Au moment du congrès de juillet 1933, la SFIO s’appuyait sur 5 000 sections, pour 120 000 membres. Sa taille était la même que la SFIO de 1914 ; en 1920, lors de la séparation des communistes il était également parlé de garder la « vieille maison », selon la formule de Léon Blum.
La ligne pratiquée fut cependant grandement modifiée par rapport à avant 1914. En raison en effet de la scission du congrès de Tours de 1920, où les socialistes étaient une minorité par rapport aux communistes, c’est l’aile droite des socialistes qui eut initialement le dessus, alignant la SFIO vers une position pro-gouvernementale, en direction des radicaux.
Historiquement, les socialistes avaient toujours été coupé en deux entre une aile droite et une aile gauche, la première se tournant vers le régime républicain, les radicaux, la franc-maçonnerie, la seconde se focalisant sur une orientation « socialiste française » pétrie dans l’attente de la grève générale.
En 1920, les communistes emportent l’aile gauche et la SFIO n’a comme seule orientation de se raccrocher au régime d’une manière ou d’une autre, puisqu’elle nie la crise générale du capitalisme.
Une faible opposition de gauche apparut pour cette raison seulement en novembre 1926 avec la « résistance socialiste », qui devint rapidement la « bataille socialiste » et produisit une revue mensuelle du même nom à partir de juin 1927, sur une ligne de lutte de classe affirmée, comme le précise la présentation dans le premier numéro :
« Contre l’affaiblissement de la conception générale d’action de classe qui s’est manifestée dans les diverses formes de l’activité du Parti, ils veulent agir vigoureusement et ils pensent que les événements en mettant en relief l’accentuation des antagonismes de classe, indiquent au socialisme sa véritable voie. »
Son dirigeant était Jean Zyromski, épaulé de Bracke, vieille figure socialiste issu du Parti Ouvrier Français.
Voici comment Jean Zyromsky raconte son cheminement jusqu’à la SFIO, dans le Midi socialiste du 20 mars 1931. Dans sa première jeunesse il est républicain, mais à 20 ans il adopte le point de vue socialiste dans sa version française :
« Survint en 1910 la grève des cheminots, continue Zyromski. Et là, je fus frappé par un facteur d’ordre psychologique : Je vis la lutte de classe en fait. Lorsque la grève eut été brisée par le coup de force de Briand, j’ai senti pleinement ce qu’étaient les oppositions de classes.
Je méditai aussi sur l’attitude des gouvernants à propos de la réintégration des cheminots. Bref je compris ce qu’était la force de coercition d’un État mettant ses institutions militaires au service d’une classe et refusant ensuite d’intervenir, ne remplissant pas sa tâche d’arbitrage. Tu vois sur quel terrain juridique je me plaçais.
A partir de ce moment, je devins socialiste. En 1912, il y eut, aux élections municipales, une lutte très âpre entre le Parti et les radicaux. J’ai voté pour la liste socialiste, et quelques mois après j’ai adhéré au Parti.
En 1913, j’ai soutenu ma thèse sur : la protection légale du salaire. C’était une thèse socialiste. Mon président me reprocha même d’être « un théoricien de parti ».
– Et maintenant, dis-moi quels sont les socialistes qui ont eu le plus d’influence sur toi ?
– J’ai été influencé par la pensée de Guesde. Mais lui, je ne l’ai connu qu’à la fin de sa vie. C’est Bracke qui m’a fait comprendre le caractère scientifique du socialisme, son fondement doctrinal.
