L’inévitable passivité de Karl Kautsky, même en 1914

Plus on avance dans le temps au début du 19e siècle, plus Karl Kautsky se concentre sur une seule conception, fétichisant l’expérience triomphante de la social-démocratie allemande : si la révolution signifie un quelconque chaos à ce niveau, alors la révolution n’est pas possible.

Le problème qui se pose alors, est que comme Karl Kautsky reste sur le terrain du matérialisme dialectique, il défend le principe de saut qualitatif. Or, cela rentre en contradiction formelle avec ce qu’il expose comme conception de la révolution.

En théorie, Karl Kautsky reste matérialiste dialectique : :

« Tant que la bourgeoisie était révolutionnaire, les théories catastrophistes dominaient dans les sciences naturelles (géologie et biologie), qui partaient de la vision comme quoi le développement de la nature passait par des grands sauts soudains.

Lorsque la révolution bourgeoise fut terminée, à la place des théories catastrophistes apparut au premier rang la considération d’un développement progressif, imperceptible.

La bourgeoisie révolutionnaire était sensiblement proche de l’esprit de catastrophes dans la nature, la bourgeoisie conservatrice considérait cela comme déraisonnable et pas naturel. »

Karl Kautsky reconnaît le matérialisme dialectique ; la social-démocratie allemande a fait de l’anti-Dühring une de ses œuvres classiques, une de ses œuvres de formation. La maturité d’une révolution est ainsi comparée par Karl Kautsky à la formation d’un organisme, à la formation d’un être vivant.

En 1910, Karl Kautsky publia notamment « La voie au pouvoir – remarques politiques sur l’excroissance dans la révolution ». Il y reprit son thème comme quoi la révolution intervient lorsque la bourgeoisie devient caduque, ce qui se produit de manière naturelle, induisant un saut qualitatif par la prise du pouvoir par le prolétariat ou, plus précisément chez Kautsky, une sorte de remplacement de la classe dominante.

Le socialisme ne se présente pas réellement comme une étape ayant une nature politique et idéologique, car :

« Car le prolétariat est indispensable pour la société, il peut être écrasé temporairement, il ne peut toutefois jamais être détruit.

La classe des capitalistes au contraire est devenue superflue, la première grande défaire dans la lutte pour le pouvoir d’État que cette classe subit doit conduire à son effondrement complet et prolongé. »

Il y a ainsi une révolution qui se présente comme une évolution naturelle.  Le principe de majorité numérique toujours plus grande était prétexte chez lui aux rêves démocratiques les plus fous, au mépris de la réalité. La conception de Karl Kautsky était d’assumer le principe de révolution, mais désireux que celle-ci se déroule de manière mécanique, lisse, nette, en raison de la dimension populaire de celle-ci.

Cela fut si fort que Karl Kautsky ne prit pas au sérieux la première guerre mondiale. Il s’y opposa, mais se contenta d’avoir une position attentiste, participant à la minorité de gauche anti-guerre, considérant qu’inévitablement la suite devait lui donner raison, que la guerre n’était qu’un phénomène transitoire, un simple aléas historique.

Lorsque la première guerre mondiale commença, le Parti échoua à s’y opposer, la majorité soutenant le vote des crédits de guerre et appuyant le gouvernement. Seule une minorité s’y opposa, minorité à laquelle appartinrent tant Karl Kautsky qu’Eduard Bernstein.

Cela signifie que Karl Kautsky, chef de file des « centristes », et Eduard Bernstein, le grand théoricien du révisionnisme, se retrouvaient en pratique du même côté que Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.

Die Neue Zeit s’excusant des problèmes de parution
en raison de la déclaration de guerre.

Toutefois, Karl Kautsky pratique ce que Lénine a défini comme le « kautskysme ». Ce terme ne désigne nullement chez Lénine l’idéologie de Karl Kautsky à travers ses œuvres, Lénine s’en revendiquant historiquement.

Le « kautskysme » désigne l’incapacité à se couper de l’opportunisme, au nom des raisons pratiques. Ainsi, durant la première guerre mondiale, Karl Kautsky se contenta de faire en sorte que la minorité exige de la majorité du Parti que son soutien à la guerre soit conditionnelle à la mise en place de discussions pour signer la paix rapidement.

Karl Kautsky soutenait le principe d’unité du Parti, là où Rosa Luxembourg devenait la dirigeante du courant révolutionnaire considérant que le Parti avait failli. Selon Karl Kautsky, il fallait rester en tant que fraction dans le Parti, afin de ne pas perdre les grandes forces que représentait le Parti. Il n’y avait selon lui pas de coupure historique de faite.

En apparence, la situation semblait ainsi à l’initial. Le 4 août 1914, Karl Liebknecht vota par exemple pour les crédits de guerre pour suivre la discipline du Parti. Hugo Haase, fils d’un cordonnier juif et dirigeant du Parti avec Friedrich Ebert, s’opposait lui aussi au vote en faveur des crédits de guerre, mais prit pourtant la parole pour expliquer la position du Parti.

Au bout de quelques mois, la situation se décanta. Lors du vote du budget de guerre le 20 mars 1915, Hugo Haase prit la tête de 30 députés sociaux-démocrates sortant ostensiblement de la salle, alors que Karl Liebknecht et Otto Rühle restèrent pour voter contre.

ugo Haase signa ensuite avec Eduard Bernstein et Karl Kautsky un manifeste anti-guerre intitulée « L’exigence du moment », alors que Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg diffusèrent un appel à la « reconquête du Parti », soutenu par mille cadres et militants.

Toutefois, Karl Kautsky avait un fétiche du premier moment où le Parti avait été resté unitaire, malgré les différences de position. Pour cette raison, il n’entretint aucun contact avec le Spartakusbund regroupant les révolutionnaires autour de Rose Luxembourg. Il suivait ici la même ligne que celle d’Eduard Bernstein.

Karl Kautsky

Hugo Haase était quant à lui d’accord avec eux en ce qui concerne la question de l’unité du Parti, mais il cherchait à ne pas rompre avec le Spartakusbund, étant un centriste sincère, qui n’avait pas basculé dans le « kautskysme ».

Pour cette raison, afin de briser la censure militaire empêchant les pacifistes d’exprimer leur position, il décida de prendre la parole au parlement le 24 mars 1916, afin de s’opposer à l’état d’urgence que la majorité social-démocrate comptait soutenir ce jour-là.

De nombreux députés de la majorité l’empêchèrent de parler, le huant, soutenant l’interdiction de sa prise de parole, l’excluant ensuite, avec les autres opposants, des rangs de la fraction parlementaire social-démocrate, par 55 voix contre 33. Hugo Haase dut ensuite abandonner sa position de dirigeant du Parti, qu’il partageait avec Friedrich Ebert.

Hugo Haase prit ensuite la tête des opposants se regroupant dans une Communauté social-démocrate de travail (Sozialdemokratischen Arbeitsgemeinschaft), qui fut rejointe par pas moins que la majorité de la base du Parti à Berlin et Leipzig, mais pas par le Spartakusbund.

Cependant, Hugo Haase continua son orientation, soutenant Karl Liebknecht lorsque celui-ci fut arrêté à la suite de sa manifestation pacifiste illégale du premier mai 1916, prenant sa défense lors de la dernière conférence unie du Parti en septembre 1916.

Karl Kautsky suivit le mouvement de la minorité, mais il n’en fut pas à l’initiative. Voici comment il raconte sa propre position d’alors, plusieurs années après, en 1922 :

« Chaque social-démocrate, même chaque prolétaire, tient à son organisation, il sait qu’il n’est rien sans elle. Une grande partie de l’opposition à l’intérieur de la fraction [parlementaire du Parti] ne prit pas part, pour cette raison, à la scission par la formation de la Communauté [social-démocrate] de travail.

En décembre 1915, 43 camarades de la fraction avaient déjà voté pour le refus des crédits de guerre. Mais à la conférence, il n’y en eut que 20 qui les ont refusés, et lorsqu’en mars 1916 on en vint à la formation de la Communauté [social-démocrate] de travail, il n’y en eut que 18 à la rejoindre.

Et ce cercle ne s’est pas vraiment agrandi. D’août 1914 à décembre 1915, le nombre d’opposants au soutien aux crédits de guerre était passé de 14 à 43. On était en droit de s’attendre à ce que l’opposition ait bientôt la majorité dans la fraction [parlementaire] – de fait, ce développement fut brisé par la formation de la Communauté [social-démocrate] de travail.

La plus grande partie de l’opposition resta dans la fraction [parlementaire] où elle fut affaiblie numériquement et privée de ses éléments les plus énergiques, ne jouant plus aucun rôle à partir de là. Le poids bien supérieur de l’aile droite dans la vieille fraction [parlementaire] fut énormément renforcée par la scission.

L’opposition fut par contre affaiblie. Elle s’effondra en trois groupes : les spartakistes, la Communauté [social-démocrate] de travail et l’opposition au sein de la vieille fraction [parlementaire].

La liberté de mouvement qu’obtinrent les deux premiers groupes fut payé chèrement, par l’affaiblissement de l’ensemble de l’opposition. Mais, comme déjà dit, aussi regrettable que cela ait été, de par les conditions données cela n’était pratiquement pas évitable. »

On a ici un modèle des contorsions à la Kautsky, qui se laisse porter par le courant, attendant perpétuellement des situations objectives idéales, censées venir naturellement, sans forcer quoi que ce soit.

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Karl Kautsky et la notion de démocratie

La question de la grève de masses révéla tout ce que le kautskysme contenait de problématique. En 1893, Karl Kautsky abordait ainsi la question du parlementarisme, dans un long document cherchant à définir la position de la social-démocratie. Ce qui y est frappant, c’est que dès le début, il insiste sur une de ses anciennes positions : à ses yeux, même lorsque le peuple donnera directement le pouvoir, le parlementarisme est absolument nécessaire.

C’est très exactement la critique que fera Rosa Luxembourg à Lénine à la suite de la révolution russe de 1917. La principale erreur de la social-démocratie historique a été, en effet, une conception de la démocratie qu’elle opposait, non pas à la bourgeoisie comme le fit Lénine, mais à l’absolutisme.

Karl Kautsky bascula entièrement dans le fétiche de la « démocratie » comme principe indépendant des classes et rejeta la révolution russe. Rosa Luxembourg rejeta la position de Karl Kautsky en 1917, mais en en restant au point de vue de celui-ci à la fin du XIXe siècle.

Karl Kautsky

Dans son ouvrage de 1893, Karl Kautsky tente d’expliquer que la représentativité de type parlementaire est une constante historique. Il s’appuie, malheureusement, sur des réalités historiques particulières réelles, mais qu’il généralise, comme les rapports au sein des tribus franques, la démocratie des premières villes, avec la même interprétation de la démocratie comme « création continue » qui sera celle du révisionnisme moderne, à partir du milieu des années 1950.

Karl Kautsky transpose sa manière de voir le parti social-démocrate et sa presse – ce qui est pour lui la même chose, une perspective directement reprise par Lénine – dans sa manière de voir le parlement.

De la même manière que la direction du Parti dépend des congrès, le gouvernement dépend du parlement, qui peut surveiller qui plus est l’activité gouvernementale. De la même manière qu’au sein du Parti, il y a des discussions, une représentativité parlementaire permet de maintenir ce qui est pour Karl Kautsky la « démocratie ».

Ce point de vue contamina nécessairement sa conception de la révolution. En 1902, lorsque Karl Kautsky publia La révolution sociale, il refusa de distinguer la réforme de la révolution au niveau de la violence, car pour lui l’application d’une réforme peut passer par une violence administrative. Ce qui compte dans une révolution, c’est la prise du pouvoir par une classe sociale en renversant une autre.

Cela sous-tend qu’une révolution est forcément de nature politique. En ce sens, Karl Kautsky reste fermement sur le sol du marxisme, s’opposant radicalement à l’anarchisme et aux tendances réformistes dispersées, niant la centralité du Parti.

Par contre, et c’est le paradoxe, Karl Kautsky considère qu’on conserve le statut de révolutionnaire même si on veut prendre le pouvoir au moyen de réformes sociales.

« Non pas le fait de s’efforcer à des réformes sociales, mais la réduction explicite à ceux-ci, distingue le social-réformiste du social-révolutionnaire. »

Pour cette raison, Karl Kautsky n’hésite pas à affirmer qu’il espérait qu’en Angleterre, il y aurait un passage graduel, pacifique, au socialisme. Il reconnaît son erreur sur ce point, mais sans rejeter son approche de fond.

Il a, de fait, une certaine vision mécanique : à partir du moment où les contradictions de classe se renforcent alors que le camp prolétarien se renforce par la prolétarisation toujours plus vaste, alors la seule chose à éviter est la contamination par des tentatives bourgeoises ou petites-bourgeoises pour dévoyer le socialisme.

Karl Kautsky mentionne ici, il faut le noter, de manière régulière les tendances petites-bourgeoisies antisémites de type hystérique, qu’il voit comme un phénomène important en Allemagne et en Autriche.

En 1917, c’est la seule explication qu’il aura d’ailleurs, tout comme les gauchistes : puisque la révolution russe n’était pas conforme à leur manière de voir les choses, c’est qu’elle a été dévoyée par des couches sociales d’autres classes.

Car chez Karl Kautsky, le processus révolutionnaire est linéaire, grâce à ce qu’il considère être la nature de la démocratie. La révolution n’est pas possible sans la démocratie, car celle-ci permet l’organisation générale des masses, par le parti et les syndicats ; elle est pour le prolétariat « comme l’eau et la lumière pour l’organisme ».

Et le prolétariat toujours plus nombreux et organisé faisant face à une bourgeoisie toujours plus centralisant les institutions à son service, il y a alors une rupture, qui est la révolution.

Il y a donc un parallèle entre la démocratie et la révolution et au tout début du XXe siècle, Karl Kautsky peut donc faire l’éloge en ce sens de la Suisse qui, ayant une forme démocratique très avancée, lui apparaît comme le plus proche de la révolution.

Il en irait de même, selon lui, pour l’Angleterre et la France, tandis que l’Allemagne et l’Autriche, marquées par le militarisme et la monarchie, deviendront démocratiques uniquement par le socialisme, la bourgeoisie ayant « raté » son œuvre démocratique et passant pour ainsi dire son tour.

