouvoir, pour
nier l’affrontement classe ouvrière – bourgeoisie.
Il ne s’agit même plus pour la petite-bourgeoisie de chercher une
troisième voie entre socialisme et capitalisme, comme les idéologies
fascistes ou bien nationales-catholiques ont prétendu le faire.
L’objectif est simplement de geler les idées, ce qui convient tout à
fait à un capitalisme qui a uniquement besoin de consommateurs,
masquant particulièrement l’existence des producteurs.
C’est cela qui produit cette idée qu’il n’y aurait plus
d’ouvriers dans notre pays. C’est bien évidemment faux. Toutefois,
en l’absence d’affirmation politique de la classe ouvrière, celle-ci
reste invisible. Et cela dure depuis plusieurs décennies. En fait,
le modèle de dépolitisation en France existe pratiquement depuis
1848. Ni le coup d’État de Napoléon III en 1851, ni celui du
maréchal Pétain en 1940, ni celui de De Gaulle en 1958 n’ont connu
d’opposition populaire.
Le seul exemple contraire, et d’une haute signification, est le
mouvement ouvrier répondant à la tentative de coup d’État du 6
février 1934. Cela a donné le Front populaire et c’est selon nous
l’exemple à suivre. Nous ne disons pas qu’il est possible
d’appliquer mécaniquement ses principes, ce qui ne serait pas
possible rien que par l’absence de partis communiste et socialiste
disposant d’une taille de masse et d’une influence massive sur la
société, de par leur ancrage dans les masses ouvrières.
Ce que nous affirmons, c’est que le processus révolutionnaire en
France ne peut reposer que sur la même substance politique :
l’unité populaire contre la terreur de la dépolitisation, contre
l’appel à un sauveur de type bonapartiste, contre l’acception de la
gestion de la société par un État réactionnaire. Cela implique
l’affirmation de la démocratie de masse, des assemblées populaires,
de l’autonomie ouvrière.
Face à la dépolitisation, il faut la politique et celle-ci ne peut être portée que par les masses populaires. Les structures institutionnelles, auxquelles appartiennent les syndicats, tous les syndicats y compris la CGT, jouent un rôle néfaste, car privant d’espace l’expression démocratique populaire. Ceux qui soutiennent la CGT en espérant la reprise de la lutte des classes par son intermédiaire n’ont pas compris les enseignements de mai 1968, ni du maoïsme.
Il apparaît que l’apolitisme, la dépolitisation, le populisme… ne peuvent donc pas être compris sans saisir la nature du capitalisme avancé, sans voir comment il cerne la vie quotidienne, depuis l’alimentation jusqu’au divertissement ou l’enseignement. Nous vivons dans une métropole impérialiste et le prolétariat est désormais métropolitain : son style de vie a été façonné par le capitalisme et son antagonisme s’exprime de manière tortueuse, déformée.
C’est là qu’intervient l’Organisation révolutionnaire en comprenant le poids croissant de la subjectivité dans la prise de conscience de la réalité de la lutte des classes et ses implications. Il y a une nécessité de s’extirper à une vraie chape de plomb économique, sociale, idéologique, culturelle, politique, institutionnelle, sociale, etc. Il faut affronter l’exploitation et l’aliénation qui va avec et qui s’est renforcé sans commune mesure de par l’approfondissement du capitalisme.
L’apolitisme et le populisme relèvent de ce processus d’aliénation. Ils ne peuvent être que combattus par la recomposition du tissu prolétarien qui, en s’affirmant, pose les bases de l’autonomie du prolétariat et permet d’affirmer la nécessité stratégique d’aller à la conquête du pouvoir.
Telle est la seule voie révolutionnaire dans la métropole
impérialiste.
Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)