Nous avons besoin du Parti matérialiste dialectique

Nous voulons ici exprimer une réflexion qui, à nos yeux, possède une valeur très importante, dans la mesure où elle souligne qu’il faut être inscrit dans son époque, afin d’avoir non pas seulement un sens historique, mais également une signification sur le long terme.

Autrement dit, nous sommes au 21e siècle et celui-ci se transforme à très grande vitesse depuis 2020. Il est donc impossible d’en rester à des manières anciennes de voir les choses. Le nouveau chasse l’ancien, c’est la loi même du mouvement des choses.

Lorsqu’on est porté par un élan historique, l’aspect principal a d’autant plus d’importance et on possède alors vraiment les défauts de ses qualités. C’est ce qui explique que Karl Marx et Friedrich Engels, lorsqu’ils comprennent sur le long terme les modes de production et la dialectique de la Nature sur le très long terme, envisagent le succès des luttes de classe du prolétariat à relativement court terme.

On raisonnait alors en termes d’années, avec une visibilité sur quelques décennies. Cela contraste avec la compréhension des modes de production sur des millénaires et de la dialectique de la Nature sur des centaines de milliers, des millions d’années.

Chez Lénine, c’est également vrai, mais dans une moindre mesure. La fondation de l’Internationale Communiste en 1919 amenait initialement à envisager la victoire de la révolution mondiale en quelques années, puis rapidement il fut raisonné en termes de décennies.

Par contre, les conceptions scientifiques de l’URSS de Staline analysaient déjà les phénomènes sur le très long terme, que ce soit en cosmologie, en histoire, en physique, en chimie, etc. La conception soviétique du voyage spatial, de la conquête de l’espace par l’humanité, élaborée par Constantin Tsiolkovsky ressort de cette lecture au long cours, tout comme la compréhension par Vladimir Vernadsky de la planète Terre comme « Biosphère » façonnée par la vie pendant un temps immense.

Avec Mao Zedong, les choses connurent un saut qualitatif. Il fallait immédiatement raisonner en décennies et cette nouvelle lecture du rapport au temps s’inscrivait dans un approfondissement de la compréhension du rôle des mentalités, de la culture, de la vie quotidienne, des arts et des lettres.

C’est la raison pour laquelle a été développée en Chine la « révolution culturelle » comme accompagnatrice des phases d’intenses transformation. Il a dès le départ été considéré qu’il faudrait plusieurs révolutions culturelles pour avancer historiquement, dans le cadre du socialisme. On a là une lecture sur le très long terme.

Pour résumer :

* chez Karl Marx et Friedrich Engels, la révolution était conçue comme une révolte populaire de masse organisée par une classe ouvrière organisée en Parti (c’est la social-démocratie), avec une victoire à relativement court terme ;

* chez Lénine, la révolution était déclenchée dans chaque pays par un état-major mondial (l’Internationale Communiste) agençant les luttes de classes pour aller à la victoire dans les 5, 10, 15 ans ;

* chez Mao Zedong, l’affrontement entre révolution et contre-révolution continue même après une victoire, amenant à voir les choses en termes de décennies, voire à raisonner en siècles.

Le Parti Communiste de Chine constate la chose suivant dans ses statuts de 1973 :

« La société socialiste s’étend sur une assez longue période historique.

Tout au long de cette période existent les classes, les contradictions de classes et la lutte de classes, de même que la lutte entre la voie socialiste et la voie capitaliste, le danger d’une restauration du capitalisme, ainsi que la menace de subversion et d’agression de la part de l’impérialisme et du social-impérialisme.

Toutes ces contradictions ne peuvent être résolues que grâce à la théorie de la continuation de la révolution sous la dictature du prolétariat et à la pratique guidée par cette théorie.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine est précisément une grande révolution politique que le prolétariat mène, dans les conditions du socialisme, contre la bourgeoisie et toutes les autres classes exploiteuses, en vue de consolider la dictature du prolétariat et de prévenir la restauration du capitalisme.

Une telle révolution devra encore être menée à de nombreuses reprises dans l’avenir. »

Voici un bon résumé de la question des phases historiques, par le Parti Communiste du Pérou, en 1988 :

« Le Président Gonzalo nous dit que les trois moments du processus mondial d’élimination de l’impérialisme et de la réaction de la face de la terre sont :

1° Défense stratégique ;

2° Equilibre stratégique ;

et

3° Offensive stratégique de la révolution mondiale.

Il l’énonce en appliquant à la révolution la loi de la contradiction, car la contradiction existe en toutes choses et toute contradiction a deux aspects en lutte, dans ce cas révolution et contre-révolution.

