1958 : le coup d’État militaire abat la carte de Gaulle

On a le Comité de Salut Public d’Alger qui, de fait, prit le pouvoir en Algérie le 13 mai 1958, avec le général Massu comme président. C’est l’expression de l’armée, s’appuyant sur des figures civiles.

On trouve notamment le lieutenant-colonel Roger Trinquier, un idéologue. Son ouvrage La Guerre moderne est un classique international des armées réactionnaires quant à la « contre-insurrection » utilisant la guerre psychologique, les escadrons de la mort, etc.

Le vice-président était Léon Delbecque, un gaulliste qui joua un rôle moteur pour que le général Salan se tourne vers de Gaulle. C’était déjà une tendance présente, mais il y avait besoin d’un support technique intérieur pour que le camp de l’armée décide ouvertement d’en appeler à de Gaulle.

Le camp de l’armée et celui de de Gaulle se distinguaient en effet nettement. Une alliance objective se formait cependant, de par la convergence d’intérêts.

Le lendemain du coup de force du 13 mai 1958, le général Massu fit une déclaration, la première du Comité de Salut Public, mentionnant très rapidement Jacques Soustelle, la pièce principale des réseaux gaullistes, et en appelant à de Gaulle.

« Nous apprenons à la population d’Alger que le Gouvernement d’abandon de Pflimlin vient d’être investi par 273 voix contre 124 (ou 280 voix contre 126) par suite de la complicité des voix communistes.

Nous exprimons notre reconnaissance à la population qui a veillé pour accueillir M. Jacques Soustelle à la suite de l’annonce qui avait été faite.

M. Jacques Soustelle par deux fois a été empêché de venir nous rejoindre. Une troisième fois il a réussi à se mettre en sécurité et nous espérons qu’il sera des nôtres dans la journée.

Le Comité supplie le général de Gaulle de vouloir bien rompre le silence en s’adressant au pays en vue de la formation d’un Gouvernement de Salut Public qui, seul, peut sauver l’Algérie de l’abandon et ce faisant d’un «Dien Bien Phu diplomatique» évoqué à maintes reprises par M. Robert Lacoste.

En tout état de cause, le Comité de Salut Public qui vous représente, continue d’assurer la liaison entre la population et l’armée qui assume le pouvoir jusqu’à la victoire finale.

En attendant M. Jacques Soustelle, le bureau du Comité de Salut Public est constitué par le général Massu, M. Delbecque, délégué par M. Soustelle, M. Madani et M. Lagaiîlarde.

Nous décrétons dès maintenant la mobilisation de toutes les énergies françaises au service de la Patrie et vous demandons d’être prêts à répondre au premier appel lancé par le Comité de Salut Public.

Nous sommes fiers de pouvoir prouver au monde que la population d’Alger a su faire la parfaite démonstration de la fraternité totale entre les populations françaises, européenne et musulmane, unies sous les plis du drapeau français. »

Ce fut ici l’introduction de la carte de Gaulle dans le coup d’État militaire.

Le Comité de Salut Public avait également reçu le communiqué suivant, tôt dans la matinée :

« Fatigués des abandons successifs de nos gouvernants, nous, officiers, sous-officiers, soldats, groupes et populations civiles du Sahara, venons nous rallier au Comité de Salut public d’Alger. »

De Gaulle rendit public un communiqué le même jour :

« La dégradation de l’État entraîne infailliblement l’éloignement des peuples associés, le trouble de l’Armée au combat, la dislocation nationale, la perte de l’indépendance.

Depuis douze ans, la France, aux prises avec des problèmes trop rudes pour le régime des partis, est engagée dans un processus désastreux.

Naguère le pays dans ses profondeurs m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut.

Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. »

Le 16 mai, au balcon du gouvernement général, le général Salan tint un discours où, finalement, lui-même en appela à de Gaulle. Il avait longuement hésité, mais finalement cédé aux encouragements des réseaux gaullistes.

« Algérois, Algéroises, mes amis,

Tout d’abord, sachez que je suis des vôtres puisque mon fils est enterré au cimetière du Clos Salembier. Je ne saurais jamais l’oublier puisqu’il est dans cette terre qui est la vôtre…

Depuis dix-huit mois, je fais la guerre aux fellagha, je la continue et nous la gagnerons.

Ce que vous venez de faire, en montrant à la France votre détermination de rester Français par tous les moyens, prouvera au monde entier que, toujours et partout, l’Algérie sauvera la France.

Tous les Musulmans nous suivent. Avant hier à Biskra, 7000 musulmans sont allés porter des gerbes au Monument aux Morts pour honorer la mémoire de nos trois fusillés en territoire tunisien.

Mes amis, l’action qui a été menée ici a ramené près de nous tous les Musulmans de ce pays. Maintenant, pour nous, le seul terme, avec tous ici, c’est la victoire avec cette armée que vous n’avez cessé de soutenir, que vous aimez et qui vous aime.

Avec les généraux qui m’entourent, le général Jouhaud, le général Allard, le général Massu qui, ici, vous a préservé des fellagha, nous gagnerons parce que nous l’avons mérité et que là est la voie sacrée pour la grandeur de la France.

Mes amis,
je crie Vive la France,
Vive l’Algérie Française,
Vive de Gaulle. »

La foule présente jubila après les nombreux discours, y compris de figures arabes, et elle se tint finalement par la main pour « former la grande chaîne de l’amitié ». Cet aspect, toujours oublié, est capital pour comprendre la prise du pouvoir par l’armée en Algérie et ses espoirs qu’on doit qualifier d’« impériaux ».

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