Les portraits du graveur Abraham Bosse: sur le vif

Voici une oeuvre d’une extrême importance, montrant la galerie du palais de justice.

Cette galerie commerciale avait à l’époque une importance immense, tant pour se procurer l’habillement propre aux classes dominantes, que pour s’y fournir en ouvrages dans les multiples librairies.

Voici comment le critique d’art Antony Valabrègue décrit cette scène dans la gravure d’Abraham Bosse :

Une de ces comédies, la Galerie du Palais, jouée en 1634, sans être un des chefs-d’œuvre de l’illustre auteur du Cid, nous offre, dans plusieurs passages, des documents extrêmement précieux sur les mœurs du commencement du XVIIe siècle. Or, par une coïncidence qui peut s’expliquer par le succès même de cette œuvre, Abraham Bosse nous a donné une gravure qui semble compléter la pièce de Corneille. Un parallèle piquant va ainsi nous être offert entre le poète et le graveur.

Située au milieu de la Cité, à côté du Palais de Justice, la Galerie du Palais, qu’on appelait aussi la Galerie du Palais-Marchand, était en plein dans le grand mouvement de circulation qui avait lieu à cette époque, entre les deux rives de la Seine. Elle était devenue, à partir du règne de Henri IV, comme un centre vivant et animé.

Tout change vite dans une capitale : Richelieu fit construire le Palais-Cardinal, et la nouvelle galerie, qui fut construite aux abords, et qui devait plus tard, en s’étendant, prendre le nom de Palais-Royal, remplaça, dans la faveur du public, celle du Palais. Quoi qu’il en soit, pour revenir à la Galerie qui nous occupe, elle n’avait, sous Louis XIII, qu’une concurrence à craindre, celle de la place Royale.

L’historien de Paris, Sauvai, est tellement émerveillé de cette place qu’il déclare que rien de pareil n’existait dans l’ancienne Rome. Il aurait pu en dire autant de la Galerie du Palais, dont l’aspect était fort original. Elle était garnie de boutiques de bois, contiguës les unes aux autres, et dans lesquelles étaient disposés les objets de luxe, les nouvelles modes, les chefs-d’œuvre de l’industrie, dentelles et bijoux. Elle était, en outre, occupée par les libraires, qui y tenaient, eux aussi, leurs nouveautés.

Messieurs, je fais des livres;
On les vend au Palais

avait dit Régnier, dans sa deuxième satire. Ce quartier avait été spécialement dévolu aux libraires, par ordonnance royale. Plusieurs même avaient leur étalage jusque sur les degrés de la Sainte-Chapelle.

Dans sa gravure, Abraham Bosse représente trois boutiques, lingerie, mercerie et librairie. Un gentilhomme s’est arrêté pour considérer les livres nouveaux; la femme du libraire lui présente la Marianne, la comédie de Desmarets, pendant que le Barbin au petit pied lui murmure avec complaisance l’éloge de l’ouvrage. D’autres livres sont étalés, çà et là, sur le tapis fleurdelisé qui couvre le comptoir du marchand.

Auprès de la boutique du mercier, un cavalier et une dame examinent des éventails; le marchand saisit une boîte où on lit ces mots : Eventails de Bosse. Un gentilhomme et sa femme passent rapidement devant la troisième boutique, qui paraît abandonnée. La lingère en mauvaise humeur déploie, en effet, inutilement une pièce de linge brodé, et pendant que son mari refait mélancoliquement ses paquets, elle se plaint des chicaneurs qui encombrent la galerie et éloignent les chalands.

La Galerie du Palais était, comme tout endroit très fréquenté, un lieu de rendez-vous et de rencontres. Nous nous en doutons bien un peu, pendant que nous lisons les vers explicatifs, jetés au bas de la gravure d’Abraham Bosse :

Tout ce que l’art humain a jamais inventé
Pour mieux charmer les sens par la galanterie,
Et tout ce qu’ont d’appas la grâce et la beauté
Se découvre à nos yeux dans cette galerie.

Ici, les cavaliers les plus adventureux
En lisant les romans s’animent à combattre,
Et de leurs passions les amants langoureux
Flattent les mouvements par des vers de théâtre.

Ici, faisant semblant d’admirer devant tous
Des gants, des éventails, des rubans, des dentelles,
Les adroits courtisans se donnent rendez-vous,
Et, pour se faire aimer, galaniisent les belles

Les personnages que Corneille a mis en scène présentent, chose curieuse, de notables ressemblances avec ceux qui sont reproduits par Abraham Bosse. Laissons de côté l’intrigue de cette pièce, qui n’offre pour nous qu’un intérêt restreint. Après avoir vu passer les galants seigneurs, les dames de qualité qui fréquentent la galerie, nous entendons le dialogue des marchands dans leurs boutiques :

LA LINGÈRE

Vous avez fort la presse à ce livre nouveau,
C’est pour vous faire riche.

Nous avons, dans l’œuvre d’Abraham Bosse, la gravure, très caractéristique et très remarquable au reste, d’un éventail où l’artiste a rappelé les principaux motifs de sa suite allégorique, les Quatre Ages. Le fécond graveur aurait été bien capable, à l’occasion, de dessiner des modèles pour une industrie de luxe. Il n’oubliait pas de se faire, dans cette composition, une sorte de réclame, comme nous dirions aujourd’hui.  

Voici ici une scène de la vie à l’intérieur d’une maison, et c’est très important : Abraham Bosse ne représente pas le mariage à l’Eglise ni la vie abstraite ; il souligne toujours les traits de la vie la plus concrète.

En ce sens, il est, tout à fait dans l’esprit protestant, un portraitiste de la vie intérieure, à la fois à l’intérieur des maisons mais également de la vie intérieure de la psychologie des gens agissant, d’où les portraits d’activités. C’est éminemment du réalisme dans sa substance même.

Cette scène où un mari bat sa femme reflète bien le côté barbare de la chose, l’absence de raison, la brutalité à la fois futile et source de douleurs.

Ces deux scènes de l’enfance sont d’une grande finesse de par leur manière d’induire le mouvement dans la mise en perspective d’une scène commune.

Pour conclure, voici des fumeurs représentés par Araham Bosse, dans une scène qui si elle est traditionnelle, n’en est pas moins une représentation intéressante, surtout en ce qui concerne l’attitude des fumeurs eux-mêmes. Arbaham Bosse sait saisir sur le vif, en conservant la substance, la dignité de la situation concrète.

=>Retour au dossier sur les portraits du graveur Abraham Bosse