La France naît avec François Ier, se développe avec Henri IV, existe en tant que telle avec Louis XIV. Tel est le point de vue matérialiste dialectique sur la nation française, que les gens « de droite » s’imaginent née avec Clovis, que les gens « de gauche » croient fondée avec la révolution française.
La nation apparaît avec les tout débuts du capitalisme, lorsque se forme la base du marché national, les premières villes qui développent la culture. La langue se généralise sur un certain territoire ; une formation psychique commune se forme.
La France en tant que nation apparaît au XVIe siècle et au XVIIe siècle, elle a dans son élan atteint un très haut niveau culturel, permis par l’établissement de la monarchie absolue. C’est ce qui a été qualifié de période classique dans l’histoire française, et au sein de ce classicisme régnant alors dans la seconde moitié du XVIIe siècle, on a la tragédie considérée comme la forme la plus élevée.
La tragédie n’est nullement une simple présentation d’un fait frappant et horrible. Il est tout à fait exact que cela a pu être pensé ; on a ainsi Pierre Laudun d’Aigaliers (1575-1629) expliquant cela dans L’Art poétique françois, en 1597 :
« Plus les tragédies sont cruelles, plus elles sont excellentes. »
Néanmoins, la tragédie classique va totalement s’opposer à cela, comme elle va s’opposer à la tragi-comédie qui apparaît et se développe avant elle. La tragédie classique est une œuvre d’art qui montre et qui démontre, qui présente des faits et oriente par rapport à eux.
Il ne s’agit pas d’une forme, mais d’un contenu : il ne faut pas voir en la tragédie une situation terriblement difficile, un dilemme, mais justement ce qui est vécu, ressenti par un être humain dans cette situation.
En ce sens, Jean Racine est un des grands auteurs nationaux français, avec Molière et Honoré de Balzac ; tous trois expriment la plus haute approche de notre culture démocratique nationale, notre apport à la culture universelle : le portrait psychologique.
Ce qui fait de Phèdre un chef d’oeuvre, ce n’est pas tant la situation que l’expression de cette situation, par exemple lorsque Phèdre explique les deux aspects de ses sentiments et de ses impressions, de manière dialectique :
« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler. »
Cela ne veut nullement dire qu’il existerait un « classicisme » car l’évolution de la réalité est en spirale et infinie : on progresse toujours. S’il s’agit d’un classicisme, c’est un classicisme liée à quelque chose de relatif, la nation française, qui va disparaître dans sa synthèse avec toutes les autres nations.
Le « classicisme » est en fait un grand moment culturel, avec une telle intensité que cela fait partie de l’héritage culturel national et démocratique. Cela correspond à une situation bien déterminée dans le développement de la civilisation.
La nature de ce moment est difficile à saisir, et pour autant incontournable pour comprendre l’histoire de notre pays.
La France n’a pas connu un calvinisme triomphant, aussi la bourgeoisie a-t-elle biaisée afin d’exprimer ses intérêts. Elle a procédé au sein même des institutions : par l’intermédiaire de René Descartes, de Molière, de Jean Racine, en s’appuyant principalement sur la monarchie absolue qui était une alliée tactique face à l’aristocratie.
La monarchie absolue a été le stade le plus haut de la féodalité, et était en partie en contradiction avec elle. L’émergence du mode de production capitaliste a été telle que la bourgeoisie a pu être présente, de manière relative, dans le régime politique lui-même, de par l’intérêt de la monarchie absolue au progrès scientifique, technique et culturel.
L’apparition de la tragédie classique et de Jean Racine s’explique par cela : il s’agit d’une affirmation protestante sans protestantisme, d’un calvinisme comme introspection mais sans la dimension sociale.
C’est cela qui a donné naissance à la caractéristique culturelle française la plus haute : le portrait psychologique.