« Socialisme ou anticapitalisme » comme cœur de la critique des néo-socialistes

L’article Les formes révolutionnaires paru dans le Populaire du 31 juillet 1933 écrit par Léon Blum pour le Populaire ne fut pas le dernier de la série commencée le 19 juillet. Mais il est l’aboutissement d’une démarche de valorisation défensive qui, désormais, débouche sur l’offensive.

Le coeur du problème, publié le 1er août, dénonce ainsi ouvertement le groupe de la Vie socialiste (Pierre Renaudel, Marcel Déat, Barthélémy Montagnon, Adrien Marquet), c’est-à-dire les principales figures néo-socialistes, comme ayant quitté le terrain de la doctrine socialiste.

L’article est d’ailleurs opportunément accompagné d’une lettre d’Adrien Marquet qui critique Léon Blum pour l’avoir qualifié de fasciste, lui-même accusant celui-ci d’être « installé » dans le capitalisme, d’avoir une conception « idéologique et fataliste du socialisme », d’avoir fait une « déclaration imprégnée d’une passivité tout orientale ».

La pente fatale, le 2 août, oppose l’idée d’un « Parti socialiste national » au principe d’une Section Française de l’Internationale Ouvrière. On ne fait pas au fascisme sa part, le 3 août, rejette catégoriquement l’idée qu’on puisse battre le fascisme « par l’imitation, la substitution, la surenchère », et souligne qu’il ne faut pas effectuer un repli national quel qu’il soit, qui aboutirait à une compétition des nationalismes.

Affiche de la SFIO de 1932

Faut-il le croire, le 4 août, dresse l’hypothèse du développement d’une tendance néo-radical du même type que la néo-socialiste, s’alliant pour gouverner.

Le 5 août paraît un article de la vieille figure socialiste Bracke, Une brochure de Léon Blum, faisant l’éloge de ce dernier et valorisant la brochure Le Socialisme devant la crise tirée d’un discours lors d’une conférence pour l’Ecole supérieure Socialiste en décembre 1932. C’est évidemment une opération de mise en valeur de Léon Blum.

Cela reflète l’alliance entre Léon Blum, qui représente le centre, avec l’aile gauche portée par la « bataille socialiste » désormais majoritaire dans la SFIO.

Puis reprennent les articles de Léon Blum. L’état présent de l’Internationale, le 6 août, se réjouit que le président américain Roosevelt procède à une hausse des salaires, souligne l’importance des événements internationaux et valorise une Internationale socialiste qui a encore des membres puissants en Angleterre, en Autriche, en Belgique, en Tchécoslovaquie, en Hollande, en Espagne, en France.

L’avenir de l’Internationale, le 7 août, affirme que l’Internationale socialiste est plus atteinte au moral que sur le plan matériel, et espère un développement socialiste aux Etats-Unis qui soit aussi puissant qu’en Europe.

Affiche de la SFIO de 1932

Socialisme et anticapitalisme, le 8 août, explique que socialisme n’équivaut pas de manière unilatérale à anticapitalisme, car ce dernier concept consiste à combattre le capitalisme, pas à l’affronter en tant que mode de production, dont le socialisme prend par ailleurs l’héritage historique. Le néo-socialiste Marcel Déat a ainsi tort et la dimension est forcément internationale, même si le capitalisme s’est replié de manière nationale.

C’est là le point culminant de la séquence offensive des articles de Léon Blum, qui a suivi la séquence initialement défensive. Marcel Déat est en effet le principal théoricien du néo-socialisme, son ouvrage de 1930 Perspectives socialistes en formant le socle.

On y trouve en effet la dénonciation du marxisme, la valorisation des « classes moyennes », la présentation de l’État national comme levier pour la « révolution ». On sort là de la lutte des classes au sens marxiste et pour cette raison, Marcel Déat a forgé le concept d’anticapitalisme en remplacement du socialisme.

L’article Socialisme et anticapitalisme est ainsi, concrètement, un appel de Léon Blum à ce que la SFIO procède à l’exclusion de Marcel Déat.

C’est là un problème historique double pour la SFIO. Tout d’abord, parce qu’elle autorise par définition le droit de tendance et réfute le principe de l’exclusion. Ici, elle est mise au pied du mur : pour exister elle doit supprimer une tendance.

Ensuite, parce que on retrouve à l’arrière-plan la question de la participation gouvernementale « à tout prix » puisque c’est de là que, au-delà de la question idéologique, naît le mouvement néo-socialiste comme ultra-pragmatisme. Voici par exemple ce que dit Marcel Déat en février 1933 à ce sujet :

« Nous n’avons rien à exclure, rien à condamner, les circonstances seules décideront. Il faut en finir avec les oppositions factices comme celle de réforme ou de révolution ; le socialisme n’est plus un évangile que l’on prêche, une bonne nouvelle que l’on annonce au peuple pour des temps très futurs, mais un ensemble de solutions immédiates, l’ensemble des seules solutions possibles.

Il faut construire le socialisme à travers la crise, ce qui veut dire à la fois à la faveur de la crise et contre la crise.

Synthèse enfin réalisée par les circonstances entre le mouvement et les fins, entre l’immédiat et le futur… Il s’agit bien de changer le moteur de l’économie, de substituer la préoccupation des besoins généraux de la masse à la poursuite du profit individuel.

Si tel pouvait être demain et très consciemment l’axe du parti, c’en serait fait d’un certain byzantinisme. »

Le conflit pratique au sein de la SFIO était entièrement ouvert et avait pris un aspect idéologique, Léon Blum faisant pencher la balance en un sens très clair pour que le problème soit réglé par l’alliance du centre et de l’aile gauche, afin en même temps d’empêcher l’aile gauche de trop quitter le terrain traditionnel de la SFIO.

=>Retour au dossier sur la crise néo-socialiste dans la SFIO