Thèses et additions sur les questions nationale et coloniale du second congrès de l’Internationale communiste

A. — Thèses

1. La position abstraite et formelle de la question de l’égalité — l’égalité des nationalités y étant incluse — est propre à la démocratie bourgeoise sous la forme de l’égalité des personnes, en général ; la démocratie bourgeoise proclame l’égalité formelle ou juridique du prolétaire, de l’exploiteur et de l’exploité, induisant ainsi les classes opprimées dans la plus profonde erreur. L’idée d’égalité, qui n’était que le reflet des rapports créés par la production pour le négoce, devient, entre les mains de la bourgeoisie, une arme contre l’abolition des classes combattue désormais au nom de l’égalité absolue des personnalités humaines. Quant à la signification véritable de la revendication égalitaire, elle ne réside que dans la volonté d’abolir les classes.

2. Conformément à son but essentiel — la lutte contre la démocratie bourgeoise, dont il s’agit de démasquer l’hypocrisie — le Parti communiste, interprète conscient du prolétariat en lutte contre le joug de la bourgeoisie, doit considérer comme formant la clef de voûte de la question nationale, non des principes abstraits et formels, mais :

une notion claire des circonstances historiques et économiques ;

la dissociation précise des intérêts des classes opprimées, des travailleurs, des exploités, par rapport à la conception générale des soi-disant intérêts nationaux, qui signifient en réalité ceux des classes dominantes ;

la division tout aussi nette et précise des nations opprimées, dépendantes, protégées — et oppressives et exploiteuses, jouissant de tous les droits, contrairement à l’hypocrisie bourgeoise et démocratique qui dissimule, avec soin, l’asservissement (propre à l’époque du capital financier de l’impérialisme) par la puissance financière et colonisatrice, de l’immense majorité des populations du globe à une minorité de riches pays capitalistes.

3. La guerre impérialiste de 1914-1918 a mis en évidence devant toutes les nations et toutes les classes opprimées du monde la duperie des phraséologies démocratiques et bourgeoises — le traité de Versailles, dicté par les fameuses démocraties occidentales, ne faisant que sanctionner, à l’égard des nations faibles, des violences plus lâches et plus cyniques encore que celles des junkers et du kaiser à Brest-Litovsk. La Ligue des Nations et la politique de l’Entente dans leur ensemble ne font que confirmer ce fait et développer l’action révolutionnaire du prolétariat des pays avancés et des masses laborieuses des pays colonisés ou assujettis, hâtant ainsi la banqueroute des illusions nationales de la petite-bourgeoise, quant à la possibilité d’un paisible voisinage et d’une égalité véritable des nations, sous le régime capitaliste.

4. Il résulte de ce qui précède que la pierre angulaire de la politique de l’Internationale Communiste, dans les questions coloniale et nationale, doit être le rapprochement des prolétaires et des travailleurs de toutes les nations et de tous les pays pour la lutte commune contre les possédants et la bourgeoisie. Car ce rapprochement est la seule garantie de notre victoire sur le capitalisme, sans laquelle ne peuvent être abolies ni les oppressions nationales, ni l’inégalité.

5. La conjoncture politique mondiale actuelle met à l’ordre du jour la dictature du prolétariat ; et tous les événements de la politique mondiale se concentrent inévitablement autour d’un centre de gravité : la lutte de la bourgeoisie internationale contre la République des Soviets, qui doit grouper autour d’elle d’une part les mouvements soviétiques des travailleurs avancés de tous les pays, de l’autre tous les mouvements émancipateurs nationaux des colonies et des nationalités opprimées qu’une expérience amère a convaincues qu’il n’est pas de salut, pour elles, en dehors d’une alliance avec le prolétariat révolutionnaire et avec le pouvoir soviétique victorieux de l’impérialisme mondial.

6. On ne peut donc plus se borner à reconnaître ou proclamer le rapprochement des travailleurs de tous les pays. Il est désormais nécessaire de poursuivre la réalisation de l’union la plus étroite de tous les mouvements émancipateurs nationaux et coloniaux avec la Russie des Soviets, en donnant à cette union des formes correspondantes au degré d’évolution du mouvement prolétarien parmi le prolétariat de chaque pays, ou du mouvement émancipateur démocrate bourgeois parmi les ouvriers et les paysans des pays arriérés ou de nationalités arriérées.

7. Le principe fédératif nous apparaît comme une forme transitoire vers l’unité complète des travailleurs de tous les pays. Le principe fédératif a déjà montré pratiquement sa conformité au but poursuivi, tant au cours des relations entre la République Socialiste Fédérative des Soviets russes et les autres républiques des Soviets (hongroise, finlandaise, lettone, par le passé ; azerbaïdjane et ukrainienne, présentement), qu’au sein même de la République russe, à l’égard de nationalités qui n’avaient auparavant ni État, ni existence autonome (exemple les républiques autonomes des Bashkirs et des Tartares, créées en Russie soviétique en 1919 et 1920).

8. La tâche de l’Internationale Communiste est d’étudier et de vérifier l’expérience (et le développement ultérieur) de ces nouvelles fédérations basées sur la forme soviétique et sur le mouvement soviétique. Considérant la fédération comme une forme transitoire vers l’unité complète, il nous est nécessaire de tendre à une union fédérative de plus en plus étroite, en tenant compte :

1. de l’impossibilité de défendre, sans la plus étroite union entre elles, les républiques soviétiques entourées d’ennemis impérialistes infiniment supérieurs par leur puissance militaire ;

2. de la nécessité d’une étroite union économique des républiques soviétiques, sans laquelle la réédification des forces productrices détruites par l’impérialisme, la sécurité et le bien-être des travailleurs ne peuvent être assurés ;

3. de la tendance à la réalisation d’un plan économique universel dont l’application régulière serait contrôlée par le prolétariat de tous les pays, tendance qui s’est manifestée avec évidence sous le régime capitaliste et doit certainement continuer son développement et arriver à la perfection par le régime socialiste.

9. Dans le domaine des rapports sociaux à l’intérieur des États constitués, l’Internationale Communiste ne peut se borner à la reconnaissance formelle, purement officielle et sans conséquences pratiques, de l’égalité des nations, dont se contentent les démocrates bourgeois qui s’intitulent socialistes.

Il ne suffit pas de dénoncer inlassablement dans toute la propagande et l’agitation des Partis communistes — et du haut de la tribune parlementaire comme en dehors d’elle — les violations constantes du principe de l’égalité des nationalités et des droits des minorités nationales, dans tous les États capitalistes (et en dépit de leurs « constitutions » démocratiques) ; il faut aussi démontrer sans cesse que le gouvernement des Soviets seul peut réaliser l’égalité des nationalités en unissant les prolétaires d’abord, l’ensemble des travailleurs ensuite, dans la lutte contre la bourgeoisie ; il faut aussi démontrer que le régime des Soviets assure un concours direct, par l’intermédiaire du Parti communiste, à tous les mouvements révolutionnaires des pays dépendants ou lésés dans leurs droits (par exemple, l’Irlande, les noirs d’Amérique, etc…) et des colonies.

Sans cette condition particulièrement importante de la lutte contre l’oppression des pays asservis ou colonisés, la reconnaissance officielle de leur droit à l’autonomie, n’est qu’une enseigne mensongère, comme nous le voyons par la 2e Internationale.

10. C’est la pratique habituelle non seulement des partis du centre de la 2e Internationale, mais aussi de ceux qui ont abandonné cette Internationale pour reconnaître l’internationalisme en paroles et pour lui substituer en réalité, dans la propagande, l’agitation et la pratique, le nationalisme et le pacifisme des petits-bourgeois. Cela se voit aussi parmi les partis qui s’intitulent maintenant communistes. La lutte contre ce mal et contre les préjugés petits-bourgeois les plus profondément ancrés (se manifestant sous des formes variées, telles que la haine des races, l’antagonisme national et l’antisémitisme) acquiert une importance d’autant plus grande que le problème de la transformation de la dictature prolétarienne nationale (qui n’existe que dans un pays et qui, par conséquent, est incapable d’exercer une influence sur la politique mondiale) en dictature prolétarienne internationale (celle que réaliseraient au moins plusieurs pays avancés et qui seraient capables d’exercer une influence décisive sur la politique mondiale) devient plus actuel. Le nationalisme petit-bourgeois restreint l’internationalisme à la reconnaissance du principe d’égalité des nations et (sans insister davantage sur son caractère purement verbal) conserve intact l’égoïsme national tandis que l’internationalisme prolétarien exige :

1. La subordination des intérêts de la lutte prolétarienne dans un pays à l’intérêt de cette lutte dans le monde entier ;

2. De la part des nations qui ont vaincu la bourgeoisie, le consentement aux plus grands sacrifices nationaux en vue du renversement du capital international. Dans le pays où le capitalisme atteint déjà son développement complet, où existent les partis ouvriers formant l’avant-garde du prolétariat, la lutte contre les déformations opportunistes et pacifistes de l’internationalisme, par la petite-bourgeoise, est donc un devoir immédiat des plus importants.

11. À l’égard des États et des pays les plus arriérés, où prédominent des institutions féodales ou patriarcales rurales, il convient d’avoir en vue :

1. La nécessité du concours de tous les partis communistes aux mouvements révolutionnaires d’émancipation dans ces pays, concours qui doit être véritablement actif et dont la forme doit être déterminée par le Parti communiste du pays, s’il en existe un. L’obligation de soutenir activement ce mouvement incombe naturellement en premier lieu aux travailleurs de la métropole ou du pays, dans la dépendance financière duquel se trouve le peuple en question ;

2. La nécessité de combattre l’influence réactionnaire et moyenâgeuse du clergé, des missions chrétiennes et autres éléments ;

3. Il est aussi nécessaire de combattre le panislamisme, le panasiatisme et autres mouvements similaires qui tâchent d’utiliser la lutte émancipatrice contre l’impérialisme européen et américain pour rendre plus fort le pouvoir des impérialistes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires fonciers, du clergé, etc… ;

4. Il est d’une importance toute spéciale de soutenir le mouvement paysan des pays arriérés contre les propriétaires fonciers, contre les survivances ou les manifestations de l’esprit féodal ; on doit avant tout s’efforcer de donner au mouvement paysan un caractère révolutionnaire, d’organiser partout où il est possible. Les paysans et tous les opprimés en Soviets et ainsi de créer une liaison très étroite du prolétariat communiste européen et du mouvement révolutionnaire paysan de l’Orient, des colonies, et des pays arriérés en général ;

5. Il est nécessaire de combattre énergiquement les tentatives faites par des mouvements émancipateurs qui ne sont en réalité ni communistes, ni révolutionnaires, pour arborer les couleurs communistes ; l’Internationale Communiste ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, qu’à la condition que les éléments des plus purs partis communistes — et communistes en fait — soient groupés et instruits de leurs tâches particulières, c’est-à-dire de leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique. L’Internationale Communiste doit entrer en relations temporaires et former aussi des unions avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, sans toutefois jamais fusionner avec eux, et en conservant toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire ;

6. Il est nécessaire de dévoiler inlassablement aux masses laborieuses de tous les pays, et surtout des pays et des nations arriérées. La duperie organisée par les puissances impérialistes, avec l’aide des classes privilégiées dans les pays opprimés, lesquelles font semblant d’appeler à l’existence des États politiquement indépendants qui, en réalité, sont des vassaux — aux points de vue économique, financier et militaire. Comme exemple frappant des duperies pratiquées à l’égard de la classe des travailleurs dans les pays assujettis par les efforts combinés de l’impérialisme des Alliés et de la bourgeoisie de telle ou telle nation, nous pouvons citer l’affaire des sionistes en Palestine, où, sous prétexte de créer un État juif, en ce pays où les juifs sont en nombre insignifiant, le sionisme a livré la population indignée des travailleurs arabes à l’exploitation de l’Angleterre. Dans la conjoncture internationale actuelle, il n’y a pas de salut pour les peuples faibles et asservis hors de la fédération des républiques soviétiques.

12. L’opposition séculaire des petites nations et des colonies par les puissances impérialistes a fait naître, chez les masses laborieuses des pays opprimés, non seulement un sentiment de rancune envers les nations qui oppriment en général, mais encore un sentiment de défiance à l’égard du prolétariat des pays oppresseurs. L’infâme trahison des chefs officiels de la majorité socialiste en 1914-1919, alors que le socialisme chauvin qualifiait du nom de « défense nationale » la défense des « droits » de « sa bourgeoisie » à l’asservissement des colonies et à la mise en coupe réglée des pays financièrement dépendants, n’a pu qu’accroître cette défiance bien légitime. Ces préjugés ne pouvant disparaître qu’après la disparition du capitalisme et de l’impérialisme, dans les pays avancés, et après la transformation radicale de la vie économique des pays arriérés, leur extinction ne peut être que très lente, d’où le devoir, pour le prolétariat conscient de tous les pays, de se montrer particulièrement circonspect envers les survivances du sentiment national des pays opprimés depuis un temps très long, et de voir aussi à consentir à certaines concessions utiles en vue de hâter la disparition de ces préjugés et de cette défiance. La victoire sur le capitalisme est conditionnée par la bonne volonté d’entente du prolétariat d’abord et, ensuite, des masses laborieuses de tous les pays du monde et de toutes les nations.

B. — Thèses supplémentaires

1. La fixation exacte des relations de l’Internationale communiste et du mouvement révolutionnaire dans les pays qui sont dominés par l’impérialisme capitaliste, en particulier de la Chine, est une des questions les plus importantes pour le 2e Congrès de l’Internationale Communiste. La révolution mondiale entre dans une période pour laquelle une connaissance exacte de ces relations est nécessaire. La grande guerre européenne et ses résultats ont montré très clairement que les masses des pays assujettis en dehors de l’Europe sont liées d’une façon absolue au mouvement prolétarien d’Europe, et que c’est là une conséquence inévitable du capitalisme mondial centralisé.

2. Les colonies constituent une des principales sources des forces du capitalisme européen.

Sans la possession des grands marchés et des grands territoires d’exploitation dans les colonies, les puissances capitalistes d’Europe ne pourraient pas se maintenir longtemps.

L’Angleterre, forteresse de l’impérialisme, souffre de surproduction depuis plus d’un siècle. Ce n’est qu’en conquérant des territoires coloniaux, marchés supplémentaires pour la vente des produits de surproduction et sources de matières premières pour son industrie croissante, que l’Angleterre a réussi à maintenir, malgré ses charges, son régime capitaliste.

C’est par l’esclavage des centaines de millions d’habitants de l’Asie et de l’Afrique que l’impérialisme anglais est arrivé à maintenir jusqu’à présent le prolétariat britannique sous la domination bourgeoise.

3. La plus-value obtenue par l’exploitation des colonies, est un des appuis du capitalisme moderne. Aussi longtemps que cette source de bénéfices ne sera pas supprimée, il sera difficile à la classe ouvrière de vaincre le capitalisme.

Grâce à la possibilité d’exploiter intensément la main-d’œuvre et les sources naturelles de matières premières des colonies, les nations capitalistes d’Europe ont cherché, non sans succès, à éviter par ces moyens leur banqueroute imminente.

L’impérialisme européen a réussi dans ses propres pays à faire des concessions toujours plus grandes à l’aristocratie ouvrière. Tout en cherchant d’un côté à maintenir les conditions de vie des ouvriers dans les pays asservis à un niveau très bas, il ne recule devant aucun sacrifice et consent à sacrifier la plus-value dans ses propres pays, celle des colonies lui demeurant.

4. La suppression par la révolution prolétarienne de la puissance coloniale de l’Europe renversera le capitalisme européen. La révolution prolétarienne et la révolution des colonies doivent concourir, dans une certaine mesure, à l’issue victorieuse de la lutte. L’Internationale Communiste doit donc étendre le cercle de son activité. Elle doit nouer des relations avec les forces révolutionnaires qui sont à l’œuvre pour la destruction de l’impérialisme dans les pays économiquement et politiquement dominés.

5. L’Internationale Communiste concentre la volonté du prolétariat révolutionnaire mondial. Sa tâche est d’organiser la classe ouvrière du monde entier pour le renversement de l’ordre capitaliste et l’établissement du communisme.

L’Internationale Communiste est un instrument de lutte qui a pour tâche de grouper toutes les forces révolutionnaires du monde.

La 2e Internationale, dirigée par un groupe de politiciens et pénétrée de conceptions bourgeoises, n’a donné aucune importance à la question coloniale. Le monde n’existait pour elle que dans les limites de l’Europe. Elle n’a pas vu la nécessité de rattacher le mouvement révolutionnaire des autres continents. Au lieu de prêter une aide matérielle et morale au mouvement révolutionnaire des colonies, les membres de la 2e Internationale sont eux-mêmes devenus impérialistes.

6. L’impérialisme étranger qui pèse sur les peuples orientaux, les a empêchés de se développer socialement et économiquement, simultanément avec les classes de l’Europe et de l’Amérique.

Grâce à la politique impérialiste qui a entravé le développement industriel des colonies,une classe prolétarienne dans le sens propre de ce mot n’a pas pu y surgir, bien que, dans ces derniers temps, les métiers indigènes aient été détruits par la concurrence des produits des industries centralisées des pays impérialistes.

La conséquence en a été que la grosse majorité du peuple s’est trouvée rejetée dans la campagne et obligée de s’y consacrer au travail agricole et à la production de matières premières pour l’exportation.

La conséquence en a été une rapide concentration de la propriété agraire dans les mains soit des gros propriétaires fonciers, soit du capital financier, soit de l’État. De cette manière s’est créée une masse puissante de paysans sans terre. Et la grande masse de la population a été maintenue dans l’ignorance.

Le résultat de cette politique est que, dans ceux d’entre ces pays où l’esprit révolutionnaire se manifeste, il ne trouve son expression que dans la classe moyenne cultivée.

La domination étrangère entrave le libre développement des forces économiques. C’est pourquoi sa destruction est le premier pas de la révolution dans les colonies et c’est pourquoi l’aide apportée à la destruction de la domination étrangère dans les colonies n’est pas, en réalité, une aide apportée au mouvement nationaliste de la bourgeoisie indigène, mais l’ouverture du chemin pour le prolétariat opprimé lui-même.

7. Il existe dans les pays opprimés deux mouvements qui, chaque jour, se séparent de plus en plus : le premier est le mouvement bourgeois démocratique nationaliste qui a un programme d’indépendance politique et d’ordre bourgeois ; l’autre est celui des paysans et des ouvriers ignorants et pauvres pour leur émancipation de toute espèce d’exploitation.

Le premier tente de diriger le second et y a souvent réussi dans une certaine mesure. Mais l’Internationale Communiste et les partis adhérents doivent combattre cette tendance et chercher à développer les sentiments de classe indépendante dans les masses ouvrières des colonies.

L’une des plus grandes tâches à cette fin est la formation de partis communistes qui organisent les ouvriers et les paysans et les conduisent à la révolution et à l’établissement de la République soviétique.

8. Les forces du mouvement d’émancipation dans les colonies ne sont pas limitées au petit cercle du nationalisme bourgeois démocratique. Dans la plupart des colonies il y a déjà un mouvement social-révolutionnaire ou des partis communistes en relation étroite avec les masses ouvrières. Les relations de l’Internationale Communiste avec le mouvement révolutionnaire des colonies doivent servir ces partis ou ces groupes, car ils sont l’avant-garde de la classe ouvrière. S’ils sont faibles aujourd’hui, ils représentent cependant la volonté des masses et les masses les suivront dans la voie révolutionnaire. Les partis communistes des différents pays impérialistes doivent travailler en contact avec ces partis prolétariens dans les colonies et leur prêter une aide matérielle et morale.

9. La révolution dans les colonies, dans son premier stade, ne peut pas être une révolution communiste, mais si dès son début, la direction est aux mains d’une avant-garde communiste, les masses ne seront pas égarées et dans les différentes périodes du mouvement leur expérience révolutionnaire ne fera que grandir.

Ce serait certainement une grosse erreur que de vouloir appliquer immédiatement dans les pays orientaux à la question agraire, les principes communistes. Dans son premier stade, la révolution dans les colonies doit avoir un programme comportant des réformes petites-bourgeoises, telles que la répartition des terres. Mais il n’en découle pas nécessairement que la direction de la révolution doive être abandonnée à la démocratie bourgeoise. Le parti prolétarien doit au contraire développer une propagande puissante et systématique en faveur des Soviets, et organiser des Soviets de paysans et d’ouvriers. Ces Soviets devront travailler en étroite collaboration avec les républiques soviétiques des pays capitalistes avancés pour atteindre à la victoire finale sur le capitalisme dans le monde entier.

Ainsi les masses des pays arriérés, conduites par le prolétariat conscient des pays capitalistes développés, arriveront au communisme sans passer par les différents stades du développement capitaliste.

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de l’Internationale communiste

Résolution du second congrès de l’Internationale communiste sur le mouvement syndical, les comités de fabrique et d’usines

1. Les syndicats créés par la classe ouvrière pendant la période du développement pacifique du capitalisme représentaient des organisations ouvrières destinées à lutter pour la hausse des salaires ouvriers sur le marché du travail et l’amélioration des conditions du travail salarié. Les marxistes révolutionnaires furent obligés d’entrer en contact avec le Parti politique du prolétariat, le Parti social-démocrate, afin d’engager une lutte commune pour le Socialisme. Les mêmes raisons qui, à de rares exceptions près, avaient fait de la démocratie socialiste non une arme de la lutte révolutionnaire du prolétariat pour le renversement du capitalisme, mais une organisation entraînant l’effort révolutionnaire du prolétariat dans l’intérêt de la bourgeoisie, firent que, pendant la guerre, les syndicats se présentèrent le plus souvent en qualité d’éléments de l’appareil militaire de la bourgeoisie ; ils aidèrent cette dernière à exploiter la classe ouvrière avec la plus grande intensité et à faire mener la guerre de la manière la plus énergique, au nom des intérêts du capitalisme. N’englobant que les ouvriers spécialisés les mieux rétribués par les patrons, n’agissant que dans des limites corporatives très étroites, enchaînés par un appareil bureaucratique, complètement étranger aux masses trompées par leurs leaders opportunistes, les syndicats ont non seulement trahi la cause de la Révolution sociale, mais aussi celle de la lutte pour l’amélioration des conditions de la vie des ouvriers qu’ils avaient organisés. Ils ont abandonné le terrain de la lutte professionnelle contre les patrons et l’ont remplacé, coûte que coûte, par un programme de transactions aimables avec les capitalistes. Cette politique a été non seulement celle des Trade-Unions libérales en Angleterre et en Amérique, des syndicats libres, prétendument socialistes d’Allemagne et d’Autriche, mais aussi des Unions syndicales de France.

2. Les conséquences économiques de la guerre, la désorganisation complète du système économique du monde entier, la cherté affolante de la vie, l’exploitation la plus intense du travail des femmes et des enfants, la question de l’habitation, qui vont progressivement de mal en pis, tout cela pousse les masses prolétariennes dans la voie de la lutte contre le capitalisme. Par son caractère et par son envergure se dessinant plus nettement de jour en jour, ce combat devient une grande bataille révolutionnaire détruisant les bases générales du capitalisme. L’augmentation des salaires d’une catégorie quelconque d’ouvriers, arrachée aux patrons au prix d’une lutte économique acharnée, est réduite le lendemain à zéro par la hausse du coût de la vie. Or, la hausse des prix doit continuer, car la classe capitaliste des pays vainqueurs, tout en ruinant par sa politique d’exploitation l’Europe orientale et centrale, n’est pas en état d’organiser le système économique du monde entier ; elle le désorganise au contraire de plus en plus. Pour s’assurer le succès dans la lutte économique, les larges masses ouvrières qui demeuraient jusqu’à présent en dehors des syndicats y affluent maintenant. On constate dans tous les pays capitalistes une croissance prodigieuse des syndicats qui ne représentent plus maintenant l’organisation des seuls éléments avancés du prolétariat, mais celle de toute sa masse. En entrant dans les syndicats, les masses cherchent à en faire leur arme de combat. L’antagonisme des classes devenant toujours de plus en plus aigu force les syndicats à organiser des grèves dont la répercussion se fait sentir dans le monde capitaliste tout entier, en interrompant le processus de la production et de l’échange capitalistes. En augmentant leurs exigences à mesure qu’augmente le prix de la vie et qu’elles-mêmes s’épuisent de plus en plus, les masses ouvrières détruisent par cela même tout calcul capitaliste qui représente le fondement élémentaire d’une économie organisée. Les syndicats, qui étaient devenus pendant la guerre les organes de l’asservissement des masses ouvrières aux intérêts de la bourgeoisie, représentent maintenant les organes de la destruction du capitalisme.

3. Mais la vieille bureaucratie professionnelle et les anciennes formes de l’organisation syndicale entravent de toute manière cette transformation du caractère des syndicats. La vieille bureaucratie professionnelle cherche partout à faire garder aux syndicats leur caractère d’organisations de l’aristocratie ouvrière ; elle cherche à maintenir en vigueur les règles rendant impossible l’entrée des masses ouvrières mal payées dans les syndicats. La vieille bureaucratie syndicale s’efforce encore de remplacer le mouvement gréviste qui revêt chaque jour de plus en plus le caractère d’un conflit révolutionnaire entre la bourgeoisie et le prolétariat par une politique de contrats à long terme qui ont perdu toute signification en présence des variations fantastiques des prix. Elle cherche à imposer aux ouvriers la politique des communes ouvrières, des Conseils réunis de l’industrie (Joint Industrials Councils) et à entraver par la voie légale, grâce àl’aide de l’État capitaliste, l’expansion du mouvement gréviste. Aux moments critiques de la lutte, la bourgeoisie sème la discorde parmi les masses ouvrières militantes et empêche les actions isolées de différentes catégories d’ouvriers de fusionner dans une action de classe générale ; elle est soutenue dans ces tentatives par l’œuvre des anciennes organisations syndicales, morcelant les travailleurs d’une branche d’industrie en groupes professionnels artificiellement isolés, bien qu’ils soient tous rattachés les uns aux autres par le fait même de l’exploitation capitaliste. Elle s’appuie sur le pouvoir de la tradition idéologique de l’ancienne aristocratie ouvrière, bien que cette dernière soit sans cesse affaiblie par l’abolition des privilèges de divers groupes du prolétariat ; cette abolition s’explique par la décomposition générale du capitalisme, le nivellement de la situation de divers éléments de la classe ouvrière, l’égalisation de leurs besoins et leur manque de sécurité.

C’est de cette manière que la bureaucratie syndicale substitue de faibles ruisseaux au puissant courant du mouvement ouvrier, substitue des revendications partielles réformistes aux buts révolutionnaires généraux du mouvement et entrave d’une manière générale la transformation des efforts isolés du prolétariat en une lutte révolutionnaire unique tendant à la destruction du capitalisme.

4. Étant donnée la tendance prononcée des larges masses ouvrières à s’incorporer dans les syndicats, et considérant le caractère objectivement révolutionnaire de la lutte que ces masses soutiennent en dépit de la bureaucratie professionnelle, il importe que les communistes de tous les pays fassent partie des syndicats et travaillent à en faire des organes conscients de lutte pour le renversement du régime capitaliste et le triomphe du Communisme. Ils doivent prendre l’initiative de la création des syndicats partout où ces derniers n’existent pas encore.

Toute désertion volontaire du mouvement professionnel, toute tentative de création artificielle de syndicats qui ne serait pas déterminée par les violences excessives de la bureaucratie professionnelle (dissolution des filiales locales révolutionnaires syndicales par les centres opportunistes) ou par leur étroite politique aristocratique fermant aux grandes masses de travailleurs peu qualifiés l’entrée des organes syndicaux, présente un danger énorme pour le mouvement communiste. Elle écarte de la masse les ouvriers les plus avancés, les plus conscients, et les pousse vers les chefs opportunistes travaillant pour les intérêts de la bourgeoisie… Les hésitations des masses ouvrières, leur indécision politique et l’influence que possèdent sur eux les leaders opportunistes ne pourront être vaincus que par une lutte de plus en plus âpre dans la mesure où les couches profondes du prolétariat apprendront par expérience, par les leçons de leurs victoires et de leurs défaites, que jamais le système économique capitaliste ne leur permettra d’obtenir des conditions de vie humaines et supportables, dans la mesure où les travailleurs communistes avancés apprendront, par l’expérience de leur lutte économique, à être non seulement des propagandistes théoriques de l’idée communiste, mais aussi des meneurs résolus de l’action économique et syndicale. Ce n’est que de cette façon qu’il sera possible d’écarter des syndicats leurs leaders opportunistes, de mettre des communistes à la tête et d’en faire un organe de la lutte révolutionnaire pour le Communisme. Ce n’est que de cette manière qu’il sera possible d’arrêter la désagrégation des syndicats, de les remplacer par des Unions industrielles, d’écarter la bureaucratie étrangère aux masses et de lui substituer un organe formé par les représentants des ouvriers industriels (Betriebsvertreter) en n’abandonnant aux institutions centrales que les fonctions strictement nécessaires.

5. Comme les communistes attachent plus de prix au but et à la substance des syndicats qu’à leur forme, ils ne doivent pas hésiter devant les scissions qui pourraient se produire au sein des organisations syndicales si, pour les éviter, il était nécessaire d’abandonner le travail révolutionnaire, de se refuser à organiser la partie la plus exploitée du prolétariat. S’il arrive pourtant qu’une scission s’impose comme une nécessité absolue, on ne devra y recourir que possédant la certitude que les communistes réussiront par leur participation économique à convaincre les larges masses ouvrières, que la scission se justifie non par des considérations dictées par un but révolutionnaire encore très éloigné et vague, mais par les intérêts concrets immédiats de la classe ouvrière, correspondant aux nécessités de l’action économique. Dans le cas où une scission deviendrait inévitable, les communistes devraient accorder une grande attention à ce que cette scission ne les isole pas de la masse ouvrière.

6. Partout où la scission entre les tendances syndicales opportunistes et révolutionnaires s’est déjà produite, où il existe, comme en Amérique, des syndicats aux tendances révolutionnaires, sinon communistes, à côté des syndicats opportunistes, les communistes sont dans l’obligation de prêter leur concours à ces syndicats révolutionnaires, de les soutenir, de les aider à se libérer des préjugés syndicalistes et à se placer sur le terrain du Communisme, car ce dernier est l’unique boussole fidèle et sûre dans toutes les questions compliquées de la lutte économique. Partout où se constituent des organisations industrielles (soit sur la base des syndicats, soit en dehors d’eux), tels les Shop Stewards, les Betriebsraete (Conseils de Production), organisations se donnant pour but de lutter contre les tendances contre-révolutionnaires de la bureaucratie syndicale, il est bien entendu que les communistes sont tenus de les soutenir avec toute l’énergie possible. Mais le concours prêté aux syndicats révolutionnaires ne doit pas signifier la sortie des communistes des syndicats opportunistes en état d’effervescence politique et en évolution vers la lutte de classe. Bien au contraire, c’est en s’efforçant de hâter cette révolution de la masse des syndicats qui se trouvent déjà sur la voie de la lutte révolutionnaire que les communistes pourront jouer le rôle d’un élément unissant moralement et pratiquement les ouvriers organisés pour une lutte commune tendant à la destruction du régime capitaliste.

7. À l’époque où le capitalisme tombe en ruines, la lutte économique du prolétariat se transforme en lutte politique beaucoup plus rapidement qu’à l’époque de développement pacifique du régime capitaliste. Tout conflit économique important peut soulever devant les ouvriers la question de la Révolution. Il est donc du devoir des communistes de faire ressortir devant les ouvriers, dans toutes les phases de la lutte économique, que cette lutte ne saurait être couronnée de succès que lorsque la classe ouvrière aura vaincu la classe capitaliste dans une bataille rangée et se chargera, sa dictature une fois établie, de l’organisation socialiste du pays. C’est en partant de là que les communistes doivent tendre à réaliser, dans la mesure du possible, une union parfaite entre les syndicats et le Parti Communiste, en les subordonnant à ce dernier, avant-garde de la Révolution. Dans ce but, les communistes doivent organiser dans tous ces syndicats et Conseils de Production (Betriebsraeie) des fractions communistes, qui les aideront à s’emparer du mouvement syndical et à le diriger.

II.

1. La lutte économique du prolétariat pour la hausse des salaires et pour l’amélioration générale des conditions de la vie des masses accentue tous les jours son caractère de lutte sans issue. La désorganisation économique qui envahit un pays après l’autre, dans une proportion toujours croissante, démontre, même aux ouvriers les plus arriérés, qu’il ne suffit pas de lutter pour la hausse des salaires et la réduction de la journée de travail, que la classe capitaliste perd de plus en plus la capacité de rétablir la vie économique et de garantir aux ouvriers ne fut ce que les conditions d’existence qu’elle leur assurait avant la guerre. La conscience toujours croissante des masses ouvrières fait naître parmi eux une tendance à créer des organisations capables d’entamer la lutte pour la renaissance économique au moyen du contrôle ouvrier exercé sur l’industrie par les Conseils de Production. Cette tendance à créer des Conseils industriels ouvriers, qui gagne les ouvriers de tous les pays, tire son origine de facteurs différents et multiples (lutte contre la bureaucratie réactionnaire, fatigue causée par les défaites essuyées par les syndicats, tendances à la création d’organisations embrassant tous les travailleurs) et s’inspire en définitive de l’effort fait pour réaliser le contrôle de l’industrie, tâche historique spéciale des Conseils industriels ouvriers. C’est pourquoi on commettrait une erreur en cherchant à ne former ces Conseils que d’ouvriers partisans de la dictature du prolétariat. La tâche du Parti Communiste consiste, au contraire, à profiter de la désorganisation économique pour organiser les ouvriers et à les mettre dans la nécessité de combattre pour la dictature du prolétariat tout en élargissant l’idée de la lutte pour le contrôle ouvrier, idée que tous comprennent maintenant.

2. Le Parti Communiste ne pourra s’acquitter de cette tâche qu’en consolidant dans la conscience des masses la ferme assurance que la restauration de la vie économique sur la base capitaliste est actuellement impossible ; elle signifierait d’ailleurs un nouvel asservissement à la classe capitaliste. L’organisation économique correspondant aux intérêts des masses ouvrières n’est possible que si l’État est gouverné par la classe ouvrière et si la main ferme de la dictature prolétarienne se charge de l’abolition du capitalisme et de la nouvelle organisation socialiste.

3. La lutte des Comités de fabriques et d’usines contre le capitalisme a pour but immédiat l’introduction du contrôle ouvrier dans toutes les branches de l’industrie. Les ouvriers de chaque entreprise, indépendamment de leurs professions, souffrent du sabotage des capitalistes qui estiment assez souvent que la suspension de l’activité de telle ou telle industrie leur sera avantageuse, la faim devant contraindre les ouvriers à accepter les conditions les plus dures pour éviter à quelque capitaliste un accroissement de frais. La lutte contre cette sorte de sabotage unit la plupart des ouvriers indépendamment de leurs idées politiques, et fait des Comités d’usines et de fabriques, élus par tous les travailleurs d’une entreprise, de véritables organisations de masse du prolétariat. Mais la désorganisation de l’économie capitaliste est non seulement la conséquence de la volonté consciente des capitalistes, mais aussi et beaucoup plus celle de la décadence irrésistible de leur régime. Aussi, les Comités ouvriers seront-ils forcés, dans leur action contre les conséquences de cette décadence, à dépasser les bornes du contrôle des fabriques et des usines isolées et se trouveront-ils bientôt en face de la question du contrôle ouvrier à exercer sur des branches entières de l’industrie et sur son ensemble. Les tentatives d’ouvriers d’exercer leur contrôle non seulement sur l’approvisionnement des fabriques et des usines en matières premières, mais aussi sur les opérations financières des entreprises industrielles, provoqueront cependant, de la part de la bourgeoisie et du gouvernement capitaliste, des mesures de rigueur contre la classe ouvrière, ce qui transformera la lutte ouvrière pour le contrôle de l’industrie en une lutte pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.

4. La propagande en faveur des Conseils industriels doit être menée de manière à ancrer dans la conviction des grandes masses ouvrières, même de celles qui n’appartiennent pas directement au prolétariat industriel, que la responsabilité de la désorganisation économique incombe à la bourgeoisie, et que le prolétariat, exigeant le contrôle ouvrier, lutte pour l’organisation de l’industrie, pour la suppression de la spéculation et de la vie chère. La tâche des Partis Communistes est de combattre pour le contrôle de l’industrie, en profitant dans ce but de toutes les circonstances se trouvant à l’ordre du jour, de la pénurie du combustible et de la désorganisation des transports, en fusionnant dans le même but les éléments isolés du prolétariat et en attirant de son côté les milieux les plus larges de la petite bourgeoisie qui se prolétarise davantage de jour en jour et souffre cruellement de la désorganisation économique.

5. Les Conseils industriels ouvriers ne sauraient remplacer les syndicats. Ils ne peuvent que s’organiser au courant de l’action dans diverses branches de l’industrie et créer peu à peu un appareil général capable de diriger toute la lutte. Déjà, à l’heure qu’il est, les syndicats représentent des organes de combat centralisés, bien qu’ils n’englobent pas des masses ouvrières aussi larges que peuvent embrasser les Conseils industriels ouvriers en leur qualité d’organisations accessibles à toutes les entreprises ouvrières. Le partage de toutes les tâches de la classe ouvrière entre les Comités industriels ouvriers et les syndicats est le résultat du développement historique de la Révolution sociale. Les syndicats ont organisé les masses ouvrières dans le but d’une lutte pour la hausse des salaires et pour la réduction des journées ouvrières et l’ont fait sur une large échelle. Les Conseils ouvriers industriels s’organisent pour le contrôle ouvrier de l’industrie et la lutte contre la désorganisation économique ; ils englobent toutes les entreprises ouvrières, mais la lutte qu’ils soutiennent ne peut revêtir que très lentement un caractère politique général. Ce n’est que dans la mesure où les syndicats arriveront à surmonter les tendances contre-révolutionnaires de leur bureaucratie, ou deviendront des organes conscients de la Révolution, que les communistes auront le devoir de soutenir les Conseils industriels ouvriers dans leurs tendances à devenir des groupes industriels syndicalistes.

6. La tâche des communistes se réduit aux efforts qu’ils doivent faire pour que les syndicats et les Conseils industriels ouvriers se pénètrent du même esprit de résolution combative,de conscience et de compréhension des meilleures méthodes de combat, c’est-à-dire de l’esprit communiste. Pour s’en acquitter, les communistes doivent soumettre, en fait, les syndicats et les Comités ouvriers au Parti Communiste et créer ainsi des organes prolétariens des masses qui serviront de base à un puissant Parti prolétarien centralisé, englobant toutes les organisations prolétariennes et les faisant toutes marcher dans la voie que conduit à la victoire de la classe ouvrière et à la dictature du prolétariat — au Communisme.