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Karl Kautsky et la grève de masses

Karl Kautsky considérait que la social-démocratie allait l’emporter de manière naturelle, submergeant le capitalisme pourrissant. Cette conception combinant mécanique historique et mouvement populaire se trouva relativement mise en défaut avec l’un des débats les plus importants dans la social-démocratie, celui de la grève de masses.

Il s’agissait d’une forme nouvelle, développé par le mouvement ouvrier belge, dans le cadre de la bataille pour le droit de vote, réservé à 44 000 personnes par la monarchie parlementaire née en 1830. Le Parti Ouvrier Belge en 1885 développa une ligne de masses aboutissant à de multiples grève politique de masse, en 1891, 1892, 1893, 1902 et 1913.

Karl Kautsky s’était, bien sûr, intéressé à la question belge, et voici comment il voyait les choses :

« Marx, en association avec Engels, vécut jusqu’en 1848 à Bruxelles. C’est là-bas qu’ils travaillèrent aux fondements de leur nouvel enseignement, c’est là-bas qu’ils réalisèrent le Manifeste communiste.

Dans la mesure où l’on veut qualifier un seul pays comme le pays d’origine du marxisme, la Belgique a le droit de réclamer cette dénomination pour elle.

Comme pays de transit, où se rencontraient les influences et idées allemandes, françaises, anglaises, la Belgique proposait le sol adéquat pour un enseignement international, qui unissait en une unité plus élevée la philosophie allemande, l’économie anglaise, l’esprit français de la révolution. »

Karl Kautsky voyait ainsi le mouvement belge comme combinant l’esprit volontaire français et la capacité allemande d’organisation. Il appréciait la grève de masses, qui faisait office d’équivalent social-démocrate à la « grève générale » des anarchistes.

La révolution russe de 1905 renforça de manière très profonde la signification de cette forme de lutte. Rosa Luxembourg fut alors connue comme l’ardente partisane de cette nouvelle forme.

Karl Kautsky défendit celle-ci contre la droite de la social-démocratie et en tant que théoricien de la social-démocratie, il consacra toute une série d’articles à la question, comme Et quoi maintenant ? (1910), Une nouvelle stratégie (1910), L’action des masses (1911), La nouvelle tactique (1912), rassemblant dans un grand dossier les différentes positions expliquées selon son point de vue dans La grève politique de masses (1914).

Il faut ici replacer les choses dans leur contexte, pour comprendre l’ampleur historique du débat.

La tactique social-démocrate développée à partir de la conception de Friedrich Engels à la fin de sa vie reposait sur l’accumulation des forces pour être en mesure de faire face à ce à quoi on s’oppose. Le prolétariat se renforçant et le Parti ne cessant de grandir, cela semblait la meilleure chose à faire.

Il existait différents courants – révisionnistes à la Eduard Bernstein, radicaux à la Rosa Luxembourg – mais tous savaient que cette tactique permettait une meilleure situation et par conséquent tous l’appuyaient.

Lors des initiatives belges et avec la révolution de 1905 en Russie, la grève de masses devint un grand thème de débat, cette forme de lutte se voyant ajoutée dans l’arsenal des méthodes possibles pour triompher.

Le principe de grève de masse existait au préalable, mais avait été façonné de manière anarchiste, en France et en Belgique, puis comme on le sait en Espagne ou encore en Italie.

Là où le prolétariat était trop faible politiquement pour s’organiser, avec peu ou pas de droits parlementaires, une forte pression de la paysannerie empêchant de toutes manières tout progrès électoral, etc., la grève de masse semblait être la solution idéale si l’on ne raisonnait pas en termes idéologiques et culturels.

L’anarchisme se précipita dans cette méthode ayant prétendument solution à tout, s’empêtrant ensuite devant les échecs en partie dans le terrorisme individuel pour avancer coûte que coûte. Une initiative créative, par contre, de nature politique, se développa justement en Belgique avec la social-démocratie lançant des grèves de masse pour obtenir le droit de vote.

Cela déclencha une vague de débats au sujet de cette méthode dans la social-démocratie internationale, qui sans reconnaître une utilisation offensive de ce type de luttes, ce qui reviendrait à de l’anarchisme, reconnut une valeur certaine à ce type de lutte.

L’expression social-démocrate de « grève de masse » impliquait un contenu politique, limité à des situations particulières, à l’opposé du principe anarchiste de « grève générale » insurrectionnelle.

Or, si Karl Kautsky défendit le principe de grève politique de masses, il ne comptait nullement considérer cette méthode comme un point d’appui pour réaliser la révolution en tant que telle, ce que firent par contre Rosa Luxembourg et Lénine, tous deux avec des différences cependant.

Karl Kautsky se voyait ici réduire la question de la grève politique de masses à une forme passive de lutte de classes.

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Karl Kautsky : la révolution comme évolution

Quel choix Karl Kautsky allait-il faire entre le communisme comme processus universel – la matière va au communisme – et le communisme comme processus social s’appuyant sur une base naturelle humaine seulement ?

En 1910, Karl Kautsky fait son choix avec La multiplication et le développement dans la nature et la société, où il assume un double combat : celui contre les partisans du libre-arbitre, celui contre les partisans d’assimiler la vie sociale de l’Humanité à une forme de vie végétale ou animale.

Il y fait une longue présentation de la réalité naturelle et de ses équilibres, de la question de la multiplication des êtres dans l’esprit de Thomas Malthus, et il présente l’Humanité comme perturbant précisément ces équilibres en raison des modes de production qu’il développe.

Karl Kautsky voit tout à fait que le capitalisme s’approprie tout ce qui peut l’être et que, pour cette raison, il aboutit à la destruction d’espèces animales. Il parle déjà de l’anéantissement des éléphants en Afrique.

Il parle même de la « destruction » provoquée par les chasseurs de « trophée », qui s’appuient sur un « amusement » produit par leur ennui et leur besoin de sensations fortes au service de leur « vanité ».

Il constate la formation d’abattoirs gigantesques, la capacité à détruire en quelques années une espèce, comme le bison en Amérique.

Toutefois, il n’accorde pas une importance en soi à ces phénomènes qu’il constate pourtant, qui sont en fait secondaire selon lui car le mode de production agit d’une certaine manière comme un bouleversement climatique.

Karl Kautsky considère donc qu’il y a le bouleversement de « l’équilibre » naturel, avec comme conséquence la destruction ou bien la multiplication de certaines espèces.

Les destructions liées au capitalisme ne sont que des restes d’approche parasitaire, propre aux féodaux, aux militaires, etc. Une approche réellement rationnelle raisonnerait en termes de prévision du futur.

Comme on le voit, c’est très exactement l’approche qui justifiera le refus de la révolution russe, au nom de l’État moderne qu’il suffirait de purifier des restes féodaux-militaristes pour qu’il soit démocratique, puisque les masses forment de toutes manières la majorité de la population.

Karl Kautsky raisonne en termes de civilisation, où les villes apportent l’esprit collectif, formant la collectivité démocratique. La ville abolit les consciences bornées, permettant d’avoir une vue générale et plus le capitalisme se développe donnant naissant aux forces productives, plus il permet à l’esprit de s’élargir.

Luise et Karl Kautsky.
Née Ronsperger, Luise fut assassinée
par les nazis à Auschwitz en 1944.

Il faut ici comprendre l’arrière-plan idéologique et pratique. Ce qui caractérise la social-démocratie, ce qui la distingue de l’anarchisme qui est l’autre courant existant alors dans le mouvement ouvrier, est la formation d’un parti politique. Ce dernier ne refuse pas de participer aux élections parlementaires : tout en n’y voyant pas de fin en soi, il considère que c’est une étape importante dans la bataille pour le pouvoir.

C’est la social-démocratie allemande qui a ici donné le ton et c’est donc Karl Kautsky qui en théorisa le principe. On le retrouve expliqué en 1893, dans l’article paru dans la Neue Zeit avec comme titre La législation directe par le peuple et la lutte des classes.

La logique de Karl Kautsky est la suivante : étant donné que dans un État moderne de taille importante l’activité politique se fonde au parlement, il n’y a pas de raison de penser que la vigueur de la lutte de classes ne permettrait pas d’y acquérir des points d’appuis pour sa propre lutte.

De toutes manières, aucun risque d’abandon de la lutte n’existe, puisqu’en Allemagne et en Autriche domine encore un régime militariste et monarchique, empêchant une réelle démocratie, rendant inévitable la révolution.

La bourgeoisie a été trop faible pour assumer la démocratie : c’est la social-démocratie qui va le faire. Karl Kautsky formule donc sa thèse suivante :

« Dans les années 50 et 60 [du 19e siècle], lorsque la bourgeoisie dominait de manière illimitée les parlements – dans la mesure où il y en avait – on pouvait penser que la lutte du prolétariat pour la domination politique serait une lutte pour détrôner le parlementarisme.

Aujourd’hui, on voit toujours plus que, au moins en Europe de l’Est, cela sera une lutte pour le parlementarisme, contre l’absolutisme et le militarisme.

De fait, en Europe à l’Est du Rhin la bourgeoisie est devenue tellement faible et peureuse qu’il apparaît que le régime des bureaucrates et des sabreurs ne pourra pas être brisé tant que le prolétariat n’est pas en mesure de conquérir le pouvoir politique, de telle manière que l’effondrement de l’absolutisme militaire conduire directement à la prise du pouvoir par le prolétariat.

Une chose est certaine : en Allemagne comme en Autriche, même dans la plupart des pays d’Europe, des préconditions nécessaires à un effet favorable de la législation, les institutions démocratiques exigées ne pourront plus être réalisés avant la victoire du prolétariat.

La législation populaire pourra peut-être réalisée auparavant aux Etats-Unis, en Angleterre et dans les colonies anglaises, sous certaines conditions en France jusqu’à un certain point – pour nous Européens de l’Est, cela appartient à l’inventaire de « l’État futur ». »

En définitive, la révolution n’est selon Karl Kautsky qu’une évolution ayant une nature révolutionnaire.

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Karl Kautsky, entre darwinisme et marxisme

Comment comprendre historiquement que Karl Kautsky ait été la grande figure de la social-démocratie, mais soit devenu ensuite ce que Lénine appellera un renégat?

La source de ce mystère tient bien entendu à la matrice idéologique même de Karl Kautsky. Le problème essentiel de celui-ci est la séparation complète qu’il réalise entre le matérialisme dialectique et le matérialisme historique. S’il reconnaît la dialectique dans la nature comme dans la société, il considère qu’il y a des modalités spécifiques, n’ayant pratiquement rien à voir.

Cela aura comme conséquence une lecture devenant toujours plus erronée du concept de mode de production.

L’un des tous premiers textes de Karl Kautsky fut ainsi La vivisection du prolétariat, écrit en 1881 à l’initiative de Friedrich Engels, qui l’a également aidé pour cela. Le texte dénonce le pseudo-humanisme bourgeois, qui met en avant dans une certaine mesure une protection animale ne servant qu’à masquer le caractère général réactionnaire de la société.

Le prolétariat lui-même subit, en quelque sorte, une « vivisection » et les demandes d’interdiction de celle-ci dans les sciences est donc « une sentimentalité fausse, unilatérale, hypocrite », un « symbole également du pourrissement de la bourgeoisie ».

Cependant, le ton général est, tout comme chez Friedrich Engels qui pratiquait la chasse à courre avec ses relations de commerce, une critique de droite de la protection animale. Et, de fait, Karl Kautsky passa totalement à côté de la question de la Nature, de la contradiction entre villes et campagnes.

Aux yeux de Karl Kautsky, le capitalisme permet l’émergence d’une civilisation, mais pas pour tout le monde. La révolution consisterait alors en l’appropriation par tout le monde de ce qui n’est pas pour tout le monde en raison de la propriété privée des moyens de production.

Le socialisme apparaît ici comme relevant d’une meilleure « sélection » non plus naturelle, mais historique, pour l’humanité.

Car, de fait, ce qui amène Karl Kautsky initialement au marxisme, c’est le darwinisme. Karl Kautsky est initialement quelqu’un se voulant matérialiste, par le darwinisme ; le marxisme lui fut étranger à l’initial et Karl Kautsky, s’il fit son autocritique, chercha pourtant toujours à combiner marxisme et darwinisme.

Ainsi, lorsqu’il mit en place la revue Die neue Zeit, en 1883, il demanda à Friedrich Engels de fournir un article sur Charles Darwin, afin de le publier dès le premier numéro.

Il demanda également des articles au botaniste suisse Arnold Dodel-Port, qui appartenait à l’Union moniste allemande, fondée par le scientifique Ernst Haeckel. Ce dernier était le plus progressiste des penseurs bourgeois, parvenant à une sorte de matérialisme de type naturaliste, sans saisie du fondement dialectique de la matière et de la nature.

Karl Kautsky admit lui-même qu’il n’avait rien compris initialement au Capital de Karl Marx et qu’il a dû attendre l’Anti-Dühring de Friedrich Engels pour saisir le marxisme.

De fait, le cœur du raisonnement de Karl Kautsky se fonde sur la question du mode de production dans sa définition la plus essentielle : celle de la reproduction de la vie réelle. C’est le processus d’existence qui l’intéresse, mais il l’interprète comme une « évolution » relevant d’un progrès parallèle à celui de l’évolution naturelle.

Son premier ouvrage, écrit en 1878 et publié seulement en 1880 en raison des lois anti-socialistes, fut ainsi L’influence de l’augmentation de la population sur le progrès de la société.

L’objectif de Karl Kautsky y est d’accepter le principe de la survie du plus adapté, ainsi que la théorie malthusienne de la surpopulation, pour les utiliser au service de la justification d’une humanité prenant conscience de sa situation et basculant dans la rationalisation, donc dans le socialisme.

Il s’évertue donc à récuser la conception malthusienne selon laquelle la misère est le produit de la surpopulation. Et, de fait, Karl Kautsky n’abandonnera jamais cette conception darwiniste d’une amélioration par la sélection, le socialisme lui apparaissant comme la conséquence logique d’une évolution où, pour ainsi dire, les capitalistes capitulent, s’effacent devant le mode de production supérieur.

