La prise du pouvoir par l’armée en Algérie le 13 mai 1958

Dès la connaissance de la nomination du démocrate-chrétien Pierre Pflimlin comme chef du gouvernement, l’armée prit l’initiative du coup d’État.

Le point de départ de la prise du pouvoir eut comme prétexte, comme tout était en réalité préparé au préalable, la mort de trois appelés du contingent.

Ces derniers avaient été enlevés par le FLN à la frontière avec la Tunisie, amenés dans ce dernier pays et exécutés le 25 avril. On retrouve, à l’arrière-plan, la question de l’intervention en Tunisie, ayant amené la chute du gouvernement suite à sa capitulation devant les pressions américano-britanniques.

Le communiqué du 12 mai 1958 du Comité d’entente et d’action des Anciens combattants et cadres de réserves d’Algérie fut explicite :

« Encore des martyrs. Trois soldats français – trois nouveaux Moureau – ont été lâchement assassinés par le F.L.N. avec la complicité sanguinaire de la Tunisie. Nous ressentons au fond de nos cœurs d’Anciens combattants et de Français, chaque crime, chaque coup de poignard et ne pourrons plus les tolérer longtemps. »

L’armée appela à célébrer les morts :

« L’armée rend un hommage solennel aux trois glorieuses victimes de la barbarie F.L.N., le sergent Richomme (Ile-de-France), le soldat Decourteix (Normandie) et le dragon Feuillebois (Auvergne), en leur conférant à titre posthume la médaille militaire et la croix de la valeur militaire avec palme.

Anciens combattants, une fois encore, le devoir vous appelle.

Vous conduirez dans toutes les villes, dans tous les villages d’Algérie, à 18 heures, au moment même où les honneurs leur seront rendus à Bône, toutes les populations qui tiendront à s’associer à ce pieux hommage à la mémoire de ces défenseurs de la civilisation. »

Un appel à se retrouver devant le monument aux morts d’Alger fut lancé par plusieurs figures, dont :

– Pierre Lagaillarde, un avocat qui est officier parachutiste de réserve et président de l’Association Générale des Étudiants d’Algérie ;

– le général Salan ;

– le général Edmond Jouhaud, adjoint du général Salan ;

– l’amiral Philippe Auboyneau.

A cela s’ajoutent des officiers supérieurs, avec l’appui du général Massu ; les commerçants étaient de la partie et baissèrent leurs rideaux. Mais dans les faits, le 13 mai, le simple rassemblement devint une prise d’assaut du gouvernement général ; un Comité de salut public fut mis en place, présidé par le général Massu, qui depuis le balcon du gouvernement général, lut un texte destiné au président René Coty :

« Vous rendons compte création d’un Comité de Salut Public civil et militaire à Alger présidé par moi, général Massu.

En raison de la gravité de la situation et devant nécessité absolue maintien de l’ordre, pour éviter toute effusion de sang, le Comité attend avec vigilance la création, à Paris, d’un Gouvernement de Salut Public.

Seul un Gouvernement de Salut Public est capable de conserver l’Algérie comme partie intégrante de la Métropole. »

Dès le matin, l’Union pour le Salut et le Renouveau de l’Algérie Française avait par ailleurs diffusé le tract suivant :

« Si Pflimlin passe, l’Algérie sera perdue avant octobre.

Il a écrit : « Fermeté et Générosité ». La fermeté n’est qu’un piège ; il s’est toujours opposé à Lacoste depuis deux ans ; il est le « tombeur » de Bidault. Les vingt-sept mois de service ne serviront de rien en raison du «Dien Bien Phu» diplomatique qui se prépare.

En août 1958, quand vous serez tous en vacances, commencera «la Conférence du cessez-le-feu» (souvenez-vous de Genève, de La Celle-Saint-Cloud et d’Aix-les-Bains). Pflimlin aurait dé]à entamé les négociations avec Bourguiba (souvenez-vous de Mendès).

Quand vous rentrerez en octobre, tout sera consommé. Si Pinay nous trahit, le Ministère passera, et IL NE RESTERA PLUS «français d’algérie», QU’A VOUS OPPOSER PAR TOUS LES MOYENS A SON INSTALLATION à alger. Le sursaut national doit partir d’ici, car Pflimlin est la dernière «cartouche» du «système» épuisé.

VOUS EXIGEREZ ALORS DE COTY LA CONSTITUTION D’UN GOUVERNEMENT DE SALUT PUBLIC, qui, seul, peut gouverner au-dessus des partis ».

Le soir, sur Radio-Algérie, le message suivant fut diffusé :

« Le comité de Salut Public n’est pas un Gouvernement qui s’installe en Algérie. Il a simplement pour mission d’assurer l’ordre et d’attendre dans le calme que Paris prenne des décisions graves qui sont en cours, et il attendra jusqu’à ce que s’installe à Paris un Gouvernement de Salut Public, seul capable de conserver une Algérie comme faisant partie intégrante de la Métropole.

Aussi, le premier acte du Comité de Salut Public a été d’adresser au Président de la République le télégramme dont le texte a déjà été communiqué.

A l’heure actuelle, une grande partie de la population d’Alger continue à occuper le Gouvernement Général et ses alentours en attendant les nouvelles de Paris.

Les nouvelles, nous les espérons satisfaisantes et nous avons déjà toutes raisons de croire que nous avons gagné la bataille de l’Algérie. Un fait est certain : c’est que, par notre action et par l’action des Français, l’Algérie est sauvée et elle le sera dans l’avenir. Elle fera partie de la France jusqu’à la victoire totale et définitive.»

L’armée avait déjà le pouvoir en Algérie. Mais, en le prenant de manière ouverte, elle montrait au grand jour une ligne militariste déjà prise par la France, et forçait ainsi à ce que celle-ci soit ouvertement assumée.

Dans l’imaginaire des militaires, ce n’était en quelque sorte qu’un acte de protestation symbolique, ne changeant rien dans les faits, mais exigeant que tout soit assumé de manière ouverte.

Mais en réalité, cela exprimait une tendance propre à l’autonomisation de l’armée, une appropriation toujours plus grande des prérogatives d’État en général.

C’est qu’il ne pouvait pas y avoir d’un côté l’État en métropole et de l’autre un Etat-armée en Algérie. L’opposition devait immanquablement ressortir.

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