7. Pendant que les communistes se font des syndicats et des Conseils industriels une arme puissante pour la Révolution, ces organisations des masses se préparent au grand rôle qui leur incombera avec l’établissement de la dictature du prolétariat. Ce sera en effet leur devoir de devenir la base socialiste de la nouvelle organisation de la vie économique. Les syndicats, organisés en qualité de piliers de l’industrie, s’appuyant sur les Conseils industriels ouvriers qui représenteront les organisations des fabriques et des usines, enseigneront aux masses ouvrières leur devoir industriel, formeront avec les ouvriers les plus avancés des directeurs d’entreprises, organiseront le contrôle technique des spécialistes ; ils étudieront et exécuteront, de concert avec les représentants du pouvoir ouvrier, les plans de la politique économique socialiste.

III.

Les syndicats manifestaient en temps de paix des tendances à former une Union internationale. Pendant les grèves, les capitalistes recouraient à la main-d’œuvre des pays voisins et aux services des « renards » étrangers. Mais avant la guerre, l’Internationale syndicale n’avait qu’une importance secondaire. Elle s’occupait de l’organisation de secours financiers réciproques et d’un service de statistique concernant la vie ouvrière, mais elle ne cherchait pas à unifier la vie ouvrière parce que les syndicats dirigés par des opportunistes, faisaient leur possible pour se soustraire à toute lutte révolutionnaire internationale. Les leaders opportunistes des syndicats qui, pendant la guerre, furent les serviteurs fidèles de la bourgeoisie dans leurs pays respectifs, cherchent maintenant à restaurer l’Internationale syndicale en se faisant une arme du capitalisme universel international, dirigée contre le prolétariat. Ils créent avec Jouhaux, Gompers, Legien, etc…, un « Bureau de Travail » auprès de la « Ligue des Nations », qui n’est autre chose qu’une organisation de brigandage capitaliste international. Ils tâchent d’étouffer dans tous les pays le mouvement gréviste en faisant décréter l’arbitrage obligatoire des représentants de l’État capitaliste. Ils cherchent partout à obtenir, à force de compromis avec les capitalistes, toutes espèces de faveurs pour les ouvriers capitalistes, afin de briser de cette manière l’union chaque jour plus étroite de la classe ouvrière. L’Internationale syndicale d’Amsterdam est donc la remplaçante de la 2e Internationale de Bruxelles en faillite. Les ouvriers communistes qui font partie des syndicats de tous les pays doivent, au contraire, travailler à la création d’un front syndicaliste international. Il ne s’agit plus de secours pécuniaires en cas de grève ; il faut désormais qu’au moment où le danger menacerait la classe ouvrière d’un pays, les syndicats des autres pays, en qualité d’organisations de masses, prennent sa défense et fassent tout pour empêcher la bourgeoisie de leur pays de venir en aide à celle qui est aux prises avec la classe ouvrière. Dans tous les États, la lutte économique du prolétariat devient de plus en plus révolutionnaire. Aussi les syndicats doivent-ils employer consciemment toute leur énergie à appuyer toute action révolutionnaire, tant dans leur propre pays que dans les autres. Ils doivent s’orienter dans ce but vers la plus grande centralisation de l’action, non seulement dans chaque pays à part, mais aussi dans l’Internationale ; ils le feront en adhérant à l’Internationale Communiste et en y fusionnant en une seule armée les divers éléments engagés dans le combat, afin qu’ils agissent de concert et se prêtent un concours mutuel.

Quand et dans quelles conditions peut-on créer des soviets de députés ouvriers ?

  1. En Russie, les Soviets des députés ouvriers naquirent pour la première fois en 1905, au moment du grand enthousiasme du mouvement révolutionnaire des ouvriers russes. Déjà en 1905, le Soviet pétersbourgeois des députés ouvriers fit d’instinct ses premiers pas vers la conquête du pouvoir. À cette époque, le Soviet de la ville de Pétrograd était aussi fort que le lui permettaient les chances qu’il avait de parvenir au pouvoir politique. Mais, dès que la contre-révolution tsariste se fut raffermie et que le mouvement ouvrier eût diminué d’intensité, après une végétation de courte durée, le Soviet cessa complètement d’exister.
  2. Lorsqu’en 1916, au début d’un nouvel et puissant effort révolutionnaire, l’idée naquit en Russie de créer promptement des Soviets de députés ouvriers, le Parti bolchevik prévint les ouvriers du danger que présentait la formation immédiate des Soviets en leur faisant remarquer qu’ils ne seraient opportuns que le jour où la Révolution aurait commencé, l’heure venue de livrer combat pour le pouvoir.
  3. Au début de la Révolution de février 1917, en Russie, les Soviets des députés ouvriers se transformèrent en Soviets de députés ouvriers et soldats. Bientôt ils entraînèrent dans la sphère de leur influence les plus vastes milieux des masses populaires, obtenant ainsi une autorité prépondérante, car la force réelle était de leur côté et entre leurs mains. Mais, lorsque la bourgeoisie libérale se remît de la surprise du premier choc de la Révolution, et que les traîtres socialistes-révolutionnaires et mencheviks facilitèrent à la bourgeoisie russe l’obtention du pouvoir, l’importance des Soviets ne tarda pas à baisser. Ce n’est qu’après les journées de juillet et l’insuccès de l’attentat contre-révolutionnaire de Kornilov, que les grandes masses populaires se mirent en branle et que se produisit le krach du gouvernement contre-révolutionnaire des bourgeois-conciliateurs, que les Soviets des députés ouvriers s’épanouirent à nouveau et gagnèrent dans le pays une influence exclusive.
  4. L’histoire des révolutions allemande et autrichienne l’a prouvé de même. Lorsque les masses de la population se soulevèrent et que le flot de la révolution ébranla les remparts de la monarchie des Hohenzollern et des Habsbourg, des Soviets de députés ouvriers et soldats se formèrent spontanément en Allemagne et en Autriche. Les premiers temps, la force fut de leur côté, et ils furent à la veille de prendre le pouvoir en fait. Mais, à peine le pouvoir eut-il penché, grâce à un enchaînement de circonstances historiques, vers la bourgeoisie et les social- démocrates contre-révolutionnaires que l’on vit les Soviets dépérir, et peu à peu disparaître. Lors de l’infructueuse tentative contre-révolutionnaire de Kapp-Lüttwitz, en Allemagne, des Soviets se reformèrent pour quelques jours ; mais sitôt la lutte terminée par une nouvelle victoire de la bourgeoisie et des traîtres-socialistes, ces Soviets qui venaient de dresser la tête, disparurent à nouveau.
  5. Les faits précités prouvent que des prémisses déterminées sont nécessaires pour créer les Soviets. On ne pourra donc organiser des Soviets de députés ouvriers, et les transformer en Soviets de députés ouvriers et soldats, que lorsque seront réunies trois conditions précises, à savoir :
    1. Enthousiasme révolutionnaire général dans les milieux les plus vastes composés d’ouvriers et d’ouvrières, de soldats et de toute la population laborieuse ;
    2. Crise économique et politique poussée au point où le pouvoir échappe peu à peu des mains du gouvernement précédent ;
    3. Lorsque dans les rangs des masses de travailleurs et, avant tout, dans ceux du Parti Communiste a mûri la ferme résolution d’engager une lutte décisive, systématique et d’après un plan arrêté, pour la conquête du pouvoir.
  6. Au cas où ces conditions ne sont pas remplies, les communistes peuvent et doivent propager systématiquement et opiniâtrement l’idée des Soviets, la vulgariser dans les masse, démontrer aux plus profondes couches de la population que les Soviets constituent la seule forme gouvernementale correspondant aux besoins de la période de transition au communisme intégral. Mais, les conditions mentionnées n’étant pas remplies, il est impossible de procéder à l’organisation immédiate des Soviets.
  7. Les tentatives des social-traîtres allemands de faire entrer les Soviets dans l’engrenage constitutionnel démocrate-bourgeois constituent, au point de vue objectif, une trahison de la cause ouvrière. Les Soviets ne sont possibles que comme des organisations gouvernementales, qui se substituent à la démocratie bourgeoise, la brisent et la remplacent par la dictature ouvrière.
  8. La propagande dirigée par les chefs Indépendants de la droite, tels que Hilferding, Kautsky et d’autres, en vue de prouver la compatibilité du système des Soviets avec l’Assemblée Constituante bourgeoise, témoigne d’une incompréhension totale des principes du développement de la révolution prolétarienne, ou bien du désir de tromper sciemment la classe laborieuse. Les Soviets signifient la dictature prolétarienne, et l’Assemblée Constituante, celle de la bourgeoisie. Accorder et concilier la dictature des ouvriers avec celle des bourgeois est une chose impossible.
  9. La propagande de quelques militants isolés de la gauche des indépendants allemands, proposant aux travailleurs un plan livresque et prématuré de « Système Soviétiste » non rattaché au cours de la guerre civile, est le fait de doctrinaires qui ne font que distraire les travailleurs de la lutte authentique pour le pouvoir.
  10. Les tentatives de groupes communistes isolés en France, en Italie, en Amérique et en Angleterre, pour fonder des Soviets n’embrassant pas les grandes masses ouvrières et ne pouvant pas les embrasser dans une lutte immédiate pour le pouvoir, ne font que nuire à la préparation efficace de la révolution soviétiste. Ces Soviets artificiels, ces « fleurs de serre » se transforment, tout au plus, en petites sociétés ; au pis-aller, ils ne peuvent que compromettre, aux yeux des vastes cercles de la population, l’autorité des Soviets.
  11. Une situation spéciale s’est créée en Autriche, où la classe ouvrière a réussi à conserver des Soviets embrassant de grandes masses ouvrières. Cette situation rappelle celle de la Russie de février à octobre 1917. Les Soviets autrichiens constituent un facteur politique important et l’embryon d’un pouvoir nouveau. Il va de soi que, dans cette situation, les communistes doivent participer au travail des Soviets, les aider à s’intéresser à toute la vie économique et politique du pays, y créer des fractions communistes et concourir de toutes façons à leur développement.
  12. Sans révolution, les Soviets ne sont pas possibles. Sans révolution prolétarienne, les Soviets dégénèrent en parodie. Les Soviets authentiques des masses constituent une forme de dictature prolétarienne indiquée par l’Histoire même. Tous les partisans sérieux et sincères du pouvoir soviétiste doivent appliquer prudemment l’idée soviétiste ; en la propageant parmi les masses, ils ne devront procéder à la création immédiate des Soviets que lorsque les conditions mentionnées plus haut seront réunies.

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de l’Internationale communiste

Résolution du second congrès de l’Internationale communiste sur le rôle du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne

Le prolétariat mondial est à la veille d’une lutte décisive. L’époque à laquelle nous vivons est une époque d’action directe contre la bourgeoisie. L’heure décisive approche. Bientôt, dans tous les pays où il y a un mouvement ouvrier conscient, la classe ouvrière aura à livrer une série de combats acharnés, les armes à la main. Plus que jamais, en ce moment, la classe ouvrière a besoin d’une solide organisation. Infatigablement la classe ouvrière doit désormais se préparer à cette lutte, sans perdre une seule heure d’un temps précieux.

Si la classe ouvrière, pendant la Commune de Paris (en 1871) avait eu un Parti Communiste solidement organisé, bien que peu nombreux, la première insurrection de l’héroïque prolétariat français aurait été beaucoup plus forte et elle aurait évité bien des erreurs et bien des fautes. Les batailles que le prolétariat aura maintenant à livrer, dans des conjonctures historiques toutes différentes, auront des résultats beaucoup plus graves qu’en 1871.

Le 2e Congrès mondial de l’Internationale Communiste signale donc aux ouvriers révolutionnaires du monde entier l’importance de ce qui suit :

1. Le Parti Communiste est une fraction de la classe ouvrière et bien entendu il en est la fraction la plus avancée, la plus consciente et, partant, la plus révolutionnaire. Il se crée par la sélection spontanée des travailleurs les plus conscients, les plus dévoués, les plus clairvoyants. Le Parti Communiste n’a pas d’intérêts différents de ceux de la classe ouvrière. Le Parti Communiste ne diffère de la grande masse des travailleurs qu’en ce qu’il envisage la mission historique de l’ensemble de la classe ouvrière et s’efforce, à tous les tournants de la route, de défendre non les intérêts de quelques groupes ou de quelques professions, mais ceux de toute la classe ouvrière. Le Parti Communiste constitue la force organisatrice et politique, à l’aide de laquelle la fraction la plus avancée de la classe ouvrière dirige, dans le bon chemin, les masses du prolétariat et du demi-prolétariat.

2. Tant que le pouvoir gouvernemental n’est pas conquis par le prolétariat et tant que ce dernier n’a pas affermi, une fois pour toutes, sa domination et prévenu toute tentative de restauration bourgeoise, le Parti Communiste n’englobera dans ses rangs organisés qu’une minorité ouvrière. Jusqu’à la prise du pouvoir et dans l’époque de transition, le Parti Communiste peut, grâce à des circonstances favorables, exercer une influence idéologique et politique incontestable sur toutes les couches prolétariennes et à demi-prolétariennes de la population, mais il ne peut les réunir organisées, dans ses rangs. Ce n’est que lorsque la dictature prolétarienne aura privé la bourgeoisie de moyens d’action aussi puissants que la presse, l’école, le Parlement, l’Église, l’administration, etc…, ce n’est que lorsque la défaite définitive du régime bourgeois sera devenue évidente aux yeux de tous, que tous les ouvriers, ou du moins la plupart, commenceront à entrer dans les rangs du Parti Communiste.

3. Les notions de parti et de classe doivent être distinguées avec le plus grand soin. Les membres des syndicats « chrétiens » et libéraux d’Allemagne, d’Angleterre et d’autres pays, appartiennent indubitablement à la classe ouvrière. Les groupements ouvriers plus ou moins considérables qui se rangent encore à la suite de Scheidemann, de Gompers et consorts lui appartiennent aussi. Dans de telles conditions historiques, il est très possible que de nombreuses tendances réactionnaires se fassent jour dans la classe ouvrière. La tâche du communisme n’est pas de s’adapter à ces éléments arriérés de la classe ouvrière mais d’élever toute la classe ouvrière au niveau de l’avant-garde communiste. La confusion entre ces deux notions de parti et de classe peut conduire aux fautes et aux malentendus les plus graves. Il est, par exemple, évident que les Partis ouvriers devaient, en dépit des préjugés et de l’état d’esprit d’une portion de la classe ouvrière pendant la guerre impérialiste, s’insurger à tout prix contre ces préjugés et cet état d’esprit, au nom des intérêts historiques du prolétariat qui mettaient son Parti dans l’obligation de déclarer la guerre à la guerre.

C’est ainsi, par exemple, qu’au début de la guerre impérialiste de 1914, les Partis socialistes de tous les pays, soutenant « leurs » bourgeoisies respectives, ne manquaient pas de justifier leur conduite en invoquant la volonté de la classe ouvrière. Ils oubliaient, ce faisant, que si même il en avait été ainsi, c’eut été plutôt la tâche du Parti prolétarien de réagir contre la mentalité ouvrière générale et de défendre envers et contre tous les intérêts historiques du prolétariat. C’est ainsi qu’au commencement du xxe siècle les mencheviks russes (qui se nommaient alors économistes) répudiaient la lutte ouverte contre le tsarisme parce que, disaient-ils, la classe ouvrière dans son ensemble, n’était pas encore en état de comprendre la nécessité de la lutte politique.

C’est ainsi que les indépendants de droite en Allemagne ont justifié toujours leurs demi-mesures en disant qu’il fallait comprendre avant tout les désirs des masses, et ne comprenaient pas eux-mêmes que le Parti est destiné à marcher en avant des masses et à leur montrer le chemin.

4. L’internationale Communiste est absolument convaincue que la faillite des anciens Partis « social-démocrates » de la 2e Internationale ne peut, en aucun cas, être considérée comme la faillite des Partis prolétariens en général. L’époque de la lutte directe en vue de la dictature du prolétariat suscite un nouveau Parti prolétarien mondial — le Parti Communiste.

5. L’internationale Communiste répudie de la façon la plus catégorique l’opinion suivant laquelle le prolétariat peut accomplir sa révolution sans avoir son Parti politique. Toute lutte de classes est une lutte politique. Le but de cette lutte, qui tend à se transformer inévitablement en guerre civile, est la conquête du pouvoir politique. C’est pourquoi le pouvoir politique ne peut être pris, organisé et dirigé que par tel ou tel Parti politique. Ce n’est que dans le cas où le prolétariat est guidé par un Parti organisé et éprouvé, poursuivant des buts clairement définis, et possédant un programme d’action susceptible d’être appliqué, tant dans la politique intérieure que dans la politique extérieure, ce n’est que dans ce cas que la conquête du pouvoir politique peut être considérée non comme un épisode, mais comme le point de départ d’un travail durable d’édification communiste de la société par le prolétariat.

La même lutte des classes exige aussi la centralisation et la direction unique des diverses formes du mouvement prolétarien (syndicats, coopératives, comités d’usines, enseignement, élections, etc…). Le centre organisateur et dirigeant ne peut être qu’un Parti politique. Se refuser à le créer et à l’affermir, se refuser à s’y soumettre équivaut à répudier le commandement unique des contingents du prolétariat agissant sur des points différents. La lutte de classe prolétarienne exige une agitation concentrée, éclairant les différentes étapes de la lutte d’un point de vue unique et attirant à chaque moment, toute l’attention du prolétariat sur les tâches qui l’intéressent dans son entier. Cela ne peut être réalisé sans un appareil politique centralisé, c’est-à-dire en dehors d’un Parti politique.

La propagande de certains syndicalistes révolutionnaires et des adhérents du mouvement industrialiste du monde entier (I.W.W.) contre la nécessité d’un Parti politique se suffisant à lui-même n’a aidé et n’aide, à parler objectivement, que la bourgeoisie et les « social-démocrates » contre-révolutionnaires. Dans leur propagande contre un Parti Communiste qu’ils voudraient remplacer par des syndicats ou par des unions ouvrières de formes peu définies et trop vastes, les syndicalistes et les industrialistes ont des points de contact avec des opportunistes avérés.

Après la défaite de la révolution de 1905, les mencheviks russes propagèrent pendant quelques années l’idée d’un Congrès ouvrier (ainsi le nommaient-ils) qui devait remplacer le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière ; les « travaillistes jaunes » de toutes sortes en Angleterre et en Amérique veulent remplacer le Parti politique par d’informes unions ouvrières, et ils inventent en même temps une tactique politique absolument bourgeoise. Les syndicalistes révolutionnaires et industrialistes veulent combattre la dictature de la bourgeoisie, mais ils ne savent comment s’y prendre. Ils ne remarquent pas qu’une classe ouvrière sans Parti politique est un corps sans tête. Le syndicalisme révolutionnaire et l’industrialisme ne marquent un pas fait en avant que par rapport à l’ancienne idéologie inerte et contre-révolutionnaire de la 2e Internationale. Par rapport au marxisme révolutionnaire, c’est-à-dire au communisme, le syndicalisme et l’industrialisme marquent un pas en arrière. La déclaration des communistes « de la gauche allemande K.A.P.D. » (programme élaboré par leur Congrès constituant d’avril dernier) disant qu’ils forment un Parti, mais « non pas un Parti dans le sens courant du mot » (keine Partei im überlieferten Sinne) est une capitulation devant l’opinion syndicaliste et industrialiste, qui est un fait réactionnaire.

Mais ce n’est pas par la grève générale, par la tactique des bras croisés que la classe ouvrière peut remporter la victoire sur la bourgeoisie. Le prolétariat doit en venir à l’insurrection armée. Celui qui a compris cela doit aussi comprendre qu’un Parti politique organisé est nécessaire et que d’informes unions ouvrières ne peuvent pas en tenir lieu.

Les syndicalistes révolutionnaires parlent souvent du grand rôle que doit jouer une minorité révolutionnaire résolue. Or, en fait, cette minorité résolue de la classe ouvrière que l’on demande, cette minorité qui est communiste et qui a un programme, qui veut organiser la lutte des masses, c’est bien le Parti Communiste.

6. La tâche la plus importante d’un Parti réellement communiste est de rester toujours en contact avec les organisations prolétariennes les plus larges. Pour arriver à cela, les communistes peuvent et doivent prendre part à des groupes qui, sans être des groupes du Parti, englobent de grandes masses prolétariennes. Tels sont par exemple ceux que l’on connaît sous le nom d’organisation d’invalides dans divers pays, de sociétés « Ne touchez pas à la Russie » (Hands off Russia) en Angleterre, les unions prolétariennes de locataires, etc… Nous avons ici l’exemple russe des conférences d’ouvriers et de paysans qui se déclarent « étrangers » aux Partis (bezpartinii). Des associations de ce genre seront bientôt organisées dans chaque ville, dans chaque quartier ouvrier et aussi dans les campagnes. A ces associations prennent part les plus larges masses comprenant même des travailleurs arriérés. On mettra à l’ordre du jour les questions les plus intéressantes : approvisionnement, habitation, questions militaires, enseignement, tâche politique du moment présent, etc… Les communistes doivent avoir de l’influence dans ces associations et cela aura les résultats les plus importants pour le Parti.

Les communistes considèrent comme leur tâche principale un travail systématique d’éducation et d’organisation au sein de ces organisations. Mais précisément pour que ce travail soit fécond, pour que les ennemis du prolétariat révolutionnaire ne puissent s’emparer de ces organisations, les travailleurs avancés, communistes, doivent avoir leur Parti d’action organisée, sachant défendre le communisme dans toutes les conjonctures et en présence de toutes les éventualités.

7. Les communistes ne s’écartent jamais des organisations ouvrières politiquement neutres, même quand elles revêtent un caractère évidemment réactionnaire (unions jaunes, unions chrétiennes, etc…). Au sein de ces organisations, le Parti Communiste poursuit constamment son œuvre propre, démontrant infatigablement aux ouvriers que la neutralité politique est sciemment cultivée parmi eux par la bourgeoisie et par ses agents afin de détourner le prolétariat de la lutte organisée pour le socialisme.

8. L’ancienne subdivision classique du mouvement ouvrier en trois formes (Partis, syndicats, coopératives) a fait son temps. La révolution prolétarienne en Russie a suscité la forme essentielle de la dictature prolétarienne, les Soviets. La nouvelle division que nous mettons partout en valeur est celle-ci : 1° le Parti, 2° le Soviet, 3° le Syndicat.

Mais le travail dans les Soviets de même que dans les syndicats d’industrie devenus révolutionnaires doit être invariablement et systématiquement dirigé par le Parti du prolétariat, c’est-à-dire par le Parti Communiste. Avant-garde organisée de la classe ouvrière, le Parti Communiste répond également aux besoins économiques, politiques et spirituels de la classe ouvrière toute entière. Il doit être l’âme des syndicats et des Soviets ainsi que de toutes les autres formes d’organisation prolétarienne.

L’apparition des Soviets, forme historique principale de la dictature du prolétariat, ne diminue nullement le rôle dirigeant du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne. Quand les communistes allemands de « gauche » (voir leur Manifeste au prolétariat allemand du 14 avril 1920 signé par « le Parti ouvrier communiste allemand ») déclarent que « le Parti doit, lui aussi, s’adapter de plus en plus à l’idée soviétique et se prolétariser » (Kommunistische Arbeiterzeitung, N° 54) nous ne voyons là qu’une expression insinuante de cette idée que le Parti Communiste doit se fondre dans les Soviets et que les Soviets peuvent le remplacer.

Cette idée est profondément erronée et réactionnaire.

L’histoire de la révolution russe nous montre à un certain moment, les Soviets allant à l’encontre du Parti prolétarien et soutenant les agents de la bourgeoisie. On a pu observer la même chose en Allemagne. Et cela est aussi possible dans les autres pays.

Pour que les Soviets puissent remplir leur mission historique, l’existence d’un Parti Communiste assez fort pour ne pas « s’adapter » aux Soviets mais pour exercer sur eux une influence décisive, les contraindre à « ne pas s’adapter » à la bourgeoisie et à la social-démocratie officielle, les conduire par le moyen de cette fraction communiste, est au contraire nécessaire.

9. Le Parti Communiste n’est pas seulement nécessaire à la classe ouvrière avant et pendant la conquête, du pouvoir, mais encore après celle-ci. L’histoire du Parti Communiste russe, qui détient depuis trois ans le pouvoir, montre que le rôle du Parti Communiste, loin de diminuer depuis la conquête du pouvoir, s’est considérablement accru.

10. Au jour de la conquête du pouvoir par le prolétariat, le Parti du prolétariat ne constitue pourtant qu’une fraction de la classe des travailleurs. Mais c’est la fraction qui a organisé la victoire. Pendant vingt ans, comme nous l’avons vu en Russie depuis une suite d’années, comme nous l’avons vu en Allemagne, le Parti Communiste lutte non seulement contre la bourgeoisie, mais aussi contre ceux d’entre les socialistes qui ne font en réalité que manifester l’influence des idées bourgeoises sur le prolétariat ; le Parti Communiste s’est assimilé les militants les plus stoïques, les plus clairvoyants, les plus avancés de la classe ouvrière. Et l’existence d’une semblable organisation prolétarienne permet de surmonter toutes les difficultés auxquelles se heurte le Parti Communiste dès le lendemain de sa victoire. L’organisation d’une nouvelle Armée Rouge prolétarienne, l’abolition effective du mécanisme gouvernemental bourgeois et la création des premiers linéaments de l’appareil gouvernemental prolétarien, la lutte contre les tendances corporatistes de certains groupements ouvriers, la lutte contre le patriotisme régional et l’esprit de clocher, les efforts en vue de susciter une nouvelle discipline du travail, — autant de domaines où le Parti Communiste, dont les membres entraînent par leur vivant exemple les masses ouvrières, doit dire le mot décisif.

11. La nécessité d’un Parti politique du prolétariat ne disparaît qu’avec les classes sociales. Dans la marche du communisme vers la victoire définitive il est possible que le rapport spécifique qui existe entre les trois formes essentielles de l’organisation prolétarienne contemporaine (Partis, Soviets, Syndicats d’industrie) soit modifié et qu’un type unique, synthétique, d’organisation ouvrière se cristallise peu à peu. Mais le Parti Communiste ne se dissoudra complètement au sein de la classe ouvrière que lorsque le communisme cessera d’être l’enjeu de la lutte sociale, lorsque la classe ouvrière sera, toute entière, devenue communiste.

12. Le 2° Congrès de l’Internationale Communiste doit non seulement confirmer le Parti dans sa mission historique, mais encore indiquer au prolétariat international tout au moins les lignes essentielles du Parti qui nous est nécessaire.

13. L’Internationale Communiste est d’avis que, surtout à l’époque de la dictature du prolétariat, le Parti Communiste doit être basé sur une inébranlable centralisation prolétarienne. Pour diriger efficacement la classe ouvrière dans la guerre civile longue et opiniâtre, devenue imminente, le Parti Communiste doit établir en son sein une discipline de fer, une discipline militaire. L’expérience du Parti Communiste russe qui a pendant trois ans dirigé avec succès la classe ouvrière à travers les péripéties de la guerre civile, a montré que sans la plus forte discipline, sans une centralisation achevée, sans une confiance absolue des adhérents envers le centre directeur du Parti, la victoire des travailleurs est impossible.

14. Le Parti Communiste doit être basé sur une centralisation démocratique. La constitution par voie d’élection des comités secondaires, la soumission obligatoire de tous les comités au comité qui leur est supérieur et l’existence d’un centre muni de pleins pouvoirs, dont l’autorité ne peut, dans l’intervalle entre les Congrès du Parti, être contestée par personne, tels sont les principes essentiels de la centralisation démocratique.

15. Toute une série de Partis Communistes en Europe et en Amérique sont rejetés par l’état de siège en dehors de la légalité. Il convient de se rappeler que le principe électif peut avoir à souffrir, dans ces conditions, quelques atteintes et qu’il peut être nécessaire d’accorder aux organes directeurs du Parti le droit de coopter des membres nouveaux. Il en fut ainsi naguère en Russie. Durant l’état de siège le Parti Communiste ne peut évidemment pas avoir recours au référendum démocratique, toutes les fois qu’une question grave se pose (comme l’aurait voulu un groupe de communistes américains) ; il doit au contraire donner à son centre dirigeant la possibilité et le droit de décider promptement au moment opportun, pour tous les membres du Parti.

16. La revendication d’une large « autonomie » pour les groupes locaux du Parti ne peut en ce moment qu’affaiblir les rangs du Parti Communiste, diminuer sa capacité d’action et favoriser le développement des tendances anarchistes et petites-bourgeoises contraires à la centralisation.

17. Dans les pays où le pouvoir est encore détenu par la bourgeoisie ou par la social-démocratie contre-révolutionnaire, les Partis communistes doivent apprendre à juxtaposer systématiquement l’action légale et l’action clandestine. Cette dernière doit toujours contrôler effectivement la première. Les groupes parlementaires communistes de même que les fractions communistes opérant au sein des diverses institutions de l’Etat, tant centrales que locales, doivent être entièrement subordonnées au Parti Communiste — quelle que soit la situation, légale ou non, du Parti. Les mandataires qui d’une façon ou d’une autre ne se soumettent pas au Parti doivent en être exclus. La presse légale (journaux, éditions diverses) doit dépendre en tout et pour tout de l’ensemble du Parti et de son comité central.

18. Dans toute action organisatrice du Parti et des communistes la pierre angulaire doit être posée par l’organisation d’un noyau communiste partout où l’on trouve quelques prolétaires et quelques demi-prolétaires. Dans tout Soviet, dans tout syndicat, dans toute coopérative, dans tout atelier, dans tout comité de locataires, dans toute institution où trois personnes sympathisent avec le communisme, un noyau communiste doit être immédiatement organisé. L’organisation communiste est la seule porte permettant à l’avant-garde de la classe ouvrière d’entraîner derrière elle toute la classe ouvrière. Tous les noyaux communistes agissant parmi les organisations politiquement neutres sont absolument subordonnés au Parti dans son ensemble, que l’action du Parti soit légale ou clandestine. Les noyaux communistes doivent être classés dans une stricte dépendance réciproque, à établir de la façon la plus précise.

19. Le Parti Communiste naît presque toujours dans les grands centres, parmi les travailleurs de l’industrie urbaine. Pour assurer à la classe ouvrière la victoire la plus facile et la plus rapide, il est indispensable que le Parti Communiste ne soit pas exclusivement un Parti urbain. Il doit s’étendre aussi dans les campagnes et, à cette fin, se consacrer à la propagande et à l’organisation des journaliers agricoles, des paysans pauvres et moyens. Le Parti communiste doit poursuivre avec un soin particulier l’organisation de noyaux communistes dans les villages.

L’organisation internationale du prolétariat ne peut être forte que si cette façon d’envisager le rôle du Parti Communiste est admise dans tous les pays où vivent et luttent des communistes. L’Internationale Communiste invite tous les syndicats acceptant les principes de la 3e Internationale à rompre avec l’Internationale Jaune. L’Internationale organisera une section internationale des syndicats rouges qui se placent sur le terrain du communisme. L’Internationale Communiste ne refusera pas le concours de toute organisation ouvrière politiquement neutre désireuse de combattre la bourgeoisie. Mais l’Internationale Communiste ne cessera, ce faisant, de prouver aux prolétaires du monde :

1° que le Parti communiste est l’arme principale, essentielle, de l’émancipation du prolétariat ; nous devons avoir maintenant dans tous les pays, non plus des groupes et des tendances, mais un Parti Communiste ;

2° qu’il ne doit y avoir dans chaque pays qu’un seul et unique Parti Communiste ;

3° que le Parti Communiste doit être fondé sur le principe de la plus stricte centralisation et doit instituer en son sein, à l’époque de la guerre civile, une discipline militaire ;

4° que partout où il n’y a ne fut-ce qu’une dizaine de prolétaires ou de demi-prolétaires, le Parti Communiste doit avoir son noyau organisé ;

5° que dans toute organisation apolitique il doit y avoir un noyau communiste strictement subordonné au Parti dans son entier ;

6° que défendant inébranlablement et avec un absolu dévouement le programme et la tactique révolutionnaire du Communisme, le Parti doit rester toujours en relations étroites avec les organisations des grandes masses ouvrières et doit se garder du sectarisme autant que du manque de principes.

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de l’Internationale communiste

Les tâches principales de l’Internationale Communiste décidées au second congrès

1. Le moment actuel du développement du mouvement communiste international est caractérisé par le fait que, dans tous les pays capitalistes, les meilleurs représentants du mouvement prolétarien ont parfaitement compris les principes fondamentaux de l’Internationale Communiste, c’est-à-dire : la dictature du prolétariat et le gouvernement des Soviets, et se sont rangés à ses côtés avec un dévouement enthousiaste. Plus important encore est le fait que les plus larges masses du prolétariat des villes et des travailleurs avancés des campagnes manifestent leur sympathie sans réserve pour ces principes essentiels. C’est là un grand pas en avant.

D’autre part, deux fautes ou deux faiblesses du mouvement communiste international, qui croît avec une rapidité extraordinaire, se sont fait remarquer. L’une, très grave et qui présente un grand danger immédiat pour la cause de la libération du prolétariat, consiste en ce que certains anciens leaders, certains vieux partis de la 2e Internationale, en partie inconsciemment sous la pression des masses, en partie consciemment — et alors les trompant pour conserver leur ancienne situation d’agents et d’auxiliaires de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier — annoncent leur adhésion conditionnelle ou sans réserve à la 3e Internationale, tout en restant, en fait, dans tout leur travail pratique quotidien, au niveau de la 2e Internationale. Cet état de choses est absolument inadmissible. Il introduit parmi les masses un élément de corruption, il empêche la formation ou le développement d’un Parti Communiste fort, il met en cause le respect dû à la 3e Internationale en la menaçant du recommencement de trahisons semblables à celle des social-démocrates hongrois hâtivement travestis en Communistes. Une autre faute, beaucoup moins importante et qui est bien plutôt une maladie de croissance du mouvement, est la tendance « à gauche » qui conduit à une appréciation erronée du rôle et de la mission du Parti par rapport à la classe ouvrière et à la masse, et de l’obligation pour les révolutionnaires communistes de militer dans les parlements bourgeois et dans les syndicats réactionnaires.

Le devoir des Communistes n’est pas de taire les faiblesses de leur mouvement, mais d’en faire ouvertement la critique afin de s’en débarrasser promptement et radicalement. À cette fin, il importe tout d’abord de définir, selon notre expérience pratique, le contenu des notions de dictature du prolétariat et de pouvoir des Soviets ;en second lieu, en quoi peut et doit consister dans tous les pays le travail préparatoire, immédiat et systématique, en vue de la réalisation de ces mots d’ordre ; et en troisième lieu, quels voies et moyens nous permettent de guérir notre mouvement de ses faiblesses.

1. — L’essence de la dictature du prolétariat et du pouvoir des Soviets.

2. La victoire du socialisme (première étape du Communisme) sur le capitalisme exige l’accomplissement par le prolétariat, seule classe réellement révolutionnaire, des trois tâches suivantes :

La première consiste à renverser les exploiteurs et, en premier lieu, la bourgeoisie, leur représentant économique et politique principal ; il s’agit de leur infliger une défaite totale, de briser leur résistance, de rendre impossible de leur part toute tentative de restauration du capital et de l’esclavage salarié.

La deuxième consiste à entraîner à la suite de l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire, de son Parti Communiste, non seulement tout le prolétariat, mais aussi toute la masse des travailleurs exploités par le capital, à les éclairer, à les organiser, à les éduquer, à les discipliner au cours même de la lutte impitoyable et téméraire contre les exploiteurs, — à arracher dans tous les pays capitalistes cette écrasante majorité de la population à la bourgeoisie, à lui inspirer pratiquement confiance dans le rôle de directeur du prolétariat de son avant-garde révolutionnaire.

La troisième, de neutraliser ou de réduire à l’impuissance les inévitables hésitants entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre la démocratie bourgeoise et le pouvoir des Soviets, de la classe de petits propriétaires ruraux, industriels et négociants, encore assez nombreux bien que ne formant qu’une minorité de la population et des catégories d’intellectuels, d’employés, etc…, gravitant autour de cette classe.

La première et la deuxième tâche exigent chacune des méthodes d’action particulières à l’égard des exploités et des exploiteurs. La troisième découle des deux premières ; elle n’exige qu’une application habile, souple et opportune des méthodes appliquées aux premières et qu’il s’agit d’adapter aux circonstances concrètes.

3. Dans la conjoncture actuelle, créée dans le monde entier, et surtout dans les pays capitalistes les plus avancés, les plus puissants, les plus éclairés, les plus libres, par le militarisme, l’impérialisme, l’oppression des colonies et des pays faibles, la tuerie impérialiste mondiale et la « paix » de Versailles, la pensée d’une paisible soumission de la majorité des exploités aux capitalistes et d’une évolution pacifique vers le socialisme, n’est pas seulement un signe de médiocrité petite-bourgeoise : c’est aussi une duperie, la dissimulation de l’esclavage du salariat, la déformation de la vérité aux yeux des travailleurs. La vérité est que la bourgeoisie la plus éclairée, la plus démocratique, ne recule pas devant le massacre de millions d’ouvriers et de paysans à seule fin de sauver la propriété privée des moyens de production. Le renversement de la bourgeoisie par la violence, la confiscation de ses propriétés, la destruction de son mécanisme d’État, parlementaire, judiciaire, militaire, bureaucratique, administratif, municipal, etc… jusqu’à l’exil ou l’internement de tous les exploiteurs les plus dangereux et les plus obstinés, sans exception, l’exercice sur leurs milieux d’une stricte surveillance pour la répression des tentatives qu’ils ne manqueront pas de faire dans l’espoir de restaurer l’esclavage capitaliste, telles sont les mesures qui peuvent seules assurer la soumission réelle de la classe entière des exploiteurs.

