« Le Capital » parle de la nature humaine

« Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle.

Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie.

En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. »

Karl Marx, pour écrire Le Capital, s’appuie sur le matérialisme qui considère que la vie humaine appartient à la nature. Pour les matérialistes, la planète Terre est une biosphère, composé d’organismes vivants s’appuyant sur des éléments chimiques, dans un rapport bien déterminé.

Comprendre cette réalité matérielle, c’est saisir comment la vie se reproduit, dans quelles conditions elle existe. C’est cette réalité dont parle Karl Marx dans Le Capital.

Toute l’oeuvre est parsemée de remarques sur la vie humaine réellement vécue, sur la vie du travailleur qui souffre de se voir malmené par le capital, sur le rapport entre son travail en tant qu’être vivant et le capital, marqué par l’aliénation et l’exploitation physique.

« En même temps que le travail mécanique surexcite au dernier point le système nerveux, il empêche le jeu varié des muscles et comprime toute activité libre du corps et de l’esprit.

La facilité même du travail devient une torture en ce sens que la machine ne délivre pas l’ouvrier du travail, mais dépouille le travail de son intérêt. »

(…)

« Un certain rabougrissement de corps et d’esprit est inséparable de la division du travail dans la société. Mais comme la période manufacturière pousse beaucoup plus loin cette division sociale, en même temps que par la division qui lui est propre elle attaque l’individu à la racine même de sa vie, c’est elle qui la première fournit l’idée et la matière d’une pathologie industrielle. »

(…)

« La confection des vêtements et le tissage, malgré leur différence, sont tous deux une dépense productive du cerveau, des muscles, des nerfs, de la main de l’homme, et en ce sens du travail humain au même titre. »

(…)

« L’heure plus dense de la journée de dix heures contient autant ou plus de travail, plus de dépense en force vitale, que l’heure plus poreuse de la journée de douze heures. »

(…)

« L’économie des moyens collectifs de travail, activée et mûrie comme en serre chaude par le système de fabrique, devient entre les mains du capital un système de vols commis sur les conditions vitales de l’ouvrier pendant son travail, sur l’espace, l’air, la lumière et les mesures de protection personnelle contre les circonstances dangereuses et insalubres du procès de production, pour ne pas mentionner les arrangements que le confort et la commodité de l’ouvrier réclameraient. »

(…)

« En agissant conjointement avec d’autres dans un but commun et d’après un plan concerté, le travailleur efface les bornes de son individualité et développe sa puissance comme espèce. »

(…)

« Elle [la manufacture] estropie le travailleur, elle fait de lui quelque chose de monstrueux en activant le développement factice de sa dextérité de détail, en sacrifiant tout un monde de dispositions et d’instincts producteurs, de même que, dans les Etats de la Plata, on immole un taureau pour sa peau et son suif.

Ce n’est pas seulement le travail qui est divisé, subdivisé et réparti entre divers individus, c’est l’individu lui-même qui est morcelé et métamorphosé en ressort automatique d’une opération exclusive, de sorte que l’on trouve réalisée la fable absurde de Menenius Agrippa représentant un homme comme un fragment de son propre corps. »

(…)

« Dans l’histoire, comme dans la nature, la pourriture est le laboratoire de la vie. »

[les passages en gras sont soulignés par nous]

Rappelons cependant ici que le capital joue un rôle historique, celui de donner naissance à une humanité socialisée et naturelle, combinant une nature socialisée et une société naturalisée :

« Les faculté de l’homme primitif, encore en germes, et comme ensevelies sous sa croûte animale, ne se forment au contraire que lentement sous la pression de ses besoins physiques. »

Et soulignons que cette transformation n’est pas vraie que pour le travailleur, cela est vrai pour toute la nature, comme l’explique Karl Marx dans une phrase qui montre la conception matérialiste dialectique de la planète comme biosphère :

« La production capitaliste ne développe donc la technique et le combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute la richesse : la terre et le travailleur. »

Karl Marx est un disciple de Ludwig Feuerbach et considère que seule la nature existe ; il regarde comment l’être humain a en partie – et en partie seulement – abandonné la nature, et comment il va revenir à elle, dans le communisme.

En ce sens, ce qu’on appelle d’ailleurs mode de production – esclavagiste, féodal, capitaliste, socialiste, communiste – désigne comment est effectué la reproduction de la vie humaine.

Comment la société produit-elle ce qu’elle consomme ? Là est la question essentielle, avec le problème que les humains n’ont pas spontanément une vue d’ensemble.

Comme le dit Karl Marx:

« l’apparence seule des rapports de production se reflète dans le cerveau du capitaliste. »

Le problème du capitalisme est qu’il façonne les consciences de manière telle à ce que spontanément, elles aient des illusions à ce sujet.

Ce n’est que par l’étude scientifique que le capitalisme peut être compris. Ce principe sera d’ailleurs la base de la social-démocratie comme mouvement ouvrier politique, avec les thèses de Karl Kautsky et de Lénine sur la nécessité de l’avant-garde scientifique et la réfutation du spontanéisme.

Voici comment Karl Marx nous parle des illusions dans le capitalisme, qui nous fait voir l’argent, le salaire, mais pas la force de travail qui est la clef du capitalisme, parce qu’elle est exploitée par le capital.

Karl Marx nous dit :

« Il en est d’ailleurs de la forme « valeur et prix du travail » ou « salaire » vis-à-vis du rapport essentiel qu’elle renferme, savoir : la valeur et le prix de la force de travail, comme de toutes les formes phénoménales vis-à-vis de leur substratum [leur substrat].

Les premières se réfléchissent spontanément, immédiatement dans l’entendement, le second doit être découvert par la science.

L’économie classique touche de près le véritable état des choses sans jamais le formuler consciemment. Et cela lui sera impossible tant qu’elle n’aura pas dépouillé sa vieille peau bourgeoise. »

Le Capital n’est donc pas une simple œuvre qui parle d’économie au sens étroit du terme ; c’est une œuvre qui parle de la vie humaine, de son travail, de comment le capital organise le travail et des conséquences pour la vie humaine.

