Les slogans inscrits en danois, en français, en anglais et en allemand lors du huitième congrès de la seconde Internationale résume tout à fait les limites de l’unité existant au sein de la seconde Internationale.
On lisait ainsi : « Le travail est la source de toute richesse », « La solidarité est notre base », « Connaissance est puissance », « La religion est affaire privée », « Abolition de la division des classes », « Suppression des monopoles privés », « La volonté du peuple est la loi suprême », « Suffrage universel pour tous », « Journée maximum de huit heures », « Le désarmement, c’est la Paix », « Donnez à la femme les mêmes droits qu’à l’homme », « Liberté, Égalité, Fraternité ».
On a ainsi un double mouvement : d’un côté il y a l’affirmation systématique de la nécessité du socialisme, de l’autre une acceptation d’œuvrer à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, sans réflexion sur le rapport dialectique entre les deux.
Ainsi, la résolution du congrès sur le chômage dit que :
« Aussi longtemps que la production capitaliste sera à la base de la société, tout ce qu’on fera dans ce domaine ne sera qu’un palliatif.
Le Congrès réclame donc des pouvoirs publics l’assurance générale obligatoire dont l’administration sera confiée aux organisations ouvrières et dont les frais seront supportés par les détenteurs des moyens de production. »
Il est évident que les deux paragraphes se contredisent dans leurs définitions même.
Si la bourgeoisie peut céder des droits qui relèvent littéralement du socialisme, alors on n’est plus dans un palliatif comme il est dit dans le premier paragraphe, mais dans un nouveau système de répartition. Il y a ici un espace béant dans lequel va se précipiter l’aile réformiste, en profitant de la modernisation du mode de production capitaliste pour expliquer que, finalement, tout a changé.
On trouve le même problème de fond dans la résolution sur la législation ouvrière. La première phrase pose déjà en elle-même une question d’économie politique :
« L’exploitation des travailleurs qui augmente avec le développement de la production capitaliste, a mené une situation qui rend absolument nécessaire une législation protectrice de la vie et de la santé des travailleurs. »
On a ici à l’arrière-plan la question de la paupérisation relative et absolue, qu’on a déjà vu dans l’affrontement entre Eduard Bernstein et Karl Kautsky, et qui en germe un aspect de l’opposition entre socialistes et communistes après 1917. En effet, si l’exploitation augmente, comment peut-il y avoir en même temps une amélioration ?
Il ne s’agit ici pas tant de considérer le propos comme faux que de voir qu’il aurait exigé un véritable travail de fond concernant cette question, la moindre ambiguïté provoquant une distorsion immense dans la démarche révolutionnaire.
Il s’agit là cependant d’une approche visant à nuancer, assécher, nier les contradictions au nom d’un syncrétisme ouvrier qui se suffirait en soi.
La résolution sur l’unité est ainsi également typique de cette démarche gommant les questions idéologiques concrètes. Voici ce qu’elle dit :
« Le Congrès rappelant de nouveau la décision d’Amsterdam au sujet de l’unité du parti ;
Considérant que le prolétariat étant un et indivisible, chaque section de l’Internationale doit former un groupement unique et fortement constitué et qu’il est obligé d’abolir ses divisions intérieures dans l’intérêt de la classe ouvrière de son pays et du monde entier ;
Considérant le grand accroissement de puissance et de prestige que le socialisme français a retiré de son unification,
Invite toutes les sections nationales qui demeurent encore divisées, à réaliser au plus tôt l’unité et donne mandat au Bureau International de prêter ses bons offices pour l’accomplissement de cette œuvre nécessaire. »
Le principe de l’unité est fondamentale et le huitième congrès souligne la nécessité de l’unité syndicale dans les empires ayant en leur sein plusieurs nationalités. Il en va de même ici pour le parti.
Cependant, on n’a pas une unité comprise comme une synthèse. La seconde Internationale n’avait d’ailleurs strictement aucune volonté de saisir les questions nationales d’Autriche-Hongrie et de Russie (sans parler de l’Espagne, la Turquie, etc.). Le Bureau International doit ainsi simplement procéder à une unité formée mécaniquement et cette unité va elle-même mécaniquement contribuer au mouvement.
On a littéralement un double jeu de la seconde Internationale, qui cherche à intégrer à la fois la droite et la gauche autour d’un centre, un centre qui ne voit pas qu’il y a la contradiction entre les « sociaux-démocrates » et les « socialistes » qui change tout.
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