D’autre part, l’idée coutumière aux vieux partis et aux vieux leaders de la 2e Internationale, que la majorité des travailleurs et des exploités peut, en régime capitaliste, sous le joug esclavagiste de la bourgeoisie — qui revêt des formes infiniment variées, d’autant plus raffinées et à la fois plus cruelles et plus impitoyables que le pays capitaliste est plus cultivé — acquérir une pleine conscience socialiste, la fermeté socialiste, des convictions et du caractère, cette idée, disons-nous, trompe aussi les travailleurs. En fait, ce n’est qu’après que l’avant-garde prolétarienne, soutenue par la seule classe révolutionnaire ou par sa majorité, aura renversé les exploiteurs, les aura brisés, aura libéré les exploités de leurs servitudes et immédiatement amélioré leurs conditions d’existence au détriment des capitalistes expropriés — ce n’est qu’alors, et au prix de la plus âpre guerre civile, que l’éducation, l’instruction, l’organisation des plus grandes masses exploitées pourra se faire autour du prolétariat, sous son influence et sa direction, et qu’il sera possible de vaincre leur égoïsme, leurs vices, leurs faiblesses, leur manque de cohésion, entretenus par le régime de la propriété privée, et de les transformer en une vaste association de libres travailleurs.

4. Le succès de la lutte contre le capitalisme exige un juste rapport des forces entre le Parti Communiste comme guide, le prolétariat, la classe révolutionnaire et la masse, c’est-à-dire l’ensemble des travailleurs et des exploités. Le Parti Communiste, s’il est véritablement l’avant-garde de la classe révolutionnaire, s’il s’assimile tous ses meilleurs représentants, s’il est composé de Communistes conscients et dévoués, éclairés et éprouvés par l’expérience d’une longue lutte révolutionnaire, s’il a su se lier indissolublement à toute l’existence de la classe ouvrière et par son intermédiaire à celle de toute la masse exploitée et leur inspirer une pleine confiance, ce Parti seul est capable de diriger le prolétariat dans la lutte finale, la plus acharnée, contre toutes les forces du capitalisme. Et ce n’est que sous la direction d’un Parti semblable que le prolétariat peut annihiler l’apathie et la résistance de la petite aristocratie ouvrière, composée des leaders du mouvement syndical et corporatif corrompus par le capitalisme, et développer toutes ses énergies, infiniment plus grandes que sa force numérique parmi la population, par suite de la structure économique du capitalisme lui-même. Enfin, ce n’est que libérée effectivement du joug du capital et de l’appareil gouvernemental de l’État, ce n’est qu’après avoir obtenu la possibilité d’agir librement que la masse, c’est-à-dire la totalité des travailleurs et des exploités organisés dans les Soviets, pourra développer, pour la première fois dans l’histoire, l’initiative et l’énergie de dizaines de millions d’hommes étouffés par le capitalisme. Ce n’est que lorsque les Soviets seront devenus l’unique mécanisme de l’État, que pourra être assurée la participation effective des masses autrefois exploitées à toute l’administration du pays, participation qui, dans les démocraties bourgeoises les plus éclairées et les plus libres, était impossible quatre-vingt-quinze fois sur cent. Dans les Soviets, la masse des exploités commence à apprendre, non des livres, mais de son expérience pratique, ce qu’est l’édification socialiste, la création d’une nouvelle discipline sociale et la libre association des travailleurs libres.

2. — EN QUOI DOIT CONSISTER LA PRÉPARATION
IMMÉDIATE DE LA DICTATURE PROLÉTARIENNE

5. Le développement actuel du mouvement communiste international est caractérisé par ce fait que dans nombre de pays capitalistes, le travail de préparation du prolétariat à l’exercice de la dictature n’est pas achevé et très souvent n’a pas encore été commencé de façon systématique. Il ne s’ensuit pas que la révolution prolétarienne soit impossible dans un avenir très prochain ; elle est, au contraire, tout ce qu’il y a de plus possible, la situation politique et économique étant extraordinairement riche en matières inflammables et en causes susceptibles de provoquer leur embrasement inopiné ; un autre facteur de la révolution, en dehors de l’état de préparation du prolétariat, est notamment la crise générale en présence de laquelle se trouvent tous les partis gouvernants et tous les partis bourgeois. Mais il résulte de ce qui a été dit que la tâche actuelle des Partis Communistes consiste à hâter la révolution, sans toutefois la provoquer artificiellement avant une préparation suffisante ; la préparation du prolétariat à la révolution doit être intensifiée par l’action. D’autre part, les cas signalés plus haut dans l’histoire de beaucoup de partis socialistes, obligent de bien veiller à ce que la reconnaissance de la dictature du prolétariat ne puisse pas rester purement verbale.

Pour ces raisons, la tâche principale du Parti Communiste, du point de vue du mouvement international prolétarien, est à l’heure présente le groupement de toutes les forces communistes éparses, la formation dans chaque pays d’un Parti Communiste unique (ou le renforcement et le renouvellement des partis déjà existants) afin de décupler le travail de préparation du prolétariat à la conquête du pouvoir sous forme de dictature du prolétariat. L’action socialiste habituelle des groupes et des partis qui reconnaissent la dictature du prolétariat, est loin d’avoir subi cette modification fondamentale, ce renouvellement radical, qui est nécessaire, pour qu’on en reconnaisse l’action comme étant bien communiste et comme correspondant aux tâches de la veille de la dictature prolétarienne.

6. La conquête du pouvoir politique par le prolétariat n’interrompt pas la lutte de classe de celui-ci contre la bourgeoisie, mais au contraire, ne fait que la rendre plus large, plus acerbe, plus impitoyable. Tous les groupes, partis, militants du mouvement ouvrier qui adoptent en totalité ou en partie le point de vue du réformisme, du « centre », etc…, se placeront inévitablement, par suite de l’extrême exacerbation de la lutte, soit du côté de la bourgeoisie, soit du côté des hésitants ou (ce qui est plus dangereux) tomberont dans le nombre des amis indésirables du prolétariat victorieux. C’est pourquoi la préparation de la dictature du prolétariat exige non seulement le renforcement de la lutte contre la tendance des réformistes et des « centristes », mais aussi la modification du caractère de cette lutte. Celle-ci ne peut pas se limiter à la démonstration du caractère erroné de ces tendances, mais elle doit aussi démasquer inlassablement et impitoyablement tout militant du mouvement ouvrier qui manifestera ces tendances, le prolétariat ne pouvant pas savoir sans cela avec qui il marche à la lutte finale contre la bourgeoisie. Cette lutte est telle, qu’elle peut changer à tout instant et transformer, comme l’a déjà démontré l’expérience, l’arme de la critique en critique par les armes. Tout manque d’esprit de suite, ou toute faiblesse dans la lutte contre ceux qui se conduisent comme des réformistes ou des « centristes », a pour conséquence un accroissement direct du danger de renversement du pouvoir du prolétariat par la bourgeoisie, qui utilisera demain pour la contre-révolution ce qui ne paraît aux bornés qu’un « désaccord théorique » d’aujourd’hui.

7. Il est impossible de se limiter à la négation habituelle de principe de toute collaboration avec la bourgeoisie, de tout « coalitionnisme ». Une simple défense de la « liberté » et de « l’égalité » avec le maintien de la propriété privée des moyens de production, se transforme dans les conditions de la dictature du prolétariat, qui ne sera jamais en état d’abolir d’un coup la propriété privée en entier, en « collaboration » avec la bourgeoisie qui sapera directement le pouvoir de la classe ouvrière. Car la dictature du prolétariat signifie l’affermissement gouvernemental et la défense, par tout le système d’État, non pas de « la liberté » pour les exploiteurs de continuer leur œuvre d’oppression et d’exploitation, non pas de « l’égalité » du propriétaire (c’est-à-dire de celui qui conserve pour sa jouissance personnelle certains moyens de production créés par le travail de la collectivité) et du pauvre. Ce qui nous paraît jusqu’à la victoire du prolétariat n’être qu’un désaccord sur la question de la « démocratie » deviendra inévitablement demain, après la victoire, une question qu’il faudra trancher par les armes. Sans transformation radicale de tout le caractère de la lutte contre les « centristes » et les « défenseurs de la démocratie » la préparation même préalable des masses à la réalisation de la dictature du prolétariat est donc impossible.

8. La dictature du prolétariat est la forme la plus décisive et la plus révolutionnaire de la lutte de classes du prolétariat et de la bourgeoisie. Pareille lutte ne peut être victorieuse que lorsque l’avant-garde la plus révolutionnaire du prolétariat entraîne derrière elle l’écrasante majorité ouvrière. La préparation de la dictature du prolétariat exige pour ces raisons, non seulement la divulgation du caractère bourgeois du réformisme et de toute défense de la démocratie impliquant le maintien de la propriété privée sur les moyens de production ; non seulement la divulgation des manifestations de tendances, qui signifient en fait la défense de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier ; mais elle exige aussi le remplacement des anciens leaders par des Communistes dans toutes les formes d’organisation prolétarienne, politiques, syndicales, coopératives, d’éducation, etc…

Plus la domination de la démocratie bourgeoise a été longue et ferme, dans un pays donné, plus la bourgeoisie a réussi a amener aux postes importants du mouvement ouvrier des hommes éduqués par elle, par ses conceptions, par ses préjugés, très souvent directement ou indirectement achetés par elle. Il est indispensable, et il faut le faire avec cent fois plus de hardiesse qu’on ne l’a fait jusqu’ici, de remplacer ces représentants de l’aristocratie ouvrière par des travailleurs même inexpérimentés, proches de la masse exploitée et jouissant de sa confiance dans la lutte contre les exploiteurs. La dictature du prolétariat exigera la désignation de tels travailleurs inexpérimentés aux postes les plus importants du gouvernement, sans quoi le pouvoir de la classe ouvrière restera impuissant et ne sera pas soutenu par la masse.

9. La dictature du prolétariat est la réalisation la plus complète de la domination de tous les travailleurs et de tous les exploités, opprimés, abrutis, terrorisés, éparpillés, trompés par la classe capitaliste, mais conduits par la seule classe sociale préparée à cette mission dirigeante par toute l’histoire du capitalisme. C’est pourquoi la préparation de la dictature prolétarienne doit être partout et immédiatement commencée, entre autres par les moyens que voici :

Dans toutes les organisations sans exception, — syndicats, unions, etc… — prolétariennes d’abord et ensuite non-prolétariennes, des masses laborieuses exploitées (qu’elles soient politiques, syndicales, militaires, coopératives, postscolaires, sportives, etc…), des groupes ou des noyaux communistes doivent être formés, de préférence ouvertement, mais, s’il le faut, clandestinement — ce qui devient obligatoire toutes les fois que leur mise hors la loi et l’arrestation de leurs membres sont à craindre ; ces groupes, rattachés les uns aux autres et rattachés au centre du Parti, échangeant le résultat de leur expérience, s’occupant d’agitation, de propagande et d’organisation s’adaptent à tous les domaines de la vie sociale, à tous les aspects et à toutes les catégories de la masse laborieuse, doivent procéder par leur travail multiple à leur propre éducation, à celle du Parti, de la classe ouvrière et de la masse.

Il est, cependant, de la plus haute importance d’élaborer pratiquement, — dans leur développement nécessaire — des méthodes d’action, d’une part, à l’égard des leaders ou des représentants autorisés des organisations, complètement corrompus par les préjugés impérialistes et petits-bourgeois (ces leaders, il faut impitoyablement les démasquer et les exclure du mouvement ouvrier) et, d’autre part, à l’égard des masses qui, surtout depuis la tuerie impérialiste, sont disposées à prêter l’oreille à l’enseignement de la nécessité de suivre le prolétariat, seul capable de les tirer de l’esclavage capitaliste. Il convient de savoir aborder les masses avec patience et circonspection, afin de comprendre les particularités psychologiques de chaque profession, de chaque groupe au sein de cette masse.

10. Il est un groupe ou fraction de Communistes qui mérite tout particulièrement l’attention et la surveillance du Parti : c’est la fraction parlementaire, autrement dit, le groupe des membres du parti élus au Parlement (ou aux municipalités, etc…). D’une part, ces tribunes sont, aux yeux des couches profondes de la classe laborieuse retardataire ou farcie de préjugés petits-bourgeois, d’une importance capitale ; c’est d’ailleurs la raison qui fait que les Communistes doivent, du haut de ces tribunes, mener une action de propagande, d’agitation, d’organisation, et expliquer aux masses pourquoi était nécessaire en Russie (comme il le sera, le cas échéant, dans tous les pays) la dissolution du Parlement bourgeois par le congrès panrusse de Soviets. D’autre part, toute l’histoire de la démocratie bourgeoise a fait de la tribune parlementaire, notamment dans les pays avancés, la principale ou l’une des principales arènes des duperies financières et politique, de l’arrivisme, de l’hypocrisie, de l’oppression des travailleurs. C’est pourquoi la haine vivace nourrie à l’égard des parlements par les meilleurs représentants du prolétariat est pleinement justifiée. C’est pourquoi les Partis Communistes et tous les partis adhérents à la 3e Internationale (dans les cas surtout où ces partis n’ont pas été créés par suite d’une scission des anciens partis après une lutte longue et acharnée, mais se sont formés par l’adoption souvent nominale d’une nouvelle position par les anciens partis) doivent observer une attitude très rigoureuse à l’égard de leurs fractions parlementaires, c’est-à-dire exiger : leur subordination complète au Comité Central du Parti ; l’introduction de préférence dans leur composition d’ouvriers révolutionnaires ; l’analyse la plus attentive dans la presse du Parti et aux réunions de celui-ci, des discours des parlementaires du point de vue de leur attitude communiste ; la désignation des parlementaires pour l’action de propagande parmi les masses, l’exclusion immédiate de tous ceux qui manifesteraient une tendance vers la 2e Internationale, etc…

11. Un des obstacles les plus graves au mouvement ouvrier révolutionnaire dans les pays capitalistes développés dérive du fait que grâce aux possessions coloniales et à la plus-value du capital financier, etc…, le capital a réussi à y créer une petite aristocratie ouvrière relativement imposante et stable. Elle bénéficie des meilleures conditions de rétribution ; elle est, par-dessus tout, pénétrée d’un esprit de corporatisme étroit, de petite bourgeoisie et de préjugés capitalistes. Elle constitue le véritable « point d’appui » social de la 2e Internationale des réformistes et des « centristes », et elle est bien près, à l’heure actuelle, d’être le point d’appui principal de la bourgeoisie. Aucune préparation, même préalable, du prolétariat au renversement de la bourgeoisie n’est possible sans une lutte directe, systématique, large, déclarée, avec cette petite minorité, qui, sans aucun doute (comme l’a pleinement prouvé l’expérience) donnera nombre des siens à la garde blanche de la bourgeoisie après la victoire du prolétariat. Tous les partis adhérant à la 3e Internationale doivent, coûte que coûte, donner corps dans la vie à ce mot d’ordre, « plus profondément dans les masses », en comprenant par masse tout l’ensemble des travailleurs et des exploités par le capital, et surtout les moins organisés et les moins éclairés, les plus opprimés et les moins accessibles à l’organisation.

Le prolétariat ne devient révolutionnaire qu’autant qu’il ne s’enferme pas dans les cadres d’un étroit corporatisme et pour autant qu’il agit dans toutes les manifestations et tous les domaines de la vie sociale, comme le chef de toute la masse laborieuse et exploitée. La réalisation de sa dictature est impossible sans préparation et sans la résolution de consentir aux pertes les plus grandes au nom de la victoire sur la bourgeoisie. Et sous ce rapport, l’expérience de la Russie a une importance pratique de principe. Le prolétariat russe n’aurait pas pu réaliser sa dictature, n’aurait pas pu conquérir la sympathie et la confiance générales de toute la masse ouvrière, s’il n’avait pas fait preuve de plus d’esprit de sacrifice et s’il n’avait pas plus profondément souffert de la faim que toutes les autres couches de cette masse, aux heures les plus difficiles des attaques, des guerres, du blocus de la bourgeoisie mondiale.

L’appui le plus complet et le plus dévoué du Parti Communiste et du prolétariat d’avant-garde est tout particulièrement nécessaire à l’égard de tout mouvement gréviste large, violent, considérable, qui est seul en état, sous l’oppression du capital, de réveiller véritablement, d’ébranler et d’organiser les masses, de leur inspirer une confiance pleine et entière en le rôle directeur du prolétariat révolutionnaire. Sans une semblable préparation, aucune dictature du prolétariat n’est possible, et les hommes capables de prendre fait et cause contre les grèves comme le font Kautsky en Allemagne et Turati en Italie, ne doivent pas être tolérés au sein des partis qui se rattachent à la 3e Internationale. Ceci concerne certainement plus encore les leaders parlementaires et trade-unionistes qui, à tout moment, trahissent les ouvriers, en leur enseignant par la grève le réformisme et non la révolution (exemples : Jouhaux en France, Gompers en Amérique, G.-H. Thomas en Angleterre).

12. Pour tous les pays, même pour les plus « libres », les plus « légaux », les plus « pacifiques » au sens de la plus faible exacerbation de la lutte de classe, le moment est venu où il est d’une nécessité absolue pour tout Parti communiste, d’unir l’action légale et illégale, l’organisation légale et l’organisation clandestine. Car dans les pays les plus cultivés et les plus libres, ceux du régime bourgeois-démocratique le plus « stable », les gouvernements, en dépit de leurs déclarations mensongères et cyniques, établissent déjà de secrètes listes noires de communistes, violent à tout instant leur propre constitution en soutenant plus ou moins secrètement les gardes-blancs et l’assassinat des communistes dans tous les pays, préparent dans l’ombre les arrestations des communistes, introduisent parmi eux des provocateurs, etc…

Il n’est que le plus réactionnaire esprit petit-bourgeois, quelle que soit la beauté des phrases « démocratiques » et pacifiques dont il se pare, qui puisse nier ce fait et la conclusion obligatoire qui en découle : la formation immédiate par tous les partis communistes légaux d’organisations clandestines en vue de l’action illégale, organisations qui seront prête pour le jour où la bourgeoisie se mettra à traquer les communistes. Une action illégale dans l’armée, dans la flotte, dans la police est de la plus haute importance ; depuis la grande guerre impérialiste tous les gouvernements du monde ont pris peur de l’armée populaire et ont eu recours à tous les procédés imaginables pour constituer spécialement des unités militaires avec des éléments spécialement triés parmi la bourgeoisie et armés des engins meurtriers les plus perfectionnés.

Il est d’autre part également nécessaire dans tous les cas, sans exception, de ne pas se borner à une action illégale, mais aussi de poursuivre l’action légale en surmontant à cet effet toutes les difficultés, en fondant des journaux légaux et des organisations légales sous les désignations les plus différentes, et le cas échéant en changeant fréquemment leurs dénominations. Ainsi agissent les partis communistes illégaux en Finlande, en Hongrie, en Allemagne et dans une certaine mesure, en Pologne, Lituanie, etc… Ainsi doivent agir les Travailleurs Industriels du Monde (I.W.W.) en Amérique, et devront agir tous les autres partis communistes légaux, au cas où il plairait aux procureurs de leur intenter des poursuites pour la seule acceptation des résolutions des Congrès de l’Internationale Communiste, etc…

L’absolue nécessité d’unir l’action légale et illégale n’est pas déterminée en principe par l’ensemble des conditions de l’époque que nous traversons, période de veille de dictature prolétarienne, mais par le besoin de montrer à la bourgeoisie qu’il n’y a pas et qu’il ne peut pas y avoir de domaines et de champs d’action, que n’aient pas conquis les communistes, et aussi parce qu’il existe encore partout de profondes couches du prolétariat, et dans des proportions plus vastes encore une masse laborieuse et exploitée non prolétarienne, qui font toujours confiance à la légalité bourgeoise démocratique, et qu’il est très important pour nous de dissuader.

13. L’état de la presse ouvrière dans les pays capitalistes les plus avancés montre de façon éclatante le mensonge de la liberté et de l’égalité en démocratie bourgeoise, de même que la nécessité d’unir systématiquement l’action légale et illégale. Tant dans l’Allemagne vaincue que dans l’Amérique victorieuse, toutes les forces de l’appareil gouvernemental de la bourgeoisie et toute l’astuce des rois de l’or sont mises en mouvement pour dépouiller les ouvriers de leur presse : poursuites judiciaires et arrestations (ou assassinats commis par des spadassins) des rédacteurs, confiscation des envois postaux, confiscation du papier, etc… Et tout ce qui est nécessaire à un journal quotidien en fait d’information se trouve entre les mains des agences télégraphiques bourgeoises, les annonces sans lesquelles un grand journal ne peut pas couvrir ses frais sont à la « libre » disposition des capitalistes. En résumé, la bourgeoisie, par le mensonge, par la pression du capital et de l’État bourgeois dépouille le prolétariat révolutionnaire de sa presse.

Pour lutter contre cet état de choses, les Partis Communistes doivent créer un nouveau type de presse périodique destiné à la diffusion en masse parmi les ouvriers, comportant :

1° des publications légales qui apprendraient, sans se déclarer communistes et sans parler de leur dépendance du Parti, à tirer parti des moindres possibilités légales, comme les bolcheviks l’ont fait sous le tsarisme après 1905 ;

2° des tracts illégaux, ne fût-ce que d’un format minime, paraissant irrégulièrement, mais imprimés par les ouvriers dans un grand nombre de typographies (clandestinement, ou si le mouvement s’est renforcé, par la mainmise sur les typographes) donnant au prolétariat une information libre, révolutionnaire, et des mots d’ordre révolutionnaires.

Sans une bataille révolutionnaire, qui entraînera les masses, pour la liberté de la presse communiste, la préparation de la dictature du prolétariat est impossible.

3. — MODIFICATION DE LA LIGNE DE CONDUITE,
ET PARTIELLEMENT, DE LA COMPOSITION SOCIALE
DES PARTIS ADHÉRANT OU DÉSIREUX D’ADHÉRER
À L’INTERNATIONALE COMMUNISTE

14. Le degré de préparation du prolétariat des pays les plus importants, au point de vue de l’économie et de la politique mondiales, à la réalisation de la dictature ouvrière se caractérise avec le plus d’objectivité et d’exactitude, par le fait que les partis les plus influents de la 2e Internationale, tels que le Parti Socialiste Français, le Parti Social-Démocrate Indépendant Allemand, le Parti Ouvrier Indépendant Anglais, le Parti Socialiste Américain sont sortis de cette Internationale Jaune et ont décidé, sous condition, d’adhérer à la 3e Internationale. Il est ainsi prouvé que l’avant-garde n’est pas seule, que la majorité du prolétariat révolutionnaire a commencé, persuadée par toute la marche des événements, à passer de notre côté. L’essentiel maintenant est de savoir achever ce passage et solidement affermir par l’organisation ce qui a été obtenu, afin qu’il soit possible d’aller de l’avant sur toute la ligne sans la moindre hésitation.

15. Toute l’activité des partis précités (auxquels il faut encore ajouter le Parti Socialiste Suisse si le télégramme nous informant de sa décision d’adhésion à la 3e Internationale est exact) prouve (et n’importe quelle publication de ces partis le confirme indubitablement), qu’elle n’est pas encore communiste et va fréquemment à l’encontre des principes fondamentaux de la 3e Internationale en reconnaissant la démocratie bourgeoise au lieu de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique.

Pour ces raisons le 2e Congrès de l’Internationale Communiste déclare qu’il ne considère pas comme possible de reconnaître immédiatement ces partis ; qu’il confirme la réponse faite par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste aux indépendants allemands ; qu’il confirme son consentement d’entrer en pourparlers avec tout parti qui sortira de la 2e Internationale et qui exprimera le désir de se rapprocher de la 3e Internationale ; qu’il accorde voix consultative aux délégués de ces partis à tous ses Congrès et Conférences ; qu’il pose les conditions suivantes pour l’union complète de ces partis (et partis similaires) avec l’Internationale Communiste.

1. Publication de toutes les décisions de tous les Congrès de l’Internationale Communiste et du Comité Exécutif dans toutes les éditions périodiques du Parti ;

2. Examen de ces dernières à des réunions spéciales de toutes les organisations locales du Parti ;

3. Convocation, après cet examen, d’un Congrès spécial du Parti afin d’en exclure les éléments qui continuent à agir dans l’esprit de la 2e Internationale. Ce Congrès devra être convoqué aussi vite que possible dans un délai maximum de quatre mois après le 2e Congrès de l’Internationale Communiste ;

4. Expulsion du Parti de tous les éléments qui continuent à agir dans l’esprit de la 2e Internationale ;

5. Passage de tous les organes périodiques du Parti aux mains de rédacteurs exclusivement communistes ;

6. Les partis qui voudraient adhérer maintenant à la 3e Internationale mais qui n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique doivent préalablement veiller à ce que les deux tiers des membres de leur comité central et des institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades qui, déjà avant le 2e Congrès, s’étaient ouvertement prononcés pour l’adhésion du Parti à la 3e Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l’approbation du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve aussi le droit de faire des exceptions en ce qui concerne les représentants de la tendance centriste mentionnés au paragraphe 7 ;

7. Les membres du Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

16. En ce qui concerne l’attitude des communistes qui forment la minorité actuelle parmi les militants responsables des Partis précités et similaires, le 2e Congrès de l’Internationale Communiste décide que par suite de l’allure rapide du développement actuel de l’esprit révolutionnaire des masses la sortie des communistes de ces Partis n’est pas désirable, aussi longtemps qu’ils auront la possibilité d’y mener une action dans le sens de la reconnaissance de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique, de critiquer les opportunistes et les centristes qui y demeurent encore.

Toutefois lorsque l’aile gauche d’un parti centriste aura acquis une force suffisante elle pourra, si elle le juge utile au développement du communisme, quitter le Parti en bloc et former un parti communiste.

En même temps le 2e Congrès de la 3e Internationale approuve également l’adhésion des groupes et organisations communistes ou sympathisant au communisme au Labour Party anglais, bien que ce dernier ne soit pas encore sorti de la 2e Internationale. Aussi longtemps que ce Parti laissera à ses organisations leur liberté actuelle de critique, d’action, de propagande, d’agitation et d’organisation pour la dictature du prolétariat et pour le pouvoir soviétique, aussi longtemps qu’il conservera son caractère d’union de toutes les organisations syndicales de la classe ouvrière, les communistes doivent faire toutes les tentatives et aller jusqu’à certains compromis afin d’avoir la possibilité d’exercer une influence sur les grandes masses des travailleurs, de dénoncer leurs chefs opportunistes du haut des tribunes en vue des masses, de hâter le passage du pouvoir politique des mains des représentants directs de la bourgeoisie aux mains des lieutenants ouvriers de la classe ouvrière pour délivrer au plus tôt les masses des dernières illusions a ce sujet.

17. En ce qui concerne le Parti Socialiste Italien, le 2e Congrès de la 3e Internationale, reconnaissant que la révision du programme voté l’année dernière par ce Parti dans son Congrès de Bologne marque une étape très importante dans sa transformation vers le communisme, et que les propositions présentées par la Section de Turin au conseil général du Parti publiées dans le journal l’Ordine Nuovo du 8 mai 1920 correspondent à tous les principes fondamentaux de la 3e Internationale, prie le Parti Socialiste Italien d’examiner, dans le prochain Congrès qui doit être convoqué en vertu des statuts du Parti et des dispositions générales sur l’admission à la 3e Internationale, les susdites propositions et toutes les décisions des deux Congrès de l’Internationale Communiste, particulièrement au sujet de la fraction parlementaire, des Syndicats et des éléments non communistes du Parti.

18. Le 2e Congrès de la 3e Internationale considère comme inadéquates les conceptions sur les rapports du Parti avec la classe ouvrière et avec la masse, sur la participation facultative des Partis Communistes à l’action parlementaire et à l’action des syndicats réactionnaires, qui ont été amplement réfutées dans les résolutions spéciales du présent Congrès, après avoir été surtout défendues par « le Parti Ouvrier Communiste Allemand », et quelque peu par le « Parti Communiste Suisse », par l’organe du bureau viennois de l’Internationale Communiste pour l’Europe Orientale, Kommunismus, par quelques camarades hollandais, par certaines organisations communistes d’Angleterre (dont la « Fédération Ouvrière Socialiste »), etc…, ainsi que par les « I.W.W. » d’Amérique et par les « Shop Stewards Committees » d’Angleterre, etc…, etc…

Néanmoins le 2e Congrès de la 3e Internationale croit possible et désirable la réunion à la 3e Internationale de celles de ces organisations qui n’y ont pas encore officiellement adhéré, car dans le cas présent, et surtout à l’égard des « Shop Stewards Committees » anglais, nous nous trouvons en présence d’un profond mouvement prolétarien, qui se tient en fait sur le terrain des principes fondamentaux de l’Internationale Communiste. Dans de telles organisations, les conceptions erronées sur la participation à l’action des Parlements bourgeois s’expliquent moins par le rôle des éléments issus de la bourgeoisie qui apportent leurs conceptions, d’un esprit au fond petit-bourgeois, telles que le sont souvent celles des anarchistes, que par l’inexpérience politique des prolétaires vraiment révolutionnaires et liés avec la masse.

Le 2e Congrès de la 3e Internationale prie pour ces raisons toutes les organisations et tous les groupes communistes des pays anglo-saxons de poursuivre même au cas où les « I.W.W. » et les « Shop Stewards Committees » ne se rattacheraient pas immédiatement à la 3e Internationale, une politique de relations plus amicales avec ces organisations, de rapprochement avec elles et avec les masses qui sympathisent avec elles, en leur faisant comprendre amicalement du point de vue de l’expérience de toutes les révolutions russes du xxe siècle, le caractère erroné de leurs conceptions, et en réitérant les tentatives de fusion avec ces organisations dans un Parti Communiste unique.

19. Le Congrès attire l’attention de tous les camarades, surtout des pays romans et anglo-saxons, sur ce fait : depuis la guerre une profonde division d’idées se produit parmi les anarchistes du monde entier au sujet de l’attitude à observer vis-à-vis de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique. Dans ces conditions, parmi les éléments prolétariens qui on souvent été poussés à l’anarchisme par la haine pleinement justifiée de l’opportunisme et du réformisme de la 2e Internationale, on observe une compréhension particulièrement exacte de ces principes, et qui ne fait que s’étendre davantage au fur et à mesure que l’expérience de la Russie, de la Finlande, de la Hongrie, de la Lituanie, de la Pologne et de l’Allemagne est mieux connue.

Pour ces raisons le Congrès croit du devoir de tous les camarades de soutenir par tous les moyens le passage de tous les éléments prolétariens de masses de l’anarchisme à la 3e Internationale.

Le Congrès considère que le succès de l’action des Partis vraiment communistes doit être apprécié entre autres, dans la mesure où ils auront réussi à attirer à eux tous les éléments vraiment prolétariens de l’anarchisme.

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de l’Internationale communiste

Conditions d’admission des partis dans l’Internationale Communiste décidées au second congrès

Le premier Congrès constituant de l’Internationale Communiste n’a pas élaboré les conditions précises de l’admission des Partis dans la 3e Internationale. Au moment où eut lieu son premier Congrès, il n’y avait dans la plupart des pays que des tendances et des groupes communistes.

Le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste se réunit dans de tout autres conditions. Dans la plupart des pays il y a désormais, au lieu des tendances et des groupes, des Partis et des organisations communistes.

De plus en plus souvent, des Partis et des groupes qui, récemment encore, appartenaient à la 2e Internationale et qui voudraient maintenant adhérer à l’Internationale Communiste s’adressent à elle, sans pour cela être devenus véritablement communistes. La 2e Internationale est irrémédiablement défaite. Les Partis intermédiaires et les groupes du « centre » voyant leur situation désespérée, s’efforcent de s’appuyer sur l’Internationale Communiste, tous les jours plus forte, en espérant conserver cependant une « autonomie » qui leur permettrait de poursuivre leur ancienne politique opportuniste ou « centriste ». L’Internationale Communiste est, d’une certaine façon, à la mode.

Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d’adhérer à la 3e Internationale nous confirme indirectement que l’Internationale Communiste a conquis les sympathies de la grande majorité des travailleurs conscients du monde entier et constitue une puissance qui croît de jour en jour.

L’Internationale Communiste est menacée de l’envahissement de groupes indécis et hésitants qui n’ont pas encore pu rompre avec l’idéologie de la 2e Internationale.

En outre, certains Partis importants (italien, suédois), dont la majorité se place au point de vue communiste, conservent encore en leur sein de nombreux éléments réformistes et social-pacifistes qui n’attendent que l’occasion pour relever la tête, saboter activement la révolution prolétarienne, en venant ainsi en aide à la bourgeoisie et à la 2e Internationale.

Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des soviets hongroise. L’union des communistes hongrois avec les réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.

C’est pourquoi le 2e Congrès international croit devoir fixer de façon tout à fait précise les conditions d’admission des nouveaux Partis et indiquer par la même occasion aux Partis déjà affiliés les obligations qui leur incombent.

Le 2e Congrès de l’Internationale Communiste décide que les conditions d’admission dans l’Internationale sont les suivantes :

1. La propagande et l’agitation quotidiennes doivent avoir un caractère effectivement communiste et se conformer au programme et aux décisions de la 3e Internationale. Tous les organes de la presse du Parti doivent être rédigés par des communistes sûrs, ayant prouvé leur dévouement à la cause du prolétariat. Il ne convient pas de parler de dictature prolétarienne comme d’une formule apprise et courante ; la propagande doit être faite de manière à ce que la nécessité en ressorte pour tout travailleur, pour toute ouvrière, pour tout soldat, pour tout paysan, des faits mêmes de la vie quotidienne, systématiquement notés par notre presse. La presse périodique ou autre et tous les services d’éditions doivent être entièrement soumis au Comité Central du Parti, que ce dernier soit légal ou illégal. Il est inadmissible que les organes de publicité mésusent de l’autonomie pour mener une politique non conforme à celle du Parti. Dans les colonnes de la presse, dans les réunions publiques, dans les syndicats, dans les coopératives, partout où les partisans de la 3e Internationale auront accès, ils auront à flétrir systématiquement et impitoyablement non seulement la bourgeoisie, mais aussi ses complices, réformistes de toutes nuances.

2. Toute organisation désireuse d’adhérer à l’Internationale Communiste doit régulièrement et systématiquement écarter des postes impliquant tant soit peu de responsabilité dans le mouvement ouvrier (organisations de Parti, rédactions, syndicats, fractions parlementaires, coopératives, municipalités) les réformistes et les « centristes » et les remplacer par des communistes éprouvés, — sans craindre d’avoir à remplacer, surtout au début, des militants expérimentés, par des travailleurs sortis du rang.

3. Dans presque tous les pays de l’Europe et de l’Amérique la lutte de classes entre dans la période de guerre civile. Les communistes ne peuvent, dans ces conditions, se fier à la légalité bourgeoise. Il est de leur devoir de créer partout, parallèlement à l’organisation légale, un organisme clandestin, capable de remplir au moment décisif, son devoir envers la révolution. Dans tous les pays où, par suite de l’état de siège ou de lois d’exception, les communistes n’ont pas la possibilité de développer légalement toute leur action, la concomitance de l’action légale et de l’action illégale est indubitablement nécessaire.

4. Le devoir de propager les idées communistes implique la nécessité absolue de mener une propagande et une agitation systématique et persévérante parmi les troupes. Là, où la propagande ouverte est difficile par suite de lois d’exception, elle doit être menée illégalement ; s’y refuser serait une trahison à l’égard du devoir révolutionnaire et par conséquent incompatible avec l’affiliation à la 3e internationale.

5. Une agitation rationnelle et systématique dans les campagnes est nécessaire. La classe ouvrière ne peut vaincre si elle n’est pas soutenue tout au moins par une partie des travailleurs des campagnes (journaliers agricoles et paysans les plus pauvres) et si elle n’a pas neutralisé par sa politique tout au moins une partie de la campagne arriérée. L’action communiste dans les campagnes acquiert en ce moment une importance capitale. Elle doit être principalement le fait des ouvriers communistes en contact avec la campagne. Se refuser à l’accomplir ou la confier à des demi-réformistes douteux c’est renoncer à la révolution prolétarienne.

6. Tout Parti désireux d’appartenir à la 3e Internationale, a pour devoir de dénoncer autant que le social-patriotisme avoué le social-pacifisme hypocrite et faux ; il s’agit de démontrer systématiquement aux travailleurs que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, nul tribunal arbitral international, nul débat sur la réduction des armements, nulle réorganisation « démocratique » de la Ligue des Nations ne peuvent préserver l’humanité des guerres impérialistes.

7. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste ont pour devoir de reconnaître la nécessité d’une rupture complète et définitive avec le réformisme et la politique du centre et de préconiser cette rupture parmi les membres des organisations. L’action communiste conséquente n’est possible qu’à ce prix.

L’Internationale Communiste exige impérativement et sans discussion cette rupture qui doit être consommée dans le plus bref délai. L’Internationale Communiste ne peut admettre que des réformistes avérés, tels que Turati, Kautsky, Hilferding, Longuet, MacDonald et autres, aient le droit de se considérer comme des membres de la 3e Internationale, et qu’ils y soient représentés. Un pareil état de choses ferait ressembler par trop la 3e Internationale à la 2e.

8. Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la 3e Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux.

9. Tout Parti désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doit poursuivre une propagande persévérante et systématique au sein des syndicats, coopératives et autres organisations des masses ouvrières. Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats au communisme. Leur devoir sera de révéler à tout instant la trahison des social-patriotes et les hésitations du « centre ». Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l’ensemble du Parti.

10. Tout Parti appartenant à l’Internationale Communiste a pour devoir de combattre avec énergie et ténacité l’« Internationale » des syndicats jaunes fondée à Amsterdam. Il doit répandre avec ténacité au sein des syndicats ouvriers l’idée de la nécessité de la rupture avec l’Internationale Jaune d’Amsterdam. Il doit par contre concourir de tout son pouvoir à l’union internationale des syndicats rouges adhérant à l’Internationale Communiste.

11. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste ont pour devoir de réviser la composition de leurs fractions parlementaires, d’en écarter les éléments douteux, de les soumettre, non en paroles mais en fait, au Comité Central du Parti, d’exiger de tout député communiste la subordination de toute son activité aux intérêts véritables de la propagande révolutionnaire et de l’agitation.

12. Les Partis appartenant à l’Internationale Communiste doivent être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique. À l’époque actuelle de guerre civile acharnée, le Parti Communiste ne pourra remplir son rôle que s’il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs, exerce une autorité incontestée, bénéficie de la confiance unanime des militants.

13. Les Partis Communistes des pays où les communistes militent légalement doivent procéder à des épurations périodiques de leurs organisations, afin d’en écarter les éléments intéressés et petit-bourgeois.

14. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doivent soutenir sans réserves toutes les républiques soviétiques dans leurs luttes avec la contre-révolution. Ils doivent préconiser inlassablement le refus des travailleurs de transporter les munitions et les équipements destinés aux ennemis des républiques soviétiques, et poursuivre, soit légalement soit illégalement, la propagande parmi les troupes envoyées contre les républiques soviétiques.

