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  • Division et solidarité chez les mineurs

    Contrairement aux grèves de 1947, la minorité ultra-gauchiste de type trotskiste était invisible dans un mouvement radical comme celui de 1948. Par ailleurs, sur l’autre aile, les mineurs SFIO ne s’organisèrent pas en tant que tels.

    Les organisations anti-communistes qui s’illustrèrent dans les évènements de 1948 furent le syndicat catholique CFTC et la scission de la CGT appuyée par la CIA, la CGT-Force ouvrière.

    La CFTC était très présente dans le bassin houiller de l’Est et la CGT-Force ouvrière dans celui du Pas-de-Calais. Ces syndicats eurent des influences inégales, mais cristallisèrent les divisions politiques entre mineurs.

    Durant la grève les conflits se multiplièrent. Ainsi, la maison d’un secrétaire « FO » des mineurs de Sallaumines (Pas-de-Calais), fut gardée par une trentaine de communistes, si bien que l’occupant ne pouvait en sortir sans s’exposer à des coups.

    À Liévin, le soir du 7 novembre, les sièges de quatre cellules communistes, des cafés pour l’essentiel, essuyèrent des coups de feu ou reçurent une grenade.

    Le lendemain, à Burbure, après qu’un jet de pierre ait atteint la porte de sa maison, un mineur se munit d’un marteau et cassa deux vitres de la maison d’un délégué mineur qui se trouvait être également l’un des dirigeants communistes locaux.

    Le 16 novembre, à Dourges, après des bris de vitres, des mineurs « FO » lancèrent des briques contre la maison d’un militant cégétiste. Celui-ci répliqua en les insultant et les membres de « FO » tirèrent alors plusieurs coups de feu.

    L’activité locale du syndicat CGT-Force ouvrière témoignait d’un anti-communisme certes minoritaire, mais bien présent dans les cités minières. Tant les militants du PCF que de la CGT ne s’y trompaient d’ailleurs pas, redoublant d’effort pour décrédibiliser les syndicalistes de « FO » et leurs positions vis-à-vis de la grève.

    Le syndicat CGT-Force ouvrière organisait notamment différents types de référendum durant la grève ; il cherchait ainsi à favoriser l’expression de mineurs voulant reprendre le travail, contre les grévistes.

    La CGT appelait à combattre le défaitisme des « jaunes », des mineurs désirant cesser la grève. Au fur et à mesure que la grève durait en longueur, de plus en plus de mineurs considérèrent démesurées certaines violences.

    D’un certain point de vue, elles étaient disproportionnées par rapport à l’objectif qu’était la satisfaction des revendications propres à la corporation. Le Parti Communiste Français, prisonnier de sa logique de « parti syndicaliste » ne proposait pas de solution pour dépasser cette contradiction.

    Il n’appela pas à la grève politique de masse dans la perspective de déclencher une crise de régime.

    D’ailleurs, plutôt que d’assumer l’entrée dans la lutte pour le pouvoir ou du moins d’intégrer cette dimension révolutionnaire, les organisations ouvrières se tournèrent vers le soutien logistique.

    Les élus municipaux des communes minières accompagnaient les délégations de mineurs lors des rencontres avec les pouvoirs publics, par exemple à Béthune.

    L’action du Parti Communiste Français, fut essentiellement une action sociale envers les familles ouvrières privées de revenus. Les communes qu’il administrait, en particulier celles de la banlieue rouge parisienne, organisèrent l’accueil des enfants de mineurs en grève par des familles ouvrières.

    Cela donnait naissance à des marqueurs symboliques, comme le 16 octobre avec l’article dans Ce soir titré : « 1 600 gosses de mineurs invités par les ouvriers parisiens quittent Lens pour Paris ».

    Le 7 octobre, le Bureau politique du Parti Communiste Français appelait officiellement à organiser la solidarité.

    Le 11 octobre, le secrétariat général décida de suspendre la souscription du Parti au profit d’une vaste souscription « en faveur des mineurs et des métallurgistes en grève » et d’inscrire « au nom du Comité Central la somme de 500 000 francs».

    Le comité central publiait une déclaration solennelle le 30 octobre : « La solidarité envers les mineurs est un devoir sacré ».

    D’après les estimations de la CGT, 100 millions de francs par semaine étaient nécessaires pour subvenir aux besoins des mineurs et de leurs familles. Or, la solidarité s’élevait à la fin de la grève à 600 millions de francs.

    A cela, s’ajoutaient 180 millions reçus par la Fédération des mineurs de syndicats étrangers, dont 90 millions des syndicats soviétiques, 50 millions des syndicats tchèques, le reste de Pologne, de Hongrie et de Bulgarie.

    Pour élargir les possibilités de ravitaillement des grévistes, Auguste Lecoeur et André Parent, communistes du Pas-de-Calais, mirent en place des bons de solidarités valables dans des commerces locaux.

    Il s’agissait ni plus ni moins d’un système de crédit, les commerçants acceptant les bons reçurent le remboursement de l’intégralité des sommes par le syndicat des mineurs.

    L’État s’opposa rapidement à cette pratique, par laquelle la grève aurait pu trouver un moyen de s’étendre, en menaçant de poursuivre les auteurs pour fraude fiscale.

    Une information judiciaire fût même ouverte sur l’ordre du ministre des Finances pour émission de traites dépourvues du timbre légal. L’émission des « bons Lecoeur » cessa alors.

    Pour soutenir les grévistes, le PCF mobilisa également des intellectuels, publiant textes et poésies dans la presse partisane.

    C’est ainsi que Paul Éluard écrivit un poème exaltant la difficile condition du mineur voué aux ombres de sa vie, dans un style misérabiliste tout à fait français. « Ombres » fut publié le 13 octobre 1948 dans L’Humanité.

    « Ombres sur terre ombres tournantes
    Filles dociles du soleil
    Danseuses fraîches reposantes
    Amies des hommes et des bêtes

    Ombres sur terre de la nuit
    La plus profonde va vers l’aube
    Comme les autres et la lune
    Et très légère aux dormeurs pâles

    Ombres sous terre du mineur
    Mais son cœur bat plus fort que l’ombre
    Son cœur est le voleur du feu
    Il met à jour notre avenir

    Outrage sous les ombres
    Se développe une ombre
    De dégoût de misère
    De honte et de courroux

    Travailler sans espoir
    Creuse sa propre tombe
    Au lieu d’illuminer
    Les yeux de ses semblables

    Les mineurs ont dit non
    A la défaite aux cendres
    Ils veulent bien donner
    Donner mais qui reçoit

    Le cœur n’a pas de bornes
    Mais la patience en a
    Nul ne doit avoir faim
    Pour que d’autres se gavent

    D’autres qui sont apôtres
    De la terre engloutie

    Camarades mineurs je vous le dis ici
    Mon chant n’a pas de sens si vous n’avez raison
    Si l’homme doit mourir avant d’avoir son heure
    Il faut que les poètes meurent les premiers. »

    La solidarité des organisations ouvrières à l’égard des mineurs se poursuivit après la fin de la grève, en particulier face à la répression judiciaire, au travers du soutien aux inculpés et condamnés.

    Jules Moch fit un premier bilan, alors que les grèves n’étaient pas terminées, dans son discours à l’Assemblée nationale le 12 novembre : « 1 041 arrestations, et déjà 300 condamnations ».

    Le 29 janvier 1949, Robert Lacoste, dans une lettre au président de la République Vincent Auriol, indiquait un nombre de 1 430 mineurs passés en jugement au 15 janvier et 400 en attente, précisant que les Charbonnages avaient licencié à la même date 1100 ouvriers, tous préalablement condamnés.

    La plupart des condamnations furent prononcées pour le délit d’entrave à la liberté du travail.

    Le Parti Communiste Français resta largement en retrait du soutien aux condamnés, et, dans tous les cas, se garda de mener un combat politique sur la question. Tout au plus se contenta-t-il d’en appeler à la clémence de l’État. Il fût d’ailleurs rejoint dans ce registre par la SFIO qui appela à ce que l’on ne condamnât pas trop lourdement des grévistes, « sincères dans leurs revendications, mais manipulés par des extrémistes ».

    Il faut ici souligner le rôle du Secours Populaire Français qui mena les actions concrètes de solidarité face à la répression.

    Il organisait le parrainage des emprisonnés, l’entretien d’une correspondance avec eux et leur famille, l’envoi de colis, etc.

    Le Bureau politique du PCF, tout en se gardant d’intervenir publiquement, l’invita le 16 décembre 1948 à amplifier son action et à :

    « Développer le mouvement de protestation contre les mesures de répression anti-ouvrières (mineurs) et les violences policières telles que l’assassinat de St Mandé.

    Inviter les militants du Secours Populaire à renforcer leur action dans ce domaine. Placer cette action dans le cadre général de notre lutte pour la liberté et pour la Paix. »

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Le combat des mineurs et les femmes

    La vigueur des réseaux de résistance après-guerre avait été prise en compte par l’État au lendemain des grèves de l’automne 1947.

    Ainsi, une loi du 28 décembre 1947 ramena le nombre de compagnies de CRS de 65 à 54, avec en particulier le désarmement et la dissolution des 151e et 155e compagnies.

    Les trois compagnies de CRS de la Loire avaient été pareillement dissoutes, suite au vote du principe de la grève par la 133e Compagnie de Montluçon le 27 novembre 1947.

    Par ailleurs, suite aux mouvements de grèves de 1947, et pour asseoir son autorité, le Ministère de l’Intérieur dirigé par le socialiste Jules Moch avait créé un réseau de hauts fonctionnaires chargés de prévenir toute tentative de subversion et déployé au niveau régional, les inspecteurs généraux de l’administration en mission extraordinaire (IGAME).

    De plus, l’État avait ordonné, en plus du contingent normalement prévu, le rappel de 80 000 hommes sous les drapeaux pour 1948.

    Il faut noter également que, ayant constaté que les mineurs utilisaient les véhicules des charbonnages en 1947 afin de réagir aux interventions des forces de répression, cette fois ceux-ci furent confisqués par l’armée dès le départ et placés à l’intérieur d’enceintes de caserne.

    On est dans un contexte de guerre civile. Au plan de l’organisation, les réseaux nés de la clandestinité des années de guerre entraient en action durant la grève.

    Ainsi, le 22 octobre, autour du puits Cambefort à Firminy dans la Loire, commencèrent des affrontements très violents ; l’offensive ouvrière s’organisa sous la conduite d’un ancien commando FTP dirigé par Théo Vial-Massat.

    Dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais, les sabotages se multiplièrent à partir de la troisième semaine de grève et la décision des mineurs de ne plus assurer la sécurité des puits, en protestation contre l’arrivée des contingents militaires.

    Le 2 novembre, à Haillicourt, dans le groupe des mines de Bruay-en-Artois, le frein de la cage d’extraction de la fosse 2 bis fut démonté, immobilisant cette machine à mi-course : les mineurs présents au fond durent de ce fait remonter par les échelles.

    Le 3, des rails de chemins de fer furent enlevés entre Harnes et Billy-Montigny. Le 5, deux sabotages rendirent impossible le redémarrage de la fosse 7 de l’Escarpelle qui avait été dégagée la veille.

    Le 9, les pneus d’un autobus des Charbonnages assurant le transport des ouvriers des campagnes vers les fosses 2 et 3 des mines de Dourges à Hénin-Liétard furent transpercés par des planches cloutées placées au travers de la route.

    Dans la nuit du 11 au 12, un rail fut déboulonné à Beugin sur la ligne de chemin de fer reliant Saint-Pol-sur-Ternoise à Bruay-en-Artois puis à Lens, sans doute afin de provoquer le déraillement du train transportant les mineurs jusqu’à la fosse 7 du groupe de Bruay-en-Artois.

    Le 12, à Liévin, trois individus masqués s’introduisirent dans le retour d’air d’une fosse et placèrent des explosifs sur les coussinets des moteurs servant à la ventilation. Une seule charge explosa, n’occasionnant en fait que de faibles dégâts.

    Le même jour, une grenade était lancée contre un train des mines partant de Choques, blessant l’accrocheur qui dut être hospitalisé. Le 14, un rail fût placé au travers de la ligne Rimbert-lez-Auchel-Lillers. Le 16, la ligne Auchy-Bully était touchée.

    Le 22 octobre, un autobus des Charbonnages effectuant le transport des ouvriers mineurs du groupe de Nœux-les-Mines fût détourné par trois individus qui, sous la menace d’un revolver, forcèrent le chauffeur à les conduire dans le bois d’Olhain.

    Arrivés à destination, ils contraignirent les passagers à s’enfuir et tentèrent de mettre le feu au véhicule. N’y parvenant pas complètement, ils jetèrent une grenade à l’intérieur de l’autobus.

    Dans le même temps, les abords des puits étaient devenus de véritables camps retranchés, les wagons sortis des rails et placés en travers, des arbres abattus le long des routes.

    À la fosse 7 de Liévin à Avion, des tranchées furent creusées et des barbelés tendus tout autour du site.

    La tendance révolutionnaire de la grève des mineurs de 1948 peut également se constater par le degré de participation des femmes à tous les niveaux du mouvement.

    Les femmes des mines appartiennent à la classe ouvrière ; si le mariage les amenait souvent à devenir « femmes de mineurs » comme on dit « mère au foyer », toutes occupaient durant l’adolescence des postes à la production : hercheuses (qui pousse les wagonnets), trieuses (qui séparent dans des conditions éprouvantes le charbon des terres stériles), galibot (employée sur les voies au fond), lampistes (qui distribuent les lampes), etc.

    Dès la création des Charbonnages, la main d’œuvre masculine fut mobilisée pour les besoins du fond. Les mines durent employer plus de femmes aux lavages et triages.

    Les conditions de travail étaient très dures et la paie inférieure à celle des hommes. D’après une enquête du très bourgeois Nord Industriel et Commercial de décembre 1946, les ouvrières devaient travailler debout, immobiles, au contact d’un métal glacé, dans une atmosphère suffocante.

    Évidemment, elles devaient supporter les grossièretés des contremaîtres et n’avaient accès ni aux douches ni aux cantines.

    La participation des femmes aux actions violentes des grévistes témoigne de l’engagement total des masses dans le mouvement.

    Ainsi, à Alès le 26 octobre, pour reprendre les puits évacués, les femmes armées de bâtons et de fourches allèrent au-devant des groupes lancés contre la police.

    À Villerupt, en Meurthe-et-Moselle, des heurts violents opposèrent six mille manifestants aux forces de l’ordre, tandis qu’à Longwy des cadres furent pris en otages ; ces actions étaient rendues possibles par la participation décisive des femmes qui firent preuve d’un bon sens tactique et d’une grande détermination face à la violence policière.

    Par ailleurs, les femmes ouvrières des mines avaient acquis une expérience importante par la participation aux activités de lutte contre les nazis.

    Ainsi, dans le bassin du Pas-de-Calais, la mémoire d’Emilienne Mopty, héroïne des grèves patriotiques de 1941 était vive.

    Après avoir mené un cortège de plusieurs milliers de femmes et participé à de nombreuses actions militaires contre les nazis, elle avait finalement été arrêtée alors qu’elle tentait d’attaquer un peloton d’exécution.

    Menée à Cologne, elle y fut décapitée à la hache par les nazis en 1943. Le hasard voulut que son corps fût rapatrié d’Allemagne pour être enterré à Montigny-en-Gohelle, à l’automne 1948, en pleine grève des mineurs.

    Ses fils, emprisonnés pour leur participation à des violences contre les forces de l’ordre, ne purent accompagner sa dépouille.

    Un évènement particulièrement révélateur se produisit à Verquin, dans le Pas-de-Calais le 19 octobre. Dans une manifestation qui dégénérait, un ingénieur fût malmené et un inspecteur de police déculotté par des femmes. Une rumeur au moins tendait à légitimer cette castration symbolique (dont témoigne une photographie). Une femme avait reconnu ce policier comme l’auteur de l’arrestation de son mari sous l’Occupation.

    Arrêtées, elles étaient plus largement relâchées. Par exemple, sur 32 personnes inculpées, une seule femme fut jugée par le tribunal de Béthune en mars 1949 pour l’assaut mené contre la Sous-Préfecture pendant la grève.

    Les femmes jouèrent un rôle également dans la lutte psychologique – prenant parfois des formes violentes – contre les jaunes et les briseurs de grève, souvent par des actions contre des maisons ou en exerçant des pressions sur d’autres femmes.

    Les femmes transformèrent donc le mouvement de 1948.