Karl Kautsky

Le socialisme est, pour Karl Kautsky, l’abolition de la lutte pour l’existence, une société rationnelle s’arrachant à des conditions primitives, où les organismes s’ajustent à leur environnement par une meilleure organisation sociale.

Karl Kautsky a tenté ensuite de synthétiser son approche dans un long article intitulé Les pulsions sociales dans le monde animal, datant de 1883.

Y repoussant la perspective de considérer tout être vivant comme une réalité synthétique faisant elle-même partie de réalités synthétiques – selon le principe matérialiste dialectique de l’univers en oignon – Karl Kautsky voit en l’interaction le fruit du progrès, dans la mesure où l’unité est une « arme dans la lutte pour l’existence ».

Au lieu de voir la synthèse comme base du mouvement de la matière, Karl Kautsky développe une thématique biologique, où un concept de communauté, d’entraide, etc. serait une voie pour faciliter l’approvisionnement en nourriture, la défense face aux ennemis, etc.

Ce faisant, Karl Kautsky sépare nécessairement les différents plans de l’existence et arrive de ce fait à une sorte d’anthropocentrisme socialisant, où l’État apparaît comme une structure ultra-développée de socialisation démocratique permettant l’amélioration de l’existence par la mise en commun de la production et sa répartition idéale.

Toutefois, Karl Kautsky saisit bien la nature universelle du processus. Il cite des études montrant que les corbeaux freux nourrissent un des leurs blessés grièvement, ou bien encore l’histoire parisienne d’une hirondelle coincée par une fil sur une corniche du Collège des Quatre-Nations, aidée à se libérer par toutes les hirondelles entre le Pont-Neuf et celui des Tuileries.

Il arrive alors à une contradiction improductive, devant en cas d’erreur inévitablement l’amener à basculer dans le révisionnisme. Il devait être amené à choisir : soit assumer le mouvement universel de la matière au communisme – ce que fera le marxisme-léninisme en URSS avec Staline – soit maintenir une séparation fictive.

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Karl Kautsky face au révisionnisme de Bernstein

Karl Kautsky œuvra à une critique approfondie de la position d’Eduard Bernstein, qui apparut comme un « révisionnisme ». Il ne s’agissait pas de rejeter le fait que le socialisme scientifique devait progresser, que certaines affirmations de Karl Marx et Friedrich Engels apparaîtraient comme insuffisantes ou erronées : les progrès de la science seraient ininterrompus et il y aurait forcément des améliorations.

Cela tient – Karl Kautsky fait explicitement référence à Friedrich Engels – à ce que tous les phénomènes doivent être considérés comme des processus, et non comme des faits statiques. Leur base est l’unité des contraires.

Or, Eduard Bernstein rejette précisément cette réalité, considérant que la dialectique est une abstraction amenant Karl Marx à saborder sa propre analyse scientifique pour y forcer la découverte d’un but final, de tendances. Karl Marx aurait, selon Eduard Bernstein, tenté de prouver de manière meilleure les solutions proposées par les utopistes.

Karl Kautsky explique la chose suivante :

« Dans la littérature de la social-démocratie allemande, le livre de Eduard Bernstein forme le premier écrit à sensation.

Il est vrai que la femme de Bebel a laissé sur le plan du succès littéraire le reste de notre littéraire loin derrière elle, mais au sens strict ce ne fut pas un écrit à sensation. Qu’un social-démocrate écrive un livre social-démocrate, il n’y a rien de sensationnel là-dedans.

Toute autre est la situation quand un excellent social-démocrate, un des marxistes les plus « orthodoxes », écrit un livre où il brûle joyeusement tout ce qu’il a célébré jusque-là, et célèbre tout ce qu’il a jusque-là brûlé.

Oui, si l’on voulait critiquer Bernstein de manière complète, on devrait écrire toute une bibliothèque complète, car il considère que sa tâche consiste avant tout à poser des problèmes dont il laisse la solution aux autres.

De ce fait, l’écrit de Bernstein est un écrit d’occasion, un écrit à sensation, qui remue beaucoup de poussière en ce moment, mais dont l’effet prolongé n’a aucune base. Les critiques ne peuvent pas attendre des années pour écrire une contre-encyclopédie, elle doit être publiée le plus vite possible, si elle a un sens.

Auparavant, c’était chez les socialistes de chaire universitaire qu’on opposait le méchant Marx au brave Lassalle. Bernstein amène un changement sur ce point et oppose au méchant Marx un brave Marx.

Et il n’en reste pas là, il continue d’écrire, se chauffe toujours plus, devient plus batailleur et il se lance dans une troisième étape ; il ne reste alors plus rien du brave Marx, non, il se fait rejeté également dans sa forme la plus aboutie.

La direction du mouvement réel, explique Bernstein, est exactement opposé à celle prétendue par Marx (…).

Il y a trois objections que Bernstein soulève contre la théorie de Marx quant au mode de production capitaliste :

1. Le nombre de propriétaires ne baisse pas, mais augmente.

2. La petite production ne recule pas.

3. La probabilité de crises générales et dévastatrices est toujours plus réduite. »

Karl Kautsky s’évertua alors à défendre la thèse marxiste de la chute tendancielle du taux de profit. C’était là la base de la position orthodoxe et c’est en cela que Karl Kautsky fut valorisé par Lénine.

Toutefois, Karl Kautsky avait une tendance au mécanisme à ce niveau. En décembre 1893, il écrit les choses suivantes dans la Neue Zeit, dans l’article sur le « catéchisme social-démocrate » :

« La social-démocratie est un parti révolutionnaire, mais pas un parti faisant une révolution.

Nous savons que nos objectifs ne peuvent être atteints que par une révolution, mais nous savons aussi qu’il est aussi peu en notre pouvoir de faire cette révolution que pour nos opposants de l’empêcher.

Il ne nous vient donc pas à l’esprit de vouloir susciter ou préparer une révolution. »

La conception d’un Parti révolutionnaire, pas d’un Parti de la Révolution, a une source précise chez Karl Kautsky : sa compréhension du darwinisme.

>Sommaire du dossier

Karl Kautsky et le sens de la position d’Eduard Bernstein

Avant de voir quelle fut la position de Karl Kautsky quant aux thèses d’Eduard Bernstein, regardons comment celles-ci ont pu être comprises et soutenues.

En France, le théoricien syndicaliste-révolutionnaire Georges Sorel apprécia par exemple énormément cette dénonciation du marxisme. Voici ce qu’il écrit, dans une lettre au philosophe italien Benedetto Croce :

« Il faut que le socialisme marche dans la voie reconnue bonne par Bernstein ou qu’il devienne une simple scholastique. » 

Voici également comment, dans une lettre à Eduard Bernstein de mai 1898, Georges Sorel salue la conception de celui-ci. On notera que la première publication de cette lettre fut effectuée par Hubert Lagardelle en Italie fasciste, en 1933.

« Monsieur,

J’ai lu dans le Devenir social du mois d’avril 98 une analyse de l’article que vous avez publié dans la Neue Zeit (n° 18) 1 ; cet article est si important et concorde si exactement avec les résultats de mes propres recherches que je me permets de vous demander quelques explications, craignant de trop interpréter votre théorie dans un sens subjectif.

Les thèses fondamentales me semblent être les suivantes:

1) abandonner l’ancienne attente d’une catastrophe économique entraînant une crise politique ;

2) abandonner l’espoir de précipiter la ruine du capitalisme par la prise de possession du pouvoir, alors que l’étude scientifique montre que le capitalisme n’a nulle part achevé son œuvre ;

3) ne pas attacher d’importance aux formules qui définissent le but socialiste ;

4) actualiser le socialisme dans le cadre de la société actuelle, en élevant la classe ouvrière.

Dans un article que publie l’Humanité nouvelle (et dont je vous enverrai le tirage à part) je m’efforce de montrer que dans l’esprit de Marx cette actualisation du socialisme consiste à partir de la société de résistance pour développer une civilisation prolétarienne, capable de se substituer à la civilisation bourgeoise, sans lui emprunter sa forme traditionnelle ; le prolétariat ne devant pas imiter la bourgeoisie, comme celle-ci a trop imité la noblesse.

Cet article est publié tel qu’il a été écrit au mois d’août dernier. Depuis lors mes idées se sont encore développées. J’ai vu que les partis politiques arrivent à ne conserver du socialisme que des mots vides de sens: collectivisme et internationalisme sont devenus des banalités sans portée.

Et il est clair que pour Marx le socialisme n’était pas une théologie dogmatique, avec confessions approuvées en synodes, mais une manière de vivre la vie populaire en opposition avec la manière traditionnelle. »

Dans sa lettre, Georges Sorel demandait également à Eduard Bernstein si son refus du marxisme n’est pas, en fait, un retour au « vrai » Marx. Eduard Bernstein réfuta bien entendu cette assertion, et ne maintint d’ailleurs pas de lien avec Georges Sorel par la suite, celui-ci cherchant une « révolution » sans marxisme, alors que lui-même cherchait un marxisme sans révolution.

Voici, entre autres, ce qu’Eduard Bernstein répond à Georges Sorel :

« Je ne crois pas que nous soyons d’accord sur tous les points de la théorie et pratique marxistes, mais je crois que nous approchons ces questions dans le même état d’esprit. Etat d’esprit qu’on pourrait caractériser ainsi : acceptation des principes fondamentaux de la théorie, répudiation des conclusions hâtives et simplistes.

Pour moi, l’affixe « scientifique » au mot « socialisme » signifie une demande ou obligation, plus qu’une constatation.

Le socialisme n’est scientifique qu’à la condition qu’il renonce à donner la vérité finale, c’est-à-dire en tant qu’il reste recherche.

Le parti militant peu et doit de temps en temps mettre son programme en harmonie avec la marche de la recherche, mais comme représentant d’intérêts et force de lutte, il ne peut pas, à chaque moment donné, prétendre ou même aspirer à cet état libéral qui convient à la recherche scientifique (…).

Je cherche moins à remplacer la lutte que de la suppléer par des organisations capables de remédier aux tendances corruptrices de la politique. Et c’est pourquoi je suis de longtemps adhérent du mouvement syndical et depuis quelque temps aussi du mouvement coopératif.

Ceux-ci ont la tendance de développer le sentiment de responsabilité que la politique menace d’annihiler, et je suis assez loin du philistin ou du petit bourgeois pour craindre le jour où tout le monde s’en rapporte à l’Etat ou à la Commune comme les grand nourriciers du genre humain.

De l’autre côté, je me suis convaincu que la société moderne est beaucoup plus compliquée et composée que ne le supposait la théorie socialiste tirée des écrits de Marx et Engels. A côté des tendances et forces caractérisées par eux, il y en а d’autres assez fortes agissant dans une direction opposée.

Nous n’avons pas seulement à faire avec un mouvement de concentration économique, et même où il y a de cette concentration, il y a des différences de degrés et de résultats.

Par exemple, concentration d’industries ne dit pas toujours nivellement de la classe productrice. Au contraire, dans un établissement industriel moderne vous trouvez assez souvent plus de différenciation qu’on ne trouva dans l’usine manufacturière ou de métier.

En tout cas, même dans les pays les plus avancés, le nombre des établissements industriels (sans parler de l’agriculture) est encore si grand que ça serait une idée monstrueuse que de vouloir les diriger ou « administrer » pour le compte de la nation, représentée je ne sais par quel nombre de comités spéciaux.

Et que devrait être cette administration nationale de l’industrie dans une époque révolutionnaire, où toutes les convoitises sont excitées, toutes les passions déchaînées, toute discipline sapée, — je ne peux pas m’imaginer.

C’est pourquoi je me suis dit (et je me suis senti obligé de le dire publiquement) que si les choses ne vont pas à ce grand cataclysme social préconisé auparavant, ce ne sont pas les socialistes qui ont à s’en plaindre, et qu’il serait une grande faute de former notre programme d’action d’après cette vieille théorie de la catastrophe.

Et il va sans dire que si on laisse tomber cette idée, la force des choses mène à s’occuper plus des organisations économiques et industrielles de la classe ouvrière dans la société actuelle. »

On comprend, à la lecture de ces lignes, que dans une lettre à Eduard Bernstein, Jean Jaurès ait pu conclure en affirmant que :

« je suis, avec vous un socialiste démocrate. »

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Karl Kautsky et l’intervention d’Eduard Bernstein

Eduard Bernstein était un intellectuel qui, avec Karl Kautsky, était le plus proche de Friedrich Engels, dont il fut même l’exécuteur testamentaire. Son positionnement fut cependant totalement différent de celui de Kautsky et il provoqua une bataille idéologique dans les rangs de la social-démocratie allemande.

Eduard Bernstein savait tout à fait ce qu’est le marxisme. Il était tout à fait conscient, de manière pertinente, qu’il ne contient pas simplement un aspect économique, mais bien une base philosophique. Dans Les présupposés du socialisme et les tâches de la social-démocratie, la première partie de l’ouvrage est consacré à présenter la conception marxiste, on y lit, de manière juste :

« La question de la justesse de la conception matérialiste de l’histoire est la question de la nécessité historique et de leurs causes. Être matérialiste cela signifie de fait de ramener tout événément aux mouvements nécessaires de la matière.

Le mouvement de la matière, selon l’enseignement matérialiste, se complète avec la nécessité d’un processus mécanique. Aucun déroulement ne se pose ici sans avoir au préalable son effet nécessaire, aucune chose ne se déroule sans son origine matérielle.

C’est par conséquent le mouvement de la matière qui détermine la forme des idées et directions de la volonté, et ainsi celles-ci également et de ce fait tout événement dans le monde humain sont matériellement nécessaires.

Le matérialiste est ainsi un calviniste sans Dieu. »

Eduard Bernstein pensa cependant que cette conception était trop dogmatique, trop bornée, pas scientifique, car niant la spéculation nécessaire quant aux faits. Elle ne sert qu’à des intellectuels et n’est d’aucune utilité pour le prolétariat.