15. Les Partis qui conservent jusqu’à ce jour les anciens programmes social-démocrates ont pour devoir de les réviser sans retard et d’élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l’esprit de l’Internationale Communiste. Il est de règle que les programmes des Partis affiliés à l’Internationale Communiste soient confirmés par le Congrès International ou par le Comité Exécutif. Au cas où ce dernier refuserait sa sanction à un Parti, celui-ci aurait le droit d’en appeler au Congrès de l’Internationale Communiste.

16. Toutes les décisions des Congrès de l’Internationale Communiste, de même que celles du Comité Exécutif, sont obligatoires pour tous les Partis affiliés à l’Internationale Communiste. Agissant en période de guerre civile acharnée, l’Internationale Communiste et son Comité Exécutif doivent tenir compte des conditions de lutte si variées dans les différents pays et n’adopter de résolutions générales et obligatoires que dans les questions où elles sont possibles.

17. Conformément à tout ce qui précède, tous les Partis adhérant à l’Internationale Communiste doivent modifier leur appellation. Tout Parti désireux d’adhérer à l’Internationale Communiste doit s’intituler Parti Communiste de… (section de la 3e Internationale Communiste). Cette question d’appellation n’est pas une simple formalité ; elle a aussi une importance politique considérable. L’Internationale Communiste a déclaré une guerre sans merci au vieux monde bourgeois tout entier et à tous les vieux Partis social-démocrates jaunes. Il importe que la différence entre les Partis Communistes et les vieux Partis « social-démocrates » ou « socialistes » officiels qui ont vendu le drapeau de la classe ouvrière soit plus nette aux yeux de tout travailleur.

18. Tous les organes dirigeants de la presse des Partis de tous les pays sont obligés d’imprimer tous les documents officiels importants du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste.

19. Tous les Partis appartenant à l’Internationale Communiste ou sollicitant leur adhésion sont obligés de convoquer (aussi vite que possible), dans un délai de 4 mois après le 2e Congrès de l’Internationale Communiste, au plus tard, un Congrès extraordinaire afin de se prononcer sur ces conditions. Les Comités Centraux doivent veiller à ce que les décisions du 2e Congrès de l’Internationale Communiste soient connues de toutes les organisations locales.

20. Les Partis qui voudraient maintenant adhérer à la 3e Internationale, mais qui n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique, doivent préalablement veiller à ce que les 2/3 des membres de leur Comité Central et des Institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades, qui déjà avant le 2e Congrès s’étaient ouvertement prononcés pour l’adhésion du Parti à la 3e Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l’approbation du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve le droit de faire des exceptions pour les représentants de la tendance centriste mentionnés dans le paragraphe 7.

21. Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

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de l’Internationale communiste

Statuts de l’Internationale Communiste au second congrès de l’Internationale communiste

En 1864, fut fondée, à Londres, la première Association Internationale des Travailleurs : la Première Internationale. Les statuts de cette Association portaient :

Considérant :

Que l’émancipation de la classe ouvrière doit être obtenue par la classe ouvrière seule ;

Que la lutte pour cette émancipation ne signifie aucunement une lutte pour la création de nouveaux privilèges de classe et de monopoles, mais pour l’établissement de l’égalité des droits et des devoirs et pour la suppression de toute domination de classe ;

Que la soumission économique de l’homme au travail sous le régime des possesseurs des moyens de production (c’est-à-dire de toutes les sources de la vie) et l’esclavage sous toutes ses formes, sont les causes principales de la misère sociale, de la dégradation morale et de la dépendance politique ;

Que l’émancipation économique de la classe ouvrière est partout le but essentiel auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ;

Que tous les efforts en vue d’atteindre ce grand but ont échoué par suite de manque de solidarité entre les travailleurs des différentes branches du travail dans chaque pays et d’alliance fraternelle entre les travailleurs des pays différents ;

Que l’émancipation n’est point un problème local ou national, mais un problème social embrassant tous les pays où le régime social moderne existe, et dont la solution dépend de la collaboration théorique et pratique des pays les plus avancés ; que la rénovation actuelle simultanée du mouvement ouvrier dans les pays industriels de l’Europe éveille en nous d’un côté de nouveaux espoirs, mais de l’autre, nous donne un avertissement solennel de ne pas retomber dans les anciennes erreurs, et nous appelle à la coordination immédiate du mouvement qui jusqu’à présent n’avait point de cohérence. »

La 2e Internationale, fondée en 1889, à Paris, s’était engagée à continuer l’œuvre de la Première Internationale. Mais en 1914, au début de la guerre mondiale, elle a subi un krach complet. La 2e Internationale a péri, minée par l’opportunisme et terrassée par la trahison de ses chefs, passés dans le camp de la bourgeoisie.

La 3e Internationale Communiste, fondée en mars 1919, dans la capitale de la République Socialiste Fédérative des Soviets, à Moscou, a déclaré solennellement à la face du monde qu’elle se chargeait de poursuivre et d’achever la grande œuvre entreprise par la Première Internationale des Travailleurs.

La 3e Internationale Communiste s’est constituée à la fin du carnage impérialiste de 1914-1918, au cours duquel la bourgeoisie des différents pays a sacrifié 20 millions de vies.

Souviens-toi de la guerre impérialiste ! Voilà la première parole que l’Internationale Communiste adresse à chaque travailleur, quelles que soient son origine et la langue qu’il parle. Souviens-toi que, du fait de l’existence du régime capitaliste, une poignée d’impérialistes a eu, pendant quatre longues années, la possibilité de contraindre les travailleurs de partout à s’entr’égorger ! Souviens-toi que la guerre bourgeoise a plongé l’Europe et le monde entier dans la famine et le dénuement ! Souviens-toi que sans le renversement du capitalisme, la répétition de ces guerres criminelles est non seulement possible, mais inévitable !

L’Internationale Communiste se donne pour but la lutte armée pour le renversement de la bourgeoisie internationale, et la création de la république internationale des soviets, première étape dans la voie de la suppression complète de tout régime gouvernemental. L’Internationale Communiste considère la dictature du prolétariat comme l’unique moyen disponible pour arracher l’humanité aux horreurs du capitalisme. Et l’Internationale Communiste considère le pouvoir des Soviets comme la forme de dictature du prolétariat qu’impose l’histoire.

La guerre impérialiste a créé un lien particulièrement étroit entre les destinées des travailleurs d’un pays et celles du prolétariat de tous les autres pays.

La guerre impérialiste a confirmé une fois de plus la véracité de ce qu’on pouvait lire dans les statuts de la Première Internationale : l’émancipation des travailleurs n’est pas une tâche locale, ni nationale, mais bien une tâche sociale et internationale.

L’Internationale Communiste rompt pour tout jamais avec la tradition de la 2e Internationale pour laquelle n’existaient en fait que les peuples de race blanche. L’Internationale Communiste fraternise avec les hommes de race blanche, jaune, noire, les travailleurs de toute la terre.

L’Internationale Communiste soutient, intégralement et sans réserves, les conquêtes de la grande révolution prolétarienne en Russie, de la première révolution socialiste, dans l’histoire, qui ait été victorieuse et invite les prolétaires du monde à marcher dans la même voie. L’Internationale Communiste s’engage à soutenir par tous les moyens qui seront en son pouvoir toute république socialiste qui serait créée en quelque lieu que ce soit.

L’Internationale Communiste n’ignore pas que, pour hâter la victoire, l’Association Internationale des Travailleurs, qui combat pour l’abolition du capitalisme et l’instauration du communisme, doit avoir une organisation fortement centralisée. Le mécanisme organisé de l’Internationale Communiste doit assurer aux travailleurs de chaque pays la possibilité de recevoir, à tout moment, de la part des travailleurs organisés des autres pays, tout le secours possible.

Tout cela considéré, l’Internationale Communiste adopte les statuts que voici :

Art. 1. — La Nouvelle Association Internationale des Travailleurs est fondée dans le but d’organiser une action d’ensemble du prolétariat des différents pays, tendant à une seule et même fin, à savoir : le renversement du capitalisme, l’établissement de la dictature du prolétariat et d’une république internationale des soviets qui permettront d’abolir totalement les classes et de réaliser le socialisme, premier degré de la société communiste.

Art. 2. — La Nouvelle Association Internationale des Travailleurs adopte le titre d’Internationale Communiste.

Art. 3. — Tout les partis et organisations affiliés à l’Internationale Communiste portent le nom de Parti Communiste de tel ou tel pays (section de l’Internationale Communiste).

Art. 4. — L’instance suprême de l’Internationale Communiste n’est autre que le Congrès mondial de tous les partis et organisations qui y sont affiliés. Le Congrès mondial sanctionne les programmes des différents partis qui adhèrent à l’Internationale Communiste. Il examine et résout les questions essentielles de programme et de tactique ayant trait à l’activité de l’Internationale Communiste. Le nombre de voix délibératives qui, dans le Congrès mondial, appartiendront à chaque parti ou organisation, sera fixé par une décision spéciale du Congrès ; il est, en outre, indispensable de s’efforcer de fixer, le plus tôt possible, les normes de représentation, en se basant sur le nombre effectif des membres de chaque organisation, et en tenant compte de l’influence réelle du Parti.

Art. 5. — Le Congrès international élit un Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, qui devient l’instance suprême de l’Internationale Communiste durant les intervalles qui séparent les sessions du Congrès mondial.

Art. 6. — Le siège du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste est désigné, à chaque nouvelle session, par le Congrès mondial.

Art. 7. — Un Congrès mondial extraordinaire de l’Internationale Communiste peut être convoqué soit par décision du Comité Exécutif soit sur la demande de la moitié du nombre total des Partis affiliés lors du dernier Congrès mondial.

Art. 8. — Le travail principal et la grande responsabilité, au sein du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste incombent principalement au Parti Communiste du pays où le Congrès mondial a fixé le siège du Comité Exécutif. Le Parti Communiste de ce pays fait entrer dans le Comité Exécutif au moins cinq représentants ayant voix délibérative. Outre cela, chacun des 12 partis communistes les plus importants fait entrer dans le Comité Exécutif un représentant, avec voix délibérative. La liste de ces partis est sanctionnée par le Congrès mondial. Les autres partis ou organisations ont le droit de déléguer auprès du Comité des représentants (à raison d’un par organisation) avec voix consultative.

Art. 9. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste dirige dans l’intervalle qui sépare les sessions des Congrès, tous les travaux de l’Internationale Communiste, publie, en quatre langues au moins, un organe central (la revue : l’Internationale Communiste),publie les manifestes qu’il juge indispensables au nom de l’Internationale Communiste et donne à tous les Partis et organisations affiliés des instructions qui ont force de loi. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le droit d’exiger des Partis affiliés que soient exclus tels groupes ou tels individus qui auraient enfreint la discipline prolétarienne ; il peut exiger l’exclusion des Partis qui auraient violé les décisions du Congrès mondial. Ces Partis ont le droit d’en appeler au Congrès mondial. En cas de nécessité le Comité Exécutif organise, dans différents pays, des bureaux auxiliaires techniques et autres qui lui sont entièrement subordonnés.

Art. 10. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le droit de coopter, en leur accordant voix consultative, les représentants des organisations et des Partis non admis dans l’Internationale Communiste, mais sympathisant avec le communisme.

Art. 11. — Les organes de la presse de tous les Partis et organisations affiliés à l’Internationale Communiste, ou sympathisant avec elle, doivent publier tous les documents officiels de l’Internationale Communiste et de son Comité Exécutif.

Art. 12. — La situation générale en Europe et en Amérique impose aux communistes l’obligation de créer, parallèlement à leurs organisations légales, des organisations secrètes. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le devoir de veiller à l’observation de cet article des Statuts.

Art. 13. — Il est de règle que toutes les relations politiques présentant une certaine importance entre les différents Partis affiliés à l’Internationale Communiste aient pour intermédiaire le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. En cas de nécessité urgente, ces relations peuvent être directes à la condition que le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste en soit informé.

Art. 14. — Les Syndicats qui se placent sur le terrain du communisme et qui forment des groupes internationaux sous le contrôle du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, constituent une section syndicale de l’Internationale Communiste. Les Syndicats communistes envoient leurs représentants au Congrès mondial de l’Internationale Communiste, par l’intermédiaire du Parti Communiste de leur pays. La section syndicale de l’Internationale Communiste délègue un de ses membres auprès du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, où il a voix délibérative. Le Comité Exécutif a le droit de déléguer, auprès de la section syndicale de l’Internationale Communiste, un représentant qui a voix délibérative.

Art. 15. — L’Union Internationale de la Jeunesse Communiste est subordonnée à l’Internationale Communiste et à son Comité Exécutif. Elle délègue un représentant de son Comité Exécutif au Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, où il a voix délibérative. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a la faculté de déléguer auprès du Comité Exécutif de l’Union de la Jeunesse, un représentant, qui a voix délibérative. Les rapports mutuels qui existent entre l’Union de la Jeunesse et le Parti Communiste, en tant qu’organisations, dans chaque pays, sont basés sur le même principe.

Art. 16. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste sanctionne la nomination d’un secrétaire du mouvement féminin international et organise une section des Femmes Communistes de l’Internationale.

Art. 17. — Tout membre de l’Internationale Communiste qui se rend d’un pays à un autre, y est fraternellement accueilli par les membres de la 3e Internationale.

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de l’Internationale communiste

Comité exécutif de l’Internationale Communiste: aux prolétaires de tous les pays [sur l’attaque polonaise]

[Mai 1920.]

Ouvriers de tous les pays !

De nouveau, le sang coule en Orient ! De nouveau, des opérations militaires ruinent de vastes régions ; de nouveau les masses qui aspirent à la paix, au travail créateur, à la régénération et à la reconstruction de leur Etat, sont forcées à combattre.

L’offensive de la Pologne capitaliste et bourgeoise contre la Russie socialiste interrompt, de nouveau, la travail pacifique que les ouvriers et les paysans russes ont commencé après avoir défait les agents du capitalisme mondial — Koltchak, Denikine et Youdénitch — et conquis définitivement les terres, les fabriques et les usines des propriétaires et des bourgeois.

A qui est la faute de ces nouveaux crimes ?

Vous savez que le Pouvoir Soviétiste avait reconnu l’indépendance de la Pologne dès le premier jour où cet État fut créé. Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste a fait, à maintes reprises, des propositions de paix au gouvernement polonais.

Vous savez que le pouvoir soviétiste, en ménageant le sang des ouvriers russes et polonais, était toujours prêt à des concessions territoriales et économiques.

Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste, étant sûr que les ouvriers polonais, alliés du prolétariat russe, prendront, tôt ou tard le pouvoir entre leurs mains, consentait même à concéder aux classes dirigeantes polonaises des territoires qui ne peuvent appartenir à la Pologne pour des raisons purement ethnographiques.

Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste consentait à ce que la conférence de paix fût tenue non seulement à Varsovie, mais même à Paris ou à Londres, dans une de ces capitales bourgeoises, si étroitement liées avec les capitalistes et les propriétaires polonais.

Mais à toutes les propositions de paix du gouvernement soviétiste, la Pologne a répondu par une offensive félonne contre l’Ukraine, offensive qui a pour mot d’ordre le rétablissement du pouvoir de Petlioura, de cet aventurier qui se vendait tantôt aux impérialistes alliés, tantôt aux impérialistes allemands, et qui se met maintenant au service des propriétaires polonais, oppresseurs séculaires du peuple ukrainien.

La Pologne n’a commencé la guerre que pour imposer à la Russie, ruinée par les incessantes attaques des capitalistes alliés, une énorme contribution territoriale et pécuniaire.

Mais la faute de cette guerre est non seulement aux propriétaires et capitalistes polonais, elle est aussi aux gouvernements de l’Entente. Ce sont eux qui ont armé et qui arment toujours la Pologne blanche.

Tout en traitant avec le gouvernement soviétiste la question du rétablissement des relations commerciales avec la Russie, les impérialistes alliés ne perdent pas l’espoir de briser le pouvoir des ouvriers et des paysans de la Russie soviétiste.

L’Entente estime que la République des Soviets commencera à se décomposer politiquement dès qu’elle aura entamé des rapports commerciaux réguliers avec l’Europe ; en même temps, elle espère anéantir la Russie soviétiste par un coup qu’elle cherche à lui porter par la main d’un pays étranger quelconque.

Les impérialistes alliés croient toujours qu’ils pourront écraser le prolétariat russe et le ramener de nouveau à l’esclavage, s’ils lancent contre lui de nouvelles hordes contre-révolutionnaires.

Les capitalistes français ont envoyé à la Pologne non seulement des armes, en quantité énorme, mais encore 600 officiers (sous les ordres du général Henry) qui aideront les officiers polonais mal instruits à attaquer la Russie soviétiste.

D’un seul mot, mais catégorique et ferme, le gouvernement anglais aurait pu empêcher cette guerre, en déclarant : « Assez de guerres, assez de destructions ! La Russie est une source inépuisable de matières brutes et le monde entier en a besoin. ».

Mais le gouvernement de Lloyd George, qui fait appel, dans ses notes au gouvernement soviétiste, aux sentiments d’humanité et qui exige l’amnistie pour tous les contre-révolutionnaires d’Arkhangel et de Crimée, le gouvernement de Lloyd George n’a pas voulu dire que c’était assez de sang et de larmes.

Les bandits polonais ont promis à Lloyd George de lui envoyer de l’Ukraine occupée du blé et des matières premières, et cette promesse avait suffi pour que le gouvernement britannique, tout en poursuivant ses pourparlers avec la Russie soviétiste relativement au rétablissement des rapports commerciaux, autorisât la Pologne blanche à attaquer la république soviétiste.

Le gouvernement italien de Nitti, qui a une peur bleue des masses révolutionnaires italiennes et qui profite de toute occasion pour manifester au peuple russe ses sentiments d’amitié, le gouvernement italien, au lieu de protester contre l’offensive de la Pologne blanche, lui envoie des armes par l’intermédiaire de l’Autriche.

Quant au gouvernement américain, on le connaît bien. Les aviateurs américains bombardent les villes ukrainiennes. La faute de cette guerre est aux gouvernements de tous les pays alliés qui soutiennent tous, plus ou moins, les bandits et les voleurs polonais.

Ouvriers de tous les pays !

La Russie soviétiste aura raison des bandits sans vergogne de l’impérialisme polonais, comme elle a déjà eu raison de Youdénitch, de Koltchak et de Dénikine, que vos gouvernements avaient soutenus non moins énergiquement.

Après les premières victoires très faciles que les légions polonaises ont remportées en Ukraine, elles auront à essuyer la colère des ouvriers et des paysans de toute la Russie et même celle des masses sans-parti qui comprennent maintenant que le gouvernement soviétiste est le véritable défenseur de l’indépendance du grand pays.

Mais il s’agit de savoir, quelle sera la durée de cette guerre, combien de richesses seront encore anéanties et combien de blessures nouvelles aura encore à guérir le peuple russe.

Il ne dépend que de vous, ouvriers de tous les pays, que cette guerre finisse, le plus vite possible, par une débâcle des capitalistes et des propriétaires polonais. Ouvriers des fabriques de munitions de guerre de la France, de l’Angleterre, de l’Italie et de l’Amérique !

Ne fabriquez pas un seul fusil, un seul canon pour la Pologne. Ouvriers des transports, cheminots, chargeurs et matelots ! Empêchez qu’on envoie à la Pologne des munitions et des vivres qui aideront les blancs à faire la guerre à la Russie soviétiste.

Ouvriers de tous les pays alliés !

Organisez des manifestations et des grèves et parcourez les rues de vos villes avec des drapeaux portant comme devise ces mots : « Pas de concours à la Pologne blanche ! » Les alliés doivent museler leurs chiens de chasse — les capitalistes et les propriétaires polonais — et conclure une paix honnête avec la Russie soviétiste.

Ouvriers de l’Allemagne et de l’Autriche ! Vous savez que la Russie soviétiste est la base de la révolution mondiale et qu’il n’y a que cette révolution qui puisse vous libérer du joug de vos propres capitalistes et de la corde que les traités de paix de Versailles et de Saint-Germain ont passée à votre cou.

Cheminots allemands ! Arrêtez tous les trains qui se rendent de France en Pologne. Ouvriers du port de Dantzig ! Ne déchargez pas les steamers à destination de la Pologne. Cheminots autrichiens ! Pas un train ne doit passer de l’Italie en Pologne.

Ouvriers de la Roumanie, de la Finlande et du pays letton ! Vos gouvernements blancs, qui se sont liés par des traités secrets avec les propriétaires polonais, peuvent vous entraîner dans cette guerre. Soyez prudents et faites votre possible pour empêcher cette honte.

Ouvriers de la Pologne ! Une lutte commune de trente ans vous lie avec le prolétariat russe ; il est donc inutile de vous rappeler votre devoir. Vous le faites consciencieusement : vous organisez des manifestations et des grèves et vous exigez la paix avec la Russie soviétiste, en participant ainsi à notre lutte qui vous coûte déjà des milliers de victimes.

C’est avec fierté que vous regarde la 3e Internationale, dont les fondateurs comptent dans leurs rangs Rosa Luxemburg et Jean Tyszkevicz ; la 3e Internationale est sûre que vous tendrez, à l’heure qu’il est, tous vos efforts pour attaquer la Pologne blanche sur ses arrières et pour remporter, avec le concours des ouvriers de la Russie, une victoire décisive sur les capitalistes et propriétaires polonais !

Vous savez que ce n’est pas l’esclavage que la Russie soviétiste apporte à la Pologne, mais la liberté nationale, l’émancipation de l’oppression du capitalisme allié et un secours puissant dans votre lutte contre vos propres capitalistes.

La victoire de la Russie ouvrière et paysanne sera aussi celle du prolétariat polonais, qui est le frère et l’allié des ouvriers et des paysans russes. Attaquez donc, ouvriers, polonais ! C’est votre combat final ! Le jour approche où la justice de votre pays sera entre vos mains.

A bas les capitalistes et propriétaires polonais ! Vive la Russie soviétiste des ouvriers et des paysans !

A bas la guerre ! Vive la paix entre les peuples qui travaillent de la Russie et de la Pologne !

A bas le jeu criminel des gouvernements alliés ! Vive la révolution prolétarienne internationale !

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste

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Comité exécutif de l’Internationale Communiste: aux syndicats de tous les pays

[Avril 1920.]

Au lendemain du 2 août 1914, au début de la bou­cherie impérialiste, les syndicats comptaient plus de 10 millions de membres. Ils n’opposèrent pourtant nulle part une résistance tant soit peu sérieuse à la boucherie impérialiste.

Au contraire, les chefs de l’ancien mouvement syn­dical se mirent dans la plupart des cas, eux et leurs organisations, à la disposition des gouvernements bourgeois. Tout l’appareil des anciens syndicats fut mis au service du haut commandement impérialiste.

Toutes les lois sur la protection du travail furent abrogées par la bourgeoisie avec l’entier consente­ment des chefs des syndicats. Un travail obligatoire extrêmement lourd, un travail de forçat imposé même à des femmes de 60 ans, fut institué par la bour­geoisie avec l’approbation de ces mêmes chefs.

Mais les leaders des anciens syndicats asservirent aussi dans le domaine intellectuel leurs organisations à la bourgeoisie.

Les revues et les journaux édités par les anciens syndicats bénirent les ouvriers allant au devant de la mort ; cette presse ouvrière les bénit au nom du capital, répéta le mensonge bourgeois sur la « défense de la patrie » et se fit partout la prota­goniste des idées bourgeoises, qu’elle s’efforça de ré­pandre dans le cœur même des ouvriers syndiqués.

Les anciens syndicats rongés par la gangrène de l’op­portunisme, trahis par leurs chefs, élevés dans l’atmosphère de serre du réformisme pacifique, n’eurent pas la force d’élever la moindre protestation contre la tuerie impérialiste.

Les syndicats qualifiés « libres » dirigés par Legien fusionnèrent en réalité avec les syndicats traîtres, les syndicats jaunes, fournisseurs de renards1.

Mais voilà que la guerre est finie. La paix impé­rialiste conclue aux dépens des peuples, montre aux aveugles mêmes au nom de quoi elle fut menée.

Les armées sont démobilisées, les ouvriers revien­nent à leurs organisations.

Que vont devenir les syndicats ? Dans quelle voie vont-ils entrer ?

Leurs anciens leaders voudraient les pousser de nouveau dans la voie bourgeoise. Les bourreaux de la classe ouvrière, ses pères bourreaux — un Noske en Allemagne, un Seidi en Hongrie — sont sortis des cadres de l’ancien mouvement syndical.

Demain, si les circonstances leur sont favorables, MM. Jouhaux en France, Gompers en Amérique, etc. deviendront à leur tour des Noske, bourreaux de la classe ouvrière, comme il est arrivé à leurs pareils dans plus d’un pays.

Quels sont les traits caractéristiques de l’ancien mouvement syndical qui l’ont conduit à la capitula­tion devant la bourgeoisie ? Ce sont :

L’esprit étroitement corporatif. L’éparpillement dans l’organisation. Le respect de la légalité bour­geoise. L’habitude de faire fond sur l’aristocratie ouvrière et de méconnaître les manœuvres et les ouvriers non qualifiés. Les cotisations trop élevées, inaccessibles à l’ouvrier ordinaire.

La concentration de toute la direction des syndicats entre les mains de personnes se trouvant en haut de l’échelle ouvrière, fonctionnaires qui tendaient de plus en plus à consti­tuer une caste bureaucratique syndicale. La propa­gande de la neutralité en présence des questions poli­tiques posées devant le prolétariat équivalait en réa­lité au soutien de la politique bourgeoise.

Le sabo­tage des contrats collectifs, qui, en fait, aboutissait à la conclusion de ces contrats par la bureaucratie syndicale et à l’asservissement par les capitalistes des ouvriers d’une profession donnée pour toute une suite d’années. La surestimation d’améliorations insi­gnifiantes (par exemple, de l’augmentation purement nominale des salaires) que les syndicats réussissaient à obtenir des patrons, à l’aide d’une entente pacifique.

La mise au premier plan des questions de secours et de mutualité au préjudice des caisses de grèves et de la combativité des syndicats. L’habitude de considérer les syndicats comme des organisations dont toute la mission est d’améliorer les conditions du travail dans les cadres du régime capitaliste et qui ne se donnent nullement pour but le renversement révolutionnaire du système capitaliste.

Tel fut l’ancien mouvement professionnel « libre», l’ancien trade-unionisme. Une pareille ambiance per­mettait à Gompers, en Amérique, de vendre les vo­tes des syndicats pendant les élections présidentielles, et aux Legien de tous les pays de faire des syndicats les instruments de la bourgeoisie.

Les syndicats vont-ils suivre l’ancienne voie du réformisme, c’est-à-dire, en réalité, de la bourgeoisie ? Telle est la question la plus importante qui se pose devant le mouvement ouvrier international.

Nous sommes profondément persuadés qu’il n’en sera rien. Un vent nouveau a soufflé maintenant sur les édi­fices des anciens syndicats.

Les « comités des fabri­ques et usines » créés en Angleterre, les « conseils d’exploitation » de l’Allemagne, les nouveaux points de cristallisation dans les syndicats français, les grandes unions telles que « la Triple Alliance » en An­gleterre, les nouveaux courants dans le mouvement professionnel américain — autant de symptômes mon­trant qu’une transmutation de valeurs commence dans le mouvement syndical du monde entier.

Un nouveau mouvement syndical se forme sous nos yeux.

Quels devront être ses traits caractéristiques ?

Il faut qu’il renonce à toutes les survivances de l’étroitesse corporative. Il faut qu’il mette à l’ordre du jour la lutte immédiate — d’accord avec le Parti Communiste — pour la dictature du prolétariat et pour le régime des Soviets, il faut qu’il refuse de repriser à la mode réformiste les anciennes défroques du capitalisme.

Le nouveau mouvement syndical doit mettre au premier plan la grève générale et préparer la combinaison de cette grève avec l’insurrection à main armée. Les nouveaux syndicats doivent embras­ser la masse ouvrière et non plus l’aristocratie ou­vrière Ils doivent appliquer le principe d’une stricte centralisation et de l’organisation par industrie et non par métiers.

Ils doivent tendre à obtenir un contrôle ouvrier réel sur la production, et participer ensuite énergiquement à l’organisation de l’industrie par la classe ouvrière victorieuse de la bourgeoisie.

Ils doivent entreprendre une lutte révolutionnaire pour la socialisation immédiate des principales branches de l’économie, sans oublier que nulle organisation sé­rieuse n’est possible avant la conquête du pouvoir soviétiste par le prolétariat.

Ils doivent expulser systématiquement de leur milieu les bureaucrates, infec­tés d’opinions bourgeoises et incapables de diriger la lutte révolutionnaire des masses prolétariennes. Ils doivent procéder chez eux au nettoyage effectué voilà quelques années par les syndicats russes et que les syndicats de l’Allemagne et des autres pays commencent maintenant.

La leçon donnée par la guerre n’est pas perdue. Les masses prolétariennes diront leur mot. Les syn­dicats ne peuvent plus réduire le travail à la lutte pour de dérisoires augmentations de salaires.

La cherté incroyable des objets de première nécessité, cherté croissante dans le monde entier, rend plus illu­soires que jamais les « conquêtes » dont les trade-unionistes, ancienne manière, étaient si fiers. Ou les syndicats doivent se transformer en véritables orga­nisations militantes de la classe ouvrière ou ils dis­paraîtront.

La puissante vague de grèves qui ébranle tout le continent européen, ainsi que l’Amérique et les autres parties du monde, est la meilleure preuve que les syn­dicats ne pourriront pas sur place, mais se régénére­ront vite.

Ils ne se tiendront pas à l’écart des gran­dioses problèmes qui concentrent l’attention du monde entier, qui divisent l’humanité entière en deux camps, celui des Blancs et celui des Rouges.

Chaque syndicat est maintenant contraint de s’intéresser aux questions des impôts directs ou indirects, au problème du paie­ment, des emprunts de guerre, à la nationalisation des chemins de fer, des mines, des principales bran­ches de l’industrie, etc.

Chaque syndiqué doit comprendre chaque jour plus clairement que la neutralité prêchée dans les syndicats par la bourgeoisie et par les opportunistes n’est qu’une duperie bourgeoise, qu’on ne peut rester ni tiède ni froid dans la lutte décisive engagée entre les deux classes.

Un mouvement de désagrégation est commencé dans les syndicats. Nous ne les reconnaîtrons plus dans quelques années. Les anciens bureaucrates du mouvement syndical seront des généraux sans armées. La nouvelle époque fera surgir une nouvelle généra­tion de leaders prolétariens du mouvement syndical régénéré.

Mais la bourgeoisie prévoyante veille. Par l’entre­mise de ses serviteurs éprouvés, par l’entremise des anciens leaders, elle s’efforce de nouveau à conquérir le mouvement.

Un congrès s’est réuni à Amsterdam. « Congrès international des Syndicats ». Legien, Jouhaux, Gompers et d’autres agents de la bourgeoi­sie ont voulu remettre le mouvement professionnel dans l’ancienne voie.

La Ligue des Nations, qui n’est en réalité qu’une association de malfaiteurs impérialistes, a convoqué à Washington et ensuite à Paris une ridicule conférence sur la « protection internatio­nale du travail » où les deux tiers des voix apparte­naient à la bourgeoisie et un tiers à ses agents (MM. Legien, Jouhaux et Cie) qui ont encore l’outrecui­dance de se qualifier « représentants ouvriers ».

Ces conférences de représentants triés par la bourgeoisie ont essayé de mettre une camisole de force au mou­vement ouvrier en voie de régénération. Les forces réunies des ministres bourgeois et de la bureaucratie syndicale veulent l’étendre sur le lit de Procuste du réformisme petit-bourgeois.

L’Internationale communiste en appelle aux prolétaires syndiqués du monde entier2. Mettez un terme, camarades, à ces railleries bourgeoises, démas­quez l’infâme comédie que jouent à vos dépens les ploutocrates ; dites au monde que vous n’avez rien de commun avec les créatures de Clemenceau et de Wilson.

Les meilleurs éléments du prolétariat mondial exi­gent partout la création du pouvoir soviétiste. Le temps n’est pas loin où l’humanité entière conquerra la forme du gouvernement soviétiste, c’est-à-dire pro­létarien.

Les syndicats continueront alors à jouer un rôle d’une importance énorme dans l’œuvre de trans­formation de l’économie capitaliste sur les bases du communisme. Ils auront leur place d’honneur à côté des Soviets comme nous le voyons maintenant dans la Russie sioviétiste.

L’Internationale communiste tient pour erronées les opinions de la minorité des communistes allemands qui se prononce contre la nécessité des syndicats en général.

Les Soviets industriels des entreprises (les comités des fabriques et des usines) qui se créent dans plusieurs pays non seulement ne rendent pas les syndicats inutiles, mais tout au contraire doivent être eux-mêmes, comme en Russie soviétiste, les prin­cipaux centres des syndicats industriels.

L’Internationale communiste estime que l’heure est venue où les syndicats, libérés des influences bour­geoises et des influences social-chauvinistes, doivent créer sans tarder leur organisation internationale par industries et à l’échelle mondiale.

Nous devons opposer à l’Internationale jaune des syndicats, à l’Internationale que les agents de la bourgeoisie s’efforcent de recréer à Amsterdam, à Washington et à Paris, l’Internationale rouge des syndicat, réellement prolétariens, l’Internationale syndicale qui œuvrera d’accord avec la 3e Internatio­nale communiste.

Dans plusieurs pays les syndicats traversent une crise marquée. L’ivraie est séparée du froment. L’Al­lemagne qui fut le rempart du mouvement bourgeois professionnel jaune dont le mouvement fut dirigé par les Legien et les Noske, voit toute une série de syn­dicats se détourner des social-démocrates jaunes et passer à la révolution prolétarienne.

Plusieurs syndi­cats ont déjà chassé les anciens chefs qui livrèrent naguère le mouvement professionnel aux capitalistes. Les syndicats italiens adoptent presque entièrement la plate-forme du pouvoir soviétiste. Le mouvement prolétarien révolutionnaire s’accuse de plus en plus énergiquement dans les syndicats scandinaves.

Les masses ouvrières des syndicats français, anglais, amé­ricains, néerlandais, espagnols renient l’ancienne tactique bourgeoise et exigent de nouvelles méthodes ré­volutionnaires En Russie trois millions et demi de syndiqués soutiennent sans réserve et avec un entier dévouement la dictature prolétarienne. Dans les pays balkaniques, la plupart des syndicats nouent des rela­tions étroites avec les partis communistes et se pla­cent eux-mêmes sous le glorieux drapeau communiste.

La 1re Internationale, l’Association Internationale des Travailleurs dirigée par Marx et Engels, tendait à embrasser toutes les organisations ouvrières et, en­tre autres, les syndicats.

La 2e Internationale (actuellement dissoute) invi­tait les syndicats à ses congrès, mais n’avait avec eux aucun lien d’organisation solide.

La 3e Internationale a l’intention de suivre sous ce rapport la voie de la 1re Internationale. Tout vrai syn­dicat prolétarien militant qui se posera les problèmes esquissés ci-dessus tendra lui-même à une étroite union avec l’avant-garde du prolétariat international organisé dans l’Internationale communiste.

L’œuvre d’émancipation de la classe ouvrière exige la concentration de toutes les forces organisées du prolétariat. Nous avons besoin d’armes de toutes espè­ces pour monter avec succès à l’assaut du capitalisme.

L’Internationale communiste doit faire face sur tous les fronts à la lutte libératrice du prolétariat interna­tional. A cet effet, elle tend à la plus étroite union avec les syndicats révolutionnaires qui comprennent les problèmes de notre époque.

L’Internationale communiste veut unifier non seule­ment les organisations politiques des travailleurs, mais aussi toutes les organisations ouvrières recon­naissant non en paroles, mais en action la lutte révo­lutionnaire et tendant à la conquête de la dictature prolétarienne.

Le Comité exécutif de l’Internationale communiste estime que ce ne sont pas seulement les partis politiques communistes qui doivent prendre part aux congrès de l’Internationale communiste, mais aussi les syndicats adoptant la plate-forme révolution­naire. Les syndicats rouges doivent s’unir internatio­nalement et devenir partie intégrante (section) de l’Internationale communiste.

Nous le proposons aux ouvriers syndiqués du monde enlier. L’évolution, la désagrégation qui se sont pro­duites dans les partis politiques du prolétariat se pro­duiront immanquablement dans le mouvement syndi­cal. Tous les grands partis ouvriers ont quitté la 2e internationale ; et de même tous les syndicats hon­nêtes devront rompre avec l’Internationale jaune des syndicats.

Nous proposons aux travailleurs syndiqués du monde entier de discuter cet appel dans leurs assem­blées générales et nous sommes profondément convaincus que les prolétaires honnêtes de tous les pays viendront serrer énergiquement la main que leur tend l’Internationale communiste.

Vive le nouveau mouvement syndical purifié de la contagion opportuniste !

Vive l’Internationale des syndicats rouges !

Le Président du Comité exécutif de l’Internationale communiste : G. ZINOVIEV.

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Comité Exécutif de l’Internationale Communiste: lettre aux IWW

Camarades et Frères ouvriers,

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste réuni à Moscou, au cœur de la Révolution russe, salue en les Travailleurs Industriels du Monde (I. W. W.) le prolétariat révolutionnaire d’Amérique.

Le Capitalisme, ruiné par la guerre mondiale, incapable de contenir plus longtemps les forces immenses qu’il a créées, est à son déclin.

L’heure de la classe ouvrière sonne. La révolution sociale est commencée et son premier combat d’avant-garde s’est livré en Russie.

L’histoire ne nous a pas demandé si nous le voulions ou non, si nous étions prêts ou non. L’occasion s’offre à nous. Saisissons-la et le monde appartiendra aux travailleurs ; laissons-la passer et des générations entières s’éteindront avant qu’elle se représente.

Il n’est plus temps de parler « d’édifier la société nouvelle dans les cadres de l’ancienne ». La vieille société brise son enveloppe. Il appartient aux travailleurs d’établir la dictature du prolétariat qui, seule, peut édifier la société nouvelle.

Un article publié par votre organe officiel One Big Union Monthly demandait : « Pourquoi devons-nous suivre les bolcheviks ? » L’auteur estimait que la révolution bolchevik n’avait « donné au peuple russe qu’un droit de vote ».

Ceci est naturellement faux. La révolution bolchevik a dépossédé les capitalistes des manufactures, des minoteries, des mines, des terres, des institutions financières et a tout transmis à la classe ouvrière.