    Au travers de leur action de premier plan, il n’était plus simplement question de grève. Toutes les préoccupations du présent et du passé récent, des conditions de vie et de dignité, jaillirent au premier plan, avec urgence, violence et sans qu’il fût possible pour les pouvoirs publics de proposer des concessions.

    On notera ici la résolution sur la main d’œuvre féminine qui fut adoptée lors du 27e congrès de la CGT, qui s’est tenu justement du 11 au 15 octobre 1948.

    « Considérant que l’amélioration de la condition des femmes travailleuses, partie intégrante du monde du travail, et leur émancipation sont l’œuvre du mouvement syndical tout entier ; le Congrès appelle à la discussion du problème féminin à tous les échelons du mouvement syndical, depuis la section syndicale jusqu’au bureau confédéral. »

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • La situation historique des mineurs

    La massification était pour le Parti Communiste Français la clef d’un problème apparent : la République lui tendait les mains, mais il fallait obtenir une certaine masse critique.

    C’est ce qui explique la transformation très rapide en 1945, et sans aucune complication interne. De « parti des fusillés », organe politique-militaire clandestin des résistants, il devait devenir parti des masses travailleuses.

    Tous les cadres étaient d’accord à ce sujet, et tous suivaient Maurice Thorez affirmant que le Parti Communiste Français devait se montrer apte à améliorer durablement la vie des travailleurs.

    En ce qui concerne les mineurs, cela provoquait une situation forcément intenable.

    Chargé tout à la fois de maintenir le statut du mineur et d’améliorer largement les conditions de vie des masses, le Parti Communiste Français ne pouvait que chanceler.

    Le statut du mineur était en fait pour Maurice Thorez la preuve de ce que l’on pouvait faire créer un embryon de socialisme dans la république bourgeoise.

    C’était une illusion, criminelle qui plus est car cela transformait en même temps les mineurs en corporation, qui devait produire de toutes ses forces et bénéficier en retour du fruit de son travail.

    La « bataille du charbon » lancée en 1945 atteignait ses objectifs. Grâce à l’abnégation des ouvriers, 100 000 tonnes par jour remontaient du fond des puits dès le mois de novembre 1946.

    Mais cette production, bien que dépassant celle de 1938, ne permettait pas de couvrir les besoins des industries renaissantes. La France avait massivement recours à l’importation, à hauteur de 20 à 30 % de sa consommation.

    Au travers du plan Marshall, la moitié des importations vinrent des USA à partir de 1947.

    La vétusté des exploitations, notamment l’insuffisance des installations électriques, limitait la mécanisation, de sorte que l’accès à certaines qualités de matière, pourtant présentes en sous-sol, était impossible.

    La production en souffrait en général ; les Charbonnages livraient fréquemment à leurs clients du coke impur, impropre à la production d’un acier de qualité. On manquait par ailleurs de charbon maigre et demi-gras pour alimenter les machines à vapeur.

    Somme toute, la production était médiocre, mais pas seulement : les rendements étaient eux aussi insuffisants.

    En 1948, les 3,6 millions de tonnes produites représentaient 96 % de la production de 1938. Néanmoins, le rendement moyen au fond n’était que 79 % de celui de 1938.

    Le niveau de production était tenu littéralement à bout de bras par les mineurs. Ainsi, dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, aux réserves imposantes, la production de 1948 représentait seulement 83 % de celle de 1938, avec un rendement moyen de 77 % de celui de 1938.

    Alors que les mines étaient nationalisées depuis deux ans, les mineurs de fond manquaient de tout, de bois et d’aération pour leur sécurité, comme de piqueurs pneumatiques et de machines excavatrices pour attaquer la roche.

    La « bataille du charbon » lancée par Maurice Thorez devant les mineurs de Waziers en juillet 1945 n’était donc pas achevée en 1948. Elle était pourtant au cœur de la stratégie de conquête du pouvoir du Parti Communiste Français.

    Celui-ci entendait montrer qu’après avoir organisé les partisans pour la libération du pays, il savait encadrer la classe ouvrière pour relever l’économie. La dimension militaire de l’opération était plus qu’une formule.

    Les propos attribués à Auguste Lecoeur, alors secrétaire d’État aux mines et maire de Lens (Pas-de-Calais), sont sans équivoque :

    « Le problème humain, c’est le mineur qui regarde le tas de charbon qu’a sorti l’autre. Même s’il faut que cent mineurs meurent à la tâche, l’essentiel c’est que la bataille du charbon soit gagnée.

    C’est le salut du pays qui est en jeu. Quand les bataillons montaient au front et tombaient à l’attaque, il n’y avait pas de problème humain. »

    Comme on le voit, le rapport du Parti Communiste Français aux mineurs possède un large axe utilitaire. Ceux-ci sont considérés comme une corporation pouvant servir de levier.

    Créé en 1946, le statut de l’ouvrier mineur plaçait tous les salariés des Charbonnages dans un système corporatiste.

    Sous la protection de l’État et par effet de la loi, les mineurs étaient dans un cadre particulier, séparés du reste de la classe ouvrière : un système de titularisation offrant la sécurité de l’emploi, un salaire minimum, un régime de protection sociale dérogatoire avec son propre système de soins pour le mineur et sa famille, une caisse de retraite, etc.

    En 1948, ce régime protecteur fut entamé par trois décrets signés du ministre socialiste Robert Lacoste.

    Le premier concernait la carrière du mineur et instaurait un stage probatoire de six mois, durcissait les sanctions disciplinaires, supprimait le salaire dit « minimum vital » et introduisait les licenciements de droit pour absences non justifiées.

    Le second réduisait de 10% les effectifs du personnel administratif et de jour.

    Le troisième réduisait la part des salariés dans le Conseil d’administration des Charbonnages et donnait aux directions davantage de prérogatives dans la gestion des coopératives approvisionnant les mineurs.

    Les décrets Lacoste représentaient évidemment une injure à leur implication dans la relance économique, alors que des commandos de travailleurs de choc s’étaient organisés dès 1945 dans tous les puits, et que leur bravoure était vantée par les organes du parti et les publications syndicales.

    La nationalisation des compagnies et la cogestion des mines par ces organisations ouvrières, étaient pour eux une immense reconnaissance et avaient même pour eux un avant-goût de socialisme.

    On a là un aspect essentiel de la rage qu’il y avait du côté des mineurs en 1948.

    C’était d’autant plus vrai que même s’ils bénéficiaient de la gratuité du logement, du charbon pour le chauffage et des soins, les mineurs partageaient par les autres aspects de leur existence le sort de la classe ouvrière de l’immédiat après-guerre.

    Les conditions de vie étaient rudes, l’on manquait de tout. Pour les masses travailleuses, l’accès aux marchandises de base restait très limité.

    Les productions agricole et industrielle étaient globalement insuffisantes pour couvrir décemment les besoins. Les prix du commerce de gros étaient élevés, notamment du fait de la nécessité de renouveler les stocks. Les prix au détail étaient réglementés, mais malgré cela, l’inflation gangrenait l’économie.

    Les étals étaient souvent vides ; les ménages étaient contraints de se fournir au marché noir pour acheter certaines marchandises inaccessibles.

    À l’automne 1948, le kilo de beurre coûtait près de 1000 F au marché noir, pour 500 F au marché légal ; son prix était de 150 F encore en janvier 1946.

    Il fallait compter 100 F pour un kilo de sucre à l’automne 1948 au marché légal, presque 5 fois plus au noir.

    Le litre de lait se payait quant à lui entre 40 et 60 F selon le marché. Selon les sondages réalisés alors par l’IFOP, l’estimation de la somme mensuelle nécessaire aux dépenses d’une famille de quatre personnes passa de moins de 30 000 F à 40 000 F entre décembre 1947 et janvier 1949.

    En 1948, le salaire moyen de l’ouvrier mineur de fond était d’environ 12 000 F, en fonction de la production individuelle. Les familles ouvrières des mines connaissaient concrètement encore l’économie de guerre et c’était vrai pour les larges masses.

    La guerre était également encore présente dans les esprits, à bien d’autres niveaux. En effet, les mines ne s’étaient pas arrêtées pendant l’occupation, et, après-guerre, le personnel avait peu changé.

    Or, pendant l’occupation, une forme de collaboration économique particulièrement intense s’était installée. Ainsi, en 1948, le bassin minier du Nord-Pas-De-Calais connaissait un contexte particulièrement tendu.

    Collabos, anciens résistants et victimes de la barbarie nazie vivaient en promiscuité dans les cités minières, et chacun savait qui était qui. L’épuration n’avait pas eu lieu, d’autant que, en lançant la « bataille du charbon », Maurice Thorez avait déclaré en juin 1945 à Waziers :

    « On ne peut pas épurer pendant 107 ans (…) produire, produire, et encore produire, faire du charbon, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français. »

    Les populations des bassins miniers du Nord-Pas-de-Calais et de Lorraine avaient vécues en « zone interdite », dépendant directement du commandement militaire de l’Allemagne nazie.

    Lors de la grève patriotique de 1941, encore vive dans les esprits, des listes de meneurs avaient été livrées aux nazis.

    Plus généralement, les directions s’employaient alors, en alourdissant le rythme de travail, à faire en sorte que le niveau de la production satisfasse l’occupant, sous l’œil d’une maîtrise retrouvant la plénitude de l’autorité qu’elle avait dû en partie concéder au temps du Front populaire.

    Parce qu’il fallait produire, la nationalisation des compagnies, la transformation en établissement public avait pour ainsi dire tenu lieu d’épuration.

    Pour les mineurs, justice n’était donc pas faite. Dans l’immédiate après-guerre, de nombreux règlements de compte se déroulèrent dans les bassins miniers, en particulier dans le Nord-Pas-de-Calais, où les autorités du gouvernement provisoire constataient des assassinats d’ingénieurs et de porions, au fond.

    La question de l’épuration dans les bassins miniers n’était toujours pas réglée en 1948, sans que le Parti Communiste Français, aveuglé par la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez, n’ait pu prendre la réelle mesure de la question.

    La grève des mineurs de 1948 le surprit ainsi par son haut niveau de conflictualité. Agissant en parti syndicaliste, il organisa la solidarité en faveur des familles des grévistes, sans être en mesure de pousser dans le sens d’un soulèvement général.

    La direction stratégique de la grève était donc tiraillée entre le haut niveau de conflictualité des masses des cités minières et les impératifs inhérents à la position du « parti syndicaliste ».

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  • Le Parti et l’importance des mineurs

    En 1948, le Parti Communiste Français jouait en quelque sorte son va-tout du point de vue de l’exercice du pouvoir. C’est pour lui l’ultime tentative de s’imposer comme force à la fois gouvernementale et contestataire par la lutte des classes.

    La SFIO à sa droite accumulait autour d’elle les forces de gauche opposées à l’URSS et favorables au plan Marshall. Maurice Thorez comptait quant à lui sur le climat social tendu à l’extrême depuis la fin de l’année 1947 pour apparaître comme le leader de l’unité nationale et du progrès social.

    Dans l’immédiat après-guerre, à la tête du « Parti des Fusillés », Maurice Thorez entendait animer la vie politique dans la continuité du Programme du Conseil National de la Résistance. Le Parti Communiste Français était une force politique incontournable qui dut transformer le pays en l’unifiant autour de lui.

    Cette ligne, définie à l’issue du Xe Congrès national de juin 1945, guida ensuite les actions du Parti Communiste Français. Avec l’exclusion des ministres communistes du gouvernement en mai 1947, cette ligne fut toutefois brisée.

    Rejeté en dehors de l’exécutif, le Parti Communiste Français entendait peser par la gauche sur les gouvernements de la IVe République, parvenir à revenir au centre du jeu.

    Les grèves de la fin 1947 furent une tentative de reprendre la main sur le mouvement ouvrier après le coup de force de la SFIO et de l’ultra-gauche du printemps 1947. Mais le mouvement fit long feu par manque de préparation politique.

    L’incohérence se situait au niveau suivant. Durant la séquence qui s’ouvrit après les grèves de 1947 et le XIe congrès, le Parti Communiste Français chercha à s’imposer comme étant la force politique progressiste capable de dépasser l’instabilité, d’unir « le peuple » et de guider la république française vers le progrès social.

    Dans ce large dessein, il y avait une place pour les mineurs et il fallait alors tout à la fois défendre la production des mines nationales et encourager la grève.

    Le Parti Communiste Français se révéla incapable de résoudre cette contradiction entre son rôle réel et son rôle souhaité, entre le cadre républicain bourgeois et la révolution socialiste.

    Il faut ici revenir un peu en arrière et voir l’importance des mines. Le charbon était une ressource décisive pour l’économie du pays.

    Dans ce cadre, la stratégie de recapitalisation des mines était une des œuvres phares du PCF du temps où il était le parti de gouvernement. Le bon fonctionnement des houillères nationales s’avérait par conséquent indispensable à tout retour au pouvoir souhaité par le PCF.

    Le 11 décembre 1945, le député communiste du Nord Henri Martel avait présenté la proposition de loi tendant à la nationalisation de toutes les mines, minières, usines et entreprises annexes des mines.

    Cette loi, publiée le 17 mai 1946 avait entraîné la nationalisation des houillères, en créant un groupe industriel public nommé Charbonnages de France.

    Ceci avait achevé dans les bassins miniers, le mouvement de sanctions économiques initié dès la libération, dans le cadre des mesures d’épuration et de redressement de l’économie.

    Il convient néanmoins de relativiser l’aspect « épuration » des mesures de nationalisation des mines.

    En effet, les propriétaires des compagnies ne furent pas sèchement expropriés. Entre 1944 et 1946, les exploitants des houillères perçurent de l’État une allocation mensuelle de 8 francs par tonne de houille extraite mensuellement et en moyenne pendant les années 1938 et 1939. Rien que pour les mines du Nord-Pas-de-Calais, cette allocation représentait la somme de 238 millions de francs par an.

    Refusant de sortir du cadre bourgeois, le PCF se trouvait tenu aux règles de la gestion capitaliste. Il fut condamné à la fuite en avant : démontrer qu’une entreprise dont l’actionnaire unique est l’État peut être compétitive sur un marché concurrentiel. La production de charbon devait donc être conséquente avec des coûts modérés.

    Or, les problèmes de rentabilité se multipliaient. En juin 1946, le prix de revient à la tonne de charbon « tout venant » était le triple de celui de 1944.

    Les coûts de main-d’œuvre constituaient 67 % du prix de revient, contre 19 % pour les fournitures.

    En juin 1947, les Charbonnages avouaient un déficit de 13 milliards de francs. En 1948, le prix de vente de la tonne de « tout venant » était deux fois supérieur à celui de 1946. Le charbon de France ne pouvait faire face à la concurrence américaine et allemande.

    Inversement, les revendications salariales étaient importantes chez les mineurs. Depuis la libération, le salaire des ouvriers mineurs était resté inférieur à ceux des autres branches professionnelles.

    En août 1946, le conseil d’administration des charbonnages, largement sous l’influence du PCF, estima que, les objectifs de la production étant atteints, il était possible d’accorder une majoration des salaires de 30 %.

    La grève de l’automne 1948 rassembla les mineurs autour d’une revendication salariale centrale : la fixation du montant du salaire de base à 14 500 francs.

    Le soutien au mouvement de revendication d’augmentation générale des salaires ouvriers était un marqueur idéologique du PCF.

    Il faut noter ici que c’est une erreur historique, car c’est au syndicat de s’occuper de cela.

    Le Parti pose le cadre politique pour la victoire des revendications, mais il ne joue pas le rôle du syndicat ; le syndicat est subordonné, mais il a une activité spécifique.

    Malheureusement, avec Maurice Thorez, le Parti Communiste Français est une sorte de parti syndicaliste.

    Il prenait son rôle très à cœur ; en 1946 déjà, alors que le PCF était présent au gouvernement, il s’opposa à la politique de blocage des prix et des salaires, en appui aux revendications de la CGT.

    Dans un important fascicule présentant les rapports du comité central pour son XIe congrès de 1947, le Bureau politique énonce ainsi au chapitre des prix et salaires :

    « Comme en juin 1946, seul le Parti Communiste soutint avec énergie la revendication de la CGT pour l’application du minimum vital.

    La loi du 31 mars 1947 et l’arrêté d’application du 6 avril 1947, en accordant une substantielle augmentation pour tous les salaires inférieurs à 7 000 francs, a permis d’améliorer sensiblement les conditions de vie des travailleurs. »

    Un autre aspect est que le Parti Communiste Français avait l’obsession de la massification et il avait retenu la leçon des grèves des usines Renault d’avril 1947, où il avait été débordé par un petit réseau d’ultra-gauche.

