Être à la hauteur de notre époque

La crise du Covid-19 ouvre une nouvelle époque, parce qu’elle porte en elle tout un faisceau de contradictions historiques. L’humanité ne peut plus vivre comme avant, elle fait face à un défi qui est celui de trouver sa place dans la Biosphère. Elle ne peut plus simplement continuer à porter le mode de production capitaliste, qui mène très clairement à la destruction dans tous les domaines. Il faut une rupture.

On peut se douter que celle-ci n’est pas évidente. Elle implique une grande détermination face à la corruption capitaliste, une capacité à se tourner vers l’avenir, un sens de l’implication pour faire tourner les choses dans le bon sens. Sans un niveau idéologique suffisant, sans une lecture culturelle adéquate, on ne parvient pas à décrocher, à porter cette rupture, on est rattrapé par la vieille époque et ses valeurs.

Avec la crise du Covid-19, il s’est d’ailleurs déroulé un double phénomène. Il y a eu en effet d’un côté un effet de surprise, de peur, d’angoisse, face à un événement semblant incompréhensible eu égard à la prétention capitaliste de proposer un monde stable. Ce qui se déroule semble alors incompréhensible, calamiteux, une catastrophe et il y a une fuite en avant dans des raisonnements social-darwinistes, comme quoi les faibles doivent périr.

Cependant, de l’autre côté, il y a eu et il y a un sentiment de compréhension que toute une période s’était terminée. Avec le confinement, la fermeture des frontières, l’arrêt partiel des activités, la cessation du triomphalisme capitaliste… tout cela a dialectiquement également été une bouffée d’air frais. Cela a été enfin la preuve que le capitalisme ne pouvait pas se perpétuer sans connaître de blocages, qu’il n’est pas en mesure d’engloutir la vie privée et toute la société, et même la planète, sans que rien ne l’arrête. Le capitalisme apparaît comme dépassé.

Ce qui se pose comme alternative, c’est le socialisme ou la barbarie. Soit il y a une prise de conscience, un dépassement des vieilles valeurs et l’affirmation du communisme – que ce soit au niveau de la société ou dans le rapport à la nature. Soit il y a un repli national, identitaire, une fuite dans l’esprit de concurrence, la compétition, avec une acceptation du désastre et la tentative d’en profiter pour dominer les autres.

Soit la démocratie populaire, avec les masses laborieuses décidant des orientations de la société sur une base de partage, de coopération, de compassion, de refus des hiérarchies, d’unification des forces sociales et productives, soit le militarisme et la quête d’un sauveur national, menant au fascisme et la guerre impérialiste.

Soit la bourgeoisie est mise de côté politiquement, son État démantelé, son appareil d’État liquidé, avec le pouvoir populaire autour de la classe ouvrière, soit la haute bourgeoisie prend les commandes de l’État et pousse le capitalisme à participer à la bataille impérialiste pour le repartage du monde, en mobilisant de manière nationaliste et militariste.

Cette alternative ne se pose pas formellement. Il faudra du temps avant qu’elle se pose à tous les niveaux de la société. Du côté de la démocratie populaire, on ne sort pas du capitalisme facilement, que cela soit sur le plan des mentalités ou de l’établissement de nouvelles formes productives. Il y a beaucoup d’obstacles, comme l’aristocratie ouvrière, couche sociale achetée par les capitalistes, ou encore les influences néfastes d’une petite-bourgeoisie cherchant à abuser des masses pour négocier avec la bourgeoisie.

Du côté de la Réaction, il est difficile de faire passer le pays du libéralisme politique, du relativisme idéologique, de l’individualisme généralisé… aux mêmes valeurs, mais imbriquées dans un projet « collectif » agressif exigeant une participation à « l’effort national ». Le capitalisme dans sa forme libérale et le capitalisme dans sa forme fasciste sont à la fois la même chose et pas la même chose ; le passage de l’un à l’autre ne va pas sans heurt.

Il va de soi que ce qui est déterminant ici, ce sera la crise générale du capitalisme et plus précisément les formes qu’elle va prendre. On peut ainsi déjà voir que la dimension économique de la crise est terriblement profonde, qu’elle désarçonne de par son expression, qu’elle frappe pratiquement par surprise tel ou tel secteur. Le chômage, la précarité, la brutalité dans la vie quotidienne, l’angoisse pour le maintien de son existence sociale… tout cela peut être le terreau du fascisme, alors que la bourgeoisie cherche forcément une sortie par la rationalisation capitaliste et la guerre impérialiste.

