Dès leur sortie du gouvernement, les communistes lancent une grande vague de grèves. Ils espéraient ainsi regagner le terrain occupé par l’ultra-gauche et les tenants du syndicalisme libre. Désormais n’étant plus soumis à la discipline républicaine, le PCF pensait facilement l’emporter.
Le pic a lieu en novembre. Marseille est le lieu de multiples affrontements, avec une grève générale même suite au meurtre d’un ouvrier, Vincent Voulant, par la mafia du clan Guérini. 80 000 mineurs rentrent en grève, fer de lance d’un mouvement touchant les travailleurs de Renault et Citroën, les dockers, les métallos, les travailleurs des BPT, l’Education nationale, la fonction publique.
Le 29 novembre 30 000 grévistes manifestent même en force à Saint-Étienne, avec affrontement généralisé à la barre de fer avec les CRS.
Le ministre de l’Intérieur, Jules Moch membre de la SFIO, fait appel à l’armée et au 11e régiment parachutiste de choc, bras armé du service Action du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage.
Finalement, le 9 décembre 1947, le Comité central de grève constitué par les fédérations CGT décide de cesser le mouvement.
Entre-temps, des affrontements violents avaient parfois lieu avec les éléments de la CGT opposés à une grève considérée par eux comme « politique ».
Cependant, cet affrontement était strictement parallèle à une question éminemment politique s’affirmant dans le cadre de l’affrontement international entre capitalisme et communisme, celle du plan Marshall.
L’appel d’air provoqué par l’énorme investissement américain – une savante combinaison de prêts et de dons liés à l’industrie américaine – allait cimenter tous les opposants au PCF et exercer une pression énorme dans un pays en reconstruction.
Le paradoxe est ainsi que les tenants du syndicalisme libre pouvaient désormais exiger l’acceptation de ce soutien, alors qu’ils appuyaient auparavant les velléités d’ultra-gauche de revendications généralisées sans aucune perspective d’ensemble ni analyse réaliste de la situation.
Le PCF réfuta le plan Marshall avec un vrai temps de retard, qui fut critiqué dans le Mouvement Communiste International. Voici comment, dans l’Humanité du 12 octobre 1947, le secrétaire général de la CGT, Benoit Frachon, présente les raisons pour lesquelles il faut combattre le Plan Marshall :
« L’émotion soulevée par l’invraisemblable discours de Ramadier n’est pas près de s’éteindre.
C’est une politique de catastrophe nous ont dit certains représentants qualifiés de l’industrie. Tandis que pour la classe ouvrière surgit le spectre d’un chômage massif qu’évoque nécessairement la menace des fermetures d’usines et de chantiers annoncées par le président du Conseil.
Politique de catastrophe!
Le mot n’est pas trop fort. Politique aussi qui tend à ruiner, pour des buts qui ne sont que trop clairs, l’effort de reconstruction accompli, par la classe ouvrière, malgré les saboteurs (…).
Il est vrai que les trusts américains pourraient s’inquiéter de la modernisation de notre industrie sidérurgique, du perfectionnement de nos procédés de fabrication des automobiles, notamment chez Renault et chez Berliet.
Ils ont prévu la reconstruction rapide de l’industrie de la Ruhr, ils peuvent fabriquer suffisamment d’automobiles pour nous en vendre. Alors, pourquoi songer à développer nos propres industries «concurrentes» ?
La veille du jour ou Ramadier fit son discours, Philippe Lamour, secrétaire général de la C.G.A., parlait devant les représentants de la presse. Il indiquait, avec raison, qu’un des obstacles essentiels au développement de la production agricole était qu’on ne pouvait fournir aux paysans l’équipement dont ils ont besoin.
«Nous avons 200.000 demandes de tracteurs en série qui ne sont pas satisfaites», disait-il. Ramadier répond: «Nous n’avons pas de dollars». Mais il annonce en même temps que des usines seront fermées parce que les commandes seront suspendues. Ne croyez pas que l’idée puisse lui venir que ces usines pourraient faire les tracteurs que réclament les paysans (…).
Songez donc, les Américains fabriquent des tracteurs. Nous n’avons pas de dollars! Qu’à cela ne tienne, à force de concessions les Américains nous en prêteront.
Tandis que se précise cette politique de liquidation de nos principales industries, il ne se passe pas de jour sans qu’on nous annonce officiellement l’arrivée de délégués américains, experts ou non. M. MacMartin, président de l’Export-Import Bank va visiter nos principaux centres industriels. Les hommes les plus représentatifs de la banque et de l’industrie des U.S.A., pressent nos ministres de réduire les tarifs douaniers. «On nous l’a promis» , disent-ils.
Ils exigent qu’on crée les conditions nécessaires à des investissements solides et sûrs de capitaux, les leurs, en France.
Chaque Français a l’impression pénible que notre pays devient un vaste champ de foire où les maquignons viennent tâter les flancs du bétail avant de l’achever, sous la conduite de vendeurs accommodants qui déprécient eux-mêmes la marchandise. Gare à la ruade qui pourrait bien laisser pantois marchands et acheteurs (…).
Les événements vont vite. Les possesseurs de dollars qui commandent désormais sans partage se font plus exigeants. La classe ouvrière n’a pas l’habitude de céder au chantage. Le plan Monnet annexe du plan Marshall! Ce ne peut pas être son affaire.
Son plan à elle, c’est celui du redressement dans l’indépendance, la souveraineté du pays dans l’épanouissement d’une véritable démocratie. »
Un mois après, les 12-13 novembre 1947, le comité confédéral national de la CGT rejetait l’acceptation du Plan Marshall, par plus de 800 voix contre un peu plus d’une centaine.
« Le C.C.N. condamne le plan Marshall qui loin d’être un plan d’aide à la France et à l’Europe, n’est qu’une partie d’un plan d’asservissement du monde aux trusts capitalistes américains et la préparation à une nouvelle guerre mondiale. »
La motion d’acceptation du Plan Marshall était portée par Robert Bothereau. C’est lui qui allait également, immédiatement, lever le drapeau de la scission dans la CGT.