Le Parti Ouvrier Français : ine organisation propagandiste non social-démocrate

Le Parti Ouvrier Français connut une certaine montée en puissance sur le plan de l’organisation, grâce à d’un côté un engagement militant en faveur du collectivisme, de l’autre l’ouverture d’une perspective marxiste.

Initialement appelé Fédération de parti des travailleurs socialistes en France lors de sa fondation au congrès de Marseille d’octobre 1879, il s’appuyait sur un découpage en six régions : Nord, Est, Centre, Ouest, Midi, Algérie.

En fait, malgré la prétention centraliste, les régions étaient autonomes et en fait cela était même le cas des groupes locaux. Ceux-ci étaient libres de se fédérer ou bien d’être simplement en contact avec la direction. Chaque année, suivant le principe instauré au congrès national de Lille en octobre 1890, le Conseil National était organisé par une différente région.

Il faudra attendre 1890 pour que le Parti Ouvrier Français soit en mesure de disposer d’une structure pyramidale, avec des fédérations départementales instaurés en décembre 1892.

On reconnaît ici la tentative de suivre le modèle de la social-démocratie allemande, sans toutefois réellement être en mesure de posséder l’essentiel : le noyau idéologique synthétisé, l’organe de presse avec une base idéologique développée, une démarche politico-culturelle affirmée.

C’est que la base du guesdisme, c’est la propagande seulement, Jules Guesde et Paul Lafargue se fondant sur trois niveaux :

« propagande parlée (réunions, conférences) »

« propagande écrite (livres et journaux) »

« propagande agie (grèves, pétitions, scrutins, etc.) »

C’est le sens de la manière dont la presse est comprise : elle est un vecteur de l’agitation. Au quotidien central, Le Socialiste, ainsi qu’aux deux quotidiens dans le Nord, Le Réveil et L’Egalité, s’ajoutent huit hebdomadaire, à Grenoble, Limoges, Montluçon, Narbonne, Niort, Perpignan, Roanne, Troyes.

On trouve également un tri-hebdomadaire à Calais, et sept hebdomadaires, à Agde, à Boulogne-sur-mer, en Gironde,à Marseille, en Meurthe-et-Moselle, à Nantes, à Valenciennes, ainsi qu’un bi-mensuel : Les Antilles Socialistes.

Voici comment Paul Lafargue, en 1888, présente l’organisation du Parti Ouvrier Français : on reconnaît la démarche non pas social-démocrate, mais anarchiste de groupes affinitaires, centralisés de manière volontaire, etc.

Action du Parti

A. Administration
Les adhérents au programme et à la tactique du Parti ouvrier français dans une même localité se constituent en groupes d’études sociales, dont les membres établissent en commun leur budget, prennent les mesures propres à propager les doctrines du Parti dans leur domaine d’action, abordent et étudient tous les problèmes que les événements se chargent de venir journellement leur poser. Ils sont autonomes.

Dans une grande circonscription urbaine, dans un département ou une région du territoire français, les divers groupes se forment en Agglomérations, en Fédérations départementales ou régionales.

Les délégués de ces groupes se réunissent annuellement en Congrès régionaux ou départementaux et s’entendent, après délibération, sur l’action commune à mener dans la région.

Un Comité fédéral, élu par chaque Congrès, assure, pendant l’année, l’exécution des décisions ainsi prises.

Un Congrès national annuel réunit, de tous les points de la France, les délégués des fédérations et groupes du Parti, qui viennent exposer et soumettre à la libre discussion, les projets et les avis qui émanent de leurs mandants. Les décisions et résolutions du Congrès national sont souveraines jusqu’au Congrès suivant : il est l’arbitre et le juge suprême du Parti.

D’un Congrès à l’autre, un Conseil national, élu et responsable, est chargé de veiller à l’exécution des décisions des Congrès. Il se compose :

D’une Commission permanente de 11 membres, nommée par le Congrès et chargée de l’Administration du Parti ;

D’un délégué par Agglomération ou Fédération départementale ou régionale, choisi par sa fédération ou agglomération respective.

En toute occasion qui exige une action publique et unitaire du Parti, la Commission permanente convoque, en assemblée plénière, les représentants des Fédérations ou Agglomérations pour prendre les mesures nécessaires.

Les Secrétaires des groupes sont en relation permanente avec le Conseil national.

Toute l’action du Parti repose ainsi sur une discipline librement consentie. Indépendant dans l’étendue de son ressort immédiat, tout groupement dispose, en ce qui concerne la tactique à suivre sur un territoire plus étendu, d’une part d’influence dans les délibérations communes. Les décisions du Congrès national et celles du Conseil national qui le représente, sont ainsi l’expression directe de l’ensemble des tendances qui règnent dans le Parti.

Le Conseil national publie un organe central hebdomadaire, le Socialiste qui relie entre eux les groupes, pour lesquels l’abonnement est obligatoire

B. Finances

Les groupes et les Fédérations fixent le montant des cotisations locales et fédérales payées par leurs membres. Toutefois, afin d’assurer une ressource permanente au Conseil national :

Tout membre du Parti doit posséder une carte d’adhérent et un exemplaire du règlement général, que les secrétaires se procurent au Conseil national, moyennant 25 centimes pour la carte et 10 centimes pour le règlement ;

Les reçus de cotisations mensuelles sont donnés aux membres au moyen de timbres mobiles, que les secrétaires achètent 5 centimes au Conseil national ;

Un insigne symbolique de métal est mis par le Conseil national à la disposition des secrétaires de groupes moyennant 25 centimes ;

Un droit de 5 % est perçu par le Conseil national sur le produit net de toute réunion, conférence, fête, etc, organisée par le Parti.

