Le rôle de l’argent selon Marx : l’argent du capitaliste disparaît pour mieux revenir

Le paradoxe de l’argent tel qu’il existe dans le capitalisme, et pour le capitaliste, c’est qu’il n’est pas tant un moyen d’échange ni d’achat que but en soi.

Il est en effet l’objectif du capitaliste, dans la mesure où il représente de la valeur, valeur arrachée aux travailleurs au moyen du surtravail.

Pour les travailleurs, l’argent permet l’accès aux marchandises, pour vivre ; pour les capitalistes, l’argent est le but de l’accumulation, au moyen de la production de type capitaliste.

Dans le cycle de cette production, il y a achat de force de travail, vente de marchandises, le tout répété, inlassablement, par le capitaliste, en toute conscience apparemment. Comme le formule Marx :

« Les transformations du capital, de marchandise en argent et d’argent en marchandise, sont en même temps des transactions du capitaliste, des actes d’achat et de vente. »

Or, ce qu’il faut constater, c’est que l’argent disparaît pendant un temps, dans le cycle argent – production de marchandises – argent.

Pourquoi cela ? Parce que l’argent apporté par le capitaliste est dépensé dans les salaires et dans les matières premières, l’achat de machines, leur entretien, etc.

Toutefois, il ne disparaît qu’en apparence. En effet et déjà, il aboutit à d’autres capitalistes puisqu’il est utilisé pour acheter d’autres marchandises, et aux travailleurs dont la force de travail est par ailleurs achetée, avec les salaires.

Donc cet argent repart dans le capitalisme ; c’est d’importance pour la circulation du capital, comme nous le verrons.

Ensuite, parce que si l’argent a disparu, en fait il est toujours là d’une certaine manière, car il va revenir, une fois les marchandises produites et vendues.

L’argent est en fait plutôt donc « bloqué » pendant la production – il est bloqué parce qu’il est censé revenir par la suite, si les marchandises produites sont par la suite effectivement vendues.

Marx résume cela ainsi :

« Le capital circulant variable [c’est-à-dire les salaires] dépensé pendant la production ne peut servir à nouveau dans le procès de circulation qu’autant que le produit, où sa valeur est incorporée [c’est-à-dire la marchandise], est vendu, converti de capital-marchandise en capital-argent, afin d’être re-déboursé pour le paiement de la force de travail.

Mais il en va de même du capital circulant constant (matières de production), qui est déboursé dans la production, et dont la valeur réapparaît comme fraction de valeur du produit [qui est composé des matières premières transformées]. »

On peut alors poser la question : cet argent est-il dépensé, du point de vue du capitaliste, ou non ?

On voit bien que non dans sa manière de réagir. Par exemple lorsqu’un capitaliste ferme simplement une usine et ne verse plus de salaires, car ce qu’il a en tête, ce n’est pas l’argent « dépensé » (et ayant donc une réalité sociale) réellement, mais bien la plus-value possible.

A ses yeux, l’argent reste toujours à lui, car il obtient des marchandises de l’argent fourni, et ces marchandises représentent un argent à venir.

En fait, en pratique donc, pour le capitaliste, l’argent n’est pas dépensé, il est avancé, car il revient (dans la mesure où il revient si la vente des marchandises a réussi, mais voyons ici le cas idéal).

Marx dit ainsi :

« La valeur-capital est simplement avancée, non dépensée, puisque, après avoir parcouru les différentes phases de son cycle, elle y revient à son point de départ, et elle y revient enrichie de plus-value.

Ainsi, elle présente le caractère d’une avance faite.

Le temps qui s’écoule entre le départ et le retour est le temps pour lequel ce capital est avancé. »

Marx appelle le temps de ce cycle, entre le départ et le retour, une « rotation. » C’est d’importance pour la circulation du capital, mais cela ne nous concerne pas directement ici.

Ce qui compte, c’est que l’argent du capitaliste passe donc par des cycles (leur temps de réalisation étant secondaire ici), c’est-à-dire qu’il disparaît pour revenir, tout en étant toujours là.

C’est bien entendu quelque chose d’étrange. Et ce n’est pas tout ! Car il faut toujours relancer le processus : le mouvement du capital se veut « éternel ».

Cela veut dire que pour le capitaliste, le capital apporté est là sans être là tout en étant là sans être là, etc., et qu’il s’agrandit, et ce dans un processus ininterrompu.

Telle est l’importance de l’argent dans le cycle de reproduction. Non seulement, il semble s’ajouter à lui-même, mais en plus il part pour mieux revenir, c’est-à-dire que dans les situations idéales, c’est comme s’il ne partait pas.

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Le rôle de l’argent selon Marx : l’argent, en apparence, s’ajoute à lui-même

L’argent est une réalité frappante dans le capitalisme. Il frappe l’imagination de par sa puissance ; la conscience est impressionnée par sa présence en tous les endroits.

L’argent est un moyen d’échange se présentant comme universel et en apparence, c’est lui qui ferait le capital et permettrait la richesse.

Voir les choses de cette manière est bien entendu incorrect ; ce n’est là qu’illusion. C’est le travail qui permet la richesse, l’argent n’est qu’un outil dans les mains du capital, il n’est pas toujours capital, et d’ailleurs il existait historiquement avant le capital.

Comprendre le capital et ne pas se limiter à voir l’argent est un point fondamental du matérialisme historique.

La grande difficulté historique est ici de voir le capital au-delà de l’argent : le petit-bourgeois s’arrête à l’argent, il ne voit pas le système capitaliste, le mode de production, et il a pour cette raison produit nombre d’anti-capitalismes romantiques, notamment et principalement l’antisémitisme.

En apparence, ce qui saute aux yeux, c’est effectivement le rapport capital => marchandise => capital. Et c’est vrai que :

« Aujourd’hui comme jadis, chaque capital nouveau entre en scène, c’est-à-dire sur le marché – marché des produits, marché du travail, marché de la monnaie – sous forme d’argent, d’argent qui, par des procédés spéciaux doit se transformer en capital. »

C’est en raison de cela qu’apparaît la vision du capitaliste avec son sac rempli d’argent, celle de l’oncle Picsou, du personnage symbolisant le jeu Monopoly, etc., mais aussi bien entendu les images nazis du « juif » vivant par et pour l’argent, parasite qui serait comme un vampire pour la société, etc.

Qu’est-ce que l’argent ? C’est un moyen simplifiant les échanges, pour dépasser le troc. Des pièces de monnaie, valant elles-mêmes quelque chose, sont utilisées comme intermédiaires, comme moyens d’échanges.

Historiquement, ces pièces ont elles-mêmes de la valeur, car elles sont faites d’or, d’argent, etc. Ces métaux précieux ayant une valeur, et étant donné qu’on peut les réduire en petite quantité aisément, ils ont pu jouer un rôle d’échange non seulement à l’intérieur des pays, mais même entre les pays.

Toutefois, l’argent utilisé dans le capitalisme correspond à quelque chose de plus profond qu’un simple moyen d’échange entre équivalents.

En effet, l’argent que le capitaliste utilise dans la production lui revient avec la vente des marchandises, et de manière plus grande qu’au départ. C’est là la dimension « magique » qu’on prête à l’argent dans le capitalisme, et qui s’appuie en réalité sur l’exploitation des travailleurs.

En apparence, le capitaliste arrive et paie des gens pour produire des marchandises, et vend ensuite celles-ci.

On en tire la conclusion, erronée, que comme on achète et on vend les marchandises de manière – en apparence – principale, c’est pour cela qu’on utilise l’argent pour payer les travailleurs, de manière – en apparence – secondaire.

Pour renforcer ce raisonnement, on constate également que l’argent existait avant l’apparition du capitaliste proposant de rémunérer des gens contre un travail. L’argent étant antérieur à l’existence du travailleur libre, celui-ci ne serait que le serviteur de celui-là.

Donc, l’argent serait ce qui compte ; la marchandise ne serait qu’un lieu de passage, le travailleur un personnage secondaire payé à son « juste prix », et le profit, en quelque sorte, miraculeux.

Le capitaliste qui investit « au bon endroit » deviendrait donc riche, grâce aux marchandises qui correspondraient à une « demande » et qui donc « partent comme des petits pains ».

Or, ce n’est pas ainsi que cela fonctionne, bien sûr. Comme nous l’avons vu, Marx a analysé le surtravail arraché par le capitaliste, lors de la production. Là est la source de richesse authentique.

De plus, le type d’échanges (par le troc ou bien l’argent) dépend du mode de production, et non l’inverse. La nature de l’argent est, dans le capitalisme, bien spécifique au mode de production. Comme l’affirme Marx :

« Au fur et à mesure que le travail se fait travail salarié, le producteur se fait capitaliste industriel ; c’est pourquoi la production capitaliste (et par suite la production marchande) n’apparaît avec toute son ampleur que le jour où le producteur agricole direct est un salarié.

C’est le rapport entre le capitaliste et le salarié qui fait du rapport monétaire, du rapport entre l’acheteur et le vendeur, un rapport immanent à la production même.

Mais ce rapport a son fondement dans le caractère social de la production, non du mode d’échange ; au contraire, c’est celui-ci qui résulte de celui-là.

