Les néos-socialistes : la nature de la crise dans la SFIO

En juillet 1933, le parti socialiste SFIO connaît une très grave crise interne. Son quotidien, le Populaire, où ont le droit de s’exprimer les différences nuances ou plutôt tendances, connaît depuis des semaines d’incessantes joutes verbales et récriminations, accusations et critiques. C’est que la SFIO a joué avec le feu.

Lors de la scission du congrès de Tours en 1920, les tenants de la continuité « socialiste », récusant le bolchevisme et l’adhésion à l’Internationale Communiste, étaient une minorité. Très vite ils sont cependant devenus numériquement plus nombreux que les communistes et électoralement de plus d’importance. Qui plus est, la SFIO est en étroite relation avec la CGT, elle aussi de plus grande importance que la CGT Unitaire lié au Parti Communiste.

Le congrès de Tours en 1920

La SFIO a alors considéré que le Parti Communiste Français n’était qu’un accident historique, qu’il fallait le mépriser, l’ostraciser, l’isoler, puisque preuve en était que finalement rien n’avait réellement changé dans le fond ni pour les socialistes, ni pour la société française.

La SFIO a alors d’autant plus aisément repris son travers d’avant 1914, à savoir consister en un parti de faible taille en termes de militant, mais d’une grande capacité électorale, tendant à la participation gouvernementale. Aux élections de mai 1924, la SFIO obtient 120 députés sur 552 et soutiennent le gouvernement du « Cartel des gauches », avec les radicaux indépendants, le Parti radical et radical-socialiste, le Parti républicain-socialiste et des socialistes indépendants.

Les socialistes s’étaient d’autant plus précipités dans cette alliance que cela leur donnait d’autant plus une crédibilité face aux communistes alors qui plus est en mode ultra-gauchiste. Les socialistes « prouvaient », du moins à leurs propres yeux, la validité de leur affirmation de la nécessité de réformes concrètes y compris dans le capitalisme, alors que c’était également une réponse politique à la chambre dite « bleue horizon » de 1919 où 70 % des députés étaient des conservateurs.

On notera ici que, en fait, même en 1924 les conservateurs étaient majoritaires (avec 51,7 % des voix), le type de vote permettant cependant la victoire du cartel des gauches.

Couverture de la revue satirique Le Carnet de la Semaine en 1924 dénonçant le « bloc national », au pouvoir et auquel s’oppose le cartel des gauches

Seulement voilà, le cartel des gauches reposait sur une alliance électorale hétéroclite, avec des députés du centre et de la gauche fondamentalement éparpillés en différents partis et courants, voire fonctionnant en fait même selon leur bon vouloir. Aussi, le cartel des gauches ne dura pas, s’effondrant devant la crise monétaire de juillet 1926, qui par ailleurs disparut aussi vite que fut formé un gouvernement conservateur autour de Raymond Poincaré. Les conservateurs remportèrent ensuite les législatives de 1928.

Une tentative de réédition du cartel des gauches fut faite dans le cadre des élections de 1932, la SFIO obtenant 131 députés sur 607. Les conditions socialistes, dites Huygens, du nom de la salle où avait eu lieu le congrès socialiste, furent toutefois refusées par les radicaux.

La crise néo-socialiste part de là, reflétant la fin d’un cycle pour la SFIO et l’émergence d’un nouveau contexte de par la crise générale du capitalisme commençant à réellement à toucher la France à la suite de la crise boursière de 1929 aux Etats-Unis.

La SFIO fut concrètement coincée sur le fait de soutenir de l’extérieur le gouvernement ou pas ; en raison de sa propre histoire opportuniste depuis 1920, la SFIO ne sut pas affronter ce défi. Le résultat fut que le groupe parlementaire SFIO agissait selon ses propres exigences et indépendamment de la SFIO, que les dissensions dans celles-ci à ce sujet se multiplièrent, alors que les gouvernements étaient faits et défaits en série, un phénomène typique de la troisième république.

La SFIO se mit alors à tanguer de toutes parts, avec trois grands groupes nullement unifiés. Le premier est constitué de gens prônant un alignement bien plus à gauche, mais dans la tradition du socialisme français (comme Jean Zyromski) ou proche du trotskysme (comme Marceau Pivert). Léon Trotsky va se reconnaître dans le développement qu’il voit ici et exiger des trotskystes français qu’ils rejoignent la SFIO, ce qui provoquera des dissensions terribles entre eux, bien que la « Ligue Communiste » rejoigne tout de même la SFIO en 1934 pour y former le « Groupe bolchevik-léniniste » (qui sera exclu dès 1935).

Le second groupe consiste en les centristes avec Léon Blum ; c’est lui qui est à la direction et qui a brûlé ses cartouches avec des soutiens gouvernementaux n’aboutissant à rien de concluant et avec sa théorie attentiste d’une construction patiente et prolongée du mouvement socialiste.

Le troisième groupe tient à des socialistes représentant les intérêts du groupe parlementaire à « jouer le jeu », c’est-à-dire à participer à la mise en place de gouvernements, d’influer sur les choix gouvernementaux lors des votes, etc.

Et cela va jusqu’à l’élaboration d’une nouvelle conception, dite « néo-socialiste », posant qu’il est nécessaire d’intégrer l’État, de le renforcer le plus possible, et de l’utiliser pour mener des réformes de fond, dans le cadre du système, pour avancer vers une sorte de socialisme par en haut.

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