[Après la grande bataille politique de la seconde moitié des années 1970, les Brigades Rouges se retrouvaient coincées : si elles avaient rejeté en pratique le révisionnisme du Parti « Communiste » italien, elle étaient loin d’avoir une base idéologique suffisamment développée pour être à même de le remplacer au cœur des masses.
Or, ne pas y parvenir, c’était basculer dans le militarisme et le subjectivisme. C’est dans ce cadre que les membres emprisonnés des « BR » rédigent en 1980 leur grand ouvrage d’économie politique, intitulée L’abeille et le communiste, sur le base du marxisme-léninisme reconnaissant Mao Zedong comme son représentant le plus avancé.
Le présent document appartient à ce contexte ; deux points sont aussi à souligner.
Tout d’abord, de manière propre à l’Europe de l’ouest alors, la thèse maoïste du capitalisme bureaucratique et du semi-féodalisme est inconnu.
A l’opposé de la Fraction Armée Rouge allemande qui considère que l’URSS a un rôle révolutionnaire passif et a un impact positif pour les « Etats nationaux » et leur développement, les BR voient bien que cela ne va pas du tout et que le social-impérialisme soviétique est une force d’exploitation et d’oppression.
Mais elles ne parviennent pas à voir autre chose qu’une « exportation » du « modèle soviétique », tout en comprenant en même temps que cela ne serait pas valable pour l’Italie capitaliste : c’est ici la problématique semi-coloniale des pays opprimés qui n’est pas vu.
Le second point concerne la restauration du capitalisme en URSS. Tout comme les autres forces progressistes en général en Europe de l’Ouest alors, les br ne connaissaient pas les débats idéologiques et culturels concernant le matérialisme dialectique lors de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne ; c’est Gonzalo au Pérou qui a compris la question de la bataille idéologique et culturelle pour la superstructure.
Partant de là, les BR devaient reculer la date des problèmes en URSS et en Chine populaire, jusqu’à basculer dans le gauchisme traditionnel considérant que le « ver est dans le fruit » à la base, dès les années 1920, etc.
Cela fut l’un des aspects du basculement dans le gauchisme, un autre étant la réduction de la crise générale du capitalisme à une surproduction du capital.]
Collectif des prisonniers révolutionnaires des Brigades Rouges,
prison de Palmi, février 1980
L’Union Soviétique est une formation sociale de type capitaliste
Le sujet de notre travail n’est pas l’analyse-critique de l’U.R.S.S. « en tant que Pays socialiste » comme si l’Union Soviétique était une formation socio-économique inconnue et inexplorée encore à l’heure actuelle: en réalité une étude avec des prémisses pareilles rentre dans des domaines différents de ceux que nous posons à la base de notre enquête politique.
De ce point de vue, la critique pratique des camarades chinois, indépendamment des aboutissements contre-révolutionnaires de la Révolution chinoise, représente aujourd’hui encore un patrimoine, non seulement pas encore atteint ailleurs, mais définitivement acquis.
Et ce n’est pas non plus l’analyse du « social-mpérialisme », parce que même en y recourant, nous ne considérons pas la catégorie du « social-impérialisme » comme une catégorie valable, capable de rendre compte, de façon exhaustive, de la complexité de la formation soviétique.
Qu’est que c’est en effet, que le « social-impérialisme » ? Pour les camarades chinois, qui en premier ont utilisé ce terme, le « social-impérialisme est socialisme dans les paroles et impérialisme dans les faits ».
Cette définition est inadéquate au moins sous deux aspects: en premier lieu parce qu’elle laisse entendre que l’impérialisme est une politique, un comportement, et non comme il l’est, dans la réalité, une phase du développement du capitalisme (celle de la surproduction du capital).
Ce n’est donc pas par hasard que la critique chinoise du « modèle soviétique » soit devenue, surtout après la mort de Mao, une critique de la politique étrangère de l’U.R.SS., qui s’enracine et trouve ses motivations dans l’agressivité traditionnelle de l’« Ours russe » (sic !).