C’est d’ailleurs le lot de la conception bourgeoise, pour laquelle tout se ramène à de bonnes petites affaires, de ne pas voir dans le caractère du mode de production le fondement du mode d’échange qui y correspond mais l’inverse. »

Le capitaliste entend arracher du surtravail, et pour cela il a besoin d’exploiter un travailleur libre et de revendre la marchandise derrière ; pour cette raison, l’argent est nécessaire.

Le capitaliste exploite le travailleur et partant de là lui extorque du travail non payé, lui permettant d’obtenir un capital plus grand à la fin de la production et de la vente.

En ce sens, l’avare perd là où le capitaliste gagne, car l’avare garde son argent, mais le capitaliste authentique a quant à lui de plus en plus d’argent.

Marx nous dit ainsi :

« La valeur d’usage [= l’utilité d’un bien] ne doit donc jamais être considérée comme le but immédiat du capitaliste, pas plus que le gain isolé, mais bien le mouvement incessant du gain toujours renouvelé.

Cette tendance absolue à l’enrichissement, cette chasse passionnée à la valeur d’échange lui sont communes avec le thésauriseur.

Mais tandis que celui-ci n’est qu’un capitaliste maniaque, le capitaliste est un thésauriseur rationnel.

La vie éternelle de la valeur que le thésauriseur croit s’assurer en sauvant l’argent des dangers de la circulation, plus habile, le capitaliste le gagne en lançant toujours de nouveau l’argent dans la circulation. »

Cela veut dire qu’en apparence, ce qui apparaît est simplement que l’argent s’ajoute à lui-même.

C’est comme si l’argent avait toujours existé et que certains avaient trouvé des sortes de chapeaux magiques où, lorsqu’on y jette de l’argent, davantage en ressort.

La réalité est toute autre.

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La loi de la baisse tendancielle du taux de profit selon Marx : les trois faits principaux de la production capitaliste

Voici, enfin, comment Karl Marx, traitant de la chute tendancielle du taux de profit, présente les principaux aspects du mode de production capitaliste :

« Trois faits principaux de la production capitaliste:

1. Concentration des moyens de production en peu de mains; ainsi ils cessent d’apparaître comme la propriété des ouvriers qui les utilisent directement et se transforment, au contraire, en puissances sociales de la production.

Mais, d’abord, ils apparaissent comme propriété privée des capitalistes.

Ceux-ci sont les trustees [syndics] de la société bourgeoise, mais ils empochent tous les fruits qui résultent de cette fonction.

2. Organisation du travail lui-même comme travail social: par la coopération, la division du travail et la liaison du travail et des sciences de la nature.

Dans les deux sens, le système de production capitaliste abolit la propriété privée et le travail privé, quoique sous des formes contradictoires.

3. Constitution du marché mondial.

Par rapport à la population, l’énorme force productive, qui se développe dans le cadre du mode de production capitaliste, et l’accroissement des valeurs-capital (pas seulement de leur substrat matériel), même s’il n’a pas lieu dans la même proportion, qui augmentent bien plus vite que la population, entrent en contradiction avec la base du profit de laquelle s’exerce cette énorme force productive et qui, relativement à l’accroissement de richesse, s’amenuise de plus en plus, et avec les conditions de mise en valeur de ce capital qui s’enfle sans cesse.

D’où les crises. »

Et voici comment Karl Marx présente la dimension historique de la chute tendancielle du taux de profit :

« Pour lui donner une expression tout à fait générale, voici en quoi consiste la contradiction : le système de production capitaliste implique une tendance à un développement absolu des forces productives, sans tenir compte de la valeur et de la plus-value que cette dernière recèle, ni non plus des rapports sociaux dans le cadre desquels a lieu la production capitaliste, tandis que, par ailleurs, le système a pour but la conservation de la valeur-capital existante et sa mise en valeur au degré maximum (c’est-à-dire un accroissement sans cesse accéléré de cette valeur).

Son caractère spécifique est fondé sur la valeur-capital existante considérée comme moyen de mettre en valeur au maximum cette valeur. Les méthodes par lesquelles la production capitaliste atteint ce but impliquent : diminution du taux de profit, dépréciation du capital existant et développement des forces productives du travail aux dépens de celles qui ont déjà été produites.

La dépréciation périodique du capital existant, qui est un moyen immanent au mode de production capitaliste, d’arrêter la baisse du taux de profit et d’accélérer l’accumulation de valeur-capital par la formation de capital neuf, perturbe les conditions données, dans lesquelles s’accomplissent les procès de circulation et de reproduction du capital, et, par suite, s’accompagne de brusques interruptions et de crises du procès de production.

La baisse relative du capital variable par rapport au capital constant, qui va de pair avec le développement des forces productives, stimule l’accroissement de la population ouvrière, tout en créant constamment une surpopulation artificielle.

L’accumulation du capital, au point de vue de sa valeur, est ralentie par la baisse du taux de profit, qui hâte encore l’accumulation de la valeur d’usage, tandis que celle-ci, à son tour, accélère le cours de l’accumulation, quant à sa valeur.

La production capitaliste tend sans cesse à dépasser ces limites qui lui sont immanentes, mais elle n’y parvient qu’en employant des moyens, qui, de nouveau, et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières.

La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même: le capital et sa mise en valeur par lui-même apparaissent comme point de départ et point final, moteur et fin de la production; la production n’est qu’une production pour le capital et non l’inverse: les moyens de production ne sont pas de simples moyens de donner forme, en l’élargissant sans cesse, au processus de la vie au bénéfice de la société des producteurs.

Les limites qui servent de cadre infranchissable à la conservation et la mise en valeur de la valeur-capital reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs; elles entrent donc sans cesse en contradiction avec les méthodes de production que le capital doit employer nécessairement pour sa propre fin, et qui tendent à promouvoir un accroissement illimité de la production, un développement inconditionné des forces productives sociales du travail, à faire de la production une fin en soi.

Le moyen – développement inconditionné de la productivité sociale – entre perpétuellement en conflit avec la fin limitée: mise en valeur du capital existant.

Si donc le mode de production capitaliste est un moyen historique de développer la force productive matérielle et de créer le marché mondial correspondant, il représente en même temps une contradiction permanente entre cette tâche historique et les rapports de production sociaux qui lui correspondent. »

Ces deux larges extraits résument tout à fait l’approche matérialiste dialectique de Karl Marx, qui a compris la dynamique du mode de production capitaliste, sa nature transitoire, son rôle historique, la nécessité de son dépassement.

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La loi de la baisse tendancielle du taux de profit selon Marx : chaos et surproduction

Comme on le sait, Lénine a théorisé que l’impérialisme était le stade suprême du capitalisme. Son raisonnement se fonde bien sûr directement sur les enseignements de Karl Marx.

Ce dernier a constaté, en effet, que la chute tendancielle du taux de profit ne donnait pas naissance qu’à des moyens « rationnels » de la contrecarrer, encore qu’on puisse parler de rationalité puisque la bourgeoisie ne comprend par définition strictement rien au mode de production capitaliste.

Le chaos prime également.

Voici ce qu’enseigne Karl Marx :

« Si le taux de mise en valeur du capital total, le taux de profit, est bien l’aiguillon de la production capitaliste (de même que la mise en valeur du capital est son unique fin), sa baisse ralentira la constitution de nouveaux capitaux autonomes et elle semble dès lors menacer le développement du procès de production capitaliste, elle favorise la surproduction, la spéculation, les crises, la constitution de capital excédentaire à côté d’une population en excédent. »

Ce n’est pas tout. Plus les forces productives se développent, plus est flagrante l’étroite base de la consommation. Le besoin de la socialisation de la production et de la consommation devient toujours plus frappant, en tant que besoin du communisme.

Il est facile de voir au XXIe siècle comment la haute technologie est appliquée à des choses inutiles, des gadgets ultra-technologiques pour la haute bourgeoisie, pour son apparence, son style de vie décadent, etc.

On peut se douter également, et on en revient ici à la question des monopoles, que plus le capital est fort, plus il est dirigé d’une main de fer, de manière centralisée. Comme le constate Karl Marx :

« La masse du profit augmente bien avec la grandeur du capital investi, même si le taux [de profit] est moins élevé. Mais ce fait entraîne en même temps une concentration du capital puisque les conditions de production commandent alors l’emploi de capitaux massifs.

Il conditionne aussi la centralisation, c’est-à-dire l’absorption des petits capitalistes par les gros et la décapitalisation des premiers. »

L’élévation des moyens de production va donc de pair avec une si haute productivité sociale que ce sont les monopoles qui prédominent. On comprend que les banques jouent historiquement un rôle central, de par leur fonction dans l’organisation du capital. Inévitablement le capital bancaire et le capital industriel s’entrecroisent à un moment.

C’est d’autant plus vrai que les petits capitalistes jouent sur la spéculation, mettant leur capital au service des vastes projets des grands capitalistes, tentant d’en grappiller une part de succès, c’est-à-dire de profits.

Imaginons également que le processus s’approfondisse tellement que les capitalistes ne sauraient plus où placer leur capital. On aurait alors une situation de surproduction de capital.