    Maurice Thorez n’a cessé de souligner l’importance de la massification. Au congrès de 1947, en évoquant la Pologne, la Bulgarie et la Tchécoslovaquie, le comité central énonça que :

    « Ce qui se passe dans d’autres pays, en Europe centrale notamment, ne peut pas ne pas retenir notre attention. C’est par centaines de milliers, voire par millions, que nos Partis frères comptent leurs adhérents ».

    Et le Parti Communiste Français, pourtant dans un contexte totalement différent puisqu’agissant dans le capitalisme, devrait faire de même.

    « Les grands succès déjà obtenus par notre Parti en France nous permettent de penser que nous pouvons, que nous devons trouver dans les conditions propres à notre pays, un développement encore plus impétueux de nos effectifs, de notre capacité d’organisation et de notre activité. »

    Dans cette optique, les bassins miniers apparaissaient comme des bastions électoraux. En effet, si l’on observe les résultats aux élections qui précédèrent la grève de 1948, à savoir les élections législatives de novembre 1946, le Parti Communiste Français fit un score de 28,2 % au niveau national.

    Il apparaissait comme la première force politique de gauche (la SFIO était à 17,8%), mais aussi comme la première force politique du pays (le MRP était à 25,9%).

    Or, les résultats du Parti Communiste Français dans les départements miniers étaient largement supérieurs à la moyenne nationale :

    – Pas-de-Calais : 31,2 % ;

    – Nord : 28,7 % ;

    – Gard : 37,4 % ;

    – Saône-et-Loire : 32,4 %.

    L’influence politique des mineurs débordait des bassins d’emploi pour grossir largement les suffrages au-dehors.

    Maurice Thorez vient de cet environnement et on peut dire ici que si dans les années 1920 et 1930, c’est la région parisienne qui porte le Parti Communiste Français, à partir des années 1930-1940, c’est le Nord-Pas-de-Calais qui définit le style de travail et les mentalités.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • La grève des mineurs de 1948

    La grève des mineurs de 1948 dura 52 jours consécutifs, un peu plus de sept semaines. Elle cristallisa des enjeux politiques très larges, mobilisant, avec elle ou contre elle, toutes les forces politiques du pays.

    La grève fut déclenchée après un référendum organisé par la CGT : 200 000 ouvriers des Charbonnages se déclarèrent pour la cessation du travail.

    Le premier jour de la grève, le lundi 4 octobre, absolument tous les puits du pays étaient bloqués.

    Cette grève porta dès les premiers instants son caractère de masse, elle révéla dans les jours qui suivirent le haut niveau de conflictualité des gens des mines.

    (wikipédia)

    On est dans une révolte qui est, en un certain sens, le pendant de la « bataille du charbon » lancée par le Parti Communiste Français en 1945. Les communistes avaient conquis leur légitimité en étant en première ligne pour relancer la production, en particulier du charbon.

    Avec la grève des mineurs, il y a en quelque sorte l’exigence que les services rendus soient reconnus. L’erreur stratégique était pourtant là : la France n’était pas une démocratie populaire et il n’y avait aucune raison que le capitalisme fasse des mineurs une couche sociale valorisée.

    Ce fut donc un affrontement terrible, de haute valeur sur le plan de la lutte des classes, et en même temps un combat perdu d’avance.

    On peut distinguer quatre séquences dans le déroulement du mouvement de grève. Du 4 octobre au 8 octobre 1948, la grève s’installe, le gouvernement n’agit d’abord pas.

    Puis, du 8 octobre au 17 octobre, la CGT œuvre pour se maintenir au centre du jeu. Du 17 octobre au 23 octobre, les masses passent à l’assaut. Enfin, du 23 octobre au 29 novembre, c’est un lent délitement.

    Comment se déroula grève ? Elle prit la forme de piquets, avec occupation des carreaux de fosse et des différentes installations annexes. Dès les premiers jours, certains piquets se retranchèrent derrière de véritables barricades.

    La CGT organisa des meetings locaux la deuxième semaine, afin de maintenir la tension. Après une courte période de « pourrissement » selon l’expression de Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT, le gouvernement procéda à la répression de la grève.

    Celle-ci fût implacable et militarisée. Les CRS dégagèrent d’abord le bassin de la Moselle, puis ce fut le Massif central et enfin le Nord-Pas-de-Calais.

    (wikipédia)

    Dès le 16 octobre, la CGT réclamait le retrait des forces de l’ordre et décidait à titre d’avertissement une grève de vingt-quatre heures des services de sécurité des cokeries et des mines. Le gouvernement répondit par l’ordre d’occupation des puits.

    La CGT lança alors, le 18, la grève illimitée de la sécurité. À cette date, dans le Pas-de-Calais, la grève touchait les centrales thermiques – dépendantes du charbon – qui furent dans l’obligation d’en partie cesser leur production.

    Des coupures du courant électrique intervinrent à Angres, Avion, Dourges, Eleu, Lens, Liévin et Sallaumines. C’est tout le système de régulation hydraulique qui s’en trouva perturbé.

    Les remontées des eaux de sous-sol menacèrent certains quartiers du bassin lensois. Dans les Cévennes, les puits du Martinet et de Bessèges subirent aussi des inondations du fait de l’arrêt des pompes.

    Bientôt, des cortèges se formèrent dans des rassemblements de plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants devant les Grands Bureaux d’Hénin-Liétard et d’Oignies, puis le 19 à Verquin et le 21 à Béthune.

    Le 19, à la fosse 8 à Verquin, un demi-millier de personnes attaquèrent le cordon de police qui protégeait l’équipe de sécurité. Une trentaine de personnes furent arrêtées durant l’émeute. Dès le lendemain, 500 personnes se rassemblaient devant le commissariat de Barlin et 300 devant celui de Noeux-les-Mines pour réclamer la libération de leurs camarades.

    Le 21 octobre, à Béthune, drapeau rouge et fanfare en avant, un cortège de 6000 personnes venues d’Auchel, de Bruay-en-Artois, de Divion et de Noeux-les-Mines marcha vers la sous-préfecture.

    Ayant obtenu la libération des inculpés du 8 de Verquin, ils réclamaient l’impunité pure et simple et la restitution des papiers d’identité confisqués par la police. Devant la valse-hésitation du sous-Préfet, un des délégués donna du clairon et la foule entra dans le bâtiment.

    Le sous-Préfet et le procureur de la République furent retenus jusqu’à ce qu’ils eussent signé un document promettant l’immunité des inculpés. Les CRS donnèrent l’assaut avec l’appui des gendarmes ; une trentaine de blessés des deux camps fut dénombrée.

    (wikipédia)

    Dans le Gard, le même matin du 21 octobre, des affrontements eurent lieu entre des grévistes qui occupaient le puits Ricard et les CRS. Le piquet de grève fut démantelé et les grévistes expulsés du carreau de mine par la force.

    L’après-midi-même, un important cortège parti du quartier ouvrier s’ébranla vers la fosse pour organiser la réoccupation du puits. Les affrontements furent extrêmement violents, et les mineurs débordèrent les CRS.

    Refluant, ils sautèrent ou furent jetés, d’un mur haut de 6 à 10 mètres. 14 CRS furent grièvement blessés, 56 plus légèrement. Aucun coup de feu ne fut tiré ce jour-là, on ignore le bilan des blessés chez les mineurs.

    Les grévistes occupant le puits Ricard furent finalement évacués quelques jours plus tard à l’aide de blindés.

    Au puits Cambefort à Firminy dans la Loire, ce 21 octobre marqua le commencement d’affrontements eux aussi violents.

    Les mineurs tentèrent de reprendre le contrôle du puits gagné par la police. Le lendemain, une nouvelle offensive ouvrière s’organisa sous la conduite d’un ancien commando de francs-tireurs partisans.

    Le même jour, à Montceau-les-Mines, en Saône-et-Loire, les mineurs attaquèrent les forces de l’ordre et, au terme de violents affrontements, prirent le contrôle de la ville.

    Ils firent littéralement prisonniers cent trente gendarmes conduits par leur colonel et quinze gardiens de la paix, dont ils confisquèrent les armes.

    Le 23 octobre, le ministre socialiste de l’Intérieur Jules Moch ouvre la boîte de Pandore, en affirmant que les forces de l’ordre « pourront se défendre après les sommations réglementaires », que les préfets « auront le droit d’interdire toute réunion, même privée » et que « les étrangers participant aux manifestations actuelles seront tous expulsés, quelle que soit la durée de leur séjour et leurs attaches en France ».

    (wikipédia)

    Au terme de cette politique de durcissement de la répression des mineurs grévistes, le 3 novembre, Jules Moch fit le point sur les résultats de cette stratégie selon les différentes régions.

    Selon lui, à cette date, le bassin de Lorraine, premier bassin réinvesti, avait repris totalement le travail, l’Aveyron à 25 %, le Gard à 27%, le Tarn à 33%, la Nièvre à 47%, la Loire à 50%, la Saône et Loire à 59%.

    S’il indiquait que le Nord avait repris à 40%, il ne donna pas de pourcentage pour le Pas-de-Calais qu’il considérait « en cours de libération ». Il estima à 45 000 le nombre des mineurs ayant embauché le 2 novembre dans l’équipe du matin sur un effectif total de 145 000 (soit environ 31%), ce qui montrait que la grève était encore majoritaire à cette date.

    À partir du 10 novembre, la reprise du travail s’accéléra.

    Dans un long discours devant l’Assemblée nationale, le 16 novembre, Jules Moch dénonça ce qu’il estimait être une entreprise de déstabilisation de la République, menée par le Parti Communiste Français. Il affirmait avoir des preuves du caractère insurrectionnel de la grève des mineurs, et justifiait ainsi l’implacable répression des forces de l’ordre.

    Le 25 novembre, tous les puits enregistraient des descentes à hauteur de 90 %. La CGT appela à la reprise du travail le 29 novembre.

    Au cours de la grève, sept ouvriers furent tués par les forces de l’ordre. Parmi eux, le 8 octobre, Jersej Jamsek, âgé de quarante-trois ans, mourut à Merlebach au cours d’une charge des CRS, tandis que le 26, Max Chaptal, 26 ans, fut fauché par une rafale de mitraillette, alors qu’il tentait de franchir un pont défendu par les forces de l’ordre autour d’Alès.

    (wikipédia)

    On dénombra des centaines de blessés dans toute la population des mines, pas seulement des ouvriers-mineurs. Au plus fort du conflit, l’armée occupait les cités minières avec blindés et automitrailleuses.

    Un couvre-feu avait été imposé. Au total, 1041 ouvriers furent traduits devant les tribunaux. Les condamnations allèrent jusqu’à trois ans d’emprisonnement fermes. 3000 mineurs furent licenciés, expulsés de leur logement et souvent marqués au rouge auprès des sous-traitants des Charbonnages dans le bassin.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • La ligne du Parti pendant l’année 1948

    L’année 1948, comme auparavant l’année 1947, est marquée par une hausse continue des prix, alors qu’on ne sort toujours pas d’une situation de pénuries.

    L’agitation reste ininterrompue, avec différentes vagues et la tension ne fait que monter. En juin 1949, un débrayage d’une heure est très largement suivi, par des millions de travailleurs.

    Mais le Parti Communiste Français, qui soutient désormais totalement le mouvement, à rebours de sa position de 1945-1946 et de son retard à l’allumage de 1947, est pourtant toujours sur la même ligne de participer au gouvernement, de parvenir à le diriger.

    On en est toujours à la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez, avec la considération que le régime est démocratique ou du moins que la « République » est essentiellement neutre et qu’il est possible d’en prendre les commandes.

    C’est incohérent, totalement forcé, pour autant personne ne semble le remarquer. Le Parti Communiste Français ne connaît pas de critique, pas de remue-ménage interne, pas de bataille idéologique.

    Il y a le principe d’une grande force numérique et électorale, arrimée à l’URSS, cela semble suffire.

    Voici le programme de salut national, adopté le 15 avril 1948 lors de la session du Comité Central du Parti Communiste Français à Gennevilliers.

    « 1. Dénonciation des accords et traités qui enchaînent la France à la politique de guerre du camp impérialiste, qui subordonnent les crédits étrangers éventuels à des conditions
    contraires à l’indépendance nationale, qui lient la France aux pays ex-ennemis contre ses alliés (plan Marshall, traité militaire de Bruxelles, alliance avec l’Allemagne occidentale) [I].

    Participation active de la France aux efforts de l’Union Soviétique et de toutes les forces de paix dans le monde pour établir une paix démocratique, juste et durable, fondée sur le respect des accords interalliés et de la Charte des Nations Unies.

    2. Défense des droits de la France à la sécurité et aux réparations allemandes que des gouvernants sans honneur ont scandaleusement abandonnées.

    3. Fin de la guerre au Viêt-Nam. Libération de toutes les victimes de la répression colonialiste et respect de la Constitution dans les pays et territoires de l’Union Française.

    4. Défense de nos industries contre les atteintes et les menaces de l’impérialisme américain, rajustement des salaires sur la base du minimum vital, soutien de l’effort des savants, ingénieurs et techniciens, et modernisation des entreprises de manière à créer les conditions du développement de la production.

    5. Rénovation de l’agriculture française par une politique fondée sur une production accrue d’outillage agricole et d’engrais, sur les prix agricoles rémunérateurs et stables, sur la protection de nos cultures essentielles contre les grands exportateurs d’outre-Atlantique.

    6. Rétablissement de relations commerciales normales avec les pays du Centre et de l’Est de l’Europe, seuls débouchés importants et stables pour la production française.

    7. Mise en oeuvre de toutes les possibilités de l’industrie et de tous les moyens disponibles de l’Etat et de l’initiative privée pour impulser une politique de reconstruction et de construction afin de reloger rapidement les sinistrés et de donner aux innombrables jeunes gens sans logis la possibilité de fonder un foyer.

    8. Baisse sérieuse des prix, qui implique en particulier la «m réduction des superbénéfices des sociétés capitalistes, le respect des droits des Comités d’entreprise en ce qui concerne le contrôle des prix de revient.

    9. Développement de la formation professionnelle afin de donner un métier aux jeunes. Poursuite d’une politique d’équipement sportif et d’éducation physique préservant la santé de la Jeunesse et assurant son plein épanouissement.

    10. Stabilisation du franc. Equilibre strict du budget. Diminution massive des dépenses militaires. Reforme démocratique de la fiscalité exonérant le minimum vital, simplifiant le système des impôts, frappant les sociétés industrielles et financières scandaleusement favorisées et allégeant les charges des travailleurs et des classes moyennes. Protection de l’épargne. Défense de la propriété, fruit du travail et de l’épargne.

    11. Consolidation des conquêtes démocratiques, notamment la Sécurité Sociale et les nationalisations menacées par les grands capitalistes français et américains.

    12. Dissolution des groupes paramilitaires de guerre civile organisés par le R.P.F. Défense de la légalité républicaine et des libertés constitutionnelles (droit de grève, liberté d’expression, liberté de réunion, d association et de manifestation) [2].

    13. Organisation de l’armée conformément aux besoins exclusifs de la souveraineté française et de la défense de la République, garantissant à l’armée nationale un commandement et une structure rendant impossible son utilisation contre le peuple, pour une politique colonialiste ou comme instrument d’une puissance étrangère agressive.

    14. Application du statut de la fonction publique, voté en 1946 sur l’initiative de Maurice THOREZ en vue de faire droit aux légitimes revendications des fonctionnaires.

    15. Respect intégral de la laïcité de l’Etat et de l’Ecole publique, condition de l’union des Français sans distinction d’opinion et de croyance. Développement des constructions scolaires.

    16. Assainissement de la presse par la publication obligatoire des ressources et des dépenses de chaque journal ou périodique.

    17. Révision des scandaleuses mesures d’impunité prises à l’égard de nombreux traîtres. Libération et réhabilitation des combattants de la Résistance arbitrairement emprisonnés, poursuivis ou condamnés.

    **

    1) Il convient d’ajouter à cette énumération l’accord de Londres et le pacte bilatéral franco-américain.

    2) Il convient d’ajouter à cet article du programme l’abandon du projet Jules Moch qui tend à favoriser les entreprises subversives du général de Gaulle en lui assurant la majorité dans le Conseil de la République redevenu le Sénat.

