Dès le vote effectué et les résultats annoncés au congrès de la SFIO de juillet 1933, Pierre Renaudel prit la parole pour lire une déclaration des néo-socialistes, qui annonçaient leur rébellion. Le succès de la « bataille socialiste » au congrès impliquait en effet qu’à la prochaine incartade, ils seraient exclus conformément aux statuts ; la motion de la « bataille socialiste » en faisait même l’avertissement solennel.
Ce qui est ironique historiquement, c’est que cette rébellion est le strict équivalent du coup joué par Léon Blum au congrès de Tours de 1920 pour provoquer un vaste sabotage et récuser le vote. La SFIO a toujours connu en fait un affrontement majorité/minorité virulent et source d’instabilité, avec une minorité pratiquant le chantage à la scission.
Les néo-socialistes récusent en effet l’issue du congrès :
« Une lecture, pas de commentaires ; aucun commentaire. [Pierre Renaudel lit la déclaration néo-socialiste :]
Les militants et les élus qui se sentent atteints par la décision disciplinaire du Congrès, protestent contre celle-ci et ne peuvent l’accepter.
Les hommes qui ont eu à assumer jusqu’ici les lourdes responsabilités du Parti, en prenant l’initiative d’une telle décision ou en lui donnant leur assentiment ont risqué d’amener une sorte de scission morale capable de menacer et d’ébranler l’unité du Parti.
Ils ont brisé la solidarité cordiale qui doit nécessairement accompagner la discipline librement et volontairement acceptée dont ils avaient la garde.
Cette décision enlève au Groupe socialiste autorité tout à la fois pour la lutte quotidienne au Parlement et pour l’action de propagande et de recrutement à laquelle le Groupe participe dans le pays aux côtés des militants.
La menace d’exclusion qui l’accompagne dès aujourd’hui ne laisse aucun doute sur les suites qu’on entend lui donner.
A l’encontre de cette décision, nous affirmons, une fois de plus, la conviction que le Groupe socialiste, par son attitude et ses votes, a servi les intérêts de la classe ouvrière et du Socialisme, les libertés essentielles de la démocratie et l’organisation de la paix, quand il s’est refusé à servir d’instrument aux manœuvres de la réaction et à préparer le retour au pouvoir des vaincus des 1er et 8 mai 1932 : MM. Tardieu, Flandin, et leurs amis de la réaction, d’union nationale ou même de concentration, c’est-à-dire de tous ceux qui, en France, seraient inévitablement les fourriers du fascisme.
Demain, comme hier, le Groupe socialiste, ainsi que le Parti tout entier, aura encore le devoir de ne pas se résigner à une tactique d’abstention ou de passivité qui, bien que placée sous l’abri d’affirmations traditionnelles, symboliques et rituelles, laisserait passer les événements sans les marquer de l’empreinte du socialisme et de l’influence politique qu’il a conquise dans le pays.
Les règles de l’action auraient pu être déterminées ici dans cette amitié cordiale dont l’appel ne nous laissait pas insensibles et elles auraient été loyalement acceptées, si la majorité qui vient d’infliger le blâme, avait consenti à écarter un jugement où il y a plus de passion que de justice, et plus d’aveuglement tendancieux que de clairvoyance politique.
Nous ne renions ni la souveraineté du Parti, ni la nécessité de la discipline et nous sommes attachés autant que quiconque à une unité que nous voudrions indestructible.
Mais nous sommes obligés de déclarer qu’en rendant impossible la recherche de textes nouveaux destinés à l’accord, en rejetant notre motion de sauvegarde d’unité d’abord, en maintenant la proposition de sanctions ensuite, en la votant enfin, la majorité et les hommes responsables qui la dirigent ont rendu presque impossible toute entente véritable.
Nous rappelons, ici, que la majorité du Groupe parlementaire écrivait et signait des noms solidaires de quatre-vingts élus de la Chambre et du Sénat, ceci : ‘‘Les élus soussignés signalent aux militants que toute mesure qui tendrait à enlever au Groupe son initiative et sa responsabilité propres serait funeste à la vie intérieure et à l’action du Parti et que seule une politique claire peut apporter remède à une situation confuse, génératrice de malaise.
Entre une politique républicaine, animée par le socialisme et l’opposition, il n’y a plus désormais de position intermédiaire tenable, et c’est pourquoi il faut que le Parti, se dégageant enfin des équivoques choisisse entre ces deux politiques, et prenne franchement, honnêtement ses responsabilités.’’
Un motion de blâme n’est pas un choix politique.