Ce dernier n’aurait, selon Eduard Bernstein, pas intérêt non plus à la révolution, qui déstabilise la production. Le principe d’objectif final serait de toutes manières un blocage aux mobilisations sociales, ce qui amène Eduard Bernstein à créer une formule résumant toute son approche :

« Le but, quel qu’il soit, n’est rien pour moi, le mouvement est tout. »

Eduard Bernstein

Pour résumer, Eduard Bernstein n’acceptait pas que le marxisme ait une prétention scientifique, avec un positionnement systématique. Il lança par conséquent une offensive pour tenter d’imposer son point de vue.

En 1899, il publia ainsi Le socialisme évolutionnaire, une critique du programme d’Erfurt, allant jusqu’à remettre en cause le marxisme.

Les années précédentes, il avait déjà formulé son point de vue dans une série d’articles de la Neue Zeit, intitulée Les problèmes du socialisme. Ces articles avaient déjà été dénoncées par Rosa Luxembourg, dans le Leipziger Volkszeitung (Journal du peuple de Leipzig), comme reflétant une position réformiste.

Eduard Bernstein y visait particulièrement le principe de la crise générale finale du capitalisme, considéré par le marxisme comme inévitable en raison du poids des contradictions. Selon le marxisme, en effet, la loi de la chute tendancielle du taux de profit va forcément de pair avec l’appauvrissement général des masses et la polarisation de la société, débouchant sur la révolution socialiste.

En tentant de mettre à mal cette thèse, considérée par le marxisme comme vraie autant qu’une loi naturelle, Eduard Bernstein cherchait à faire se lézarder tout l’édifice idéologique du marxisme. Voici comment il justifie sa remise en cause :

« [Refuser l’effondrement de la thèse du capitalisme] n’affaiblit aucunement la force de conviction de la pensée socialiste.

Car en examinant de plus près tous les facteurs d’élimination ou de modification des anciennes crises, nous constatons qu’ils sont tout simplement les prémisses ou même les germes de la socialisation de la production et de l’échange (…).

Un écroulement complet et à peu près général du système de production actuel est, du fait du développement croissant de la société, non pas plus probable, mais plus improbable, parce que celui-ci accroît d’une part, la capacité d’adaptation, et d’autre part – ou plutôt simultanément – la différenciation de l’industrie. »

Suivant Eduard Bernstein, il faut donc faire passer le poids central vers les syndicats, l’union des consommateurs, les revendications pratiques, la social-démocratie devant se focaliser sur la démocratie qui, si elle n’abolit pas les classes, abolirait la domination d’une classe par une autre.

Il n’est pas difficile de reconnaître ici les principales thèses du social-libéralisme, qui accompagne les progrès de la société, ce qui serait en soi le « socialisme ».

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Karl Kautsky contre le Millerandismus et le Jauressismus

La Revue des Deux Mondes accorda en 1904 son attention au congrès social-démocrate d’Amsterdam.

L’article de J. Bourdeau présente de manière très intéressante comment l’orthodoxie de la social-démocratie allemande avec Karl Kautsky posait un souci fondamental à la gauche française. En voici des extraits significatifs, où l’observateur amusé constate bien la différence totale d’approche.

De tous les Congrès socialistes internationaux, celui d’Amsterdam a provoqué en France le plus d’attention et soulevé le plus de polémiques.

C’est à peine si la presse anglaise en a fait mention. Les socialistes d’Amsterdam ont aussi peu excité la curiosité des Anglais, que s’il s’était agi d’une réunion cosmopolite de médecins ou de philosophes, bien que les socialistes se proposent non d’améliorer ou d’interpréter le monde, mais de le changer ; — c’est que les Anglais professent la plus parfaite indifférence pour les phrases et les théories.

Les socialistes du continent sont d’habiles metteurs en scène, et ils savent organiser leurs représentations théâtrales. Ils ont exhibé à Amsterdam un marxiste japonais, un parsi hindou, des révolutionnaires russes.

Afin de rendre sensible à tous les yeux l’éclatant contraste de la civilisation prolétarienne et de la barbarie capitaliste qui remplit l’Extrême-Orient de sang et de ruines, le citoyen Plekhanoff et le citoyen Sen Katayama se sont serré solennellement la main, au milieu des hurrahs et des trépignemens de l’assistance.

Mais le grand attrait d’Amsterdam, digne de rivaliser avec la coupe Gordon Bennett, ou le match des grands escrimeurs, fut le duel oratoire entre Bebel et M. Jaurès.

A tort ou à raison, on estimait qu’en France les résultats de cette lutte pouvaient causer une répercussion sur notre politique intérieure, et l’on en a discuté avec passion les résultats (…).

Le nombre des délégués ne correspond pas nécessairement à l’importance des groupes qui les ont envoyés à Amsterdam. Ces groupes sont unifiés dans certains pays, par exemple en Allemagne, en Belgique, en Hollande ; diversifiés dans d’autres, et parfois très hostiles.

Il suffit de citer, en France, les Guesdistes (parti socialiste de France), les Jauressistes (parti socialiste français), et les Allemanistes (parti ouvrier socialiste révolutionnaire).

En Russie le Bund (alliance des ouvriers juifs), le parti ouvrier social démocrate, et le parti socialiste révolutionnaire (terroriste), font, la plupart du temps, très mauvais ménage.

Les trois sections de la Pologne ne s’entendent pour ainsi dire jamais. Aux Etats-Unis, on compte trois organisations différentes ; en Angleterre, sept, qui ont envoyé au Congrès des délégations distinctes (…).

L’anarchisme est considéré par les socialistes, comme appartenant aux années de jeunesse, d’irréflexion, d’impulsivité, de gaminerie, d’espièglerie (Flegeljahre) du socialisme international. Années d’espièglerie ! ce mot charmant a été prononcé au Congrès d’Amsterdam.

Une autre maladie de croissance, en un sens tout opposé, s’est manifestée ces dernières années, avec une intensité toujours accrue : c’est l’opportunisme, le réformisme, le ministérialisme, que les Allemands expriment d’un mot : le Revisionnismus, la tendance à réviser la tactique et les principes fondamentaux.

C’est en France que la crise a éclaté avec le plus d’intensité, sous la forme aiguë du Millerandismus, d’abord, continuée et aggravée par le Jauressismus.

La conquête des pouvoirs publics par le bulletin de vote conduisait, comme conséquence nécessaire, à des coalitions au scrutin, à des alliances entre les socialistes et les partis démocratiques, à des combinaisons, à des compromis dans les assemblées, et atténuait l’opposition irréductible qui distingue le parti socialiste de tous les autres partis bourgeois.

Engels, le confident, le collaborateur de Karl Marx, avait annoncé cet accroissement de force et d’influence du socialisme, et, à côté des avantages, il prévoyait des difficultés.

Il écrivait en 1894 au socialiste italien Turati, qui le consultait sur la tactique socialiste : que le moment viendrait où les radicaux, pour se maintenir au pouvoir, solliciteraient le concours des socialistes, et leur offriraient des portefeuilles ; mais alors les socialistes, « toujours en minorité dans le cabinet, partageraient la responsabilité des actes d’un ministère bourgeois, et c’était là le plus grand des dangers, car leur présence dans le gouvernement diviserait la classe ouvrière, et paralyserait complètement l’action révolutionnaire. »

— Cette accession des socialistes au pouvoir devait avoir encore pour inconvénient de leur amener une foule de recrues douteuses, de coureurs de places, qui deviennent les plus fermes conservateurs de l’ordre établi, une fois qu’ils y participent fructueusement.

Karl Marx, dans une circulaire de l’Internationale du 21 juillet 1873, ne mettait-il pas déjà les travailleurs en garde contre tous « les avocats sans cause, les médecins sans malades et sans savoir, les étudians de billard, les journalistes de petite presse, » qui se présentaient en foule dans les partis socialistes, bien qu’ils n’eussent pas encore de profits à espérer.

Puis, c’était en France, comme l’écrivait encore Engels, une invasion de Normaliens : « ceux-ci considèrent l’Université comme une école de Saint-Cyr, destinée à fournir à l’armée socialiste ses officiers et ses généraux. »

Le socialisme parlementaire était ainsi menacé de devenir un socialisme de jour en jour plus embourgeoisé, et de perdre la confiance des classes ouvrières.

Sans doute, concluait Engels, nous serons obligés de passer par la république radicale avant d’arriver au socialisme ; les socialistes ont donc intérêt à soutenir les radicaux qui préparent la dernière étape, mais non à s’inféoder à eux, car le socialisme diffère du tout au tout de leur politique réformiste.

Les choses se sont exactement passées comme le prédisait Engels. M. Waldeck-Rousseau fit appel à M. Millerand. M. Millerand était le plus prudent des socialistes, mais aussi le plus dévié.

Il ajournait le collectivisme, il répudiait la lutte de classes, il considérait le socialisme comme synonyme de démocratie, de réformes et d’assurances ouvrières. Il siégeait à côté du général de Galliffet, vainqueur de la Commune.

Il saluait le tsar. Il endossait la responsabilité des fusillades de Châlon. L’émotion fut considérable parmi les ouvriers et les socialistes de tous les pays. Le « cas Millerand » fut soumis au Congrès de Paris en 1900.

Ce Parlement du prolétariat mondial fut appelé à trancher solennellement la question de savoir si, oui ou non, le parti socialiste était un parti de négociation, d’alliance, de paix, ou un parti de guerre vis-à-vis de la bourgeoisie.

Le Congrès se prononça pour la guerre. Mais, entre M. Guesde qui excluait toute participation ministérielle, et M. Jaurès qui prétendait faire de cette participation constante, à jet continu, la règle même du socialisme dans des Républiques comme la France, le Congrès adopta la célèbre motion Kautsky.

Cette motion déclarait tout d’abord contre les anarchistes : « que la conquête du pouvoir politique ne peut être le résultat d’un coup de main, mais bien d’un long et pénible travail d’organisation politique et économique. »

Puis, contre les réformistes ministériels, la motion disait : « que l’entrée d’un socialiste isolé dans un gouvernement bourgeois est une expérience dangereuse, un expédient forcé, transitoire, exceptionnel, une question à trancher dans chaque parti, dont le ministre socialiste doit toujours rester le mandataire. »

La tactique allemande dictait donc encore ses règles, au Congrès de 1900, comme aux précédens Congrès.

A l’occasion de ce vote, une scission se produisit dans le parti socialiste français mal unifié : chacun interpréta à sa manière l’oracle de M. Kautsky, jusqu’au jour où M. Millerand fut exclu de sa propre organisation et rejeté dans le camp radical.

Le réformisme n’est pas spécial à la France. Les deux tendances, révolutionnaire et réformiste, au début même du mouvement socialiste, s’incarnèrent en Marx et en Lassalle, et divisèrent le parti allemand en marxistes et en lassalliens.

Les deux sectes finirent par se fondre en un seul parti, mais les tendances subsistèrent et se firent jour, lorsque fut abrogée la loi contre les socialistes, dans d’ardentes polémiques entre Vollmar et la majorité du parti socialiste allemand. Vollmar préconisait la tactique d’alliance gouvernementale.

Il fut puissamment secondé par Bernstein, un marxiste de la première heure, qui révisa le marxisme, contesta les prétendues lois de Marx sur la paupérisation des masses, sur les crises catastrophiques, et appuya la nécessité d’un changement de tactique sur une critique des théories en harmonie avec l’observation des faits.

Si la société capitaliste ne marche pas à une catastrophe prochaine, destinée à ouvrir l’ère collectiviste, il s’agit de ne plus se laisser hypnotiser par le but final, mais bien de travaillera des réformes de chaque jour. Les classes ouvrières ne possèdent ni la maturité politique, ni la capacité industrielle.

Le socialisme consiste à les organiser, à les éduquer, à réaliser des progrès dans les institutions démocratiques, et non à exproprier la bourgeoisie.

Il s’agit donc de réviser en ce sens le programme et la tactique du parti socialiste.

Le révisionnisme ne fut d’abord qu’une opposition littéraire condamnée à chaque Congrès de la social-démocratie allemande.

Il prit figure de question pratique, au lendemain des dernières élections au Reichstag, quand se posa la question de savoir si les socialistes exigeraient un siège à la vice-présidence, au prix d’une visite obligée à Guillaume II, à ce même Empereur qui désignait les socialistes comme une cible à ses soldats.

Devant l’attitude du gouvernement, et au lendemain d’un triomphe électoral, n’était-ce pas pour les socialistes une humiliation, un aveu de faiblesse et d’impuissance, une trahison à l’égard de leurs électeurs, que de risquer une pareille démarche ?

La motion que Bebel et Kautsky firent voter au Congrès de Dresde, par la presque unanimité des délégués, devait couper court à ces premières velléités d’avances à la monarchie impériale.

« Le Congrès, disait cette motion, condamne de la façon la plus énergique les tentatives révisionnistes, tendant à changer notre tactique éprouvée et victorieuse, basée sur la lutte de classes, et à remplacer la conquête du pouvoir politique, de haute lutte contre la bourgeoisie, par une politique de concessions à l’ordre établi… Les antagonismes de classes, loin de diminuer, vont s’accentuant…

C’est pourquoi le Congrès déclare que la démocratie socialiste ne saurait viser à aucune participation au gouvernement dans la société bourgeoise, et ce conformément à l’ordre du jour Kautsky, voté au Congrès international de Paris en 1900. Enfin le Congrès compte que le groupe parlementaire se servira de sa puissance accrue, pour persévérer dans sa propagande pour le but final (l’expropriation de la bourgeoisie et l’établissement du collectivisme). »

Le révisionnisme ne se manifestait pas seulement en Allemagne. M. Turati s’en était fait le champion en Italie, et il eût peut-être accepté le portefeuille que lui offrait M. Giolitti, s’il n’avait eu à compter avec l’opposition des socialistes intransigeans révolutionnaires.

M. Turati fut condamné au Congrès de Bologne ; et le parti socialiste italien est menacé d’une scission, par le fait de M. Turati, que les révolutionnaires cherchent à retenir, tandis qu’il veut les quitter.