Dans le socialisme, ce capital serait redirigé socialement, mais cela ne saurait être le cas dans une économie où les moyens de production relèvent de la propriété privée. Cela renforce le chaos général et l’exportation des capitaux – ce que Lénine décrit dans son ouvrage sur l’impérialisme.

Karl Marx dit ainsi :

« Surproduction de capital ne signifie jamais autre chose que surproduction de moyens de production – moyens de travail et de subsistance – pouvant exercer la fonction d’être utilisés pour exploiter le travail à un degré d’exploitation donné; cependant que, si ce degré d’exploitation tombe au-dessous d’une certaine limite, cette chute provoque des perturbations et des arrêts de la production capitaliste, des crises, une destruction de capital.

Il n’y a pas de contradiction dans le fait que cette surproduction de capital s’accompagne d’une surpopulation relative plus ou moins grande.

Les mêmes circonstances qui ont augmenté la force productive du travail, multiplié la masse des produits-marchandises, élargi les marchés, accéléré l’accumulation du capital en masse et en valeur, et abaissé le taux de profit, ont donné naissance à une surpopulation relative et l’engendrent en permanence; les ouvriers en surnombre ne sont pas employés par le capital en excédent en raison du faible degré d’exploitation du travail auquel on pourrait seulement les employer, ou du moins en raison du faible taux de profit qu’ils fourniraient pour un degré d’exploitation donné.

Si on exporte des capitaux ce n’est pas qu’on ne puisse absolument les faire travailler dans le pays. C’est qu’on peut les faire travailler à l’étranger à un taux de profit plus élevé. »

Le mode de production capitaliste capitalise ainsi le travail, au lieu de le rendre utile, et produit des marchandises en trop, alors qu’en même temps les masses sont toujours plus appauvries.

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La loi de la baisse tendancielle du taux de profit selon Marx et la dimension tendancielle

Le capitalisme étend sa domination par l’accumulation de profits de manière toujours plus généralisée, mais en même temps il sape sa propre source de profits qui réside dans l’extorsion de la plus-value, car les prolétaires ont une part toujours moins grande dans la production des marchandises, en raison des progrès techniques.

Plus le capital grandit – et la tendance au monopole est inévitable – plus il met en branle de plus grands projets, avec plus d’ouvriers, élevant les moyens de production et sapant sa propre identité en tant que propriété privée.

Et plus il sape sa propre base, plus le capital s’agrandit pour lancer des projets encore plus grands, pour récupérer par là la plus-value qu’il pouvait obtenir auparavant avec des projets moins grands, en raison des moins grandes avancées techniques.

Il faut ainsi des projets capitalistes toujours plus grands pour tenter d’échapper à la baisse tendancielle du taux de profit.

Comme le dit Karl Marx :

« La tendance progressive à la baisse du taux de profit général est tout simplement une façon propre au mode de production capitaliste d’exprimer le progrès de la productivité sociale du travail. »

Et pour résumer encore une fois ce « paradoxe » dialectique :

« En somme à la basse relative du capital variable et du profit correspond une hausse absolue de l’un et de l’autre. »

Toutefois, pourquoi Karl Marx dit-il que cette baisse est progressive, ou plus précisément tendancielle ?

Il y a là un point important. En fait, la baisse du taux de profit est tendancielle, car elle ne dépend pas, en soi, du fait que par exemple davantage de prolétaires soient employés et exploités. Ce qui est en jeu, c’est le taux d’exploitation.

Or, les capitalistes tentent de contrecarrer la baisse des profits, grâce à de nombreux moyens, jouant précisément sur le taux d’exploitation.

Les capitalistes cherchent en effet à élever la production sans pour autant ajouter du capital. Pour cela, ils procèdent à des réorganisations du travail, à l’instauration de nouvelles méthodes de travail.

Comme exemples connus, il y a le taylorisme, le fordisme, le toyotisme, etc.

Les capitalistes cherchent à faire en sorte que le travail soit rationalisé, c’est-dire que le timing des activités soit le plus efficace possible, que les machines tournent mieux, que les équipes de travail soient mieux coordonnées, que les gestes soient plus rapides, etc.

Le travail est ici intensifié, sans investir du capital. La plus-value est alors plus grande : la chute du taux de profit est enrayé relativement, pour un temps.

A cela s’ajoute, bien sûr, le jeu sur la hausse des prix permettant, en n’augmentant pas les salaires, de baisser la valeur de ceux-ci. C’est autant de gagner pour les capitalistes. Il va de soi que dans les phases où le chômage est important, le chantage à l’emploi permet d’exercer une grande pression sur les salaires.

Un autre moyen est celui de faire en sorte que les marchandises aient un prix plus bas, augmentant alors les ventes. On sait ici comment les capitalistes spéculent sur les matières premières. A cela ajoutent également la chute des barrières douanières, ou encore la baisse des taxes, pour faciliter la vente des marchandises.

L’Union Européenne est ainsi directement née comme moyen de faire tomber les douanes ; aux Etats-Unis d’Amérique, l’absence de petites frontières dès le départ a facilité le développement du capitalisme. On comprend ici évidemment également pourquoi la bourgeoisie a soutenu historiquement la monarchie absolue, comme moyen de dépasser les barrières féodales.

Un dernier moyen consiste bien sûr à exporter du capital, dans des zones moins développées, afin de profiter du retard local pour organiser les conditions adéquates à l’extorsion de la plus-value.

Tout cela forme des freins relatifs à la chute du taux de profit, qui reste cependant inéluctable de par la contradiction même existant au sein du capitalisme existant entre la propriété privée des moyens de production et le haut niveau de la productivité sociale.

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La loi de la baisse tendancielle du taux de profit selon Marx : plus il y a d’ouvriers moins il y en a et inversement

En licenciant, les entreprises perdent la source de leur plus-value, et le taux de profit baisse, alors que pour les capitalistes le fait qu’il y ait des salaires en moins est censé renforcer les profits.

Cependant, cela ne se réalise pas mécaniquement. Karl Marx fait ici une précision très importante, qui peut semble paradoxale.

Il dit que non seulement il peut y avoir plus de prolétaires qui travaillent et baisse tendancielle du taux de profit, mais même que cela doit nécessairement être le cas dans le capitalisme, et que justement cela a un rapport direct avec la baisse tendancielle du taux de profit.

C’est étrange : comment se fait-il que, puisque le capitalisme licencie pour rogner sur les salaires, il y ait pourtant davantage de prolétaires ? Et comment cela pourrait-il être en lien direct, comme deux aspects du même processus ?

Ce qui joue, en effet, c’est le rapport entre la part des machines et des prolétaires dans le travail total. Mais pour qu’il y ait plus de machines, plus de perfectionnement, il faut plus de capitalisme, donc plus d’ouvriers.

En fait, plus il y a d’ouvriers, moins il y en a, et moins il y en a, plus il y en a, par le jeu du capitalisme. Expliquons cela.

Le capital investit par exemple 100 euros dans une entreprise de transformation du textile au Bangladesh. Le matériel et les machines coûtent 20 euros, le travail des ouvriers 80 euros. Seulement, en raison de la concurrence, de l’accumulation des moyens de production inhérents au capitalisme, le capital modifie le rapport entre les machines et les ouvriers.

Les machines coûtent alors, par exemple, 60 euros et les ouvriers 120 euros. Et le processus continue : plus la production est perfectionnée, plus la part d’utilisation de la main d’oeuvre humaine faiblit, et par conséquent la plus-value arrachée aux humains.

On peut intensifier le travail humain si on le veut, bloquer ou abaisser les salaires, c’est-dire renforcer l’exploitation, cela ne change rien : le capital investit 100, mais la partie « utile » pour les profits devient toujours plus petite.

Plus le capitalisme se modernise, plus la partie dédiée en réalité à arracher la plus-value aux humains se rétrécit. Le capitalisme est condamné à ne servir qu’à agrandir les moyens de production avant de disparaître.

Pourquoi, alors, y a-t-il toujours plus d’ouvriers ? Tout simplement parce qu’en se modernisant, il élargit la production de marchandises. Il y a une production toujours plus grande, toujours plus de biens produits, et par conséquent toujours plus d’ouvriers pour les produire.

Il se déroule ainsi un déséquilibre entre les branches les plus développées et celles qui sont plus arriérées. C’est cela qui explique l’explosion du nombre d’ouvriers en Chine et inversement la chute du nombre d’ouvriers en France, ce qui, dit ainsi, reste abstrait car ce n’est valable que pour certains secteurs : la prolétarisation se généralise également en France, car il y a reconversion des travailleurs dans d’autres secteurs.

Cette reconversion se déroulant dans le chaos capitaliste, cela présuppose le chômage, car les chômeurs sont l’armée de réserve industrielle du capital. Selon qu’il y ait plus ou moins de capital disponible selon les périodes, il y a plus ou moins de chômeurs, mais le chômage est inhérent au capitalisme.

Karl Marx note ainsi :

« De la nature du procès d’accumulation capitaliste – simple phase du procès de production capitaliste – il résulte tout naturellement que la masse accrue de moyens de production destinés à être convertis en capital a toujours sous la main une population ouvrière exploitable dont l’accroissement correspond au sien et même le dépasse.

A mesure que progressent les procès de production et d’accumulation, il faut donc que croisse la masse du surtravail appropriable et approprié et, par conséquent, la masse absolue du profit que s’approprie le capital social.