Inversement, le caractère prolongé de la situation contribue à la réflexion, à la prise de conscience. Et on peut même voir, de manière relative, que les gens qui avaient tourné le dos aux valeurs du mode de vie dominant, qui ne faisaient pas confiance aux prétentions capitalistes, qui cherchaient un mode de vie alternatif… se sont subitement retrouvés comme ayant une certaine valeur, au lieu d’apparaître comme de simples marginaux comme auparavant.

Évidemment, il s’agit le plus souvent de démarches élémentaires, de repli, alors qu’il ne s’agit pas seulement de s’apercevoir que le rythme imposé par le capitalisme est insupportable. Si l’on s’arrête à cela, on ne voit pas que le capitalisme a fait son temps et qu’il ne s’agit pas de ralentir l’histoire, l’activité humaine en général, mais bien au contraire de l’accélérer. Il ne s’agit pas de faire triompher une démarche hippie pour « calmer », « encadrer » ou faire « reculer » le capitalisme, mais bien d’avoir une humanité active, protagoniste de choix nouveaux, permettant un nouveau développement. Il faut être à la hauteur de son époque.

Néanmoins, on peut ainsi déjà lire des comportements, des attitudes, des positionnements qui passent dans l’universel, la dimension planétaire, en opposition avec les valeurs cyniques, individualistes, nihilistes du capitalisme. Le dénominateur commun de tout c’est qu’il est considéré qu’on « ne peut plus faire comme avant ». Le refus du nucléaire ou de la chasse, l’exigence d’un haut niveau dans la santé, la détestation du gaspillage ou des divisions religieuses, l’affirmation du partage des biens culturels, que ce soit pour la musique, les films ou les images en général… De tels phénomènes rentrent, qu’ils en aient conscience ou pas, de manière tendancielle en conflit avec les exigences du 24 heures sur 24 du capitalisme.

Cela ne veut pas dire que les gens aient saisi toute l’ampleur du désastre, ni que la démarche ne soit pas récupérable en soi avec une modernisation du capitalisme. Ce qu’il y a ici, c’est une profonde contradiction entre d’un côté la bataille pour l’existence, avec la nécessité de travailler afin de pouvoir disposer d’un salaire pour vivre, de s’intégrer socialement, avec également l’aliénation faisant qu’on apprécie ce que propose le capitalisme… et de l’autre, de manière pas nécessairement comprise, un besoin culturel, matériel, psychologique de souffler, de temporiser, d’arrêter de sans cesse courir en suivant les desiderata du capitalisme, de s’épanouir en faisant les choses différemment, de manière meilleure. Dans quelle mesure cette contradiction sera positive, sous quelle forme, telle est la véritable question de fond.

En tout cas, il est possible de dire que les gens qui ont saisi avec satisfaction cette cassure, ce moment de pause dans la machinerie capitaliste, représentent la pointe de la conscience émergente qu’il faut en terminer avec tout cela, qu’il faut tout changer, que rien ne va plus. On est bien entendu encore loin de passer à l’affirmation qu’il faut détruire ce qui nous détruit, néanmoins un processus s’est enclenché.

Concrètement, on peut dire qu’il en est désormais terminé du grand élan capitaliste fondé sur l’effondrement du social-impérialisme soviétique et l’intégration de la Chine social-fasciste dans la division internationale du travail. Ce qui se brise, c’est le consensus capitaliste qui s’est maintenu entre 1989 et 2020, fondé sur une élévation relative du niveau de vie à l’échelle mondiale, l’absence de guerres majeures à travers le monde, une modernisation technologique et un meilleur accès à la santé.

Cette période entre 1989 et 2020 a été une traversée du désert au point de vue de la proposition stratégique communiste, cela a été extrêmement difficile à vivre pour les avant-gardes révolutionnaires de par le monde. La thèse selon laquelle le capitalisme va à la guerre semblait périmée ; le capitalisme élargissait la consommation de masses et semblait rendre caduque l’affirmation que l’exploitation conduisait à l’appauvrissement. Le mode de vie des masses changeait, que ce soit avec les ordinateurs, internet, les téléphones portables, le renforcement du cinéma et de la télévision dans la vie quotidienne. Une vaste petite-bourgeoisie se renforçait dans les pays impérialistes, développant des activités culturelles semblant épanouissantes ou du moins divertissantes.