Action du Parti

Le devoir du Parti est de préparer, partout et toujours, par tous les moyens, la révolution sociale qui pacifiquement ou violemment mettra le pouvoir politique dans les mains du prolétariat organisé en parti de classe ; seule condition qui permettra l’abolition du salariat et la remise à la collectivité, du sol et des instruments de production.

C’est pourquoi les militants, les groupes et les Fédérations ont à instituer une agitation constante: I. Par la propagande; II. Par l’action électorale.

Par la propagande

Par l’action électorale Le Parti doit présenter des candidats et faire pénétrer des représentants dans tous les corps élus :
• Conseils des Prud’hommes ;
• Conseils municipaux ;
• Conseils d’arrondissement ;
• Conseils généraux;
• Chambre des députés ;
• Sénat.

Car,

1°, la période électorale lui offre le terrain le plus favorable pour une lutte légale contre la bourgeoisie capitaliste qui détient le pouvoir ;

2° Partout où le prolétariat installe ses représentants, il peut, d’une part, réaliser, non pas des réformes socialistes, qui ne sont possibles que le jour où il sera lui-même en possession de l’Etat, mais des améliorations de détail apportant quelque soulagement, et par la même quelque force, à la classe des travailleurs ;

3° Les voeux et les propositions de lois déposées par les Elus du Parti, ou bien forcent la bourgeoisie, par la crainte de la révolte ouvrière, à lâcher quelque parcelle de sa domination, ou bien servent à montrer plus nettement, par le mauvais vouloir des capitalistes, que le prolétariat, pour son émancipation économique et politique, ne doit compter que sur lui-même et sur sa propre force.

Comment on fonde un groupe

Il suffit de quelques hommes dévoués, désireux de prendre part à la propagande socialiste, pour constituer le noyau d’un groupe d’études sociales.

A la suite d’une réunion, pour laquelle il est aisé de s’assurer le concours d’un ou plusieurs militants du Parti par l’intermédiaire d’un groupe déjà existant, d’une Fédération locale ou du Conseil national, le groupe déclare adhérer au programme et à la tactique du Parti ouvrier français. Il nomme un Secrétaire, qui adresse immédiatement au Conseil national la liste des membres du groupe, en lui demandant les cartes, insignes, exemplaires du règlement nécessaires, et en souscrivant un abonnement au Socialiste. (Trois mois: 1 fr. 50).

Dès lors, le groupe fonctionne et peut recruter autour de lui de nouvelles adhésions, assuré constamment de trouver l’aide la plus efficace auprès de tous les groupements du Parti, conformément à la devise : TOUS POUR UN, UN POUR TOUS

Dès qu’il existe plusieurs groupes dans un même département, il est de leur intérêt et de leur devoir de s’entendre pour former une Fédération départementale adhérente au Parti.

Tous ceux qui, souffrant directement ou indirectement,des misères de la société actuelle, sont convaincus qu’elles ne peuvent cesser que par l’entente internationale des travailleurs pour l’expropriation politique et économique de la classe capitaliste et le retour à la collectivité de tous les moyens de production et de distribution des produits, doivent adhérer au Parti ouvrier français.

Les vélléités d’organisation centralisée sont donc parallèles à une démarche résumée à la propagande de groupes décentralisés, ce qui inévitablement va poser des soucis. Toute la contradiction pratique du guesdisme se situe à ce niveau là et son erreur trouve sa source dans l’incompréhension de la dimension idéologique-culturelle.

La perspective uniquement propagandiste ne pouvait permettre de réellement structure une organisation s’étant élargie.

Au XVIIe congrès, en août 1899, le Parti Ouvrier Français disposait ainsi de 403 groupes dans 303 villes ; en 1892, il avait conquis 29 municipalités, dont Roubaix, Toulon, Marseille, Narbonne, Commentry, Montluçon ; aux élections de 1893, il avait recueilli 160 000 voix et possédait six élus sur la cinquantaine de députés appartenant au courant socialiste.

A la fin des années 1880, la section des Ardennes est également extrêmement puissante ; des regroupements par profession sont également fondés en région Centre : l’Union des Mécaniciens, le Bronze, la Typographie, la Fonderie de fer et du cuivre.

Si ses rangs dans le sud ne possèdent qu’environ 15% d’ouvriers, alors que sont nombreux les petits propriétaires ruraux, les commerçants et les employés de commerce, ce n’est pas le cas dans le Nord ouvrier, où le Parti Ouvrier Français dispose de 8 000 membres en 1899, soit environ la moitié de sa base militante. 

Jules Guesde lui-même était élu député de Roubaix en 1893, devenu un bastion du Parti ; il participa, de 1882 à 1890, à 1200 conférences, devenant la figure de l’agitation en faveur du collectivisme.

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