En second lieu parce que cette définition reconnaît comme principale contradiction de la formation soviétique celle entre une structure économique de type capitaliste et une superstructure idéologique de nature socialiste, ce qui, au moins, simplifie excessivement une réalité bien plus complexe et beaucoup moins schématique.
Même si l’idéologie joue, en U.R.S.S., un rôle dominant et spécifique, le fait de réduire l’originalité du « modèle soviétique » à la contradiction entre l’idéologie (à son tour conçu comme « Le parti ») et l’économie veut dire résoudre le problème de la restauration du capitalisme en Russie en faisant appel à la théorie bourgeoise du « complot », de la « conjuration de palais », qui aurait amené, par le seul meurtre de Staline et par la prise pure et simple du pouvoir à l’intérieur du Parti, à remplacer la dictature du prolétariat par celle de la bourgeoisie.
Même si cette interprétation saisit une partie de la vérité, elle est néanmoins largement insuffisante, en considérant que le matérialisme historique n’est pas une « théorie marxiste des coups d’Etats »….
Quel est, alors, l’objet de notre travail ?
Nous nous proposons, fondamentalement, d’analyser comment le mode de production capitaliste opère dans la formation socio-économique soviétique; dans quelles conditions spécifiques et avec quelles formes originales.
Du point de vue de la méthode, donc, notre enquête a pour but la démonstration d’une thèse politique qui représente à la fois notre point de départ et notre point d’arrivée: c’est-à-dire que l’U.R.S.S. est une formation de type capitaliste.
Mais tout cela n’est pas encore suffisant pour distinguer notre travail d’un travail avec des finalités purement théoriques, si nous n’ajoutons que la tache principale que nous nous posons est celle d’analyser comment le capitalisme agit en Union Soviétique, avec quels mécanismes et avec quelles caractéristiques.
A l’intérieur de cette problématique, une place centrale est occupée pas la question de la crise, en particulier le rapport entre l’existence de la crise et sa façon de se manifester. C’est, en fait, à partir de la compréhension de la nature de ce rapport qu’il devient possible de donner à notre étude sur le capitalisme en U.R.S.S. une orientation qui le rende fonctionnel aux intérêts et eux exigences politiques de la lutte révolutionnaire aujourd’hui dans notre pays.
Tachons de mieux nous expliquer.
Certains camarades pourraient répliquer que la question du « social-impérialisme » ne représente pas une question décisive pour la révolution en Italie, au moins parce que notre principal ennemi est l’impérialisme et que de toute façon notre pays ne rentre pas dans la sphère d’influence Soviétique.
Cette remarque, apparemment fondée et irréprochable, oublie en réalité soit que le cours de la lutte de classe en Italie dépend de mesure toujours croissante du cours de la crise capitaliste au niveau international et par conséquent de l’affrontement entre les deux superpuissances (mieux, entre les deux zones capitalistes fondamentales, celle dominée par les États-Unis et celle sous hégémonie de l’U.R.S.S. ), soit que la révolution doit forcement avoir une capacité de prévision, et partant d’anticipation de telle manière à pouvoir permettre, a travers une analyse rigoureusement marxiste, de repérer ce que sont les ennemis futurs, même s’ils n’apparaissent pas aujourd’hui en tant que tels.
En substance ce qui justifie notre intérêt pour l’U.R.S.S. est soit la certitude, fondée de manière marxiste, que la guerre inter-impérialiste, indépendamment des formes concrètes qu’elle prendra, sera le débouché inévitable à la crise actuelle de surproduction et que cet événement, directement ou pas, est destiné à nous impliquer; c’est-à-dire la conviction, appuyée sur l’expérience historique du prolétariat international, qu’il est illusoire de penser pouvoir battre un impérialisme en feignant que l’autre n’existe pas, ou encore pire en s’appuyant sur lui.
Ces prémisses une fois affirmées, il devient maintenant plus aisé de tracer les lignes générales de notre schéma concret de travail.
Il y a deux orientations que nous voulons privilégier: la première concerne le domaine de la théorie économique soviétique dans son processus contradictoire de formation; la seconde les étapes les plus significatives du déroulement historique de la formation sociale et politique russe.