La défense stratégique de la révolution mondiale, opposée à l’offensive de la contre-révolution, débute en 1871 avec la Commune de Paris et prend fin avec la Seconde Guerre Mondiale.

L’équilibre stratégique se situe autour du triomphe de la révolution chinoise, de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et du développement des puissants mouvements de libération nationale.

Postérieurement, la révolution passe à l’offensive stratégique ; on peut situer ce moment vers les années 80 quand nous distinguons des signes tels que la guerre Iran-Irak, l’Afghanistan, le Nicaragua, le début de la guerre populaire au Pérou, époque qui s’inscrit dans « les prochaines 50 à 100 années ».

A partir de là [c’est-à-dire la victoire sur l’impérialisme au niveau mondial] se développera la contradiction entre le capitalisme et le socialisme dont la solution nous mènera au communisme.

Nous concevons un processus long et non pas court, convaincus que nous arriverons au communisme, même si l’on doit connaître une série de détours et de revers qui se produiront nécessairement.

De plus, ce n’est pas étonnant que nous appliquions les trois moments à la révolution mondiale, car le Président Mao les a appliqués au processus de la guerre populaire prolongée.

Et, en tant que communistes, nous devons penser non seulement au moment présent mais aussi aux longues années à venir. » (La ligne internationale)

Tout cela est indéniablement juste.

Il existe une grande différence de conception entre le marxisme, le léninisme et le maoïsme au sujet du rapport entre le Parti, l’État, l’armée, l’école, les arts.

Karl Marx et Friedrich Engels n’ont pas accordé une place principale à ces thèmes. À leurs yeux, il s’agissait de phénomènes surtout secondaires par rapport à l’aspect principal qu’était la question du mode de production. Le travail énorme à réaliser à ce niveau ne leur a pas permis d’approfondir vraiment les autres thèmes, même s’il faut bien souligner que ces titans s’intéressaient à tout, conformément à l’esprit matérialiste.

La révolution russe d’octobre 1917 a été inversement confrontée à la nécessité d’établir des définitions les plus précises pour le Parti, l’État, l’armée, l’école, les arts. Rien que la définition de l’État a valu à Lénine non seulement de développer celle-ci, mais également de se confronter aux déformations opportunistes, révisionnistes d’une social-démocratie devenue réformiste.

La conception qui en a découlé est la suivante : le Parti est le dirigeant, comme grand accompagnateur. Il joue le rôle de grand frère ou de grande sœur, ou si l’on veut de « commissaire politique ».

L’État, l’armée, l’école, les arts… tout comme la culture en général et les sciences, existent donc en dehors du Parti, mais connaissent des interventions de celui-ci pour fixer les grandes orientations ou procéder à des rectifications, des corrections.

Avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine populaire, cette conception d’une action de l’extérieur est par contre remise en cause. Il a été considéré que tous ces domaines qui formaient des « royaumes indépendants » étaient autant de portes ouvertes à des conceptions hostiles au prolétariat, au socialisme.

Les communistes chinois profitaient également de l’expérience soviétique où les communistes devaient parfois intervenir en catastrophe, afin de rétablir la ligne rouge dans les arts ou les sciences, alors que se propageaient des conceptions capitalistes.

C’est pourquoi en Chine, la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne des années 1970, dans le prolongement de l’expérience des communes populaires des années 1960, a procédé à l’assimilation de l’État, de l’armée, de l’école, des arts, des sciences, de la culture.

Il fallait arrêter de concevoir de manière séparée les structures de l’État, de l’armée, de l’école, des arts, des sciences, de la culture. Il fallait trouver un moyen de relier tout cela : c’est là précisément l’esprit de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

Cela voulait dire que le Parti, après avoir procédé à une mise en forme des structures nouvelles à la suite de la révolution, ne pouvait plus se contenter d’un avis extérieur à ces domaines. Il devait porter lui-même tous ces domaines. Son rôle s’élargit.

Le Grande Révolution Culturelle Prolétarienne n’a ainsi pas seulement été une mobilisation populaire pour redresser le Parti face à la menace de trahison interne, mais également et surtout une généralisation de la vision communiste du monde à absolument tous les domaines, dans la considération que tout est lié à tout.

Dans les constitutions de l’URSS et des démocraties populaires (avant la mort de Staline), le Parti Communiste n’apparaît pas : il forme un levier lié à la société dans son ensemble, mais en tant qu’appareil extérieur.

La constitution chinoise de 1975 affirme inversement que :

« Article premier.

La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature du prolétariat, dirigé par la classe ouvrière et basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans.

Article 2.

Le parti communiste chinois est le noyau dirigeant du peuple chinois tout entier. La classe ouvrière exerce sa direction sur l’État par l’intermédiaire de son détachement d’avant-garde, le parti communiste chinois.

