Le rapport entre le matérialisme dialectique comme science et le marxisme-léninisme-maoïsme comme idéologie

Le matérialisme dialectique correspond à la science ; il n’est pas une méthode, mais la juste vision du monde expliquant la nature de l’univers et les phénomènes qui s’y produisent.

Le marxisme-léninisme-maoïsme est une idéologie temporaire guidant des tâches politiques propre à une époque donnée.

Cette distinction est le produit du rapport dialectique entre science et idéologie, à travers tout un processus de maturation.

Lorsque le marxisme est défini par Engels, il s’inscrit dans la seconde Internationale qui, avec Karl Kautsky, met l’accent sur le matérialisme historique. Le matérialisme dialectique est relégué à de la philosophie en arrière-plan, et encore est-il résumé à un matérialisme d’allure dialectique, et considéré comme discutable.

Au sein de la social-démocratie, ce seront seulement les bolcheviks russes, sous l’impulsion de Lénine, qui considéreront le matérialisme dialectique à la fois comme incontournable et comme une théorie de la connaissance bien délimitée. Lénine formule cela notamment dans Matérialisme et empirio-criticisme, en 1909.

Néanmoins, lorsque Staline synthétise le marxisme-léninisme lors de conférences en 1924 (rassemblées pour former l’ouvrage Les principes du léninisme), il n’aborde que des questions idéologiques. Il en va de même dans la seconde partie des années 1920 pour les documents de Staline rassemblés ensuite dans le document Questions du léninisme.

Il faudra attendre la liquidation des courants déviationnistes dans le Parti bolchevik pour que, à partir de 1929, il y ait une valorisation systématique du matérialisme dialectique, en tant que théorie de la connaissance. Cela est officialisé dans le précis d’histoire du Parti communiste (bolchevik) de l’URSS en 1938, où l’on trouve un long passage directement rédigé par Staline, Le matérialisme dialectique et le matérialisme historique.

La définition donnée est alors la suivante :

« Le matérialisme dialectique est la théorie générale du parti marxiste-léniniste.

Le matérialisme dialectique est ainsi nommé parce que la façon de considérer les phénomènes de la nature, sa méthode d’investigation et de connaissance est dialectique, et son interprétation, sa conception des phénomènes de la nature, sa théorie est matérialiste.

Le matérialisme historique étend les principes du matérialisme dialectique à l’étude de la vie sociale ; il applique ces principes aux phénomènes de la vie sociale, à l’étude de la société, à l’étude de l’histoire de la société. »

De fait, à partir de 1938, la tendance initiée en 1929 est systématisée et il y a une montée en puissance dans la valorisation du matérialisme dialectique, au sens où il n’est plus considéré comme une méthode nécessaire comme dans les années 1930, mais comme une vision du monde.

La seconde guerre mondiale impérialiste freine ce processus, mais il se systématise durant la période 1946-1953. Ces années sont celles de grand conflit dans les sciences et les arts, avec l’exigence du Parti que tout se fonde sur la vision du monde matérialiste dialectique.

Le triomphe du révisionnisme à la mort de Staline en 1953, avec des éléments déjà puissants dès 1952, supprime la systématisation du matérialisme dialectique comme vision du monde et rétrograde celui-ci à une théorie de la connaissance par ailleurs de plus en plus tronquée.

Cependant, en Chine, Mao Zedong s’appuyait sur l’initiative prise en 1929 et avait saisi l’importance du matérialisme dialectique. Son ouvrage De la contradiction, en 1937, tend directement à présenter le matérialisme dialectique comme une méthode systématique.

Il dit ainsi :

« Depuis la découverte de la conception matérialiste-dialectique du monde par les grands fondateurs et continuateurs du marxisme, Marx, Engels, Lénine et Staline, la dialectique matérialiste a été appliquée avec le plus grand succès à l’analyse de nombreux aspects de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle, ainsi qu’à la transformation de nombreux aspects de la société et de la nature (par exemple en URSS) (…).

Lénine souligne que Marx, dans Le Capital, a donné un modèle d’analyse du mouvement contradictoire qui traverse tout le processus de développement d’une chose, d’un phénomène, du début à la fin.

C’est la méthode à employer lorsqu’on étudie le processus de développement de toute chose, de tout phénomène. Et Lénine lui-même a utilisé judicieusement cette méthode, qui imprègne tous ses écrits. »

Mao Zedong a par la suite réfuté le révisionnisme soviétique de Khrouchtchev et a affirmé qu’il fallait maintenir les principes de la méthode dialectique, les systématiser. C’est le sens de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. L’éditorial du Quotidien du peuple du 2 juin 1966, intitulé « Une Grande Révolution qui touche l’homme dans ce qu’il a de plus profond », dit ainsi :

« Il est faux d’affirmer qu’il n’existe pas de contradictions dans la société socialiste ; cela va à rencontre du marxisme-léninisme et est en désaccord avec la dialectique.