Les mêmes tendances révisionnistes se font jour en Belgique et en Autriche. Dans quelques-unes des vingt-deux petites républiques autonomes qui constituent les cantons suisses, le révisionnisme a conduit à la même expérience qu’en France, avec des Millerand et des Jaurès en miniature ; et les résultats en sont très discutés, très contestés entre socialistes.

A Genève, à Saint-Gall, à Berne, la participation au pouvoir cantonal calme l’ardeur des militans, met leurs capacités au service des finances bourgeoises, ou les rend complices de la répression dans les grèves. L’influence délétère du révisionnisme se fait sentir jusqu’à Tokio, où, au dire du citoyen Katayama, les professeurs, les universitaires sont des étatistes, qui cherchent à endormir le prolétariat et à sauver la bourgeoisie capitaliste par une politique réformiste.

Enfin c’est en France, avec M. Jaurès, que le révisionnisme a trouvé sa plus éclatante expression.

M. Jaurès, qui fut le conseil, l’appui de M. Millerand, tant que dura le ministère Waldeck-Rousseau, et son plus ardent défenseur, M. Jaurès a repris en l’aggravant la politique ministérielle, il a fait de son parti à la Chambre le ciment du bloc radical, il a couvert de son approbation et de ses votes tous les actes du ministère Combes.

La motion Kautsky, édictée par le Congrès international de 1900, trop élastique, trop « Kaoutchousky, » selon le mot d’un plaisant, était donc restée lettre morte ; il s’agissait de la reprendre et de la renforcer.

Il suffisait pour cela d’internationaliser la motion de Dresde, en la faisant ratifier par le Congrès d’Amsterdam. Telle est la proposition que présentait au Congrès le parti de M. Vaillant et de M. Guesde, lequel joue en France le rôle d’une sorte de nonce apostolique de M. Bebel et de M. Kautsky.

La question fut d’abord discutée au sein d’une commission nommée à cet effet, car les socialistes sont dressés, depuis nombre d’années, aux jeux parlementaires, et deviennent en vérité des virtuoses. Ce fut comme une répétition à huis clos de la grande scène attendue par le Congrès avec une impatience fébrile, répétition plus intéressante et plus passionnée que la pièce même.

Dans une salle assez étroite où se pressaient les délégués qui avaient vidé le Congrès, M. Jaurès, le représentant le plus autorisé de la nouvelle méthode, était assis, assisté de quelques fidèles.

Il avait en face de lui Minos et Rhadamanthe : M. Kautsky ; Mlle Rosa Luxembourg, révolutionnaire exaltée, qui brandit parfois, dans les Congrès allemands, la torche de la Commune ; Bebel, le « Kaiser » de la social-démocratie allemande ; puis M. Guesde et M. Vaillant, le continuateur de la tradition blanquiste.

Contrairement aux précédens Congrès, il n’y eut aucun tumulte. M. Kautsky fit d’abord remarquer à M. Jaurès que son cas était bien plus grave que celui de M. Millerand, qui ne gouvernait pas en qualité de mandataire de son parti.

La scène la plus vive se passa entre M. Guesde et M. Jaurès, à propos des résultats réciproques de leurs deux méthodes. M. Jaurès reprochait à M. Guesde d’avoir fait perdre au socialisme, par son intransigeance, la place forte de Lille, et M. Guesde rendit au contraire le bloc responsable de cet échec.

Il constata que toutes les candidatures des socialistes ministériels furent des candidatures officielles, à peu d’exceptions près. Devant la prétention de M. Jaurès d’avoir empêché la République de sombrer dans la tourmente nationaliste, M. Guesde douta que la République ait été en péril. Il opposa à la conception de M. Jaurès « que le socialisme sortira de la République, » la conception marxiste qui fait surgir le socialisme de l’évolution capitaliste.

Nous entendîmes Mlle Rosa Luxembourg s’étonner que M. Jaurès pût allier à une mine si florissante une si mauvaise conscience.

Elle se plut à constater à quel point M. Jaurès était isolé, rencontrant une opposition dans son propre parti.

M. Jaurès n’eut pour alliés que des Belges, M. Furnémont, surtout M. Anseele. Ce n’est pas un ministère que M. Anseele, l’habile directeur du Vooruit de Gand, réclame du roi des Belges, c’est deux ministères, trois ministères, tous les ministères : que les socialistes s’emparent de toutes les places de la bourgeoisie, il n’y a pas de meilleure tactique.. — L’attaque de M. Bebel et la contre-attaque de M. Jaurès remplirent deux longues séances de la commission et deux séances du Congrès.

M. Jaurès se déclara, avec force, partisan de la lutte de classes, de la destruction de la propriété privée.

Le fait pour le prolétariat de poursuivre son but par de violens combats, n’exclut pas l’alliance des radicaux bourgeois. Cette alliance a porté ses fruits. La République, l’instrument indispensable à l’émancipation prolétarienne, a été sauvée.

Les lois ouvrières ont abrégé le temps de travail ; les lois d’assurances, d’impôt sur le revenu, sont en préparation.

Des ministres, tel M. Pelletan, fraternisent avec les syndicats. En travaillant à la séparation de l’Église et de l’État, en établissant l’enseignement laïque, les socialistes alliés aux radicaux ne font que suivre la méthode indiquée par Blanqui, et qui consiste à révolutionner les têtes, avant de s’adresser aux bras. Attendez seulement, disait Blanqui à ses disciples, le résultat de vingt années d’école primaire sous la direction d’instituteurs démocrates ! Vous verrez les résultats.

— Passant ensuite à l’offensive, M. Jaurès reprocha aux socialistes allemands leurs prétentions, leur inaction, leur pusillanimité :

« Le suffrage universel vous a été octroyé par la grâce de Bismarck ; et vous vous le laisseriez reprendre en Allemagne, comme vous l’avez perdu en Saxe, sans oser remuer le doigt ! Après les élections au Reichstag, fiers de vos trois millions de voix, vous vous êtes écriés : « l’Empire est à nous ! le monde est à nous ! » Pure fanfaronnade ! vous n’avez rien fait, il n’y a rien de changé.

Vous cachez votre faiblesse et votre impuissance, en essayant d’en faire la loi de tous. Laissez donc chaque peuple déterminer sa tactique à sa guise, selon des circonstances particulières qui vous échappent. Votre motion de Dresde ne respire que cet esprit d’hésitation et de doute que vous cherchez à nous imposer. »

Et Bebel de riposter : « Eussiez-vous donc voulu qu’au lendemain des élections, nous prissions d’assaut le palais royal, pour ensuite déposer l’Empereur ?

Quand nous aurons obtenu huit millions de voix, nous saurons agir. Si nous avions les mains aussi libres que vous, nous obtiendrions bien d’autres résultats.

Vous avez amélioré les écoles, combattu le cléricalisme, par des moyens que nous n’approuvons pas toujours ; vous travaillez à la séparation de l’Eglise et de l’État, c’est fort bien.

Vous préparez des lois pour améliorer la condition des ouvriers ; nous approuvons des alliances passagères en vue d’obtenir ces résultats, mais non l’alliance durable entre la bourgeoisie et le prolétariat, car cette alliance est à l’avantage de la bourgeoisie. Je suis républicain, mais ne me vantez pas votre république bourgeoise. Je lui préférerais la monarchie prussienne. Les ouvriers sont écrasés, fusillés dans les grèves, en France, en Suisse, et en Amérique, comme ils ne l’ont jamais été chez nous.

Un député socialiste qui eût souscrit tacitement à l’envahissement d’une Bourse du travail, aux brutalités policières contre les militans ouvriers, un député socialiste qui aurait voté en cette circonstance le passage à l’ordre du jour, eût, dès le lendemain, payé sa félonie par la perte de son mandat.

Ce suffrage universel que vous vous vantez d’avoir conquis de haute lutte sur les barricades, vous fut donné par Napoléon III : votre République est un cadeau de Bismarck.

Vous vous vantiez, vous, Jaurès, d’avoir, au prix de votre popularité, en combattant le chauvinisme de la revanche, sauvé la paix du monde. Et vos amis votent le budget de la Guerre et de la Marine, les fonds secrets !… Autant de raisons pour lesquelles le Congrès doit fixer des règles à la politique socialiste internationale. »

Les deux conceptions contraires de la théorie et de la tactique socialistes s’exprimèrent par ces deux discours.

La doctrine marxiste, défendue par Bebel, considère les formes politiques comme subordonnées, et n’accorde d’importance qu’aux transformations économiques ; M. Jaurès attribue à la République bourgeoise la vertu mystérieuse de réaliser peu à peu le socialisme.

Il n’y a pas lieu de discuter les interprétations historiques de Bebel sur l’origine du suffrage universel et de la République, ni de comparer les avantages ou les inconvéniens de la forme républicaine et de la forme monarchique. D’autant que Bebel émettait un avis diamétralement opposé, il y a un an [5]. Une monarchie, en effet, comme l’écrit Kautsky, est un obstacle de plus à vaincre pour le prolétariat.

De là l’avantage d’une République. Mais sous une République, d’autre part, la haine de classe est plus développée, et la bourgeoisie est moins scrupuleuse : elle cherche à écraser brutalement le prolétariat, ou à le tromper et à le corrompre.

Mais la thèse de M. Bebel est parfaitement fondée, lorsqu’il constate que le progrès social n’a pas suivi en France le progrès politique.

Et c’est justement cette priorité du progrès politique qui a entravé le progrès social.

Sous la pression des masses populaires, le gouvernement de Louis-Philippe allait entreprendre des réformes ouvrières, lorsqu’il fut renversé par l’émeute. M. Emile Ollivier, à la fin de l’Empire, préparait des lois d’assurances que les classes populaires attendent encore.

Malgré 93, les journées de Juin, la Commune et la République, l’impôt sur le revenu, qui fonctionne en Prusse, en Suisse, en Angleterre, n’a pu s’installer en France.

Si l’on considère le degré de culture, d’organisation, des classes ouvrières, on voit l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique monarchiques primer de beaucoup la France républicaine. Sans doute, dans les pays monarchiques, les socialistes sont pour quelque chose dans ces résultats : M. de Bismarck disait qu’en Allemagne il n’y aurait pas eu de politique sociale sans la pression des socialistes.

Mais, très favorables aux classes ouvrières comme parti d’opposition, les socialistes deviennent un danger pour elles, lorsqu’ils participent au pouvoir.

L’idée socialiste ou plutôt marxiste, représentée par Bebel, c’est qu’il ne peut y avoir de concordat entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Les représentans du prolétariat ne doivent pas s’allier au pouvoir bourgeois d’une façon continue. Ils peuvent voter des réformes ; mais ces réformes, œuvre de la bourgeoisie, ne seront jamais de nature à satisfaire les ouvriers.

Toutes ces promesses qu’ils ont faites, les socialistes rallies ne sont pas capables de les tenir.

Après un siècle de luttes politiques, les socialistes partagent enfin la puissance gouvernementale avec les radicaux, et ils nous disent, par la bouche de M. Jaurès : « Nous allons dépasser tous les autres peuples ! Que seront les lois d’assurances allemandes, comparées aux nôtres, et l’impôt sur le revenu des pays monarchiques, auprès de l’impôt que nous allons établir ? »

Laissons le futur et tenons-nous au présent.

Le ministérialisme de M. Jaurès a eu pour effet de multiplier les grèves et de les rendre plus violentes, pour cette raison très simple que la présence des socialistes au pouvoir encourage les grèves, mais que les socialistes sont impuissans à les faire aboutir : de là vient la défiance des militans ouvriers contre l’action politique. On l’a constaté au Congrès : l’influence des anarchistes grandit dans les syndicats en France et en Suisse, où les socialistes sont associés au gouvernement.

Les projets de réforme semblent dérisoires, après tant d’espérances ; rappelez-vous le projet de retraites de M. Millerand, et l’hilarité qu’il suscita parmi les syndicats. Hé quoi ! la montagne collectiviste accouchait de cette souris réformiste.

M. Millerand pouvait, en qualité de radical, proposer une loi de retraites qui le rendait ridicule, en tant que socialiste, et il a été finalement exclu de son parti. Ce n’est pas avec les « petits profits » dont parlait M. Briand, que les socialistes au pouvoir apaiseront les masses déchaînées.

Le ministérialisme a donc pour conséquence nécessaire de favoriser l’action anarchiste. On l’a constaté maintes fois au Congrès.

Et c’est encore une des raisons pour lesquelles les Allemands, révolutionnaires, disciplinés, ordonnés, demandaient au Congrès de condamner la nouvelle méthode. Après avoir chassé les anarchistes, ils veulent écarter le ministérialisme qui manifestement accroît leur force de propagande.

Et le Congrès leur a donné raison. Il a d’abord rejeté, à égalité de voix, une motion transactionnelle dans la forme, rédigée par l’Autrichien Adler et le Belge Vandervelde, qui reproduisait le sens exact de la motion de Dresde, mais d’une façon adoucie, en limant à cette motion les dents et les ongles. Le Congrès l’eût votée, presque à l’unanimité, si M. Jaurès n’avait déclaré qu’il la voterait lui-même. On tenait à lui infliger un blâme.

La motion de Dresde, après une modification insignifiante de Bebel (la substitution du mot repousser au mot condamner), obtint 28 voix contre 5 et 42 abstentions. Bebel déclara que le succès dépassait ses espérances.

Il engagea les Français à oublier leurs querelles, à se tendre une main fraternelle, comme le Russe et le Japonais, à imiter les Allemands qui finirent par s’unir après huit ans d’injures et de controverses. Mais les mains de M. Guesde et de M. Jaurès ne se sont point rapprochées.

Les jauressistes ministériels sortirent du Congrès humiliés et offensés. Ils épiloguèrent sur le vote.

Ce vote s’obtient par nationalités, et chaque nationalité dispose de deux voix. Les petites nationalités comptent autant que les grandes. Les amis de M. Jaurès pesèrent donc ces voix, ce qui est contraire à l’esprit démocratique, qui écrase la qualité sous la quantité.