Comme toute chose est contradictoire en son noyau, le mode de production capitaliste porte en lui son abolition, c’est-à-dire le communisme comme retour à la nature après le passage de l’humanité à une période permettant le développement des forces productives.

Le Capital de Karl Marx raconte toute la genèse du capital, son développement, son affirmation, et il explique son inévitable effondrement, principalement en raison de la chute tendancielle du taux de profit.

En faisant cela, Karl Marx nous parle de l’humanité dans son rapport avec la nature, en tant que composante d’elle au statut particulier.

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La paupérisation selon Marx : la signification de la polémique franco-italienne

En 1961, Maurice Thorez publiait un ouvrage intitulé « La paupérisation des travailleurs français », la couverture se voyant barré d’une inscription où on lisait : « une tragique réalité ». Les textes consistaient en l’assemblage d’articles écrits par Maurice Thorez entre 1955 et 1957.

Cet ouvrage est à la fois le produit du révisionnisme d’après 1945 et la base théorique pour toute la réflexion révisionniste dans la seconde partie du 20e siècle. C’est la véritable théorisation de l’inscription de la lutte réformiste dans les institutions, au nom d’une prétendue paupérisation générale.

Le décalage par rapport aux thèses de Karl Marx est ici très clair ; il ne s’agit pas d’une négation de la thèse de Karl Marx, mais d’une relecture procédant à une révision. Ainsi, dans l’article La situation économique de la France (Mystifications et réalité), en date du 25 janvier 1955, Maurice Thorez témoigne qu’il a bien compris les deux aspects de la question de la paupérisation :

« On dit que la Sécurité sociale s’est développée. Mais on devrait aussi constater que les accidents, les maladies, le chômage, etc., tous les maux auxquels elle doit servir de palliatif, se sont accentués.

Il ne faut pas oublier que, si la bourgeoisie introduit un certain nombre de mesures de protection de la santé des travailleurs, elle ne le fait que sous la pression des masses. Et ensuite elle s’efforce d’en profiter pour accroître l’intensité du travail.

Ce qui, naturellement, conduit à une aggravation nouvelle des conditions de santé : souvent, en effet, les mesures sanitaires et sociales sont plus que compensées par le renforcement du taux d’exploitation, et le résultat final est négatif. »

Voici un autre exemple de perspective intéressante dans la saisie des deux aspects, qu’on trouve dans l’article Nouvelles données sur la paupérisation (Réponse à Mendès France), en août 1955 :

« Reste le luxe de l’auto, accessible, dit-on, à la classe ouvrière. En réalité, l’automobile est souvent une nécessité aux États-Unis, comme le vélo en Hollande, comme, de plus en plus, le scooter dans la région parisienne.

L’ouvrier américain qui achète une voiture d’occasion obéit à deux raisons : d’abord, il travaille en règle générale très loin de son domicile ; d’autre part, la totalité des transports est entre les mains de sociétés privées, qui se soucient beaucoup plus des intérêts de leurs actionnaires que ceux du public. »

Cependant, Maurice Thorez considère qu’il y a simplement modification des formes de consommation, pas élargissement de la consommation.

Dans le même article, il soutient que le niveau de vie des années 1950 est inférieur à précédemment ; il ne constate pas de croissance réelle des forces productives. C’est là la clef de la pensée de Maurice Thorez dans les années d’après-guerre, et c’est ce qui le fait dire dans son discours de clôture au Comité central du Parti Communiste français, le 27 janvier 1955 :

« Une deuxième loi marxiste, celle de l’accumulation du capital, enseigne que la classe ouvrière ne peut échapper, sous le capitalisme, à la paupérisation relative et absolue.

Cette loi, elle aussi, a été niée obstinément surtout par les dirigeants socialistes, dont toute la politique de conciliation des classes repose sur le mensonge d’une amélioration régulière de la condition des ouvriers.

Mais les faits sont têtus : les faits montrent que le salaire horaire du métallurgiste parisien a baissé de moitié depuis 1938. Le nombre des ouvriers qualifiés diminue. Les salaires additionnés de tous les membres de la famille, femmes et enfants compris, représentant à peine ce que le père touchait à lui seul autrefois.

Les loyers augmentent sans arrêt, beaucoup d’ouvriers sont condamnés au taudis. Les travailleurs de Paris mangent moins de viande que sous le Second Empire. »

Le même constat est fait, dans l’article Encore une fois la paupérisation !, paru dans les Cahiers du communisme en octobre 1957 :

« En Allemagne occidentale, la paupérisation de la classe ouvrière s’affirme parallèlement à la concentration du capital. Le coût de la vie s’élève. La rationalisation capitaliste, le perfectionnement des méthodes techniques d’exploitation aggravent chaque jour les conditions de travail (…).

Quant au gouvernement de Londres, on se rappelle qu’il avait promis de doubler le niveau de la population en vingt-cinq ans ! Pourtant, les faits ont parlé un tout autre langage (…). Aux États-Unis, les indices de ralentissement de l’activité économique se multiplient (…).

Un autre procédé polémique consiste à faire appel à l’armée des acheteurs de scooters et de machines à laver !

Outre que l’on comprend parfaitement la volonté d’une classe ouvrière formée dans les conditions historiques modernes de bénéficier du progrès technique, l’œuvre de ses mains, ne voit-on pas surtout qu’il s’agit ici d’un besoin objectif, d’un élément objectif du niveau de vie dû à certaines conditions matérielles ?

Autrefois, les ouvriers du bâtiment pouvaient acheter en banlieue un lopin de terre sur lequel ils bâtissaient le dimanche leur petite maison, à proximité des zones d’expansion urbaine et de travail.

