[Crise numéro 9, février 2021]
« Un quart des Français ne peuvent pas faire trois repas par jour »
Tel est le genre d’affirmations fantasmagoriques qu’on trouve de manière régulière à l’ultra-gauche. Il s’agit en l’occurrence ici du Pôle de Renaissance Communiste en France, qui représente la « gauche » du Parti « Communiste » Français. On reconnaît le misérabilisme qui sert à masquer qu’on vit en réalité dans un pays capitaliste avancé, où les larges masses sont corrompues par la société de consommation capitaliste.
En prétendant que les masses françaises sont « pauvres », on masque le caractère impérialiste de la France. De là à expliquer que la France serait un pays opprimé, il n’y a qu’un pas, et le Pôle de Renaissance Communiste en France l’a franchi. Il affirme, comme Jean-Luc Mélenchon, que la France serait un pays victime de l’Allemagne, qu’une oligarchie internationale en aurait pris le contrôle. Il faudrait donc lever le drapeau bleu blanc rouge de la libération nationale.
Mais le Pôle de Renaissance Communiste en France est plus dangereux encore que Jean-Luc Mélenchon, car si ce dernier se revendique populiste, le Pôle de Renaissance Communiste en France se prétend « communiste ». Il apport par conséquent une très grande confusion, en particulier parce qu’il parle parfois de crise générale du capitalisme.
Pour démasquer cela, il suffit de regarder les propos tenus par Georges Gastaud le 13 janvier 2021 dans une interview pour le site initiative communiste, qui relaie les conceptions du Pôle de Renaissance Communiste en France. Georges Gastaud en est le co-secrétaire national et dirigeant historique, depuis l’apparition de ce mouvement, en 2004, comme tendance de « gauche » du Parti « Communiste » Français, avec une influence notable dans la CGT.
Voici la première question et le début de la réponse, qui parle de « crise générale ».
Initiative Communiste – Quelles leçons tirer de la très chaotique “transition” présidentielle aux États-Unis ?
Georges Gastaud – Que la première puissance impérialiste mondiale en soit à offrir au monde médusé le spectacle d’une guerre civile larvée, cela donne la mesure de la crise générale du système capitaliste-impérialiste, laquelle frappe désormais de plein fouet les superstructures de la domination capitaliste états-unienne.
Quand on lit cela, on peut penser que Georges Gastaud parle d’une situation nouvelle. Or, en réalité, pour le Pôle de Renaissance Communiste en France, cela fait… 30, 50 ans que le capitalisme connaîtrait une crise générale, voire même 90 ou 100 ans, selon les articles. Le concept apparaît en fait très rarement, et de manière incantatoire.
La raison en est très simple : le Pôle de Renaissance Communiste en France se revendique du concept révisionniste de « capitalisme monopoliste d’État » élaboré par le Parti Communiste Français dans les années 1960, sous l’égide de Paul Boccara. Le stade impérialiste du capitalisme aurait été dépassé par un capitalisme organisé au moyen de l’État.
Dans le même interview du 13 janvier 2021, Georges Gastaud dit ainsi :
« Bien entendu, le PRCF comme tel n’a pas pour autant vocation ni compétence pour garantir ou pas tel ou tel vaccin.
Il est en revanche de notre devoir politique de rappeler que dans le capitalisme monopoliste d’État qui règne aujourd’hui sous le pseudonyme de néolibéralisme, les intérêts capitalistes et l’intervention de l’État sont fondus en un mécanisme unique qui soumet la recherche scientifique aux énormes intérêts financiers.
Le dire n’est en rien participer du scepticisme antivaccinal, cet obscurantisme: il s’agit seulement de constater un fait patent. »
On a donc, pour le Pôle de Renaissance Communiste en France, une crise qui dure depuis plusieurs décennies, voire cent ans, avec un capitalisme qui n’est plus le capitalisme classique, ni celui parvenu au stade impérialiste, mais un « capitalisme monopoliste d’Etat », c’est-à-dire un capitalisme organisé.
C’est la thèse traditionnelle de la social-démocratie des années 1920, puis des révisionnistes en URSS au début des années 1950 avec Eugen Varga et son « capitalisme monopoliste d’Etat » justement, que Paul Boccara a repris et systématisé au sein du Parti Communiste Français dans les années 1960, avec une adoption dans l’idéologie officielle du social-impérialisme soviétique et de ses satellites.
Le Pôle de Renaissance Communiste en France est donc sur une ligne révisionniste. Il prétend avoir rejeté la « mutation » du Parti « Communiste » Français. Cependant, cette prétendue mutation est dans la droite ligne de la thèse du capitalisme monopoliste d’État : les analyses du Parti « Communiste » Français se revendiquent ouvertement de Paul Boccara.