Mais ces mêmes lois régissant la production et l’accumulation font augmenter, avec sa masse, la valeur du capital constant selon une progression croissante plus rapide que celle du capital variable converti en travail vivant.

Donc, ce sont les mêmes lois qui entraînent pour le capital social une hausse absolue de la masse du profit, et une baisse du taux de celui-ci. »

Pour résumer, on pourrait dire ici que le capitalisme croît de manière quantitative et donc les profits, mais que le saut qualitatif consiste en l’effondrement du taux de celui-ci à chaque investissement.

Le capitalisme est alors dans une spirale négative : il produit toujours plus pour obtenir des profits, mais il peut en arracher toujours moins, et plus il bataille pour en arracher par la modernisation, plus il abaisse lui-même le taux de profit, la part d’exploitation concrète, dans l’investissement, ôtant le sol sous ses propres pieds.

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La loi de la baisse tendancielle du taux de profit selon Marx : profits et plus-value

La productivité sociale du travail est un critère essentiel. Pour une même exploitation – pour un même nombre d’heures non payées – le taux de plus-value peut être très différent.

Tout est une question de l’importance du capital investi, ainsi que sa forme. Prenons deux exemples bien différents :

a) Le premier est connu : un ouvrier du textile au Bangladesh est plus rentable qu’un ouvrier du textile en France, car le capital à investir pour la même production est plus grand en France, de par les conditions de travail, de sécurité, etc., sans parler du salaire.

Même si les deux ouvriers avaient le même salaire, le coût des machines, ateliers, etc. ferait que l’ouvrier en France serait moins rentable. La part du travail humain doit être la plus grande possible, comme on le voit.

b) Prenons un autre exemple. Un ouvrier de l’aéronautique en France est plus rentable qu’un ouvrier équivalent en Inde, car il est plus éduqué et peut faire fonctionner des machines plus puissantes et perfectionnées, amenant une production plus importante.

Les deux exemples donnés sont contradictoires : d’un côté, les capitalistes ont intérêt à exporter leur capital, de l’autre ils ont intérêt à ne pas le faire. Il y a à la fois toujours plus de hausse de productivité et, en même temps, toujours plus d’ouvriers.

C’est une contradiction – précisément au cœur du capitalisme, pour des raisons bien précises. Cela la bourgeoisie ne le voit pas et dit que les ouvriers sont de moins en moins.

Pourquoi cela ? Parce que les capitalistes sont prisonniers, dans leur conscience, d’un seul aspect du capitalisme.

Il se passe la chose suivante : la bataille pour les parts de marché fait qu’il y a bataille pour abaisser les coûts de production et à cela s’ajoute la nécessité pour le capital de toujours plus étendre ses profits.

Or, les capitalistes regardent donc sur quelles variables ils peuvent jouer. Ils voient ainsi qu’ils peuvent procéder à l’abaissement de la part de main d’oeuvre employée : ils veulent un nombre moindre de salaires à payer, pour obtenir cependant la même production ou une plus grande production.

La hausse de la productivité permet cela, et ils se disent qu’ils y gagnent… alors qu’en réalité ils perdent tout.

C’est ici que le problème est fatal pour le mode de production capitaliste. Car les profits ne trouvent pas leur source réelle dans le commerce des marchandises, mais dans l’exploitation du prolétariat. Cela les capitalistes ne le voient pas : ils s’imaginent que la production de marchandises et surtout leur vente suffit en soi à leur fournir les profits.

Cependant, employer moins de prolétariat en produisant autant, ce n’est pas se débarrasser de salaires, mais abaisser les profits. Voilà ce que les capitalistes ne voient pas.

Plus la partie du travail humain est faible dans la production, plus le travail qui est extorqué aux prolétaires est faible, et donc moins il y a de profits réels, car les véritables profits du capitaliste reposent sur l’extorsion de travail aux prolétaires, sur la plus-value.

Karl Marx dit ainsi :

« La loi de la baisse du taux de profit qui traduit un maintien du taux de plus-value ou même une hausse de ce dernier signifie en d’autres termes : étant donné une certaine quantité de capital social moyen, un capital de 100 par exemple, la fraction de celui-ci qui représente des moyens de travail ne cesse de croître et celle qui représente du travail vivant ne cesse de diminuer.

Mais, comme la masse totale du travail vivant ajouté aux moyens de production baisse par rapport à leur valeur, le travail non payé et la portion de valeur qui le représente baissent aussi par rapport à la valeur du capital total avancé.

Ou encore: une partie aliquote de plus en plus petite du capital total investi se convertit en travail vivant et ce capital total absorbe donc, proportionnellement à sa grandeur, toujours moins de surtravail, même si, ce qui est possible, dans le travail employé le rapport du travail non payé au travail payé vient à croître en même temps. »

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La loi de la baisse tendancielle du taux de profit selon Marx : la productivité sociale du travail

La « loi de la baisse tendancielle du taux de profit » est la pierre angulaire du Capital de Karl Marx. C’est la thèse essentielle, qui détermine toute la position du matérialisme dialectique sur le mode de production capitaliste.

Le débat autour de cette thèse a été à l’origine d’un grand débat au début du mouvement ouvrier, dans la social-démocratie. Le révisionnisme – qui révisait donc le marxisme – affirmait que cette thèse de Karl Marx précisément était fausse, que le capitalisme pouvait grandir sans crise et que donc les ouvriers pouvaient en profiter et faire le socialisme par des moyens pacifiques.

Inversement, il a toujours été au coeur du mouvement communiste de préserver la compréhension scientifique de cette loi qui, il faut bien le souligner, concerne une baisse du taux de profit qui est « tendancielle ».

Cela signifie que l’appauvrissement généralisé des masses, s’accélérant passé un certain cap d’accumulation du capital, ne se produit pas de manière unilatérale, ni de manière uniforme, même s’il est de fait inéluctable.

Quelle est la base de la question ? C’est celle de la définition même de ce qu’est le capital.

En fait, on connaît le principe selon lequel au départ une entreprise produit des biens à un prix élevé, puis ensuite les produit en quantité beaucoup plus grande, à un prix moins élevé. Sur le papier, l’entreprise gagne autant, ayant simplement transféré ses profits du principe qualitatif au principe quantitatif.

En réalité, les choses ne se déroulent pas de cette manière. Raisonner ainsi, c’est avoir en tête une démarche commerciale, pas une démarche capitaliste au sens strict.

Car qu’est-ce que le capital ? Le capital c’est du travail accumulé, sous la forme matérielle. Les moyens de production relèvent des capitalistes, pas de la société toute entière ; c’est le principe de la propriété privée des moyens de production.

Ce capital emploie du travail vivant, des travailleurs, dans des ateliers, des usines, etc. ; on appelle capital fixe ou constant les machines, les bâtiments, etc. et capital variable le travail vivant des travailleurs, plus ou moins employés par les capitalistes.

Le jeu, l’équilibre, le rapport entre ces deux aspects du capital forment précisément la dynamique dialectique du capital en général.

En effet, le capitalisme développe les moyens de production. Ce faisant, il modernise la société, toute la société : il ne produit pas que plus de marchandises, il produit également les moyens de les produire, il les perfectionne toujours davantage.

La société devient alors de plus en plus performante sur le plan des moyens de production. Toute se rejoint, se relie ; les progrès de certains secteurs profitent aux autres secteurs, comme par exemple la téléphonie, l’informatique, les transports, etc.

C’est, pour prendre une image, celle des robots qui remplacent les ouvriers dans l’usine. C’est la productivité qui augmente, sur tous les plans.

Karl Marx constate ce principe en disant :

« En utilisant plus de machines en général, en employant davantage de capital fixe, le même nombre d’ouvriers transforme en produits une plus grande quantité de matières premières et auxiliaires dans un même laps de temps – c’est-à-dire avec moins de travail. »

C’est là le point essentiel : l’accumulation du capital ne signifie pas uniquement l’accumulation de marchandises, mais également l’accumulation des moyens de production. C’est précisément là que le capitalisme joue un rôle historiquement utile, unifiant la force de travail pour élever le niveau des moyens de production.

Karl Marx appelle cela la « productivité sociale du travail », et s’il parle de la baisse tendancielle du taux de profit, c’est parce que celle-ci résulte de celle-là.

Il dit ainsi :

« La tendance progressive à la baisse du taux de profit général est tout simplement une façon propre au mode de production capitaliste d’exprimer le progrès de la productivité sociale du travail. »

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La circulation du capital selon Marx et la crise de surproduction comme inévitable conséquence

La circulation du capital a un aspect particulier qu’il y a lieu de comprendre pour saisir le processus général de surproduction.

En effet, le capitaliste peut renforcer son propre appareil productif au moyen du surtravail. Il y a alors un argent virtuel qui apparaît : virtuel, car il n’est pas présent, mais réel dans la mesure où il apparaîtra dans le prochain cycle, avec des marchandises plus nombreuses ou de meilleure qualité.

Ici, le surtravail a permis non pas de produire directement davantage de marchandises, mais de développer les moyens de production, et donc effectivement la production de marchandises, mais lors du prochain cycle.