Aujourd’hui, ils n’ont plus, pour la plupart, les moyens de le faire, mais en revanche le vélomoteur leur est nécessaire pour couvrir les longs trajets qui séparent leur domicile de leur chantier (…).

Il est bien évident que pour renouveler la force de travail, la quantité des moyens de consommation objectivement nécessaires est plus grande aujourd’hui qu’il y a cent ans !

Même les trois semaines de congé payé sont-elles autre chose qu’une nécessité vitale en fonction de l’intensification du travail et de l’usure physiologique grandissante ? (…)

Le président du Parti communiste américain, le camarade William Z. Foster, a écrit dans son article reproduit au numéro 1 des Cahiers du Communisme, en janvier de cette année, que « le jeu de la loi de paupérisation des masses peut être vérifié aux États-Unis, pays tant vanté de la « prospérité » capitaliste. »

On s’étonne qu’une note discordante figure dans l’article publié, au numéro de janvier-février de Rinascita, la revue politique et culturelle de notre parti frère d’Italie, sous le titre : « La voie italienne au socialisme, origines et traits de notre politique. »

Le camarade Spano écrit : « La question de la paupérisation absolue et relative de la classe ouvrière en régime capitaliste est posée par les camarades français comme une loi catégorique, immuable, mais par les camarades italiens et, croyons-nous, par Marx, elle est posée comme une loi de tendance.

En tirant avec une stricte logique toutes les conséquences politiques de la façon de poser le problème qu’adoptent les camarades français, on devrait conclure à l’impossibilité pour la classe ouvrière de réaliser aucune conquête dans le cadre de la société capitaliste, à la nécessité pour la classe ouvrière de poser chacune de ses revendications en termes de rupture révolutionnaire pour la conquête du pouvoir. »

Ainsi, le camarade Spano, après beaucoup d’autres [appartenant par contre aux socialistes], reproche à notre Parti de concevoir les effets de la paupérisation comme quelque chose d’immuable, quelque chose contre quoi la classe ouvrière ne pourrait rien tenter (…).

Il dit textuellement qu’au sujet de la paupérisation comme des nationalisations, « les camarades français prennent des positions qui les confinent dans une fonction de pure propagande. »

A vrai dire, reconnaît-il, les communistes français sortent parfois de la propagande pour agir, mais c’est simple illogisme de leur part ! »

De fait, le Parti Communiste italien rejettera la thèse de la paupérisation, pour celle de l’amélioration permanente de la situation des masses au moyen l’institutionnalisation. Le Parti Communiste français fera de même, mais avec une institutionnalisation qu’il prétendra réfuter, au nom de la thèse – maintes fois reformulées – de Maurice Thorez sur la paupérisation.

Le Parti Communiste italien est ainsi apparu, en 1968, déjà comme le partisan de l’institutionnalisation, permettant une vraie réflexion sur le capitalisme moderne et l’affirmation de l’autonomie prolétaire.

En France, par contre, le Parti Communiste français maintenant une fausse aura d’opposant, maintenant son ancrage dans la société française, lui permettant de maintenir son existence après 1989, au contre du Parti Communiste italien. Par la thèse sur la paupérisation, le Parti Communiste français a su se placer comme force « sociale » opposée à la pauvreté, se transformant ainsi en appendice de gauche du réformisme modernisateur.

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La paupérisation selon Marx : l’organisation scientifique de la pauvreté

L’expérience la plus avancée dans la « zone des tempêtes » fut faite au Pérou, avec Gonzalo, qui aborde de manière ouverte la question de la pauvreté.

Voici comment le Parti Communiste du Pérou synthétise cette question :

« Le Président Gonzalo attribue une importance particulière à l’organisation scientifique de la pauvreté, principe qui nous vient de Marx, et qui signifie, pour nous, organiser la paysannerie,- principalement la pauvre – et les masses les plus pauvres des villes en Parti Communiste, Armée Populaire de Guérilla et en Etat Nouveau qui se concrétise en Comités Populaires.

Il établit la relation suivante: parler du problème paysan c’est parler du problème de la terre, et parler du problème de la terre c’est parler du problème militaire, et parler du problème militaire c’est parler du problème du Pouvoir, de l’Etat Nouveau auquel nous arrivons par la révolution démocratique que dirige le prolétariat à travers son Parti, le Parti Communiste. » (La révolution démocratique, 1988)

Comme on le voit, il est ici spécifiquement parlé de la paysannerie se désagrégeant dans les conditions particulières d’un pays semi-colonial semi-féodal.

Voici un autre passage où ce même point de vue est exprimé, pour formuler en quoi la cordillère des Andes forme le cœur du projet du Parti Communiste du Pérou, de par sa réalité sociale.

« Il spécifie la nécessité d’organiser scientifiquement la pauvreté et remarque que ceux qui sont les plus disposés à se rebeller, ceux qui réclament le plus ardemment que l’on organise la rébellion, sont les plus pauvres parmi les masses et qu’il faut prêter une attention toute spéciale à l’organisation révolutionnaire scientifique des masses.

Cela ne va pas à l’encontre des critères de classes, mais nous démontre que la pauvreté a son origine dans l’exploitation, dans la lutte de classes.

« La misère existe et elle côtoie de fabuleuses richesses, même les utopistes savaient, qu’elles vont de pair; énorme et provocante richesse à côté d’une pauvreté criante qui la dénonce. Il en est ainsi parce que l’exploitation existe ».

Thèse rattachée à Marx qui découvrit la puissance révolutionnaire de la pauvreté et la nécessité de l’organiser scientifiquement, c’est-à- dire, pour la révolution; Marx qui nous enseigna que le prolétariat, n’ayant pas de propriété, est l’unique classe créatrice qui détruira la propriété et se détruira elle-même en tant que classe.

Et à Lénine qui nous enseigna que la révolution sociale ne surgit pas des programmes, mais du fait que des millions de personnes disent qu’au lieu de mourir en souffrant de la faim elles préfèrent mourir pour la révolution.