Je dois dire que j’ai été influencé aussi par le syndicalisme révolutionnaire. Les écrits de [Hubert] Lagardelle [l’un des principaux théoriciens du syndicalisme révolutionnaire] m’ont montré ce qu’était le mouvement de la classe ouvrière, la dynamique ouvrière. »
En 1930, Jean Zyromski a trente ans et il prend la tête de l’ aile gauche socialiste de la SFIO qui suit le congrès de Tours, d’ailleurs pratiquement à lui tout seul initialement, tout en assumant diverses fonctions dans la SFIO : membre suppléant de la commission administrative permanente de 1920 à 1924, puis membre du Bureau à partir de 1926 comme secrétaire de la sous-commission des conflits jusqu’en 1929, secrétaire de la sous-commission de propagande jusqu’en 1931, puis secrétaire de la sous-commission des éditions et de la documentation jusqu’en 1933.
Son courant monte en puissance lentement mais sûrement : il s’oppose à la direction en avril 1927 au congrès de la SFIO à Lyon, en prônant une « politique d’unité ouvrière » tournant le dos aux partis « de démocratie bourgeoisie » ; la « bataille socialiste » obtint même alors 23 % des voix au congrès.
Au conseil national de la SFIO d’octobre 1929, Jean Zymroski parvint à faire triompher une ligne de non-participation au gouvernement, en allant jusqu’à un rappel à l’ordre du groupe parlementaire. Cela se réédita au congrès national extraordinaire en janvier 1930 causé par l’indiscipline prolongée du groupe parlementaire.
Jean Zymroski joua également un rôle important lorsque se forma en novembre 1930 un « Comité des 22 » avec des membres de la CGT et de la CGTU appelant à l’unité syndicale.
Le congrès de la SFIO de juillet 1933 marquait de fait l’apogée de la « bataille socialiste », puisque sa motion portée par Paul Faure – qui avait rompu avec Léon Blum au niveau de la direction – obtint 55 % des voix (2 127 mandats), contre 19 % pour les participationnistes / néo-socialistes (752 mandats), 24 % pour l’aile droite (971 mandats), et 2 % pour l’Action socialiste qui prône de se tourner vers les communistes (94 mandats).
Il faut remarquer ici que le bastion de la « bataille socialiste », c’était la région parisienne, avec les Fédérations de la Seine et de la Seine-et-Oise, soit la région parisienne, elle-même le principal centre de gravité du Parti Communiste Français.
La ligne de la « bataille socialiste » est ainsi socialiste française comme strictement parallèle au Parti Communiste Français, considéré en quelque sorte comme un équivalent désorienté qu’il s’agit de remettre sur pied. Au congrès, Jean Zyromski expliqua en ce sens que :
« Prenons les faits. Faisons une constatation. Entre les deux branches du mouvement ouvrier, la branche social-démocrate et la branche communiste, entre ces deux grands courants existent des divergences incontestables que nous ne songeons point à nier.
Nous sommes de ceux qui, au Congrès de Tours, en 1920, avons déclaré impossible l’acceptation d’un certain nombre de thèses et conditions qui modifiaient substantiellement les conceptions révolutionnaires du mouvement ouvrier et qui transformaient d’une manière fondamentale les conceptions d’organisation de ce mouvement.
Ces divergences fondamentales qui sont à l’origine même de la scission de 1920 n’ont pas disparu ; nous le constatons, nous le reconnaissons, et lorsque nous préconisons, néanmoins, une politique active d’unité ouvrière, ce n’est point pour rechercher je ne sais quel compromis, je ne sais quelle transaction doctrinale avec le bolchevisme, mais, malgré l’âpreté des luttes, malgré les injures, malgré les violences, malgré la responsabilité criminelle de la politique de l’Internationale communiste à l’égard des partis sociaux-démocrates, il y a les points de jonction que nous n’avons jamais cessé de voir ; il y a, néanmoins, entre les deux branches du mouvement ouvrier, et c’est ce qui fait que nous avons une espérance indestructible dans la reconstruction de l’unité ouvrière, il y a une communauté de but en ce qui concerne la socialisation des moyens de production et d’échange ; il y a une communauté de moyens en ce qui concerne la reconnaissance et la pratique du fait de la lutte des classes ; il a une communauté de méthodes en ce qui concerne l’organisation des travailleurs en parti de classe, et cette triple communauté reste pour nous les points de jonction qui font que les deux branches du mouvement ouvrier, si opposées en apparence qu’elles puissent être, sont néanmoins destinées à se rejoindre puisqu’elles poursuivent, sur le même terrain, l’émancipation des travailleurs.