C’est là d’ailleurs un point essentiel pour le « démarrage » de l’accumulation du capital, le passage de la reproduction simple à la reproduction élargie.

Mais c’est également un point essentiel pour comprendre comment historiquement le capital a pu utiliser la social-démocratie : en acceptant les syndicats institutionnels, le capital a renforcé sa modernisation, sa productivité.

Il ne faut pas perdre de vue que le capital n’est pas présent que dans les marchandises produites, il existe dans la production elle-même, dans l’usine, dans l’atelier. Il a besoin d’investir en quelque sorte en « lui-même », dans le processus de production.

Karl Marx souligne d’ailleurs ici que :

« Plus est grand le capital productif déjà en fonction dans un pays (y compris la force de travail qui lui est incorporée, génératrice de surproduit), plus sont développés la force productive du travail et par conséquent aussi les moyens techniques d’une extension rapide de la production de moyens de production – plus est grande, par conséquent, la masse du surproduit, tant en valeur qu’en masse de valeurs d’usage par lesquelles il est représenté. »

Et Karl Marx de mentionner le capital productif virtuel additionnel et le capital-argent virtuel additionnel. Alors intervient souvent ici le capital financier, qui prend une importance centrale.

Pourquoi cela ? Parce que le capital entend réaliser les possibilités de production accordées par davantage de capital productif virtuel additionnel et le capital-argent virtuel additionnel. Il a cependant souvent besoin d’un coup de pouce pour avancer en ce sens, par exemple en faisant appel à du capital à la bourse, ou bien en demandant un crédit à une banque.

Mais dans ce processus, il y a alors des capitalistes qui achètent sans vendre, d’autres qui vendent sans acheter. Il n’y a aucune harmonie, chaque capitaliste agissant selon ses propres besoins et ses propres perspectives.

Le fait que le capital fasse circuler l’argent selon ses propres besoins a donc un prix : la surproduction de capital et la surproduction de marchandises.

Dans une note du Capital (livre II), Karl Marx résume la chose de la manière suivante :

« Contradiction dans le mode de production capitaliste : les ouvriers, en tant qu’acheteurs de marchandises, sont importants pour le marché.

Mais à les considérer comme vendeurs de leur marchandise – la force de travail – la société capitaliste tend à les réduire au minimum du prix.

Autre contradiction : les époques où la production capitaliste met en œuvre toutes ses virtualités se révèlent régulièrement comme des époques de surproduction, parce que les virtualités de production ne peuvent jamais être utilisées suffisamment pour qu’il y ait non seulement production, mais encore réalisation d’une plus grande somme de valeur.

Au contraire, la vente des marchandises, la réalisation du capital-marchandise et, par conséquent aussi de la plus-value, est limitée non par les besoins de consommation de la société en général, mais par les besoins de consommation d’une société dont la grande majorité est toujours pauvre et condamnée à toujours le rester. »

Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement que la production n’est pas planifiée pour répondre à une consommation qui elle-même aurait comme fondement financier ce qui a été gagné dans la production.

Dans le capitalisme, la production est au contraire chaotique, les capitalistes plaçant leur capital selon leurs propres besoins, ce qui aboutit à une circulation du capital incohérente.

A cela s’ajoute que par la propriété privée des moyens de production, la consommation est restreinte, toujours plus restreinte, à une minorité.

Ainsi, les améliorations effectuées par le capitaliste de son propre appareil productif peuvent s’avérer vaines : c’est la surproduction de marchandises.

Ainsi, les améliorations effectuées par le capitaliste de son propre capital-argent, par la thésaurisation, la mise de côté d’argent, peuvent s’avérer vaines : c’est la surproduction de capital.

Tant la la surproduction de marchandises que la surproduction de capital se déroulent dans des cycles, à des moments donnés, cycles s’entrecroisant, s’enchevêtrant, s’emmêlant sans que jamais le capital ne puisse trouver une solution équilibrée.

C’est un élément essentiel de la crise générale du capitalisme.

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La circulation du capital selon Marx : le capital fait tourner l’argent à son compte

Ainsi, la circulation du capital passe par l’argent ; cet argent est jeté dans la circulation par le capital et par la consommation personnelle des capitalistes, mais également par la production directe d’or par certains capitalistes.

Dans tous les cas, amasser de l’or n’a pas de sens et ne relève pas du capital ; l’argent est un outil pour le capital.

Et, comme le dit Marx :

« La partie du produit annuel qui représente la plus-value sous forme de marchandise obéit tout à fait aux mêmes règles que l’autre partie du produit annuel.

Sa circulation exige une certaine une somme d’argent.

Cette somme appartient à la classe capitaliste au même titre que la masse de marchandises produite chaque année et représentant la plus-value. Personne d’autre que la classe capitaliste ne la jette, à l’origine, dans la circulation.

Grâce à la circulation elle-même, la répartition de cette masse se renouvelle sans trêve entre les capitalistes. »

Mais d’où vient la force grandissante du capitalisme ?

Est-ce seulement de la lente accumulation ? Justement, ce qu’il faut voir, c’est qu’à chaque étape de la circulation, le capital a davantage de moyens techniques, il sait mieux comment utiliser les forces de la nature.

Le capitalisme a donc tout intérêt à soutenir le progrès technique, les améliorations scientifiques.

Il faut noter toutefois un point important, expliqué comme suit par Marx :

« L’augmentation des forces productives du travail, si elle n’a pas pour condition une dépense supplémentaire de valeur-capital, n’accroît sans doute en première instance que la masse du produit, mais elle n’accroît pas sa valeur ; excepté dans la mesure où elle permet de reproduire une plus grande quantité de capital constant [c’est-à-dire du matériel productif : principalement les machines et matières premières] avec le même travail [c’est-à-dire que pour chaque force naturelle utilisée en plus, on a du travail en plus allant avec, pour le même nombre de travailleurs], donc de conserver sa valeur.

Mais en même temps, elle crée une nouvelle matière-capital, donc la base d’une accumulation accrue du capital. »

Lorsque le capitalisme augmente les forces productives, il peut avoir davantage de marchandises moins chères qu’auparavant ; en ce sens le capitaliste n’y gagne rien directement, à part par rapport à la concurrence.

Mais ce faisant, il inonde de davantage de marchandises, et celles-ci peuvent être intégrés dans d’autres processus productifs, qui tous servent les capitalistes.

Karl Marx note ainsi :

« Les cycles des capitaux individuels s’entrelacent, se supposent et se conditionnent les uns les autres et c’est précisément cet enchevêtrement qui constitue le mouvement de l’ensemble du capital social. »

Et il constate que :

« Ce sont précisément ces opérations d’achat et de vente qui font de façon générale circuler entre eux [les différents membres de la classe capitaliste] le seul argent nécessaire pour monnayer la plus-value. »

Ce qui l’amène à dire que :

« La foule regarde avec étonnement les masses accumulées, surtout quand elles sont concentrées entre les mains d’une poignée de gens…

Mais les masses produites annuellement, semblables aux flots éternels et innombrables d’un fleuve puissant, déferlent et se perdent dans l’océan oublié de la consommation.

Et cette consommation éternelle n’en commande pas moins toutes les jouissances, et même l’existence de tout le genre humain.

C’est à la quantité et à la répartition de ce produit annuel qu’il faudrait avant tout appliquer la réflexion. »

C’est ici que l’argent se montre bien comme simple outil pour arracher au travailleur individuel la plus-value ; l’argent nécessaire au travailleur individuel pour vivre est le moyen de le pressuriser, et cela à court terme, obligeant le travailleur à s’intégrer au processus de production capitaliste.

Sans salariat, pas de capital, tel est le sens de la circulation monétaire.

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La circulation du capital selon Marx : crédit et circulation métallique

La classe capitaliste consomme pour sa satisfaction personnelle, et cette consommation réinjecte de l’argent dans la circulation. Avant d’approfondir cette question, notons déjà un autre aspect qui est relié à cette question.

En effet, la production capitaliste est concurrentielle et technique, et les capitalistes s’achètent les uns aux autres du matériel afin de moderniser leur production. C’est quelque chose qui joue dans la manière dont le capital circule.

Nous allons étudier cet aspect, mais voyons d’abord ce qui manque pour que tout cela fonctionne : l’argent.

Si la plus-value se réalise par la vente des marchandises, alors forcément il y a accroissement du capital. Mais si l’argent est dans les mains des capitalistes à l’initial, d’où arrive l’argent en plus ?

Nous allons voir ici le point de vue de Marx, et revenir plus loin sur comment le capitalisme a modernisé cet aspect propre à l’accumulation du capital à l’initial.

Selon Karl Marx, ce qui se passe est logique : si des capitalistes retirent de l’argent de la circulation, alors d’autres en amènent. Il faut un équilibre, sinon cela ne saurait marcher.

Aussi Karl Marx nous dit-il :

« Lorsqu’une partie de la classe capitaliste jette donc dans la circulation une valeur-marchandise supérieure (du montant de la plus-value) au capital-argent avancé par elle, une autre partie de la classe capitaliste jette dans la circulation une valeur-argent supérieure (du montant de la plus-value) à la valeur-marchandise qu’elle enlève constamment de la circulation pour la production de l’or.

