L’impact du congrès d’Amsterdam fut immense dans les rangs ouvriers et débloqua une situation marquée auparavant pour le Parti Communiste Français par un certain isolement. Celui-ci cherchait toujours à dépasser le Parti socialiste SFIO, à aspirer sa base, mais sans succès. Les attaques étaient d’ailleurs permanentes de l’un envers l’autre.
La position du Parti Communiste Français au sujet du Parti socialiste SFIO était la suivante dans le programme électoral de 1931 :
« A gauche, le parti socialiste S.F.I.O., qui n’a plus de socialiste que le nom, se présente faussement comme un parti de la classe ouvrière. Il n’est, en réalité que la principale agence de la bourgeoisie dans les rangs du prolétariat.
Comme ceux de la droite et du centre, malgré sa composition et son influence ouvrière, il n’est, dans ses buts et dans sa politique, qu’un parti de la bourgeoisie.
Les points de la charte de l’ancien parti socialiste d’avant-guerre dont il ose quelquefois se réclamer, ne font que mieux souligner sa transformation d’ancien parti réformiste en parti impérialiste, son développement social-fasciste et son reniement complet.
Il est l’ennemi le plus dangereux de la classe ouvrière parce que mieux que tout autre il sait couvrir par des paroles pseudo-révolutionnaires ses actes réactionnaires et illusionner les ouvriers et les paysans pauvres qui croient pouvoir lutter sous sa direction contre les bourgeois exploiteurs, contre la réaction et pour la paix. »
L’initiative anti-guerre du congrès d’Amsterdam modifiait cependant la donne, par une grande activation de la base ouvrière. Ainsi, le 30 novembre 1932, 8 000 travailleurs municipaux de la Seine, des services hospitaliers de la Seine et des PTT se réunirent à la salle Bullier à Paris, rassemblant des militants de la CGT et de la CGT Unitaire.
Cette initiative réunissant des socialistes et des communistes était pourtant tout à fait en décalage avec les incessantes accusations faites de part et d’autres par les directions de chaque Parti. Mais elle reflétait en fait une tendance de fond qui ne cessera de prendre le dessus à partir du congrès d’Amsterdam.
C’est qu’en plus de la question toujours prégnante de la guerre – le gouvernement organise des manœuvres militaires avec la population dans les régions aux frontières avec la Belgique et l’Allemagne – il y a un problème très net dans le contexte historique d’alors.
Les communistes sont les plus actifs, mais ils ne dépassent pas un plafond de verre. La rectification n’a rien changé à ce niveau. Quant aux socialistes, ils ne sont pas assez en activité aux yeux d’une base socialiste touchée par la crise et en décalage avec le jeu de positions perpétuel d’une direction privilégiant les options gouvernementales.
Cette situation permettait l’existence entre les socialistes et les communistes d’un petit « Parti d’unité prolétarienne », fondé en décembre 1930 par des exclus du Parti Communiste français provenant du Parti socialiste communiste fondé en 1924 avec notamment Ludovic-Oscar Frossard (ancien secrétaire général du PCF en 1920-1923) et du Parti ouvrier et paysan fondé en 1929 par Louis Sellier (ancien secrétaire général du PCF en 1923-1924).
Le Parti d’Unité prolétarienne rejetait le bolchevisme mais se voulait plus à gauche que la SFIO ; de par sa position coincée, il devait soit parvenir à une unité avec les socialistes et les communistes, soit rejoindre les premiers.
Le 14 octobre 1932, ce Parti d’Unité prolétarienne avec son secrétaire général, Paul Louis, envoya un texte d’unité destiné aux socialistes et aux communistes, ou plus exactement de quête d’unité en proposant une voir pour « rechercher les éléments doctrinaux d’une unité future ».
Le 16 octobre, Maurice Thorez y répondit indirectement, et favorablement, dans l’Humanité par un article, « Le chemin de l’unité de classe ». C’est qu’avec la ligne anti-guerre, le Parti était désormais à l’initiative politiquement. Voici ce que dit l’article :
« Les thèses de la XIIe assemblé du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste constatent qu’en France « il se produit une forte poussée du mouvement révolutionnaire contre la guerre. »
Le sûr instinct des travailleurs leur fait découvrir, sous le masque hypocrite des formules de paix et de sécurité, abondamment répétées par les gouvernants et leurs soutiens socialistes, la très réelle politique de guerre de l’impérialisme français.
La France n’est plus qu’un vaste champ de manœuvres. Sur terre, dans les plaines et en montagnes, dans les airs, le long des côtes, on exerce, et on tue les hommes, on expérimente le matériel, on met au point les engins de destruction et de mort.
Éclairés par des démonstrations guerrières, alertés par la propagande inlassable de notre Parti – qu’on se souvienne de nos campagnes de 1928, du 1er août 1929 et des calomnies et des quolibets social-fascistes, et aussi la répression, que cela nous valut alors – les travailleurs s’émeuvent et luttent contre la guerre.
La moisson d’adhésions au Congrès d’Amsterdam, la participation de délégués socialistes et confédérés [c’est-à-dire CGT], sont le double indice de l’angoisse croissante des masses populaires et de leur volonté de lutte contre la guerre.