Nous comprenons et nous partageons votre dégoût des principes et de la tactique des politiciens « jaunes » qui ont discrédité dans le monde entier le terme même de « socialisme ». Notre but est le même que le vôtre : une communauté sans État, sans gouvernement, sans classes dans laquelle les travailleurs administreront la production et la répartition dans l’intérêt de tous.

Nous vous adressons ce message, camarades ouvriers de l’Association Internationale des Travailleurs du Monde (I. W. W.) comme un témoignage de reconnaissance pour la part héroïque que vous prenez depuis si longtemps à la lutte des classes que vous avez fait naître dans votre pays, et afin de bien vous faire connaître nos principes communistes et notre programme.

Nous vous invitons, vous, révolutionnaires, à vous rallier à l’Internationale Communiste, née à l’aurore de la révolution sociale universelle.

Nous vous invitons à prendre la place à laquelle votre courage et votre expérience révolutionnaire vous donnent droit, au premier rang de l’Armée rouge prolétarienne combattant sous la bannière du communisme.

La classe capitaliste américaine se révèle sous ses véritables couleurs.

La cherté croissante de la vie, le chômage de plus en plus grave, la répression impitoyable de tous les efforts faits par les ouvriers pour améliorer leur condition, la déportation et l’emprisonnement des « bolcheviks », les lois contre les grèves, contre le « syndicalisme criminel », contre le « drapeau rouge », contre toute propagande en faveur du « renversement par la violence du gouvernement et les atteintes à la propriété », — toutes ces lois et ces mesures ne peuvent avoir aux yeux du travailleur conscient qu’une signification.

L’esclavage industriel est aussi vieux que le capitalisme ; et les travailleurs ont connu avant lui d’autres formes d’esclavage.

Mais à présent les capitalistes du monde, — Américains aussi bien que Français, Italiens, Anglais, Allemands, etc. — nourrissent le dessein de réduire définitivement les travailleurs à une servitude absolue et sans issue.

Il n’y a pas d’autre alternative : ou cette servitude, ou la dictature de la classe ouvrière. Et les travailleurs doivent choisir maintenant.

Le capitalisme fait des efforts désespérés pour reconstruire son édifice ébranlé. Les travailleurs doivent, par un coup de force, s’emparer de l’Etat et reconstruire la société selon leurs intérêts.

Avant la Guerre de Sécession, les esclaves nègres étaient, dans les États du Sud, attachés au sol. Les capitalistes industriels du Nord auxquels il fallait, pour fournir de main-d’œuvre leurs manufactures, une population flottante, proclamèrent l’esclavage, une offense à l’humanité, et l’abolirent par force. Or, les capitalistes industriels tentent aujourd’hui d’attacher les travailleurs à leurs manufactures.

Pendant la guerre, et dans tous les pays, les ouvriers perdirent pratiquement leur droit de grève et même relui d’interrompre le travail. Rappelez-vous les lois qui sévirent dans votre propre pays : travaille ou combats !

Et depuis que la guerre s’est terminée, que voyons-nous ? Le coût de la vie s’est accru de plus en plus, tandis que les capitalistes s’efforçaient de diminuer les salaires. Et, quand les ouvriers sont acculés par la faim à la grève, toutes les forces de l’État sont mobilisées contre eux pour les contraindre à reprendre le travail. Quand les cheminots cessèrent le travail en Californie, on les menaça de faire intervenir contre eux les troupes fédérales. Quand la Fraternelle des mécaniciens cheminots exigea une augmentation de salaires ou la nationalisation des chemins de fer, le président des États-Unis la menaça de toutes les rigueurs de la répression par les armes. Quand les mineurs américains quittèrent leurs puits, des milliers de soldats occupèrent les mines et la cour Fédérale adopta contre la grève les mesures les plus cyniques, défendant aux leaders d’ordonner la cessation du travail et interdisant le versement de secours aux grévistes. L’Attorney-Général des États-Unis finit par déclarer officiellement que le gouvernement ne tolérerait pas de grèves dans les industries « nécessaires à la communauté ».

Le juge Garry, qui se trouve à la tête du trust de l’acier, peut répondre par un refus au Président de la République qui lui demande de bien vouloir négocier avec un comité d’ouvriers. Mais quand les travailleurs de l’acier se mettent en grève, revendiquant un salaire qui leur permette de vivre et le droit élémentaire de se syndiquer, ils sont traités de bolcheviks et fusillés dans les ruée par les cosaques pennsylvaniens.

Et vous, camarades I. W. W., vous qui gardez les souvenirs amers d’Everett, de Tulsa, de Wheatland, de Centralia, où vos camarades furent massacrés ; vous dont des milliers de frères sont dans des geôles, vous qui accomplissez néanmoins le plus dur labeur dans les champs, dans les docks, dans les forêts, vous devez distinguer nettement le procédé grâce auquel les capitalistes tentent en se servant de leur arme éprouvée, l’Etat, d’instituer une société d’esclaves.

Le cri des capitalistes : « Produire plus ! Produire encore ! » retentit de toutes parts. En d’autres termes, les travailleurs ont à fournir plus de travail pour un moindre salaire, afin que leur sueur et leur sang monnayés servent à payer les dettes de guerre du monde capitaliste dévasté.

Pour qu’il en soit ainsi, les travailleurs doivent être privés du droit de quitter le travail ; ils doivent être empêchés de s’organiser afin d’arracher des concessions aux patrons ou de profiter de la concurrence entre ceux-ci. Le mouvement ouvrier doit être arrêté et brisé à tout prix.

Pour sauver le vieux système d’exploitation, les capitalistes doivent s’unir et enchaîner le travailleur à la machine.

Les capitalistes y réussiront-ils ?

Ils y réussiront à moins que les travailleurs ne déclarent la guerre au système capitaliste tout entier, ne renversent les gouvernements capitalistes et ne les remplacent par le gouvernement de la classe ouvrière qui doit détruire la propriété privée capitaliste et instituer la propriété commune de toutes les richesses.

C’est ce que les travailleurs russes ont fait et c’est la seule façon pour les ouvriers des autres pays de se libérer du servage industriel et d’organiser le monde, en sorte que le travailleur bénéficie du produit intégral de son travail et que nul ne puisse monnayer le travail d’autrui.

Mais si les travailleurs des autres pays ne s’insurgent pas contre leurs propres capitalistes, la révolution russe ne pourra tenir. Les capitalistes du monde entier, comprenant le danger que leur fait courir l’exemple de la Russie des Soviets, se sont coalisés pour la tuer. Les Alliés, oubliant à l’instant leur haine de l’Allemagne, ont invité les capitalistes allemands à se joindre à eux dans l’intérêt commun.

Et les travailleurs des autres pays commencent à comprendre. En Italie, en Allemagne, en France, en Angleterre, le flot de la révolution monte. En Amérique même les membres si conservateurs de l’American Federation of Labor se rendent compte que les grèves pour des augmentations de salaire et pour de meilleures conditions d’existence sont en réalité dépourvues de signification, le coût de la vie subissant une hausse constante. Ils ont proposé toutes sortes de remèdes à cette situation, réformes du « Plan Plumb », nationalisation des mines, etc. Ils ont fondé un soi-disant Parti du Travail (Labor Party) qui se donne pour but de réaliser la propriété municipale ou gouvernementale de l’industrie, un mécanisme électoral plus démocratique, etc.

Mais ces réformes, si même elles étaient accomplies, ne pourraient résoudre le problème. Tant que subsistera le système capitaliste, des hommes monnayeront le travail d’autrui. Toutes les réformes du système actuel ne font que leurrer le travailleur en lui faisant croire qu’il est un peu moins volé qu’auparavant.

La révolution sociale a commencé et sa première bataille se poursuit en Russie. Elle ne laisse pas aux travailleurs le temps d’expérimenter des réformes. Les capitalistes ont déjà détruit la république hongroise des Soviets. S’ils réussissent à juguler et briser le mouvement ouvrier dans les autres pays l’esclavage industriel sera fondé.

Avant qu’il soit trop tard, les travailleurs conscients doivent se préparer à repousser l’assaut du capitalisme, et à prendre à leur tour l’offensive pour le vaincre et l’extirper du monde.

La guerre et ses conséquences ont révélé avec une netteté saisissante les fonctions réelles de l’Etat capitaliste — de ses législations, de ses tribunaux, de ses polices, de ses armées, de sa bureaucratie.

L’État sert à défendre et affermir le pouvoir capitaliste et à brimer les travailleurs. Tout ceci est particulièrement vrai aux États-Unis, dont la constitution fut conçue par des négociants, des spéculateurs et des propriétaires fonciers dans le dessein de protéger leurs intérêts de classe contre la majorité du peuple.

Quant à présent, le gouvernement des États-Unis n’est évidemment qu’une arme des capitalistes contre les travailleurs.

Les I. W. W. doivent le comprendre mieux que quiconque, pour avoir été rageusement persécutés par le gouvernement, pour avoir vu leurs leaders emprisonnés, leurs journaux supprimés, leurs membres déportés ou emprisonnés sous des inculpations forgées de toutes pièces, leurs cautions refusées, leurs prisonniers torturés, mis au secret, leurs locaux fermés, leur propagande réduite dans certains États à devenir clandestine.

Les travailleurs voient cela. Le peuple élit les gouverneurs, les maires, les juges, les sheriffs ; mais en temps de grève, le gouverneur convoque la milice pour défendre les renards ; le maire ordonne à la police d’assommer et d’arrêter les militants dans les rues ; le juge les inculpe « d’avoir troublé l’ordre », les qualifie « émeutiers » et les emprisonne, et le sheriff salarie des malandrins qu’il délègue en qualité de briseurs de grève…

La société capitaliste tout entière présente aux travailleurs un front unique.

Le prêtre lui dit de se résigner ; la presse le maudit et le traite de « bolchevik » ; la police l’arrête ; le tribunal le condamne ; le sheriff le fait saisir pour dettes, et l’asile des pauvres accueille sa femme et ses enfants.

Pour détruire le capitalisme, les prolétaires doivent tout d’abord arracher aux capitalistes le pouvoir politique. Ils ne doivent pas se borner à s’en emparer ; ils doivent abolir entièrement le vieil état capitaliste.

Car l’expérience des révolutions a montré que les travailleurs ne peuvent pas s’emparer de l’État et s’en servir — comme les socialistes jaunes le soutiennent. L’État capitaliste est édifié pour servir le capitalisme ; il ne peut rien faire d’autre.

En lieu et place de l’État capitaliste, les travailleurs doivent édifier leur propre état, la dictature du prolétariat.

De nombreux membres de l’I. W. W. refusent d’en convenir. Ils sont adversaires de « tout État, de façon générale ». Ils se proposent de renverser l’État capitaliste et d’instituer immédiatement le Communisme industriel (Industrial Cornmonwealth).

Les Communistes sont aussi les ennemis de l’État. Ils veulent aussi l’abolir et substituer au gouvernement des hommes l’administration des choses.

Malheureusement la chose ne peut être faite sur-le-champ. La destruction de l’État capitaliste ne signifie pas que le capitalisme disparaît automatiquement et immédiatement. Les capitalistes ont d’autres armes qu’il faut leur arracher ; ils sont encore défendus par des légions de bons employés, d’administrateurs, de directeurs, d’habiles hommes d’affaires qui saboteront l’industrie — et qu’il faut persuader ou contraindre à servir la classe ouvrière ; ils ont des officiers qui peuvent trahir la révolution, des prêtres qui peuvent dresser contre elle les vieilles superstitions, des professeurs et des orateurs qui peuvent la déformer aux yeux des ignorants, des gredins que l’on peut stipendier pour la discréditer, des journaux qui peuvent tromper le peuple par de continuels mensonges, des socialistes jaunes et de soi-disant travaillistes qui préfèrent la démocratie capitaliste à la révolution. Leurs efforts doivent être sévèrement réprimés.

Jeter bas l’édifice de l’État capitaliste, briser la résistance de la classe capitaliste et la désarmer, confisquer ses propriétés et les transmettre à la communauté des travailleurs — ces tâches nécessitent un gouvernement, un Etat, la dictature du prolétariat au moyen de laquelle les prolétaires peuvent d’une main de fer, briser la classe ennemie.

C’est ce qui se passe actuellement en Russie.

Mais la dictature du prolétariat n’est que temporaire. Communistes nous voulons aussi l’abolition de l’Etat. L’Etat ne peut durer qu’autant que se prolonge la guerre des classes. La fonction de la dictature du prolétariat est d’abolir la classe capitaliste en tant que classe ; en fait de supprimer toutes distinctions de classes. Ce but atteint, la dictature du prolétariat, l’État disparaîtra automatiquement — cédant la place à une administration industrielle, vraisemblablement analogue au Bureau Exécutif Général de l’I. W. W.

Dans un récent article, Mary Marcy écrit que sans reconnaître théoriquement la nécessité de la dictature du prolétariat, les I. W. W. seront contraints de l’admettre en fait en temps de révolution, afin de vaincre la contre-révolution.

Voilà qui est vrai. Mais si l’I. W. W. se refuse à reconnaître par avance la nécessité de l’Etat ouvrier, la confusion et la faiblesse risquent de sévir dans ses rangs aux heures où la fermeté et la rapidité d’action lui seront impérieusement nécessaires.

Quelle sera la forme de l’État Ouvrier ?

Nous avons sous les yeux l’exemple de la République des Soviets russes dont il est peut-être utile d’indiquer ici la structure trop souvent déformée à l’étranger par des informations contradictoires.

L’unité de gouvernement est le Soviet local ou Conseil des députés ouvriers, soldats rouges et paysans.

Dans les villes, le Soviet est élu comme suit : chaque fabrique élit un délégué pour tant d’ouvriers et chaque syndicat local en élit un certain nombre d’autres. Ces délégués sont élus sur des listes de partis politiques ou à titre individuel, au gré des ouvriers.

Les députés de l’armée rouge sont élus par leurs unités.

Dans les campagnes, chaque village a son Soviet qui envoie des délégués aux Soviets des villes qui élit à son tour le Soviet du District. Ceux-ci forment de la même manière le Soviet de la province.

Quiconque exploite le travail d’autrui ne peut voter.

Tous les six mois, les Soviets des villes et des provinces élisent des délégués qu’ils mandatent au Congrès Panrusse des Soviets qui est, dans le pays, l’autorité suprême. Le Congrès décide pour six mois des principales mesures politiques et choisit les deux cents membres du Comité Exécutif Central, chargés d’appliquer les mesures édictées par le Congrès. Le Congrès élit aussi un Cabinet — celui des Commissaires du Peuple.

Les mandats de ces derniers sont révocables à tout moment par le Comité Exécutif Central. Les membres des Soviets peuvent de même être rappelés par leurs commettants.

Ces Soviets ne sont pas seulement des organes législatifs mais aussi des organes exécutifs. Contrairement au Congrès américain ils ne se bornent pas à confectionner des lois que le Président est ensuite chargé de promulguer et d’appliquer ; et il n’y a pas de cour suprême chargée de décider si la mesure adoptée est ou non « constitutionnelle ».

Dans l’intervalle entre les réunions du Congrès Panrusse des Soviets le pouvoir suprême appartient en Russie au Comité Exécutif Central. Ce comité se réunit au moins tous les deux mois et dans l’intervalle la direction des affaires est remise au Conseil des Commissaires du Peuple, tandis que les membres du Comité Exécutif Central travaillent dans leurs régions respectives.

Les travailleurs sont en Russie organisés en syndicats, tous les ouvriers d’une industrie appartenant à leur syndicat. Ainsi, les charpentiers et les peintres travaillant dans une usine métallurgique font partie du Syndicat des Ouvriers Métallurgistes. Chaque usine constitue un syndicat local et son Comité de fabrique (Shop Committee) élu par les travailleurs a le rôle d’un Comité Exécutif.

Le Comité Exécutif Central Panrusse des Syndicats Fédérés est élu par le Congrès annuel des Syndicats. Un Comité spécial élu par ce même congrès établit le barème des salaires.

A peu d’exceptions près la plupart des grandes usines russes ont été nationalisées et sont en ce moment propriété de la communauté ouvrière. La tâche des syndicats n’est donc plus de combattre le capitalisme mais bien de diriger l’industrie.

Le Commissariat du Travail du gouvernement des Soviets travaille en plein accord avec les Syndicats. Il n’est d’ailleurs élu par le Congrès des Soviets qu’avec l’approbation des Syndicats.

Un Conseil Supérieur de l’Économie populaire élu a la charge de diriger la vie économique du pays. Il est divisé en sections, telles que celles des métaux, de l’industrie chimique, etc., chacune ayant à sa tête des techniciens et des ouvriers désignés par le Conseil Supérieur avec l’approbation des Syndicats.

La production est, dans chaque usine, dirigée par un Comité de trois membres : un représentant du Comité de Fabrique, un représentant du Comité Exécutif Central des Syndicats et un représentant du Conseil Supérieur de l’Économie populaire.

Les Syndicats forment ainsi une branche du gouvernement et ce gouvernement est le plus hautement centralisé qu’il y ait.

C’est aussi le gouvernement le plus démocratique que l’histoire connaisse. Car tous les organes du gouvernement sont en contact permanent avec les masses ouvrières et sous leur influence directe. Les soviets locaux jouissent, en outre, dans la Russie entière, d’une complète autonomie qui leur permet de diriger comme ils l’entendent les affaires locales à la condition de se conformer à la politique nationale du Congrès des Soviets. D’ailleurs, le gouvernement des Soviets, ne représentant que les ouvriers, ne peut pas ne pas agir dans leur intérêt.

De nombreux membres de l’I. W. W. sont adversaires de la centralisation parce qu’ils n’admettent pas qu’elle puisse être démocratique. Mais où il est question de grandes masses, enregistrer les volontés individuelles n’est plus possible ; la volonté des majorités peut seule être notée et la Russie des Soviets est administrée dans l’intérêt commun de la classe ouvrière.

La propriété privée de la classe capitaliste, pour devenir propriété sociale des travailleurs, ne peut pas être remise à des individus ou à des groupes d’individus ; elle doit devenir la propriété de la communauté entière et une autorité centralisée est nécessaire pour accomplir cette transformation.

Les industries qui fournissent aux besoins de la population entière ne concernent pas seulement les ouvriers qu’elles occupent mais intéressent la communauté entière et doivent être administrées au bénéfice de tous. L’industrie moderne est, au reste, si complexe, ses branches sont tellement interdépendantes qu’il faut, pour obtenir avec le maximum d’économie le rendement le plus fort, qu’elle soit soumise, selon un plan d’ensemble, à une direction unique.

La révolution doit être défendue contre les assauts formidables des forces coalisées du capitalisme mondial. De grandes armées doivent être levées, entraînées, équipées, dirigées. Ceci veut dire : centralisation. La Russie des Soviets a pendant deux ans soutenu seule les attaques répétées du monde capitaliste. Eût-il été possible e former une armée rouge forte de plus de deux millions d’hommes sans une autorité centrale directrice ?

La classe capitaliste a une organisation fortement centralisée qui lui permet de jeter toutes ses forces contre les groupements divisés et dispersés de la classe ouvrière. La lutte des classes est une guerre. Pour renverser le capitalisme les travailleurs doivent constituer une armée pourvue d’un état-major, — mais d’un état-major élu et contrôlé par les ouvriers.

En temps de grève tout travailleur sait qu’il faut un comité de grève — un organe centralisé chargé de diriger l’action et dont les ordres doivent être obéis — élu et contrôlé par la masse ouvrière. La Russie des Soviets est en grève, face à face avec le monde capitaliste tout entier. La révolution est une grève générale contre le système capitaliste. La dictature du prolétariat est le comité de grève de la révolution sociale.

Les révolutions prolétariennes qui approchent en ce moment en Amérique et dans d’autres pays susciteront probablement de nouvelles formes d’organisation. Les bolcheviks ne prétendent pas avoir dit le dernier mot de la révolution sociale. Mais l’expérience de deux années de gouvernement ouvrier en Russie est naturellement de la plus haute importance et doit être étudiée de près par les travailleurs des autres pays.

Le mot politique agit sur nombre de membres de l’I. W. W. comme la vue d’un drapeau rouge agit sur le taureau — ou sur le capitaliste. Politique signifie pour eux « politicien » et, d’habitude, évoque à leurs yeux l’image du socialiste jaune qui brigue leurs suffrages dans l’espoir d’obtenir un confortable fauteuil où il lui sera possible d’oublier confortablement l’existence même des travailleurs.

Nos camarades ouvriers « anti-politiciens » sont opposés aux communistes qui, à leur avis, constituent un parti politique et qui, en effet, prennent part dans certains cas aux luttes politiques.

C’est user du mot politique dans un sens bien trop étroit. L’un des principes sur lesquels s’est fondée l’association des I. W. W. est exprimé dans ces mots de Karl Marx : « Toute lutte des classes est une lutte politique ». C’est dire que toute lutte des travailleurs contre les capitalistes est une lutte pour le pouvoir politique — pour celui de l’Etat.

Et c’est dans ce sens que les communistes se servent du mot « politique ».

Les socialistes jaunes s’imaginent pouvoir conquérir progressivement le pouvoir politique en se servant du mécanisme même de l’État capitaliste pour obtenir des réformes, et quand ils auront obtenu la majorité au Congrès, dans les assemblées législatives, quand ils auront élu le président, le maire et le sheriff, ils croient pouvoir se servir de l’appareil législatif de l’État bourgeois pour abolir pacifiquement le capitalisme et instituer de même la communauté du travail.

Ceci les induit à prêcher diverses réformes du système capitaliste, à ouvrir leurs rangs aux petits capitalistes, aux aventuriers politiques de toutes espèces et finalement à conclure des marchés et à faire des concessions variées.

Les I. W. W. ne l’admettent pas plus que les communistes.

Communistes, nous ne croyons pas qu’on puisse s’emparer du pouvoir gouvernemental au moyen du mécanisme de l’État capitaliste. L’État étant l’arme particulière de la classe capitaliste, son mécanisme est naturellement conçu de manière à défendre et affermir le pouvoir du capitalisme. Le contrôle capitaliste de toutes les institutions qui font l’opinion publique — presse, écoles, églises, tribunes — le contrôle capitaliste de l’attitude politique des ouvriers par le contrôle de leurs moyens d’existence, rendant extrêmement improbable la possibilité pour les travailleurs d’élire jamais « légalement » sous le régime capitaliste démocratique, un gouvernement dévoué à leurs intérêts.

Et, à l’heure actuelle, tandis que la classe capitaliste du monde entier poursuit avec l’acharnement du désespoir sa campagne de répression contre les organisations du prolétariat conscient dans le monde entier, celle hypothèse est tout bonnement inadmissible.

Mais si même il était possible aux travailleurs de conquérir par le moyen du mécanisme politique l’État capitaliste, ce dernier ne pourrait pas servir à fonder la communauté industrielle. La source réelle du pouvoir capitaliste est dans la propriété et le contrôle capitaliste des moyens de production. L’État capitaliste n’existe que pour étendre et défendre cette propriété, ce contrôle. Il ne peut donc pas servir à les abolir.

Jusqu’ici les I. W. W. et les communistes sont d’accord. L’État capitaliste doit être attaqué par l’action directe. Cette action, dans la signification correcte des termes est aussi politique, car elle a un but politique — la conquête du pouvoir gouvernemental.

Les I. W. W. se proposent d’atteindre ce but par la grève générale. Les communistes vont plus loin. L’histoire indique assez que la grève générale n’est pas suffisante. Les capitalistes ont des armes et l’expérience des gardes blanches en Russie, en Finlande, en Allemagne prouve qu’ils ont suffisamment d’expérience et d’entraînement pour se servir de leurs armes contre les travailleurs. Ils ont en outre des stocks d’aliments qui leur permettent de tenir plus longtemps que les travailleurs toujours talonnés par le besoin.

Les communistes, eux aussi, comptent sur la grève générale, mais ils pensent qu’elle doit se transformer en insurrection armée. La grève générale et l’insurrection sont des formes de l’action politique.

S’il en est ainsi, si les communistes ne pensent pas pouvoir s’emparer de l’État par le bulletin de vote, pourquoi les partis communistes participent-ils aux élections et présentent-ils leurs candidats ?

La question de savoir si les communistes participeront ou non aux élections est secondaire. Certaines organisations communistes y participent ; d’autres non. Mais les premières ne le font que dans un but de propagande. Les campagnes politiques donnent aux révolutionnaires l’opportunité de parler à la classe ouvrière, de leur montrer le caractère de classe de l’État et quel est l’intérêt véritable des travailleurs. Elles leur permettent de souligner la futilité des réformes, de démontrer les intérêts réels qui dominent les partis politiques capitalistes et socialistes jaunes et de souligner pourquoi il faut renverser le système capitaliste tout entier.

Les communistes élus au Congrès ou dans les assemblées législatives ont pour tâche de faire de la propagande ; de montrer sans cesse la nature réelle de l’État capitaliste, de s’opposer aux actes du gouvernement capitaliste et de révéler leur caractère de classe ; de montrer la futilité des réformes et des mesures capitalistes. Au sein des assemblées législatives, du haut des tribunes de la nation, les communistes peuvent stigmatiser les brutalités capitalistes et appeler les travailleurs à la révolte.

Karl Liebknecht a montré ce qu’un communiste peut faire au Parlement. Ses discours au Reichstag retentirent dans le monde entier.

D’autres, en Russie, en Suède (Höglund) et dans d’autres pays, ont fait la même chose.

L’objection la plus commune à l’envoi de militants dans les assemblées législatives capitalistes, c’est que quelle que soit leur valeur révolutionnaire, ils seront invariablement corrompus par leur entourage et amenés à trahir les travailleurs.

Cette croyance est le produit d’une longue expérience, faite surtout avec les politiciens et les beaux parleurs socialistes. Mais, communistes, nous affirmons qu’un parti vraiment révolutionnaire n’élira que de vrais révolutionnaires et saura les garder sous son contrôle.

De nombreux membres de l’I. W. W. sont les adversaires acharnés de l’emploi des assemblées législatives ou de toutes autres institutions gouvernementales dans un but de propagande. Mais l’organisation des I. W. W., souventes fois, n’a pas dédaigné ces moyens. Lors de la grève de Lawrence en 1912, les I. W. W. se servirent même du sénateur socialiste Victor Berger qui porta à la tribune de la Chambre des Représentants les revendications des grévistes et des I. W. W. William D. Haywood, Vincent St John et bien d’autres leaders des I. W. W. témoignèrent volontiers devant la Commission Industrielle du gouvernement des Etats-Unis, profitant de cette occasion pour diffuser les idées de leur organisation. Mais l’exemple le plus frappant de l’usage du mécanisme politique de l’Etat dans un but de propagande nous fut donné en 1918 quand la Cour Fédérale de Chicago où l’on jugeait cent leaders de l’I. W. W. devint pour trois mois un véritable meeting de propagande ouvrière.

Tels sont les cas d’usage du mécanisme politique de l’État capitaliste dans un but de propagande parmi les masses. Ces méthodes doivent être employées selon les circonstances — de même que l’action parlementaire. L’usage de nulle arme ne doit être absolument condamné.

La tache particulière des I. W. W. est de préparer les travailleurs à s’emparer de l’industrie et à la diriger. La fonction spéciale du parti politique communiste est de préparer les travailleurs à la conquête du pouvoir politique et à, l’exercice de la dictature du prolétariat. Tout travailleur doit être à la fois membre du syndicat révolutionnaire de son industrie et du parti politique qui combat pour le communisme.

Le but des I. W. W. est de « bâtir une société nouvelle au sein de l’ancienne ». Ce qui veut dire : organiser si complètement les travailleurs que le système capitaliste finisse, à un moment donné, par être brisé et par faire place à la Communauté Industrielle déjà pleinement développée.

Un acte semblable exige l’organisation et la discipline de la majorité des travailleurs. On pouvait, avant la guerre, croire possible l’accomplissement de cette tâche, bien que malgré leur activité de quatorze ans les I. W. W. n’aient pu organiser qu’une minime fraction des travailleurs américains.

A présent ce dessein n’est qu’utopique. Le capitalisme est à son déclin, la révolution est à nos portes et l’histoire n’attendra pas que la majorité des travailleurs soit organisée — 100 % — d’après le plan des I. W. W. ou de toute autre organisation. Nous n’avons plus la perspective d’un long développement industriel normal qui, seul, eût permis la réalisation d’un semblable dessein. La guerre a jeté les peuples du monde dans un immense cataclysme et ils doivent songer à l’action immédiate et non à l’élaboration de savants projets dont l’accomplissement exigerait des années.

La nouvelle société ne sera pas bâtie, comme nous le pensions naguère, au sein de l’ancienne. Nous ne pouvons l’attendre. La révolution sociale est là. Quand les travailleurs auront renversé le capitalisme, quand ils auront écrasé toutes les tentatives faites pour le rétablir, ils pourront à loisir, au sein de leur état soviétiste, bâtir librement la nouvelle société.

En présence de la révolution sociale, quelle est la grande tâche immédiate des Travailleurs Industriels du Monde (I. W. W.) ?

Constituant en Amérique la plus importante organisation syndicaliste révolutionnaire, il leur appartient de prendre l’initiative de fournir une base unique à l’unification de tous les syndicats d’un caractère nettement révolutionnaire, de tous les travailleurs qui acceptent le principe de la lutte des classes. Tels sont la Grande Union Unique (One Big Union), la W. I. I. U. et certains syndicats dissidents de l’American Federation of Labor.

Le moment n’est pas aux petites querelles de noms ou de menues questions d’organisation. La tâche essentielle c’est de grouper tous les travailleurs capables d’une action révolutionnaire de masses en temps de crise.

Révolutionnaires, ils ne peuvent repousser les invitations des communistes américains désireux de conclure un accord avec eux en vue d’une action révolutionnaire commune. Le parti politique et l’organisation économique doivent marcher d’un même pas vers le tout commun — vers l’abolition du capitalisme par la dictature du prolétariat et par les Soviets, vers la disparition des classes et de l’État.

L’Internationale Communiste tend aux I. W. W. une main fraternelle.

Le président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste,

G. ZINOVIEV.

Janvier 1920.

>Retour au dossier sur le premier congrès de l’Internationale Communiste

Comité Exécutif de l’Internationale Communiste: le parlementarisme et la lutte pour les soviets

[Circulaire, septembre 1919.]

Chers camarades,

La phase actuelle du mouvement révolutionnaire pose entre autres questions, de façon très impérieuse, la question du parlementarisme.

En France, en Amérique, en Angleterre, en Allemagne, tandis que la lutte des classes devient plus âpre, tous les éléments révolutionnaires, en s’unissant ou en coordonnant leur action sur le mot d’ordre du pouvoir des Soviets, adhèrent au mouvement communiste.

Les groupes anarchistes-syndicalistes et parfois des groupes qui simplement s’intitulent anarchistes entrent ainsi dans le courant général. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste le constate avec joie.

En France, le groupe syndicaliste du camarade Péricat forme un Parti communiste; en Amérique, et partiellement, en Angleterre, la lutte pour les soviets est menée par des organisations telles que celles des I. W. W. (Industrial Workers of the World).

Ces groupes et ces tendances ont toujours activement combattu les méthodes parlementaires. D’autre part, les éléments du parti communiste issus des partis socialistes, sont enclins pour la plupart, à admettre aussi l’action parlementaire (groupe Loriot eu France, membres de la I. S. P. en Amérique, membres de l’I. L. P. en Angleterre).

Tous ces courants qui doivent être à tout prix et au plus tôt unis dans les cadres du Parti communiste ont besoin d’une tactique unique. La question doit donc être tranchée d’une façon générale et le Comité Exécutif de l’Internationale communiste adresse à tous les partis fraternels la présente lettre consacrée à cette question.

La plate-forme commune sur laquelle il faut s’unir, c’est actuellement la reconnaissance du la lutte pour la dictature du prolétariat sous la forme du pouvoir des soviets. L’histoire a posé la question de telle façon que c’est précisément à ce sujet qu’a été précisée la limite entre le parti du prolétariat révolutionnaire et les opportunistes, entre les communistes et les social-traîtres, quelle que soit leur étiquette.

Ce qu’on appelle le centre (Kautsky en Allemagne, Longuet en France. I. L. P. et certains éléments du B. S. P. en Angleterre, Hilquit en Amérique), constitue, malgré toutes les assurances contraires, une tendance objectivement antisocialiste, parce qu’elle ne veut et ne peut combattre pour la dictature du prolétariat.

Et par contre, les groupes et les partis qui, par le passé n’admettaient aucune lutte politique (par exemple, certains groupes anarchistes), reconnaissant le pouvoir des soviets, la dictature du prolétariat, ont par là-même renoncé à leur caractère apolitique, en admettant l’idée de la prise du pouvoir par la classe ouvrière, qui est nécessaire pour vaincre la résistance de la bourgeoisie. Nous avons ainsi, répétons-le, une plate-forme commune — celle de la lutte pour la dictature des soviets.

Ces anciennes subdivisions du mouvement ouvrier sont évidemment périmées. La guerre a entraîné un nouveau regroupement. De nombreux anarchistes ou syndicalistes qui professent la négation du parlementarisme, se sont, pendant les cinq années de guerre, conduits d’une façon aussi vile et aussi traître que les anciens chefs de la social-démocratie officielle qui ne juraient que par Marx.

Ce regroupement des forces s’accomplit d’après une nouvelle ligne : pour la révolution prolétarienne, pour les soviets, pour la dictature, pour l’action des masses. Jusqu’à l’insurrection armée inclusivement — ou contre. Telle est de nos jours la question fondamentale. Tels sont les critères essentiels. Telles sont les insignes sous lesquels se formeront et se forment les nouvelles unions.

Quel est le rapport entre la reconnaissance du principe des soviets et le parlementarisme ?

Il faut ici distinguer avec soin deux questions qui n’ont entre elles aucun lien logique : celle du parlementarisme considéré comme une forme désirable d’organisation de l’État et celle de l’utilisation du parlementarisme afin de concourir a la révolution. Les camarades confondent souvent ces deux questions, ce qui sur le terrain de la lutte pratique, est de l’effet le plus fâcheux.

Examinons tour à tour chacune de ces questions et tirons toutes les conclusions nécessaires.

Quelle est la forme de la dictature prolétarienne ?

Nous répondons : les soviets.

Une expérience d’une signification mondiale l’a démontré. Le pouvoir des soviets est-il compatible avec le parlementarisme ? Non. trois fois non !

Il est absolument incompatible avec les parlements existants parce que la machine parlementaire représente la puissance concentrée de la bourgeoisie. Les députés, les Chambres, leurs journaux, leur système de corruption, les liens des parlementaires dans la coulisse avec les grandes banques, leurs relations avec tous les appareils de l’État bourgeois sont autant de chaînes aux pieds de la classe ouvrière.

Il les faut briser. La machine gouvernementale de la bourgeoisie, et par conséquent le parlement bourgeois doit être brisée, dispersée, anéantie, et il faut organiser sur ses ruines un nouveau pouvoir celui des unions ouvrières de classe, celui des « parlements » ouvriers c’est-à-dire les soviets.

Seuls les traîtres de la classe ouvrière peuvent leurrer les ouvriers en leur faisant espérer une transformation sociale par des moyens pacifiques, par des réformes parlementaires. Ces gens sont les pires ennemis de la classe ouvrière et il faut les combattre impitoyablement ; aucun compromis n’est admissible avec eux. Aussi notre mot d’ordre est-il pour tout pays bourgeois : A bas le Parlement ! Vive le pouvoir des soviets !

Mais on peut poser la question suivante : Soit. Vous n’admettez pas le pouvoir des parlements bourgeois actuels ; mais pourquoi ne pas organiser de nouveaux parlements plus démocratiques basés sur un véritable suffrage universel ?

A cela nous répondons : Pendant la révolution socialiste, la lutte est tellement âpre que la classe ouvrière doit agir promptement, de façon décisive, sans admettre dans son sein, dans son organisation du pouvoir, des ennemis de classe.

A ces exigences les Soviets d’ouvriers, de soldats, de marins, de paysans élus dans les fabriques, les usines, les fermes, les casernes, satisfont seuls.

Ainsi se pose la question de la forme du pouvoir prolétarien. Et maintenant il faut renverser le gouvernement bourgeois des rois, des présidents, des parlements, des chambres de seigneurs, des assemblées constituantes. Toutes ces institutions sont pour nous des ennemis jurés que nous devons anéantir.

Passons maintenant à la deuxième question fondamentale : Peut-on utiliser les parlements bourgeois dans le but de développer la lutte de classes révolutionnaire ? Cette question, comme nous l’avons dit plus haut, n’a aucun lien logique avec la première.

En effet, c’est que l’on peut tendre à détruire une organisation en y entrant, « en l’utilisant ». Nos ennemis de classe le comprennent parfaitement bien quand ils se servent dans leur propre dessein des partis socialistes officiels, des trade-unions, etc…

Prenons un exemple.

Les communistes bolcheviks russes participèrent aux élections de l’Assemblée Constituante. Ils y siégèrent, mais il vinrent pour dissoudre au bout de vingt-quatre heures cette assemblée et réaliser totalement le pouvoir des soviets. Le parti bolchevik a eu ses députés à la Douma d’état du tzar.

Reconnut-il alors cette Douma comme une forme de l’organisation de l’état idéale, ou simplement admissible ? Il serait insensé de le supposer. Il y envoyait ses représentants pour y attaquer de ce côté aussi l’appareil gouvernemental du tsarisme, pour contribuer à la destruction de cette même Douma.

Ce n’est pas pour rien que le gouvernement du tzar condamna les « parlementaires » bolcheviks aux travaux forcés pour « haute trahison ». Les députés bolcheviks menaient aussi en profitant — ne fût-ce que momentanément — de leur « inviolabilité » l’action illégale, organisant les masses pour monter à l’assaut du tzarisme.

Mais une telle action « parlementaire » n’a pas été vue qu’en Russie.

Prenez l’Allemagne et le travail de Liebknecht.

Feu notre camarade a été un révolutionnaire modèle ; n’était-ce pas un acte éminemment révolutionnaire que d’appeler du haut de la tribune du Landtag prussien les soldats à la révolte contre ce même Landtag ? Sans doute, et nous voyons ici maintenant combien est admissible et profitable une pareille attitude.

Si Liebknecht n’avait pas été député, il n’aurait jamais pu manifester une telle activité ; ses discours n’eussent pas eu une pareille portée.

L’exemple du travail parlementaire des communistes suédois nous en convainc aussi. En Suède le camarade Höglund a joué et joue le même rôle que Liebknecht en Allemagne. Profitant de son siège de député il contribue à la destruction du système parlementaire bourgeois.