Alors que certains capitalistes pompent constamment dans la circulation plus d’argent qu’ils n’en projettent dans son cours, d’autres, les producteurs d’or, déversent constamment plus d’argent qu’ils n’en retirent sous forme de moyens de productions. »

Maintenant, nous faisons face à un problème essentiel. D’où vient l’argent ? En fait, on en revient à la question des métaux précieux. Ce sont eux qui font office d’argent.

Karl Marx nous enseigne ici :

« Si les marchandises supplémentaires qui doivent se convertir en argent trouvent la somme d’argent nécessaire, c’est que, d’autre part, l’on jette dans la circulation, non point par l’échange, mais par la production même, de l’or (et de l’argent) supplémentaire, qui doit se convertir en marchandises. »

Ce processus se déroule-t-il sans douleur ? Absolument pas. Le capital exige la frénésie, l’emballement, et ainsi :

« Toute l’essence du crédit, et de l’overtrading [sur-commerce] et de l’overspeculation [sur-spéculation] qui vont avec, repose sur la nécessité d’élargir et de sauter au-dessus les bornes de la circulation et de la sphère d’échange.

Cela apparaît comme davantage colossal, davantage classique en relation avec les peuples, plus que les individus. Ainsi, les Anglais ont été dans l’obligation de prêter à des nations étrangères, afin de les avoir comme customers [clients]. » (G).

C’est précisément ce point-là qui a induit en erreur Rosa Luxembourg. Rosa Luxembourg a constaté le caractère fondamentalement expansionniste du capital, et a considéré que cette « expansion » était le moteur du capital.

Or, il n’y a pas d’expansion pour le capital s’il n’y a pas de contenu capitaliste dans celle-ci. De fait, la plus-value concerne la production de biens de consommation, mais également la production de moyens de production.

La conception selon laquelle il faudrait forcément un marché étranger, un non-capitaliste à spolier, ne résoudrait rien à la question : d’où viendrait l’argent du non-capitaliste ?

Lénine, dans Pour caractériser le romantisme économique, se moque ainsi de cette fausse logique :

« Le romantique dit : les capitalistes ne peuvent consommer la plus-value et doivent par conséquent l’écouler à l’étranger. On se demande si les capitalistes ne donnent pas gratuitement leurs produits aux étrangers ou s’ils ne les jettent pas à la mer (…).

Mêler le commerce extérieur, l’exportation, au problème de la réalisation, c’est éluder la question en la reportant sur un terrain plus vaste, mais l’élucider en aucune façon (…).

Nous dirons plus : une théorie qui rattache le marché extérieur au problème de la réalisation de l’ensemble du produit social atteste non seulement une incompréhension de cette réalisation, mais encore une compréhension très superficielle des contradictions propres à cette réalisation… »

Et que nous explique alors Karl Marx, pour expliquer le besoin accru d’argent ? Tout simplement que :

« L’argent supplémentaire nécessaire à la circulation de cette masse de marchandises plus considérable qui a une plus grande valeur doit être fourni soit par une économie accentuée de la masse d’argent en circulation, – par la compensation des paiements, etc., ou encore par des mesures d’accélération de la circulation des mêmes pièces de monnaie, – soit par la transformation de l’argent de sa forme trésor en sa forme circulante. »

Naturellement, ici, le rôle des banques devient ici formidablement important. D’où cette affirmation franche de Marx :

« Ainsi se trouve résolue cette question absurde : la production capitaliste avec son volume actuel serait-elle possible sans le système du crédit (même en ne considérant ce système que de ce point de vue-ci), c’est-à-dire avec la seule circulation métallique ?

Évidemment non !

Elle se serait au contraire heurtée aux limites mêmes de la production des métaux précieux.

Mais, d’autre part, il ne faut pas se faire d’idées mystiques sur la vertu productive du crédit, en tant qu’il place à la disposition des intéressés du capital-argent ou le met en mouvement. »

Ceux qui auront ces idées mystiques, ce sont Pierre-Joseph Proudhon, les populistes russes, ou même Rosa Luxembourg, ou encore les conceptions idéalistes de type fasciste ; en réalité, l’argent n’est qu’un lieu de passage du capital, il n’est pas capital.

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La circulation du capital selon Marx et la question centrale de la provenance de la circulation

La question de la provenance des moyens de la circulation, de l’origine de l’argent circulant en plus à chaque cycle, est essentielle.

Comme dit précédemment, elle a été travaillée sans succès par les économistes classiques, par les populistes russes, par Rosa Luxembourg, etc.

La problématique se pose comme suit : on sait que lors de la production, les travailleurs font des heures qui sont payées pour certaines, et pas pour d’autres. Les marchandises vendues, le capitaliste obtient pour cette raison un capital plus grand qu’au départ.

Seulement, il faut bien des gens pour acheter ces marchandises. Si les capitalistes donnent tant de salaires, alors il y a tant dans la circulation d’argent. D’où alors vient l’argent en plus, permettant d’intégrer la plus-value dans le capital, sous forme d’argent ?

C’est une question évidente et d’une importance centrale. Imaginons que les capitalistes dans leur ensemble donnent, par exemple, 100 euros en salaires. D’où vient alors l’argent formant la plus-value, faisant que les capitalistes en ramènent 110 au bout d’un cycle ?

Ou comme le pose Karl Marx en étudiant cette question :

« Le problème, dans la mesure où peut y en avoir un ici, coïncide avec le problème général : d’où vient la somme d’argent indispensable à la circulation des marchandises dans un pays ? »

Il n’y a naturellement pas une infinité de raisons possibles (nous verrons plus loin les réponses erronées qui ont pu être données) ; il n’y en a en pratique, et dans l’immédiat pour la production capitaliste, hors échange entre pays, que trois.

Soit l’argent vient du capitaliste, soit l’argent en plus arrive par magie (ce à quoi revient les positions des économistes bourgeois), soit il provient de zones non capitalistes intégrées dans le capitalisme (ce qui est, entre autres, la thèse erronée de Rosa Luxembourg, dans son ouvrage de 600 pages « L’accumulation du capital »).

C’est par cette question que s’introduit le romantisme, qui « regrette » la période où le grand capitalisme n’avait pas « ruiné » les petits producteurs, n’avait pas « corrompu » les traditions, etc.

C’est par cette question que le romantisme dénonce le capital financier, qui produirait un argent « fictif », alors que le capital industriel, quant à lui, produirait « vraiment ».

Karl Marx, de manière fort juste, en reste au capitalisme en tant que tel, au mode de production capitaliste, et constate la chose suivante qui en découle :

« Nous n’avons, dès lors, que deux points de départ : le capitaliste et l’ouvrier (…).

Quant à l’ouvrier, il n’est, nous l’avons déjà dit, que le point de départ secondaire, tandis que le capitaliste est le point de départ primaire de l’argent jeté dans la circulation par l’ouvrier.

L’argent, d’abord avancé comme capital variable, accomplit déjà sa deuxième circulation quand l’ouvrier le dépense pour payer des moyens de subsistance.

La classe capitaliste reste donc le seul point de départ de la circulation de l’argent. »

Le travailleur est payé par le capitaliste, ce qui fait que le travailleur n’a d’argent que par le capitaliste. L’argent « en plus » à chaque cycle doit donc, en toute logique, venir du capitaliste lui-même.

C’est la réponse de Karl Marx, qui explique que :

« En effet, quelque paradoxal que cela puisse sembler de prime abord, c’est la classe capitaliste elle-même qui jette dans la circulation l’argent servant à réaliser la plus-value contenue dans les marchandises.

Mais elle ne l’y jette pas comme argent avancé au capital. Elle le dépense comme moyen d’achat pour sa consommation individuelle. Elle ne l’avance donc pas, bien qu’elle forme le point de départ de sa circulation. »

Le niveau de vie du capitaliste s’élève, et de sa consommation personnelle arrive davantage d’argent dans la circulation, c’est elle qui permet la circulation. Mais cela signifie, cependant, que cet argent doit exister.

Alors, d’où provient-il ?

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La circulation du capital selon Marx, la signification de la rotation et le chaos capitaliste

Le capitaliste a tout intérêt à ce que la rotation du capital soit rapide. Plus la rotation est rapide, plus le capital devient rapidement argent pour le capitaliste, plus il peut grandir davantage. En ce sens, il amène ce qui a été appelé la « mondialisation », cherchant en effet par tous les moyens à se réaliser.

Karl Marx nous explique ainsi :

« Le capital, suivant ici sa propre nature, se dégage de toute limitation spatiale.

La création des conditions physiques de l’échange – moyens de communication, de transport – devient pour lui une nécessité d’une ampleur toute nouvelle – la destruction de l’espace par le temps. » (G)

Cette affirmation est très importante et elle vaudrait une analyse à elle seule. Restons en ici par contre plus spécifiquement à la question de la circulation en tant que telle.

Constatons ainsi que, si le capitaliste veut donc que la rotation du capital soit rapide, il doit également faire en sorte que les futures rotations le soient aussi, et également, qu’elles soient possibles.

Or, forcément, il y a usure de certains éléments de production. Le matériel, les machines, etc. s’usent et doivent être remplacés. Ici, la machine de la circulation peut s’enrayer.