Et au Président Mao qui conçoit que la pauvreté stimule le désir de changement, d’action, de révolution, qu’elle est une feuille de papier blanc, nue, sur laquelle on peut écrire les mots les plus nouveaux et les plus beaux (…).

Cette particularité est stratégique, car elle permet de comprendre que la révolution, dans le monde, se définit du côté des plus pauvres qui constituent la majorité et sont le plus disposés à se rebeller et, aussi, que dans chaque révolution on doit aller aux plus pauvres en appliquant les trois conditions que l’organisation scientifique de la pauvreté exige : l’idéologie, la guerre populaire et le Parti Communiste.

C’est ainsi que le Président Gonzalo nous dit: « la pauvreté est une force motrice de la révolution, les pauvres sont les plus révolutionnaires, la pauvreté est le plus beau des chants…. la pauvreté n’est pas un opprobre, c’est un honneur; notre cordillère avec ses masses est la source de notre révolution; ces masses, sous la direction du Parti Communiste, construiront de leurs mains un monde nouveau. Leur guide: l’idéologie, leur moteur: la lutte armée, leur direction: le Parti Communiste. » (La ligne de masses, 1988)

Il va de soi que toute utilisation de ces passages hors de leur contexte, de leur réalité historique, aboutirait à la thèse erronée et unilatérale de la paupérisation absolue.

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La paupérisation selon Marx et l’interprétation révisionniste

C’est après 1945 que va exister, dans le mouvement communiste internationale, une affirmation de la paupérisation générale, au mépris de la réalité du cycle d’accumulation capitaliste se relançant.

L’erreur initiale ne vient pas de la question de la paupérisation, mais d’une interprétation erronée de la situation d’après-guerre, erreur effectuée par Staline dans Les Problèmes économiques du socialisme en URSS, publié en 1952. On y lit l’évaluation erronée :

« Le résultat économique le plus important de la deuxième guerre mondiale et de ses conséquences pour l’économie a été la désagrégation du marché mondial unique, universel. Ce qui a déterminé l’aggravation ultérieure de la crise générale du système capitaliste mondial.

La deuxième guerre mondiale a été elle-même engendrée par cette crise. Chacune des deux coalitions capitalistes engagées dans le conflit, espérait pouvoir battre l’adversaire et asseoir sa domination sur le monde. C’est en cela qu’elles cherchaient une issue à la crise.

Les États-Unis d’Amérique comptaient mettre hors de combat leurs concurrents les plus dangereux, l’Allemagne et le Japon, s’emparer des marchés étrangers, des ressources mondiales de matières premières et asseoir leur domination sur le monde.La guerre cependant n’a pas donné raison à leurs espoirs. Il est vrai que l’Allemagne et le Japon ont été mis hors de combat eu tant que concurrents des trois principaux pays capitalistes : U.S.A., Grande-Bretagne, France.

Mais on a vu d’autre part se détacher du système capitaliste la Chine et les pays de démocratie populaire en Europe, pour former avec l’Union soviétique un seul et vaste camp socialiste, opposé au camp du capitalisme.

Le résultat économique de l’existence des deux camps opposés fut que le marché unique, universel s’est désagrégé, ce qui fait que nous avons maintenant deux marchés mondiaux parallèles qui eux aussi s’opposent l’un à l’autre (…).

Il s’ensuit que la sphère d’application des forces des principaux pays capitalistes (U.S.A., Grande-Bretagne, France) aux ressources mondiales, ne s’étendra pas mais diminuera ; que les conditions, quant aux débouchés mondiaux, s’aggraveront pour ces pays, et que la sous-production des entreprises y augmentera.

C’est en cela que consiste proprement l’aggravation de la crise générale du système capitaliste universel, à la suite de la désagrégation du marché mondial.

C’est ce que les capitalistes comprennent fort bien, car il est difficile de ne pas ressentir la perte de marchés tels que l’U.R.S.S., la Chine. Ils s’attachent à remédier à ces difficultés par le « plan Marshall », par la guerre en Corée, par la course aux armements, par la militarisation de l’industrie. Mais cela ressemble fort au noyé qui s’accroche à un brin de paille.

Devant cette situation deux problèmes se posent aux économistes :

a) Peut-on affirmer que la thèse bien connue de Staline sur la stabilité relative des marchés en période de crise générale du capitalisme, thèse formulée avant la deuxième guerre mondiale, — reste toujours en vigueur ?

b) Peut-on affirmer que la thèse bien connue, formulée par Lénine au printemps de 1916, selon laquelle, malgré sa putréfaction « dans l’ensemble le capitalisme se développe infiniment plus vite que naguère », — reste toujours en vigueur ?

Je pense qu’on ne saurait l’affirmer. Étant donné les nouvelles conditions dues à la deuxième guerre mondiale, il faut considérer ces deux thèses comme périmées. »

C’était là une erreur d’interprétation de la situation, aboutissant à une remise en cause d’une analyse juste. Le bloc capitaliste était considérée comme ne pouvant pas s’extirper de la crise d’avant la guerre, faisant face qui plus est au bloc socialiste.

C’était une sous-estimation de la puissance de l’impérialisme américain, nullement touché par les destructions de la guerre, disposant d’une hégémonie complète dans les pays capitalistes, avec une puissance interne en pleine lancée.

Les révisionnistes en Union Soviétique et dans les pays de l’Est européen se profilèrent alors comme les meilleurs « cadres » d’un productivisme « neutre », puisque mécaniquement le bloc socialiste devait l’emporter économiquement sur le bloc capitaliste.

Fort logiquement, les révisionnistes assumèrent alors la thèse de la paupérisation générale. Le bloc capitaliste était considérée comme n’ayant plus rien à proposer. Le Manuel d’économie politique soviétique de 1955 – soit deux années après la mort de Staline et le basculement dans le révisionnisme – a ainsi un point de vue unilatéral sur la paupérisation générale, absolue :

« La voie du développement du capitalisme est celle de l’appauvrissement et de la sous-alimentation pour l’immense majorité des travailleurs. En régime bourgeois, l’essor des forces productives n’apporte pas aux masses laborieuses un allègement de leur situation, mais une aggravation de leur misère et de leurs privations (…).