Personne en Suède n’a fait autant pour la cause de la révolution et pour la lutte contre la guerre que notre ami. Nous voyons le même fait en Bulgarie. Les communistes bulgares ont utilisé avec succès, pour des fins révolutionnaires, la tribune parlementaire.

Aux dernières élections ils ont obtenu 47 sièges. Les camarades Blagoev, Kirkov, Kolarov et d’autres leaders du mouvement communiste bulgare savent contraindre la tribune parlementaire à servir la cause de la révolution prolétarienne. Un tel travail « parlementaire » exige une hardiesse et un tempérament révolutionnaire exceptionnels : ici, en effet, les hommes sont à un poste particulièrement dangereux. Ils minent la position de l’ennemi dans son propre camp ; ils entrent au parlement, non pour recevoir cette machine entre leurs mains, mais pour aider les masses à la faire sauter du dehors.

Ainsi, sommes-nous pour la conservation des Parlements bourgeois démocratiques en tant que forme de gouvernement de l’Etat ?

Non, en aucun cas. Nous sommes pour les Soviets. Sommes-nous pour l’utilisation des parlements au profit de notre travail communiste, tant que nous n’avons pas la force de les renverser ?

Oui, mais en observant diverses conditions.

Nous savons très bien que ni en France, ni en Amérique, ni en Angleterre, il n’y a eu parmi les ouvriers de parlementaires révolutionnaires. Mais cela ne prouve pas que la tactique que nous croyons bonne soit erronée. Toute la question réside en ce fait qu’il n’y a jamais eu dans ces pays de parti révolutionnaire tel que les bolchevistes russes et les spartakistes allemands. Si un tel parti existe tout peut changer.

Il faut en particulier :

1° que le centre de gravité de la lutte soit situé hors du Parlement (dans les grèves, les insurrections et les autres formes de la lutte des masses) ;

2° que les interventions du Parlement correspondent à cette lutte ;

3° que les députés prennent part au travail illégal ;

4° qu’ils agissent sur mandat du Comité central du parti, en se soumettant à lui ;

5° que dans leurs interventions ils ne s’embarrassent pas des formes parlementaires (qu’ils n’aient pas peur de se heurter à la majorité bourgeoise, qu’ils sachent parler par-dessus sa tête, etc.)

Faut-il, ou non, participer, à tel moment donné, à telle campagne électorale — cela dépend de toute une série de conditions concrètes qui dans chaque pays, doivent être, au moment opportun spécialement examinées. Les bolcheviks russes ont été pour le boycottage des élections à la première Douma en 1906.

Six mois plus tard, ils étaient pour la participation aux élections à la deuxième Douma, quand il fut prouvé que la domination des bourgeois propriétaires durerait encore en Russie pendant quelques années. Avant les élections pour l’Assemblée constituante allemande en 1918 une partie des spartakistes voulait y participer ; l’autre y était apposée. Mais le parti resta un parti communiste unique.

Nous ne pouvons renoncer en principe à utiliser le parlementarisme.

Le parti bolchevik en Russie au printemps 1918, étant déjà au pouvoir, déclara à son 7e Congrès, dans une résolution spéciale que si par la suite d’un concours de circonstances particulières, la bourgeoisie parlementaire prenait de nouveau momentanément le dessus, les communistes russes pourraient être contraints à tirer de nouveau parti du parlementarisme bourgeois. Il ne faut donc pas se lier les mains à cet égard.

Ce que nous voulons surtout souligner, c’est que la véritable solution de la question a lieu dans tous les cas hors de l’enceinte du parlement, dans la rue.

Il est maintenant évident que la grève et l’insurrection sont les seules méthodes de lutte décisive entre le Travail et le Capital.

C’est pourquoi les principaux efforts de tous les camarades doivent être concentrés sur le travail de la mobilisation des masses ; création du parti, création de nos groupes dans les associations professionnelles et conquête de celles-ci ; organisation des soviets au cours de la lutte, direction de l’action des masses, agitation dans les masses en faveur de la révolution, voilà ce qui est au premier plan, les interventions parlementaires et la participation aux campagnes électorales n’étant dans ce travail qu’un moyen secondaire et rien de plus.

S’il en est ainsi — et il en est indiscutablement ainsi — il va de soi que ceux dont les opinions divergent sur cette question ne doivent pas se diviser pour cela.

La pratique des prostitutions parlementaires a été tellement écœurante que les meilleurs camarades ont là-dessus des préjugés. Il faut les détruire peu à peu au cours de la lutte révolutionnaire.

C’est pourquoi nous insistons auprès de tous les groupes et de toutes les organisations qui mènent une lutte effective pour les soviets en faveur d’une union maxima, en dépit des désaccords sur ce sujet.

Tous ceux qui sont pour les Soviets et la dictature prolétarienne doivent s’unir au plus tôt et former un parti communiste unique.

Salut communiste.

Le président du Comité exécutif de l’Internationale communiste,

G. Zinoviev

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Lénine : la IIIe Internationale et sa place dans l’histoire

[Publié le 1er mai 1919, dans le n° 1 de l’Internationale communiste.]

Les impérialistes des pays de l’« Entente » bloquent la Russie, cherchant à isoler du monde capitaliste ce foyer de contagion qu’est pour eux la République soviétique. Ceux qui se vantent du « démocratisme » de leurs institutions sont à ce point aveuglés par leur haine de la République des Soviets, qu’ils ne remarquent pas qu’ils se rendent eux-mêmes ridicules.

Songez un peu : les pays les plus avancés, les plus civilisés et les plus « démocratiques », armés jusqu’aux dents, et dont la domination militaire s’exerce sans partage sur tout l’univers, craignent comme le feu la contagion des idées venant d’un pays ruiné, affamé, arriéré, et même comme ils l’assurent, à demi-sauvage !

Cette contradiction à elle seule ouvre les yeux aux masses laborieuses de tous les pays et nous aide à démasquer l’hypocrisie des impérialistes Clemenceau, Lloyd George, Wilson et de leurs gouvernements.

Or, ce qui nous aide, ce n’est pas uniquement l’aveuglement des capitalistes dû à leur haine pour les Soviets, mais aussi leur rivalité véhémente entre eux, qui les pousse à se donner des crocs-en-jambe.

Ils ont formé entre eux une véritable conjuration du silence pour empêcher, ce qu’ils craignent plus que tout, la diffusion d’informations exactes sur la République des Soviets en général et de ses documents officiels en particulier. 

Le Temps, organe central de la bourgeoisie française, annonce cependant la fondation à Moscou, de la IIIe Internationale, de l’Internationale communiste

Nous apportons à l’organe central de la bourgeoisie française, à ce champion du chauvinisme et de l’impérialisme français, l’expression respectueuse de notre reconnaissance.

Nous sommes prêts à envoyer au Temps une adresse solennelle pour lui dire combien nous lui savons gré du concours si heureux et si intelligent qu’il nous prête.

La façon dont le Temps a rédigé son information d’après notre radio, montre de toute évidence les motifs qui ont inspiré cet organe du sac d’écus. Le Temps a voulu donner un coup d’épingle à Wilson, le mortifier : Voilà donc ceux avec qui vous croyez possible d’engager des pourparlers !

Les pontifes qui écrivent sur commande du sac d’écus ne s’aperçoivent pas qu’en voulant effrayer Wilson par l’épouvantail du bolchévisme ils font auprès des masses laborieuses de la réclame pour les bolchéviks. Encore une fois nous exprimons très respectueusement notre reconnaissance à l’organe des millionnaires français.

La fondation de la IIIe Internationale s’est faite dans une situation mondiale telle que nulle prohibition, nulle manœuvre mesquine et chétive des impérialistes de l’« Entente » ou des laquais du capitalisme, comme les Scheidemann en Allemagne, les Renner en Autriche, ne sauraient empêcher de se répandre dans la classe ouvrière du monde entier, la nouvelle relative à cette Internationale et les sympathies qu’elle provoque.

Cet état de choses est dû à la révolution prolétarienne qui partout grandit manifestement, non pas de jour en jour, mais d’heure en heure.

Cet état de choses est dû au mouvement des masses laborieuses en faveur des Soviets, mouvement dont la vigueur est telle qu’il devient vraiment international.

La Ie Internationale (1864-1872) avait jeté les fondements de l’organisation universelle des travailleurs pour la préparation de leur assaut révolutionnaire contre le capital.

La IIe Internationale (1889-1914) a été l’organisation internationale du mouvement prolétarien dont le progrès s’est fait en largeur, ce qui n’a pas été sans entraîner un abaissement momentané du niveau révolutionnaire, un renforcement passager de l’opportunisme qui devait finalement aboutir à la faillite honteuse de cette Internationale.

La IIIe Internationale est née de fait en 1918, au moment où les longues années de lutte contre l’opportunisme et le social-chauvinisme, pendant la guerre surtout, avaient abouti dans plusieurs pays à la formation de partis communistes. Officiellement, la IIIe Internationale a été fondée à son premier congrès, en mars 1919, à Moscou.

Et le trait caractéristique de cette Internationale, sa mission, c’est d’appliquer, de traduire dans la vie les préceptes du marxisme et de réaliser l’idéal séculaire du socialisme et du mouvement ouvrier.

Ce trait caractéristique de la IIIe Internationale s’est révélé dès l’abord en ceci que la nouvelle, la troisième « Association internationale des travailleurs » coïncide dès maintenant dans une certaine mesure, avec l’Union des Républiques socialistes soviétiques.

La Ie Internationale a jeté les fondements de la lutte prolétarienne, internationale, pour le socialisme. La IIe Internationale a marqué la période de préparation du terrain pour une large, pour une massive diffusion du mouvement dans un ensemble de pays.

La IIIe Internationale a recueilli les fruits du labeur de la IIe Internationale, elle en a retranché la souillure bourgeoise et petite-bourgeoise, opportuniste et social-chauvine, et a commencé à réaliser la dictature du prolétariat.

L’alliance internationale des partis dirigeant le mouvement le plus révolutionnaire du monde, le mouvement du prolétariat pour secouer le joug du capital, dispose maintenant d’une base d’une solidité sans précédent : plusieurs Républiques soviétiques incarnant à l’échelle internationale la dictature du prolétariat et sa victoire sur le capitalisme.

La portée historique universelle de la IIIe Internationale, Internationale communiste, est qu’elle a commencé à mettre en pratique le plus grand mot d’ordre de Marx, mot d’ordre qui résume le progrès séculaire du socialisme et du mouvement ouvrier, mot d’ordre défini par la notion : dictature du prolétariat.

Cette anticipation de génie, cette théorie géniale devient réalité.

Cette expression latine est traduite aujourd’hui dans toutes les langues populaires de l’Europe moderne, mieux encore : dans toutes les langues du monde.

Une ère nouvelle s’est ouverte dans l’histoire mondiale.

L’humanité se dépouille de la dernière forme de l’esclavage : esclavage capitaliste ou salarié.

En se libérant de cet esclavage, l’humanité naît enfin à la liberté véritable.

Comment a-t-il pu se faire que le premier pays qui ait réalisé la dictature du prolétariat et fondé la République soviétique, ait été un des pays les plus arriérés de l’Europe ?

Nous ne risquons guère de nous tromper, en disant que justement cette contradiction entre le retard de la Russie et le « bond » effectué par elle, pardessus la démocratie bourgeoise, vers la forme supérieure du démocratisme, vers la démocratie soviétique ou prolétarienne, justement cette contradiction a été (en plus des pratiques opportunistes et des préjugés philistins qui pesaient sur la plupart des chefs socialistes) une des raisons qui ont rendu particulièrement difficile ou retardé en Occident la compréhension du rôle des Soviets.

Les masses ouvrières de tous les pays ont saisi d’instinct l’importance des Soviets comme arme de lutte du prolétariat et ferme de l’Etat prolétarien. Mais les « chefs » corrompus par l’opportunisme ont continué, et continuent de vouer un culte à la démocratie bourgeoise en l’appelant « démocratie » en général.

Faut-il s’étonner que la réalisation de la dictature prolétarienne ait révélé avant tout cette « contradiction » entre le retard de la Russie et le « bond » effectué par elle par-dessus la démocratie bourgeoise ? Il eût été étonnant si l’histoire nous gratifiait d’une nouvelle forme de démocratie sans entraîner une série de contradictions.

Tout marxiste, voire toute personne initiée à la science moderne, en général, si on lui posait cette question : « Le passage égal ou harmonieux et proportionnel des divers pays capitalistes à la dictature du prolétariat est-il possible ? » — répondra sans doute par la négative. Ni égalité de développement, ni harmonie, ni proportionnalité n’ont jamais existé et ne pouvaient exister dans le monde capitaliste.

Chaque pays a fait ressortir avec un singulier relief tel ou tel autre côté, tel trait ou ensemble de particularités du capitalisme et du mouvement ouvrier. Le processus de développement était inégal.

Au moment où la France accomplissait sa grande Révolution bourgeoise et éveillait tout le continent européen à une vie nouvelle au point de vue historique, l’Angleterre, tout en étant beaucoup plus développée que la France au point de vue capitaliste, se trouva à la tête d’une coalition contre-révolutionnaire.

Mais le mouvement ouvrier anglais de cette époque fait pressentir, de façon géniale, bien des points du futur marxisme.

Lorsque l’Angleterre donna au monde le premier grand mouvement révolutionnaire prolétarien, réellement massif, politiquement cristallisé, le chartisme, il n’y avait, la plupart du temps, sur le continent européen que de faibles révolutions bourgeoises ; en France, éclatait la première grande guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie.

La bourgeoisie battit les divers détachements nationaux du prolétariat, isolément et d’une façon différente selon les pays.

L’Angleterre était selon l’expression d’Engels le pays-type d’une bourgeoisie qui a créé, à côté d’une aristocratie embourgeoisée, la couche supérieure la plus embourgeoisée du prolétariat. Le pays capitaliste avancé fut ainsi en retard de plusieurs dizaines d’années dans le sens de la lutte révolutionnaire prolétarienne.

La France semble avoir épuisé les forces de son prolétariat en deux insurrections héroïques — qui ont donné énormément au point de vue de l’histoire mondiale — de la classe ouvrière contre la bourgeoisie en 1848 et 1871. L’hégémonie dans l’Internationale du mouvement ouvrier passa ensuite à l’Allemagne, vers 1870, au moment où ce pays était économiquement en retard sur l’Angleterre et la France.

Et lorsque l’Allemagne eut dépassé économiquement ces deux pays, c’est-à-dire vers la deuxième décade du XXe siècle, le parti ouvrier marxiste d’Allemagne, parti modèle pour le monde entier, se trouva sous la direction d’une poignée de gredins fieffés, de la canaille la plus immonde vendue aux capitalistes, depuis Scheidemann et Noske jusqu’à David et Legien, les plus répugnants bourreaux issus des milieux ouvriers et passés au service de la monarchie et de la bourgeoisie contrerévolutionnaire.

L’histoire universelle s’achemine irrésistiblement vers la dictature du prolétariat, mais elle n’y va pas par des chemins unis, simples et droits, tant s’en faut.

Du temps que Karl Kautsky était encore marxiste, et non pas ce renégat du marxisme qu’il est devenu comme combattant pour l’unité avec les Scheidemann et la démocratie bourgeoise contre la démocratie soviétique ou prolétarienne, il écrivait — dès le début du XXe siècle— un article : « Les Slaves et la révolution ».

Il y exposait les conditions historiques qui faisaient prévoir la transmission aux Slaves de l’hégémonie dans le mouvement révolutionnaire international.

Il en fut ainsi. Pour un temps — très court, cela va de soi — l’hégémonie dans l’Internationale prolétarienne révolutionnaire est passée aux Russes, comme à diverses époques du XIXe siècle elle appartint aux Anglais, puis aux Français, puis aux Allemands.

J’ai eu l’occasion de le répéter souvent : en comparaison des pays avancés, il était plus facile aux Russes de commencer la grande Révolution prolétarienne, mais il leur sera plus difficile de la continuer et de la mener jusqu’à la victoire définitive, dans le sens de l’organisation intégrale de la société socialiste.

Il nous a été plus facile de commencer, d’abord parce que le retard politique peu ordinaire — pour l’Europe du XXe siècle — de la monarchie tsariste provoqua un assaut révolutionnaire des masses, d’une vigueur inaccoutumée.

En second lieu, le retard de la Russie unissait d’une façon originale la Révolution prolétarienne contre la bourgeoisie, à la révolution paysanne contre les grands propriétaires fonciers.

C’est par là que nous avons commencé en octobre 1917, et nous n’aurions pas triomphé si facilement si nous avions agi différemment.

Dès 1856 Marx indiqua, en parlant de la Prusse, la possibilité d’une combinaison originale de la révolution prolétarienne avec la guerre paysanne.

Les bolchéviks, depuis le début de 1905, défendirent l’idée d’une dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie.

En troisième lieu, la Révolution de 1905 a fait énormément pour l’éducation politique de la masse des ouvriers et des paysans, tant pour initier leur avant-garde au « dernier mot » du socialisme d’Occident, que dans le sens de l’action révolutionnaire des masses.

Sans cette « répétition générale » de 1905, les révolutions de 1917, bourgeoise en février, prolétarienne en octobre, n’eussent pas été possibles.

En quatrième lieu, la situation géographique de la Russie lui a permis plus longtemps qu’aux autres pays de tenir, en dépit de la supériorité extérieure des pays capitalistes avancés.

En cinquième lieu, l’attitude particulière du prolétariat à l’égard de la paysannerie a facilité le passage de la révolution bourgeoise à la révolution socialiste, facilité l’influence des prolétaires de la ville sur les semi-prolétaires, sur les couches de travailleurs pauvres des campagnes.

En sixième lieu, la longue école des grèves et l’expérience du mouvement ouvrier de masse en Europe ont facilité, dans une situation révolutionnaire tendue et vite aggravée, l’apparition d’une forme d’organisation révolutionnaire prolétarienne aussi originale que les Soviets.

Cette énumération n’est évidemment pas complète. Mais on peut pour l’instant s’en tenir là.

La démocratie soviétique ou prolétarienne est née en Russie. Par rapport à la Commune de Paris, ce fut un second pas d’une importance historique universelle.

La République prolétarienne et paysanne des Soviets est apparue comme la première et solide république socialiste du monde. Désormais elle ne peut mourir en tant que nouveau type d’État. Elle n’est plus seule aujourd’hui.

Pour continuer l’œuvre de construction socialiste et la mener à bien, il y a encore beaucoup à faire. Les Républiques soviétiques des pays plus cultivés, où le prolétariat a plus de poids et plus d’influence, ont toutes les chances de dépasser la Russie, dès qu’elles s’engageront dans la voie de la dictature du prolétariat.

Aujourd’hui la IIe Internationale en faillite meurt et pourrit sur pied. En réalité elle est passée au service de la bourgeoisie internationale. C’est une véritable Internationale jaune.

Ses plus grands chefs idéologiques, tels que Kautsky, exaltent la démocratie bourgeoise qui est pour eux la « démocratie » en général ou — ce qui est encore plus absurde et encore plus fruste — la « démocratie pure ».

La démocratie bourgeoise a fait son temps tout comme la IIe Internationale. Elle a accompli une tâche historique nécessaire et utile, à une époque où il s’agissait de préparer les masses ouvrières dans le cadre de cette démocratie bourgeoise.

La république bourgeoise la plus démocratique ne fut jamais et ne pouvait être rien qu’une machine servant au capital à écraser les travailleurs, un instrument du pouvoir politique du capital, une dictature de la bourgeoisie. La république démocratique bourgeoise a promis et proclamé le pouvoir de la majorité, mais elle n’a jamais pu le réaliser tant qu’existait la propriété privée du sol et des autres moyens de production.

La « liberté » dans la république démocratique bourgeoise n’était en fait que la liberté pour les riches.

Les prolétaires et les travailleurs des campagnes pouvaient et devaient s’en servir afin de préparer leurs forces pour renverser le capital, pour venir à bout de la démocratie bourgeoise ; mais en règle générale les masses laborieuses n’ont jamais pu bénéficier réellement de la démocratie en régime capitaliste.

Pour la première fois dans le monde, la démocratie soviétique ou prolétarienne a créé la démocratie pour les masses, pour les travailleurs, pour les ouvriers et les petits paysans. On n’avait encore jamais vu dans le monde un pouvoir d’Etat exercé par la majorité de la population, pouvoir réel de cette majorité, comme le pouvoir des Soviets.

Celui-ci réprime la « liberté » des exploiteurs et de leurs agents ; il leur enlève la « liberté » d’exploiter, la « liberté » de s’enrichir de la faim des autres, la « liberté » de combattre pour le rétablissement du pouvoir du capital, la « liberté » de s’allier à la bourgeoisie étrangère contre les ouvriers et paysans nationaux. Laissons aux Kautsky le soin de défendre cette liberté. Il faut être pour cela un renégat du marxisme, un renégat du socialisme.

La faillite des chefs idéologiques de la IIe Internationale, comme Hilferding et Kautsky, n’est jamais apparue plus clairement que dans leur incapacité absolue à comprendre la signification de la démocratie soviétique ou prolétarienne, son lien avec la Commune de Paris, sa place dans l’histoire, sa nécessité comme forme de la dictature du prolétariat.

Le numéro 74 de la Freiheit, organe de la social-démocratie allemande « indépendante » (lisez : philistine, vulgaire, petite-bourgeoise) a publié le 11 février 1919 un appel : « Au prolétariat révolutionnaire d’Allemagne ». Appel signé par la direction du parti et toute sa fraction à l’« Assemblée nationale », la « Constituante » allemande. Cet appel accuse les Scheidemann de vouloir supprimer les Soviets et propose — ne riez pas ! — de combiner les Soviets avec la Constituante, de leur donner certains droits dans le gouvernement de l’État, certaine place dans la Constitution.

Concilier, unir la dictature de la bourgeoisie avec la dictature du prolétariat ! Rien de plus simple ! Voilà bien une géniale idée de philistin !

Il est regrettable seulement qu’elle ait déjà été expérimentée en Russie sous Kérenski par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires coalisés, ces démocrates petits-bourgeois qui se prétendent socialistes.

N’avoir pas compris, en lisant Marx, que dans la société capitaliste, en chaque circonstance grave, à chaque conflit social sérieux, il ne peut s’agir que de dictature de la bourgeoisie ou de dictature du prolétariat, c’est n’avoir rien compris à la doctrine politique et économique de Marx.

Mais la géniale idée philistine de Hilferding, Kautsky et Cie sur l’union pacifique de la dictature bourgeoise et de la dictature du prolétariat exige un examen à part, si l’on veut pénétrer toutes les absurdités économiques et politiques entassées dans ce message, éminemment remarquable et comique, du 11 février. Mais il nous faut remettre cela à un prochain article.

N. Lénine. Moscou, 15 avril 1919.

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Lénine : discours pour le premier anniversaire de la fondation de l’Internationale Communiste

Lénine

Discours à la séance solennelle du Soviet de Moscou, consacrée au premier anniversaire de la fondation de la 3eInternationale

Camarades !

Une année s’est écoulée depuis la fondation de l’Internationale Communiste. Au cours de cette année, elle a remporté des victoires auxquelles il était impossible de s’attendre et que, disons-le bien franchement, personne, lors de sa fondation, n’osait espérer.

Au début de la révolution, nombreux étaient ceux qui espéraient que la révolution sociale se déclencherait en Europe immédiatement après la fin de la guerre, car, à ce moment, les masses étaient armées et la révolution pouvait dès lors s’effectuer dans certains pays d’Occident avec le plus grand succès.

C’est ce qui se fût produit s’il n’y avait pas eu, en Europe occidentale, tant de dissensions profondes au sein du prolétariat, tant de trahison de la parti des ex-leaders socialistes. Jusqu’à présent nous ne savons toujours pas exactement comment la démobilisation s’est passée et comment la liquidation de la guerre s’effectue.

Nous ne savons pas, par exemple, ce qu’il y a eu en Hollande et ce n’est que d’un article (comme il y en a beaucoup d’autres) où il était question d’un discours prononcé par un communiste hollandais qu’il m’est arrivé d’apprendre qu’en Hollande, dans le plus neutre des pays, dans celui qui a été le moins mêlé à la guerre impérialiste, le mouvement révolutionnaire a pris des proportions si vastes que, d’ores et déjà, des Soviets ont été formés ; et Troelstra, une des figures les plus marquantes de l’opportuniste social-démocratie hollandaise a dû reconnaître que les ouvriers eussent pu s’emparer du pouvoir.

Si l’internationale ne s’était pas trouvée entre les mains de traîtres qui sauvèrent la bourgeoisie au moment critique, il y aurait eu bien des chances pour que, dès la fin de la guerre, dans beaucoup de pays belligérants ainsi que dans certains pays neutres où le peuple était armé, la révolution se fût produite rapidement.

Il ne devait pas en être ainsi. La révolution n’a pas réussi à se développer aussi rapidement, et elle doit parcourir tout le processus de développement que nous avons pu commencer, que nous avons dû commencer avant la première révolution (1905).

Et c’est uniquement parce que nous avions, en 1917, plus de dix années d’expérience que nous avons été capables de guider le prolétariat.

En 1905, il y eut pour ainsi dire une répétition de la révolution, et c’est en partie ce qui nous a permis en Russie de profiter du moment où la faillite de la guerre impérialiste faisait tomber le pouvoir aux mains du prolétariat. Par suite des événements historiques, par suite de la complète désagrégation de l’autocratie, il nous a été facile de commencer la révolution.

Mais, plus il a été facile de la commencer, plus il a été difficile de la continuer dans ce pays isolé.

Nous pouvons pourtant dire, pour celte année écoulée, que dans les autres pays où les ouvriers sont plus développés, où l’industrie est plus vaste, où les ouvriers sont infiniment plus nombreux, le développement de la révolution se poursuit d’une allure beaucoup plus lente. Il a suivi notre voie, mais avec infiniment plus de lenteur.

Mais la victoire du prolétariat vient, en revanche, avec une certitude incontestablement plus grande que ce ne fut le cas chez nous.

Lorsqu’on considère la 3e Internationale, on est pourtant frappé par ses rapides succès ; elle s’est propagée de victoire en victoire. Voyez comme se répandent dans le monde entier des mots russes, comme le mot « bolchevisme ».

Bien que nous nous nommions Parti Communiste, et que le mot « communiste » soit notre appellation scientifique, générale, européenne, il est bien moins répandu que le mot « bolchevik ». Notre mot russe « Soviet » est des plus connus : on ne le traduit même pas dans les autres langues et il conserve partout sa physionomie russe.

En dépit de tous les mensonges de la presse bourgeoise, et de la résistance désespérée que nous a opposée toute la vieille bourgeoisie, malgré la mise en œuvre de tous les moyens, les sympathies des masses ouvrières sont allées aux Soviets, au pouvoir soviétiste et au bolchévisme. Plus la bourgeoisie mentait, plus elle aidait à généraliser dans le monde entier l’expérience que nous avons faite avec Kerensky.

Ceux des bolcheviks qui vinrent par l’Allemagne en Russie furent accueillis dans la « République démocratique » par des attaques et des poursuites organisées à l’américaine et auxquelles Kérensky, les mencheviks, les socialistes-révolutionnaires apportaient une aide sans mesure.

Ils firent tant et si bien qu’ils réussirent à émouvoir les masses prolétariennes et les obligèrent à conclure que si l’on traquait ainsi les bolcheviks, c’est qu’ils avaient assurément quelque chose de bon.(Applaudissements.)

Lorsque nous parviennent parfois de l’étranger des bribes de renseignements, lorsqu’on n’a pas la possibilité de suivre la presse et qu’on lit, par exemple, au hasard un numéro du plus riche des journaux anglais, le Times, lorsqu’on voit comment sont traduits là-bas les articles bolcheviks, afin de démontrer que les bolcheviks préconisaient déjà, pendant la guerre, la guerre civile, on en arrive à conclure que les plus intelligents mêmes des représentants de la bourgeoisie ont perdu la tête…

Si la presse anglaise signale le livre A contre-courant, le recommande aux lecteurs anglais et en produit des citations, pour démontrer que les bolcheviks sont les pires des hommes, qui, tout en dénonçant le crime de la guerre impérialiste, prêchent la guerre civile, on se persuade que la bourgeoisie qui nous maudit nous apporte le plus grand soutien… Nous l’en complimentons et nous la remercions. (Applaudissements.)

Nous n’avons pas de presse quotidienne ni en Europe, ni en Amérique ; les informations concernant notre action sont très pauvres, nos camarades sont impitoyablement traqués.

Mais quand on voit que la presse impérialiste des alliés, la plus riche, dans laquelle des centaines de milliers d’autres journaux puisent leurs renseignements, a perdu à ce point le sentiment de la mesure : que, tout en désirant frapper les bolcheviks, elle fait d’abondantes citations des œuvres bolcheviques, les exhumant des publications éditées pendant la guerre, pour mieux prouver que, flétrissant le crime qu’était la guerre impérialiste, nous nous efforçons de la transformer en guerre civile, on conclut que ces très intelligents journalistes sont devenus aussi sots que notre Kérensky et ses pareils.

C’est pourquoi nous pouvons vous assurer que les dirigeants de l’impérialisme anglais travaillent proprement et solidement pour le plus grand bien de la révolution internationale. (Applaudissements.)

Avant la guerre, camarades, il nous semblait que la cause de division la plus importante au sein du mouvement ouvrier était la scission entre socialistes et anarchistes.

Ce n’était pas qu’une apparence, il en était bien ainsi. Dans la longue période qui précéda la guerre impérialiste et la révolution, il n’y avait pas, à parler d’une façon objective, dans la majeure partie des pays européens, de situation révolutionnaire. La tâche des militants consistait à utiliser la lente action quotidienne pour la préparation révolutionnaire. Les socialistes se mirent à l’œuvre, les anarchistes ne comprirent pas cette tâche.

La guerre a créé un état de choses révolutionnaire et cette vieille scission du mouvement ouvrier est en voie de disparition.

D’un côté, les hautes sphères de l’anarchie et du socialisme, devenues chauvines, ont montré ce que signifie la défense de certains pillards bourgeois contre d’autres, au nom de laquelle la guerre a exterminé des millions d’hommes. D’un autre côté, dans les profondeurs des vieux partis, ont surgi de nouveaux courants — contre la guerre, contre l’impérialisme, pour la révolution sociale.

Ainsi, la plus profonde crise s’est créée du fait de la guerre. Les anarchistes et les socialistes se sont scindés, parce que les principaux des leaders parlementaires et des leaders anarchistes ont emboîté le pas aux chauvins, tandis qu’une infime minorité s’éloignait d’eux, et commençait à passer dans le camp révolutionnaire.

De la sorte, le mouvement ouvrier de tous les pays a suivi une autre voie, qui n’est ni celle des anarchistes, ni celle des socialistes, mais qui mène à la dictature du prolétariat.

Cette scission, remarquable dans le monde entier, a commencé bien avant l’existence de la 3e Internaionale. Si nous avons remporté des succès c’est parce que nous sommes arrives en plein mouvement révolutionnaire et que le mouvement ouvrier se manifestait déjà dans tous les pays. Voilà pourquoi nous voyons maintenant que s’est produite une scission au sein du socialisme et de l’anarchisme.

C’est ce qui oblige dans le monde entier les ouvriers communistes à procéder à la formation de nouvelles organisations, et a les unifier dans la 3e Internationale. Une telle manière d’agir est de beaucoup la plus exacte.

Si, de nouveau, des désaccords surgissaient, par exemple, sur l’utilisation du parlementarisme, il serait, après l’expérience, de la révolution russe et de la guerre civile, après que s’est dressée devant tout l’univers la figure magnifique de Liebknecht et que son rôle et son importance se sont révélés aux représentants du parlementarisme, il serait, dis-je, insensé de répudier encore l’utilisation révolutionnaire du parlementarisme.

Il est clair, même pour les représentants de la vieille école, que poser la question de l’Etat comme pour le passé, n’est plus possible ; au lieu de l’ancienne manière livresque, le mouvement révolutionnaire a mis au jour une autre façon nouvelle et pratique de la poser.

À la force groupée et centralisée de la bourgeoisie, il faut opposer la force groupée et centralisée du prolétariat. Dès lors, la question de l’Etat apparait sous un angle nouveau, et le vieux désaccord perd toute raison d’être.

L’ancienne scission disparue, voici que de nouvelles se produisent en tête desquelles se trouve l’attitude à observer vis-à-vis du pouvoir soviétiste et la dictature du prolétariat. La constitution soviétiste met nettement en valeur tout ce qu’a élaboré la révolution russe.

Par notre expérience, par nos enseignements, on a obtenu que tous les vieux problèmes ne se résument plus maintenant qu’en un seul : pour ou contre le pouvoir soviétiste. Ou pour le pouvoir bourgeois, pour la démocratie, pour ces normes de démocratie qui, promettant l’égalité des repus et des affamés, l’égalité du capitaliste et du travailleur, cachent dans le suffrage universel des exploiteurs, pour l’Etat soviétiste.

Seuls les partisans de l’esclavage capitaliste peuvent soutenir la démocratie bourgeoisie. C’est ce que nous voyons dans la littérature réactionnaire de Koltchak et de Dénikine.

Après le nettoyage de beaucoup de villes russes on a ramassé dans les immondices quelque prose qu’on a expédiée à Moscou.

Nous prouvons à présent examiner les œuvres des intellectuels russes du genre de Tchirikov ou de penseurs bourgeois comme E. Troubetskoï et l’on peut comment, tout en aidant Dénikine, ils parlent de l’Assemblée Constituante, de l’égalité, etc. Les opinions qu’ils émettent sur la Constituante nous servent ; losqu’il mènent ce type d’agitation parmi les masses de gardes-blancs ; ils nous aident ainsi que toute la marche même de la guerre civile, des événements.

Par leurs arguments, ils ont eux-même montré que tout révolutionnaire sincère qui sympathise avec la lutte contre les capitalistes est pour la République des Soviets. La marche de la guerre civile le prouve incontestablement.

S’élever contre la nécessité du pouvoir central, de la dictature et de l’unité de volonté, — nécessaires pour que le prolétariat avancé se concentre, se développe et rétablisse l’Etat sous de nouvelles formes, en tenant le pouvoir solidement en mains, — porter des jugements sur ce sujet devient impossible après tout ce qui s’est produit en Russie, en Finlande et en Hongrie, après la longue expérience d’une année de république démocratique en Allemagne. La démocratie s’est elle-même discréditée définitivement.

C’est ainsi que, dans tous les pays, sous les formes les plus diverses, tant de symptômes d’accroissement du mouvement communiste pour le pouvoir des soviets, pour la dictature du prolétariat, se multiplient irrésistiblement.

Cet accroissement est si violent que des partis comme le Parti des indépendants allemands et le Parti socialiste français, au sein desquels règnent les pontifes de la vieille école, qui ne comprennent ni les nouvelles formes d’agitation, ni les conditions nouvelles que l’action parlementaire n’a nullement modifiées (action que ces messieurs transforment d’ailleurs en un moyen d’éviter, grâce à des flots d’éloquence, de répondre aux questions les plus importantes), même ces pontifes, dis-je, ont été obligés de reconnaître la dictature du prolétariat et le pouvoir des Soviets.

Il est vrai que les masses qui ne se laissent pas ignorer les y ont forcés.

D’autres camarades vous ont dit que la sortie du Parti des indépendants allemands de la 2e Internationale, la reconnaissance par ce parti de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétiste a été le dernier coup décisif porté à la 2e Internationale. La situation est maintenant telle que la 2e Internationale est, peut-on dire, morte, et que les masses ouvrières d’Allemagne, d’Angleterre et de France passent dans le camp des communistes.

Il y a aussi en Angleterre un parti d’Indépendants qui n’entend pas abandonner le point de vue de la légalité et qui persiste à condamner la violence des bolcheviks. Dans leur journal, on a récemment consacré une rubrique spéciale à cette discussion. Discuter signifie examiner.

On examine donc là-bas la question des Soviets ; à côté d’un article inséré dans tous les journaux ouvriers et qui traite de cette question nous en voyons un autre d’un Anglais qui ne veut pas compter avec la théorie du socialisme, qui garde le sot dédain d’autrefois pour les théories, mais qui, considérant les conditions actuelles de la vie anglaise, en arrive à conclure : « Nous ne pouvons pas condamner les Soviets ; nous devons en être partisans ».

Cela signifie que même les couches ouvrières les plus retardataires d’un pays comme l’Angleterre se sont ébranlées, et l’on peut dire que les vieilles formes du socialisme sont mortes à jamais.

L’Europe va vers la révolution, mais, comme nous y sommes venus nous-mêmes, elle s’y achemine selon le caractère local du mouvement.

Chaque pays doit mener, à sa manière, et a commencé, une lutte intérieure contre ses mencheviks et contre leur opportunisme, existant sous d’autres dénominations, mais souvent plus profondément enracinés que chez nous.

Et c’est précisément parce qu’ils passent de façon indépendante par cette expérience qu’on peut considérer la victoire de la révolution socialiste comme inéluctable dans tous les pays.

Plus il y a d’hésitations et d’incertitudes dans les rangs ennemis, — et nous ne voyons pas autre chose dans leurs affirmations que les bolcheviks sont des criminels avec lesquels ils ne feront jamais la paix, aussitôt suivies de revirements diplomatiques, — mieux vont les choses pour nous. Ils nous disent maintenant : « On peut faire du commerce tout en ne reconnaissant pas les bolcheviks ».

Nous n’y voyons nul inconvénient, messieurs, faites-en l’expérience. Les raisons qui font que vous ne vouliez pas nous reconnaître, nous les comprenons fort bien. Et nous sommes les premiers à dire que vous commettriez une faute énorme en nous reconnaissant.

Mais si vous êtes si ennuyés que de prime abord vous déclariez les bolcheviks des destructeurs des lois de Dieu et de l’humanité, et qu’ensuite vous disiez que vous allez procéder avec eux à des échanges commerciaux sans les reconnaître politiquement, c’est là pour nous une victoire qui, dans chaque pays, hâtera la croissance du mouvement communiste et l’approfondira.

Il est déjà si profond qu’en dehors de ceux qui adhèrent officiellement à la 3e Internationale, on peut voir dans les pays avancés toute une série de mouvements qui, tout en ne se rattachant ni au socialisme, ni au communisme, tout en persistant à condamner le bolchevisme, viennent à lui poussés par la force des événements.

Dans tout pays civilisé, la guerre, au 20e siècle, oblige le gouvernement à montrer sa face véritable.

Un journal français ne s’est-il pas avisé de publier des documents de l’ex-empereur autrichien Charles qui, en 1916, proposait à la France de conclure la paix ?