Nous attendons encore que la majorité ait défini sa politique et dit franchement ce qu’elle entend faire désormais. Aux contraire, nos orateurs ont parlé avec clarté pour la classe ouvrière et pour le pays.
Ils ont montré que des événements et des circonstances identiques placeront le Groupe socialiste devant des responsabilités de même ordre. Ils ont apporté à la tribune du Congrès une volonté d’action et de méthode qui, en accord avec l’enseignement de nos maîtres et avec les principes et la doctrine établis par le Socialisme international répondent aux impatiences de la jeunesse ouvrière et paysanne et aux inquiétudes des masses.
On leur a répondu par l’expression d’une résignation dramatique en face du bouleversement du monde et des violences du fascisme. Il ne dépendra donc pas de nous que le choix d’une politique n’apparaisse pas avec netteté. Au surplus, celui-ci aurait pu dépendre de l’examen des problèmes posés pour la Conférence Internationale du 20 août.
Mais dominé et absorbé par ses préoccupations de sanctions, le Congrès n’a même pas eu le loisir d’en discuter sérieusement et il retrouverait devant lui toutes les motions clichées dont il eût convenu de faire table rase pour une recherche cordiale et loyale des méthodes d’action, si la plus importante fraction de la majorité n’estimait qu’il n’y a pas lieu pour elle de procéder à aucun vote et si elle n’avouait ainsi le singulier embarras dans lequel elle se trouve de définir une pensée et une politique communes à ses membres.
Notre minorité resta prête, à l’heure encore où nous parlons, à exprimer ses sentiments par le vote de ses motions qui sont connues sur la conquête du pouvoir, sur la lutte contre la guerre et sur l’unité socialiste et ouvrière.
Ces motions traduisent notre volonté de maintenir la tradition jaurèsienne de notre Parti. Elles comportent dans l’ordre intérieur : l’identification du socialisme et de la démocratie dont les libertés essentielles, notamment la liberté syndicale et le suffrage universel, doivent être défendues et étendues pour élargir la démocratie politique en démocratie sociale.
Dans l’ordre extérieur : elle comporte la volonté de lutter pour l’organisation de l’arbitrage international obligatoire dans les rapports entre les peuples ; de combattre pour l’élimination de la guerre, pour le désarmement général, simultané et contrôlé, sans pour cela refuser la reconnaissance de la Défense nationale…
[Mouvements divers dans les salles, cris dans les tribunes ou applaudissements, etc.]
Nous sommes prêts à attendre que la majorité du Parti socialiste déclare qu’elle ne reconnaît pas la défense nationale.
[Applaudissements, puis intervention d’une personne disant : « Mais pas en régime capitaliste. »]
Et permettez-moi de recommencer ma phrase puisqu’elle a été interrompue : de combattre pour l’élimination de la guerre pour le désarmement général simultané et contrôlé, sans pour cela refuser la reconnaissance de la Défense nationale dans les cas d’attaque et d’agression définis par les pactes particuliers ou généraux conclus en ces derniers temps entre les nations.
L’approbation qui nous est refusée, nous la chercherons au besoin dans l’Internationale même à laquelle nous sommes attachés et qui est instruite aux leçons de l’expérience. En attendant et dès ce jour, jusqu’en octobre, nous soumettrons aux fédérations et à l’opinion publique le différend profond qui continue de nous diviser.
[Huées, applaudissements, bruit prolongé.]
Dans la crise du capitalisme et du socialisme, nous représentons une volonté agissante pour sauver la démocratie du désordre, les peuples du chaos et l’humanité de la guerre et nous sommes certains d’avoir avec nous l’opinion républicaine et, socialiste de ce pays.
[Applaudissements, huées, sifflets, L’Internationale est entonnée, ovations agitation générale et rassemblements épars, jusqu’à l’arrivée du chef de la motion victorieuse au congrès, Paul Faure, qui prend la parole.]
Cette ambiance électrique témoigne du conflit immense au sein d’une SFIO qui, par son choix de refuser la crise générale du capitalisme, voyait au moment où celle-ci devenait prégnante, s’affronter ceux désireux de participer au gouvernement, à l’État, et ceux partisans d’un style « socialiste français » d’avant 1914.
Et il n’y avait pas d’issue en vue puisque le participationnisme était une conséquence logique de l’orientation non communiste de 1920 et que le principe socialiste était d’accepter toutes les tendances.
De fait, quand Marceau Pivert demanda dans la foulée l’exclusion des néo-socialistes, l’écrasante majorité du congrès n’accepta même pas de voter à ce sujet, malgré la situation. La commission des résolutions avait également initialement refusé la demande de Marceau Pivert.
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