La thèse principale de la « critique de la valeur » qui suit la théorie critique de l’école de Francfort, est que la société est une mystification. Les valeurs dominantes sont fictives et ne servent qu’à permettre au capitalisme de se maintenir.
On est ici dans un capitalisme sans contradictions : il n’y a pas de contradiction valeur/travail, le prolétariat est lui-même une composante du capitalisme. La manière dont est présentée ce capitalisme revient strictement à de l’industrialisme comme le critiquait l’école de Francfort. Et on aura compris que, tout comme dans l’école de Francfort, cela attribue une signification « révolutionnaire » aux intellectuels et leur critique.
La principale référence fut ici la revue Krisis, avec comme figure majeure Robert Kurz (1943-2012), et comme œuvre la plus connue le « Manifeste contre le travail » en 1999. On y retrouve toutes les thèses de l’école de Francfort sur l’industrialisme, mais maquillées derrière un discours « marxiste ».
On lit ainsi dans le « Manifeste contre le travail » que le capitalisme serait passé à autre chose, une accumulation délirante de marchandises, sans rapport avec le travail. Or, c’est impossible chez Marx puisque les marchandises sont produites par le travail et doivent être consommées, ce qui implique une contradiction dans l’accumulation du capital, puisque les travailleurs ne peuvent pas consommer assez pour suivre le rythme d’accumulation.
C’est qu’en réalité, le capitalisme dont parle la « critique de la valeur », c’est l’industrialisme de l’école de Francfort. Il n’y a pas de capitalisme comme mode de production, il y a un « capitalisme » formant un système industrialiste fonctionnant comme fin en soi.
On lit dans le « Manifeste contre le travail » la chose suivante :
« Par suite de la révolution micro-informatique, la production de « richesse » s’est toujours davantage décrochée de la force de travail humaine – à une échelle que seule la science-fiction aurait pu concevoir voilà quelques décennies. »
Le capitalisme serait fictif, il tiendrait de manière religieuse, et le travail est une abstraction qu’on chercherait à faire passer pour quelque chose ayant un sens et une signification, alors que non :
« Le travail n’a rien à voir avec le fait que les hommes transforment la nature et sont en relation les uns avec les autres de manière active.
Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, ils construiront des maisons, confectionneront des vêtements, produiront de la nourriture et beaucoup d’autres choses ; ils élèveront des enfants, écriront des livres, discuteront, jardineront, joueront de la musique, etc.
Ce fait est banal et va de soi. Ce qui ne va pas de soi, c’est que l’activité humaine tout court, la simple « dépense de force de travail », sans aucun souci de son contenu, tout à fait indépendante des besoins et de la volonté des intéressés, soit érigée en principe abstrait qui régit les rapports sociaux. »
Ainsi, à l’inverse de Karl Marx où le travail produit la valeur, ici c’est la valeur qui crée le travail :
« Dans la sphère du travail, ce qui compte n’est pas tant ce qui est fait, mais le fait que telle ou telle chose soit faite en tant que telle, car le travail est une fin en soi dans la mesure même où il sert de vecteur à la valorisation du capital-argent, à l’augmentation infinie de l’argent pour l’argent.
Le travail est la forme d’activité de cette fin en soi absurde. C’est uniquement pour cela, et non pour des raisons objectives, que tous les produits sont produits en tant que marchandises. Car ils ne représentent l’abstraction argent, dont le contenu est l’abstraction travail, que sous cette forme. Tel est le mécanisme de la machine sociale autonomisée qui tient l’humanité moderne enchaînée.
Et c’est bien pourquoi le contenu de la production importe aussi peu que l’usage des choses produites et leurs conséquences sur la nature et la société.
Construire des maisons ou fabriquer des mines antipersonnel, imprimer des livres ou cultiver des tomates transgéniques qui rendent les hommes malades, empoisonner l’air ou « seulement » faire disparaître le goût : tout cela importe peu, tant que, d’une manière ou d’une autre, la marchandise se transforme en argent et l’argent de nouveau en travail.
Que la marchandise demande à être utilisée concrètement, fût-ce de manière destructrice, est une question qui n’intéresse absolument pas la rationalité d’entreprise, car pour elle le produit n’a de valeur que s’il est porteur de travail passé, de « travail mort ».
L’accumulation de « travail mort » en tant que capital, représenté sous la forme-argent, est la seule « signification » que le système de production marchande moderne connaisse. »
La critique de la valeur déplace en fait la question du travail, afin de la neutraliser dans le sens de l’intellectualisme universitaire. Le capital et le travail sont considérés comme les simples composantes d’un capitalisme « industrialiste ».
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L’école de Francfort, la théorie critique et la critique de la valeur