La reproduction élargie en régime capitaliste aboutit nécessairement à la paupérisation relative et absolue de la classe ouvrière.

La paupérisation relative est la diminution de la part de la classe ouvrière dans le revenu national des pays capitalistes. La paupérisation absolue est l’abaissement pur et simple du niveau de vie de la classe ouvrière (…).

Le pourrissement du capitalisme augmente la paupérisation de la classe ouvrière et des masses travailleuses de la paysannerie. »

Comme on le voit, il y a une ambiguïté, puisqu’il semble y avoir d’un côté une juste compréhension du principe de paupérisation, de l’autre la considération qu’on est dans un contexte de crise. Mais le même manuel explique de manière erronée que :

« Marx a découvert la loi générale de l’accumulation capitaliste qui détermine l’accroissement de la richesse et du luxe à un pôle de la société et l’accroissement de la misère, de l’oppression, des tourments du travail à l’autre pôle. Il a montré que le développement du capitalisme entraîne la paupérisation relative et absolue du prolétariat, qui creuse encore l’abîme entre le prolétariat et la bourgeoisie, aggrave la lutte de classes entre eux. »

La première phrase correspond au point de vue de Karl Marx ; la seconde est unilatérale et fausse.

Or, la tendance de nombreux Partis Communistes d’Europe de l’Ouest des années 1950 a été précisément d’adopter une telle ligne, accusant le capitalisme de procéder à une paupérisation absolue générale.

En France, Maurice Thorez est à la tête de cette affirmation de la paupérisation du prolétariat français. Si le Parti Communiste français rejette finalement cette thèse, en 1964 à son XVIIecongrès, le rapport du Comité Central parle encore d’une situation de « véritable régression sociale ».

Les progrès de l’accumulation capitaliste dévalueront toujours plus les partis communistes devenus révisionnistes, renforçant à l’opposé la social-démocratie dénonçant justement la thèse de la paupérisation.

À l’opposé, le Parti Communiste de Chine, comprenant l’importance prise par les États-Unis d’Amérique et la nature des pays capitalistes connaissant un développement, parlera de déplacement du centre de gravité de la révolution mondiale vers la « zone des tempêtes » : l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine.

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La paupérisation selon Marx : la position juste de l’Internationale Communiste


Il existe une évolution dans l’utilisation du principe de paupérisation par le mouvement communiste international. La question à l’arrière-plan est celle du rapport à la crise : celle-ci est-elle générale ou pas ?

Ainsi, en 1919, alors que l’Europe est exsangue du fait de la Première Guerre mondiale impérialiste, l’Internationale Communiste fait un appel où elle décrit la situation comme relevant, sans le dire tel quel mais on le comprend, de la paupérisation générale.

« Les contradictions du régime capitaliste se révélèrent à l’humanité à la suite de la guerre, sous forme de souffrances physiques : la faim, le froid, les maladies épidémiques et une recrudescence de barbarie. Ainsi est jugée sans appel la vieille querelle académique des socialistes sur la théorie de la paupérisation et du passage progressif du capitalisme au socialisme.

Les statisticiens et les pontifes de la théorie de l’arrondissement des angles avaient, pendant des dizaines d’années, recherché dans tous les coins du monde des faits réels ou imaginaires capables de démontrer le progrès du bien-être de certains groupes ou catégories de la classe ouvrière.

La théorie de la paupérisation des masses était regardée comme enterrée sous les coups de sifflets méprisants des eunuques occupant les tribunes universitaires de la bourgeoisie et des mandarins de l’opportunisme socialiste.

Maintenant ce n’est pas seulement la paupérisation sociale, mais un appauvrissement physiologique, biologique, qui se présente à nous dans toute sa réalité hideuse.

La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé de fond en comble toutes les conquêtes des batailles syndicalistes et parlementaires. Et pourtant cette guerre est née des tendances internes du capitalisme dans la même mesure que les marchandages économiques ou les compromis parlementaires qu’elle a enterrés dans le sang et dans la boue. »

Par contre, dans son panorama du capitalisme fait en 1928, on ne voit pas trace de la « paupérisation générale », mais bien par contre les thèmes employés dans le prolongement qu’avait Karl Marx de parler de la paupérisation comme misère sociale.

C’est qu’on ici dans le cadre d’une crise relativement dépassée.

« A l’un des pôles des rapports sociaux, formation de masses considérables de prolétaires, intensification continue de l’exploitation de la classe ouvrière, reproduction sur une base élargie des contradictions profondes du capitalisme et de leurs conséquences (crises, guerres, etc.), augmentation constante de l’inégalité sociale, croissance de l’indignation du prolétariat rassemblé et éduqué par le mécanisme même de la production capitaliste, tout cela sape infailliblement les bases du capitalisme et rapproche le moment de son écroulement.

Un profond bouleversement se produisit en même temps dans tout l’ordre moral et culturel de la société capitaliste: décomposition parasitaire des groupes de rentiers de la bourgeoisie, dissolution de la famille, exprimant la contradiction croissante entre la participation en masse des femmes à la production sociale et les formes de la famille et de la vie domestique héritées dans une large mesure des époques économiques antérieures; développement monstrueux des grandes villes et médiocrité de la vie rurale par suite de la division et de la spécialisation du travail; appauvrissement et dégénérescence de la vie intellectuelle et de la culture générale; incapacité de la bourgeoisie de créer, en dépit des grands progrès des sciences naturelles, une synthèse philosophique scientifique du monde; développement des superstitions idéalistes, mystiques et religieuses, tous ces phénomènes signalent l’approche de la fin historique du système capitaliste. »

De manière intéressante, le dit programme dénonce la social-démocratie pour avoir abandonné le principe de paupérisation.

