La dénonciation des néo-socialistes par Léon Blum et le tournant unitaire

Les formes de la lutte révolutionnaire, paru dans le Populaire le 31 juillet, formule clairement une redéfinition de la stratégie socialiste. Il est en effet parlé par Léon Blum de la nécessité de la violence à bas niveau dans le cadre de l’antifascisme, et de celle de l’unité des ouvriers et de leurs organisations.

C’est là entièrement modifier l’orientation gouvernementale – réformiste de la SFIO jusque-là pour converger au moins en partie avec le Parti Communiste Français en raison de l’antifascisme.

Léon Blum va si loin dans cette convergence que, sachant bien évidemment que le Parti Communiste Français c’est finalement avant tout la CGT Unitaire, il dresse un éloge de la grève générale, revenant ainsi à l’identité de la SFIO d’avant 1914.

Voici cet article :

« La motion de Toulouse nous a instruits à distinguer entre les coups de main insurrectionnels, vaines « escarmouches » de la bataille révolutionnaire et les vastes mouvements collectifs traduisant « l’émotion générale et profonde » des masses prolétariennes.

C’est en réalité cette distinction devenue classique pour nous que Paul Faure a reprise dans le passage de son discours qui a suscité de si singuliers commentaires. Oui, certaines formes de l’offensive ouvrière sont devenues aujourd’hui quelque chose d’archaïque et de « périmé ».

Oui, les grands tableaux du passé, depuis les sans-culottes jusqu’aux fédérés, si vivants dans notre mémoire, n’ont plus pour nous que la valeur d’une légende à la fois historique et lyrique ; il est utile de le rappeler parfois à ceux sur qui celte légende conserve une prise, en raison de son héroïsme même.

Mais, quand on a fait ce rappel, on n’a pas nié pour cela la nécessité d’organisations de combat ouvrières. Et surtout, on n’a pas renoncé pour cela à d’autres formes d’offensives de masses, à celles qui sont précisément adaptées aux conditions de la vie moderne.

C’est entendu : les organisations de combat ouvrières, les milices, les groupes de choc seront toujours hors d’état de livrer des batailles rangées contre les armes modernes ou même contre les polices modernes, équipées sur le modèle des armées.

Mais tel n’est pas non plus leur rôle ni leur but. Leur rôle est la défense et la protection ; leur but est de maintenir la liberté de la rue, la liberté des réunions.

Même munies de simples bâtons, même munies de leurs seuls poings, elles peuvent remplir ce rôle et atteindre ce but : la preuve en a été faite en Autriche, en Belgique, même en France.

Ce n’est pas là chose indifférente : si nous laissions s’établir dans le pays la conviction que le socialisme cède et mollit devant les jeunesses patriotes, les croix de feu et autres camelots du roi, qu’il leur abandonne sans résistance la maîtrise des réunions, de la rue, nous aurions fourni par là même le plus dangereux aliment à la propagande fasciste.

A l’inverse, tout acte de résistance énergique et efficace inspirera un nouvel élan de confiance aux masses qui nous suivent.

Mais cela c’est la défensive courante locale. Pour les défensives de grand style, comme pour l’offensive, pour résister à de véritables coups d’Etat fascistes, comme pour appuyer la conquête révolutionnaire du pouvoir, la classe ouvrière dispose de deux armes qu’il lui appartient de rendre efficaces.

La première est la propagande socialiste elle-même, en tant qu’elle a pénétré l’armée, la police, les cadres des services publics, en tant qu’elle est devenue capable de neutraliser et peut-être de retourner les mitrailleuses – ainsi qu’il advint somme toute pour les révolutions politiques du XIXe siècle. La seconde reste la grève générale.

J’ai été surpris, je l’avoue, de voir la grève générale tenir une place si effacée dans les motions soumises au congrès, sur les « méthodes de lutte pour la conquête du pouvoir ».

J’ai assisté, pour ma part, à l’éclosion et au développement de l’idée [Léon Blum est né en 1872] . J’ai pu constater quel enthousiasme avait soulevé dans la classe ouvrière la certitude de tenir dans ses mains une arme révolutionnaire forgée par elle, ou plutôt issue d’elle, qui fût à la fois son oeuvre propre et son bien propre.

Sans doute y avait-il un excès dans cette première exaltation, sans doute était-elle marquée de ce que nous appellerions aujourd’hui un caractère mystique. Mais je me demande si les défaites subies par la classe ouvrière en Italie et en Allemagne ne nous rejettent pas aujourd’hui dans l’excès contraire.

La grève générale n’a pas échoué en Allemagne, elle n’a pas même été essayée, ce qui est pis. Mais je demeure convaincu, quant à moi, qu’elle demeure le moyen suprême de défense et de conquête du prolétariat, un moyen qui n’appartient qu’à lui, dont nul ne peut le frustrer, et qu’il dépend de lui seul de rendre irrésistible.

Notre propagande devrait s’appliquer à ranimer dans les masses ouvrières cette confiance quelque peu atteinte.

Seulement, ne nous dissimulons pas que sa pleine efficacité dépend de trois conditions : la première est la pénétration de la pensée socialiste dans les masses paysannes, pénétration poussée assez profondément pour entretenir en elles un sentiment de solidarité avec les masses ouvrières.

La seconde est une coordination étroite d’action entre les organisations politiques du prolétariat et ses organisations coopératives.

La troisième – et d’ailleurs l’essentielle – est, comme bien l’on pense, l’unité organique du prolétariat.

La première est somme toute en heureuse voie d’accomplissement. La façon la plus sûre de préparer à la fois la défaite fasciste et la victoire socialiste est de travailler à la réalisation des deux autres. »

L’article Les formes révolutionnaires du 31 juillet 1933 est un tournant pour la SFIO, et son origine tient à une réfutation des néo-socialistes. Cela modifie toute la position de la SFIO dans le cadre politique, notamment et principalement son rapport aux communistes. On ne peut pas comprendre le Front populaire par la suite sans saisir cela.

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