« Nous avions pour nous, disent-ils. tous les pays à self government démocratique, Angleterre, Belgique, Hollande, Pays Scandinaves, et contre nous des pays courbés sous le despotisme, comme l’Allemagne, dont les socialistes, très naturellement, mesurent leur intransigeance pour autrui à leur impuissance chez eux : cela démontre que l’autorité morale du Congrès s’est prononcée en notre faveur. »

Il se trouva que la voix du citoyen Katayama avait déterminé le rejet de la motion Adler-Vandervelde. M. Jaurès, allié du Japon capitaliste et guerrier, a été battu par le Japon socialiste : n’est-ce pas justice ?

M. Gérault-Richard, en qui l’on trouve l’expression d’un socialisme populaire, railla « l’unique Bulgare et l’unique Japonais qui cherchèrent à nous imposer la conception et la tactique à laquelle ils doivent leurs éclatans succès. »

Il ne s’embarrasse guère des décisions du Congrès, « simples paperasses qui enrichiront les archives des différens partis socialistes. » M. de Pressensé, avec le sérieux du protestantisme, déclare, au contraire, « avoir reçu à Amsterdam un avertissement, qui correspond aux convictions intimes et profondes de chacun de nous. »

Quant à M. Jaurès, il ne s’avouera jamais vaincu, ainsi qu’il convient à un stratège. La manœuvre de M. Guesde et de M. Vaillant a, d’après lui, complètement échoué.

De même qu’il avait jadis interprété en sa faveur la motion Kautsky, il découvre que la motion de Dresde ne le condamne pas. M. Jaurès s’est aperçu que, dans le texte français présenté au Congrès par M. Guesde et par M. Vaillant, cette motion avait été traduite faussement. Il y est dit « que la démocratie socialiste ne saurait accepter aucune participation au gouvernement de la société bourgeoise. »

Or, le texte de Dresde porte le mot erstreben, qui signifie viser à. Viser à un portefeuille ministériel, y tendre de tous ses efforts, y aspirer de toute son âme, n’a pas le même sens que l’accepter, contraint et forcé.

Vous pouvez, sous la pression des événemens, recevoir, la mort dans l’âme, un portefeuille auquel vous ne songiez pas.

Et la motion Kautsky, maintenue expressément par la motion de Dresde, vous autorise, ou plutôt ne vous interdit pas, d’entrer dans un ministère bourgeois, si les circonstances l’exigent et si votre parti l’autorise.

Le futur ministère de M. Jaurès est donc sauvé grâce à cette distinction entre l’esprit et la lettre, ou plutôt grâce à cette contradiction peut-être voulue (les théologiens tudesques sont si retors ! ), qui consiste à dire aux socialistes de partout : « Nous vous interdisons d’entrer dans un ministère bourgeois, conformément à la motion Kautsky (qui ne le défend pas). » C’est décréter l’intransigeance des principes et laisser à la tactique, toujours opportuniste, une porte dérobée.

M. Jaurès et ses amis ne considèrent donc pas qu’ils aient rien à changer à leur politique.

Ils ne se détacheront pas plus du bloc international que du bloc national, bien que la décision du Congrès les mette dans cette alternative de choisir entre les deux blocs. M. Jaurès a le plus grand intérêt à ne pas se séparer de l’Eglise socialiste universelle. De membre éminent de l’Internationale rouge, il serait rabaissé au rôle de simple directeur d’une agence de « chambardement. »

M. Jaurès, par ses attaques, a blessé les Allemands, très influens dans le socialisme international ; il aura donc à se débrouiller avec ses coreligionnaires d’outre-Vosges.

Comment d’ailleurs les socialistes pourraient-ils s’entendre ? Ils ne parlent pas la même langue. Les délégués ouvriers anglais ne comprenaient rien au Congrès.

Ils rejettent le shibboleth socialiste de la « lutte de classes, » qui n’exprime pas exactement, à leur sens, le conflit des intérêts économiques entre employeurs et employés. Pour eux, le socialisme consiste à gagner dix schellings par jour et à ne travailler que huit heures.

Les Français ne goûtent le socialisme qu’enguirlandé de phrases sonores : la Fraternité de l’avenir ! la République ! l’Émancipation du genre humain !

Les Allemands méprisent la rhétorique, construisent le socialisme sur la dialectique hégélienne, la conception matérialiste de l’histoire, l’infrastructure économique de la société, et autres formules alambiquées qu’ils démolissent ensuite, mais avec autant de logique.

En France, les polémiques entre socialistes vont se raviver. — Vous n’êtes pas socialistes, disent les guesdistes aux jauressistes ministériels. — Vous n’êtes pas républicains, ripostent ces derniers ; — et cela ne sera pas pour fortifier les guesdistes devant le corps électoral.

Le bureau international a offert ses bons offices, en vue de faire cesser ces divisions fratricides ; il s’est chargé de la mission délicate de réconcilier M. Guesde et M. Jaurès, mais aucun des deux partis ne semble préparé à une entente. Ce qui peut nous toucher de plus près, c’est que M. Jaurès, afin de se laver du soupçon de réformisme et de modérantisme, tentera peut-être d’accentuer, dans le sens socialiste, la politique du bloc.

En dernière analyse, le Congrès d’Amsterdam n’a guère pour nous d’autre intérêt que de nous faire assister à la querelle entre deux méthodes : celle de Bebel, qui consiste à attendre patiemment que le jeune Hercule soit devenu assez fort pour asséner à la société bourgeoise le coup de massue décisif, et celle de M. Jaurès, qui pratique l’art de Locuste, l’empoisonnement sûr à doses savamment graduées. A chacun de choisir, selon ses préférences, entre ces deux genres de mort.

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Karl Kautsky comme défenseur du matérialisme historique

Karl Kautsky était le défenseur du matérialisme historique, faisant tout pour populariser les thèses de Karl Marx et Friedrich Engels, reconnaissant entièrement que leur approche était scientifique et qu’il fallait se placer historiquement dans cette orientation. C’était le sens de son orthodoxie.

En 1887, Karl Kautsky publia ainsi un écrit sur les enseignements économiques de Karl Marx, qui sont à ses yeux la clef de voûte du marxisme et donc de la social-démocratie. A ses yeux, Le Capital compte comme une œuvre d’histoire et ce qui compte, c’est l’analyse objective de la réalité, en portant son attention sur le mode de production.

Si la social-démocratie allemande, autrichienne et tchèque forme alors sur cette base un mouvement abordant l’ensemble des thèmes sociaux, culturels, idéologiques, le noyau dur reste l’approche pour ainsi dire historiciste de Karl Kautsky.

En 1909, Karl Kautsky considérait ainsi comme absurde les débats sur Ernst Mach au sein de la social-démocratie, alors que Lénine, avec son fameux Matérialisme et empiriocriticisme publié la même année, y voyait une question capitale.

A l’opposé, sur le terrain de l’histoire, Karl Kautsky combat de manière virulente le révisionnisme et l’une des polémiques les plus fortes eut lieu à la suite de sa publication, en 1889, d’une série d’articles sur la révolution française dans la Neue Zeit, à l’occasion du centenaire de celle-ci.

Il cherchait toujours à replacer les figures historiques dans leur contexte, comme à l’occasion du centième anniversaire d’Arthur Schopenhauer, en 1888, où Karl Kautsky présenta l’auteur dans son contexe dans un article dans la Neue Zeit, où ce philosophe conservateur vit ses thèses anéanties.

La même année, Karl Kautsky écrivit une longue analyse sur Thomas More et son utopie. C’était d’une grande importance historique, car pour la première fois un disciple de Karl Marx et Friedrich Engels assumait leur méthode et commençait une analyse historique à partir de celle-ci.

Le choix de Thomas More ne doit rien au hasard et il faut l’associer à une œuvre que Karl Kautsky publiera en 1895 : Les précurseurs du socialisme le plus nouveau. Karl Kautsky y aborde la question de l’idée communiste dans l’Antiquité grecque, le christianisme primitif, la Réforme et l’Humanisme.

En effet, Karl Kautsky est tchèque et il est impossible de ne pas voir que son point de vue se situe résolument dans la perspective du hussitisme. L’incroyable vigueur du mouvement hussite développa des racines démocratiques dans tout le pays tchèque et il n’est pas difficile d’y voir l’une des sources historiques de la genèse du Parti Communiste de Tchécoslovaquie, qui proportionnellement à la population était le plus important numériquement dans l’histoire.

Tant en ce qui concerne le communisme utopique du passé que pour l’œuvre sur Thomas More, Karl Kautsky se focalise sur la période de l’humanisme, sur la rupture idéologique démocratique, pro-scientifique, anti-féodal.

Karl Kautsky

Karl Kautsky s’est particulièrement focalisé sur l’étude des mentalités en rapport avec le mode de production, ce qui est le propre du matérialisme historique authentique.

Il a porté son attention de manière approfondie sur les « hérétiques » d’Italie et du Sud de la France, sur le mouvement béguinal en Flandres, les lollards en Angleterre, les taborites en pays tchèque, Thomas Münzer en Allemagne, les anabaptistes.

Bien sûr, cette étude comprend également une présentation détaillée de la nature du travail dans l’artisanat, avec la question des corporations, du travail des mineurs, des tisserands.

Le plan de l’œuvre sur Thomas More est également significatif :

a) L’époque de l’humanisme et de la Réforme (les débuts du capitalisme et de l’État moderne, la propriété du sol, l’Église, l’humanisme)

b) Thomas More (ses biographes, Thomas More en tant qu’humaniste, Thomas More et le catholicisme, Thomas More en tant que politicien)

c) l’Utopie (Thomas More en tant qu’économiste et socialiste, la publication de l’oeuvre et ses traductions, le mode de production dans le roman, la famille dans le roman, la science et la religion dans le roman, l’objectif du roman)

Karl Kautsky profite ici du fait que les pays tchèques étaient au coeur de l’humanisme, formant la première forme d’hérésie religieuse triomphante et fournissant sa base au protestantisme, avec tout un réseau de villes s’appuyant sur un haut niveau culturel.

Par la suite, Karl Kautsky publiera également, en 1908, L’origine du christianisme. Là aussi, il s’agit d’une œuvre mettant en lien les considérations religieuses et la réalité du mode de production.

Karl Kautsky aborde le thème de la personnalité de Jésus, pour ensuite présenter la société à l’époque de l’Empire romain, le judaïsme comme religion avec aussi une présentation du royaume d’Israël initial et les différents courants existants par la suite, et enfin les débuts du christianisme.

On se situe ici dans la tradition matérialiste ouverte par Ludwig Feuerbach, valorisant la religion comme expression temporaire d’un progrès humain, à replacer dans son contexte.

Cette insistance sur la dimension révolutionnaire de la religion se situe dans le prolongement direct du fameux passage de Karl Marx sur « l’opium du peuple » et le travail de Friedrich Engels sur la guerre des paysans en Allemagne.

Avec Karl Kautsky, une tradition se forme : celle de l’analyse historique matérialiste en s’appuyant sur l’approche scientifique de l’histoire qu’est alors le marxisme.

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Karl Kautsky et le refus du républicanisme de Jean Jaurès

Karl Kautsky aborde de manière plus directe la question française dans La république et la social-démocratie en France, série d’articles publiée dans la Neue Zeit en 1904 et en 1905.

A l’arrière-plan, il y a l’opposition idéologique avec Jean Jaurès, qui a une conception de la République « au-delà » de la lutte des classes qui n’est pas considérée comme marxiste.

Tous deux ont d’ailleurs étudié la révolution française, Karl Kautsky publiant en 1899 Les antagonismes de classes à l’époque de la Révolution française. Jean Jaurès se positionnait à la base même contre Karl Kautsky et le marxisme.

En pratique, Karl Kautsky est pour la République ; dans ses écrits il mentionne souvent la Suisse, les États-Unis d’Amérique, l’Angleterre comme références démocratiques. Cependant, il y voit le cadre idéal pour développer au maximum la lutte des classes.

La forme républicaine permet plus aisément la révolution. Chez Jean Jaurès, par contre, la République atténue la lutte des classes, elle est déjà une forme qui dépasserait soi-disant les classes.

L’œuvre est donc une attaque frontale contre Jean Jaurès, accusé de prétendre qu’avec la révolution française une partie du prolétariat aurait été partie prenante de l’élan bourgeois démocratique, au point de pouvoir considérer le socialisme comme le prolongement et l’avènement complet du républicanisme.

Le mouvement ouvrier français a connu de nombreuses formes idéologiques plus ou moins liées au parcours de la Révolution française, avec sa dimension plébéienne, populaire, dont la grande figure est Gracchus Babeuf, qui fit mobiliser des secteurs populaires sous la bannière du jacobinisme.

Les grandes figures ayant tenté de réactiver, à différents niveaux, cette démarche furent Louis Blanc, Pierre-Joseph Proudhon, Auguste Blanqui. Le soutien populaire aux révolutions de 1830 et de 1848 est également à considérer dans cette perspective. Il a été réel, mais il n’a pas réalisé sa substance, que seul le socialisme peut concrétiser.

Or, la situation ayant totalement changé, le discours républicain ne vise désormais qu’à soutenir un régime pratiquant le colonialisme et une politique anti-ouvrière, où la haute finance, la bureaucratie, les corps d’officiers, les politiciens professionnels, etc. ont une main-mise sur les institutions.

L’ensemble est un compromis entre monarchistes et cléricaux d’un côté, bourgeois de l’autre. Il est donc absurde de chercher à soutenir la République en soutenant la bourgeoisie.

Karl Kautsky résume sa conception de la manière suivante, et on comprend ici tout de suite à quel point il a compris les modalités d’affirmation de la République en France comme régime autoritaire d’esprit monarchique avec sa figure incontournable du « chef ».

« Mais quelle est la base de la menace sur la république ? Il n’y aucune trace à trouver d’un prétendant monarchiste ou bien d’une poussée sérieuse visant à remplacer la république par la monarchie.

La république n’est menacée que par elle-même.

D’un côté, par sa constitution, qui est totalement monarchiste, comme nous l’avons vu, et qui formellement cherche à tout prix une figure personnelle à sa tête.

Ensuite, par sa politique capitaliste-agraire et sa corruption parlementaire.

C’est la déception quant à la république, qui a été saluée par le peuple travaillant comme la sauvant de la misère, qui la menace.

