[mars 1995]
Lors de la campagne des élections générales de lannée dernière, nous avons posé une bombe dans le bureau régional du parti démocrate-chrétien CDU à Sieburg, le 24 décembre.
Parmi d’autres, Kurt Lamers, porte-parole du groupe parlementaire CDU aux affaires étrangères, et Peter Hinze, secrétaire général de la CDU, y avaient leurs bureaux.
Les médias ont faussement attribué cette action à la Cellule Anti-Impérialiste (A.I.Z). Pour cette raison, nous jugeons nécessaire d’examiner la politique de l’A.I.Z et sur la base de cette critique, d’entamer une discussion sur les développements à venir de l’intervention militante.
Ce papier n’est pas uniquement adressé à l’A.I.Z. .Nous espérons pouvoir faire avancer le débat sur les buts de l’action militante dans la lutte de la gauche radicale pour le socialisme.
Bien que nous considérions au début la ligne de l’A.I.Z comme correcte, et que nous ayons coordonné notre lutte à la sienne, à la fois dans le contenu et dans le temps, aujourd’hui nous voyons que l’A.I.Z donne sur plusieurs points fondamentaux des réponses qui ne sont pas les nôtres.
L’A.I.Z n’était pas d’accord avec le cessez-le-feu de la R.A.F en avril 1992 et voyait sa propre politique comme la continuation de l’ancienne ligne.
De notre côté, nous voyions l’arrêt opéré par la R.A.F comme le résultat des vingt années de leur politique.
Cet arrêt était une condition pour séparer le vrai du faux, une méthode qui est et reste un aspect fondamental de la lutte révolutionnaire.
L’A.I.Z refuse de reconnaître cette impasse dans laquelle la R.A.F a abouti, comme s’il n’y avait eu à aucun moment la nécessité d’un renouveau.
Ses actions sont un peu plus que la faible imitation de vingt ans d’expérience armée.
La R.A.F a laissé beaucoup de possibilités ouvertes pour le prolongement de sa politique, elle n’a pas été capable de combler les vides de ses propres contenus politiques, mais n’a pas pour autant cherché à masquer ses faiblesses, et la faiblesse de la gauche en général, en continuant tout bonnement sur sa voie qui avait clairement conduit à l’échec.
« Pour créer une pression politique, nous avons volontairement inscrit, dans un espace et un temps limité, un danger de mort potentiel dans les endroits où nous menons nos actions. » (A.I.Z, 13.03.1995)
La responsabilité révolutionnaire signifie faire porter le danger sur ceux qui sont impliqués par l’effet politique. Dans ce sens, les personnes impliquées, ce sont toutes celles qui ont une position de responsabilité dans la cible attaquée.
Un danger pour les personnes non-impliquées doit, dans tous les cas, être évité. Nous rejetons l’absence de scrupules, l’idée que « la fin justifie les moyens ».
A notre avis, des attaques ciblées contre des individus, nous ne parlons pas seulement des dommages collatéraux d’une action, sont hors de question à l’heure actuelle en Allemagne.
Tous ceux qui en Allemagne interviennent de façon militante dans les processus sociaux doivent assumer leur responsabilité pour les répercussions politiques.
Une mort, même celle de la personne qui mène l’action, détruirait toutes les tentatives qui visent à faire sortir la politique militante des cercle étroits où elle se trouve encore.
Les attaques à Brème (contre le bureau du parti centriste FDP) et à Wolfsburg (contre la maison de Volkmar Koehler, ancien secrétaire d’Etat et actuel président de la Société d’Amitiés Germano-Marocaines) auraient pu tuer, même des personnes non-impliquées.
Si quelqu’un avait été tué dans ces attaques, ni le coût immédiat (une vie) ni le coût politique n’auraient pu être justifiés par le bénéfice politique (en termes d’ancrage) de l’action.
La responsabilité révolutionnaire signifie toujours examiner le danger auquel on expose les personnes non-impliquées et faire correspondre les aspects techniques d’une action à ce danger.
L’A.I.Z n’a pas fait cela, elle en est arrivé à une position que nous ne pouvons plus accepter. Nous critiquons l’attaque contre la maison de Volkmar Koehler sur les points suivants :
1. des moyens inappropriés
Une bombe peut être un instrument très utile pour endommager le système logistique d’individus, d’entreprises, de bureaux gouvernementaux, etc.
Mais, placée en face d’une maison, cette arme ne devient qu’un pur et simple symbole de danger de mort.