Le Pôle de Renaissance Communiste en France n’agit pas différemment. Lui-même ne se revendique d’ailleurs pas de Staline, ni évidemment de Mao Zedong. Quant à la référence à Lénine, elle ne saurait avoir de sens puisque la thèse du « capitalisme monopoliste d’Etat » annule toutes les positions de celui-ci.
Dans la thèse du « capitalisme monopoliste d’État », l’État est neutre et accaparé par les monopoles, il faut donc se les approprier dans le cadre des institutions et les « démocratiser ». Le Pôle de Renaissance Communiste en France est entièrement sur la ligne de l’acceptation de la légalité bourgeoise et du parlementarisme.
Il cherche bien entendu à masquer cela, pour se distinguer du Parti « Communiste » Français. Il a pour cette raison inventé le concept de « Frexit progressiste », une sortie « progressiste » de l’Union européenne. Ce concept lui permet de parler de révolte du peuple et même parfois de « démocratie populaire ». Le Pôle de Renaissance Communiste en France en fait d’ailleurs des tonnes dans le nationalisme, afin de prétendre qu’il y aurait une dimension populaire à son approche.
Cela n’a toutefois rien de vrai. Le nationalisme du Pôle de Renaissance Communiste en France est dans la droite ligne du Parti « Communiste » Français des années 1970. Et il exprime les intérêts de l’aristocratie ouvrière, d’où l’écho significatif du Pôle de Renaissance Communiste en France dans la CGT.
Car la France est un pays extrêmement riche, avec un État parmi les plus puissants du monde, un capitalisme dans les premiers rangs mondiaux, avec une population pacifiée et corrompue par un système social bien entendu très utile, mais visant à éteindre les luttes de classe. Depuis 1968, la stabilité est d’ailleurs complète, l’hypothèse révolutionnaire est totalement isolée. Le capitalisme avancé a neutralisé au maximum les antagonismes.
Le Parti « Communiste » Français, qui a trahi au début des années 1950 la cause communiste en rejetant Staline, en abandonnant l’objectif de la prise du pouvoir par la révolution, a joué un grand rôle dans ce processus d’écrasement de la lutte des classes. La CGT, en tant que syndicat dirigé par le Parti Communiste Français, s’est entièrement opposé à mai 1968, mettant tout son poids pour que les « gauchistes » n’influencent pas les masses populaires.
Le Pôle de Renaissance Communiste en France ne fait que prolonger ce positionnement social-impérialiste du Parti « Communiste Français ». Son discours rejoint alors toute la vague nationaliste qui accompagne la seconde crise générale du capitalisme.
La compétition internationale des pays impérialiste avait déjà provoqué, dans les années 2010, d’importants troubles, notamment dans la superpuissance américaine. Celle-ci, voyant la concurrence chinoise se mettre en place à l’horizon 2030-2050, est allé dans le sens d’un repli et d’une réorganisation stratégique, en vue de la confrontation. C’est le sens de l’élection de Donald Trump comme président et bien entendu il en va de même pour le brexit, qui représente un alignement britannique sur la superpuissance américaine.
Et avec la seconde crise générale du capitalisme, le repli sur la base nationale, afin de profiter des États dans l’affrontement impérialiste, est absolument général.
D’où une systématisation des thèses du « souverainisme » en France, à travers Marine Le Pen (Rassemblement National), Florian Philippot (Patriotes), François Asselineau (Union populaire républicaine), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), le philosophe Michel Onfray (avec la revue « Front populaire »), le socialiste Arnaud Montebourg.
Il faut également ajouter à ce panorama souverainiste Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise, qui est cependant davantage populiste, ainsi que son accompagnateur François Ruffin.
Quelle place y a-t-il pour le Pôle de Renaissance Communiste en France dans un tel cadre ? Uniquement celui de la convergence avec les impérialistes, en se plaçant comme son aile « sociale ».
Rien d’autre n’est possible, parce que le Pôle de Renaissance Communiste en France rejette le concept d’impérialisme, au nom de la thèse du « capitalisme monopoliste d’État » et d’une crise générale qui ne serait pas nouvelle mais perdurerait depuis des décennies. En révisant l’idéologie communiste, le Pôle de Renaissance Communiste en France se place dans l’orbite de la restructuration capitaliste et, dans une période de crise générale, son « patriotisme » le fait servir le nationalisme des forces les plus agressives de la bourgeoisie.