« Dans le domaine de la théorie, la social-démocratie, passant du révisionnisme à un réformisme libéral-bourgeois achevé et au social-impérialisme avéré, a complètement renié le marxisme: à la doctrine marxiste de contradictions du capitalisme, elle a substitué la doctrine bourgeoise du développement harmonieux du régime; elle a relégué aux archives la doctrine des crises et de la paupérisation du prolétariat; elle a transformé la théorie ardente et menaçante de la lutte de classes en prédication banale de la paix des classes; elle a transformé la doctrine de l’aggravation des antagonismes de classes en la fable petite-bourgeoise de la ‘démocratisation’ du Capital; à la théorie de l’inévitabilité des guerres en régime capitaliste; elle a substitué la duperie bourgeoise du pacifisme et la prédication mensongère du superimpérialisme; elle a échangé la théorie de la chute révolutionnaire du capitalisme contre la fausse monnaie du capitalisme ‘sain’ se transformant paisiblement en socialisme, à la révolution elle substitue l’évolution; à la destruction de l’État bourgeois; la participation active à son édification; à la doctrine de la dictature du prolétariat; la théorie de la coalition avec la bourgeoisie; à la doctrine de la solidarité prolétarienne internationale; celle de la défense nationale impérialiste, au matérialisme dialectique de Marx, une philosophie idéaliste en coquetterie avec les déchets religieux de la bourgeoisie. »

Pareillement, les résolutions de 1930 n’emploient le principe de paupérisation qu’au sujet de deux secteurs : tout d’abord, la paysannerie qui, effectivement, s’effondre comme classe pour céder à la prolétarisation.

Ensuite, ce qui se déroule « dans les pays de type colonial », à savoir la paupérisation inouïe des ouvriers et des paysans.

Par la suite, de manière juste, l’Internationale Communiste soulignera la paupérisation propre aux régimes fascistes, qui pressurisent effectivement les masses au maximum et font reculer leur niveau de vie.

En mai 1939, on lit ainsi au sujet de l’Allemagne nazie dans la Correspondance Internationale :

« Même d’après la statistique fasciste officielle, une augmentation de 16,5 % de la population [par rapport à 1928 avec les annexions] s’oppose à une augmentation de 5,5 % de la production d’articles industriels de consommation.

Si nous faisons encore entrer en ligne de compte la baisse énorme de la qualité des marchandises, le fait qu’une notable partie des articles de consommation est destinée à l’armée et celui que la consommation des classes dominantes n’a pas diminué, nous voyons en toute évidence le processus d’appauvrissement des travailleurs.

De nombreux signes indiquent que le moment est proche en Allemagne où la pauvreté du pays engendré par les armements devient un obstacle à la production. »

On est ici dans la stricte interprétation du marxisme.

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La paupérisation selon Marx : «mais aussi dans un sens social»

Lénine avait tout à fait compris la question, bien entendu. Voici ce qu’il dit, dans un article de 1899 intitulé Karl Kautsky, Bernstein et le programme social-démocrate :

« Bernstein dit de la « théorie de la misère » de Marx ou « théorie de la paupérisation » qu’elle est abandonnée en général.

Kautsky montre qu’il s’agit ici de nouveau d’une exagération trompeuse de l’ennemi et que Marx n’a jamais affirmé une théorie de ce type.

Marx parlait de l’augmentation de la misère, de l’humiliation, etc., faisant remarquer en même temps quant à la tendance faisant opposition et aux forces sociales réelles, qui seules sont en situation d’en appeler à cette tendance.

Les mots de Marx quant à augmentation de la misère sont totalement confirmés par les faits : premièrement, nous voyons vraiment que le capitalisme a la tendance de produire la misère et de la renforcer, une misère qui prend une proportion violente, quand manque la tendance faisant opposition mentionnée plus haut.

Deuxièmement, la misère n’augmente pas au sens physique, mais au sens social, c’est dans le sens que le niveau grandissant des besoins de la bourgeoisie et les besoins de toute la société sont en rapport déséquilibré par rapport au niveau de vie des masses travailleuses.

Bernstein faisait de l’ironie au sujet d’une telle conception de la « misère », comme quoi il s’agissait d’une conception dans un sens borné.

Kautsky montre comme contre-attaque que les gens comme Lassalle, Rodbertus, Engels, ont remarqué avec une pleine décision qu’il ne fallait pas saisir la misère simplement dans un sens physique, mais aussi dans un sens social. »

Lénine, Karl Kautsky, Bernstein et le programme social-démocrate :

La chose était tout à fait entendue dans la social-démocratie : il n’y aucun misérabilisme et pas de conception d’une paupérisation absolue comme loi du mode de production capitaliste.

Ce serait même en contradiction fondamentale avec les lois essentielles du développement capitaliste. Citons ici une autre importante figure social-démocrate, Rosa Luxembourg.

Dans L’accumulation du capital, elle aborde très brièvement la question, pour dénoncer bien sûr la position d’Eduard Bernstein :

« De la détermination des salaires par les lois de la valeur d’échange, il s’avère de fait qu’avec le progrès de la productivité du travail, la part des ouvriers dans le produit devient de plus en plus petite.

Nous sommes ici au point Archimède du « système » de Rodbertus. La « baisse de la part du salaire » est la plus importante idée « à lui », qu’il a répété depuis son premier écrit social (probablement 1839) jusqu’à sa mort et qu’il considère comme « son bien propre ».

Bien que cette « idée » soit une simple conclusion de la théorie de la valeur de Ricardo, elle est implicitement contenue dans la théorie de la théorie des fonds de salaire, qui a dominé l’économie nationale bourgeoise des classiques jusqu’à l’apparition du Capital de Marx.

Néanmoins, avec cette « découverte », Rodbertus croit qu’il est devenu une sorte de Galilée dans l’économie nationale, et il fait de sa « baisse de la part du salaire » l’explication de tous les maux et les contradictions de l’économie capitaliste.

