Sacrifice : mimétisme ou dialectique du fétichisme du sang versé

Lorsqu’on s’intéresse aux sociétés humaines, on remarque forcément qu’il y a ce qui apparaît comme une tendance au mimétisme. L’argument classique qui revient ici est qu’on retrouve cela chez les primates.

Une autre découverte relative à cela, très importante, consiste en les neurones miroirs. Ce sont des neurones qui s’activent lorsqu’un macaque fait une chose et voit un autre macaque faire de même. Voici des précisions fournies par Giacomo Rizzolatti lors d’une communication à l’Académie des Sciences – Institut de France ; c’est lui qui a le premier découvert ces neurones.

« Les neurones miroirs constituent une classe particulière de neurones initialement identifiés dans le cortex précentral du macaque.

Leur caractéristique principale est de s’activer aussi bien lorsque le singe effectue une action spécifique ou lorsqu’il observe un autre individu en train d’exécuter la même action.

Ainsi un tel neurone s’active quand le singe saisit un objet donné, ou lorsqu’il voit l’expérimentateur saisir le même objet.

Certains de ces neurones sont très spécifiques, ne s’activant que si les deux mouvements, saisie observée et saisie exécutée, sont réalisés de la même façon.

Récemment, des neurones aux propriétés miroirs ont également été localisés dans le lobule pariétal inférieur, une zone anatomiquement connectée au cortex prémoteur ventral. Des données neurophysiologiques (EEG, MEG, TMS) ainsi que d’imagerie cérébrale (TEP, IRMf) ont apporté de solides arguments en faveur de l’existence d’un système de neurones miroirs chez le sujet humain. »

Mais il ne s’agit pas de mimétisme. La matière est tout ce qui compose l’univers et tout se fait écho, de manière ininterrompue et de manière inégale également. Les êtres humains sont eux-mêmes de la matière et ils ne sont eux-mêmes qu’une forme d’écho, réagissant à des échos et provoquant des échos.

Dans cette soupe infinie, l’humanité n’est qu’une facette du développement général et éternel de la matière infinie.

Le rapport avec le sacrifice est le suivant. Le sacrifice est une forme de fétichisme. Le meurtre a un impact extrêmement puissant sur les esprits humains en formation et a provoqué un trouble très profond, un fétichisme.

Ici, le rapport au sang est essentiel. Il y a la projection violente de sang, d’un sang lié à la vie (contrairement à quand on meurt de vieillesse, où le sang ne coule pas, ne coule plus).

Les rituels rassemblant les êtres humains devaient transcender leurs positions particulières. En ce sens, les premiers rituels passaient par l’utilisation de psychotropes, de versement du sang d’un être vivant, expériences qui à la fois rassemblent et choquent, unissent et traumatisent, scellant d’une certaine manière un pacte d’unité.

Sacrifice pour Kali en Inde, 19e siècle

L’être humain a fait un fétiche de verser le sang, car son esprit était horrifié et en même temps exprimait une position de force, dans le cadre du mode de production patriarcale.

Il y a une dialectique de la fascination et de l’horreur, de la force et de la faiblesse, du particulier et de l’universel.

On doit même considérer que les sacrifices étaient menés initialement collectivement, seule manière d’unifier et de célébrer en commun au plus profond de soi. On trouve chez les Amérindiens cette forme d’expression sacrificielle collective.

Ces horribles massacres pouvaient se prolonger et atteignaient un raffinement pervers. Les Amérindiens Comanches, notamment, pouvaient enterrer des prisonniers en ne laissant que la tête de libre, pour arracher les paupières, afin que le soleil brûle les yeux jusqu’à la mort par soif et par faim.

Il y avait également la castration des hommes, le sexe étant placé dans la bouche ensuite recousu, le captif étant laissé sur un nid de fourmis rouges. Parfois les mains et les pieds étaient brûlés, la partie brûlée était amputée et l’opération était recommencée, les captifs ayant eu au préalable la langue coupée et la tête scalpée.

Les viols collectifs des femmes étaient accompagnés de lacérations et de brûlures, etc. La pratique était courante d’écorcher vif, puis de brûler lentement le corps, etc. Et tous ces processus étaient menés de manière collective, ayant une portée mystico-religieuse.

Mais on parle ici d’une confédération de clans dont le développement était fondamentalement arriéré. On est ici au 19e siècle, et pourtant dans un passé déjà plus que lointain pour la plus grande partie de l’humanité.

C’est qu’il ne faut jamais perdre de vue le développement inégal. D’un côté, cela trouble la lecture des choses, de l’autre cela aide à saisir le mouvement historique. Ici, les Comanches se comportaient comme l’humanité se comportait lorsqu’elle était divisée en clans patriarcaux primitifs vivant sur le tas.

C’est en ce sens que le sang versé est un fétiche, l’humanité s’est focalisée, bloquée sur ce phénomène, et l’écho provoqué au sein des êtres humains a amené la ritualisation du processus.

Et c’est là où il faut comprendre la dialectique du sang versé. L’humanité fonctionne en écho, elle reçoit des échos de sa propre réalité dans son environnement. Tant qu’il n’y a pas de saut qualitatif dans ce processus d’échos, il n’y a pas de rupture dans sa conscience, ses activités.

Il fallait que le sang versé, fétichisé comme sacrifice et instauré comme rituel, connaisse un changement majeur dans son expression, pour qu’il soit dépassé. Il fallait qu’il se confronte à sa propre négation, qui ne pouvait elle-même être que produite par la situation historique alors en place.

C’est en ce sens qu’il faut voir la signification du sang versé par rapport à l’agriculture et à la domestication des animaux. Car ce sont là les deux tendances à l’œuvre dans l’humanité.

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