Karl Marx note ainsi :

« Dans les même investissement de capital, la durée d’existence et, par conséquent, le temps de rotation sont différents pour les divers éléments du capital fixe.

Dans un chemin de fer, par exemple, les rails, les traverses, les travaux de terrassement, les gares, les ponts, les tunnels, les locomotives et les wagons diffèrent par leur durée de fonctionnement et leur terme de reproduction : le capital engagé dans ces éléments aura donc des durées différentes de rotation. »

De plus, dans certains cas, les marchandises doivent « se reposer », par exemple sécher, mûrir, etc., donc cela ajoute au temps de production.

Le capitaliste évalue donc attentivement la rotation du capital, car c’est dans son intérêt :

« Plus la période de rotation du capital est courte,

– c’est-à-dire plus les intervalles sont courts entre les échéances de sa reproduction dans l’année, –

et plus rapidement la partie variable du capital primitivement avancée par le capitaliste sous la forme d’argent se convertit en la forme argent du produit créé par l’ouvrier pour remplacer ce capital variable (produit qui comprend en outre la plus-value) ;

plus court est donc le temps pour lequel le capitaliste est forcé d’avancer de l’argent sur son propre fonds, et plus faible est, par rapport au volume donné de la production, le capital qu’il avance ;

plus grande relativement est la masse de plus-value qu’avec un taux donné de la plus-value il retire chaque année, puisque, avec la forme argent de la valeur produite par l’ouvrier lui-même, il peut plus fréquemment racheter cet ouvrier et mettre son travail en mouvement. »

Le capital privilégie donc les formes rapides, et on peut déjà voir que c’est décisif pour ses choix concernant l’alimentation ; Karl Marx note déjà, en opposant cela aux moissons qui elles sont annuelles :

« Seuls les produits secondaires, le lait, le fromage, etc. peuvent régulièrement être produits et vendus par périodes assez rapprochées. »

Cependant, ce n’est pas tout, il faut également vendre. On a là la même problématique :

« L’une des sections du temps de circulation, – celle qui est relativement la plus décisive, – est constituée par le temps de la vente, l’époque où le capital se trouve à l’état de capital-marchandise.

Le temps de circulation et par suite la période de rotation s’allongent ou s’abrègent en fonction de la durée de ce délai. »

On voit déjà ici l’intérêt que peut représenter une nourriture industrielle massive telle que fournie par Mc Donald’s : le temps de rotation est court à tous les niveaux. Il n’est pas étonnant que les travailleurs de ce secteur se voient imposer à la fois des salaires bas et une activité très « rapide » : cela tient à la rotation même du capital dans ce secteur.

De la même manière, le capitaliste doit disposer de moyens techniques pour que la rotation se déroule bien : il faut des chemins de fer, que la production ait accès à ceux-ci, etc. etc.

C’est important, car on peut voir ici comment le capitalisme a fait en sorte de raccourcir les distances, par exemple avec le canal de Suez, les progrès techniques, etc.

Si l’on ajoute à cela le fait que les salaires doivent être donnés chaque mois, que l’argent des ventes ne rentre a priori qu’au fur et à mesure, alors inévitablement le capitaliste doit gérer une circulation compliquée, tout en ayant en tête la rotation, la phase globale qui se présente sous la forme d’un revenu du capital initial.

On devine ainsi facilement le chaos que représente tous ces capitalistes jetés les uns contre les autres, ayant tout de même besoin pourtant de moyens d’ensemble qu’ils n’acceptent qu’après avoir subi le contre-coup de leur absence.

C’est la différence entre le niveau de conscience socialiste et le chaos capitaliste ; comme l’explique Karl Marx :

« Supposons qu’au lieu d’être capitaliste, la société soit communiste : tout d’abord, le capital-argent disparaît, et avec lui les déguisements des transactions qui s’imposent grâce à lui.

La chose revient simplement à ceci : il faut que la société calcule d’avance la quantité de travail, des moyens de production et de subsistance qu’elle peut, sans aucun dommage, employer à des entreprises, comme par exemple la construction des chemins de fer, qui pendant un temps assez long, un an ou même davantage, ne fournissent ni moyens de production ou de subsistance, ni effet utile quelconque, mais enlèvent à la production annuelle totale du travail des moyens de production et de subsistance.

Au contraire, dans la société capitaliste, où le bon sens social ne se fait valoir qu’après coup, il est possible et inévitable qu’il se produise sans cesse de grandes perturbations. »

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La circulation du capital selon Marx et l’importance essentielle de cet aspect du capitalisme

Que signifie le terme circulation ? Il veut dire mouvement, dans un sens, et dans l’autre sens. Il y a l’idée de cercle, c’est-à-dire que le va-et-vient se répond : cela va dans un sens, puis dans l’autre, de manière ininterrompue.

Cette notion est très importante pour comprendre le mode de production capitaliste. En effet, le capital n’est pas statique, puisqu’il existe au départ sous forme d’argent, puis de marchandises, puis d’argent.

Tout cela forme un cycle, qui est par la suite répété : c’est la circulation.

Cependant, et c’est là un aspect essentiel, ce cycle est également à chaque fois plus puissant. Le capital repousse toujours les frontières de son existence ; il n’y a pas reproduction simple, mais élargissement du capital, durant des différentes périodes appelées rotation par Karl Marx.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement que le capital n’est pas comme une pièce de monnaie que l’on insère dans une machine de casino, pour ensuite en récupérer davantage. La pièce de monnaie introduite, en quelque sorte, va connaître toute une vie.

Ainsi, même si le capitaliste espère récupérer au bout de la production son propre investissement et davantage, il n’en reste pas moins que l’argent investi (et même s’il « revient ») a circulé : dans le paiement des salaires, dans l’achat de biens pour permettre la production, etc.

Le capital a ainsi une vie propre, durant la période où il quitte le capitaliste, avant de lui revenir.

Karl Marx a, de fait, accordé une très grande importance à cette question de la circulation et de la rotation.

Pour bien arriver à suivre son explication, nous nous appuierons sur Le Capital, mais également sur les fameux « Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie », intitulé en français « Introduction générale à la critique de l’économie politique » (une citation de cette œuvre sera mentionnée par « », toute autre citation étant donc, comme précédemment, du Capital).

Pourquoi ce point est-il si important, et pourquoi et peut-il être si compliqué ?

Pour la simple raison que si le capitalisme se développe, il faut bien qu’il s’appuie sur quelque chose. Reste à savoir sur quoi, et c’est la raison pour laquelle Karl Marx a souligné ici un point très important : il faut porter son attention sur les capitalistes dans leur ensemble, en tant que classe, pour saisir la réalité de cette circulation.

En effet, si l’on ne regarde que le capitaliste vendant des marchandises et attendant qu’à sa production réponde une consommation, on perd le fil.

C’est ce qui est arrivé aux auteurs bourgeois « classiques », que critique Karl Marx. Mais cela a également été l’erreur de tous les populistes russes, rejetés par Lénine avec précisément les mêmes arguments que Karl Marx, notamment dans « Pour caractériser le romantisme économique», et même de Rosa Luxembourg dans son œuvre centrale « L’accumulation du capital », où elle essaie d’approfondir cette question et de prendre Karl Marx en défaut.

L’idée de base et commune à toutes les critiques faites à l’encontre de Karl Marx est simple : si le capitaliste fait du profit, sous forme d’argent, alors, d’où vient cet argent ? S’il vient de la classe des capitalistes elle-même, alors il ne peut y avoir plus d’argent qu’au départ et, par conséquent, le profit élargi est impossible.

En clair : si la bourgeoisie vend à elle-même, d’où sortirait-elle le surplus d’argent ?

Reste alors les non capitalistes, mais les critiques, que nous verrons plus loin, consistent à répondre ici que justement le raisonnement ne « marche » pas, car les prolétaires n’ont pas les moyens d’acheter, les petits producteurs sont de plus en plus écrasés et donc ne peuvent plus consommer…

Ainsi, le problème des critiques du marxisme, Rosa Luxembourg y compris, est qu’ils ne saisissent pas comment se produit la reproduction élargie ; pour eux le capital ne peut s’élargir qu’aux dépens de formes non capitalistes, c’est-à-dire aux dépens d’autre chose que lui-même.

C’est là ne pas comprendre le mode de production capitaliste, le capitalisme comme système. Un système fondé sur une contradiction, obéissant à la dialectique.

« Enfin comme résultat du processus de production et de valorisation, apparaît avant tout, comme reproduction et nouvelle production des rapports du capital et du travail en tant que tel, du capitaliste et du travailleur.

Cette relation sociale, ce rapport de production, apparaît en fait comme un résultat encore plus important du processus que ses résultats matériels.

Et en effet le travail, à l’intérieur de ce processus, se produit lui-même comme ressource de travail, ainsi qu’il produit le capital qui lui fait face, tant comme de l’autre côté le capitaliste se produit en tant que capital, et produit la ressource de travail vivante qui lui fait face.

Chacun se reproduit lui-même, dans la mesure où il reproduit son autre, sa négation. Le capitaliste produit le travail comme étranger à soi ; le travail produit le produit comme étranger à soi.

Le capitaliste produit le travail, et le travailleur le capitaliste, etc. » (G).