Par conséquent, non seulement nécessité d’unité ouvrière, mais encore certitude de cette unité, non pas en nous plaçant au point de vue sentimental, mais en nous plaçant sur le terrain des faits, car si nous ajoutons à la communauté des méthodes envisagées sous le sens le plus large, la communauté de l’exploitation de classe, l’unité de classe, la solidarité de classe, qui est au-dessus des partis et qui découle de l’exploitation même du capitalisme ; nous avons le droit de dire que l’unité s’appuie sur des bases solides et permanentes.
Nous sommes de ceux qui pensent après treize années de scission ouvrière, après treize années de lutte que l’unité organique, l’unité d’organisation, ne résultera pas de la destruction préalable d’une branche quelconque du mouvement ouvrier au détriment de l’autre.
L’unité d’organisation est le but, et, à mon sens, le seul but véritablement positif et pratique à atteindre, mais nous savons aussi que, malheureusement, l’unité d’organisation n’est pas pour aujourd’hui ; et n’est même pas pour demain, par suite de l’atmosphère empoisonnée par treize années de guerre civile à l’intérieur du prolétariat.
Cela ne dépend pas de nous. Si cela dépendait de nous, elle pourrait être faite tout de suite, à la minute ; mais cela dépend de ceux qui sont intoxiqués par l’esprit de secte bolchevik (…).
Pour nous, le front unique loyal, l’unité d’action qui a pour but le rassemblement des forces prolétariennes dans certaines circonstances données, a une valeur unitaire et une valeur révolutionnaire (…).
Bien entendu, nous répudions le front unique à la mode bolchévique qui n’est fait, en réalité, que pour approfondir davantage les divisions ouvrières. Nous repoussons notamment la constitution d’organismes permanents se superposant aux organisations régulières de la classe ouvrière.
Au nom même des intérêts de l’organisation ouvrière, nous n’admettons pas la participation à la direction de ces actions communes des « inorganisés » (…).
Nous avons souligné avec une grande satisfaction et une grande joie l’offre de notre Internationale [Ouvrière Socialiste], le 17 février dernier, se déclarant prête à entrer en négociations avec l’Internationale communiste pour la réalisation de l’action commune sur le plan international.
Mais là où nous nous séparons à l’heure actuelle de la méthode et de la procédure de notre Internationale [Ouvrière Socialiste], c’est que nous estimons que ce n’est pas seulement sur le plan international qu’il faut faire cet effort ; il faut le faire aussi sur le plan national et le poursuivre à la base, sur le plan local (…).
La reconstitution de l’unité ouvrière et socialiste non seulement accroîtra nos capacités de lutte, notre potentiel révolutionnaire, mais, on peut dire qu’elle nous redonnera la foi dans le socialisme, la conviction que les principes fondamentaux du socialisme sont vrais, qu’en dehors de la conquête du pouvoir par le prolétariat, pour la socialisation des moyens de production et d’échanges, qu’en dehors du fonctionnement de la dictature de la classe ouvrière, pour permettre l’établissement de la vraie démocratie sans classe qu’est le régime socialiste, il n’y a rien à attendre, et nous n’irons pas rechercher dans je ne sais quel succédané du fascisme ou du réformisme les moyens de rénover notre doctrine et nos méthodes.
La reconstitution de l’unité nous rendra ce double service. »
On a ainsi au congrès de la SFIO une aile droite participationniste, un centre autour de Léon Blum constatant le cul-de-sac stratégique, une aile gauche qui l’emporte en prônant une orientation « socialiste française » revendicative et d’allure révolutionnaire.
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