La nécessité de définir ces domaines d’enquête principaux ressort de la complexité et en même temps de la spécificité du « modèle soviétique », comme de l’étroite interdépendance entre politique et économie, superstructure et structure qui se réalise originellement à l’intérieur de ce modèle (l’exemple soviétique est un exemple pratique non seulement de la relative autonomie de la sphère de la superstructure, mais aussi et surtout du caractère décisif qu’elle peut prendre dans des périodes déterminées dans des situations historiques déterminées).
En ce qui concerne le premier domaine de recherche, notre attention sera concentrée sur la catégorie de la planification et sur la façon dont elle opère concrètement en Union Soviétique. Ce choix n’est pas arbitraire, mais il dérive de notre intention de critiquer le révisionnisme soviétique en partant de son point de vue même et en retournant contre lui les mêmes instruments théorico-politiques qu’il utilise pour se justifier et pour se préserver.
Il est connu que les économistes soviétiques, ceux qui font partie de la dictature du prolétariat comme les économistes actuels, repèrent dans le plan la différence substantielle entre une économie capitaliste (dominée par l’anarchie de la production et du marché) et une économie de transition (économie planifiée).
S’il est vrai que c’est sa possibilité de planification qui contre-distingue une économie socialiste (ici et ailleurs nous utilisons indifféremment le terme « socialiste » et celui de « transition », même si seulement ce dernier nous apparaît correct vu que le socialisme existe seulement comme « phase inférieure du communisme », comme transition du capitalisme au communisme, donc il n’y a pas de sens à parler ni de société « socialiste » ni encore moins de « mode de production socialiste »), cela signifie que les économistes russes considèrent comme la contradiction principale et spécifique de tout mode de production celle entre production et consommation: tandis que dans le capitalisme cette contradiction opère réellement comme telle, dans le socialisme elle ne peut pas jouet un rôle décisif parce que le plan en étouffe les effets, en exerçant une fonction d’équilibre.
Ce genre de position théorique est tirée d’une lecture incorrecte et partielle du « Capital » de Marx et sous-tend une conception de la crise vue comme une « crise de disproportion » et non pas de surproduction absolue de plus-value – capital.
C’est à cause de cela que notre recherche partira des schémas de reproduction élargie et d’accumulation du IIe livre du « Capital », que nous étudierons avec le but de lire, dans l’interprétation qui a été donnée d’eux par les épigones de Marx et par les révisionnistes soviétiques, l’origine des modèles économiques qui sont appliqués en U.R.S.S., en vérité avec peu de succès.
Nous récupérerons aussi, en outre des schémas marxiens du IIe livre, les catégories de « valeur » et de « valeur d’usage », « composition technique et composition en valeur » et « fétichisme » pour voir dans quelle manière elles ont été interprétées et utilisées concrètement en Union Soviétique.
Mais comment voulons nous finaliser ce type de recherche-récupération des instruments fondamentaux de l’analyse marxiste?
Nous voulons démontrer qu’une économie basée sur la production de valeur d’échange et donc sur l’extraction de plus-value du travail salarié n’étant pas planifiable, celle soviétique est dans la réalité (et non seulement dans la conscience que ses théoriciens en ont) une économie capitaliste et par conséquent passible de crises périodiques de surproduction.
Le problème de repérer comment les crises se manifestent (et dans quels secteurs productifs) introduit et renvoie à l’exigence de saisir les racines structurelles de l’expansionnisme soviétique. L’impérialisme n’étabt pas une « politique », mais une nécessité économique, on en tire qu’il doit exister un rapport entre crises économiques internes et recrudescence de l’agressivité internationale de l’U.R.S.S. : ce réseau critique est utile soit pour la compréhension du passé (invasion de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de l’Afghanistan, etc.), soit pour la prévision du futur, c’est-à-dire des temps, des formes et des zones géographiques où se manifesterons les tentatives de pénétration soviétiques.
La question de la crise, nous disions, se rattache i la question de la politique étrangère russe.