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L’accumulation du capital selon Marx : l’erreur de Rosa Luxembourg

Cette question de l’accumulation est indéniablement difficile et il est facile de se tromper. Rosa Luxembourg est dans ce cas ; son monument qu’est L’accumulation du capital consiste justement en la critique de la position de Karl Marx sur l’accumulation.

Aux yeux de Rosa Luxembourg, ce qu’explique Karl Marx est insuffisant. La richesse ne peut pas provenir du capitalisme lui-même. Ne voyant pas l’élévation des forces productives, le progrès qualitatif, elle va chercher un progrès quantitatif.

Sa position est alors celle qui sera du tiers-mondisme par la suite : le capitalisme ne peut exister que de l’exploitation du tiers-monde. Au lieu de voir que le capital est bien plus présent, plus développé, dans les pays capitalistes, avec une donc une exploitation bien plus grande, le tiers-mondisme considère que la richesse ne peut provenir que des pays « exploités », en réalité semi-coloniaux semi-féodaux.

C’est une vision romantique qui considère que l’ouvrier français, allemand ou américain présent dans une usine d’automobiles utilisant des robots est moins exploité que l’ouvrier du textile du Bangladesh, du Vietnam ou Mexique, alors qu’en réalité, sur le plan du capital mis en œuvre, c’est le contraire.

Rosa Luxembourg est proche de ce point de vue, en fait elle l’a anticipé. Elle considère que les capitalistes sont les seuls détenteurs de la richesse – elle ne prend pas en compte les forces productives grandissantes, pas plus que ne le fera le trotskysme par ailleurs – et que donc, puisque les travailleurs n’ont rien, il faut rechercher dans les zones « non capitalistes » (qui justement selon Lénine n’existent plus, et sont devenus semi-coloniales semi-féodales).

Voici ce qu’elle dit dans L’accumulation du capital, afin de poser le problème :

« Le problème se pose ainsi : comment s’effectue la reproduction sociale si l’on pose le fait que la plus-value n’est pas tout entière consommée par les capitalistes, mais qu’une part croissante en est réservée à l’extension de la production ?

Dans ces conditions, ce qui reste du produit social, déduction faite de la partie destinée au renouvellement du capital constant, ne peut a priori être entièrement consommé par les ouvriers et par les capitalistes ; et ce fait est la donnée essentielle du problème. Il est donc exclu que les ouvriers et les capitalistes puissent réaliser le produit total eux-mêmes.

Ils ne peuvent réaliser que le capital variable, la partie usée du capital constant et la partie consommée de la plus-value ; ce faisant ils recréent seulement les conditions nécessaires à la continuation de la reproduction à la même échelle.

Mais ni les ouvriers ni les capitalistes ne peuvent réaliser eux-mêmes la partie de la plus-value destinée à la capitalisation. La réalisation de la plus-value aux fins d’accumulation se révèle comme une tâche impossible dans une société composée exclusivement d’ouvriers et de capitalistes. »

Voici comment elle pense le résoudre :

« Ce qui est certain, c’est que la plus-value ne peut être réalisée ni par les salariés, ni par les capitalistes, mais seulement par des couches sociales ou des sociétés à mode de production précapitaliste.

On peut imaginer ici deux possibilités différentes de réalisation : l’industrie capitaliste peut produire un excédent de moyens de consommation au-delà de ses propres besoins (ceux des ouvriers et des capitalistes), elle vendra cet excédent à des couches sociales ou à des pays non capitalistes (…). On peut également envisager le cas inverse. La production capitaliste peut fournir des moyens de production excédant ses propres besoins, et trouver des acheteurs dans des pays extra-capitalistes. »

Pour Rosa Luxembourg, ce sont les pays « non capitalistes » qui permettent l’accumulation :

« Par ailleurs il n’est pas évident que les moyens de production et de consommation nécessaires soient tous nécessairement d’origine capitaliste. Cette hypothèse, que Marx a mis à la base de son schéma de l’accumulation, ne correspond ni à la pratique journalière ni à l’histoire du capital ni au caractère spécifique de ce mode de production (…).

L’accroissement du capital variable est directement attribué et à la seule reproduction naturelle de la classe ouvrière, déjà dominée par le capital.

Cette explication est conforme au schéma de la reproduction élargie qui, selon l’hypothèse de Marx, n’admet que deux classes sociales, la classe capitaliste et la classe ouvrière, et considère le capitalisme comme le mode unique et absolu de production.

A partir de ces prémisses, la reproduction naturelle de la classe ouvrière est en effet la seule source de l’augmentation des forces de travail mobilisées par le capital. Cependant cette conception contredit les lois qui régissent les mouvements de l’accumulation (…).

Il [Marx] ne tient pas compte de la source la plus importante du recrutement de ce prolétariat en Europe : la prolétarisation continue des couches moyennes dans les villes et à la campagne, la ruine de l’économie paysanne et du petit artisanat, c’est-à-dire le processus constant de destruction et de désagrégation des modes de production non capitalistes, mais précapitalistes, aboutissant au massage constant des forces de travail d’une situation non capitaliste à une situation capitaliste.

Nous faisons allusion non seulement à la décomposition de l’économie paysanne et de l’artisanat en Europe, mais aussi à la décomposition des formes de production et de sociétés primitives dans des pays extra-européens (…).

Nous constatons pourtant que le capitalisme, même dans sa phase de maturité, est lié à tous les égards à l’existence de couches et de sociétés non capitalistes. Il ne s’agit pas seulement dans cette dépendance du problème des débouchés pour les « produits excédentaires » comme l’ont cru Sismondi ainsi que plus tard les critiques et les sceptiques de l’accumulation.

L’accumulation est liée quant à sa composition matérielle et ses rapports de valeur et dans tous ses éléments : capital constant, capital variable et plus-value, à des formes de production non capitalistes. Ces dernières constituent le milieu historique donné de ce processus. Non seulement l’accumulation ne peut être expliquée à partir de l’hypothèse de la domination générale et absolue de la production capitaliste, mais elle est même tout simplement inconcevable à tous égards sans le milieu non capitaliste (…).

Il en est autrement de la réalisation de la plus-value. Celle-ci est liée de prime abord à des producteurs et à des consommateurs non capitalistes comme tels. L’existence d’acheteurs non capitalistes de la plus-value est une condition vitale pour le capital et pour l’accumulation, en ce sens elle est décisive dans le problème de l’accumulation du capital. Quoi qu’il en soit, pratiquement l’accumulation du capital comme processus historique dépend à tous les égards des couches sociales et des formes de sociétés non capitalistes. »

Cette vision idéaliste consiste à dire que le capitalisme ne pouvait pas s’agrandir sans qu’il y ait de riches oisifs das le tiers-monde pour acheter les marchandises ; le capitalisme d’un pays ne pourrait pas grandir, par exemple en 2015, sans les riches émirs des pays pétrolifères pour « apporter » des richesses depuis hors le capitalisme.

C’est une vision totalement idéaliste, qui se fonde sur un capitalisme « qui pense » et débouche sur un capitalisme « choisissant » le militarisme comme solution de facilité pour l’accumulation :

« Le militarisme a encore une autre fonction importante. D’un point de vue purement économique, il est pour le capital un moyen privilégié de réaliser la plus-value, en d’autres termes il est pour lui un champ d’accumulation (…).

Le pouvoir d’achat des énormes masses de consommateurs, concentré sous la forme de commandes de matériel de guerre faites par l’État, sera soustrait à l’arbitraire, aux oscillations subjectives de la consommation individuelle ; l’industrie des armements sera douée d’une régularité presque automatique, d’une croissance rythmique.C’est le capital lui-même qui contrôle ce mouvement automatique et rythmique de la production pour le militarisme, grâce à l’appareil de la législation parlementaire et à la presse, qui a pour tâche de faire l’opinion publique.C’est pourquoi ce champ spécifique de l’accumulation capitaliste semble au premier abord être doué d’une capacité d’expansion illimitée. Tandis que toute extension des débouchés et des bases d’opération du capital est liée dans une large mesure à des facteurs historiques, sociaux et politiques indépendants de la volonté du capital, la production pour le militarisme constitue un domaine dont l’élargissement régulier et par bonds paraît dépendre en première ligne de la volonté du capital lui-même.

Les nécessités historiques de la concurrence toujours plus acharnée du capital en quête de nouvelles régions d’accumulation dans le monde se transforme ainsi, pour le capital lui-même, en un champ d’accumulation privilégié.

Le capital use toujours plus énergiquement du militarisme pour s’assimiler, par le moyen du colonialisme et de la politique mondiale, les moyens de production et les forces de travail des pays ou des couches non capitalistes.

En même temps, dans les pays capitalistes, ce même militarisme travaille à priver toujours davantage les couches non capitalistes, c’est-à-dire les représentants de la production marchande simple ainsi que la classe ouvrière, d’une partie de leur pouvoir d’achat ; il dépouille progressivement les premiers de leur force productive et restreint le niveau de vie des seconds, pour accélérer puissamment l’accumulation aux dépens de ces deux couches sociales. »

C’est la vision traditionnelle de l’idéalisme de l’anticapitalisme romantique, qui voit en le capitalisme un « donneur d’ordres » venant arracher les richesses et n’existant que de manière « militaire ».

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