C’est pas en conservant la république capitaliste et sa corruption parlementaire, mais par sa transformation en une véritable république sociale, que cette déception sera supprimée.

Et ce n’est que par l’auto-administration et l’armement populaire qu’elle peut être assurée contre les coups d’État. »

Karl Kautsky parle donc de la « superstition républicaine » ; le ministérialisme, avec ses trahisons et sa corruption, a qui plus est renforcé les tendances anarchistes anti-politiques.

Par conséquent, Karl Kautsky rejette la ligne de Jean Jaurès, au nom de la révolution :

« La troisième république, telle qu’elle est, ne fournit pas le terrain pour l’émancipation, mais seulement pour l’oppression du prolétariat.

Ce n’est que lorsque l’État français sera réorganisé dans le sens de la constitution de la première république et de la Commune, qu’il deviendra la forme de la république, la forme étatique, pour laquelle le prolétariat a depuis onze décennies travaillé, pour laquelle il a versé son sang. »

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Karl Kautsky : une approche marxiste, à l’opposé d’en France

Karl Kautsky représente l’approche orthodoxe du marxisme ; à l’opposé d’en France, la direction de la social-démocratie reconnaît le marxisme comme science.

La différence est fondamentale entre le socialisme de type français, éclectique, anti-idéologique, Jean Jaurès lui-même n’ayant jamais formulé de corpus théorique, et le marxisme défendu par la social-démocratie allemande.

Karl Kautsky

En 1902, Karl Kautsky fit publier dans la Neue ZeitLa social-démocratie et l’Église catholique et c’est un document important, car Karl Kautsky l’a écrit à la demande de sociaux-démocrates français, qui à la même époque se retrouvent en plein dans la question de la laïcité.

Il permet de comprendre la différence de fond entre la social-démocratie authentique et le mouvement se définissant comme socialiste en France.

L’œuvre de Karl Kautsky se divise en trois parties, formant chacun un article : la religion et le clergé, la bourgeoisie et l’Église, le prolétariat et l’Église.

Karl Kautsky déplace, de fait, totalement la problématique, abordant ainsi la question de manière totalement différente de ce qui fut fait en France. Dans le premier article, Karl Kautsky constate qu’il faut distinguer la religion et le clergé, opposant ainsi la religion comme idéologie avec un double caractère, et le clergé qui s’est constitué de manière pyramidale, sur une base entièrement réactionnaire.

C’était déjà faire une distinction très claire entre la position allemande, marxiste, et l’anticléricalisme français, dont le visage est démasqué dans le second article.

Karl Kautsky y dresse un panorama complet du rapport entre la bourgeoisie et l’Église, un rapport relativement contradictoire dans la mesure où l’Église émerge comme force issue de la féodalité, posant une certaine concurrence à la bourgeoisie.

Mais cette concurrence est secondaire et Karl Kautsky les compare à un couple, dont les membres se chamaillent, mais ne peuvent pas se passer l’un de l’autre. Sa conclusion est alors sans appel :

« Conduire le prolétariat dans la lutte culturelle, au coude à coude, avec la bourgeoisie [contre l’Église], cela signifie induire en erreur sa poussée révolutionnaire et gaspiller pour quelque chose d’inutile sa force révolutionnaire.

Cela signifie lui faire miroiter comme un événement grand, rédempteur, l’empoignade de frères ennemis entre la bourgeoisie et l’Église, lui faire concentrer toutes ses forces sur une tâche d’où rien ne sortira et d’où rien ne peut sortir.

Car la bourgeoisie ne peut pas mener la lutte contre l’Église de manière victorieuse, en raison du fait qu’elle a besoin de l’Église ; en tant que force conservatrice, elle ne peut pas se permettre un acte révolutionnaire, que de toutes façons elle n’a pas su terminer lorsqu’elle était une force révolutionnaire [à l’époque de la révolution française].

Et la bourgeoisie et le prolétariat ne peuvent pas mener ensemble la lutte contre l’Église, parce que la situation de classe du prolétariat exige une toute autre politique par rapport à l’Église que la bourgeoisie. »

Karl Kautsky précise, dans son troisième article, quelle doit être cette politique. Il assimile l’Église à l’Armée et à la bureaucratie administrative : le socialisme devra faire avec, ne pouvant les supprimer directement, devant par conséquent les façonner de manière différente.

Car les masses ont besoin d’une armée pour se défendre face à une invasion, ainsi que d’une gestion professionnelle du pays, mais aussi d’une nourriture en quelque sorte spirituelle, que l’Église lui fournit.

Ce qui se passe en France est donc problématique pour Karl Kautsky : la bourgeoisie libérale veut mettre au pas l’Église, en fonctionnarisant sa fonction, là où la social-démocratie veut en faire quelque chose relevant du domaine privé.

Karl Kautsky relativise de plus l’importance des congrégations en France, soulignant que c’est la question de la production qui doit primer. Le déplacement de la question de l’appropriation vers une thématique religieuse est nocive ; Karl Kautsky mentionne également la déviation antisémite qui pourrait s’ouvrir par la suite.

De plus, les libres-penseurs et les franc-maçons sont d’un côté contre l’Église, mais de l’autre lui abandonnent les pauvres et les malades, c’est-à-dire ne luttent pas contre l’influence sociale de la religion.

Des secteurs de la petite-bourgeoisie basculent dans la religion pour avoir une vision du monde qui les rassure ou leur explique ce qui se passe et il s’agit de les gagner avec la lutte des classes.

En pratique, Karl Kautsky souligne que l’idéologie religieuse, dans l’imaginaire faussement progressiste qu’elle propose, se situe en concurrence avec la social-démocratie et qu’il s’agit donc de ne pas mener la même politique unilatérale que le libéralisme.

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Karl Kautsky, l’idéologue de la social-démocratie

Karl Kautsky est né à Prague le 16 octobre 1854. Sa famille appartient alors au milieu du théâtre ; sa mère est actrice et écrivain, son père peint dans les théâtres. Installée d’abord à Prague, ensuite à Vienne 1875, Karl Kautsky étudia à l’université de cette ville, jusqu’en 1878, dans les domaines de l’histoire, de la philosophie, de l’économie.

Influencé lors de ce parcours par un enseignant à la maison appartenant au hussitisme, il devint un démocrate radical, avant que la Commune de Paris ait un impact significatif sur lui, l’amenant au socialisme.

La lecture du Capital lui a semblé ardue, l’œuvre difficilement compréhensible et c’est l’Anti-Dühring qui l’amena dans les rangs sociaux-démocrates. Membre du Parti Social-démocrate d’Autriche, il en devint rapidement un journaliste et un conférencier.

Dans ce cadre, un de ses ouvrages sur la question de la croissance de la population attira l’attention de Karl Höchberg. Ce dernier, un Juif végétarien issu d’une riche famille, était devenu un mécène pour le jeune mouvement ouvrier allemand. Mettant l’accent sur la question de la faisabilité des mesures socialistes, il participait depuis la Suisse à la diffusion en Allemagne d’une presse d’esprit socialiste, alors que la loi allemande tentait au même moment d’interdire la social-démocratie allemande.

Karl Kautsky alla ainsi à Zurich, devenant un contributeur scientifique, rencontrant l’ensemble des dirigeants sociaux-démocrates, ainsi que Karl Marx et Friedrich Engels. Il fut très proche de ce dernier, lui rendant visite deux fois de manière très prolongée à Londres, y habitant entre 1885 et 1890.

Au cours de ce parcours, Karl Kautsky fonda a en 1883, la Neue Zeit, la Nouvelle époque. Ce journal mensuel puis hebdomadaire, publié à Stuttgart, n’était pas moins que l’organe scientifique de la social-démocratie allemande. En tant que rédacteur en chef, Karl Kautsky en fit le bastion du marxisme, diffusant sa pensée, l’étudiant minutieusement, prolongeant sa réflexion.

Le premier numéro de la Neue Zeit, en 1883.

La Neue Zeit parlait autant de politique, par des articles ou des tracts, qu’elle abordait les thèmes scientifiques par de longues études.

Karl Kautsky publia également les enseignements économiques de Karl Marx, qui à côté de l’Anti-Dühring de Friedrich Engels et du programme social-démocrate d’Erfurt de 1891 rédigé justement par Karl Kautsky, formaient le noyau dur de la formation des cadres du socialisme.

En 1892, Karl Kautsky publia, en tant qu’idéologue du Parti, une explication des fondements du programme d’Erfurt de la social-démocratie. Son ouvrage se divisait en cinq parties formant la base idéologique de la social-démocratie, sa base stratégique, témoignant de son approche.

Le premier chapitre est l’effondrement des petites entreprises. Les commerçants, les artisans, les marchands voient leur situation péricliter avec le développement du mode de production capitaliste.

Ne restent alors que deux classes, la classe ouvrière et la classe des capitalistes, chacune étant présentée dans un chapitre. Le prolétariat devient toujours plus important numériquement et sa part toujours plus importante dans la société.

Il dépend du travail salarié, alors qu’une partie forme l’armée de réserve, avec le chômage.

La bourgeoisie, quant à elle, est en quête de profit, mais la baisse tendancielle du taux de celui-ci précipitant la réduction toujours plus importante du nombre de capitalistes.

Les grands groupes capitalistes s’imposent toujours plus, parallèlement à la surproduction de marchandises et au gâchis.

C’est là ni plus ni moins qu’un résumé de ce que Karl Marx explique dans Le Capital. Karl Kautsky représente ici l’orthodoxie la plus nette.

Protocole du congrès du SPD de 1891,
où fut adopté le programme dit d’Erfurt.

Les quatrième et cinquième chapitres apportent eux les solutions politiques originales, propres à la social-démocratie, c’est-à-dire conformes au marxisme sur le plan théorique et en cherchant une voie dans la pratique.

Le chapitre sur « l’État du futur » expose la réalisation des exigences du marxisme. Il s’attarde à rejeter le principe des coopératives, forme déjà dépassée en raison du développement des forces productives, avec de grandes entreprises.

La socialisation est ainsi inévitable, alors qu’à l’arrière-plan le programme aborde la question de la guerre mondiale qui apparaîtra comme conséquence logique de la concurrence des nations capitalistes, à moins qu’une révolution ou la faillite d’un ou plusieurs États ne se produit.

La révolution n’est pas considérée comme devant être nécessairement sanglante, car la bourgeoisie est considérée comme basculant dans la faillite. L’État est considéré comme une forme se développant avec le mode de production capitaliste, mais sa nature spécifiquement liée à celui-ci n’est pas soulignée : l’État moderne est même présenté comme la forme adaptée au développement du socialisme.

L’État moderne se voit, de fait, dans l’obligation de régler les problèmes du capitalisme et il ne peut le faire qu’en assumant lui-même les monopoles.

Karl Kautsky rejette pourtant le « socialisme d’État », car il ne suffit pas que l’État nationalise pour que cela soit le socialisme. Pour cela, il faut que le prolétariat dirige cet État.

La question de la nature de la prise du pouvoir est, pour ainsi dire, secondaire, car de toutes manières le prolétariat se renforce et ne peut que prendre le dessus.

Karl Kautsky pose cette réalité en les termes suivants :

« Une persistance dans la civilisation capitaliste est impossible ; c’est soit l’avancée au socialisme, soit le recul dans la barbarie. »

A ce titre, Karl Kautsky insiste sur la question de la nationalisation des grandes entreprises : les commerçants et les paysans ne seront pas les cibles de celle-ci.

Une fois, en effet, les principales forces productives nationalisées, les petites entreprises seront aspirées par la tendance au progrès.

Version polonaise du programme
d’Erfurt du SPD, 1907.

Le chapitre sur « la lute des classes » aborde la question des couches sociales. Les classes possédantes n’ont rien à gagner au socialisme, par définition ; cela est valable pour les gens qui se placent entièrement à leur service, de manière obséquieuse.

Le lumpenproletariat s’assimile au mieux à la petite-bourgeoisie, ne cherchant qu’à se maintenir hors de la misère, à tout prix et avec un opportunisme le plus vil, formant une partie toujours plus importante de la société.

Les travailleurs salariés, au début de leur existence sociale historiquement, connaissaient de telles conditions ; ils étaient proches du lumpenproletariat. Cependant, avec le développement des forces productives, ils formèrent la classe ouvrière, avec un esprit de solidarité et de discipline.

Arrive alors la lutte, notamment avec le syndicat, et dans les travailleurs les plus combatifs se recrutent les éléments de la social-démocratie, qui suit les objectifs du Manifeste communiste.

Si les paysans et les petits-bourgeois sont aisément anti-parlementaires, anti-Etat, car ils ne peuvent pas concurrencer la bourgeoisie avec ses cadres politiques, tel n’est pas le cas du prolétariat.

La social-démocratie forme, en pratique, la structure politique permettant à la majorité de la société de triompher dans le cadre démocratique, arrachant le pouvoir à la bourgeoisie qui s’imaginait être la seule à pouvoir gérer l’État.

La social-démocratie est la fusion du socialisme en tant que théorie et du mouvement ouvrier. Il ne s’agit plus de revendications morales, mais d’une approche scientifique.

Cet aspect est international, de par le caractère international de la classe ouvrière.

>Sommaire du dossier

Karl Kautsky : l’importance historique

En France, quand on parle du marxisme, on se réfère aux œuvres de Karl Marx et on pense que le marxisme consiste précisément en ces œuvres. Ce point de vue est fondamentalement erroné et à lui s’associe une phrase de Karl Marx, mise hors contexte :

« Tout ce que je sais, moi, c’est que je ne suis pas marxiste. »

La réalité est toute autre. Historiquement, le marxisme n’a jamais consisté en les œuvres de Karl Marx, mais en l’interprétation des œuvres de Karl Marx et Friedrich Engels effectuée par Karl Kautsky dans le cadre de la social-démocratie allemande.

Ce point de vue est celui de tous les mouvements se réclamant du marxisme au début du XXe siècle, en Allemagne, en Autriche (avec également donc la partie tchèque), en Russie ainsi que dans les autres pays de l’est européen.

Les cadres de la social-démocratie belge, française, italienne le savaient également et leur refus du marxisme avait comme conséquence de les poser comme « fraction » à part dans la social-démocratie internationale.

