Le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), a été auditionné le 17 juin 2020 par la Commission de la défense nationale et des forces armées. Cela s’est déroulé à huis-clos, mais la perspective est tout de même sortie, alors que parallèlement s’est déroulé un accrochage franco-turc exemplaire de l’entrée dans la nouvelle période, celle allant à l’affrontement ouvert.
La France est partie prenante dans la bataille de deux factions en Libye ; elle agit en soutien à l’une des deux aux côtés des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et de la Russie, tandis que dans l’autre camp on trouve le camp des Frères musulmans, avec la Turquie et le Qatar.
Dans ce contexte, la frégate française « Courbet » a été le 10 juin 2020 ciblé trois fois par les radars de tirs de deux navires turcs, pendant trente-quarante secondes. Cette intervention turque a empêché la frégate française, navigant pour le compte de l’OTAN et supervisé directement par l’état-major maritime de l’OTAN, d’arraisonner un navire turc sans balise ni numéro d’identification, soupçonné de contrebande d’armes à destination de la Libye.
Surtout, elle relève normalement symboliquement d’un acte de guerre aux yeux des armées. La Marine française est folle de rage de l’humiliation subie et prête à monter en gamme dans le conflit. Pourtant, seulement sept pays de l’OTAN sur trente ont été d’accord avec la protestation française. Les contradictions inter-impérialistes sont trop fortes ; il est désormais clair que l’on va aux conflits militaires.
Le général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre, a ainsi été limpide devant la Commission de la défense nationale et des forces armées. Présentant la nouvelle vision stratégique de l’armée de terre, il a eu des phrases sont dont certaines ont été savamment sorties du huis-clos :
« Nous imaginions une situation en 2035… Mais en 2020, un certain nombre de cases sont déjà cochées »
« être prêt immédiatement » [pour une guerre, à partir de 2030]
« Nous avons besoin d’une armée de terre durcie prête à faire face à des chocs plus rudes »
« Nous sommes à la fin d’un cycle de conflictualité »
« Le déploiement de la force est devenu un mode de gestion. On teste durement sans avoir peur de l’incident et avec l’utilisation habile de manœuvres sous le seuil »
« Il ne manque que le patient zéro de l’épidémie guerrière »
Finie l’époque où la guerre consistait en une petite expédition de quelques professionnels aguerris épaulées par l’aviation. On rentre désormais dans les scénarios d’une guerre symétrique, avec des forces égales. Il est ouvertement parlé, dans cette perspective, de conflit de haute densité, d’État à État, avec donc un ébranlement des fondations institutionnelles et par conséquent la nécessité d’une unité nationale bien solide.
Le général d’armée Thierry Burkhard table évidemment sur le programme Scorpion pour remettre en marche l’armée française, avec des blindés connectés, des soldats tous en liaison de manière pointue, des drones, une informatisation généralisée des prévisions et des communications, etc.
Le Monde a publié le 17 juin, soit le jour du rapport du général d’armée Thierry Burkhard – aucun hasard à cela – un article annonçant ouvertement l’affrontement… en plein milieu des populations :
« La puissance de demain, c’est la mise en réseau des combattants », explique le général Charles Beaudouin, responsable de « Scorpion » à l’état-major de l’armée de terre.
Pour celui-ci, les guerres des années 2030 se feront en coalition, dans les villes, parmi des populations hyperconnectées informées en temps réel, et avec des pertes humaines importantes.
« Aujourd’hui la manœuvre sur le terrain se fait en fonction des liaisons disponibles, avec des matériels différents, trop facilement détectés », détaille le général.« Demain les différents postes de transmissions et d’information auront des composants communs, se reconnaîtront et se relaieront automatiquement. En cas de perte d’un relais, le système se reconfigurera automatiquement. »
Les chefs pourront alors mieux se concentrer sur l’ennemi.
Il y a, dans les faits, une puissante mobilisation de l’appareil intellectuel et politique en faveur de l’armée, pour qu’il y ait un consensus, un esprit d’unité sans failles. Tout fonctionne par réponse à des signaux, cela tant à l’intérieur d’un pays qu’entre pays, comme lorsque le 12 juin la France effectue l’un de ses très rares tests de missile potentiellement nucléaire mer-sol le jour où la Russie inaugure un sous-marin lanceur de missiles nucléaires, le Prince Vladimir.
On a ici affaire à un élargissement de l’envergure militaire, à une massification de la question militaire. Le général d’armée Thierry Burkhard entend de ce fait également organiser en 2023 un vaste exercice militaire de 15 000 hommes, comme avertissement aux forces « adversaires », mais naturellement cela sera aussi un moyen de mobiliser en faveur de l’armée à l’échelle nationale.
Cette vision stratégique nouvelle, annoncée ouvertement, reflète la crise générale du capitalisme : d’ailleurs la ligne est ouvertement celle de l’affrontement, avec un horizon établi pour 2030.