Comment pourrait-il ne pas y avoir de contradictions ?

Il y en aura toujours, dans mille ans, dix mille ans, voire cent millions d’années. La terre serait-elle détruite et le soleil se serait-il éteint qu’il en existerait encore dans l’univers.

Chaque chose est en contradiction, lutte et changement. C’est cela le point de vue marxiste-léniniste. »

Or, au fur et à mesure de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, il y a une systématisation des documents se référant au matérialisme dialectique, tels « ‘‘Deux fusionnent en un’’, philosophie réactionnaire de la restauration capitaliste », « La théorie des deux points », « Le progrès en spirale de l’histoire », etc. Il y a également la valorisation du physicien japonais Sakata Shoichi et de sa conception d’un « univers en oignon », avec des couches ininterrompues mêlées les unes aux autres.

De manière générale, cela s’appuie sur la thèse de Mao Zedong popularisée alors comme quoi rien n’est indivisible. Plus on avance dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, plus on constate que le matérialisme dialectique est présenté comme la vision du monde devenant l’aspect principal par rapport à l’idéologie.

Le caractère indivisible des choses, c’est-à-dire leur nature dialectique, exige qu’on ne prenne pas les phénomènes de l’extérieur avec une méthode dialectique, mais qu’on les cerne en saisissant que tous les processus sont liés, qu’on est une composante de cette dialectique générale.

Cela dépasse l’approche de l’époque de Staline, où il a par exemple été compris que la planète était une Biosphère où tous les éléments sont liés, mais de manière passive, au moyen d’une méthode matérialiste dialectique, et non d’une démarche scientifique comme vision du monde impliquant un élargissement, un approfondissement de la vision du monde.

En fait, durant tout ce processus allant du marxisme au maoïsme en passant par le léninisme, il s’est posé un rapport dialectique entre le matérialisme dialectique comme science et le marxisme-léninisme-maoïsme comme idéologie.

L’idéologie a été le moteur pour l’affirmation de la science, elle a ouvert la voie aux approches scientifiques soviétiques et chinoise, tout comme la science a initialement été le point de départ pour la possibilité de l’affirmation de l’idéologie grâce à la compréhension du matérialisme dialectique par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong.

En raison du développement inégal, la seconde Internationale s’est focalisée sur l’idéologie, finalement de manière unilatérale, avec la figure de Karl Kautsky faisant office de « gardien du temple ». Lénine était initialement un disciple de Karl Kautsky, mais il a constaté que celui-ci avait perdu la substance du marxisme, d’où sa réaffirmation du matérialisme dialectique comme science.

Durant les années 1920 et 1930, la différence fondamentale entre les communistes et les socialistes, tous se revendiquant marxistes, est que les premiers assumaient le matérialisme dialectique, les seconds le considérant comme secondaire ou sans importance.

Par la suite, en défendant l’idéologie contre le révisionnisme soviétique, tout en assumant le matérialisme dialectique (dialectiquement lui-même base de l’idéologie), Mao Zedong a affirmé qu’il fallait systématiser la connaissance du matérialisme dialectique dans les masses, et cela non plus simplement comme méthode, mais comme vision du monde.

C’est ce qui amène cette affirmation, au début des années 1970, dans l’article « L’univers est l’unité du fini et de l’infini » du Journal de la dialectique de la nature :

« La fin de toute chose concrète, le soleil, la Terre et l’humanité n’est pas la fin de l’univers. La fin de la Terre apportera un corps cosmique nouveau et plus sophistiqué.

À ce moment-là, les gens tiendront des réunions et célébreront la victoire de la dialectique et souhaiteront la bienvenue à la naissance de nouvelles planètes.

La fin de l’humanité se traduira également par de nouvelles espèces qui hériteront de toutes nos réalisations. En ce sens… la mort de l’ancien est la condition de la naissance du nouveau. »

Le matérialisme dialectique n’est pas simplement le point de départ d’une étude : il est également son point d’arrivée, car tout est matière et la matière est en mouvement dialectique.

On peut en fait dire que l’idéologie – le marxisme-léninisme-maoïsme – est l’application dans le domaine politique (et donc militaire, économique, culturel, social, artistique, etc.) du matérialisme dialectique.

Le marxisme-léninisme-maoïsme est par conséquent une idéologie relative, le matérialisme dialectique étant absolu.

Lorsque l’humanité sera passée au communisme, à l’échelle de la planète, le marxisme-léninisme-maoïsme disparaîtra et sera remplacé par une autre idéologie impliquant d’autres défis dans l’expansion du communisme au niveau universel, et ce dans un processus infini.

Le matérialisme dialectique, lui, restera ce qu’il est, même s’il sera toujours plus développé au fur et à mesure, dans un processus infini et contradictoire.