    Au milieu de l’année, il est évident qu’on va à la collision. Néanmoins, le Parti Communiste Français joue toujours la carte du légitimisme. C’est là où on voit que la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez est devenue la matrice et qu’il est devenu impossible d’en sortir.

    Au milieu de l’année 1948, la contradiction est posée : il y a le combat des masses, mais le Parti Communiste Français qui le porte est paradoxalement incapable d’en assumer la dimension.

    En posant la « République » comme voie censée mener au socialisme, le Parti Communiste Français annule concrètement sa propre existence révolutionnaire.

    Voici l’appel du Parti Communiste Français à ce moment-là, encore et toujours pour un nouveau gouvernement.

    « Le mécontentement général des masses populaires a provoqué la dislocation et l’effondrement du gouvernement Schuman-Mayer-Moch.

    Les ouvriers, les paysans, les fonctionnaires, les petites gens des classes moyennes en ont assez d’une politique de misère et de ruine qui accable les travailleurs et tourne le dos aux intérêts de la France et de la République.

    La discussion portant sur une réduction bien insuffisante des crédits militaires a surtout souligné l’absence d’une véritable doctrine de défense nationale, chez les hommes et les groupements qui tentent d’asservir la France aux exigences des impérialistes américains, au risque de jeter notre pays dans une nouvelle catastrophe.

    Le gouvernement disparaît alors que la situation internationale de plus en plus tendue provoque de vives inquiétudes chez tous les Français épris de liberté et de paix. Les décisions unilatérales de la Conférence de Londres, ratifiées à la faible majorité de huit voix par l’Assemblée Nationale, produisent les résultats qu’on en pouvait attendre.

    Plus de sécurité, plus de réparations pour la France, mais l’alliance avec l’Allemagne de l’Ouest et la course à l’aventure derrière les fauteurs d’une nouvelle guerre impérialiste contre l’Union Soviétique et les pays de démocratie populaire.

    Le Parti Communiste considère qu’il est encore possible de prendre une autre voie et de promouvoir une politique française de démocratie et de paix ; une politique fondée sur l’affirmation rigoureuse de notre indépendance nationale.

    Il est nécessaire à cet effet de constituer un gouvernement d’union démocratique, un gouvernement ayant la confiance de la classe ouvrière, la confiance du peuple et s’appuyant résolument sur le peuple, pour l’application d’un programme de salut national.

    Le Parti Communiste appelle tous les travailleurs, tous les républicains, tous les patriotes à renforcer leur union et leur action pour donner à la France le gouvernement qu’elle attend.

    Le Comité Central du Parti Communiste Français.
    Le Groupe Parlementaire Communiste.
    Paris le 20 juillet 1948. »

    C’est alors que se produit la grève des mineurs.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • La grève de la fin de l’année 1947

    Le Parti Communiste Français avait à tout prix tenté de se maintenir au gouvernement et pour cette raison, il avait été débordé par la base. Le grand symbole avait été la grève aux usines Renault lancée par un petit réseau d’ultra-gauche en avril 1947.

    Initialement, le Parti Communiste Français conserve la même ligne, en profitant de sa base populaire. Le 6 septembre 1947, un million de personnes marchent sur les Champs-Élysées en raison de la crise alimentaire, et le 8, il y a autant de présents à la Fête de L’Humanité à Vincennes.

    La résolution du Comité Central de la mi-septembre indique que la ligne de participation au gouvernement n’a pas changé.

    « La France porte en elle ses chances de relèvement.

    Le Parti Communiste rappelle que son programme d’action gouvernementale, élaboré au Comité Central de Puteaux le 27 novembre 1946, est un programme d’efficacité économique, de consolidation des institutions démocratiques, d’indépendance française et de grandeur nationale. »

    Le 2 octobre 1947, le Vel d’Hiv accueille 50 000 personnes pour le meeting de Maurice Thorez et les meetings ont régulièrement une telle participation. On est, du côté du Parti Communiste Français, dans une sorte de continuité et surtout de volonté de retour au gouvernement.

    Le contexte est pourtant explosif. Il y a des manifestations dans tout le pays en raison de la crise alimentaire, et dans un contexte où l’inflation est de 60 %, les revendications salariales sont systématiques, il y a des grèves significatives, notamment à la SNCF, mais également à EDF, Michelin, Citroën, Peugeot, Berliet.

    Se produit alors la grande catastrophe. Aux élections municipales françaises d’octobre 1947, le Rassemblement du peuple français, fondé par Charles de Gaulle quelques mois plus tôt, en avril, obtient 38 % des voix.

    Le Parti Communiste Français est lui à 31 % ; il a perdu l’initiative, le bloc anticommuniste est bien formé et le Rassemblement du peuple français est un vecteur agressif de celui-ci.

    Il représente une droite populaire, avec des regroupements violents, porteur d’une pression massive en faveur d’un régime dur.

    Le Parti Communiste Français souligne cet aspect et y répond au moyen de son traditionnel légitimisme. Il dit notamment à la suite des élections :

    « Le Parti Communiste Français apparaît au peuple comme le sûr rempart de la République, comme l’obstacle essentiel à la poursuite d’une politique d’aventure et de catastrophe (…).

    Unissons-nous contre les hommes de l’aventure, du coup de force et de la catastrophe.

    Vive la France ! Vive la République ! »

    Mais le Parti Communiste Français ne fait déjà plus le poids. Le contexte de grèves et de revendications a polarisé les choses, là où lui espérait pouvoir se présenter de manière légitimiste pour une rentrée au gouvernement.

    On aboutit alors au drame de Marseille, tout à fait révélateur. Dans cette ville, la mairie est dans les mains du Rassemblement du peuple français, qui a tissé des liens massifs avec la pègre, notamment le « clan des Guérini ».

    Le Parti socialiste-SFIO, avec Gaston Defferre, est lié à la municipalité, par anticommunisme forcené.

    Il y a alors une agitation politique importante du Parti Communiste Français, notamment contre la hausse des prix du tramway et les procès contre les militants : les incidents sont très nombreux.

    Le 12 novembre 1947, 150 militants de la CGT manifestent contre les liens entre la municipalité et la pègre ; le lieu choisi est le quartier des bars de nuit (« à bas la pègre, et à bas les caïds, les souteneurs, les maquereaux »), liés au marché noir.

    Depuis un de ces bars, des tirs les visent ; Vincent Voulant, un ouvrier des Aciéries du Nord de 19 ans, est tué, alors que deux autres militants sont grièvement blessés.

    À l’occasion des obsèques de Vincent Voulant, les trois quarts des salariés de la ville sont en grève.

    La tension est d’autant plus importante que la police avait tenté de masquer la mort d’un manifestant communiste, Alfred Puzzuoli, un ancien FTP, lors d’une manifestation à Paris, le 29 octobre 1947.

    Il faisait partie des 10 000 manifestants qui parvinrent à empêcher un meeting organisé par l’anticommuniste forcené Gustave Gautherot avec des représentants de pays « opprimés par l’URSS ».

    Les affrontements entre communistes et policiers furent extrêmement violents, avec plusieurs centaines de blessés. Alfred Puzzuoli décéda une fois rentré chez lui, ce qui fut le prétexte pour le gouvernement de chercher à étouffer l’affaire.

    Ces deux morts restèrent impunis et par la suite le Rassemblement du peuple français tint son premier congrès en avril 1948 à Marseille, ville devenant un bastion anticommuniste.

    Gaston Defferre devint le maire socialiste pendant plusieurs décennies et toute la gestion du personnel de la mairie passa sous la coupe de la CGT-Force ouvrière, le syndicat anticommuniste fondé à la fin de l’année 1947.

    Car l’anticommunisme devint absolument virulent avec la crise de la fin de l’année 1947. Les événements à Marseille furent systématiquement présentés par la presse non communiste comme des émeutes voire l’équivalent d’une tentative d’insurrection.

    À partir de 1947, et pendant toute la séquence 1947-1948-1949, pour tout le monde politique bourgeois, le Parti Communiste Français est la cible principale.

    La CGT répondit à la situation par une consultation de ses membres. Le Comité confédéral national de la CGT envoya ainsi, les 12-13 novembre 1947, un questionnaire sur les revendications et les combats à mener, avec des décisions à prendre pour le mois suivant.

    Mais les travailleurs du Pas-de-Calais n’attendirent pas et se lancèrent immédiatement dans la grève, d’abord dans les mines dès le 15 novembre, puis de manière pratiquement générale à la fin du mois.

    Les mineurs furent le fer de lance du mouvement, mais on retrouve donc également les entreprises chimiques, métallurgiques, du textile, du bâtiment, de la sucrerie Béghin et des établissements métallurgiques Fourcy.

    Ils sont quasi immédiatement rejoints par les cheminots de Marseille, les travailleurs de Renault et de Citroën, puis l’Éducation nationale, le BTP, les métallos, les dockers, et enfin la fonction publique.

    En Lorraine, la situation est explosive en particulier ; le Parti Communiste Français n’a cessé de mener la propagande contre les livraisons de sucre en Allemagne dans un contexte de pénurie, et les chargements sont protégés par la police alors qu’il y a de nombreux affrontements, comme à Nancy, Toul et Verdun. C’en est au point qu’une compagnie d’artillerie avec automitrailleuses vient appuyer les CRS.

    La dimension de lutte de classes est évidente et malheur aux non grévistes, qui se font attaquer violemment, à coup de boulons et de manches de pioche à Longwy, aux usines sidérurgiques de la Chiers et de manière similaire aux Aciéries de Mont-Saint-Martin.

    Le régime a de son côté, naturellement, l’objectif de diviser les travailleurs autant que possible. La fin de l’année 1947 va être décisive à ce niveau.

    En plus du syndicat catholique CFTC déjà présent, tout ce contexte voit s’unifier les cadres de la CGT favorables à une scission ; épaulés par les socialistes et la CIA, ils formeront rapidement une « CGT–Force ouvrière ».

    À Saint-Étienne, la mairie est envahie alors que la police et les CRS sont débordés ; l’armée intervient, mais refuse de tirer et abandonne sur place ses automitrailleuses, qu’elle récupère le lendemain.

    La tension monte pareillement chez les cheminots, dans tout le pays, alors que les grévistes sont chassés par la police des gares parisiennes de l’Est et de La Chapelle, ainsi qu’à Rennes, Perpignan, Vierzon, Limoges, Toulouse, Lens, Nice, Montrouge, Villeneuve-Saint-Georges, etc.

    Le 22 novembre, il y a un million de grévistes ; le 27 novembre, il y en a deux millions. Le Comité national de grève est officialisé le 26.

    Le ministre socialiste du Travail Daniel Mayer entame alors des négociations, sous l’égide du Premier ministre centriste (du MRP) Robert Schuman qui explique à la radio que « la poursuite des grèves serait catastrophique ».

    Et au moyen de primes pour tous, d’un salaire minimum garanti revalorisé, et de deux hausses des allocations familiale, la grève est ralentie, puis brisée.

    Il faut dire ici que la grève a été dirigée par un Comité national et que les grandes disparités de situation ont mal été comprises, mal synthétisées. Autrement dit, le caractère national de la grève a été formulé relativement artificiellement, et finalement tout s’est désarticulé en raison de l’État satisfaisant tel ou tel secteur.

    Pour cette raison d’ailleurs, la tension reste longtemps présente par endroits : des hôtels de ville sont occupés comme à Béziers, ainsi que des gares comme à Valence où l’armée tire et fait trois morts.

    Surtout, il y a de multiples sabotages des voies ferrées et des routes, provoquant déraillement et accidents parfois. On est ici dans une relative fuite en avant, avec des actions éparpillées de militants hyperactifs et des provocations des troupes du Rassemblement du peuple français.

    La répression fut en tout cas très nette, notamment dans les mines avec 100 révocations (et donc perte du logement et de la Sécurité sociale des mines), 1 000 suspensions, 500 déplacements forcés à un autre puits ; à la SNCF il y eut plus d’un millier d’agents frappés par les sanctions.

    Il y aura 1 113 arrestations pour entraves à la liberté du travail, 112 pour sabotage, 41 pour violences et voies de fait, 57 pour ports d’arme, 21 pour outrages, avec des condamnations dans l’écrasante majorité des cas.

    Le 11 décembre, un autre ouvrier, Sylvain Bettini, un rescapé de Dachau, est tué par la police à Marseille.

    Mais, malgré le ralentissement et l’effondrement du mouvement, malgré les succès de la répression, le régime est inquiet.

    En effet, les CRS sont en partie issues des milices patriotiques de la Résistance et par conséquent un 1/5 est dissous en 1947 vu l’attitude adoptée ; il y a en effet jusqu’à des moments de fraternisation, comme à Saint-Étienne, ce qui vaut au quotidien Rouge-Midi de Marseille une perquisition pour empêcher sa parution devant raconter cet épisode, l’un de ses journalistes étant arrêté pour dix jours.

    Il y a également qu’une bonne partie de la police sympathise avec le Parti Communiste Français, ou encore que le régime fait également face au caractère de masse de la révolte, sur tout le territoire. Il doit notamment utiliser des avions pour déplacer les CRS, par exemple à Clermont-Ferrand.

    Le régime a surtout compris que tout recommencerait et a grandement étudié ce qui s’était passé.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • 1947, 1948, 1949 : une séquence de haute intensité

    Les années 1947, 1948 et 1949 sont les années où la lutte de classe a été la plus intense, plus dense, de tout le 20e siècle.

    Cela peut paraître étonnant et on pense alors forcément aux années 1936 et 1968, marquées par des grèves d’immense ampleur. Cependant, ni en 1936 ni en 1968 il n’y a eu de mouvement ouvrier affrontant directement la police.

    En 1936, le mouvement de grève et d’occupations d’usine s’est déroulé dans une ambiance bon enfant ; en 1968, ce sont les étudiants qui se sont confrontés aux CRS, en leur faisant face, avec les barricades.

    Lors des années 1947, 1948 et 1949, il y a du sang et il y a des morts ; on tire au pistolet de part et d’autre.

    Les années 1947, 1948 et 1949 se caractérisent à l’inverse par des ouvriers violents visant explicitement la police et les CRS, et la réponse fut d’ailleurs meurtrière.

    Ce n’est pas pour rien que, si ces années sont connues comme turbulentes, leur contenu réel a littéralement « disparu » de l’histoire officielle et même de la gauche « contestataire » ou bien du Parti Communiste Français ayant « révisé » sa propre histoire.

    Comment se retrouve-t-on dans une telle situation ? Il faut remonter un peu en arrière. Le Front populaire a été défensif, face au fascisme. Il en sera de même avec la résistance contre l’occupation et le régime de Vichy.

    Dans les deux cas, le Parti Communiste Français a adopté la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez : il faudrait que les communistes soient les « meilleurs élèves » (du Front populaire et de la Résistance), il serait nécessaire de s’aligner sur la « République », forme menant de manière naturelle au socialisme.

    Cependant, en mai 1947, le Parti Communiste Français se fait chasser du gouvernement, au grand dam de Maurice Thorez. Dans un contexte très prononcé de pénuries, la base commençait également à remuer contre la ligne du Parti, qui était de soutenir la reprise de la production, notamment avec la « bataille du charbon ».

    Il suffit de voir qu’on passe de 374 000 jours de grève en 1946 à 22,6 millions en 1947, puis 13 millions en 1948.

    Ce dernier recul n’est qu’apparent, car on a six millions et demi de grévistes en 1948, contre trois millions en 1947.

    On a un mouvement de fond dans les masses et le Parti Communiste Français, qui espérait coûte que coûte rester au gouvernement, est d’ailleurs désarçonné. Cela va se refléter dans le rapport à la CGT, dans l’incapacité à calibrer correctement les grèves.

    Cela provoque la défaite historique dans le cadre de cette séquence 1947, 1948, 1949.

    S’ajoute à cela d’une part l’irruption de la « guerre froide » lancée par la superpuissance impérialiste américaine avec le discours de Harry Truman devant le Congrès américain en mars 1947. Et, d’autre part, il y a la réaction de l’URSS qui relance alors la bataille idéologique.

    Le Parti Communiste Français, qui depuis 1945 se présente systématiquement et uniquement comme un parti de gouvernement, se voit obligé d’aller à l’affrontement.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Le Pakistan sans le Bangladesh : la logique de la forteresse assiégée

    La perte du Pakistan oriental, qui devint le Bangladesh, fut une catastrophe stratégique pour le Pakistan dans son opposition à l’Inde. L’armée américaine dut même venir à sa rescousse, en envoyant des navires de guerre pour empêcher une intervention maritime militaire indienne.