Maintenant que nul n’ignore plus la teneur de cette proposition de paix, des ouvriers se tournent vers le leader français des socialistes chauvins, Albert Thomas, et lui demandent : « Vous étiez au gouvernement lorsqu’on lui a proposé la paix… Qu’avez-vous fait en l’occurrence ? » Albert Thomas, interrogé, s’est bien gardé de répondre. Et ces révélations ne font que commencer.

Les masses populaires d’Europe et d’Amérique, qui savent maintenant à quoi s’en tenir, ont une idée de la guerre bien différente de celle d’autrefois. Pourquoi dix millions d’hommes sacrifiés ?

Pourquoi vingt millions d’hommes estropiés ? demandent-elles.

Poser cette question c’est lui répondre : « Dix millions d’hommes ont été tués, vingt millions d’hommes ont été estropiés uniquement pour décider lequel, du capitalisme anglais ou allemand, s’enrichira le plus ». Telle est la vérité et, quoi qu’on fasse, on ne l’étouffera plus.

La faillite des gouvernements capitalistes est inéluctable. Car on voit bien que la guerre est inévitable si les impérialistes et la bourgeoisie restent au pouvoir. Entre le Japon et l’Amérique surgissent de nouvelles querelles et de nouveaux conflits. Ils sont préparés par des dizaines d’années de manœuvres diplomatiques entre les deux pays.

La guerre est inévitable sur le terrain de la propriété privée. Entre l’Angleterre, qui s’est appropriée de nouvelles colonies, et la France, qui se considère comme lésée, le conflit est certain. Personne ne sait où et comment les événements se produiront, mais tous voient, savent et disent que la guerre est inévitable.

C’est ce qui nous garantit qu’au 20e siècle, dans des pays où tout le monde sait à quoi s’en tenir, il ne peut plus être question du vieux réformisme et du vieil anarchisme. La guerre les a tués. Parler de refaire la société capitaliste par des réformes, — alors qu’elle a donné des centaines de milliards à la guerre, — de la refaire sans pouvoir révolutionnaire et sans violences, sans secousses formidables. — parler comme par le passé est une impossibilité.

Celui qui parle et pense ainsi n’a plus aucun sens. L’Internationale Communiste est puissante parce qu’elle s’appuie sur les leçons de la guerre impérialiste universelle. L’expérience de millions d’hommes le confirme de plus en plus, dans chaque pays.

Le mouvement vers l’Internationale Communiste est maintenant cent fois plus large et plus profond qu’il ne le fut jamais. Il a provoqué en une année l’écroulement complet de la 2e Internationale.

Maintenant il n’y a plus un seul pays au monde, même le moins développé, où tous les ouvriers qui pensent ne se rattachent à l’Internationale Communiste, n’adhèrent à elle en principe. Et c’est la garantie absolue que la victoire de l’Internationale Communiste dans le monde entier n’est pas très lointaine – cette victoire est certaine. (Applaudissements.)

>Retour au dossier sur le premier congrès de l’Internationale Communiste

Lénine : les tâches de la III° Internationale

[Juillet 1919.]

RAMSAY MACDONALD ET LA III’ INTERNATIONALE

Le n° 5475 du journal social‑chauvin français l’Humanité, en date du 14 avril 1919, a publié un éditorial de Ramsay Macdonald, le chef bien connu du parti britannique dit « Parti ouvrier indépendant », en fait un parti opportuniste qui a toujours dépendu de la bourgeoisie. Cet article est tellement typique du courant appelé communément le « centre », et que le I°congrès de l’Internationale communiste de Moscou a désigné par ce nom, que nous le reproduisons intégralement ainsi que les lignes d’introduction de la rédaction de l’Humanité :

LA TROISIEME INTERNATIONALE

Notre ami Ramsay Macdonald était, avant la guerre, le leader écouté du Labour Party à la chambre des Communes. Sa haute conscience de socialiste et de croyant lui ayant fait un devoir de réprouver la guerre impérialiste et de ne pas se joindre à ceux qui la saluaient du nom de guerre du droit, il abandonna après le 4 août la direction du Labour Party et, avec ses camarades de l’I’indépendant, avec notre admirable Keir Hardie, il ne craignit pas de déclarer la guerre à la guerre.

Il y fallait de l’héroïsme quotidien.

Macdonald montra alors que le courage, c’est comme le disait Jaurès : « De ne pas subir la loi du mensonge triomphant et de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »

M. Lloyd George a fait battre Macdonald aux élections « kaki1 » de fin novembre. Soyons tranquilles, Macdonald aura sa revanche, et elle est proche.

Ce fut le malheur du mouvement socialiste dans sa politique nationale et internationale d’être travaillé par des tendances séparatistes.

il n’est cependant pas mauvais qu’il y ait en lui des nuances d’opinions et des variations de méthode. Notre socialisme en est encore au stade expérimental.

Ses principes généraux sont fixés, mais la manière de les bien appliquer, les combinaisons qui feront triompher la Révolution, la façon dont l’Etat socialiste doit être construit sont autant de questions à discuter et sur lesquelles le dernier mot n’a pas été dit. Une étude approfondie de tous ces points nous mènera à une plus grande vérité.

Les extrêmes peuvent se combattre et leurs luttes peuvent servir à fortifier les conceptions socialistes, mais le mal recommence, lorsque chacun regarde l’autre comme un traître, comme un croyant qui a perdu la grâce et à qui les portes du Parti doivent être fermées.

Quand les socialistes sont possédés d’un esprit dogmatique semblable à celui qui prêchait autrefois dans la chrétienté la guerre civile pour la gloire de Dieu et l’écrasement du Diable, alors la bourgeoisie peut, être en paix, car sa période de domination n’est pas encore terminée, quels que soient à ce moment les succès socialistes locaux et internationaux.

Aujourd’hui notre mouvement rencontre malheureusement un nouvel obstacle. Une nouvelle Internationale est proclamée à Moscou.

Je le regrette beaucoup, car l’Internationale socialiste est à l’heure actuelle suffisamment ouverte à toutes les formes de la pensée socialiste, et malgré les controverses théoriques et pratiques soulevées par le bolchévisme, je ne vois pas de raison pour que la gauche se sépare du centre et forme un groupe indépendant.

Nous devons nous rappeler d’abord que nous sommes encore dans la période d’enfantement de la Révolution ; les formes de gouvernement issues des destructions politiques et sociales de la guerre n’ont pas encore fait leurs preuves et ne sont pas définitivement fixées.

Le premier coup de balai semble toujours remarquable, mais on n’est pas sûr de l’efficacité du dernier.

La Russie n’est pas la Hongrie, la Hongrie n’est pas la France, la France n’est pas l’Angleterre, et diviser l’Internationale d’après l’expérience d’une seule nation est une étroitesse d’esprit criminelle.

En outre, que vaut l’expérience de la Russie ? Qui peut en parler ?

Les gouvernements alliés ont peur de nous laisser nous renseigner.

Mais il y a deux choses que nous savons.

La première, c’est qu’il n’y avait pas de plan préparé pour la Révolution qu’a faite le gouvernement russe actuel. Elfe s’est développée selon le cours des événements. Lénine commença à attaquer Kérenski en demandant une Assemblée Constituante . Les événements le conduisirent à supprimer cette Assemblée. Quand arriva la Révolution sociale en Russie, personne ne pensait que les Soviets prendraient dans le gouvernement la place qu’ils y ont prise.

Par la suite, Lénine a justement exhorté la Hongrie à ne pas copier servilement la Russie, mais à laisser la Révolution hongroise évoluer selon son propre caractère.

Les fluctuations et l’évolution des expériences auxquelles nous assistons en ce moment ne doivent à aucun prix amener une division dans l’Internationale.

Tous les gouvernements socialistes ont besoin de l’aide et des conseils de l’Internationale : l’Internationale a besoin de surveiller leurs expériences d’un oeil attentif et d’un esprit ouvert.

Je viens d’apprendre d’un ami, qui a vu Lénine récemment, que personne ne critique plus librement le gouvernement des Soviets que Lénine ne le fait lui‑même.

***

Si les troubles. et les révolutions d’après‑guerre ne justifient pas une scission, l’attitude de certaines sections socialistes pendant la guerre la justifie‑t‑elle ? Ici, je confesse avec candeur que la raison peut paraître meilleure. Mais s’il y a vraiment un motif de scission dans l’Internationale, la conférence de Moscou a posé la question de la plus mauvaise manière.

Je suis parmi ceux qui considèrent que la discussion de Berne sur les responsabilités de la guerre n’était qu’une concession à l’opinion publique non socialiste.

Non seulement à Berne on ne pouvait émettre sur cette question un jugement qui eût une valeur historique quelconque (bien qu’il pût avoir quelque valeur politique), mais le sujet lui‑même n’a pas été abordé comme il convient.

Une condamnation de la majorité allemande (que la majorité allemande a amplement méritée et à laquelle j’ai été très heureux d’adhérer) ne pouvait pas être un exposé des origines de la guerre.

Les débats de Berne n’ont pas amené une discussion franche de l’attitude des autres socialistes à l’égard de la guerre.

Ils n’ont donné aucune formule pour la conduite des socialistes pendant une guerre. Tout ce que l’Internationale avait dit jusqu’alors, c’est que, dans une guerre de défense nationale, les socialistes devaient se joindre aux autres partis.

Dans ces conditions, qui allons‑nous condamner ?

Quelques‑uns d’entre nous savaient que ce qu’avait dit l’Internationale ne signifiait rien. et ne constituait pas pour l’action un guide pratique.

Ils savaient qu’une telle guerre finirait par une victoire impérialiste, et sans être pacifistes, au sens habituel du mot, ou antipacifistes, nous adhérions à une politique que nous pensions être la seule compatible avec l’Internationalisme.

Mais l’Internationale ne nous avait jamais prescrit cette règle de conduite.

C’est pourquoi, à l’heure où commença la guerre, l’Internationale s’écroula. Elle fut sans autorité, et n’édicta aucune loi au nom de laquelle nous puissions aujourd’hui condamner ceux qui ont honnêtement exécuté les résolutions des Congrès internationaux.

En conséquence la position qu’il faut prendre aujourd’hui est la suivante : au lieu de nous diviser sur ce qui a eu lieu, édifions une internationale réellement active et qui protège le mouvement socialiste pendant la période de Révolution et de construction que nous allons traverser.

Il faut que nous restaurions nos principes socialistes. Il faut que nous posions les bases solides de la conduite socialiste internationale.

Puis, s’il se trouve que sur ces principes nous différions essentiellement, si nous ne tombons pas d’accord sur la liberté et la démocratie, si nous avons des vues définitivement divergentes sur les conditions dans lesquelles le prolétariat peut prendre le pouvoir, si la guerre a empoisonné d’impérialisme certaines sections de l’Internationale, alors il peut y avoir scission.

Je ne pense pas cependant qu’une telle calamité se produise.

Par suite, je regrette le manifeste de Moscou comme étant pour le moins prématuré et certainement inutile, et j’espère que mes camarades français qui ont supporté avec moi les calomnies et les douleurs des quatre tristes dernières années ne vont pas, dans un mouvement d’impatience, contribuer à briser la solidarité internationale.

Leurs enfants auraient à la reconstruire si le prolétariat doit jamais gouverner le monde.

J. Ramsay Macdonald

Comme le constate le lecteur, l’auteur de cet article s’efforce de démontrer l’inutilité de la scission. Or, au contraire, l’inévitabilité de celle-ci découle précisément de la façon de raisonner de Ramsay Macdonald, représentant typique de la Il° Internationale, digne compagnon d’armes de Scheidemann et de Kautsky, de Vandervelde et de Branting, etc., etc.

L’article de Ramsay Macdonald est le meilleur échantillon de ces phrases coulantes, mélodieuses, stéréotypées, en apparence socialistes, qui servent depuis bien longtemps dans tous les pays capitalistes avancés à masquer la politique bourgeoise au sein du mouvement ouvrier.

Commençons par ce qui est le moins important, mais particulièrement caractéristique. De même que Kautsky (dans sa brochure La dictature du prolétariat), l’auteur reprend le mensonge bourgeois selon lequel personne en Russie n’aurait prévu. à l’avance le rôle des Soviets, selon lequel les bolchéviks et moi‑même aurions engagé la lutte contre Kérenski uniquement au nom de l’Assemblée constituante.

C’est un mensonge bourgeois. En réalité, dès le 4 avril 1917, dès le premier jour de mon arrivée à Pétrograd, j’ai proposé des « thèses » revendiquant la république des Soviets, et non la république parlementaire bourgeoise.

Je l’ai répété de nombreuses fois à l’époque de Kérenski, dans la presse et à des réunions. Le parti bolchévik l’a déclaré solennellement et officiellement dans les décisions de sa conférence du 29 avril 19172.

Ne pas savoir cela, c’est ne pas vouloir connaître la vérité sur la révolution socialiste en Russie. Ne pas vouloir comprendre qu’une république parlementaire bourgeoise avec une Assemblée constituante est un pas en avant par rapport à la même république sans Assemblée constituante, tandis qu’une république des Soviets est deux pas en avant, c’est fermer les yeux devant la différence entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Se dire socialiste et ne pas voir cette différence deux ans après que la question ait été posée en Russie et un an et demi après la victoire de la révolution soviétique en Russie, c’est demeurer obstinément et totalement prisonnier de « l’opinion publique des milieux non socialistes », c’est‑à‑dire des idées et de la politique de la bourgeoisie.

Avec de tels individus, la scission est nécessaire et inévitable ; car il est impossible de faire la révolution socialiste la main dans la main avec ceux qui tirent du côté de la bourgeoisie.

Et si des gens comme Ramsay Macdonald ou Kautsky et consorts n’ont même pas voulu surmonter cette petite « difficulté » qui aurait consisté pour ces « chefs » à prendre connaissance des documents relatifs à l’attitude des bolchéviks devant le pouvoir des Soviets, à leur façon de poser cette question avant et après le 25 octobre (7 novembre) 1917, ne serait‑il pas ridicule d’attendre de ces gens qu’ils soient disposés àsurmonter, et capables de le faire, les difficultés incomparablement plus grandes de la lutte actuelle pour la révolution socialiste ?

Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Passons à la deuxième contrevérité (parmi les innombrables contrevérités dont fourmille l’article de Ramsay Macdonald, car il en contient sans doute plus que de mots). Cette contrevérité est peut-être la plus grave.

J.R. Macdonald affirme que l’Internationale aurait seulement dit, avant la guerre de 1914‑1918, que « dans une guerre de défense nationale, les socialistes devaient se joindre aux autres partis ».

C’est s’écarter d’une façon flagrante et monstrueuse de la vérité.

Chacun sait que le manifeste de Bâle de 1912 a été adopté à l’unanimité par tous les socialistes et qu’il est le seul, parmi tous les documents de l’Internationale, à concerner justement cette guerre entre le groupe anglais et le groupe allemand de rapaces impérialistes, guerre qui, de toute évidence, se préparait en 1912 et qui éclata en 1914.

C’est à propos de cette guerre que le manifeste de Bâle a dit trois choses que Macdonald passe aujourd’hui sous silence, commettant ainsi le crime le plus grave contre le socialisme, et démontrant qu’avec les gens comme lui la scission est indispensable, car ils servent en fait la bourgeoisie, et non le prolétariat.

Ces trois choses sont les suivantes :

  • la guerre dont on est menacé ne saurait le moins du monde être justifiée au nom des intérêts de la liberté nationale ;
  • de la part des ouvriers, ce serait un crime au cours de cette guerre de tirer les uns sur les autres ;
  • la guerre conduit à la révolution prolétarienne.

Voilà les trois vérités essentielles et fondamentales que Macdonald « oublie » (bien qu’il y ait souscrit avant la guerre), passant en fait aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat et démontrant que la scission est indispensable.

L’Internationale Communiste n’acceptera pas l’unité avec des partis qui se refusent à reconnaître cette vérité et sont incapables de démontrer par leurs actes qu’ils sont prêts, résolus et aptes à faire pénétrer ces vérités dans la conscience des masses.

La paix de Versailles a démontré même aux sots et aux aveugles, même à la masse des myopes, que l’Entente était et demeure un rapace impérialiste aussi immonde et sanguinaire que l’Allemagne.

Seuls pouvaient ne pas le voir soit des hypocrites et des menteurs, qui font sciemment la politique de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, des agents et commis déclarés de la bourgeoisie (labor lieutenants of the capitalist class, ses officiers ouvriers au service de la classe capitaliste, comme disent les socialistes américains), soit des gens tellement perméables aux idées bourgeoises et à l’influence bourgeoise qu’ils ne sont socialistes qu’en paroles, et sont en réalité des petits bourgeois, des philistins, des sous‑fifres des capitalistes.

La différence entre ces deux catégories est importante du point de vue des individus, c’est‑à‑dire pour juger Pierre ou Paul parmi les social‑chauvins de tous les pays. Pour un homme politique, c’est‑à‑dire du point de vue des rapports entre des millions d’hommes, entre des classes, cette différence n’est pas essentielle.

Les socialistes qui n’ont pas compris, pendant la guerre de 1914‑1918, que c’était une guerre criminelle, réactionnaire, une guerre impérialiste de brigandage des deux côtés, sont des social‑chauvins, c’est‑à‑dire des socialistes en paroles et des chauvins en fait ; des amis de la classe ouvrière en paroles, mais en fait des laquais de « leur » bourgeoisie nationale, qu’ils aident à tromper le peuple, en peignant comme « nationale », « libératrice », « défensive », « juste », etc., la guerre entre le groupe anglais et le groupe allemand de forbans impérialistes, également immondes, sordides, sanguinaires, criminels, réactionnaires.

L’unité avec les social‑chauvins est une trahison de la révolution, une trahison du prolétariat, une trahison du socialisme, le passage aux côtés de la bourgeoisie, car c’est « l’unité » avec la bourgeoisie nationale de « son » pays contre l’unité du prolétariat révolutionnaire international, c’est l’unité avec la bourgeoisie contre le prolétariat.

C’est ce que la guerre de 1914‑1918 a démontré une fois pour toutes. Que celui qui ne l’a pas compris reste à l’Internationale jaune des social‑traîtres de Berne.

Avec la naïveté comique du socialiste « de salon », qui jette les paroles en l’air sans comprendre le moins du monde leur signification sérieuse et sans penser du tout que les paroles engagent à des actes, Ramsay Macdonald déclare : on a fait à Berne « une concession à l’opinion publique non socialiste ».

Précisément ! Nous considérons toute l’Internationale de Berne comme une Internationale jaune de traîtres et de renégats parce que toute sa politique est une « concession » à la bourgeoisie.

Ramsay Macdonald sait parfaitement que nous avons fondé la Ill° Internationale et rompu totalement avec la Il° car nous nous étions convaincus qu’elle était incurable, condamnée, qu’elle était le serviteur de l’impérialisme, l’agent de l’influence bourgeoise, du mensonge bourgeois et de la dépravation bourgeoise dans le mouvement ouvrier.

Si Ramsay Macdonald, en voulant parler de la Ill° Internationale, élude le fond de la question, tourne autour du pot, prononce des phrases vides et ne. parle pas de ce dont il faut parler, à lui la faute, à lui le crime. Car le prolétariat a besoin de la vérité, et rien n’est plus nuisible à sa cause que le mensonge de belle apparence et de bon ton du petit bourgeois.

La question de l’impérialisme et de sa liaison avec l’opportunisme dans le mouvement ouvrier, avec la trahison de la cause ouvrière par les chefs ouvriers, est posée depuis longtemps, depuis très longtemps.

Pendant quarante ans, de 1852 à 1892, Marx et Engels ont constamment signalé l’embourgeoisement des couches supérieures de la classe ouvrière d’Angleterre en raison de ses particularités économiques (colonies ; monopole sur le marché mondial, etc3.) .

Vers 1870, Marx s’est acquis la haine honorifique des vils héros de la tendance internationale « bernoise » de l’époque, des opportunistes et des réformistes, pour avoir stigmatisé nombre de leaders des trade‑unions anglaises, vendus à la bourgeoisie ou payés par elle pour services rendus à sa classe à l’intérieur du mouvement ouvrier.

Lors de la guerre des Boers, la presse anglo‑saxonne avait déjà posé en toute clarté la question de l’impérialisme, stade le plus récent (et ultime) du capitalisme.

Si ma mémoire ne me trompe pas, c’est bien Ramsay Macdonald lui-même qui quitta alors la « Société des Fabiens », ce prototype de l’Internationale « de Berne », cette pépinière et ce modèle de l’opportunisme, caractérisé par Engels avec une vigueur, une clarté et une vérité géniales dans sa correspondance avec Sorge4. « Impérialisme fabien » ‑ telle était alors l’expression en usage dans la presse socialiste anglaise.

Si Ramsay Macdonald l’a oublié, tant pis pour lui.

« Impérialisme fabien » et « social-impérialisme » sont une seule et même chose : socialisme en paroles, impérialisme dans les faits, transformation de l’opportunisme en impérialisme. Ce phénomène est devenu maintenant, pendant et après la guerre de 1914‑1918, un phénomène universel. Ne pas l’avoir compris est le plus grand aveuglement de l’Internationale jaune « de Berne » et son plus grand crime.

L’opportunisme ou le réformisme devait inévitablement se transformer en impérialisme socialiste ou social‑chauvinisme, de portée historique mondiale, car l’impérialisme a promu une poignée de nations avancées richissimes qui pillent le monde entier, et par là même a permis à la bourgeoisie de ces pays d’acheter avec son surprofit de monopole (l’impérialisme, c’est le capitalisme monopoliste) leur aristocratie ouvrière.

Pour ne pas voir que c’est un fait économiquement inéluctable sous l’impérialisme, il faut être ou bien un parfait ignorant, ou bien un hypocrite qui trompe les ouvriers en répétant des lieux communs sur le capitalisme pour dissimuler l’amère vérité du passage d’un courant socialiste tout entier du côté de la bourgeoisie impérialiste.

Or, deux conclusions incontestables en découlent :

Première conclusion : L’Internationale « de Berne » est en réalité, de par son rôle historique et politique véritable, indépendamment de la bonne volonté et des vœux pieux de tel ou tel de ses membres, une organisation d’agents de l’impérialisme international, qui agissent à l’intérieur du mouvement ouvrier, et font pénétrer dans ce mouvement l’influence bourgeoise, les idées bourgeoises, le mensonge bourgeois et la dépravation bourgeoise.

Dans les pays de vieille culture parlementaire démocratique, la bourgeoisie a admirablement appris à agir non seulement par la violence, mais aussi par la tromperie, la corruption, la flatterie, jusqu’aux formes les plus raffinées de ces procédés. Ce n’est pas pour rien que les « déjeuners » des « leaders ouvriers » anglais (c’est‑à‑dire des commis de la bourgeoisie chargés de duper les ouvriers) sont devenus célèbres et qu’Engels en parlait déjà5. La réception « exquise» que fit monsieur Clemenceau au social‑traître Merrheim, les réceptions aimables faites par les ministres de l’Entente aux chefs de l’Internationale de Berne, etc., etc., relèvent du même ordre d’idées.

« Vous, instruisez‑les, et nous, nous les achèterons », disait une capitaliste anglaise intelligente à monsieur le social‑impérialiste Hyndman, qui relate dans ses mémoires comment cette dame, plus avisée que tous les chefs de l’Internationale « de Berne » réunis, jugeait les « efforts » des intellectuels socialistes pour instruire les leaders socialistes issus de la classe ouvrière.

Pendant la guerre, alors que les Vandervelde, les Branting et toute cette clique de traîtres organisaient des conférences « internationales », les journaux bourgeois français ricanaient fort sarcastiquement et fort àpropos : « Ces Vandervelde ont une sorte de tic. De même que les personnes sujettes aux tics ne peuvent pas prononcer deux phrases sans une contraction bizarre des muscles faciaux, de même les Vandervelde ne peuvent pas faire un discours politique sans répéter comme des perroquets : internationalisme, socialisme, solidarité ouvrière internationale, révolution prolétarienne, etc.

Qu’ils répètent les formules sacramentelles qu’ils veulent, pourvu qu’ils nous aident à mener par le bout du nez les ouvriers et nous rendent service, à nous les capitalistes, pour faire la guerre impérialiste et asservir les ouvriers. »

Les bourgeois anglais et français sont parfois très intelligents et ils savent parfaitement apprécier la servilité de l’Internationale « de Berne ».

Martov a écrit quelque part : vous, les bolchéviks, vous vilipendez l’Internationale de Berne, et pourtant « votre » ami Loriot en fait partie.

C’est un argument de canaille. Chacun sait, en effet, que Loriot lutte ouvertement, honnêtement, héroïquement pour la Il° Internationale.

Lorsque Zoubatov rassemblait en 1902 à Moscou des ouvriers pour les abrutir avec son « socialisme policier », l’ouvrier Babouchkine, que je connaissais depuis 1894, depuis qu’il faisait partie de mon cercle ouvrier de Pétersbourg, Babouchkine, l’un des meilleurs et des plus dévoués ouvriers « iskristes », l’un des chefs du prolétariat révolutionnaire, fusillé en 1906 par Rennenkampf en Sibérie, Babouchkine se rendait aux assemblées de Zoubatov, pour lutter contre ces manœuvres et arracher les ouvriers à ses griffes. Babouchkine était aussi peu « zoubatoviste » que Loriot est « bernois ».

Deuxième conclusion : la Ill° Internationale, l’Internationale communiste, a été justement fondée pour ne pas permettre à des « socialistes » de se tirer d’affaire par la reconnaissance verbale de la révolution, comme celle dont Ramsay Macdonald fournit des échantillons dans son article.

La reconnaissance verbale de la révolution, qui recouvre en fait une politique totalement opportuniste, réformiste, nationaliste et petite-­bourgeoise, était le péché capital de la Il° Internationale et nous luttons à mort contre ce mal.

Quand on dit : la Il° Internationale est morte après une faillite honteuse, il faut savoir le comprendre. Cela veut dire : Ce qui a fait faillite, ce qui est mort, c’est l’opportunisme, le réformisme, le socialisme petit-bourgeois. Car la Il° Internationale a un mérite historique, elle a réalisé une conquête είς αεί (pour toujours) à laquelle l’ouvrier conscient ne renoncera jamais, à savoir : la création d’organisations ouvrières de masse, coopératives, syndicales et politiques, l’utilisation du parlementarisme bourgeois, comme, en général, de toutes les institutions de la démocratie bourgeoise, etc.

Pour vaincre effectivement l’opportunisme, qui a entraîné la mort honteuse de la Il° Internationale, pour aider effectivement la révolution, dont Ramsay Macdonald lui‑même est obligé de reconnaître l’approche, il faut :

premièrement, mener toute la propagande et toute l’agitation du point de vue de la révolution, par opposition aux réformes, en expliquant systématiquement aux masses cette opposition, à la fois dans la théorie et dans la pratique, à chaque pas de l’activité parlementaire, syndicale, coopérative, etc.

Ne refuser en aucun cas (hormis des cas de force majeure) de mettre à profit le parlementarisme et toutes les « libertés » de la démocratie bourgeoise, ne pas refuser les réformes, mais les considérer uniquement comme un résultat accessoire de la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat. Aucun des partis de l’Internationale « de Berne » ne satisfait à cette exigence.

Aucun même ne comprend comment il faut mener toute la propagande et toute l’agitation, en expliquant la différence entre les réformes et la révolution, comment il faut éduquer sans relâche à la fois le Parti et les masses en vue de la révolution.

Deuxièmement, on doit combiner travail légal et travail illégal. Les bolchéviks l’ont toujours enseigné, et surtout avec une insistance particulière pendant la guerre de 1914‑1918.

Les héros de l’abject opportunisme ricanaient, portant aux nues avec fatuité la « légalité », la « démocratie », la « liberté » des pays et des républiques d’Europe occidentale, etc. Désormais, seules de franches canailles qui dupent les ouvriers avec des paroles peuvent nier que les bolchéviks aient eu raison. Il n’est pas un seul pays au monde, fût‑ce la plus avancée et la plus « libre » des républiques bourgeoi­ses, où ne règne la terreur bourgeoise, où ne soit proscrite la liberté de militer en faveur de la révolution socialiste, de faire de la propagande et d’organiser les masses, précisément dans ce sens.

Un parti qui jusqu’à présent ne l’a pas re­connu dans un régime de domination bourgeoise et qui n’effectue pas un travail illégal systématique, sur tous les plans, malgré les lois de la bourgeoisie et des parlements bourgeois, est un parti de traîtres et de gredins qui trompent le peuple en reconnaissant verbalement la révolution.

Ces partis ont leur place à l’Internationale jaune « de Berne ». Il n’y en aura pas dans l’Internationale Communiste.

Troisièmement, ilfaut se battre sans répit et sans pitié pour chasser complètement du mouvement ouvrier les chefs opportunistes qui se sont démasqués avant la guerre et surtout pendant la guerre, tant sur l’arène politique que, notamment, dans les syndicats et les coopératives.

La théorie du « neutralisme » est un stratagème vil et malhonnête qui, en 1914‑1918, a aidé la bourgeoisie à dominer les masses. Les partis qui sont pour la révolution en paroles, mais pratiquement ne travaillent pas sans relâche à ce que le Parti révolutionnaire et lui seul exerce son influence dans les diverses organisations ouvrières de masse, sont des partis de traîtres.

Quatrièmement, on ne saurait tolérer que certains condamnent l’impérialisme en paroles, et qu’en fait ils ne mènent pas une lutte révolutionnaire pour affranchir les colonies (et nations dépendantes) de leur propre bourgeoisie impérialiste.

C’est de l’hypocrisie. C’est la politique des agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier (labor lieutenants of the capitalist class). Les partis anglais, français, hollandais, belge, etc., hostiles à l’impérialisme en paroles, mais qui, en réalité, n’engagent pas une lutte révolutionnaire à l’intérieur de « leurs » colonies pour renverser « leur » bourgeoisie, qui n’aident pas systématiquement le travail révolutionnaire, déjà amorcé partout dans les colonies, qui n’y introduisent pas des armes et de la littérature pour les partis révolutionnaires des colonies, ces partis sont des partis de gredins et de traîtres.

Cinquièmement, le comble de l’hypocrisie est ce phénomène typique des partis de l’Internationale « de Berne » : reconnaître en paroles la révolution et faire miroiter aux yeux des ouvriers des phrases pompeuses affirmant qu’ils reconnaissent la révolution, mais, dans les faits, considérer d’un point de vue purement réformiste les germes, les pousses et les manifestations de croissance de la révolution que constituent toutes les actions des masses qui forcent les lois bourgeoises et rompent avec toute légalité ; ce sont, par exemple, les grèves de masse, les manifestations de rue, les protestations des soldats, les meetings parmi les troupes, la diffusion de tracts dans les casernes et les camps militaires, etc.

Si vous demandez à n’importe quel héros de l’Internationale « de Berne » si son parti se livre à ce travail systématique, il vous répondra soit par des phrases évasives pour dissimuler l’absence de ce travail : inexistence d’organisations et d’appareil à cet effet ; inaptitude de son parti à le mener, ou bien par des déclamations contre le « putschisme », l’« anarchisme », etc. Or, c’est ainsi que l’Internationale de Berne a trahi la classe ouvrière, est passée en fait dans le camp de la bourgeoisie.

Tous les gredins que sont les chefs de l’Internationale de Berne jurent leurs grands dieux, proclament leur « sympathie » pour la révolution en général et la révolution russe en particulier.

Mais seuls des hypocrites ou des sots peuvent ne pas comprendre que les succès particulièrement rapides de la révolution en Russie sont dus à de longues années de travail du parti révolutionnaire dans le sens indiqué, des années pendant lesquelles un appareil clandestin organisé était mis sur pied pour diriger les manifestations et les grèves, pour militer parmi les troupes ; il étudiait minutieusement les moyens d’action, éditait une littérature illégale qui dressait le bilan de l’expérience et éduquait tout le parti dans l’idée de la nécessité de la révolution, formait les dirigeants pour de pareilles actions, etc., etc.

Les divergences les plus profondes, les plus fondamentales, qui résument tout ce qui a été indiqué ci‑dessus et expliquent le caractère inévitable d’une lutte intransigeante, sur le plan théorique et politique­ pratique, du prolétariat révolutionnaire contre l’Internationale « de Berne », tiennent aux questions de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et de la dictature du prolétariat.

Ce qui révèle le mieux que l’Internationale de Berne est prisonnière de l’idéologie bourgeoise, c’est que, ne comprenant pas (ou bien ne voulant pas comprendre, ou bien faisant semblant de ne pas comprendre) le caractère impérialiste de la guerre de 1914‑1918, elle n’a pas compris qu’elle devait inéluctablement se transformer en guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie de tous les pays avancés.

Lorsque, dès novembre 1914, les bolchéviks signalaient cette évolution inéluctable, les philistins de tous les pays répondaient par des railleries stupides, et au nombre de philistins figuraient tous les chefs de l’Internationale de Berne.

A présent, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile est devenue un fait dans de nombreux pays, non seulement en Russie, mais aussi en Finlande, en Hongrie, en Allemagne, et même dans la Suisse neutre, et on observe, on sent, on palpe la montée de la guerre civile dans tous les pays avancés sans exception.

A présent, passer cette question sous silence (comme le fait Ramsay Macdonald) ou bien essayer de se détourner de la guerre civile inévitable au moyen de phrases conciliantes et doucereuses (comme le font messieurs Kautsky et Cie), cela équivaut à une trahison manifeste du prolétariat, cela équivaut à passer en fait aux côtés de la bourgeoisie.

Car les véritables chefs politiques de la bourgeoisie ont compris depuis longtemps que la guerre civile est inévitable, et ils s’y préparent de façon excellente, réfléchie et systématique, renforcent leurs positions en vue de cette guerre.

De toutes ses forces, avec une énergie, une intelligence et une résolution immenses, ne reculant devant aucun crime, vouant à la famine et à l’extermination complète des pays entiers, la bourgeoisie du monde entier prépare l’écrasement du prolétariat dans la guerre civile qui approche.

Cependant, les héros de l’Internationale de Berne, comme des sots ou d’hypocrites petits curés, ou des professeurs pédants, roucoulent la vieille chanson réformiste, rebattue, usée jusqu’à la corde ! Il n’y a pas de spectacle plus hideux, plus répugnant !

Les Kautsky et les Macdonald poursuivent leurs efforts pour faire peur aux capitalistes en agitant l’épouvantail de la révolution, effrayer la bourgeoisie en agitant l’épouvantail de la guerre civile, afin d’en obtenir des concessions et leur accord pour la voie du réformisme.

C’est à quoi se ramènent les écrits, toute la philosophie, toute la politique de toute l’Internationale de Berne. Ce pitoyable procédé de laquais, nous l’avons observé en Russie en 1905 chez les libéraux (les cadets), et en 1917‑1919 chez les menchéviks et les « socialistes‑révolutionnaires ».

Eduquer les masses en leur expliquant qu’il est inévitable et nécessaire de vaincre la bourgeoisie dans la guerre civile, mener toute sa politique en vue de cet objectif, mettre en lumière, poser et trancher toutes les questions de ce point de vue, et seulement de ce point de vue ‑ à cela, les âmes de laquais de l’Internationale de Berne n’y songent même pas.

Et c’est pourquoi notre but doit uniquement consister à pousser définitivement les réformistes incorrigibles, c’est‑à‑dire les neuf dixièmes des chefs de l’Internationale de Berne, dans la fosse aux ordures des larbins de la bourgeoisie.

La bourgeoisie a besoin de larbins qui jouissent de la confiance d’une partie de la classe ouvrière et qui parent, enjolivent la bourgeoisie par des propos sur la possibilité de la voie réformiste, qui bandent ainsi les yeux du peuple, qui le détournent de la révolution en étalant les charmes et les perspectives de là voie réformiste.

Tous les écrits de Kautsky, comme ceux de nos menchéviks et de nos socialistes‑révolutionnaires, se ramènent à ce badigeonnage, aux pleurnicheries du petit bourgeois couard qui craint la révolution.

Nous n’avons pas ici les moyens de reprendre en détail les causes économiques fondamentales qui ont rendu inévitable précisément la voie révolutionnaire et seulement la voie révolutionnaire, et ont rendu impossible une autre solution des problèmes que l’histoire pose à l’ordre du jour, hormis la guerre civile. Il faudrait écrire des volumes à ce sujet, et ils seront écrits. Si messieurs Kautsky et autres chefs de l’Internationale de Berne ne l’ont pas compris, il ne reste plus qu’à dire : l’ignorance est moins éloignée de la vérité que le préjugé.

Car les travailleurs et leurs partisans, ignorants mais sincères, comprennent maintenant, après la guerre, le caractère inévitable de la révolution, de la guerre civile et de la dictature du prolétariat, plus facilement que messieurs Kautsky, Macdonald, Vandervelde, Branting, Turati et tutti quanti, bourrés des préjugés réformistes les plus doctes.

On doit reconnaître que les romans de Henri Barbusse, le Feu et Clarté, sont une confirmation particulièrement frappante du phénomène massif, observé partout, de la croissance de la conscience révolutionnaire dans les masses.

Le premier a déjà été traduit dans toutes les langues et vendu en France à 230 000 exemplaires. Comment l’homme de la rue, un homme parmi la masse, complètement ignorant et totalement écrasé par les idées et les préjugés, se transforme en révolutionnaire, précisément sous l’influence de la guerre, Barbusse le montre avec une force, un talent et une véracité extraordinaires.

Les masses des prolétaires et des semi‑prolétaires sont avec nous et viennent à nous non pas de jour en jour, mais d’heure en heure. L’Internationale de Berne est un état-major sans armée qui s’écroulera comme un château de cartes si on la dénonce jusqu’au bout devant les masses.

Le nom de Karl Liebknecht a été utilisé pendant la guerre dans toute la presse bourgeoise de l’Entente pour tromper les masses : présenter les brigands et les pillards de l’impérialisme français et anglais comme s’ils sympathisaient avec ce héros, ce « seul Allemand honnête », selon leur expression.

A présent, les héros de l’Internationale de Berne siègent dans la même organisation que les Scheidemann qui ont tramé l’assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg, que les Scheidemann qui ont joué le rôle de bourreaux issus du mouvement ouvrier et rendant des services de bourreaux à la bourgeoisie. En paroles, tentatives hypocrites pour « condamner » les Scheidemann (comme si une « condamnation » y changeait quelque chose !). Dans les faits, la présence dans la même organisation que les assassins.

En 1907, feu Harry Quelch fut expulsé de Stuttgart par le gouvernement allemand pour avoir qualifié d’« assemblée de voleurs » la réunion des diplomates européens6.

