Le fait qu’une œuvre d’art soit accessible au peuple a toujours été un critère essentielle pour les bolcheviks. Anatoli Lounatcharski avait écrit en 1921 à Lénine au sujet de la publication d’un ouvrage de Vladimir Maïakovski, 150,000,000.
La réponse de Lénine quant à cette œuvre futuriste, le 6 mai, fut acerbe :
N’est-ce pas une honte de voter en faveur des 150 000 000 de Maïakovski à 5000 exemplaires ?
Sottise, absurdité, extravagance et affectation que tout cela. À mon avis, il n’y a qu’un sur dix de ces écrits qui vaille la peine d’être publiée, et guère plus qu’en 1500 exemplaires pour les bibliothèques et les toqués.
Quant à Lounacharski, il mérite une correction pour son futurisme.
Le fait que l’art soit considéré comme une expression de la société, avec une organisation de sa production, accentua particulièrement l’exigence quant au caractère accessible de l’œuvre d’art. Le tableau L’amour de ma jeunesse d’Ahmed Ibadullovich Kitaev correspond aisément à cette exigence. D’autres thèmes rendent la capacité à satisfaire celle-ci bien plus ardue.
C’est dans le domaine de la musique que les controverses à ce sujet furent le plus marquantes. Le 28 janvier 1936, un article de la Pravda intitulé « Le chaos remplace la musique », au sujet de l’œuvre « Lady Macbeth de Mzensk » de Dmitri Chostakovitch, critiqua son approche de manière approfondie :
« L’auditeur de cet opéra se trouve d’emblée étourdi par un flot de sons intentionnellement discordants et confus (…). Il est difficile de suivre cette musique, il est impossible de la mémoriser (…). Cette musique est mise intentionnellement sens dessus dessous (…).
Il s’agit d’un chaos gauchiste remplaçant une musique naturelle, humaine. La faculté qu’a la bonne musique de captiver les masses est sacrifiée sur l’autel des vains labeurs du formaliste petit-bourgeois (…).
Ce Lady Macbeth est apprécié des publics bourgeois à l’étranger. Si le public bourgeois l’applaudit, n’est-ce pas parce que cet opéra est absolument apolitique et confus ? Parce qu’il flatte les goûts dénaturés des bourgeois par sa musique criarde, contorsionnée, neurasthénique ? »
La suite sera, en 1937, la « réponse créative d’un artiste soviétique à de justes critiques » comme le formulera Dmitri Chostakovitch au sujet de sa Symphonie n°5. Il faut également noter, parmi ses autres œuvres, la Symphonie n°7 « Leningrad » dont la première eut lieu le 9 août 1942 durant le siège de la ville par les nazis.
Parmi les autres grands compositeurs soviétiques, il est nécessaire de mentionner Aram Khatchatourian qui s’appuie sur la musique populaire arménienne ou encore Sergueï Prokofiev, qui recevra pour sa Symphonie n°5 un prix en 1945, le fameux « prix Staline ».
La question de la musique a une importance capitale en URSS, de par le prolongement de la culture nationale. On comprend qu’en 1948, il puisse y avoir un débat de fond de haut niveau.
Ainsi, à la suite de l’opéra La grande amitié de Vano Muradeli, il y eut avoir trois jours de réunion dans les locaux du Comité Central du PCUS(b) à ce sujet, sous la forme d’une Conférence des musiciens soviétiques. Participèrent à celle-ci plus de 70 compositeurs, chefs d’orchestre, critiques musicaux et professeurs de musique.
Cela aboutit à la résolution du 10 février 1948 au sujet de cet opéra, avec un appel au réalisme socialiste et non au subjectivisme, au formalisme. C’est là un épisode marquant, qui rappelle que lee réalisme socialiste est l’esthétique propre au socialisme, et en ce sens il témoigne de la bataille entre l’ancien et le nouveau, exigeant une capacité d’intervention subjective fondée sur les principes matérialistes dialectiques pour reconnaître la dignité du réel et faire avancer l’art.