L’armée avait un rôle essentiel dans l’État espagnol, servant de colonne vertébrale à un régime caractérisé par la toute-puissance des caciques locaux. C’est la raison pour laquelle le général Miguel Primo de Rivera (1870-1930), capitaine général de Catalogne, organisé un pronunciamiento, c’est-à-dire un coup d’État militaire.
Dans son Manifeste « au pays et à l’armée », le 13 septembre 1923, Primo de Rivera appela à se débarrasser de « la propagande communiste impunie », de « l’impiété et de l’inculture », de « l’indiscipline sociale », de « la justice influencée par la politique ». Par conséquent, c’est un directoire militaire qui prend le contrôle du pays, pendant deux ans, puis un directoire civil.
Miguel Primo de Rivera met en place une société de type corporatiste, notamment au niveau municipal, avec à chaque fois des représentants militaires comme délégués représentant l’État. C’était une réorganisation de la domination féodale, par l’intermédiaire d’une réimpulsion, d’une modernisation au moyen du corporatisme.
L’Unión Patriótica, seul mouvement autorisé, était ouvert à tous les gens « de bonne volonté » ; Miguel Primo de Rivera le définira comme « un parti central, monarchique, tempéré et sereinement démocratique ». La démarche était de régénérer le pays, selon la perspective social-chrétienne traditionnelle, de manière cléricale-autoritaire s’il le fallait.
En pratique, tous les secteurs de l’économie étaient régulés administrativement, au moyen d’organismes corporatistes liées au Consejo de Economía Nacional ; le régime privilégia également l’autarcie, avec le protectionnisme comme moyen d’éviter la concurrence et les crises.
Une Organización Corporativa Nacional fut aussi mise en place pour gérer les conditions de travail et les encadrer dans le sens du régime ; de fait, dès le départ, les grèves passèrent, de 1923 à 1924, de 495 à 165, de 1,2 million de grévistes à 529 000.
Dans les secteurs demandant de lourds moyens, comme les infrastructures, les transports, l’État intervint directement, transformant le pays en capitalisme monopoliste d’État. 9 455 kilomètres de routes sont construites en six ans, contre 2 756 seulement les cinq années précédentes ; l’irriguation fut développée afin de renforcer la production agricole restée féodale.
Le régime subventionna la Transmediterránea et la Transatlántica, forma la Compañía telefónica nacional en concédant le secteur du téléphone à l’américain ITT en partenariat avec des fonds espagnols, sous supervision de l’État. Il nationalisa le secteur du pétrole (importation, distribution, vente) pour former la société CAMPSA appartenant aux différentes banques espagnoles, remit le monopole du tabac marocain à l’homme d’affaires espagnol Juan March.
La ligne était cependant plus subtile qu’il n’y paraît, au-delà d’une démarche ultra-conservatrice, exprimant les intérêts directs de la féodalité devenant monopoliste. En effet, la bourgeoisie catalane a, initialement, ouvertement soutenue l’initiative. La féodalité savait qu’elle devait conjuguer des forces anciennes et nouvelles pour se maintenir.
Il y a ici une alliance de fond, dans l’esprit d’une modernisation, par l’alliance entre les grands propriétaires terriens et la haute bourgeoisie d’affaires, sous l’égide de l’armée. Cela se fit surtout aux dépens de la CNT, qui pendant toute la dictature de Miguel Primo de Rivera – soit jusqu’en 1930 – fut pratiquement démantelée par « l’état de guerre » mis en place, et contre le Parti Communiste d’Espagne en tant que fraction démocratique la plus avancée idéologiquement.
En pratique, le développement tant de la CNT que du PCE était « gelé ». Le régime tenta également, pour ce faire, d’avoir des rapports qui ne soient pas trop hostiles avec l’UGT et même le PSOE, par l’intermédiaire de leur dirigeant Julián Besteiro.
Le plan échoua cependant devant la résistance de la base du PSOE ; la dévaluation de la monnaie acheva également de briser l’alliance féodalité – haute bourgeoisie d’affaires, de par la pression de la bourgeoisie en général. Le régime devait se transformer et céda la place à la Seconde République. Les années 1920 étaient l’expression d’une crise générale, qui devait inévitablement se résorber.