Le terrain conquis avec tant de difficultés dans les années 1960-1970, lieu des engagements dans les années 1980, s’est littéralement évaporé en 1989. L’effondrement du social-impérialisme soviétique a permis aux pays impérialistes occidentaux de s’approprier de nouveaux marchés, et par l’intégration de la Chine social-fasciste, la production et la consommation capitalistes ont connu un grand élargissement.

Dans un tel contexte, la reconstitution des avant-gardes a été un combat difficile, exigeant de la patience et de la ténacité. En France, le PCF(MLM) se fonde sur un processus né dans les années 1990, avec l’affirmation du maoïsme au tout début des années 2000, pour une grande opération de reconstruction idéologique des principes fondamentaux. En Belgique, pays connaissant pareillement une grande tradition révolutionnaire, le processus d’agrégation des forces assumant la rupture avec le capitalisme a abouti en 2010 à la formation du Centre MLM.

Mais il ne s’agit pas que d’une récupération du patrimoine communiste. Il s’agit également d’un approfondissement, pour être à la hauteur des enjeux de l’époque. La question animale, notamment, se pose avec toute son acuité. On trouve à l’arrière-plan la contradiction entre villes et campagnes, avec la place de l’humanité dans la biosphère comme toile de fond d’une bataille pour l’orientation future qui doit être prise.

Nous ne comprenons pas les gens qui disent qu’ils veulent la révolution, mais qui n’ont aucun point de vue concret, pratique, sur toutes les questions brûlantes de notre époque et dont le discours pourrait se situer en 1980, en 1960, en 1930, voire même en 1900. S’imaginer qu’on peut mener une politique révolutionnaire en étant totalement dépassé culturellement est simplement une aberration strictement équivalente aux fascinations petites-bourgeoises pour tout ce qui apparaît comme nouveau phénomène culturel ou social.

Il faut être ancré dans son époque, dans sa société. La révolution n’est pas un processus cosmopolite. Ce qu’on appelle guerre populaire n’est pas un concept technique, mais une réalité populaire, avec le peuple composé de gens concrets, existant avec leur sensibilité dans une réalité matérielle bien définie. Il faut à la fois être en phase avec le peuple et avant-garde tourné vers le dépassement de la réalité, là est la contradiction productive définissant les communistes.

C’est d’autant plus vrai à une époque de crise et qui dit crise dit révolution. Ce qui se termine, c’est une époque où les révolutionnaires étaient marginalisés ou corrompus en raison de l’élan capitaliste. Cette époque était celle d’une neutralisation relative des antagonismes. On peut même dire que, depuis les années 1950, les pays capitalistes ont d’ailleurs connu une telle neutralisation, la vague révolutionnaire s’exprimant principalement en Afrique, en Amérique latine, en Asie. Les gens des pays capitalistes ont été écrasés par le capitalisme et ses valeurs, ils ont été intégrés dans sa démarche, adoptant le mode de vie qu’il a exigé. On en arrive désormais au point de rupture.

Une vie authentique n’est possible que dans le combat pour la libération et auparavant, c’est de manière isolée socialement qu’émergeait une telle démarche, que ce soit dans les « gauchistes » français autour de mai 1968, dans des initiatives ouvrières violentes italiennes des années 1970, dans les squats de Berlin des années 1980. Il y avait une coupure complète entre des avant-gardes prisonnières de leur style alternatif et des larges masses entièrement coupées de leur démarche et même inaccessible de par leur dédain pour ce qui n’était pas le mode de vie capitaliste traditionnel. La situation a changé avec l’ouverture de la crise ; le décrochage antagonique avec le 24 heures sur 24 du capitalisme reprend son sens !

Le projet de recomposer le tissu prolétarien par le mouvement démocratique des masses déchirant violemment l’hégémonie capitaliste à tous les niveaux peut reprendre son cours naturel. Le besoin de communisme peut s’exprimer de nouveau, secteurs par secteurs dans les masses populaires, en se posant comme hypothèse stratégique s’adressant de manière la plus large possible.

C’est un processus dont ne nous sommes qu’au début. Mais notre fierté est de l’avoir préparé, d’être en première ligne dans ce début. Et nous avons confiance dans la victoire de ce processus de dépassement de la crise générale du capitalisme, par la victoire des masses populaires pays par pays dans un processus prolongé et l’instauration, comme réalisation finale de la république socialiste mondiale.

Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste de Belgique

Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

Septembre 2020

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