De la chute de la part du salaire, il déduit ainsi avant tout le paupérisme qui, aux côtés des crises, consiste en la « question sociale » par excellence..

Et il serait conseillé de recommander aux assassins de Marx de porter leur attention sur le fait que ce ne soit pas Marx, mais bien Rodbertus qui a été beaucoup plus proche d’eux, qui a mis en place une théorie de l’appauvrissement en tant que tel, et dans la forme la plus grossière, et à la différence de Marx, non pas comme phénomène d’accompagnement, mais comme point central de la « question sociale ».

Voyez par exemple sa preuve de la paupérisation absolue de la classe ouvrière dans sa première lettre sociale à von Kirchmann. »

Rosa Luxembourg est ici davantage critique avec Karl Rodbertus ; cela tient à sa version particulière de la compréhension du mode de production capitaliste, justement expliquée dans L’accumulation du capital. Elle considérait que le capitalisme ne pouvait continuer son développement que par l’assimilation de zones non capitalistes.

Elle n’accordait pas d’importance en tant que telle à la paupérisation, voyant une certaine stabilité dans le niveau de vie. Cette erreur va être malheureusement puissamment partagée dans le mouvement communiste.

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La paupérisation selon Marx : Karl Kautsky contre Eduard Bernstein

Au congrès de la social-démocratie allemande à Lübeck en septembre 1901, Karl Kautsky rappela la conception marxiste de la paupérisation. Il le fit à l’occasion d’un discours « contre les conceptions révisionnistes d’Eduard Bernstein », celui-ci caricaturant justement la question.

Le marxisme n’a jamais parlé d’une paupérisation générale de manière unilatérale, c’est Eduard Bernstein qui a accusé le marxisme de le faire.

Voici ce que dit Karl Kautsky à ce congrès, rappelant que le marxisme n’a donc jamais posé la question en ces termes :

« Qu’en est-il avec la théorie de la paupérisation ?

Elle dit que tout doit devenir plus difficile, avant que cela puisse aller mieux, que le prolétariat coule toujours davantage dans la misère, jusqu’à ce qu’il soit devenu toujours plus sans résistance, et qu’ensuite un grand jour de la libération fait irruption.

Camarades, cette théorie de la paupérisation a-t-elle déjà été partagé par qui que ce soit cherchant à attirer l’attention sur un aspect important ?

Certainement pas. Cette théorie de la paupérisation est réfutée depuis bien longtemps, et même par personne d’autre que Karl Marx dans son Capital.

Cette formule n’est à comprendre que comme tendance, et pas comme une vérité obligatoire ; il n’est à comprendre qu’ainsi : le capital doit aller dans le sens de former une situation toujours plus misérable au prolétariat, afin d’augmenter sa plus-value.

Cela est connu ; mais Marx lui-même a défini l’effet contraire, lui-même a été un combattant précurseur de la protection des travailleurs, un des premiers qui a fait remarquer l’importance des syndicats, quand les autres socialistes n’en voulaient rien savoir, déjà en 1847.

Il a donc montré que cette tendance est absolument nécessaire, mais qu’elle ne conduit pas de manière absolument nécessaire à la pression vers le bas de l’ouvrier.

Mais nous nous distinguons en cela des réformistes bourgeois, qu’eux croient que cette tendance peut être dépassée en elle-même, qu’une paix sociale peut être instaurée, un état, où le capital n’aurait pas à aller dans le sens d’une pression vers le bas de l’ouvrier. »

Karl Kautsky parle d’une opposition à la misère par le prolétariat en lutte, mais l’enjeu est bien plus grand et il l’avait alors bien vu. Il s’agit d’une misère sociale, pas d’une misère dans un sens étroit.

Voici, de manière plus approfondie, ce que dit Karl Kautsky dans un ouvrage de 1899, intitulé Bernstein et le programme social-démocrate.

Après avoir cité Eduard Bernstein, qui considère qu’il faut lire la question de la paupérisation chez Karl Marx comme une affirmation du caractère absolu de celle-ci, et donc erronée, Karl Kautsky défend la profondeur du point de vue de Karl Marx.

« [Bernstein affirme:] Dans son article sur l’effondrement, H. Cunow fait une telle tentative d’interprétation dans l’objectif de s’extirper.

Quand Marx, à la fin du premier livre du Capital, parle de la « masse croissante de la misère », qui émerge avec la continuation de la production capitaliste, alors ce ne serait pas, explique-t-il, à comprendre comme un simple un recul absolu de la situation économique d’existence de l’ouvrier, mais comme un « recul de sa situation sociale générale par rapport au développement culturel continu, c’est-à-dire par rapport à la productivité et l’accroissement des besoins culturels généraux. »

Le concept de misère n’est ici pas ancré de manière fixe.

[Bernstein cite de nouveau Cunow:] « Ce qui sépare, dans sa formation éducative, un ouvrier d’une catégorie précise d’un « seigneur du travail », et apparaît comme une condition souhaitable, peut avec un ouvrier qualifié d’une autre catégorie, qui est peut-être supérieur dans l’esprit à son « seigneur du travail », être considéré comme une telle quantité de « misère et de pression », l’amenant à se révolter par indignation » (Neue Zeit).

Malheureusement, Marx parle dans les phrases concernées non pas simplement de la masse grandissante de la misère, mais également « d’esclavage, d’abrutissement, d’exploitation ».

Devions-nous comprendre tous mots également dans un sens étroit ? Par exemple dire de l’abrutissement de l’ouvrier, qu’il n’est que relatif en comparaison à l’augmentation de la civilisation en général ?

Je ne suis pas enclin à cela et Cunow également pas. Non, Marx parle dans le passage concerné de manière tout à fait positive : « un nombre toujours plus restreint de magnats du capital » qui « usurpent tous les avantages » du processus de transformation capitaliste, et de « croissance de la masse de la misère, de la pression », etc. etc. (Le capital).