Le marxisme, le léninisme, la pensée Mao Zedong constituent le fondement théorique sur lequel notre État guide sa pensée. »

Il est donc établi que le Parti n’est pas là pour « pousser » à la révolution, en utilisant la lutte des classes comme « levier ». Son rôle dirigeant tient à sa dimension d’avant-garde : le Parti porte en lui le nouveau et rejette l’ancien, il ouvre la voie de l’avenir en l’incarnant, car il sait où il faut aller et comment, de par son propre vécu.

Cette dimension d’avant-garde n’est pas seulement politique, elle porte sur tous les domaines, même si naturellement la dimension politique est l’aspect principal, car il s’agit de mener la révolution, afin de pouvoir réaliser les changements, les transformations.

Le Parti de la révolution ne peut pas se disperser sur toutes les questions secondaires, il se focalise sur l’aspect principal : le renversement du mode de production. En même temps, il ne saurait « attendre » que la révolution ait eu lieu pour avoir un point de vue sur par exemple les arts ou l’école, car avoir un point de vue erroné à ce sujet, ou pas d’avis du tout, conduit à l’échec.

On ne peut en effet porter le socialisme, le communisme, si en certains domaines on se laisse emporter par la ligne noire. Tel est le grand enseignement de la révolution culturelle en Chine. La ligne rouge ne doit rien laisser passer et toucher tous les domaines.

Naturellement, cela ne veut pas dire qu’il faille passer au « gradualisme » et s’imaginer qu’il suffirait d’avoir des points de vue justes sur tout au sein du capitalisme pour parvenir à aller de manière « naturelle », évolutionniste, au socialisme. Tel était le point de vue du chef de la social-démocratie, Karl Kautsky, au début du 20e siècle, puis de tous les révisionnistes « révisant » le marxisme.

Mais cela ne veut pas dire pour autant que le Parti soit une simple structure d’accueil de contestataires qui désirent la « révolution » et qui ne portent eux-mêmes aucun contenu révolutionnaire.

La révolution n’est pas une forme, c’est un contenu. Les valeurs révolutionnaires s’incarnent : tel est l’enseignement de la révolution culturelle en Chine.

Bien sûr, les communistes ont toujours porté une grande attention au style de vie, à la morale des membres du Parti.

Néanmoins, il ne s’agit pas seulement d’être correct, mais bien d’être en phase avec l’esprit du changement historique. Comme nous sommes en France, nous pouvons résumer ici facilement cette conception en disant que si pour arriver à 1789 il y avait une séparation entre les Lumières et les forces politiques bourgeoises, la révolution socialiste implique par contre que ce soit le Parti qui porte les nouvelles Lumières.

La société française a totalement changé en 2020, avec l’ouverture de ce que nous considérons comme une crise générale du capitalisme au niveau mondial, où la tendance au repartage militaire du monde devient prédominante.

Partant de là, si on veut affirmer un esprit des « Lumières » du 21e siècle, il faut partir de cette nouvelle séquence dans tout ce qu’on fait, en n’ayant aucun fétichisme pour le passé.

Notre passé politique est le suivant : au début des années 2000 nous avons signé « pour le Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste », puis nous sommes passés à Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste et enfin à Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste).

Cela reflète la tentative qui a été la nôtre de profiter du passé maoïste français des années 1960-1970 pour réaffirmer que l’option du maoïsme était la seule viable. Plus les années ont passé et plus la dimension programmatique, idéologique, culturelle nous est apparue comme essentielle.

Car il ne s’agit pas de se poser comme fraction d’une révolte existante : il n’y a en fait strictement plus rien et tout est à reconstruire. Il faut oser le dire : la première vague de la révolution mondiale, commencée en 1917, a été battue.

Soit on dit qu’il faut la prolonger, la continuer, en rectifiant le tir (ce que nous avons fait avant 2020 grosso modo), soit on dit que l’on est dans une nouvelle époque. Ce n’est pas que le capitalisme a changé, c’est que ses modalités ne sont plus les mêmes ; la réalité des pays elle aussi a changé.

Il ne faut pas se voiler la face non plus : le capitalisme a incroyablement profité de la chute en 1989 du bloc dirigé par le social-impérialisme soviétique, ainsi que de l’intégration de la Chine dans le marché mondial. De 1989 à 2020, le capitalisme a connu une incroyable expansion, rendant impossible toute avancée révolutionnaire réelle. Il suffit de constater le développement massif des forces productives dans le monde entier.

