L’échec du positionnement «civilisationnel» des Croix de Feu et du Parti Social Français

La défaite face à l’Allemagne nazie fut un coup terrible à la stratégie de François de La Rocque, entièrement fondée sur l’indépendance française complète, avec un partenariat proposable uniquement à l’Espagne franquiste et l’Italie fasciste, une opposition franche à l’Allemagne.

Bien entendu, une prise de contact eut lieu ; en septembre 1936, un représentant du P.S.F. alla en Allemagne discuter avec Rudolf Hess, en présence d’un consul espagnol anti-républicain et du fasciste anglais Oswald Mosley. En décembre de la même année, François de La Rocque se rend à Bruxelles, afin de rencontrer Léon Degrelle, le dirigeant belge du mouvement rexiste, ainsi que le banquier allemand Dessler.

Mais la ligne impérialiste française était par définition antagonique de celle de l’Allemagne et le modèle allemand de fascisme apparaissait comme inadapté et intolérable, de par la négation du catholicisme comme idéologie d’arrière-plan. Pour François de La Rocque, la France est née dans le catholicisme :

« La France est une fille de la civilisation chrétienne. Elle aura trouvé la voie de ses destins lorsque, pour le monde entier, elle sera redevenue, non pas le peuple qui se prétend réquisitionné par Dieu pour accomplir ses volontés à travers le monde, mais le grand pays d’exemple. »

Pour autant, François de La Rocque refusait tout rapprochement avec l’URSS pour faire contrepoids. Le 6 décembre 1938, lors du IIIe congrès du P.S.F., Jean Ybarnégaray fit un rapport sur la politique extérieure, où il était affirmé :

« La position du P.S.F. vis-à-vis du pacte franco-soviétique est définie en ces termes : nous réclamons et, s’il le faut, nous saurons exiger la dénonciation, la rupture immédiate du pacte qui nous unit aux soviets. »

Dans ce même rapport, il était également précisé :

« Ma position est connue, c’est celle du P.S.F.. Nous renouvelons au général Franco nos vœux de victoire. »

Et dans le Petit Journal du 25 février 1939, on lisait également :

« Pour ma part, j’ai conscience de n’avoir rien négligé pour faire sentir au général Franco que le coeur de la masse P.S.F. et, avec elle, celui de millions de Français, battait pour sa cause, pour le triomphe de ses armes. »

Le franquisme était le vrai modèle de François de La Rocque, dans la mesure où il s’agissait d’une force conservatrice rétablissant l’ordre face au bloc socialiste et communiste.

Voici une lettre reçue par la Pasionaria, dans le cadre de la guerre d’Espagne, alors qu’elle visitait la France pour appeler à soutenir la République espagnole :

« LES CROIX DE FEU » et « BRISCARDS »

Madame,

Il serait bon que vous compreniez que votre présence est une provocation et que pour éviter tout incident des patriotes français, vous regagniez au plus tôt votre pays.

Car votre propagande est en contradiction avec le respect de l’hospitalité et la ligne de neutralité que s’est sagement imposée la France.

Si cette neutralité doit être violée en votre faveur, des répercussions graves pourraient s’ensuivre pour vous, et sachez que la Légion du feu saura vous le faire comprendre.

Salutations,

Pour le président général :

[signature]

Par contre, François de La Rocque considérait que pour empêcher l’unité du bloc socialiste et communiste, pour ne pas tomber dans une guerre civile complète et sanglante, il ne fallait pas prendre l’initiative mais se présenter comme légitimiste, en attendant le moment où la crise sociale amènerait une puissante agitation communiste.

D’où le raisonnement du P.S.F. comme quoi :

« La recherche d’un ordre civique sous le signe de la durée exclut la conception d’un État révolutionnaire. »

C’est précisément la contradiction que posait la « Révolution nationale » du régime de Vichy. François de La Rocque devait choisir entre le nationalisme coûte que coûte et l’anticommunisme.

Dans l’éditorial du Petit journal du 10 août 1939, François de La Rocque expliquait encore son positionnement :

« Encore une fois la tradition chrétienne, origine de la Patrie, inspiration de la mystique des Croix de Feu, fut et demeure la conseillère des libres activités P.S.F. Suivons la voie droite et large de ses disciplines. Elle nous conduit au but harmonieux de notre labeur: naissance de l’État Social Français. »

Toutefois, la défaite l’amena à un choix cornélien : fallait-il rejoindre Londres, ou bien tenter de pousser le nouveau régime, dont l’anti-marxisme était le socle, dans ce qui était selon lui le bon sens, et en tenant de gagner en autonomie face à l’Allemagne ?

Raisonnant en termes de « civilisation » – à l’opposé de Charles De Gaulle formulant la question stratégiquement – François de La Rocque finit par prendre le partie de Philippe Pétain. L’anticommunisme fut considéré comme le plus important et François de La Rocque salua ainsi l’attaque nazie contre l’URSS :

« Considérons comme le bien le plus urgent pour l’univers civilisé tout ce qui accélère la destruction de la puissance bolchévique. »

Cette ligne ne lui laissait toutefois aucune place politique. François de La Rocque comptait développer un État corporatiste par en bas, et voilà que la ligne putschiste avait triomphé, profitant de la victoire allemande.

Lui qui ne voulait pas de « révolution », mais une contre-révolution par en bas, il lui fallait tenter de travailler avec des gens cherchant à « forcer » la France dans une logique ultra-conservatrice au moyen de la « révolution nationale », avec qui plus est une violente agitation des ultras partisans du national-socialisme, du planisme, etc.

Il formula son dépit ainsi :

« Qu’est-ce qu’une révolution sinon le changement total, prompt, soudain – peut-être brutal – des institutions et des mœurs?

Où percevez-vous quelque changement de ce genre affectant la manière d’être et de penser des hommes investis du rôle de modèle et de direction au sein de notre communauté nationale? »

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