Les chefs de l’Internationale de Berne ne sont pas seulement une assemblée de voleurs, ils sont une assemblée d’infâmes assassins.

Ils n’échapperont pas à la sentence des ouvriers révolutionnaires.

Ramsay Macdonald se débarrasse de la question de la dictature du prolétariat en deux mots, comme si elle était un sujet de discussion sur la liberté et la démocratie.

Non. Il est temps d’agir. Il est trop tard pour discuter.

Le plus dangereux, de la part de l’Internationale de Berne, c’est la reconnaissance verbale de la dictature du prolétariat. Ces gens sont capables de tout reconnaître, de tout signer, pourvu qu’ils restent à la tête du mouvement ouvrier. Kautsky dit maintenant qu’il n’est pas contre la dictature du prolétariat ! Les social‑chauvins et les « centristes » français signent une résolution en faveur de la dictature du prolétariat !

Ils ne méritent pas une once de confiance !

Ce n’est pas une reconnaissance verbale qu’il faut, niais une rupture complète, dans les faits, avec la politique réformiste, avec les préjugés de la liberté bourgeoise et de la démocratie bourgeoise, l’application dans les faits d’une politique de lutte de classe révolutionnaire.

On voudrait admettre verbalement la dictature du prolétariat pour faire passer à la fois, en catimini, « la volonté de la majorité », « le suffrage universel » (comme le fait justement Kautsky), le parlementarisme bourgeois, le refus de détruire, de faire sauter, de briser complètement et jusqu’au bout l’appareil d’Etat bourgeois. Ces nouveaux subterfuges, ces nouveaux faux‑fuyants du réformisme sont à craindre par‑dessus tout.

La dictature du prolétariat serait impossible si la majorité de la population n’était pas composée de prolétaires et de semi‑prolétaires. Cette vérité, Kautsky et Cie s’emploient à la falsifier, sous prétexte qu’il faudrait un « vote de la majorité » pour reconnaître comme « juste » la dictature du prolétariat.

Quels comiques pédants ! Ils n’ont pas compris que le vote dans le cadre du parlementarisme bourgeois, avec ses institutions et ses coutumes, fait partie de l’appareil de l’Etat bourgeois, qui doit être vaincu et brisé de haut en bas pour réaliser la dictature du prolétariat, pour passer de la démocratie bourgeoise à la démocratie prolétarienne.

Ils n’ont pas compris que, d’une façon générale, ce n’est pas par des votes mais par la guerre civile que se tranchent toutes les questions politiques sérieuses à l’heure où l’histoire a mis à l’ordre du jour la dictature du prolétariat.

Ils n’ont pas compris que la dictature du prolétariat est le pouvoir d’une classe, qui prend entre ses mains tout l’appareil de l’Etat nouveau, qui vainc la bourgeoisie et neutralise toute la petite bourgeoisie, la paysannerie, les philistins, les intellectuels.

Les Kautsky et les Macdonald reconnaissent en paroles la lutte des classes, pour l’oublier en fait au moment le plus décisif de l’histoire de la lutte pour la libération du prolétariat : au moment où, après avoir pris le pouvoir d’Etat et bénéficiant de l’appui du semi‑prolétariat, le prolétariat continue la lutte des classes avec l’aide de ce pouvoir et la conduit jusqu’à la suppression des classes.

Comme de véritables philistins, les chefs de l’Internationale de Berne répètent les phrases démocratiques bourgeoises sur la liberté, l’égalité et la démocratie, sans voir qu’ils ressassent les débris des idées sur le propriétaire des marchandises libre et égal, sans comprendre que le prolétariat a besoin de l’Etat non pour la « liberté », mais pour écraser son ennemi, l’exploiteur, le capitaliste.

La liberté et l’égalité du propriétaire de marchandises sont mortes, comme est mort le capitalisme. Ce ne sont pas les Kautsky et les Macdonald qui le ressusciteront.

Le prolétariat a besoin de l’abolition des classes : voilà le contenu réel de la démocratie prolétarienne, de la liberté prolétarienne (liberté par rapport au capitaliste, à l’échange des marchandises), de l’égalité prolétarienne (non pas égalité des classes, cette platitude où s’embourbent les Kautsky, les Vandervelde et les Macdonald, mais égalité des travailleurs, qui renversent le capital et le capitalisme).

Tant qu’il y a des classes, liberté et égalité des classes sont une duperie bourgeoise. Le prolétariat prend le pouvoir, devient la classe dominante, brise le parlementarisme bourgeois et la démocratie bourgeoise, écrase la bourgeoisie, écrase toutes les tentatives de toutes les autres classes pour revenir au capitalisme, donne la liberté et l’égalité véritables aux travailleurs (ce qui n’est réalisable qu’avec l’abolition de la propriété privée des moyens de production), leur donne non seulement des « droits », mais la jouissance reélle de ce qui a été ôté à la bourgeoisie.

Qui n’a pas compris ce contenu‑là de la dictature du prolétariat (ou, ce qui revient au même, du pouvoir des Soviets ou de la démocratie prolétarienne), emploie ces mots vainement.

Je ne puis développer ici plus en détail ces réflexions, que j’ai exposées dans l’Etat et la Révolution et dans la brochure La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky. Je peux terminer en dédiant ces notes aux délégués qui assisteront le 10 août 1919 au Congrès de Lucerne7, de l’Internationale de Berne.

14 juillet 1919

NOTES

1 Désignées ainsi par les soldats qui avaient reçu l’ordre de voter pour les candidats du gouvernement. (N.R.)

2 Il est question des décisions de la VII° Conférence (conférence d’Avril) du P.O.S.D.R.(b), qui se tint à Pétrograd du 24 au 29 avril (7 au 12 mai) 1917.

3 Voir lettres : F. Engels à K. Marx du 7 octobre 1858 ; F. Engels à K. Kautsky du 12 septembre 1882 ; F. Engels à F. A. Sorge du 7 décembre 1889, du 21 septembre 1872 et du 4 août 1874, F. Engels à K. Marx du 11 août 1881.

4 Voir lettre F. Engels à F. A. Sorge du 18 janvier 1893.

5 Voir lettre F. Engels à F. A. Sorge du 7 décembre 1889.

6 Il s’agit du discours d’un des leaders des social‑démocrates anglais, Harry Quelch, au Congrès de Stuttgart de la II° Internationale, en 1907. Dans son discours, il qualifia d’« assemblée de voleurs » (« a thief’s supper ») la conférence internationale de La Haye qui se tenait à cette époque, et fut pour cette raison expulsé de Stuttgart par le gouvernement allemand (voir Lénine, « Harry Quelch »).

7 Lénine veut parler de la Conférence de la lie Internationale, qui se tint à Lucerne, en Suisse, du 2 au 9 août 1919. Lénine a caractérisé les interventions de certains délégués dans son article « Comment la bourgeoisie utilise les renégats », écrit en septembre 1919.

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Lénine : Conquis et consacré

[publié le 6 mars 1919 dans la Pravda, à l’occasion de la rendue publique de la tenue du premier congrès de l’Internationale Communiste.]

Dans la révolution, seules les conquêtes des masses prolétariennes sont inébranlables. Seules les conquêtes véritablement inébranlables méritent d’être enregistrées.

La fondation de la III° Internationale, l’Internationale communiste, à Moscou, le 2 mars 1919, a été la consécration des conquêtes des masses prolétariennes, non seulement russes, non seulement de Russie, mais aussi allemandes, autrichiennes, hongroises, finlandaises, suisses, en un mot, des masses prolétariennes internationales.

Et c’est justement pour cette raison que la fondation de la IIIe Internationale, l’Internationale communiste, est une œuvre inébranlable.

Il y a à peine quatre mois, on ne pouvait encore dire que le pouvoir des Soviets, que la forme soviétique d’Etat soit une conquête internationale. Il impliquait un élément, du reste essentiel, propre non seulement à la Russie mais à tous les pays capitalistes. Cependant, on ne pouvait encore dire, avant l’épreuve des faits, quelles modifications – de quelle profondeur et de quelle importance – apporterait le développement de la révolution mondiale.

La révolution allemande a donné cette vérification. Un pays capitaliste évolué, après un des pays les plus arriérés, a montré au monde entier, en peu de temps, en une centaine de jours, non seulement les mêmes forces fondamentales de la révolution, non seulement la même orientation fondamentale, mais aussi la même forme fondamentale de la démocratie nouvelle, de la démocratie prolétarienne : les Soviets.

Parallèlement, en Angleterre, pays vainqueur, le plus riche en colonies, le pays qui était et passait depuis fort longtemps pour un modèle de la «paix sociale», le pays du plus vieux capitalisme, nous constatons la croissance puissante, impétueuse, irrésistible, sur un large front, des Soviets et des nouvelles formes soviétiques de la lutte des masses prolétariennes, les « Shop Stewards Committees ».

En Amérique, le pays capitaliste le plus puissant et le plus jeune, l’immense sympathie des masses ouvrières va aux Soviets.

La glace est brisée.

Les Soviets ont vaincu le monde entier.

Ils ont vaincu tout d’abord et par-dessus tout dans ce sens qu’ils ont gagné la sympathie des masses prolétariennes. C’est là l’essentiel.

Il n’est pas de férocité de la bourgeoisie impérialiste, il n’est pas de persécution et d’assassinat de bolchéviks, capables de ravir cette conquête aux masses. Plus la bourgeoisie «démocratique» sévira, et plus inébranlables seront ces conquêtes dans le cœur des masses prolétariennes, dans leur état d’esprit, dans leur conscience, dans leur volonté de lutte héroïque.

La glace est brisée.

Et c’est pourquoi les travaux de la Conférence internationale des communistes, tenue à Moscou, et qui a fondé la IIIe Internationale, se sont déroulés si aisément sans encombre, avec tant de calme et de fermeté.

Nous avons enregistré ce qui est déjà conquis. Nous avons consigné sur le papier ce qui était déjà inébranlable dans la conscience des masses.

Tous savaient, bien plus, tous voyaient, sentaient, percevaient, chacun à la lumière de l’expérience de son pays, qu’un mouvement nouveau, un mouvement prolétarien, sans précédent dans le monde par sa puissance et sa profondeur, a déferlé, qu’il ne se confine pas dans les anciennes limites, quelles qu’elles soient, qu’il ne saurait être enrayé par les grands maîtres de la petite politicaillerie, ni par les Lloyd George et les Wilson du capitalisme démocratique anglo-américain, dont l’expérience et l’habileté sont fameuses, ni par les Henderson, les Renaudel, les Branting et autres héros du social-chauvinisme qui en ont vu de toutes les couleurs.

Le nouveau mouvement va vers la dictature du prolétariat ; il y va en dépit de toutes les hésitations, en dépit des défaites atroces, en dépit du chaos «russe» jamais vu et incroyable (si l’on s’en tient à l’aspect extérieur), il va vers le pouvoir des Soviets avec la puissance d’un torrent, un torrent formé des millions et des dizaines de millions de prolétaires, un torrent qui balaie tout sur son chemin.

Nous l’avons consigné. Nos résolutions, nos thèses, nos rapports et nos discours enregistrent ce qui est déjà conquis.

A la lumière éclatante de la nouvelle expérience des ouvriers révolutionnaires, de cette riche expérience d’une portée universelle, la théorie marxiste nous a aidé à comprendre les lois qui président à la marche des événements.

Elle aidera les prolétaires du monde entier qui luttent pour jeter bas l’esclavage du salariat capitaliste, à prendre conscience plus nettement des objectifs de leur lutte, à avancer d’un pas plus ferme sur le chemin déjà tracé, à vaincre d’une manière plus sûre et plus inébranlable et à consolider la victoire.

La fondation de la IIIe Internationale, l’Internationale communiste, est le prélude de la République internationale des Soviets, de la victoire mondiale du communisme.

Le 5 mars 1919

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: Manifeste

Manifeste de l’Internationale Communiste aux prolétaires du monde entier !

Il y a soixante-douze ans, le parti communiste présenta au monde son programme sous forme d’un manifeste écrit par les plus grands prophètes de la Révolution prolétarienne, Karl Marx et Friedrich Engels.

A cette époque déjà, le communisme, à peine entré dans sa lutte, était accablé sous les poursuites, les mensonges, la haine et les persécutions des classes possédantes qui devinaient justement en lui leur ennemi mortel.

Pendant ces trois quarts de siècle, le développement du communisme a suivi des voies complexes, connaissant tour à tour les tempêtes de l’enthousiasme et les périodes de découragement, les succès et les durs échecs.

Mais au fond le mouvement suivit la route tracée par le Manifeste du Parti communiste. L’heure de la lutte finale et décisive est arrivée plus tard que ne l’escomptaient et ne l’espéraient les apôtres de la Révolution sociale. Mais elle est arrivée.

Nous, communistes, représentants du prolétariat révolutionnaire des différents pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie, rassemblés à Moscou, capitale de la Russie soviétique, nous nous sentons les héritiers et les continuateurs de l’œuvre dont le programme a été annoncé il y a soixante-douze ans.

Notre tâche est de généraliser l’expérience révolutionnaire de la classe ouvrière, de débarrasser le mouvement des mélanges impurs de l’opportunisme et du social-patriotisme, d’unir les forces de tous les partis vraiment révolutionnaires du prolétariat mondial et par là même de faciliter et de hâter la victoire de la Révolution communiste dans le monde entier.

Aujourd’hui que l’Europe est couverte de débris et de ruines fumantes, les plus coupables des incendiaires s’occupent à rechercher les responsables de la guerre. Ils sont suivis de leurs laquais, professeurs, parlementaires, journalistes, social-patriotes et autres soutiens politiques de la bourgeoisie.

Au cours d’une longue série d’années, le socialisme a prédit l’inéluctabilité de la guerre impérialiste ; il en a vu les causes dans le désir insatiable du lucre et de la propriété des classes possédantes des deux concurrents principaux et en général de tous les pays capitalistes.

Deux ans avant l’explosion, au congrès de Bâle, les chefs socialistes responsables de tous les pays dénonçaient l’impérialisme comme le fauteur de la guerre future. Ils menaçaient la bourgeoisie de déchaîner sur sa tête la Révolution sociale, vengeance du prolétariat contre les crimes du capitalisme.

Maintenant, après une expérience de cinq ans, alors que l’histoire, ayant mis au jour les appétits rapaces de l’Allemagne, dévoile les agissements non moins criminels des Alliés, les socialistes officiels des pays de l’Entente, à la suite de leurs gouvernements, ne cessent de dénoncer dans le kaiser allemand déchu le grand coupable de la guerre.

Bien plus, dans leur abjecte servilité, les social-patriotes allemands, qui, en août 1914, faisaient du livre blanc diplomatique du Hohenzollern l’évangile sacré des nations, accusent maintenant à leur tour cette monarchie allemande abattue, dont ils furent les fidèles serviteurs, d’être la cause principale de la guerre.

Ils espèrent ainsi à la fois oublier le rôle qu’ils ont joué et gagner l’indulgence des vainqueurs.

Mais à côté du rôle joué par les dynasties déchues des Romanov, des Hohenzollern, des Habsbourg et des cliques capitalistes de leurs pays, le rôle des classes dirigeantes de France, d’Angleterre, d’Italie et des Etats-Unis apparaît dans toute son ampleur criminelle à la lumière des événements accomplis et des révélations diplomatiques.

Jusqu’à l’explosion même de la guerre, la diplomatie anglaise ne leva point son masque mystérieux. Le gouvernement de la City craignait que s’il déclarait catégoriquement son dessein de participer à la guerre aux côtés de l’Entente, le gouvernement de Berlin ne reculât et qu’il n’y eût pas de guerre.

C’est pourquoi l’on se conduisit de façon à faire espérer d’une part, à Berlin et à Vienne, la neutralité de l’Angleterre et à permettre, d’autre part, à Paris et à Pétrograd de compter fermement sur l’intervention.

Préparée par la marche de l’histoire pendant plusieurs dizaines d’années, la guerre fut déchaînée par une provocation directe et consciente de la Grande-Bretagne.

Le gouvernement de ce pays avait fait le calcul de soutenir la Russie et la France exclusivement dans la mesure nécessaire pour les épuiser en épuisant l’Allemagne, son ennemie mortelle. Mais la puissance du système militaire allemand apparut trop dangereuse et imposa une intervention non plus apparente mais réelle de l’Angleterre.

Le rôle de spectateur souriant, auquel la Grande-Bretagne prétendait par tradition, revint aux Etats-Unis.

Le gouvernement de Wilson accepta d’autant plus facilement le blocus anglais, qui diminuait les possibilités de spéculation de la Bourse américaine sur le sang européen, que les puissances de l’Entente dédommagèrent, par de gros bénéfices, la bourgeoisie américaine de cette violation du « droit international ». Cependant l’énorme supériorité militaire de l’Allemagne obligea à son tour le gouvernement de Washington à sortir de l’état de neutralité fictive à l’égard de l’Europe.

Les Etats-Unis se chargèrent de la mission que l’Angleterre avait remplie dans les guerres passées et qu’elle avait essayé de remplir dans la dernière guerre, par rapport au continent : affaiblir un des camps en se servant de l’autre, et ne se mêler des opérations militaires que dans la mesure indispensable pour s’assurer tous les avantages de la situation. L’enjeu exposé de la loterie américaine n’était pas grand, mais il fut le dernier et par là lui assurait le gain.

Les contradictions du régime capitaliste se révélèrent à l’humanité à la suite de la guerre, sous forme de souffrances physiques : la faim, le froid, les maladies épidémiques et une recrudescence de barbarie.

Ainsi est jugée sans appel la vieille querelle académique des socialistes sur la théorie de la paupérisation et du passage progressif du capitalisme au socialisme.

Les statisticiens et les pontifes de la théorie de l’arrondissement des angles avaient, pendant des dizaines d’années, recherché dans tous les coins du monde des faits réels ou imaginaires capables de démontrer le progrès du bien-être de certains groupes ou catégories de la classe ouvrière.

La théorie de la paupérisation des masses était regardée comme enterrée sous les coups de sifflets méprisants des eunuques occupant les tribunes universitaires de la bourgeoisie et des mandarins de l’opportunisme socialiste. Maintenant ce n’est pas seulement la paupérisation sociale, mais un appauvrissement physiologique, biologique, qui se présente à nous dans toute sa réalité hideuse.

La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé de fond en comble toutes les conquêtes des batailles syndicalistes et parlementaires. Et pourtant cette guerre est née des tendances internes du capitalisme dans la même mesure que les marchandages économiques ou les compromis parlementaires qu’elle a enterrés dans le sang et dans la boue.

Le capital financier, après avoir précipité l’humanité dans l’abîme de la guerre, a subi lui-même durant cette guerre une modification catastrophique.

L’état de dépendance dans lequel était placé le papier-monnaie vis-à-vis du fondement matériel de la production, a été définitivement rompu. Perdant de plus en plus sa valeur de moyen et de régulateur de l’échange des produits dans le régime capitaliste. Le papier-monnaie s’est transformé en instrument de réquisition, de conquête et en général d’oppression militaire et économique.

La dépréciation totale des billets de banque marque la crise mortelle générale qui affecte la circulation des produits dans le régime capitaliste.

Si la libre concurrence, comme régulateur de la production et de la répartition, fut remplacée dans les champs principaux de l’économie par le système des trusts et des monopoles, plusieurs dizaines d’années avant la guerre, le cours même de la guerre a arraché le rôle régulateur et directeur aux groupements économiques pour le transmettre directement au pouvoir militaire et gouvernemental.

La répartition des matières premières, l’exploitation du naphte de Bakou ou de Roumanie, de la houille du Donetz, du froment d’Ukraine, l’utilisation des locomotives, des wagons et des automobiles d’Allemagne, l’approvisionnement en pain et en viande de l’Europe affamée, toutes ces questions fondamentales de la vie économique du monde ne sont plus réglées par la libre concurrence, ni même par des combinaisons de trusts ou de consortiums nationaux et internationaux.

Elles sont tombées sous le joug de la tyrannie militaire pour lui servir de sauvegarde désormais. Si l’absolue sujétion du pouvoir politique au capital financier a conduit l’humanité à la boucherie impérialiste, cette boucherie a permis au capital financier non seulement de militariser jusqu’au bout l’Etat, mais de se militariser lui-même, de sorte qu’il ne peut plus remplir ses fonctions économiques essentielles que par le fer et par le sang.

Les opportunistes qui, avant la guerre, invitaient les ouvriers à modérer leurs revendications sous prétexte de passer lentement au socialisme, qui, pendant la guerre, l’ont obligé à renoncer à la lutte de classes au nom de l’union sacrée et de la défense nationale, exigent du prolétariat un nouveau sacrifice, cette fois afin de triompher des conséquences effroyables de la guerre.

Si de tels prêches pouvaient influencer les masses ouvrières, le développement du capital se poursuivrait en sacrifiant de nombreuses générations, avec des formes nouvelles, encore plus concentrées et plus monstrueuses, avec la perspective fatale d’une nouvelle guerre mondiale. Par bonheur pour l’humanité, cela n’est plus possible.

L’étatisation de la vie économique, contre laquelle protestait tant le libéralisme capitaliste, est un fait accompli. Revenir, non point à la libre concurrence, mais seulement à la domination des trusts, syndicats et autres pieuvres capitalistes, est désormais impossible. La question est uniquement de savoir quel sera désormais celui qui prendra la production étatisée : l’Etat impérialiste ou l’Etat du prolétariat victorieux.

En d’autres termes, l’humanité travailleuse tout entière deviendra-t-elle l’esclave tributaire d’une clique mondiale triomphante qui, sous l’enseigne de la Ligue des Nations, au moyen d’une armée « internationale » et d’une flotte « internationale » pillera et étranglera les uns, entretiendra les autres, mais, toujours et partout, enchaînera le prolétariat, dans le but unique de maintenir sa propre domination ?

Ou bien la classe ouvrière d’Europe et des pays les plus avancés des autres parties du monde s’emparera-t-elle de la vie économique, même désorganisée et détruite, afin d’assurer sa reconstruction sur des bases socialistes ?

Abréger l’époque de crise que nous traversons ne se peut que par les méthodes de la dictature du prolétariat, qui ne regarde pas le passé, qui ne compte ni avec les privilèges héréditaires, ni avec le droit de propriété, qui, ne considérant que la nécessité de sauver les masses affamées, mobilise pour cela tous les moyens et toutes les forces, décrète pour tout le monde l’obligation du travail, institue le régime de la discipline ouvrière, afin de ne pas seulement guérir, en quelques années, les plaies béantes faîtes par la guerre, mais encore d’élever l’humanité à une hauteur nouvelle et insoupçonnable.

L’Etat national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l’expansion des forces productives.

Ce phénomène a rendu plus difficile la situation des petits Etats encastré au milieu des grandes puissances de l’Europe et du Monde.

Ces petits Etats, nés à différentes époques comme des fragments des grands, comme la menue monnaie destinée à payer divers tributs, comme des tampons stratégiques, possèdent leurs dynasties, leurs castes dirigeantes, leurs prétentions impérialistes, leurs filouteries diplomatiques. Leur indépendance illusoire a été basée, jusqu’à la guerre, exactement comme était basé l’équilibre européen sur l’antagonisme des deux camps impérialistes. La guerre a détruit cet équilibre.

En donnant d’abord un immense avantage à l’Allemagne, la guerre a obligé les petits Etats à chercher leur salut dans la magnanimité du militarisme allemand.

L’Allemagne ayant été vaincue, la bourgeoisie des petits Etats, de concert avec leurs « socialistes » patriotes, s’est retournée pour saluer l’impérialisme triomphant des Alliés, et dans les articles hypocrites du programme de Wilson elle s’est employée à rechercher les garanties du maintien de son existence indépendante.

En même temps, le nombre des petits Etats s’est accru : de la monarchie austro-hongroise, de l’empire des tsars se sont détachés de nouveaux Etats qui, aussitôt nés, se saisissent déjà les uns les autres à la gorge pour des question de frontière. Les impérialistes Alliés, pendant ce temps, préparent des combinaisons de petites puissances, anciennes et nouvelles, afin de les enchaîner les unes les autres par une haine mutuelle et une faiblesse générale.

Ecrasant et violentant les peuples petits et faibles, les condamnant à la famine et à l’abaissement, de même que, peu de temps auparavant, les impérialistes des empires centraux, les impérialistes alliés ne cessent de parler du droit des nationalités, droits qu’ils foulent aux pieds en Europe et dans le monde entier.

Seule, la Révolution prolétarienne peut garantir aux petits peuples une existence libre, car elle libérera les forces productives de tous les pays des tenailles serrées par les Etats nationaux, en unissant les peuples dans une étroite collaboration économique, conformément à un plan économique commun.

Seule, elle donnera aux peuples les plus faibles et les moins nombreux la possibilité d’administrer, avec une liberté et une indépendance absolues, leur culture nationale sans porter le moindre dommage à la vie économique unifiée et centralisée de l’Europe et du monde.

La dernière guerre, qui a été dans une large mesure une guerre pour la conquête des colonies, fut en même temps une guerre faite avec l’aide des colonies. Dans des proportions jusqu’alors inconnues les peuples coloniaux ont été entraînés dans la guerre européenne.

Les Hindous, les Nègres, les Arabes, les Malgaches se sont battus sur la terre d’Europe, au nom de quoi ? Au nom de leurs droits à demeurer plus longtemps esclaves de l’Angleterre et de la France. Jamais encore le spectacle de la malhonnêteté de l’Etat capitaliste dans les colonies n’avait été aussi édifiant ; jamais le problème de l’esclavage colonial n’avait été posé avec une pareille acuité.

De là une série de révoltes ou de mouvements révolutionnaires dans toutes les colonies. En Europe même, l’Irlande a rappelé par de sanglants combats de rues qu’elle était encore et qu’elle avait conscience d’être un pays asservi.

A Madagascar, en Annam, en d’autres lieux, les troupes de la république bourgeoise ont eu plus d’une fois, au cours de la guerre. à mater des insurrections d’esclaves coloniaux.

Dans l’Inde, le mouvement révolutionnaire n’a pas cessé un seul jour. Il a abouti en ces derniers temps à des grèves ouvrières grandioses, auxquelles le gouvernement britannique a répondu en faisant intervenir à Bombay les automobiles blindées.

Ainsi la question coloniale est posée dans toute son ampleur non seulement sur le tapis vert du congrès des diplomates à Paris, mais dans les colonies mêmes.

Le programme de Wilson a pour but, dans l’interprétation la plus favorable, de changer l’étiquette de l’esclavage colonial. L’affranchissement des colonies n’est concevable que s’il s’accomplit en même temps que celui de la classe ouvrière des métropoles.

Les ouvriers et les paysans non seulement de l’Annam, d’Algérie ou du Bengale, mais encore de Perse et d’Arménie, ne pourront jouir d’une existence indépendante que le jour où les ouvriers d’Angleterre et de France, après avoir renversé Lloyd George et Clemenceau, prendront entre leurs mains le pouvoir gouvernemental.

Dès à présent, dans les colonies les plus développées, la lutte n’est plus engagée seulement sous le seul étendard de l’affranchissement national, elle prend de suite un caractère social plus ou moins nettement accusé.

Si l’Europe capitaliste a entraîné malgré elles les parties les plus arriérées du monde dans le tourbillon des relations capitalistes, l’Europe socialiste à son tour viendra secourir les colonies libérées avec sa technique, son organisation, son influence morale, afin de hâter leur passage à la vie économique régulièrement organisée par le socialisme.

Esclaves coloniaux d’Afrique et d’Asie : l’heure de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme l’heure de votre délivrance.

Le monde bourgeois tout entier accuse les communistes d’anéantir la liberté et la démocratie politique. Cela est faux.

En prenant le pouvoir, le prolétariat ne fait que manifester la complète impossibilité d’appliquer les méthodes de la démocratie bourgeoise et créer les conditions et les formes d’une démocratie ouvrière nouvelle, et plus élevée.

Tout le cours du développement capitaliste, en particulier dans la dernière époque impérialiste, a sapé les bases de la démocratie politique, non seulement en divisant les nations en deux classes ennemies irréconciliables, mais encore en condamnant au dépérissement économique et à l’impuissance politique de multiples couches de la petite bourgeoisie et du prolétariat au même titre que les éléments les plus déshérités de ce même prolétariat.

La classe ouvrière des pays où le développement historique l’a permis a utilisé le régime de la démocratie politique pour son organisation contre le capital. Il en sera de même à l’avenir dans les pays où ne sont pas encore réalisées les conditions préliminaires d’une révolution ouvrière.

Mais les masses de la population intermédiaire, non seulement dans les villages, mais encore dans les villes, sont maintenues par le capitalisme loin en arrière, en retard de plusieurs époques sur le développement historique.

Le paysan de Bavière ou de Bade, encore étroitement attaché au clocher de son village, le petit vigneron français ruiné par la falsification des vins des gros capitalistes, le petit fermier américain obéré et trompé par les banquiers et les députés, toutes ces couches sociales, rejetées par le capitalisme loin de la grande route du développement historique, sont conviées sur le papier par le régime de la démocratie politique à participer au gouvernement de l’Etat.

En réalité, dans les questions fondamentales dont dépend la destinée des nations, c’est une oligarchie financière qui gouverne dans les coulisses de la démocratie parlementaire. Il en fut ainsi naguère dans la question de la guerre. Il en est ainsi maintenant dans la question de la paix.

Dans la mesure où l’oligarchie financière se donne encore la peine de faire sanctionner ses actes de tyrannie par des votes parlementaires, l’Etat bourgeois se sert, pour atteindre les résultats désirés, de toutes les armes du mensonge, de la démagogie, de la persécution, de la calomnie, de la corruption, de la terreur, que les siècles passés d’esclavage ont mises à sa disposition et qu’ont multipliées les prodiges de la technique capitaliste.

Exiger du prolétariat que dans sa dernière lutte à mort contre le capital il observe pieusement les principes de la démocratie politique, cela équivaudrait à exiger d’un homme qui défend son existence et sa vie contre des brigands qu’il observe les règles artificielles et conventionnelles de la boxe française, instituées par son ennemi et que son ennemi ne s’en serve pas.

Dans le domaine de la dévastation, où non seulement les moyens de production et de transport, mais encore les institutions de la démocratie politique ne sont plus qu’un amas de débris ensanglantés, le prolétariat est obligé de créer un appareil à lui, qui serve avant tout à conserver la cohésion interne de la classe ouvrière elle-même et qui lui donne la faculté d’intervenir révolutionnairement dans le développement ultérieur de l’humanité. Cet appareil, ce sont les Soviets.

Les anciens partis, les anciennes organisations syndicales se sont manifestés en la personne de leurs chefs, incapables non seulement de décider, mais même de comprendre les problèmes posés par l’époque nouvelle.

Le prolétariat a créé un nouveau type d’organisation large, englobant les masses ouvrières indépendamment de la profession et du degré de développement politique, un appareil souple, capable d’un perpétuel renouvellement, d’un perpétuel élargissement, pouvant toujours entraîner dans son orbe des catégories nouvelles et embrasser les couches des travailleurs voisines du prolétariat de la ville et de la campagne.

Cette organisation irremplaçable de la classe ouvrière se gouvernant elle-même, luttant et conquérant finalement le pouvoir politique, a été mise dans différents pays à l’épreuve de l’expérience ; elle constitue la conquête et l’arme la plus puissante du prolétariat de notre époque.

Dans tous les pays où les masses travailleuses vivent d’une vie consciente se forment aujourd’hui et se formeront des Soviets de députés ouvriers, soldats et paysans. Fortifier les Soviets, élever leur autorité, les opposer à l’appareil gouvernemental de la bourgeoisie, voilà quel est maintenant le but essentiel des ouvriers conscients et loyaux de tous les pays.

Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière peut échapper aux éléments de dissolution qui portent dans son sein les souffrances infernales de la guerre, de la famine, de la tyrannie des riches avec la trahison de ses anciens chefs.

Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière, de la manière la plus sûre et la plus facile, peut parvenir au pouvoir dans tous les pays où les Soviets réuniront autour d’eux la majorité des travailleurs. Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière, maîtresse du pouvoir, gouvernera tous les domaines de la vie économique et morale du pays, comme cela se passe déjà en Russie.

La débâcle de l’Etat impérialiste, depuis ses formes tsaristes jusqu’aux plus démocratiques, va de pair avec la débâcle du système militaire impérialiste.

Les armées de plusieurs millions d’hommes mobilisés par l’impérialisme n’ont pu tenir qu’aussi longtemps que le prolétariat acceptait le joug de la bourgeoisie.

La destruction de l’unité nationale signifie la destruction inévitable des armées.

C’est ce qui arriva d’abord en Russie, puis en Allemagne et en Autriche. C’est encore ce qu’il faut attendre dans les autres pays impérialistes.

La révolte du paysan contre le propriétaire, de l’ouvrier contre le capitaliste, de tous les deux contre la bureaucratie monarchiste ou « démocratique » entraîne inévitablement la révolte des soldats contre les. officiers, et ensuite une scission caractérisée entre les éléments prolétaires et bourgeois de l’armée elle-même, la guerre impérialiste opposant les nations aux nations s’est changée et se change de plus en plus en guerre civile opposant les classes aux classes.

Les lamentations du monde bourgeois sur la guerre civile et la terreur rouge constituent la plus monstrueuse hypocrisie qu’ai jamais enregistrée l’histoire des luttes politiques.

Il n’y aurait pas de guerre civile si les coteries d’exploiteurs qui ont conduit l’humanité au bord de l’abîme ne s’opposaient pas à toute progression des travailleurs, n’organisaient pas des complots et des meurtres et ne sollicitaient pas le secours armé de l’étranger pour conserver ou restaurer leurs privilèges usurpés.

La guerre civile est imposée à la classe ouvrière par ses ennemis mortels. Si elle ne veut pas se suicider et renoncer à son avenir qui est l’avenir de toute l’humanité, la classe ouvrière ne peut pas éviter de répondre par des coups aux coups de ses agresseurs.

Les partis communistes ne suscitent jamais artificiellement la guerre civile, s’efforcent d’en diminuer autant que possible la durée toutes les fois qu’elle surgit comme une nécessité inéluctable, de réduire au minimum le nombre des victimes, mais par-dessus tout d’assurer le triomphe du prolétariat.

De là découle la nécessité de désarmer à temps la bourgeoisie, d’armer les ouvriers, de créer une armée communiste pour défendre le pouvoir du prolétariat et l’inviolabilité de sa construction socialiste. Telle est l’armée rouge de la Russie soviétique qui a surgi et qui s’élève comme le rempart des conquêtes de la classe ouvrière contre toutes les attaques du dedans et du dehors, Une armée soviétique est inséparable d’un Etat soviétique.

Conscients du caractère universel de leur cause, les ouvriers les plus avancés ont tendu, dès les premiers pas du mouvement socialiste organisé, vers une union internationale de ce mouvement.

Les bases en furent posées en 1864 à Londres, par la première Internationale.

La guerre franco-allemande, dont est née l’Allemagne des Hohenzollern, faucha la première Internationale et en même temps donna des partis ouvriers nationaux. Dès 1889, ces partis se réunissaient en Congrès à Paris et créaient l’organisation de la II° Internationale.

Mais le centre de gravité du mouvement ouvrier était placé entièrement à cette époque sur le terrain national dans le cadre des Etats nationaux, sur la base de l’industrie nationale, dans le domaine du parlementarisme national.

Plusieurs dizaines d’années de travail, d’organisation et de réformes ont créé une génération de chefs dont la majorité acceptaient en paroles le programme de la révolution sociale, mais y ont renoncé en fait, se sont enfoncés dans le réformisme, dans une adaptation servile à la domination bourgeoise.

Le caractère opportuniste des partis dirigeants de la II° Internationale s’est clairement révélé et a conduit au plus immense krach de l’histoire mondiale au moment précis où le cours des événements historiques réclamait des partis de la classe ouvrière des méthodes révolutionnaires de lutte.

Si la guerre de 1870 porta un coup à la Première Internationale en découvrant que derrière son programme social et révolutionnaire il n’y avait encore aucune force organisée des masses, la guerre de 1914 a tué la Deuxième Internationale en montrant qu’au-dessus des organisations puissantes des masses ouvrières se tiennent des partis devenus les instruments dociles de la domination bourgeoise.

Ces remarques ne s’appliquent pas seulement aux social-patriotes qui sont passés nettement et ouvertement dans le camp de la bourgeoisie, qui sont devenus ses délégués préférés et ses agents de confiance, les bourreaux les plu sûrs de la classe ouvrière ; elles s’appliquent encore à la tendance centriste, indéterminée et inconsciente, qui tente de restaurer la II° Internationale, c’est-à-dire de perpétuer l’étroitesse de vues, l’opportunisme, l’impuissance révolutionnaire de ses cercles dirigeants.

Le parti indépendant en Allemagne, la majorité actuelle du parti socialiste en France, le parti ouvrier indépendant d’Angleterre et tous les autres groupes semblables essayent en fait de prendre la place qu’occupaient avant la guerre les anciens partis officiels de la II° Internationale.

Ils se présentent comme autrefois avec des idées de compromis et d’unité, paralysant par tous les moyens l’énergie du prolétariat, prolongeant la crise et multipliant par là les malheurs de l’Europe. La lutte contre le centre socialiste est la conclusion indispensable du succès de la lutte contre l’impérialisme.

Rejetant loin de nous toutes les demi-mesures, les mensonges et la paresse des partis socialistes officiels caducs, nous, communistes, unis dans la III° Internationale, nous nous reconnaissons les continuateurs directs des efforts et du martyre héroïque acceptés par une longue série de générations révolutionnaires, depuisBabeuf jusqu’à Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg.

Si la première Internationale a prévu le développement à venir et a préparé les voies, si la deuxième Internationale a rassemblé et organisé des millions de prolétaires, la troisième Internationale est l’Internationale de l’action des masses, l’internationale de la réalisation révolutionnaire.

La critique socialiste a suffisamment flagellé l’ordre bourgeois. La tâche du parti communiste international est de renverser cet ordre de choses et d’édifier à sa place le régime socialiste.

Nous demandons aux ouvriers et ouvrières de tous les pays de s’unir sous l’étendard du communisme qui est déjà le drapeau des premières grandes victoires prolétariennes de tous les pays.

Dans la lutte contre la barbarie impérialiste, contre la monarchie et les classes privilégiées, contre l’Etat bourgeois et la propriété bourgeoise, contre tous les aspects et toutes les formes de l’oppression des classes ou des nations, unissez-vous !

Sous le drapeau des Soviets ouvriers, de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir et la dictature du prolétariat, sous le drapeau de la III° Internationale, prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

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