    Quant aux forces aériennes, elles avaient prouvé leur efficacité, en décembre 1971, avec l’opération Gengis Khan. Furent alors visées de nombreuses bases aériennes indiennes : Amritsar, Ambala, Agra, Awantipur, Bikaner, Halwara, Jodhpur, Jaisalmer, Pathankot, Bhuj, Srinagar and Uttarlai, ainsi que les radars d’Amritsar et Faridkot.

    Ce fut un échec toutefois, dans le prolongement de celui de l’opération Gibraltar de 1965, où l’armée pakistanaise pénétra au Cachemire pour tenter de lancer une insurrection anti-indienne.

    Le nom de Gibraltar fait référence à la conquête de la péninsule ibérique par les forces arabes précisément depuis Gibraltar, au 8e siècle.

    L’invasion de l’Afghanistan par le social-impérialisme soviétique changea cependant totalement la donne. Le Pakistan devint l’interface américaine pour former et armer les rebelles.

    Les Talibans viennent de là : le terme veut dire « étudiants » et on parle des étudiants afghans ayant étudié dans les écoles coraniques pakistanaises après l’invasion soviétique.

    Qui plus est, les Talibans sont des Pachtounes, et les 3/4 des Pachtounes vivent au Pakistan. Il fut facile pour les services secrets pakistanais, la Inter-Services Intelligence (ISI), d’agir en Afghanistan ; l’ISI acquiert alors un rôle éminent dans l’État pakistanais.

    Les avancées des Talibans sont absolument indissociables de l’État pakistanais ; des dizaines de milliers de Pakistanais ont combattu dans les rangs des Talibans par ailleurs, au-delà de l’appui technique.

    Cela conforta l’ISI dans sa démarche « profonde » et c’est lui qui joua un rôle clef dans l’appui militaire et technique au Sri Lanka afin d’écraser en 2009 les Tigres Tamouls, qui étaient appuyés par l’Inde dans leur tentative de former un État séparé.

    Surtout, il y a de la part de l’ISI l’appui aux forces islamistes au Cachemire, qui luttent contre l’Inde mais également contre les indépendantistes cachemiris.

    Ces forces islamistes sont multiples et d’autant plus prétextes à des actions armées pour lesquelles le Pakistan nie toute responsabilité : Jaish-e-Mohammed (l’armée de Mahomet), Lashkar-e-Taiba (l’armée des pieux), Hizbul Mujahideen (le parti des moudjahidines), etc.

    Le drapeau des fanatiques religieux de la Lashkar-e-Taiba

    C’est Lashkar-e-Taiba qui a revendiqué le meurtre de 25 touristes hindous et d’un guide touristique musulman au Cachemire le 22 avril 2025, déclenchant un nouvel affrontement indo-pakistanais.

    De manière notable, il y avait juste avant, le 16 avril 2025, un discours du dirigeant de l’armée pakistanaise, Asim Munir, à des Pakistanais expatriés. Le Cachemire y fut présenté comme « la veine jugulaire » du Pakistan.

    Il affirma de manière catégorique la théorie des deux nations :

    « Vous devez raconter l’histoire du Pakistan à vos enfants afin qu’ils n’oublient pas que nos ancêtres pensaient que nous étions différents des hindous dans tous les aspects de la vie.

    Nos religions sont différentes, nos coutumes sont différentes, nos traditions sont différentes, nos pensées sont différentes, nos ambitions sont différentes.

    C’est le fondement de la théorie des deux nations qui a été posée. Nous sommes deux nations, nous ne sommes pas une seule nation (…).

    Peu importe où vous vivez, rappelez-vous que vos racines se trouvent dans une haute civilisation, une idéologie noble et une identité fière. »

    Pour comprendre l’importance de l’armée comme fer de lance de l’idéologie nationale pakistanaise, il suffit de constater que jamais aucun premier ministre n’a été en mesure de terminer son mandat. Les coups d’État pour propulser un nouveau régime sont réguliers, ceux qui ont réussi s’étant déroulés en 1958, en 1977 et en 1999.

    Ce sont des généraux qui ont façonné les traits généraux du pays : Ayoub Khan dans les années 1960, Yahya Khan et Zia ul Haq dans les années 1980, Pervez Musharraf dans les années 2000.

    Tout cela tient à la combinaison d’une base féodale sur laquelle vient se construire une dimension coloniale, puisque le Pakistan est historiquement un acteur au service de la superpuissance impérialiste américaine.

    Mais à cela s’ajoute, comme pour Israël, une spécificité historique dans la constitution du pays lui-même, ce qui produit une logique de la forteresse assiégée devenant elle-même assiégeante.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La question du Bengale avec le Pakistan puis « l’indépendance »

    De 1574 à 1717, le Bengale a été gouverné par 32 subahdars – un subah étant une province moghole et le subahdar un mot désignant le gouverneur, bien sûr choisi par le (grand) moghol ou les plus hauts officiers.

    Le pays est considéré comme un territoire riche devant revenir à l’État central, avec de nombreux cadres envoyés en ce sens et même un nouveau calendrier, fondé sur les calendriers musulmans hégirien (donc lunaire) et hindou (donc solaire) par l’empereur Akbar afin de pouvoir mieux récolter les impôts des paysans au bon moment.

    La victoire moghole sur le dernier sultan du Bengale, Daud Khan Karrani (qui disposait de 40 000 cavalry, 3 600 éléphants, 140 000 fantassins et de 200 canons) en 1576, vers 1596-1600

    On a alors une domination qui étouffe le Bengale, avec une nouvelle aristocratie intégrée à l’empire moghol et qui parle ourdou comme au nord de l’Inde.

    Cela produit un pouvoir avec plus d’indépendance, Murshid Quli Khan devenant le premier Nawab (de 1717 à 1727), dans le cadre d’une réorganisation où l’empire perd en fait sa capacité à centraliser.

    Preuve de ce changement, Murshid Quli Khan fit en sorte d’abolir le système du jagirdar, terre donnée pour la vie à quelqu’un qui était considéré comme méritoire pour son service militaire (lors de sa mort, la terre revenait, théoriquement, dans les mains du monarque).

    C’en était fini de la logique militaire de conquête. Désormais, la terre était louée à un ijaradar – un fermier général, avec le système mal zamini.

    Akbar est informé de la victoire au Bengale en 1576, vers 1603-1605

    Murshid Quli Khan organisa son système ijaradar de la façon suivante. Il a divisé la province en 13 divisions administratives appelées chaklahs, les plus gros fermiers généraux étant des chaklahdars. Des 20 fermiers généraux choisis par Murshid Quli Khan, 19 étaient des hindous.

    Cette modification de l’agriculture, couplé au début de la pénétration coloniale britannique au Bengale, provoqua une instabilité majeure, dont l’une des expressions est la grande famine de 1770, qui tua le tiers de la population, soit 10 millions de personnes.

    L’empire britannique sera par la suite directement responsable d’autres famines, comme en 1783, 1866, 1873-1874, 1892, 1897, et surtout en 1943, provoquant la mort d’entre deux et quatre millions de personnes.

    Il est considéré qu’avec les famines et les maladies, cinquante millions de personnes sont mortes au Bengale entre 1895 et 1920.

    Le colonialisme britannique préférait bloquer les approvisionnements, qui étaient au service de ses bénéfices, même si cela signifiait la mort par la faim de millions de personnes.

    L’empire britannique a d’ailleurs directement repris le principe des fermiers généraux, instaurant un système héréditaire à la fin du 18e siècle.

    Karl Marx, dans La domination britannique en Inde (1853), a décrit cela comme un « despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique » :

    « Il ne peut pas, cependant, rester aucun doute, comme quoi la souffrance infligée par les Britanniques sur l’Hindoustan est d’ordre essentiellement différente et infiniment plus intense que ce que tout l’Hindoustan a eu à souffrir auparavant.

    Je ne parle pas du despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique, par la British East India Company, formant une combinaison plus monstrueuse que tout monstres divin nous surprenant dans le Temple de Salsette [île de Salsette, au nord de Bombay et célèbre pour ses grottes aux 109 temples bouddhistes].

    Ce n’est pas une caractéristique distinctive de la domination coloniale britannique, mais seulement une imitation des Hollandais (…).

    Aussi étrangement complexe, rapides et destructrices que puissent apparaître l’action successive en Hindoustan de toutes les guerres civiles, les invasions, les révolutions, les conquêtes, les famines, tout cela n’est pas allé plus loin que sa surface.

    L’Angleterre a décomposé l’ensemble du cadre de la société indienne, sans aucun symptôme de la reconstitution qui apparaîtrait.

    Cette perte de son ancien monde, avec aucun gain d’un nouveau, donne un genre particulier de mélancolie à la misère actuelle de l’Hindou, et sépare l’Hindoustan, gouverné par la Grande-Bretagne, de toutes ses anciennes traditions, et de l’ensemble de son histoire passée. »

    L’empire britannique sut s’accorder avec des couches prêtes à se lier à lui. Des commerçants travaillent avec la Compagnie des Indes dans les périodes 1736-1740, l’ensemble des 52 bengali à Calcutta étaient hindous, 10 des 12 de ceux à Dacca, et l’ensemble des 25 à Kashimbazar.

    L’empire britannique put ensuite défaire le nawab à la bataille de Plassey en 1757.

    Cette situation provoqua le développement du fondamentalisme musulman, avec le mouvement Faraizi (terme qui désigne l’obligation due à Dieu), fondée par Haji Shariatullah (1781-1840).

    Ce dernier se rendit pour toute une période en Arabie Saoudite et à son retour au Bengale appela à la modification des pratiques en cours, considérées comme ayant connu des déviations et des modifications.

    Mais ce fondamentalisme, comme on est au Bengale, fut interprété par les masses paysannes comme un appel à la révolte contre les propriétaires terriens hindous. La figure clef est ici Muḥsin ad-Dīn Aḥmad (1819–1862), connu sous le nom de Dudu Miyān, qui mena une lutte pour former un nouveau pouvoir régional.

    En miroir, on a un processus équivalent chez les hindouistes, dans les villes cette fois, et justement de manière inversée. C’est la Brahmo Samaj (société de Dieu), fondée par le brahmanes et bourgeois Dwarkanath Tagore (1794 – 1846) et le brahmane et intellectuel Raja Ram Mohan Roy (1772-1833).

    Le roman Gora de Rabindranath Tagore, publié en 1910, est incontournable pour saisir l’esprit de l’époque en Inde et notamment au Bengale avec la Brahmo Samaj

    On est ici dans le contraire du fondamentalisme, car il s’agit de pratiquer la méditation, de mettre de côté les rites contraignants, de faire des réformes sociales, d’accepter la modernité et de reconnaître la place de la femme.

    Il s’agit d’un courant porté par ce qui est appelé jusqu’à aujourd’hui les « bhadralok » (ou Bhodro Lok), c’est à dire les « gens meilleurs », qui rejetaient la culture occidentale tout en cherchant à en élaborer une variante conforme à leurs propres attentes.

    Cette situation très contrastée porte déjà les germes d’une opposition entre le Bengale à majorité hindoue et celui à majorité musulmane, et en 1905 l’empire britannique procéda à sa division administrative.

    De manière intéressante, l’opposition fut virulente et le Bengale fut réunifié dès 1919.

    Néanmoins, les élections étaient séparées pour les hindous et pour les musulmans et finalement les féodaux musulmans réussirent à faire en sorte que le Bengale oriental devienne le Pakistan oriental.

    Cela fait que, malgré l’indépendance du Bangladesh, au prix du sang, il existe une immense base féodale musulmane et celle-ci revient par vagues à la surface politiquement, produisant une relecture des événements, dans le sens d’un soutien à l’Islam totalement incohérent si on prend la guerre d’indépendance.

    La mosquée du Fort de Lalbagh, Dacca, 17e siècle

    C’est là que les grandes puissances jouent un rôle.

    Lors de l’indépendance du Bangladesh, le dirigeant de la Ligue Awami, Sheikh Mujib, est devenu le premier ministre, puis le président, avec comme ligne directrice « le nationalisme, la laïcité, la démocratie et le socialisme ».

    Mais il représentait une bourgeoisie bureaucratique inféodée à l’Inde, qui avait formé l’armée de libération, ainsi qu’au social-impérialisme soviétique.

    Sheikh Mujib devint donc président à vie, et il fit en sorte qu’un seul parti politique existe réellement, sous forme d’une coalition appelée Ligue Krishak Sramik Awami du Bangladesh (Baksal), avec la Ligue Awami et d’autres partis comme le Parti Communiste du Bangladesh soutenant l’URSS social-impérialiste.

    Les masses commencèrent à se révolter, notamment après la famine de 1974, qui provoqua 1,5 millions de personnes. Il se produisit alors un coup d’État militaire pro-américain en août 1975 ; Sheikh Mujib fut alors exécuté.

    L’officier Ziaur Rahman devint le dirigeant du pays, avec un nouveau parti politique exprimant les intérêts de la superpuissance impérialiste américaine et de la bourgeoisie bureaucratique qui lui était soumis : le Bangladesh Nationalist Party (BNP).

    Ziaur Rahman

    Ziaur Rahman a fait une politique qui était à l’opposé de la précédente, l’État a fait des privatisations, l’islam s’est vu donné un rôle national ; Ghulam Azam, chef exilé des islamistes Jamaat-e-Islami, a été autorisé à revenir en Juillet 1978 avec un passeport pakistanais et a pu rester, même après l’expiration du visa, etc

    Ziaur Rahman a subi quelques différents coups d’État, qui ont tous échoué, même si finalement l’un deux amena sa mort en 1981.

    Son successeur, le lieutenant-général Hussain Muhammad Ershad, a suivi sa politique, mais avec son propre parti politique, le Parti Jatiya.

    Gouvernant d’une manière autocratique, Ershad a ouvert la voie à un Bangladesh « démocratique » – une « démocratie » sous le contrôle des deux fractions de la bourgeoisie bureaucratique.

    Khaleda Zia, veuve de Zia, est alors devenue la dirigeante du BNP, qui a été (et est) une force pro-américaine, et a formé l’alliance des sept partis.

    Ziaur Rahman et Khaleda Zia

    De l’autre côté, la Ligue Awami a été dirigée par Sheikh Hasina, la fille de Sheikh Mujib ; la Ligue était (et est) une force pro-indo-soviétique, formant historiquement l’alliance des quinze partis.

    Sheikh Hasina et le président russe Vladimir Poutine

    La Ligue Awami boycotta les élections de 1987, rejoint par le BNP pour les élections de 1988, et Ershad démissionna en 1990.

    En 1991, les deux parties étaient à peu près équivalentes, puis, le BNP a gagné en 1996, la Ligue Awami dans une autre élection en 1996, le BNP gagna à nouveau en 2001, la Ligue Awami de nouveau en 2008.

    De 1991 à 1996, Khaleda Zia a été Première ministre, Sheikh Hasina a ensuite dominé de 1996 à 2001. Khaleda Zia revint de 2001 à 2006, et après un gouvernement de transition dans une situation instable, avec même un état d’urgence, Sheikh Hasina est revenue au 2009, jusqu’en 2024 où un soulèvement l’oblige à s’enfuir en Inde.

    Khaleda Zia, mise en prison depuis six ans, est alors libérée, alors que l’armée organise un gouvernement de transition.

    Mais dans le contexte de cette bataille entre deux factions bourgeoises bureaucratiques pour le pouvoir central, les féodaux restent à l’arrière-plan, l’Islam reste prépondérant, les islamistes maintiennent un hyper-activisme et leur fanatisme se réactive toujours plus fort comme fondamentalisme, engloutissant les aspirations des masses du Bangladesh, nation séparée du Pakistan, un Pakistan séparé de l’Inde, une Inde où le Bengale occidental est issu de tout un parcours historique avec le Bengale oriental.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La question du Bengale avant le Pakistan : avant l’empire moghol

    Le fait que le Bengale se soit historiquement coupé en deux, avec une partie à grande majorité hindoue et de l’autre une partie à grande majorité musulmane, a toujours interpellé ceux qui s’y sont intéressés. Pourquoi un peuple, unifié culturellement et sur le plan linguistique, se scinde-t-il en deux parties religieuses bien distinctes ?

    L’un des facteurs essentiels fut, outre les conversions de masses dans le Bengale oriental amenées par les missionnaires musulmans et l’influence de la conquête islamique, l’importance du commerce, particulièrement sur la zone côtière, avec le port de Chittagong notamment.