Nous tâcherons d’aborder ce dernier sujet en n’ayant pas recours aux armes de la critique moraliste (nous ne reprocherons donc pas à l’U.R.S.S. d’entretenir des rapports économiques privilégiés avec l’Argentine de Videla ou des liens diplomatiques avec la clique fasciste de Lon Nol : ces critères de jugements sont appropriés aux idéalistes et malheureusement, aux camarades chinois qui, justement, les voient maintenant se retourner contre eux mêmes), mais plutôt à celles du matérialisme historique.
Comme tout impérialisme, de même l’impérialisme soviétique avec le capital excédant exporte aussi un modèle de société (et les contradictions qui lui sont propres). Le rapport préférentiel avec les Pays du Tiers Monde, rapport qui fait de certaines zones géographiques déterminées autant de zones de pénétration pour l’impérialisme soviétique, se justifie tout à fait avec la nature de ce modèle, avec sa supériorité, du point de vue des exigences et des problèmes des pays en voie de développement, par rapport aux modèles capitalistes « traditionnels ».
Le « modèle soviétique » est à la fois un modèle de développement économique accéléré et intensif, d’équilibre social et fortement justifié idéologiquement.
L’U.R.S.S., en fait, exporte sa propre expérience historique d’accumulation originaire (celle qu’un économiste russe des années 1920 -E. Preobrajenski – définit comme « accumulation socialiste ») valable, compte tenu des résultats obtenus, pour tous les pays qui veulent parcourir à marches forcées la voie de l’industrialisation sans dépendre des aides économiques de l’impérialisme occidental.
La supériorité du modèle soviétique, en outre, est donnée par sa stabilité sociale (par rapport aux Etats à « démocratie bourgeoise », ceux à soi-disant « démocratie populaire » sont indéniablement beaucoup plus « gouvernables » et beaucoup moins sujets aux déchirantes tensions de classe) et par le fait d’ être, du point de vue de la crédibilité et de l’organisation du consentement, idéologiquement motivé : ce n’est pas par hasard d’ailleurs que les dirigeants des Pays du Tiers Monde pro-soviétiques sortent des luttes de libération anticolonialistes et anti-impérialistes.
Mais, avec un modèle, l’ U.R.S.S. exporte aussi les contradictions qui lui sont propres, en premier lieu la tendance à la guerre qui naît du déséquilibre dû à la présence d’une industrie lourde développée de façon hypertrophique, périodiquement au-delà de la limite de la surproduction : Cuba, le Yémen du Sud, l’Éthiopie, la Libye, le Vietnam en étant que des confirmations.
Nous nous n’étendrons pas davantage sur ce sujet. qui sera l’objet d’une recherche spécifique. Néanmoins, avant de procéder plus loin, nous jugeons bien d’aborder un problème dont l’approfondissement sera notre tâche : si celles que nous avons esquissées auparavant, à grands traits, sont les caractéristiques du « modèle soviétique », comme il est exporté sur les tourelles des chars d’assaut russes, il est immédiatement évident que ce modèle est tout à fait inadéquat pour les pays capitalistes où le développement des forces productives a atteint des niveaux très élevés.
C’est-à-dire, si on avait une pénétration soviétique, par exemple en Europe, et en Italie en particulier, cette pénétration ne pourrait pas se dérouler par l’exportation du « modèle soviétique » désormais traditionnel, mais devra assumer d’autres formes, différentes même de celles « classiques » de l’impérialisme occidental (à cause du niveau très bas de l’industrie soviétique sur le marché international et de la présence presque inexistante du capital financier russe à l’étranger).
En d’autres termes, un groupe dirigeant national dans les pays occidentaux ne pourra probablement pas être attiré par l’exemple soviétique, pour ainsi dire, librement, sans être contraint avec la force des armes, c’est-à-dire, sans une occupation militaire de la part des envahisseurs. Mais celle-ci est seulement une hypothèse, qu’on doit vérifier ou qu’on doit démentir à partir de la démonstration d’une thèse alternative.