Les groupes militants devraient rejeter ce type d’action symbolique à cause du risque de mort pour les personnes non-impliquées.
2. la signification de l’attaque
Cette attaque n’avait aucun sens pour les gens, pas plus pour l’opinion publique que pour la gauche radicale.
De plus elle n’aura pas d’effet sur la politique de la Société d’Amitiés Germano-Marocaines, et ne jettera aucune lumière sur les activités de cette société, en tous cas pas plus que n’en a dit le communiqué de l’AIZ.
Enfin, cette attaque n’aidera en aucune façon à développer les forces progressistes au Maroc.
3. Le communiqué et l’action
Le communiqué est un bon document de recherche sur la situation au Maroc. Il expose la nature de la Société d’Amitié et son rôle dans la guerre du gouvernement contre l’opposition révolutionnaire.
En revanche, le communiqué ne montre aucune perspective pour des développements possibles ici ou au Maroc.
La bombe a explosé dans un vide. Le seul effet obtenu, à part d’avoir endommagé la maison, fut d’avoir trouvé de nombreux lecteurs pour le communiqué.
Et, en proclamant un danger de mort potentiel, l’AIZ a encore augmenté l’intensité des recherches policières.
Dans le communiqué contre Koehler, l’AIZ se réfère positivement à Khadaffi et au Mouvement Islamique.
Celui-là, on peut encore l’analyser politiquement, par contre il est impossible d’exprimer une quelconque solidarité avec la Libye.
Une posture seulement anti-impérialiste, comme c’est le cas pour la Lybie, est insuffisante si elle n’est pas reliée aux principes fondamentaux d’une politique émancipatrice.
Par exemple, quand Khadaffi écrit dans le « Livre Vert » que le rôle de la femme est défini par la nature et « une femme qui néglige la maternité a oublié son rôle naturel dans la vie », cela retire toute possibilté de solidarité.
L’ impérialisme signifie l’exploitation économique et culturelle de vastes portions du monde par les Etats hautement industrialisés. Ce sont les valeurs capitalistes placées dans des continents entiers.
Une lutte anti-impérialiste qui cherche simplement à s’extraire des conditions impérialistes n’est pas nécessairement progressiste si elle ne recherche pas en même temps à se libérer de l’exploitation et de l’oppression d’une partie de la société par une autre.
En plus de cela, il y a évidemment la libération des structures patriarcales.
Il est nécessaire de mesurer les mouvements et organisations antiimpérialistes en fonction de leur contenu émancipateur, dans le but de joindre notre lutte à la leur pour la libération mondiale.
C’est seulement de cette façon que notre solidarité internationale peut être mise en pratique. La situation actuelle de la gauche se caractérise par la scission et la liquidation.
La plupart des initiatives politiques ne vont pas au-delà de quelques éléments de libération subjectifs. Leur vision de la réalité sociale en Allemagne est basée sur leur propre niveau de développement politique.
Les groupes militants et combattants cherchent de nouvelles voies pour sortir de cet isolement social. La question de l’ancrage est une question centrale pour toute politique révolutionnaire.
Cela a à voir avec les perspectives socialistes qui peuvent former l’alternative au capitalisme pour de grands secteurs de la population.
Nous devrions voir l’importance de la faille qui existe entre « ceux d’en-haut qui font ce qu’ils veulent » et ceux qui se disent « qu’est-ce que je peux y faire? », pour faire en sorte d’apporter quelque chose de positif à ces gens qui veulent le changement.
Cette faiblesse objective de la gauche radicale ne peut être changée que par un contenu solide et une politique consistante dans la société, hors du confinement dans la scène-ghetto.
Les groupes qui sont concernés par les effets de l’ordre social contemporain (groupes de quartier, groupes qui travaillent avec les sans-logis et les chômeurs, groupes antiracistes, etc.) peuvent former une base pour la politique révolutionnaire.
Si on s’accorde sur le fait que les différentes formes de lutte peuvent et doivent se relier les unes aux autres, alors les iniatives militantes et armées ont la capacité de renforcer ces mouvements et d’augmenter la pression pour leurs revendications.
Ces actions mettent en question l’omnipotence du capitalisme et causent objectivement un affaiblissement matériel des capacités de l’Etat, en même temps qu’elles renforcent les mouvements radicaux.
L’AIZ ne remplit aucun des critères qui définissent un groupe révolutionnaire.
Pour cette raison, nous leur suggérons d’abandonner leur projet.
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