    C’est un processus ainsi non violent, dissolvant les rapports féodaux, avec notamment la question des castes et des intouchables. Ces derniers avaient tout intérêt à se convertir à l’Islam, du moins ils n’avaient rien à perdre.

    Ce processus se déroula sans heurts ; pour preuve les musulmans du Bengale ont conservé de larges traits historiques propres au Bengale. La langue, le bangla ou bengali, puise massivement au niveau du vocabulaire dans le sanskrit, en plus des emprunts aborigènes, et tant les hindous que les musulmans l’ont conservé ainsi.

    Il faut dire que les autres zones musulmanes sont lointaines, et d’ailleurs l’Islam historique du futur Bangladesh est profondément marqué par le soufisme, le mysticisme.

    Ce qui joue ici, c’est que le Bengale a également connu une période où l’hégémonie était non pas hindouiste, mais bouddhiste, avec une bonne partie tendant au même bouddhisme mystique qu’au Tibet, ainsi qu’au Cachemire à cette époque-là.

    En fait, si l’Islam a réussi à se développer, c’est que tout le système des castes était déjà profondément ébranlé au Bengale, une zone qui plus est lointaine et excentrée des Indes.

    Ainsi, suivant les Manusmṛti, connus en Europe sous le nom de « Lois de Manu » (entre 200 avant et 200 de notre ère), le Bengale ne faisait pas partie de l’Āryāvarta (« la demeure des Aryens » en sanskrit).

    Ce n’est que sous l’empire Maurya (321-185 avant notre ère) que la partie occidentale du Bengale a été jointe pour la première fois à l’Inde ancienne, la partie orientale formant l’extrémité de l’empire.

    Cet Empire, c’est notamment le grand empereur bouddhiste Ashoka, avec un vrai saut dans la civilisation, une vraie administration.

    (wikipédia)

    Puis, c’est lors de l’empire Gupta (320-550 de notre ère), que les chefs locaux ont été écrasés au Bengale. Et cet empire pourchasse le bouddhisme, au nom de l’hindouisme.

    (wikipédia)

    Le Bengale est devenu le dernier endroit de confrontation entre l’hindouisme et le bouddhisme, et forcément, lorsqu’arrivent les missionnaires promouvant l’hindouisme, ils vont propager un vrai mysticisme pour convaincre les masses. Cela va conditionner toute la culture du Bengale.

    Ce processus contradictoire n’est pas terminé, puisque l’effondrement de l’empire Gupta a amené une situation de chaos au Bengale, une situation appelée « matsyanyayam », c’est-à-dire la loi du plus fort. On était dans une situation de chaos complet, d’anarchie générale.

    Une nouvelle dynastie connut une naissance localement, les Palas, qui mirent alors en avant le bouddhisme – clairement pour avoir un meilleur rapport de force avec l’Inde ancienne, qui était sous domination hindouiste. Même dans le sud est du Bengale, les rois locaux suivaient cette politique pro-bouddhisme.

    La déesse Durga, Bengale, 10e siècle

    Mais les Palas essayèrent d’envahir certaines parties de l’Inde ancienne, particulièrement le Bihar, à l’ouest du Bengale. Le centre de gravité se décala à l’ouest, s’éloignant toujours plus du Bengale oriental.

    Au cours de ce processus, l’hindouisme commença à prendre le dessus au niveau de l’État.

    Le bouddhisme n’était maintenu sous les Palas qu’afin de conserver une identité distincte et que le règne des Palas soit justifié, et également parce qu’il s’agissait d’une expression de la culture bengalie de cette époque.

    La principale figure bouddhiste de l’époque des Palas, Athisha, né en 982 au Bengale, décédé en 1054 au Tibet

    Cependant, les rois Palas étaient entourés d’un appareil d’Etat hindou (de la poésie aux ministres), ils se marièrent à des femmes de familles brahmanes ; dans ce processus, le Bengale occidental était attiré par l’Inde hindoue, cette fois de manière décisive, mais c’était beaucoup moins vrai pour le Bengale oriental.

    Ce n’était qu’une question de temps avant que les forces féodales reliées à l’Inde hindoue renversent la dynastie des Palas.

    Cela se fit sous Vijaysena, un brahmane-guerrier du sud de l’Inde, qui établit une dynastie hindoue, intégrant le Bouddha comme un avatar (maléfique) de Vishnou.

    La dynastie des Senas mit en avant l’hindouisme d’une manière massive, amenant des brahmanes du reste de l’Inde pour former une nouvelle classe dominante, avec des dons de terres également. Les Senas installèrent une petite minorité comme pure « élite » religieuse, d’une manière fortement hiérarchique.

    (wikipédia)

    La dynastie des Senas marqua la ruine du commerce des marchands, qui soutenaient le bouddhisme – ici l’aspect « égalitaire » du bouddhisme montre son aspect pré-bourgeois, très proche du protestantisme, avec également de soulignées la civilisation globale et l’administration unifiée.

    C’est alors que se produisit l’invasion musulmane. On devine que l’Islam a remplacé le bouddhisme comme outil d’opposition au féodalisme pour les marchands et artisans, mais également dans des secteurs de masse désireux d’échapper au système des castes.

    Cela ne veut pas dire pour autant que, en raison des zones aborigènes et des restes du bouddhisme mystique, les conceptions chamaniques disparurent.

    On en a la preuve quand on sait que l’Islam du Bengale oriental est très marqué par le soufisme, le mysticisme, le panthéisme. Les bardes itinérants, appelés Bâuls (les fous), sont incontournables de la culture bengalie, avec leur syncrétisme hindou-musulman à visée humaniste.

    L’irruption des conquérants musulmans a ainsi été en fait le détonateur de tout un moment historique de la lutte de classe. D’où un islam sunnite dans sa forme mais qui en même temps célèbre les saints, où il y a des pèlerinages sur les tombes, une approche mystique, etc.

    On peut le vérifier en regardant du côté de l’hindouisme au Bengale. La manière principale de considérer l’hindouisme est le kali-kula – le culte de la grande déesse (Mahadevi), également connu sous le nom de shaktisme, soit la « doctrine de l’énergie, du pouvoir, de la déesse éternelle ».

    Représentation de Mahadevi, Rajasthan, 18e siècle

    Le film de Satyajit Ray « Devi » dépeint cette réalité ; au Bengale, la déesse Kali est révérée, et le shaktisme est davantage présent au Bengale que le shivaïsme (le culte de Shiva) et le vaishnavisme (le culte de Vishnou), qui représentent quant à eux des aspects plus typiques de la culture et de l’idéologie patriarcales indo-aryennes.

    Pour cette raison, au Bengale occidental et oriental, l’hindouisme célèbre des déesses comme Durga, Kali, Lakshmi, Sarasvati, Manasa, ou Shashthi, Shitala, Olai Chandi.

    Kali, ici sous la forme Mahakali

    Pour en ajouter à la complexité, comme le shaktisme était la conception dominante, la résistance populaire a appuyé le vaishnavisme.

    C’est là où on retrouve l’illuminé Chaitanya qui au 16e siècle mit en avant un vaishnavisme adorant Krishna et rejetant le système des castes. Le mouvement dit des Hare Krishna au 20e siècle est un prolongement monothéiste américain du vaishnavisme.

    On voit la complexité de la situation historique du Bengale, mais ce n’est pas tout.

    Sous Shamsuddin Ilyas Shah, qui régna de 1342 à 1358, le Bengale a été unifié. Le Sultanat nouvellement formé a même été capable de résister, à la fois sous des généraux hindous et musulmans, à l’attaque du Sultanat de Delhi, dirigé par Firuz Shah Tughlaq.

    Le Bengale était alors connu sous le nom de Bangalah, et l’État était le sultanat musulman du Bengale. Le sultan était appelé Sultan-i-Bangalah, Shah-i-Bangalah, ou de Shah-i-Bangaliyan.

    La mosquée Adina construite au 14e siècle au Bengale (wikipédia)

    Le mot est venu en Europe par Marco Polo, donnant naissance au mot « Bengale » (Marco Polo n’a jamais été au Bengale et a même fait une confusion, pensant en fait à une partie de la Birmanie).

    Le nouvel État islamique a modernisé le pays et son système administratif. La culture idéologique, basé sur la culture populaire du Bengale, mettait en avant l’islam, mais de manière locale.

    De nombreux éléments ont ainsi été pris aux arts bouddhiste et hindou (lotus ouvert de profil, éléments floraux, le lotus et le diamant, le lotus à pétales en frise, le trèfle, la rosette, le fleuron, le feston, la corde torsadée, damier, le diamants croisé etc.).

    Husain Shah avait même des hindous comme Premier ministre (vizir), médecin, chef des gardes du corps, secrétaire privé, surintendant, etc.

    Le sultanat sous Husain Shah (wikipédia)

    Ala-ud-din Husain Shah, qui régna de 1494 à 1519, a également défendu la littérature bengalie, promu la coexistence religieuse au Bengale, donnant à Chaitanya pleine possibilité de faire la diffusion de sa version mystique du Vaishnavisme.

    Au cours de ce processus, les hindous ont été intégrés dans la noblesse bengalie nommée par les dirigeants musulmans. Le processus fut profond et connut un saut qualitatif lorsque le grand propriétaire terrien hindou Raja Ganesha prit le pouvoir, au 15e siècle.

    Il dut laisser la place à son fils devant se convertir à l’islam, fils qui redevint hindou, pour finalement revenir musulman, donnant en tout cas un élan plus directement « bengali » tant au pouvoir en place qu’à la diffusion massive et forcée de l’Islam.

    On a en fait ici une centralisation, mais elle parvint pas à ses fins, le sultanat du Bengale s’effondrant devant l’empire moghol, dont il devint une province.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La sanglante partition Pakistan – Bangladesh

    Muhammad Ali Jinnah se retrouva à la tête du Pakistan à sa fondation. Il s’adressait en anglais à la population, tout en soulignant que l’ourdou était la langue du Pakistan – lui-même ne le parlant toutefois pas, bien qu’il ait fait des efforts pour l’employer pour de brefs moments, à portée symbolique.

    L’ourdou n’était de toutes façons pas non plus la langue des peuples formant le Pakistan ; le choix de l’ourdou était de portée symbolique, avec comme référence le haut niveau de civilisation de l’empire moghol.

    L’ourdou n’est pas du tout la langue maternelle de l’écrasante majorité des Pakistanais (wikipédia)

    Muhammad Ali Jinnah présenta ainsi de manière suivante le Pakistan lors de son discours d’investiture à la présidence du nouveau pays, le 11 janvier 1947 :

    « Il n’y aura aucune limite au progrès que vous ferez si vous changez votre passé et travaillez ensemble dans un esprit tel que chacun d’entre vous, quelle que soit la communauté à laquelle il appartient, quel que soit le rapport qu’il avait avec vous dans le passé, quelles que soient sa couleur, sa caste ou sa croyance, est à la fois le premier, le second et le dernier des citoyens de cet Etat, avec des droits, des privilèges et des obligations égaux (…).

    Vous êtes libres ; vous êtes libres d’aller à vos temples, vous êtes libres d’aller à vos mosquées ou à toute autre place de vénération dans cet Etat du Pakistan.

    Vous pouvez appartenir à n’importe quelle religion, caste ou croyance – cela n’a rien à voir avec les affaires d’État. »

    Cette affirmation d’un État laïc, pourtant né d’une logique religieuse, est très étonnante et en fait très hypocrite.

    La partition, réalisée de manière forcée par les forces féodales musulmanes, a provoqué le déplacement de 12,5 millions de personnes et le massacre de centaines de milliers d’autres.

    Ce fut une véritable guerre de religion, sans pitié, hindous contre musulmans, avec les Sikhs au milieu.

    Il y eut également deux situations anti-populaires par définition : le souverain musulman du Hyderabad choisit le Pakistan, alors qu’il se retrouvait au sud de l’Inde et avec une large majorité hindoue. L’armée indienne résolut la question au moyen d’une invasion.

    Au Cachemire, le souverain était hindou et choisit l’Inde malgré une large majorité musulmane. Cela provoqua une situation explosive jusqu’à aujourd’hui.

    Reste que le Pakistan se retrouvait immédiatement avec une nouvelle problématique.

    L’engouement religieux avait, en effet, ajouté un élément nouveau au concept de Pakistan. La partie orientale du Bengale était musulmane et elle avait décidé de rejoindre le Pakistan au moment de la partition de l’Inde.

    Les majorités religieuses en 1909

    C’était une situation qui n’avait absolument pas été prise en compte à l’origine. La tradition musulmane de l’Inde puise sa source dans la Perse, ce sont les régions historiques du Nord-Ouest de l’Inde qui forment le noyau dur de la culture islamique indienne.

    Voilà que le Pakistan se retrouvait avec un territoire lointain, à 1 600 kilomètres de distance, avec sa propre tradition islamique, avec une langue, le bangla ou bengali, qui n’avait rien à voir avec l’ourdou.

    Il était facile de comprendre le point de vue du point de vue des féodaux de l’Est du Bengale : en se rattachant au Pakistan comme Pakistan « oriental », ils obtenaient une légitimité complète, espérant d’autant plus en profiter que le Pakistan « occidental » était loin.

    C’était cependant de l’idéalisme complet de la part des féodaux, qui n’avaient pas pris en compte la question du développement du capitalisme bureaucratique.

    Celui-ci se développa massivement au Pakistan occidental, dans le cadre d’une soumission complète à l’impérialisme britannique à l’origine, mais ensuite très rapidement à la superpuissance impérialiste américaine.

    La situation devint rapidement totalement déséquilibrée. Il y avait 69 millions de personnes au Pakistan occidental, contre 44 millions étant au Pakistan oriental. Le Pakistan occidental disposait de la capitale fédérale, du commandement militaire, de la cour suprême de justice.

    Il s’appropriait les ¾ des fonds de développement et le Pakistan oriental se voyait réduit à une colonie intérieure. Il produisait ainsi la plupart des exportations (jute, thé…), mais obtenait seulement ¼ des revenus.

    La domination des militaires du Pakistan occidental finit par rendre la situation explosive, avec la mise en place par les étudiants en 1969 d’une contestation générale, suivie ensuite par les paysans et les ouvriers.

    Le soulèvement amena un changement de dirigeant du côté de l’État central, avec un nouveau militaire prenant la place du précédent.

    Dans cette nouvelle situation, le Parti Awami National ne se présenta pas aux élections. Il avait été fondé par un intellectuel rural qui était parvenu à unir le mouvement démocratique paysan au Bengale : Maulana Abdul Hamid Khan Bhashani.

    Maulana Abdul Hamid Khan Bhashani à Cuba pour une réunion de la coopération afro-asiatique, en 1965

    Profondément influencé par la Chine, il s’était même séparé de la Ligue Awami pro-bourgeois (Awami signifiant peuple), pour former le Parti Awami National.

    Mais ce dernier fit le choix du boycott des élections de 1970, ce qui permit à la Ligue Awami d’obtenir une victoire totale, avec 167 des 169 sièges de l’Assemblée nationale au Pakistan oriental.

    Son dirigeant, Sheikh Mujibur Rahman, apparut alors comme le vrai porteur du soulèvement populaire de 1969.

    Sheikh Mujibur Rahman sortant de prison en 1969, à la suite d’une tentative de l’accuser de conspiration contre le Pakistan en liaison avec l’Inde

    Les contradictions ne cessèrent de se développer, notamment avec le cyclone de 1970, où 200 000 personnes sont mortes, et où l’État pakistanais n’avait pas été en mesure d’organiser un secours sérieux.

    À ce moment, l’armée officielle du Pakistan – où les officiers étaient bien entendu principalement du Pakistan occidental – a commencé à être considéré par les larges masses comme une armée d’occupation.

    Tout se précipita alors le 25 mars 1971, avec l’intervention militaire de l’armée pakistanaise.

    Son objectif était d’écraser tous les intellectuels de langue bengalie, de violer des femmes autant que possible (environ 200 000), de massacrer les hindous (qui formaient autour de 14 % de la population totale).

    Le massacre systématique des intellectuels bengalis (médecins, journalistes, professeurs, etc.) se produisit dès le début. Photo de Rashid Talukder, Ittefaq, 1971

    La langue bengalie et les hindous ont été considérés comme un obstacle à l’unification islamique, et donc, comme des cibles.

    Mais ce n’était pas seulement une tactique de l’armée pakistanaise. C’était conforme à l’idéologie d’une partie de la petite-bourgeoisie du Bengale, celle qui s’était placée dans l’orbite des féodaux, qui utilisaient l’Islam comme vecteur.