En résumé, en conclusion: notre enquise, sur la façon dont l’existence et la domination du capitalisme en U.R.S.S. se manifeste se concentrera surtout sur le problème de la planification (en termes théoriques cela entraînera de reprendre les schémas du deuxième livre du Capital et de les comparer à l’interprétation incorrecte que les économistes soviétiques en ont donnée, en répondant aux questions: une économie planifiée est elle exempte de crises ? Est-ce qu’on peut planifier une économie fondée sur la valeur d’échange ?) pour s’étendre à la question de la crise, des formes et de la périodicité de sa manifestation et à la détermination des secteurs productifs qui, avant les autres et plus directement, sont impliqués.
Il ne nous intéresse pas, par conséquent, de radiographier l’économie soviétique en soi, sinon dans la mesure où cela se révèle fonctionnel à la compréhension et à l’explicitation des thèmes que nous avons indiqués comme centraux et prioritaires.
Du point de vue historico-politique une position convaincante sur l’étude du capitalisme en U.R.S.S. doit, nécessairement, tenir compte, à partir des prémisses, de la question de comment a été possible la restauration de la domination de classe de la bourgeoisie après et malgré la révolution d’ Octobre, sans tomber dans l’historiographie « alternative » ou dans la reconstruction sans buts précis de la dégénérescence progressive de la « formation idéologique bolchevique ».
Tour cela dit, nous estimons d’importance fondamentale le fait de saisir les mécanismes et les moments de changement qui, à notre avis, sont décisifs pour comprendre correctement comment des limites objectives et des erreurs théoriques ont, par la suite, mené à la direction du pays les cliques révisionnistes de Khrouchtchev d’abord et de Brejnev-Kossyguine après.
En ce sens, le point de départ de notre enquête sera l’analyse de la nature et de la composition de classe du groupe dirigeant soviétique actuel, dont nous chercherons de reconstruire, remontant dans le temps, les lignes essentielles de formation et d’auto-reproduction.
Cette couche privilégiée est représentée par une bourgeoisie monopoliste bureaucratique (ce sera notre tache particulière que de motiver l’emploi et le sens de cette catégorie) qui connote la machine de l’État et qui occupe une position dominante dans le parti, dans le gouvernement et dans l’armée.
Du point de vue idéologique, la bourgeoisie soviétique a élaboré, en déformant le marxisme-léninisme, une conception qui la nie en tant que classe et qui affirme le franchissement des contradictions de classe par le concept de « peuple » à l’intérieur de la « nation ».
Dès maintenant, de toute façon, nous reconnaissons dans cette bourgeoisie bureaucratique-monopoliste trois composantes principales: l’appareil de l’année, important pour ses relations avec les secteurs de l’industrie plus directement reliés à la production de guerre (les scientifiques inclus): l’appareil du parti qui, en tant qu’instrument de la dictature du prolétariat est, d’une partie, le lien privilégié où se manifeste la lutte de classe entre la ligne capitaliste et la ligne socialiste (comme Mao disait: « …la bourgeoisie est même dans le parti communiste, ce sont les éléments au pouvoir au sein du parti qui se sont engagés dans la voie capitaliste et qui poursuivent leur chemin… »), et de l’autre, en tant que « dépositaire unique de l’idéologie », l’auteur principal et actif de la restauration capitaliste.
De ce dernier point de vue il faudra tenir compte de la critique théorico-pratique de quelques thèses caractéristiques de la formation idéo logique soviétique à l’époque de Staline, qui ont constitué les prémisses pour la reconquête du pouvoir par la bourgeoisie, même sur ce terrain.
C’est-à-dire: la thèse qui établit une identité entre les formes juridiques de propriété et les rapports réels de production pendant le socialisme; la thèse qui attribue aux forces productives et non pas à la lutte de classe le rôle de « moteur de l’histoire », et la thèse qui justifie le renforcement de l’Etat soviétique non pas à travers le durcissement de l’engagement de classe à l’intérieur, mais au contraire à cause de la menace extérieure de l’impérialisme et de l’encerclement international.
Et, finalement l’appareil d’Etat, surtout les techniciens et les managers.
Il est préliminaire et introductif dans ce genre de travail de recourir nécessairement à quelques catégories fondamentales du matérialisme historique, c’est-à-dire celles de « mode de production », de « formation économique-sociale déterminée », de « classe sociale », de « bureaucratie », de « société de transition » et de structure – superstructure ».