Mais rien n’est plus dangereux et plus irritant pour la bourgeoisie et pour son principal soutien social, le parti socialiste, que l’action débutante des masses laborieuses contre la guerre devenue imminente.
Car l’action unie des masses, en s’élargissant et en épousant de multiples formes (manifestations contre les manœuvres, travail dans les usines de guerre et dans les transports pour parvenir au refus de la fabrication et du transport de matériel de guerre, travail antimilitariste, etc.) peut faire reculer la guerre et, dans tous les cas, préparer l’échec des plans de l’impérialisme français, même s’il parvenait à déclencher la guerre malgré nos efforts.
Car l’action unie des masses contre la guerre, suivant la juste recommandation du Congrès d’Amsterdam, en étant liée aux luttes partielles contre l’offensive patronale et gouvernementale et pour la défense du salaire et de toutes les revendications immédiates (conduite des grèves, des manifestations de chômeurs et des paysans pauvres) fera obstacle aux tentatives socialo-bourgeoises qui voudraient résoudre la crise économique dans le sens capitaliste, et fera progresser les masses dans le combat pour l’issue révolutionnaire à la crise.
Car l’action unie des masses laborieuses entamera plus profondément l’influence de la social-démocratie sur les masses, jusqu’à en assurer la liquidation, élargira la première fissure surgie dans le parti socialiste et dans la C.G.T., entre les ouvriers et militants du rang, honnêtes et désireux d’action révolutionnaire et leurs dirigeants devenus les agents conscients de l’impérialisme.
Tenter, par tous les moyens d’entraver l’action et de briser les premiers liens noués à l’occasion du Congrès d’Amsterdam entre les prolétaires socialistes et confédérés et leurs frères communistes et unitaires, telle est la tâche contre-révolutionnaire que remplissent le parti socialiste et la C.G.T. dans l’intérêt du capital.
Dans l’arsenal démagogique du parti socialiste, une arme des plus dangereuses pour la classe ouvrière, c’est la spéculation éhontée à laquelle se livre ce parti sur le sentiment profond, le désir sincère d’unité pour la lutte des travailleurs.
Dans le même moment où les procureurs de la C.A.P. [la Commission Administrative Permanente formant la direction du Parti socialiste] brandissent les foudres, excluent les ouvriers du rang, décident la dissolution de sections entières à cause de leur participation aux Comités de lutte préconisés par le Congrès d’Amsterdam, ils ont l’audace de parler de « front unique » et « d’unité ouvrière ».
Sous prétexte d’unité syndicale, Zyromski, du défunt comité des 22, recommande avec insistance la désagrégation de la C.G.T.U.
Il entend réaliser « l’unité organique » en faisant disparaître le Parti communiste, dont son chef de file, Blum, veut détruire les cadres.
Le parti socialiste, comme la C.G.T., comme la bourgeoise et pour les mêmes buts, voudrait briser les seules organisations qui luttent réellement à la tête des masses contre tous les méfaits de l’exploitation capitaliste et contre la guerre.
Plus grandit la menace de guerre, plus se déchaîne l’offensive capitaliste, plus aussi s’élève la protestation des masses et s’affirme le désir d’unité pour la lutte, plus les démagogues de la social-démocratie vont multiplier les manœuvres contre l’unité de la classe ouvrière, et plus nous devrons, nous, communistes, travailler avec patience au rassemblement des forces prolétariennes.
Notre Parti a fait quelques pas dans cette voie, ils sont encore insuffisants.
Les préventions sectaires subsistent dans nos rangs à l’égard des ouvriers socialistes et réformistes. Alors que se manifestent dans la presse et dans les organismes régionaux, certaines tendances à atténuer la critique du parti socialiste et surtout de son aile « gauche », on est amené à constater l’absence d’un véritable travail à la base en vue de convaincre et de gagner à la lutte chaque ouvrier socialiste.
La passivité opportuniste et le sectarisme se confondent, nourrissant les tendances liquidatrices. C’est le sectarisme qui empêche le pas décisif vers les ouvriers socialistes dans la région parisienne. C’est le sectarisme qui met obstacle dans la région du Nord au rapprochement avec les mineurs et les ouvriers du textile socialistes, qui facilite le jeu démagogique du parti socialiste, qui entrave par conséquent le développement de l’action, sans laquelle on ne démasquera pas le parti socialiste, on ne vaincra pas l’ennemi principal, la bourgeoisie.
Formulant concrètement les revendications immédiates, indiquant les moyens de lutte contre le patron, et de l’action générale contre la guerre, dans les entreprises et sur tous les terrains, nos organisations de base doivent se tourner résolument vers les ouvriers socialistes, faire éventuellement des propositions de lutte commune aux sections socialistes.
Par leurs actes opposés aux phrases du parti socialiste, les communistes indiquent le chemin de l’unité dans les rangs de la classe ouvrière. Le chemin de l’unité se fraye dans l’action sous toutes ses formes, dans l’action que, seul, avec les syndicats unitaires, notre Parti communiste et saura organiser et diriger jusqu’à la victoire finale. »
La situation se débloquait par ce premier pas.
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