L’acceptation du plan Marshall, dans le contexte de la grande grève de la fin de l’année 1947, va être considéré comme le moment idéal pour former un nouveau syndicat. Par qui ? C’est un vaste débat encore, car tellement d’intérêts convergent qu’on ne sait pas à qui attribuer l’initiative directe de la rupture.
Il est clair que le moteur n’a été ni la direction socialiste – qui espéraient encore amenuiser la direction communiste de la CGT – ni les trotskistes se prétendant au-dessus des réformistes et des « staliniens », ni même des anarchistes espérant encore une dynamique syndicaliste révolutionnaire indépendante.
Toute la question est de savoir si les tenants du syndicalisme ont pris l’initiative d’eux-mêmes, faisant face selon eux à un mur, ou bien si la CIA a servi de déclic en proposant une aide matérielle massive en cas de constitution d’un nouveau syndicat. Dans tous les cas, il y avait une réelle convergence de nombreux éléments, avec un véritable activisme anticommuniste à la base.
De fait, la position de la minorité syndicaliste libre dans la CGT était de toutes façons intenable. A la commission administrative, elle avait 15 délégués contre 20, mais l’actualité revenait au PCF et donc à la majorité de la CGT, qui domine en fait dans un rapport de 3/4 – 1/4.
Léon Jouhaux, le dirigeant historique de la CGT d’avant-guerre, était déjà très âgé et proposait un programme, Nos tâches d’avenir, où « un très grand secteur privé » est mis en valeur, ce qui ne pouvait satisfaire les exigences d’une CGT pro-communiste, ni même les besoins d’une confrontation avec le PCF.
Tout dépendait en fait de Force Ouvrière. Des groupes « Les amis de F.O. » avaient été fondés ; ils profitèrent du contexte pour tenir un congrès avec 250 personnes, les 8 et 9 novembre 1947 à Paris, soit quelques ajours avant la réunion du comité confédéral national de la CGT à ce sujet.
Le plan Marshall y fut approuvé. C’était là donner un gage énorme aux forces pro-américaines et au gouvernement. Robert Bothereau y était nommé dirigeant, ce qui montrait également qu’il y a avait une figure reconnue sur le plan interne.
Cela provoqua un effet de convergence. Les groupes Force Ouvrière se multiplièrent de fait dans tout le pays, alors qu’ils n’étaient présents que dans 35 départements encore en avril de la même année.
Le 28 novembre 1947, les « amis de Combat syndical », une structure syndicale pro-SFIO chez les postiers, appela à la formation d’une nouvelle entité syndicale, au motif qu’entre les gaullistes et les communistes, on risquait un coup de force dans un sens ou dans l’autre.
La base socialiste organisée dans les entreprises encouragea alors massivement cette tendance, appuyant systématiquement Force Ouvrière. Même les sections locales de la SFIO s’y mirent.
Force Ouvrière organisa des réunions directes avec le ministre du travail Daniel Mayer, l’ancien dirigeant de la SFIO, en contournant la direction de la CGT. Cette dernière comptait à l’inverse élargir la lutte par un Manifeste aux travailleurs de France et l’organisation de vastes assemblées générales ouvertes à tous les travailleurs.
La contradiction historique est alors explosive et jamais la base mobilisée dans une dynamique anticommuniste ne pouvait suivre la CGT dans son positionnement de conflit avec l’Etat. Georges Lefranc, un historien du syndicalisme historiquement lié au planisme farouchement anticommuniste et aux « espoirs » sociaux en le régime de Vichy, résume de manière assez nette ce panorama au sein des anticommunistes :
« La scission fut imposée à des leaders qui ne la voulaient pas ou qui ne la voulaient pas encore, par des militants du rang qui ne concevaient même pas qu’on pût encore en reculer l’heure. »
La direction de Force Ouvrière n’eut pas le choix. Le « Groupe central » tint alors une seconde Conférence nationale les 18 et 19 décembre pour fonder la CGT-Force Ouvrière.