    Par conséquent, le parti Jamaat-e-Islami a aidé dans les massacres, en tant que volontaires (les « Razakars ») et la formation de milices – Al-Badar et Al-Shams.

    Les résultats de ce processus a été trois millions de morts. Ce fut un épisode terrifiant de plus pour les Bengalis à travers leur histoire et cela marqua très profondément les esprits au niveau mondial.

    Le télégramme horrifié du consul général américain à Dacca, Archer Blood, avec 19 autres membres du personnel diplomatique, sur les événements de 1971, avec une protestation ouverte contre le gouvernement américain

    Il faut ici souligner la tenue d’un grand concert de solidarité avec le Bangladesh à New York le premier août 1971, à l’initiative de l’ex-Beatles George Harrison et de l’illustre joueur de sitar Ravi Shankar. Ce fut le premier du genre historiquement.

    Les événements sur le terrain furent bien moins connus et pourtant leur dimension historiquement révolutionnaire étaient d’une immense ampleur. C’est le soulèvement de masse, la grève générale, la lutte armée généralisée qui a permis de vaincre l’offensive pakistanaise.

    Dans ce cadre, les conseils ouvriers et paysans se répandaient dans tout le pays, et la guerre populaire avait été déclenchée par différentes organisations adoptant la ligne de Mao Zedong, en particulier le Purba Bangla Sarbohara Party (Parti prolétarien du Bengale oriental), dirigé par Siraj Sikder.

    Siraj Sikder fut torturé et tué par la police, sur ordre direct de Sheikh Mujibur Rahman

    L’Inde vint d’un mauvais œil la tournure des choses ; Peter Hazlehurst du Times commentait alors que « Le Bengale rouge alarmerait Delhi encore plus qu’Islamabad ».

    L’armée indienne lança alors une offensive contre le Pakistan et organisa à grande échelle la « Mukti Bahini », « l’armée de libération » sous contrôle de la Ligue Awami.

    Cela torpilla le caractère populaire de la guerre de libération.

    Il est à noter que le philosophe français Bernard-Henri Lévy était allé au Pakistan tant occidental qu’oriental, et qu’il a participé à cette guerre de libération, dans les rangs de l’armée indienne. Il avait agi ainsi après avoir été déçu par une tendance gauchiste des partisans de Mao Zedong qui refusaient d’affronter le Pakistan ; s’il avait connu Siraj Sikder sa trajectoire aurait pu être totalement différente.

    Bernard-Henri Lévy soutint ensuite le nouveau régime et travailla un temps au ministère de l’Économie et du Budget, avant de se faire éjecter du jour au lendemain sous pression de l’Inde, car il avait connu des maoïstes auparavant.

    Ensuite, il devint une figure des « nouveaux intellectuels » prenant une direction anti-communiste et entièrement favorable à la superpuissance américaine.

    Quant à Siraj Sikder et son parti, ils échouèrent, bien qu’ils ouvrirent la voie de la révolution pour la suite (et même en fait de la guerre de libération contre le Pakistan occidental).

    Leur situation était incroyablement complexe ; ils ont dû se battre contre l’expansionnisme indien et le colonialisme pakistanais, mais aussi contre les forces féodales, alors qu’en plus l’impérialisme américain et le social-impérialisme soviétique étaient de la partie.

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  • La partition de l’Inde en août 1947

    L’indépendance de l’Inde le 15 août 1947 fut considérée comme un jour noir par beaucoup de progressistes dans tout le pays, en raison de la tragédie que cela impliquait avec la séparation du Pakistan.

    Mohandas Karamchand Gandhi ne participa ainsi pas aux festivités, et les communistes, qui s’étaient opposés au gandhisme comme idéologie passive et soumise aux féodaux indiens, aux capitalistes indiens liés aux Britanniques, se retrouvaient sur la même position. La division des peuples apparaissaient comme une catastrophe.

    En 1947, toutefois, le processus était déjà avancé ; Mohandas Karamchand Gandhi lui-même accepta de reconnaître le Pakistan afin d’éviter un bain de sang qui eut lieu de toute manière, sans doute de moindre ampleur cependant que ça l’aurait été dans le cadre d’une guerre de religion généralisée.

    (wikipédia)

    12,5 millions de personnes se déplacèrent pour rejoindre l’Inde ou le Pakistan, et le nombre de morts fut immense, et très difficile à évaluer, sans doute autour d’un million, à quoi il faut ajouter les viols en masse.

    Voici comment Mikhail Alexeïev présente les grands traits politiques de la partition dans sa présentation de la situation pour Bolchevik, la revue théorique du Parti Communiste d’Union Soviétique (Bolchevik), en juin 1948.

    « La haine envers les esclavagistes britanniques atteignit son paroxysme.

    Elle se manifesta par des manifestations massives à Calcutta et à Bombay à l’automne 1945, par une multiplication des grèves (près de deux millions de travailleurs y participèrent en 1946) et par le mécontentement au sein de l’armée et de la marine.

    La mutinerie des matelots de la Royal Indian Navy, qui éclata en février 1946, fut soutenue par de puissantes grèves de solidarité, auxquelles participèrent plus de 300 000 ouvriers, par des grèves dans l’armée de l’air et par des « mutineries » dans diverses unités de l’armée (à Jubbulpore et Dehra Dun). Au Bengale, au Bihar et dans plusieurs États du sud de l’Inde, le mouvement paysan contre les propriétaires fonciers prit une large ampleur (…).

    Déjà durant la période de lutte de libération nationale qui a suivi la Première Guerre mondiale, la grande bourgeoisie et les propriétaires fonciers indiens, alarmés par la montée du mouvement ouvrier et le développement de la révolution paysanne, avaient conclu un accord avec l’impérialisme britannique et trahi les intérêts de leur propre pays.

    Staline soulignait en 1925 : « Dans les conditions d’existence de colonies comme l’Inde, la nouveauté fondamentale réside non seulement dans la scission de la bourgeoisie nationale entre partis révolutionnaire et conciliateur, mais surtout dans le fait que la partie conciliatrice de la bourgeoisie a déjà trouvé un accord avec l’impérialisme sur les questions principales.

    Plus effrayée par la révolution que par l’impérialisme, plus soucieuse de ses richesses que des intérêts de son propre pays, cette partie de la bourgeoisie, la plus riche et la plus influente, a complètement rejoint le camp des ennemis irréconciliables de la révolution, en formant un bloc avec l’impérialisme contre les ouvriers et les paysans de son propre pays.» (Marxisme et question coloniale nationale, page 209, édition russe de 1939).

    Aujourd’hui, après la Seconde Guerre mondiale, la grande bourgeoisie indienne recourt à de nouvelles manœuvres face à la recrudescence de la lutte de libération nationale.

    Spéculant sur le mouvement anti-impérialiste des masses, elle tente de négocier avec les cercles dirigeants britanniques un certain nombre de concessions.

    Ils ne souhaitent pas une véritable indépendance du pays, craignant une révolution anti-impérialiste.

    Parallèlement, la grande bourgeoisie met tout en œuvre pour maintenir le mouvement de masse sous son influence et empêcher la classe ouvrière de le diriger.

    En recourant largement à la démagogie anti-impérialiste et sociale, elle appelle les masses à suivre le Congrès national indien et ses dirigeants – Gandhi et Nehru.

    Les cercles dirigeants britanniques, qui tentaient autrefois de présenter la lutte indienne comme un mouvement orchestré par une poignée d’agitateurs et d’instigateurs, peu enracinés dans la population, furent contraints d’admettre, comme le montrent les discours de plusieurs ministres du Travail en 1946, que le mouvement avait pris un caractère de masse et menaçait de balayer la domination britannique.

    Afin d’empêcher l’effondrement de leur domination en Inde, les colons britanniques décidèrent, d’une part, de faire quelques concessions à la grande bourgeoisie indienne et, d’autre part, d’intensifier leur politique traditionnelle de division du mouvement de libération nationale sur des bases religieuses et communautaires, en dressant hindous et musulmans les uns contre les autres.

    En mars 1946, une mission politique composée de trois ministres britanniques, dirigée par Pethick Lawrence, secrétaire d’État pour l’Inde, fut envoyée en Inde.

    La mission élabora un plan pour la forme de gouvernement de l’Inde, qui prévoyait sa partition en États hindou et musulman.

    L’impérialisme britannique comptait maintenir sa position en Inde en opposant ces États les uns aux autres et en s’appuyant sur les princes féodaux indiens.

    Cependant, à l’été 1946, les cercles dirigeants britanniques ne parvinrent pas à trouver un compromis avec la bourgeoisie indienne sur la base du plan de Pethick Lawrence.

    Le Congrès national indien, dont la direction représentait la grande bourgeoisie indienne, mais bénéficiait alors d’une large adhésion, s’opposa à la division du pays sur des bases religieuses et communautaires et exigea une déclaration d’indépendance complète de l’Inde.

    Le Congrès national accepta le plan de Pethick Lawrence uniquement comme base d’examen ultérieur par l’Assemblée constituante. La Ligue musulmane accepta ce plan, mais ne put compter que sur le soutien d’une minorité de la population.

    Mais, manœuvrant habilement, les cercles dirigeants britanniques tentèrent d’aggraver les divergences entre le Congrès et la Ligue et, en incitant à des émeutes hindoues-musulmanes, d’accroître la pression sur les dirigeants bourgeois du Congrès.

    En juin 1946, la Ligue musulmane déclara qu’elle boycotterait la convocation de l’Assemblée constituante pan-indienne et lancerait une lutte pour la formation de l’État musulman indépendant du Pakistan.

    Lord Wavell, vice-roi, demanda alors à Jawaharlal Nehru, président du Congrès national, de former un cabinet, réservant cinq sièges aux représentants de la Ligue.

    Le Congrès national accepta cette fois la proposition du vice-roi et Nehru forma un gouvernement provincial.

    La formation du gouvernement provincial, dirigé par Nehru, servit de prétexte à la Ligue musulmane pour lancer une campagne en faveur de la création d’un État musulman indépendant.

    Le 16 août 1946 fut déclaré journée de lutte pour le Pakistan. Ce jour-là, des conflits sanglants éclatèrent entre hindous et musulmans à Calcutta, au Bengale, puis au Bihar, où ils dégénérèrent en véritable massacre.

    Des bandes d’agents secrets de la police britannique tentèrent par tous les moyens de provoquer des pogroms dans toute l’Inde. La politique britannique de dresser les musulmans contre les hindous porta ses fruits.

    Le front anti-impérialiste unique des hindous et des musulmans fut brisé.

    Mais la fin de l’année 1946 fut marquée par une nouvelle poussée du mouvement ouvrier en Inde. La vague de grèves s’étendit à presque tous les secteurs de l’industrie indienne.

    Non seulement les ouvriers, mais aussi les fonctionnaires et les enseignants se mirent en grève. La grève des employés des Postes et Télégraphes et des Cheminots, en particulier, fut marquée par la ténacité et l’organisation.

    C’est à cette époque qu’un mouvement démocratique de masse s’éleva contre le régime des Princes des différents États.

    Les paysans se soulevèrent contre l’exploitation et l’oppression des propriétaires fonciers féodaux. Dans les États de Travancore et d’Hyderabad, ce mouvement se transforma en soulèvements paysans.

    L’Inde était à la veille d’une révolution nationale anti-impérialiste. Non seulement la domination britannique en Inde, mais aussi les intérêts de classe de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers indiens étaient menacés.

    La peur de la classe ouvrière, l’exploit de la paysannerie, poussèrent la grande bourgeoisie indienne à conclure un nouveau pacte avec les colons britanniques. Cette situation fut également habilement exploitée par le gouvernement travailliste.

    Le 20 février 1947, le Premier ministre britannique, Attlee, fit une déclaration à la Chambre des communes sur la politique indienne du gouvernement. Voici en substance le contenu de cette déclaration.

    1. Le gouvernement britannique transférera le pouvoir aux Indiens au plus tard en juin 1948.

    2. Le pouvoir ne sera transféré au gouvernement central de l’Inde que s’il est reconnu par tous les principaux groupes politiques du pays. En l’absence d’un tel gouvernement en Inde, il sera transmis aux gouvernements provinciaux ou aux gouvernements des groupes de provinces qui seront constitués d’ici là.

    3. Le vice-roi Wavell a été rappelé et Lord Mountbatten a été nommé pour le remplacer.

    Appuyant ces propositions, Stafford Cripps et Alexander ont déclaré que si la Grande-Bretagne refusait volontairement de transférer le pouvoir aux Indiens, une révolution éclaterait en Inde.

    Cripps a déclaré que la Grande-Bretagne pourrait tenir l’Inde par la force pendant plusieurs années encore, mais qu’il serait nécessaire pour cela d’augmenter considérablement les contingents de forces britanniques sur place, ce qui constituerait un fardeau insupportable pour la Grande-Bretagne.

    Suivant les calculs des dirigeants du Parti travailliste, l’incitation des Britanniques à « quitter » l’Inde était de fournir à la Grande-Bretagne la possibilité de maintenir son autorité en Inde.

    Les nouvelles propositions britanniques envisageaient clairement la division de l’Inde en transférant le pouvoir non pas au gouvernement central, mais aux gouvernements des différentes provinces ou de leurs groupes.

    Néanmoins, les plus hautes instances du Congrès national indien accueillaient favorablement ce nouveau plan et trahissaient ouvertement les intérêts nationaux de l’Inde.

    La direction du Congrès national, qui reflétait les intérêts de la grande bourgeoisie indienne, accepta un compromis avec l’impérialisme britannique sur la base d’un partage de l’Inde selon des critères religieux.

    Cette fois encore, comme cela s’était produit à plusieurs reprises auparavant, l’impérialisme britannique conserva l’Inde en faisant des concessions aux classes possédantes indiennes, concessions qui contribuaient également à leur nouvelle trahison des intérêts de leur pays.

    La Ligue musulmane, qui représentait les intérêts des propriétaires fonciers musulmans et de la bourgeoisie commerciale compradore, soutint pleinement la politique du gouvernement britannique.

    Craignant une révolution paysanne, les dirigeants de la Ligue musulmane, en plein accord avec l’impérialisme britannique, prônèrent la partition de l’Inde et le maintien de la domination britannique.

    Ils réclamèrent la création d’un État musulman, attisant ainsi l’animosité religieuse entre hindous et musulmans.

    Le 3 juin 1947, un nouveau plan britannique de division de l’Inde, connu sous le nom de Plan Mountbatten, fut publié.

    Fruit d’un accord entre le gouvernement britannique, la [grande] bourgeoisie indienne et les propriétaires fonciers musulmans, ce plan comprenait essentiellement les propositions suivantes :

    1. L’Inde serait divisée en deux dominions : l’Hindoustan pour les hindous et le Pakistan pour les musulmans ;

    2. Afin de définir les frontières des dominions, les mesures suivantes seraient prises à titre provisoire :

    a) la question de la division des provinces du Pendjab et du Bengale serait tranchée ;

    b) un référendum sur l’annexion de la province de la Frontière du Nord-Ouest à l’Inde ou au Pakistan serait organisé ;

    c) un référendum similaire serait organisé dans le district de Sylhet, dans la province d’Assam ;

    d) le conseil législatif provincial du Sind déciderait du rattachement de cette province au Pakistan ou à l’Hindoustan.

    3. Par la suite, les assemblées constituantes seront convoquées et les gouvernements des deux dominions seront formés.

    4. Les États pourront rejoindre n’importe lequel des dominions nouvellement formés.

    La Ligue musulmane et le Congrès national acceptèrent ces propositions et appelèrent la population à collaborer avec les autorités britanniques pour mettre en œuvre le plan Mountbatten.

    Le 15 août 1947, la loi de partage de l’Inde entra en vigueur et, à la place de l’Inde unie, deux « Dominions » furent créés : l’Hindoustan, qui adopta par la suite le nom d’« Union indienne » ou simplement de « Dominion de l’Inde », et le Pakistan.

    Le pays fut alors divisé en deux parties selon des principes religieux et communautaires. Ni la composition nationale de la population, ni les liens économiques, ni même l’intégrité territoriale ne furent pris en compte.

    La partition de l’Inde n’a résolu aucun problème, y compris celui des hindous et des musulmans. Au contraire, elle a exacerbé les divergences religieuses, notamment en lien avec la partition de la province du Pendjab, et a favorisé l’exacerbation de conflits sanglants entre hindous, sikhs et musulmans.