Avec 2020, tout change, l’expansion du capitalisme a rencontré sa limite et désormais tous les pays cherchent à se replacer sur la carte mondiale, au moyen de l’affrontement militaire. On ne peut donc pas simplement re-proposer ou proposer de faire mieux, ou se contenter d’affirmer une simple continuité sur le plan des idées, des valeurs, des conceptions. Il y a la nécessité de passer une étape historique, imposant une rupture.

C’est donc le moment de dire : on a compris le passé, on comprend ce qui se passe, voilà comment on pose la solution aux problèmes.

Le marxisme-léninisme-maoïsme est l’idéologie du prolétariat, il ne peut en être qu’ainsi, mais parler de marxisme-léninisme-maoïsme, c’est politiquement affirmer le 20e siècle et non le 21e. C’est là un problème fondamental pour faire passer un message.

Il est évident que pour les gens au 21e siècle, on ne peut pas avoir l’air de vouloir comme modèles des sociétés du 20e siècle. Sur le fond, les gens ont tort, car ils devraient regarder la substance de ces « modèles » ; en pratique, ils souffrent pourtant déjà à comprendre leur propre époque, alors on ne peut pas s’aventurer à vouloir leur expliquer le 20e siècle de long en large.

C’est d’autant plus vrai que le 20e siècle sera compris justement par le prisme des avancées du 21e siècle. C’est par la compréhension matérialiste dialectique de la France au 21e siècle qu’on comprendra l’URSS et la Chine populaire du 20e siècle, et non pas le contraire.

Ce qui joue ici, c’est notre insistance sur la socialisation. Il ne sert à rien d’être « radical » si c’est pour être hors-sol, tout comme il n’est pas utile d’être présent dans la société française si c’est pour être intégré, désintégré par le capitalisme.

C’est pourquoi nous pensons que « Parti matérialiste dialectique » est en phase avec notre époque et ses attentes, plus que Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste), même si cela revient substantiellement au même.

C’est un pas nécessaire, non pas cosmétique, mais exprimant que le nouveau chasse l’ancien, qu’il faut entièrement assumer le nouveau et ne pas faire un fétichisme de l’ancien. Tel est notre souci de ne pas nous faire piéger par la contre-révolution, qui propose des « balles enrobées de sucre » tels des postes ou des emplois « dorés » ou bien des cultes sectaires sur la base de caricatures d’expériences du passé.

Nous sommes des scientifiques, pas des prédicateurs et autres gourous des réseaux sociaux, et c’est par la science que nous l’emporterons sur le capitalisme, pour arriver au Communisme à travers la guerre populaire et les révolutions culturelles.

Voici quatre idées marquantes pour saisir notre manière de voir les choses.

a) Shein, Ikea, Google, Vinted, Facebook… représentant des socialisations, une expression de collectivisme… mais au sein du capitalisme. La bourgeoisie a été contrainte dans son capitalisme de tendre aux monopoles, avec une dimension mondiale. Cela se signifie une grande maturation vers la fusion de l’humanité dans une seule et même économie, de type socialiste. Cela implique également un renforcement paradoxal du capitalisme et une profonde aliénation.

b) Le prolétariat peut (et va) se saisir plus facilement de la science qu’auparavant grâce aux formidables moyens matériels dont dispose l’humanité désormais. C’est une question de maturité. Mais pour que cette saisie soit opérationnelle, il faut ne pas se disperser, par exemple en jetant un regard trop fort vers le passé, et il faut aussi parvenir à proposer une rupture subjective pour qu’il y ait un décrochage avec les mentalités capitalistes. C’est pourquoi nous nous focalisons en pratique précisément sur la question de la subjectivité révolutionnaire.

c) On a cru trop longtemps que la révolution socialiste était le renversement d’une classe par une autre sous la direction du prolétariat et qu’on arriverait à la fin de l’histoire. La révolution, c’est en réalité le début de l’humanité au niveau du matérialisme dialectique. Et le communisme, bien loin d’être une simple répartition, est ainsi la résolution des contradictions nées de l’affirmation historique de l’humanité, du néolithique : l’enjeu n’est rien d’autre que de trouver notre place en tant qu’espèce, de dépasser le passé pour établir un rapport productif avec la planète comme Biosphère (puis au Cosmos).

d) Le Parti ne se résume pas à un vecteur politique réalisant une proposition stratégique ; il doit être un moteur idéologique et scientifique formant une base dont la portée est justement par-là même politique et culturelle. Il exprime de manière incarnée une conception du monde tout autant qu’il la propose. Il porte en lui la résolution des contradictions historiques manuel/intellectuel, villes/campagnes, théorie/pratique, à travers le passage nécessaire à une forme supérieure de développement.

Guerre populaire jusqu’au Communisme !

Décembre 2023