D’autre part, nous sommes conscients que la critique historique-politique-idéologique du « modèle soviétique » a atteint, sur les traces et à partir de l’exemple chinois, des niveaux relativement avancés et exhaustifs, en comparaison desquels notre contribution particulière risquerait de se révéler complètement insignifiante si elle se limitait à rabâcher les thèmes et les sujets déjà abordés abondamment par d’autres avant nous.
En réalité, nous répétons que notre objectif n’est pas de critiquer les thèses sur l’U.R.S.S. en tant que « pays à socialisme réalisé », mais plutôt de repérer les mécanismes et les modalités de fonctionnement (et par conséquent mime les contradictions pratiques) de la société soviétique.
Sur le plan de la méthode, nous formulons, comme hypothèse de départ, cette périodisation historique:
– 1926 – Débat sur l’industrialisation en U.R.S.S..
Le socialisme dans un seul pays.
– 1928-’32 – Premier plan quinquennal.
– 1936 – Approbation de la nouvelle constitution de l’U.R.S.S..
– 1946-’50 – Quatrième plan quinquennal.
– Le problème de la reconstruction de l’économie.
– 1953-’56 – Mort de Staline et coup d’Etat révisionniste.
XXe Congrès.
– 1961 – Adoption du troisième programme du P.C.U.S..
– Programme d’édification du communisme.
– de 1965 – Approbation de la loi sur la nouvelle réforme économique (réforme Kossyguine).
Chute de Khrouchtchev.
Cette schématisation rend nécessaire deux éclaircissements.
Avant tout, elle est tirée pas une périodisation plus générale entre la période de la dictature du prolétariat (de la Révolution d’Octobre jusqu’à la mort de Staline) et la période de la restauration bourgeoise (du XXe Congres jusqu’à présent).
En deuxième lieu les dates dont elle est formée ne sont pas choisies arbitrairement, mais elles correspondent aux moments décisifs de transformation de la formation socio-économique soviétique. Plutôt que de vérifier ce qui arriva dans ces périodes déterminées, il nous préoccupe d’étudier la cause de cela, quels furent les processus mis en mouvement et quel autres, au contraire, furent interrompus.
A l’intérieur de ces deux époques fondamentales, en outre, nous concentrons notre attention sur deux périodes de considérable importance : la période des années ’20-’30 à l’époque de la dictature du prolétariat ; celle après 1965 à l’époque de la dictature de la bourgeoisie.
Les années ’20-’30 sont décisives pour la constitution de la bourgeoisie soviétique en tant que classe, pour son développement et renforcement, pour son accès aux leviers essentiels de la direction économique, pour l’accroissement de son influence idéologique et politique : dans toute cette période la ligne suivie par le parti produisait et conservait en grande partie le terrain qui devait nourrir la bourgeoisie d’Etat actuellement au pouvoir.
Les années suivantes 1965 sont au contraire les années pendant lesquelles les réformes économiques à peine introduites commencent à obtenir une réalisation pratique : l’appareil productif soviétique est impliqué par la restauration capitaliste dans ses aspects plus qualifiants comme le profit, l’économie de marché, la libre fixation des prix, l’exploitation etc.
C’est pendant cette période que la bourgeoisie soviétique se consolide définitivement au pouvoir et commence à être en concurrence réciproque avec les positions de suprématie des groupes impérialistes occidentaux sur les marchés mondiaux.
L’extrême complexité des sujets que nous nous proposons d’aborder nous suggère maintenant de ne pas aller plus loin : celles que nous avons esquissées, plutôt que les lignes concrètes de notre travail sont nos intentions générales de départ d’où elles devraient jaillir et mieux se préciser (ou peut-être aussi se modifier) au fur et à mesure que notre activité d’étude et de recherche avancera et fera des progrès.
Si notre contribution limitée aidera de quelque sorte même un seul militant à prendre conscience d’une partie seulement, même si importante, des taches théoriques et pratiques que les forces révolutionnaires aujourd’hui dans notre pays doivent accomplir, alors nous pourrions dire d’avoir atteint le but que nous nous étions fixé au préalable.