Quelques mois à peine après la réunification de la CGT dans la clandestinité, les tenants du « syndicalisme libre » organisèrent, en août 1943, le journal Résistance Ouvrière. On y trouve trois types de gens :
– les tenants du syndicalisme libre à la Léon Jouhaux, comme Robert Bothereau et Neumeyer ;
– d’importantes figures socialistes, comme Albert Gazier, Oreste Capocci et Gérard Ouradou ;
– des syndicalistes révolutionnaires, comme André Lucot.
Le sous-titre de Résistance Ouvrière était Hebdomadaire du Comité d’Étude et de Documentation Économique et Syndicale. Le journal devient, le 20 décembre 1945, Force Ouvrière, avec comme sous-titre Hier Résistance Ouvrière – Aujourd’hui Force.
L’éditorial précise bien :
« Force Ouvrière n’est pas un journal nouveau. Il est la continuation de « Résistance Ouvrière ». »
Le changement de ce sous-titre marque toute l’évolution aboutissant à la naissance de la CGT – Force Ouvrière.
En octobre 1947, le sous-titre change en effet de nouveau et devient : FO défend la CGT contre toute emprise politique.
Il y aura au total 119 numéros de Force Ouvrière jusqu’à la scission, le numéro 120 devenant l’organe du nouveau syndicat, avec comme sous-titre :
« Pour la liberté et l’indépendance syndicale »
C’est-à-dire qu’on a au départ un groupe ne faisant que se regrouper, pour ensuite chercher à s’opposer à la politique dans la CGT, pour finalement revendiquer à la fois le « syndicalisme libre » et l’anticommunisme.
La rhétorique anti-communiste de la CGT-FO va en effet être systématique et une composante centrale de son identité.
Quelles ont été les étapes du processus ? Initialement, les partisans du « syndicalisme libre » sont paralysés en 1945. Ils sont éparpillés, certains ont collaboré, dans tous les cas ils sont en échec total.
C’est que la charte d’Amiens a beau être la référence partagée, la tendance à converger avec la ligne du Parti Communiste Français l’emporte. La CGT est le grand syndicat des travailleurs, avec cinq millions de membres, une unité déterminée : Benoît Frachon, du PCF et faisant office de dirigeant, lors de la remise de son rapport au 26e congrès de la CGT les 8-12 avril 1946, obtient un appui par 84,4 % des voix.
Et elle a des succès concrets, tangibles. Aux élections à la Sécurité Sociale, la CGT a 59 % des voix, contre 26 % des voix pour la CFTC liée à l’Église catholique. La grève du mardi 25 mars 1947, pour la baisse des prix et la paix au Vietnam, rassemble un million de personnes en France, dont 500 000 à Paris et 180 000 à Lyon.
Les masses passent du côté du PCF et comme seuls les syndicats de plus de 5000 membres ont droit de cité, la CGT a une orientation très nette. Au congrès de la CGT d’avril 1946, cette tendance pro-communiste représente 80 % des délégués, alors qu’électoralement le PCF représente même 29 % des voix aux élections nationales, étant le principal parti.
Pour les tenants du syndicalisme libre, structurés dans Résistance Ouvrière devenue Force Ouvrière, il s’agit de faire le dos rond et d’attendre le moment opportun.