La réponse de Léon Blum face aux néo-socialistes au congrès de la SFIO de 1933

La proposition « néo-socialiste » au congrès de la SFIO de 1933 fut un coup terrible à celle-ci. Il faut bien saisir ici qu’on est moins de six mois après la prise du pouvoir par le national-socialisme en Allemagne.

En plus de justifier le participationnisme gouvernemental, il y avait toute une conception pour présenter cela comme une révolution par l’intermédiaire de l’État lui-même, c’est-à-dire par en haut et dans un cadre uniquement national, à rebours de l’imagerie socialiste « révolutionnaire » et « internationale ».

En réponse à Adrien Marquet, Léon Blum répondit ainsi de la manière suivante :

« Il faut maintenant que je réponde à ce discours de Marquet dont j’ai dit en l’interrompant, ce dont je m’excuse, qu’il m’épouvantait.

Mais à la réflexion, et je peux bien lui dire que depuis que je l’ai entendu, je n’ai guère fait que réfléchir à cela, ou bien à part moi, ou bien dans cette forme de discussion que le Congrès rend plus facile et qui s’appelle la controverse avec ses camarades, je ne peux que lui dire que ce sentiment d’épouvante ne s’est pas atténué et qu’il n’a fait que se fortifier, au contraire.

Il y a eu un moment, Marquet, où je me suis demandé si ce n’était pas le programme d’un Parti social-national de dictature. (…)

Vous êtes venus nous dire qu’il fallait des mots d’ordre d’autorité et d’ordre, avec l’impression que nous nous poserions devant le pays comme des défenseurs de l’autorité et de l’ordre (…).

Rassemblant autour de nous ces masses populaires de valeur hétérogène et inorganisées dont je parlais tout à l’heure et cela pour une preuve de rénovation sociale dans le cadre national.

Eh bien, je le répète, quand vous disiez cela à la tribune du Parti socialiste (Section Française de l’Internationale Ouvrière), eh bien, je me demandais où j’étais. Je me demandais ce que j’entendais et si je n’étais pas le jouet d’une illusion des sens. »

Léon Blum mit alors tout le poids de sa légitimité historique, lui qui avait « sauvé » la SFIO des communistes au congrès de Tours de 1920 au moyen d’un véritable coup de force. Il rejeta formellement la conception néo-socialiste de la formation d’une sorte de régime intermédiaire entre capitalisme et socialisme.

Bien entendu, cela laissait ouverte la question du sens d’une participation ou d’un soutien socialiste à un gouvernement.

Mais si les néo-socialistes l’emportaient, tout l’idéal « révolutionnaire » de la SFIO s’évaporait et c’en était fini du « socialisme français ». La priorité fut donc de fermer la porte à l’hypothèse néo-socialiste, ce que Léon Blum formula ainsi :

« Et alors, Marquet, si vous me permettez d’argumenter un instant avec vous, je vous dirai que moi, qui suis l’auteur de cette formule d’ailleurs mal comprise, comme toutes les formules, mais, enfin devenue à demi légendaire « les vacances de la légalité », moi qui ai rédigé dans tous nos programmes socialistes, depuis la fin de la guerre, les passages relatifs à la dictature du prolétariat, moi qui n’abandonne rien sur ce point de ce que j’ai écrit et pensé, je vous dirai simplement que la propagande socialiste n’est pas une propagande d’autorité, qu’elle n’est même pas une propagande d’ordre au sens où vous l’entendez, mais qu’elle est une propagande de liberté et une propagande de justice.

Et j’ai parfois l’inquiétude que Déat, dont je connais la force de pensée et la rigueur de déduction, ne soit en ce moment lui aussi enclin par la direction de sa pensée vers cette conception du socialisme dans le cadre national.

Eh bien, quand je dois cela, je me demande ce qui reste de la doctrine du socialisme international qui a été la nôtre (…).

La synthèse de Jaurès, c’est la synthèse de l’action de classe et de la démocratie, et on nous présente en ce moment une espèce de notion de socialisme national par l’autorité, dans laquelle il n’y a plus ni action de la démocratie, ni action spécifique de la classe ouvrière organisée (…).

Je veux vous répéter simplement que dans ces formes intermédiaires, le socialisme ne doit pas s’aventurer, ne doit pas se compromettre, il ne doit pas engager là ce qu’il peut posséder de crédit, de force de pression auprès des masses populaires, il doit vis-à-vis de cela préserver intactes, dans toute la mesure où il le peut, et son organisation et sa doctrine, c’est-à-dire sa véritable unité. »

Le conflit avait cependant pris la forme d’une crise générale. La SFIO était face à un mur concernant ses perspectives, coincé dans le cadre de la crise générale du capitalisme entre sa réfutation de celle-ci justifiant un participationnisme gouvernemental et un discours « révolutionnaire » de portée « internationale ».

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