Lénine contre la guerre impérialiste et pour la guerre civile

L’échec allemand ne surprit pas Lénine, qui avait compris le processus en cours dans la seconde Internationale. Il fut ainsi capable de proposer la ligne révolutionnaire, continuatrice des principes de la seconde Internationale.

Lénine arriva à Berne en Suisse au moment de la guerre et discuta avec le groupe des bolchéviks réfugiés dans cette ville, à la fin août.

Lénine en 1914

Il résuma la position prise dans le document « Les tâches de la social-démocratie révolutionnaire dans la guerre européenne » qui fut envoyé à toutes les sections du Parti à l’étranger et servit de base à la déclaration de son Comité Central, « La guerre et la social-démocratie russe », publié dans le Social-Démocrate du premier novembre 1914.

Dans le premier document, on lit notamment que :

« 1. La guerre européenne et mondiale présente tous les caractères d’une guerre bourgeoise, impérialiste, dynastique.

La lutte pour les marchés et pour le pillage des autres États, la volonté d’enrayer le mouvement révolutionnaire du prolétariat et de la démocratie à l’intérieur des pays belligérants, la tentative de duper, de diviser et de décimer les prolétaires de tous les pays en jetant les esclaves salariés d’une nation contre ceux d’une autre au profit de la bourgeoisie, tel est le seul contenu réel de la guerre, telle est sa signification.

2. L’attitude des chefs du parti social-démocrate allemand, — le plus fort et le plus influent des partis de la II° Internationale (1889-1914), — qui ont voté le budget de guerre et qui reprennent la phraséologie bourgeoise et chauvine des hobereaux prussiens et de la bourgeoisie, est une trahison pure et simple du socialisme.

Cette attitude ne peut se justifier en aucune façon, pas même en supposant que le parti social-démocrate allemand soit extrêmement faible et provisoirement obligé de se plier à la volonté de la majorité bourgeoise de la nation. En fait, dans la situation présente, ce parti a pratiqué une politique national-libérale.

3. L’attitude des chefs des partis social-démocrates belge et français, qui ont trahi le socialisme en entrant dans les ministères bourgeois, mérite d’être condamnée au même titre.

4. La trahison du socialisme par la majorité des chefs de la II° Internationale (1889-1914) signifie la faillite idéologique et politique de cette dernière.

Cette faillite a pour cause fondamentale la prédominance au sein de l’Internationale de l’opportunisme petit-bourgeois, dont le caractère bourgeois et le danger qu’il constituait étaient depuis longtemps déjà signalés par les meilleurs représentants du prolétariat révolutionnaire de tous les pays.

Les opportunistes avaient préparé de longue date la faillite de la IIe Internationale, en répudiant la révolution socialiste pour lui substituer le réformisme bourgeois ;

en répudiant la lutte des classes et la nécessité de la transformer, le cas échéant, en guerre civile, et en se faisant les apôtres de la collaboration des classes ;

en prêchant le chauvinisme bourgeois sous couleur de patriotisme et de défense de la patrie et en méconnaissant ou en niant cette vérité fondamentale du socialisme, déjà exposée dans le Manifeste du Parti communiste, que les ouvriers n’ont pas de patrie ;

en se bornant, dans la lutte contre le militarisme, à un point de vue sentimental petit-bourgeois, au lieu d’admettre la nécessité de la guerre révolutionnaire des prolétaires de tous les pays contre la bourgeoisie de tous les pays ;

en faisant un fétiche de la légalité et du parlementarisme bourgeois qui doivent nécessairement être mis à profit, en oubliant qu’aux époques de crise, les formes illégales d’organisation et d’agitation deviennent indispensables. »

Dans le second document, on lit notamment que :

« S’emparer de territoires et asservir des nations étrangères, ruiner la nation concurrente, piller ses richesses, détourner l’attention des masses laborieuses des crises politiques intérieures de la Russie, de l’Allemagne, de l’Angleterre et des autres pays, diviser les ouvriers et les duper par le mensonge nationaliste, et décimer leur avant-garde pour affaiblir le mouvement révolutionnaire du prolétariat : tel est le seul contenu réel, telle est la véritable signification de la guerre actuelle.

La social-démocratie est tenue, en premier lieu, de dévoiler cette véritable signification de la guerre et de dénoncer implacablement le mensonge, les sophismes et les phrases « patriotiques » que répandent en faveur de la guerre les classes dominantes : les grands propriétaires fonciers et la bourgeoisie (…).

Force est de constater, avec une profonde amertume, que les partis socialistes des principaux pays européens n’ont pas accompli cette tâche qui leur incombait, et que l’attitude des chefs de ces partis – du parti allemand surtout – confine à la trahison pure et simple de la cause du socialisme.

En cette heure d’une portée historique capitale, la plupart des chefs de l’actuelle, de la II° Internationale socialiste (1889-1914), cherchent à substituer le nationalisme au socialisme.

En raison de leur comportement, les partis ouvriers de ces pays ne se sont pas opposés à l’attitude criminelle des gouvernements, mais ont appelé la classe ouvrière à aligner sa position sur celle des gouvernements impérialistes (…).

La transformation de la guerre impérialiste actuelle en guerre civile est le seul mot d’ordre prolétarien juste, enseigné par l’expérience de la Commune, indiqué par la résolution de Bâle (1912) et découlant des conditions de la guerre impérialiste entre pays bourgeois hautement évolués.

Si grandes que paraissent à tel ou tel moment les difficultés de cette transformation, les socialistes ne renonceront jamais, dès l’instant que la guerre est devenue un fait, à accomplir dans ce sens un travail de préparation méthodique, persévérant et sans défaillance.

C’est seulement en s’engageant dans cette voie que le prolétariat pourra s’arracher à l’influence de la bourgeoisie chauvine et avancer résolument, d’une manière ou d’une autre, avec plus ou moins de rapidité, sur le chemin de la liberté réelle des peuples et du socialisme.

Vive la fraternité internationale des ouvriers contre le chauvinisme et le patriotisme de la bourgeoisie de tous les pays ! Vive l’Internationale prolétarienne, affranchie de l’opportunisme ! »

On était là dans un positionnement tout à fait en phase avec ce qu’avait été la seconde Internationale historiquement, mais celle-ci avait failli. Ce sera la base pour un appel à la fondation d’une IIIe Internationale.

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et le déclenchement de la première guerre mondiale