Paul Boccara et la production nationale

Paul Boccara n’a cessé de mettre en avant, et le PCF avec lui, que seule la classe ouvrière peut sauver l’existence d’une production industrielle. Si ce n’était pas effectué, le capital financier engloutirait tout (ce qui est naturellement une abstraction théorique complète, niant l’existence du profit, de la production pour le profit, etc.).

C’est cela qui explique – même si cette théorie ne vise en fait en réalité qu’à justifier le social-chauvinisme de l’aristocratie ouvrière – le discours nationaliste du PCF sur la production nationale.

L’utilisation systématique des couleurs tricolores, les références à la nation, au pays, etc., tout cela relève de cette idéologie où la production industrielle nationale ferait face à la prédation d’un capitalisme financier issu de la surproduction absolue de capital.

Le PCF et la CGT seraient les seuls gestionnaires potentiellement à la hauteur ; voici ce que Paul Boccara dit en 1982, dans la revue Économie et Politique, dans l’article Luttes pour la production nationale et utilisation de critères nouveaux :

« Les luttes de la classe ouvrière et de toutes les catégories de travailleurs pour développer la production nationale et l’emploi en quantité et en qualité sont à l’ordre du jour.

Afin d’engager ces luttes de façon efficace avec des résultats tangibles et durables l’utilisation de nouveaux critères de gestion devrait permettre de s’attaquer graduellement, de façon constructive et cohérente aux pratiques profondément enracinées qui ont conduit aux déficits extérieurs records actuels et qui persistent en faisant obstacle à un nouveau type de croissance. »

Les économistes du PCF organisèrent donc de très nombreux débats, avec des socialistes mais aussi des patrons, pour débattre, discuter des améliorations possibles, proposer des solutions, etc.

En janvier 1974 fut par exemple organisé par les Éditions sociales, liées au PCF, un débat à la Mutualité, à Paris, à l’occasion de la sortie de l’ouvrage de Paul Boccara intitulé Études sur le capitalisme monopoliste d’État, sa crise et son issue.

Furent présents, en plus de l’auteur et outre un public de mille personnes, le rédacteur en chef adjoint du Figaro Michel Bassi, l’éditorialiste d’Europe 1 Jean-François Kahn, ainsi que Roger Priouet, éditorialiste à L’Express et chroniqueur à RTL ; présidèrent deux membres du Comité Central du PCF, Lucie Sève à la tête des Éditions sociales, et Jean Fabre, directeur politique de la revue Économie et Politique.

Autre exemple : en décembre 1982, le PCF organisa un colloque au sujet des nouveaux « critères » de gestion, invitant des dirigeants d’entreprises et de banques, des responsables socialistes dont celui de la commission économique du Parti socialiste, Dominique Strauss-Kahn.

Les années 1980 furent en fait l’apogée d’une telle orientation. Économie et Politique, une revue très technique, très spécialisée, formant les cadres boccaristes (en plus des formations internes au PCF), avait 3 000 abonnés en 1975, 6 000 en 1985, 10 000 en 1990. Le PCF et la CGT sont indissociables du capitalisme industriel des années 1980.

Voici un exemple de la prose de Paul Boccara d’alors à ce sujet, dans Économie et Politique en 1982 :

« Je voudrais soumettre au débat les propositions nouvelles des économistes communistes concernant de nouveaux critères de gestion des entreprises publiques et aussi des entreprises privées pour contribuer à sortir de la crise (…).

Dans la situation politique actuelle en France, l’exigence de nouveaux critères de gestion grandit tout particulièrement.

En effet, les contradictions s’aiguisent entre, d’une part, les intentions et les efforts d’intervention publique nouvelle en faveur de l’emploi, du pouvoir d’achat, des consommations sociales et de la démocratie économique et, d’autre part, la domination des critères de rentabilité financière aux plans national et international sur la gestion des entreprises privées et publiques, et, par elles, sur l’économie et la société globales (…).

La recherche de l’élévation du profit favorise une substitution trop coûteuse des moyens matériels aux travailleurs salariés et le gâchis des moyens matériels. Les moyens matériels peuvent d’ailleurs constituer la base de fortunes privées.

En outre, la crise de productivité et de débouchés pousse à une accumulation financière croissante au détriment de la production et à la recherche des profits de plus en plus financiers.

Inversement les économies en capital permettent d’augmenter la portion de valeur ajoutée disponible pour les salaires et les prélèvements sociaux ou Valeur Ajoutée disponible pour les travailleurs et la société. »

Il y aurait donc d’un côté le capitalisme financier, de l’autre l’emploi et la production nationale. La bataille pour l’emploi et la production nationale serait donc, en soi, une confrontation directe avec la forme la plus agressive de capitalisme, et donc avec le capitalisme lui-même.

Ce qui est du simple réformisme se voit aussi auréolé du statut de quasi transition au socialisme !

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