Quant à la citation de Karl Marx censée prouver qu’il réfuterait le marxisme, elle est absolument tronquée. La voici placée dans son contexte, consistant en une lettre de Friedrich Engels à Conrad Schmidt, datée du 5 août 1890.

« La conception matérialiste de l’Histoire a maintenant, elle aussi, quantité d’amis de ce genre, à qui elle sert de prétexte pour ne pas étudier l’histoire.

C’est ainsi que Marx a dit des « marxistes » français de la fin des années 70 : «  Tout ce que je sais, c’est que je ne suis pas marxiste . » »

L’anecdote est également racontée par Friedrich Engels dans une lettre à Eduard Bernstein, datée du 2 novembre 1882 :

« Ce que l’on appelle « marxisme » en France est certes un article tout spécial, au point que Marx a dit à Lafargue : « Ce qu’il y a de certain, c’est que moi je ne suis pas marxiste ». »

Karl Marx et Friedrich Engels ont bien formulé une théorie générale qui s’appelle le marxisme, ce terme ayant été choisi pour désigner leur contribution à ce qu’eux-mêmes appelaient le socialisme scientifique.

Et le marxisme a été théorisé par Karl Kautsky, qui a fait office d’héritier historique. Karl Kautsky est le théoricien de la social-démocratie, son esprit même. Tout élément d’importance historique pour le mouvement passait par lui et il maîtrisait le marxisme de manière profonde, se posant comme éducateur inlassable, diffusant tous les aspects du marxisme.

Voici comment Lénine évalue Karl Kautsky dans La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky :

« Il ne faut pas oublier que Karl Kautsky connaît Marx presque par cœur; qu’à en juger par tous ses écrits, il dispose sur son bureau, ou dans sa tête, d’une série de casiers où il a réparti avec soin, pour pouvoir facilement faire usage des citations, tout ce que Marx a écrit. »

Lénine fut un disciple de Karl Kautsky et s’il l’a critiqué, c’est parce qu’il considère qu’il n’a pas été à la hauteur de lui-même. La conception léniniste de parti exprimée dans Que faire ? s’appuie entièrement sur la définition faite par Karl Kautsky de la conscience de classe et du rôle scientifique de l’avant-garde.

Même après qu’il ait critiqué Karl Kautsky, Lénine mentionnera inlassablement son rôle historique. Il le citera, il l’aura comme référence, tout en précisant chaque fois qu’auparavant, il avait tout à fait raison.

Voici ce que dit Lénine par exemple en 1917 dans son Rapport sur la Révolution de 1905 :

« Plus les vagues du mouvement prenaient d’ampleur, et plus énergiquement la réaction s’armait pour combattre la révolution.

La révolution russe de 1905 confirma ce que Karl Kautsky écrivait en 1902 dans son livre La Révolution sociale (Kautsky, soit dit en passant, était encore à cette époque un marxiste révolutionnaire et non, comme à présent, un défenseur des social-patriotes et des opportunistes).

Il disait :

« …La prochaine révolution… ressemblera moins à un soulèvement spontané contre le gouvernement et davantage à une guerre civile de longue durée. »

C’est bien ce qui arriva ! Et il en sera certainement ainsi au cours de la prochaine révolution en Europe ! »

Dans L’alliance des ouvriers avec les paysans travailleurs et exploités, écrit en 1917, Lénine mentionne Karl Kautsky de la manière suivante :

« Même Kautsky, alors qu’il était encore marxiste (de 1899 à 1909), a maintes fois reconnu que les mesures de transition vers le socialisme ne pouvaient être identiques dans le pays de grande et de petite agriculture. »

Dans La maladie infantile du communisme, Lénine explique la chose suivante :

« Bornons-nous à indiquer encore ceci: dans les temps très reculés où Kautsky était encore un marxiste, et non un renégat, en envisageant la question en historien, il prévoyait l’éventualité d’une situation dans laquelle l’esprit révolutionnaire du prolétariat russe devait servir de modèle pour l’Europe occidentale.

C’était en 1902; Kautsky publia dans l’Iskra révolutionnaire un article intitulé « Les Slaves et la révolution« . [Suit la longue citation de l’article.]

Karl Kautsky écrivait très bien il y a dix-huit ans! »

Voici un autre exemple, avec ce que dit Lénine dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme :

« Chez Kautsky et ses semblables, pareilles conceptions sont le reniement total des fondements révolutionnaires du marxisme, de ceux que cet auteur a défendus des dizaines d’années, plus spécialement dans la lutte contre l’opportunisme socialiste (de Bernstein, de Millerand, de Hyndman, de Gompers, etc.). »

Impossible de comprendre le marxisme sans Karl Kautsky. Impossible  non plus de comprendre Lénine sans Karl Kautsky.

L’ensemble du parti bolchevik a été façonné par les enseignements de Karl Kautsky.

Lénine raconte de la manière suivante l’impact de Karl Kautsky, dans L’Etat et la révolution :

« La littérature russe possède sans aucun doute infiniment plus de traductions des œuvres de Kautsky qu’aucune autre langue.

Ce n’est pas sans raison que certains social-démocrates allemands disent en plaisantant que Kautsky est lu en Russie plus qu’en Allemagne (soit dit entre parenthèses, il y a, dans cette boutade, une vérité historique autrement plus profonde que ne le soupçonnent ceux qui l’ont lancée, savoir: ayant commandé en 1905 une quantité extrêmement élevée, sans précédent, des meilleures oeuvres de la meilleure littérature social-démocrate du monde, et ayant reçu un nombre inusité dans les autres pays de traductions et d’éditions de ces oeuvres, les ouvriers russes ont, pour ainsi dire, transplanté de la sorte à un rythme accéléré, sur le jeune sol de notre mouvement prolétarien, l’expérience considérable d’un pays voisin plus avancé).

Kautsky est connu chez nous par son exposé populaire du marxisme, et surtout pour sa polémique contre les opportunistes, Bernstein en tête.

Il est cependant un fait à peu près ignoré, mais que l’on ne saurait passer sous silence si l’on s’assigne pour tâche d’analyser la façon dont Kautsky a pu glisser vers cette confusion d’idées incroyablement honteuse et vers la défense du social-chauvinisme au cours de la grande crise de 1914-1915.

Ce fait, c’est qu’avant de s’élever contre les représentants les plus en vue de l’opportunisme en France (Millerand et Jaurès) et en Allemagne (Bernstein), Kautsky avait manifesté de très grands flottements. »

Karl Kautsky est ainsi une figure incontournable de l’histoire du mouvement ouvrier.

>Sommaire du dossier

La paupérisation selon Marx : Karl Kautsky contre Eduard Bernstein

Au congrès de la social-démocratie allemande à Lübeck en septembre 1901, Karl Kautsky rappela la conception marxiste de la paupérisation. Il le fit à l’occasion d’un discours « contre les conceptions révisionnistes d’Eduard Bernstein », celui-ci caricaturant justement la question.

Le marxisme n’a jamais parlé d’une paupérisation générale de manière unilatérale, c’est Eduard Bernstein qui a accusé le marxisme de le faire.

Voici ce que dit Karl Kautsky à ce congrès, rappelant que le marxisme n’a donc jamais posé la question en ces termes :

« Qu’en est-il avec la théorie de la paupérisation ?

Elle dit que tout doit devenir plus difficile, avant que cela puisse aller mieux, que le prolétariat coule toujours davantage dans la misère, jusqu’à ce qu’il soit devenu toujours plus sans résistance, et qu’ensuite un grand jour de la libération fait irruption.

Camarades, cette théorie de la paupérisation a-t-elle déjà été partagé par qui que ce soit cherchant à attirer l’attention sur un aspect important ?

Certainement pas. Cette théorie de la paupérisation est réfutée depuis bien longtemps, et même par personne d’autre que Karl Marx dans son Capital.

Cette formule n’est à comprendre que comme tendance, et pas comme une vérité obligatoire ; il n’est à comprendre qu’ainsi : le capital doit aller dans le sens de former une situation toujours plus misérable au prolétariat, afin d’augmenter sa plus-value.

Cela est connu ; mais Marx lui-même a défini l’effet contraire, lui-même a été un combattant précurseur de la protection des travailleurs, un des premiers qui a fait remarquer l’importance des syndicats, quand les autres socialistes n’en voulaient rien savoir, déjà en 1847.

Il a donc montré que cette tendance est absolument nécessaire, mais qu’elle ne conduit pas de manière absolument nécessaire à la pression vers le bas de l’ouvrier.

Mais nous nous distinguons en cela des réformistes bourgeois, qu’eux croient que cette tendance peut être dépassée en elle-même, qu’une paix sociale peut être instaurée, un état, où le capital n’aurait pas à aller dans le sens d’une pression vers le bas de l’ouvrier. »

Karl Kautsky parle d’une opposition à la misère par le prolétariat en lutte, mais l’enjeu est bien plus grand et il l’avait alors bien vu. Il s’agit d’une misère sociale, pas d’une misère dans un sens étroit.

Voici, de manière plus approfondie, ce que dit Karl Kautsky dans un ouvrage de 1899, intitulé Bernstein et le programme social-démocrate.

Après avoir cité Eduard Bernstein, qui considère qu’il faut lire la question de la paupérisation chez Karl Marx comme une affirmation du caractère absolu de celle-ci, et donc erronée, Karl Kautsky défend la profondeur du point de vue de Karl Marx.

« [Bernstein affirme:] Dans son article sur l’effondrement, H. Cunow fait une telle tentative d’interprétation dans l’objectif de s’extirper.

Quand Marx, à la fin du premier livre du Capital, parle de la « masse croissante de la misère », qui émerge avec la continuation de la production capitaliste, alors ce ne serait pas, explique-t-il, à comprendre comme un simple un recul absolu de la situation économique d’existence de l’ouvrier, mais comme un « recul de sa situation sociale générale par rapport au développement culturel continu, c’est-à-dire par rapport à la productivité et l’accroissement des besoins culturels généraux. »

Le concept de misère n’est ici pas ancré de manière fixe.

[Bernstein cite de nouveau Cunow:] « Ce qui sépare, dans sa formation éducative, un ouvrier d’une catégorie précise d’un « seigneur du travail », et apparaît comme une condition souhaitable, peut avec un ouvrier qualifié d’une autre catégorie, qui est peut-être supérieur dans l’esprit à son « seigneur du travail », être considéré comme une telle quantité de « misère et de pression », l’amenant à se révolter par indignation » (Neue Zeit).

Malheureusement, Marx parle dans les phrases concernées non pas simplement de la masse grandissante de la misère, mais également « d’esclavage, d’abrutissement, d’exploitation ».

Devions-nous comprendre tous mots également dans un sens étroit ? Par exemple dire de l’abrutissement de l’ouvrier, qu’il n’est que relatif en comparaison à l’augmentation de la civilisation en général ?

Je ne suis pas enclin à cela et Cunow également pas. Non, Marx parle dans le passage concerné de manière tout à fait positive : « un nombre toujours plus restreint de magnats du capital » qui « usurpent tous les avantages » du processus de transformation capitaliste, et de « croissance de la masse de la misère, de la pression », etc. etc. (Le capital).

On peut tirer de cette comparaison la théorie de l’effondrement, pas le principe d’une misère morale par rapport à des supérieurs à l’esprit inférieur, comme on peut en trouver dans n’importe quel bureau d’études, dans toutes les organisations hiérarchiques. »

C’est ce que j’appelle toucher le point central de la question.

Bernstein fait subitement de la misère sociale, de la contradiction croissante entre les manière de subvenir à leurs besoins du bourgeois et du prolétaire la misère morale par rapport à des supérieurs à l’esprit inférieur, comme on peut en trouver dans les bureaux d’études, la misère morale du génie inconnu.

Considérer la misère comme un phénomène social, et non pas physique, c’est chez Bernstein tirer les mots dans un sens étroit.

Je rappelle ici le passage connu dans la réponse de Lassalle :

« Toute souffrance et privation humaine dépend uniquement du rapport des moyens de satisfaction aux besoins et aux habitudes de vie existant à la même époque.

Toute souffrance et privation humaines, et toutes les satisfactions humaines, c’est-à-dire toute situation humaine, n’est mesurée que par la comparaison avec la situation dans laquelle d’autres personnes de la même époque sont en rapport avec les nécessités habituelles de la vie.

Chaque position d’une classe est donc toujours mesurée uniquement par sa relation avec la position des autres classes du même temps. »

Rodbertus s’exprimait de la même manière déjà en 1850, dans sa première lettre sociale à von Kirchmann :

« La pauvreté est un concept social, c’est-à-dire relatif.

J’affirme en ce sens que les besoins légitimes des classes travailleuses, depuis qu’elles sont pris par ailleurs une position sociale plus élevée, ont considérablement augmenté et que ce ne serait pas juste, aujourd’hui, alors qu’elles ont pris position plus élevée, que de ne pas parler d’une aggravation de leur situation matérielle, même avec des salaires n’ayant pas changé…

Si on ajoute à cela, que l’augmentation de la richesse nationale est le moyen d’augmenter leur revenu, alors qu’elle n’est profitable qu’aux autres classes, alors il est clair que dans cette dichotomie entre réclamation et satisfaction, entre stimulus et renoncement forcé, la situation économique des classes travailleuses doit être rompue. »

Que Marx pensait pareillement, cela est clair lorsqu’on voit qu’il parle de l’augmentation de la misère dans Le capital, l’œuvre où il souligne tellement la renaissance physique de la classe ouvrière anglaise par les lois sur les usines.

Et Engels remarquait en 1891, l’année de la rédaction du programme d’Erfurt, que la contradiction entre capital et travail reposait sur le fait que la classe des capitalistes gardait pour elle la plus grande part de la masse croissante de produits, « alors que la partie revenant à la classe ouvrière (calculée par tête) ou bien ne s’accroît que très lentement et de façon insignifiante, ou bien reste stationnaire, ou bien encore, dans certaines circonstances, peut diminuer, non pas doit diminuer. » (Travail salarié et Capital [la traduction française est fautive, oubliant les derniers mots]) »

La chose est absolument claire : il n’y a pas de misérabilisme dans le marxisme.

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