    Des millions de réfugiés se sont précipités d’un territoire à l’autre. Les Hindous et les Sikhs ont fui vers l’Hindoustan et les musulmans vers le Pakistan.

    Des villages entiers ont été dépeuplés, les récoltes n’ont pas été faites, les champs n’ont pas été ensemencés.

    Dans l’Hindoustan, les organisations hindoues réactionnaires – l’Hindou Mahasabha et le Rashtria Swayam Sevak Sangh, ainsi que le Parti Sikh Akali – ont intensifié leurs massacres ; au Pakistan, les gardes nationaux ont été organisés par la Ligue musulmane.

    Ces bandes armées, organisées selon des principes fascistes et inondées d’agents de la police secrète britannique, organisèrent le massacre des musulmans dans l’Hindoustan, ainsi que des hindous et des sikhs au Pakistan.

    Les affrontements fratricides dans l’Hindoustan et au Pakistan furent bénéfiques à l’impérialisme britannique et à ses agents.

    La partition de l’Inde fut effectuée dans le but de maintenir la domination politique et économique de l’impérialisme britannique dans le pays divisé en plusieurs parties.

    Les dominions nouvellement formés sont des États extrêmement artificiels, tant du point de vue de leur économie que de la composition nationale de leur population. La population du Pakistan totalise environ 70 millions d’habitants. Toutes les provinces du Pakistan sont des régions agricoles arriérées.

    Sur son territoire, on ne compte que 10 % de l’industrie, y compris l’industrie minière, puisque 90 % des mines sont concentrées sur le territoire de l’Hindoustan. Il n’existe aucun grand centre industriel au Pakistan.

    Le Pakistan est un pays à l’économie coloniale typique, ce qui facilite la tâche de l’impérialisme anglo-américain qui veut faire du Pakistan son appendice agraire. Le Pakistan est composé de deux parties séparées l’une de l’autre.

    À l’ouest, les différentes provinces pakistanaises sont reliées économiquement entre elles : elles disposent d’un réseau ferroviaire commun et d’un accès maritime commun par le port de Karachi.

    En revanche, il n’existe aucune connexion économique entre les parties occidentale et orientale du Pakistan. Le Bengale oriental est séparé des autres provinces du Pakistan par une distance de 1 300 kilomètres. De plus, la composition nationale du Pakistan n’est pas homogène.

    L’Union indienne est devenue un pays relativement plus industrialisé que l’Inde avant sa partition. Près de 90 % de l’ensemble de l’industrie, y compris l’exploitation minière, subsiste sur son territoire.

    Pourtant, l’économie de l’Union indienne est également une économie coloniale typique. Le principal secteur industriel est le textile.

    La métallurgie s’est peu développée, tandis que la construction mécanique est quasi inexistante.

    Arrachée aux grandes régions agricoles qui ont été rattachées au Pakistan, l’Union indienne connaîtra sans aucun doute une grave pénurie de matières premières et de produits alimentaires.

    L’Union indienne reste plus multinationale que le Pakistan. La population totale de l’Union indienne est d’environ 300 millions d’habitants, sans compter la population de l’État d’Hyderabad (16 millions).

    La partition de l’Inde a été menée par le gouvernement travailliste, plus souple et plus à même de recourir à la démagogie sociale et nationale que le précédent gouvernement conservateur.

    Cette manœuvre fut plus facile pour le Parti travailliste, car les dirigeants du Congrès national indien avaient toujours entretenu un certain accord avec lui et étaient plus disposés à accepter un compromis avec le gouvernement travailliste.

    Il est caractéristique que le Parti conservateur ait soutenu le plan de partition de l’Inde proposé par le gouvernement travailliste.

    Cela témoigne du fait que ce plan est un plan impérialiste britannique dans son ensemble et correspond à ses intérêts et à ses calculs.

    Ce n’est pas sans raison que, lors du débat sur le projet de loi à la Chambre des communes et à la Chambre des lords britanniques, les dirigeants du Parti conservateur ont salué le plan du gouvernement comme un plan venant au secours de l’impérialisme britannique, et le gouvernement travailliste comme le fidèle défenseur des intérêts de l’Empire britannique.

    Après avoir divisé l’Inde et conféré à l’Hindoustan et au Pakistan le « titre de dominion », l’impérialisme britannique a ainsi maintenu sa domination coloniale sur l’Inde.

    Le capital britannique occupe, comme par le passé, une position dominante dans l’économie de l’Hindoustan et du Pakistan. Le système bancaire est un puissant levier de l’exploitation coloniale de l’Inde.

    Toutes les grandes banques indiennes, à l’exception de deux, sont gérées par des monopoleurs britanniques. Elles détiennent ainsi les plus gros capitaux qu’elles peuvent investir dans l’industrie, les chemins de fer, les ports, etc.

    L’industrie indienne dépend entièrement des banquiers britanniques. Plus de la moitié de l’industrie du jute et du thé de l’Hindoustan, un tiers de l’industrie sidérurgique, la totalité de la production minière, les plantations de caoutchouc, etc. appartiennent au capital britannique.

    L’un des leviers de la domination coloniale britannique en Inde est constitué par les sociétés par actions anglo-indiennes.

    Grâce à ces sociétés, qui occupent une place importante dans le commerce et l’industrie, les intérêts des capitalistes indiens sont étroitement liées à celles des capitalistes britanniques, le rôle dominant revenant bien sûr à ces derniers (…).

    Aucun changement fondamental n’a eu lieu dans la structure interne du Pakistan et de l’Union indienne.

    Au Pakistan, où les propriétaires terriens sont au pouvoir, tous les États ont conservé pleinement leur structure politique féodale.

    Le gouvernement pakistanais a déclaré considérer les États comme des gouvernements souverains et ne pas s’ingérer dans leurs affaires intérieures.

    Même dans l’Union indienne, où la bourgeoisie est au pouvoir et où le gouvernement est dirigé par les dirigeants du Congrès national, qui s’étaient autrefois prononcés contre le régime féodal arbitraire, les princes ont conservé leur pouvoir (…).

    Dans l’Union indienne comme au Pakistan, les inégalités nationales sont prédominantes.

    L’hindi et l’anglais ont été déclarés langues d’État de l’Union indienne. Les langues de la plupart des peuples de l’Inde ont été reléguées au second plan.

    Au Pakistan, le gouvernement a déclaré l’ourdou langue d’État, bien que plus de la moitié de la population ne la connaisse pas. »

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • Muhammad Ali Jinnah et le Pakistan

    Il est intéressant de jeter un regard sur l’arrière-plan social de Muhammad Ali Jinnah pour comprendre son choix tactique puis stratégique de la rupture.

    Si la famille de Mohamed Iqbal, d’un milieu humble, était devenue musulmane depuis de nombreuses générations, la famille (aisée) de Muhammad Ali Jinnah était musulmane depuis trois générations seulement, et alignée sur l’Islam chiite ismaélien.

    Muhammad Ali Jinnah devint un chiite traditionnel et après sa mort des proches dirent qu’il était devenu sunnite. C’est obscur, mais révélateur : l’Islam est ici une identité, une tradition, avant toute chose.

    Muhammad Ali Jinnah

    Mohamed Iqbal et Muhammad Ali Jinnah avaient étudié en Angleterre, devenant des avocats, mais le second s’est orienté vers un style de vie largement occidentalisé, avec une très grande réputation pour ses costumes impeccables, et lui-même ne parlait pas ourdou, tandis que Mohamed Iqbal maîtrisait en poète tant le persan que l’ourdou.

    Cela n’empêchait pas Mohamed Iqbal de souligner l’identité musulmane, sans pour autant vouloir une séparation hindoue-musulman : son raisonnement s’appuyait sur une vision poétique de l’identité religieuse et c’est pour cette raison qu’il a pu écrire un poème en ourdou comme Sare Jahan se Accha Hindustan hamara (Mieux que le monde entier est notre Hindoustan).

    Mohamed Iqbal avait compris le rôle historique de l’Islam en Inde ; il en faisait un fétiche, mais il avait une lecture culturelle. Muhammad Ali Jinnah jetait quant à lui un regard politique et s’il avait initialement un positionnement similaire, sa démarche était pragmatique.

    C’est la raison pour laquelle il développa un discours toujours plus agressif contre le Congrès national indien et son projet d’Inde centralisée, chose qui se ferait selon lui inévitablement aux dépens de la minorité musulmane.

    Cela alla toujours plus loin et Muhammad Ali Jinnah devint la figure tutélaire de l’appel à un pays musulman rompant avec l’Inde.

    Muhammad Ali Jinnah en 1938

    Ce choix fut effectué par la Ligue musulmane à Lahore en 1940, avec la revendication d’États indépendants qui seraient « autonomes et souverains », ce qui peut sembler contradictoire car l’autonomie ne peut qu’exister dans un cadre fédéral, ce qui s’oppose au principe de souveraineté.

    Cependant, lors d’une adresse à la Ligue musulmane à cette occasion, Muhammad Ali Jinnah fut très clair sur le plan de la signification de la rupture :

    « Un journal d’importance comme le London Times, commentant le Government of India Act de 1935, a écrit que « sans nul doute, la différence entre les hindous et les musulmans n’est pas religieuse au sens strict, mais également de nature juridique et culturelle, ce qui fait qu’on peut dire de fait qu’ils représentent deux civilisations entièrement distinctes et séparées. Néanmoins, au cours du temps, les superstitions s’épuiseront et l’Inde se façonnera en une seule nation. » (…)

    C’est certainement un dédain flagrant de l’histoire récente du sous-continent indien, tout comme de la conception islamique fondamentale de la société vis-à-vis de l’hindouisme, que de les caractériser de pures « superstitions ».

    Malgré mille ans de contact proche, les nationalités divergent aujourd’hui plus que jamais, on ne peut pas attendre qu’à un moment elles se transforment en une seule nation purement et simplement en les soumettant à une constitution démocratique et en les maintenant par la force ensemble, avec les méthodes non naturelles et artificielles des statuts parlementaires britanniques (…).

    Il est extrêmement difficile d’apprécier pourquoi nos amis hindous ne parviennent pas à comprendre la nature réelle de l’islam et de l’hindouisme.

    Ce ne sont pas des religions au sens strict du mot, mais, en fait, des ordres sociaux différents et distincts, et l’idée que les hindous et les musulmans puissent jamais parvenir à une nation commune est un songe, et cette erreur d’une nation indienne unique est allé au-delà des bornes, et mènera l’Inde à sa destruction si nous échouons à corriger nos idées à temps.

    Les hindous et les musulmans appartiennent à deux philosophies religieuses, des pratiques sociales et des littératures différentes.

    Ils ne se marient pas ensemble, ni ne mangent ensemble et, en effet, ils appartiennent à deux civilisations différentes qui sont principalement fondées sur des idées et des conceptions différentes.

    Il est assez clair que les hindous et les musulmans puisent leur inspiration de sources historiques différentes. Ils ont des épopées différentes, des héros différents, et différentes périodes historiques [essentielles]. Très souvent, le héros de l’un est l’antagoniste de l’autre, et de la même manière, leurs victoires et leurs défaites se correspondent.

    Assujettir ensemble deux telles nations sous un seul État, l’une en tant que minorité numérique et l’autre comme majorité, ne manquera pas de mener à un mécontentement grandissant et à la destruction finale de toute structure qui pourrait avoir été conçue pour le gouvernement d’un tel État. »

    Muhammad Ali Jinnah considère ici comme un fait acquis la théorie des deux nations, que lui-même rejetait pourtant encore quelque temps auparavant.

    Muhammad Ali Jinnah en 1943

    Et à partir de 1940, le concept de Pakistan qui avait désormais sa base fut diffusée massivement par la Ligue musulmane désormais entièrement sous le contrôle de Muhammad Ali Jinnah, qui était désormais le QuaideAzam (le grand dirigeant).

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  • Muhammad Ali Jinnah et la faiblesse de la Ligue musulmane

    Muhammad Ali Jinnah était initialement favorable à une jonction des efforts hindous et musulmans, dans le prolongement du pacte de Lucknow initié en 1916. Il ne participa toutefois qu’à deux des trois conférences ayant respectivement lieu en 1930, 1931 et 1932, décidant alors de passer plusieurs années en Angleterre.

    Muhammad Ali Jinnah en 1910

    Cette décision ne doit pas surprendre, l’élite musulmane ayant fait le choix de soutenir le Raj, la Grande-Bretagne se montrait particulièrement bienveillante.

    De 1924 à 1936 à part en 1933, tous les présidents de la Ligue musulmane ont été nommés chevaliers (Sir Reza Ali en 1924, Muhammad Ali Jinnah en 1925 mais il refusera, Sir Abdur Rahim en 1926, Sir Mohammad Yakub et Sir Muhammad Shafi en 1927, Sir Ali Muhammad Khan en 1928, Sir Mohamed Iqbal en 1930, Sir Zafarullah Khan en 1931, Mian Abdul Aziz et Khan Bahadur Hafiz Hidayat Hussain en 1933, Sir Wazir Hasan en 1936).

    Toutefois, le Government of India Act de 1935, qui marquait l’établissement d’une certaine autonomie et d’élections directes, fit que Muhammad Ali Jinnah revint en Inde, reprenant les commandes d’une Ligue musulmane qui s’était assoupi et n’avait plus tenu de congrès depuis 1933, alors que deux factions se faisaient face.

    Face au processus d’indépendance qui s’enclenchait, l’élite musulmane ne pouvait pas rester passive et devait se poser comme une sorte d’équivalent pour la population musulmane du Congrès national indien, comme au moment du pacte de Lucknow en 1916.

    Ce fut toutefois un échec électoral relatif lors des élections de 1937 : la Ligue musulmane obtint 40 des 119 sièges réservés aux musulmans au Bengale, 2 de 86 au Pendjab, aucune au Sind et dans la province du nord-ouest en raison de l’absence de candidats.

    Les résultats furent meilleurs par contre dans les régions où les musulmans étaient minoritaires : 29 de 39 en Uttar Pradesh, 20 de 29 à Mumbai, 11 de 28 à Madras.

    Au total, cela fit que la Ligue musulmane obtint 109 sièges des 482 destinés aux musulmans, alors que le Congrès national indien avait 707 sièges en tout, dont 25 des sièges réservés aux musulmans.

    Les féodaux musulmans ne parvenaient pas à avoir une prise sur la situation et il leur était absolument nécessaire de provoquer une rupture, une cassure, pour apparaître comme la seule solution pour l’ensemble des musulmans.

    Cela provoqua une intense polarisation de leur part, avec notamment trois thèmes conducteurs.

    La première est ce qui fut appelé le « Wardha Scheme », c’est-à-dire la ligne éducative élaborée par la India National Education Conference en octobre 1937 à partir d’un article de Gandhi dans l’hebdomadaire Harijan, le 31 juillet 1937 : il s’agissait d’instaurer une éducation laïque. C’était considéré comme inacceptable pour des tenants de l’Islam.

    Le second reproche portait sur la politique de Vidya Mandir pratiquée dans les provinces contrôlées par le Congrès national indien. Ces « temples de l’éducation » étaient directement calqués sur le système éducatif hindou, le gurukula. Ce ne pouvait qu’être repoussé pour des musulmans cherchant à activer un fondamentalisme.

    Enfin, l’hymne Vande Mataram restait un obstacle identitaire majeur. Cela aurait été reconnaître la majorité hindoue et donc temporiser, remettre en cause la logique de l’Islam exigeant que l’hégémonie lui revienne toujours.

    Cela amena le Congrès national indien à considérer toujours plus la Ligue musulmane comme le jouet de la politique extérieure britannique cherchant à « diviser pour régner », ce qui était objectivement vrai.

    Inversement, la Ligue musulmane considérait que le Congrès national indien tentait de le phagocyter au nom du combat pour l’indépendance, ce qui était vrai également, dans la mesure où l’arrière-plan féodal – hindou l’emportait tendanciellement sur la dimension démocratique.

    L’élite musulmane fit alors bloc autour de Muhammad Ali Jinnah. C’est lui qui allait assumer la revendication d’un « Pakistan », alors que paradoxalement il avait été jusqu’au milieu des années 1930 un partisan de l’unité indienne.

    Mais c’est qu’il représente les intérêts de la féodalité musulmane et celle-ci comptait conserver ses prérogatives coûte que coûte, et là la situation exigeait de la jouer à quitte ou double de leur point de vue. Toutes les combinaisons, y compris menant à des désastres humains, étaient acceptables du moment que la féodalité musulmane restait le socle des zones où il y avait des musulmans.

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