On peut tirer de cette comparaison la théorie de l’effondrement, pas le principe d’une misère morale par rapport à des supérieurs à l’esprit inférieur, comme on peut en trouver dans n’importe quel bureau d’études, dans toutes les organisations hiérarchiques. »

C’est ce que j’appelle toucher le point central de la question.

Bernstein fait subitement de la misère sociale, de la contradiction croissante entre les manière de subvenir à leurs besoins du bourgeois et du prolétaire la misère morale par rapport à des supérieurs à l’esprit inférieur, comme on peut en trouver dans les bureaux d’études, la misère morale du génie inconnu.

Considérer la misère comme un phénomène social, et non pas physique, c’est chez Bernstein tirer les mots dans un sens étroit.

Je rappelle ici le passage connu dans la réponse de Lassalle :

« Toute souffrance et privation humaine dépend uniquement du rapport des moyens de satisfaction aux besoins et aux habitudes de vie existant à la même époque.

Toute souffrance et privation humaines, et toutes les satisfactions humaines, c’est-à-dire toute situation humaine, n’est mesurée que par la comparaison avec la situation dans laquelle d’autres personnes de la même époque sont en rapport avec les nécessités habituelles de la vie.

Chaque position d’une classe est donc toujours mesurée uniquement par sa relation avec la position des autres classes du même temps. »

Rodbertus s’exprimait de la même manière déjà en 1850, dans sa première lettre sociale à von Kirchmann :

« La pauvreté est un concept social, c’est-à-dire relatif.

J’affirme en ce sens que les besoins légitimes des classes travailleuses, depuis qu’elles sont pris par ailleurs une position sociale plus élevée, ont considérablement augmenté et que ce ne serait pas juste, aujourd’hui, alors qu’elles ont pris position plus élevée, que de ne pas parler d’une aggravation de leur situation matérielle, même avec des salaires n’ayant pas changé…

Si on ajoute à cela, que l’augmentation de la richesse nationale est le moyen d’augmenter leur revenu, alors qu’elle n’est profitable qu’aux autres classes, alors il est clair que dans cette dichotomie entre réclamation et satisfaction, entre stimulus et renoncement forcé, la situation économique des classes travailleuses doit être rompue. »

Que Marx pensait pareillement, cela est clair lorsqu’on voit qu’il parle de l’augmentation de la misère dans Le capital, l’œuvre où il souligne tellement la renaissance physique de la classe ouvrière anglaise par les lois sur les usines.

Et Engels remarquait en 1891, l’année de la rédaction du programme d’Erfurt, que la contradiction entre capital et travail reposait sur le fait que la classe des capitalistes gardait pour elle la plus grande part de la masse croissante de produits, « alors que la partie revenant à la classe ouvrière (calculée par tête) ou bien ne s’accroît que très lentement et de façon insignifiante, ou bien reste stationnaire, ou bien encore, dans certaines circonstances, peut diminuer, non pas doit diminuer. » (Travail salarié et Capital [la traduction française est fautive, oubliant les derniers mots]) »

La chose est absolument claire : il n’y a pas de misérabilisme dans le marxisme.

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La paupérisation selon Marx : souffrance, ignorance, abrutissement, dégradation morale

Quel est le rapport entre la paupérisation absolue de l’armée industrielle de réserve et la paupérisation relative du prolétariat ? On se doute bien qu’il y en a, rien que parce que l’armée industrielle de réserve permet l’exercice d’un chantage au travail.

Karl Marx explique justement que c’est un tel chantage, mais généralisé. Karl Marx le dit bien : il ne s’agit pas que de pauvreté, il s’agit de la réalité quotidienne du travailleur en général.

Le capital devient un despote pour lui, l’abrutissant, l’enchaînant toujours davantage à son emploi, au prix d’une aliénation complète.

Cela est vrai, précise bien Karl Marx, même si le taux de salaire est haut. On a donc nullement affaire à un misérabilisme, s’imaginant que le niveau s’effondrerait de manière unilatérale.

Voici ce qu’enseigne Karl Marx :

« L’action de cette loi [d’une surpopulation miséreuse croissante], comme de toute autre, est naturellement modifiée par des circonstances particulières.

On comprend donc toute la sottise de la sagesse économique qui ne cesse de prêcher aux travailleurs d’accommoder leur nombre aux besoins du capital.

Comme si le mécanisme du capital ne le réalisait pas continuellement, cet accord désiré, dont le premier mot est : création d’une réserve industrielle, et le dernier : invasion croissante de la misère jusque dans les profondeurs de l’armée active du travail, poids mort du paupérisme.

La loi selon laquelle une masse toujours plus grande des éléments constituants de la richesse peut, grâce au développement continu des pouvoirs collectifs du travail, être mise en oeuvre avec une dépense de force humaine toujours moindre, cette loi qui met l’homme social à même de produire davantage avec moins de labeur, se tourne dans le milieu capitaliste – où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais le travailleur qui est au service des moyens de production – en loi contraire, c’est-à-dire que, plus le travail gagne en ressources et en puissance, plus il y a pression des travailleurs sur leurs moyens d’emploi, plus la condition d’existence du salarié, la vente de sa force, devient précaire.

L’accroissement des ressorts matériels et des forces collectives du travail, plus rapide que celui de la population, s’exprime donc en la formule contraire, savoir : la population productive croit toujours en raison plus rapide que le besoin que le capital peut en avoir.

L’analyse de la plus-value relative nous a conduit à ce résultat : dans le système capitaliste toutes les méthodes pour multiplier les puissances du travail collectif s’exécutent aux dépens du travailleur individuel; tous les moyens pour développer la production se transforment en moyens de dominer et d’exploiter le producteur : ils font de lui un homme tronqué, fragmentaire, ou l’appendice d’une machine; ils lui opposent comme autant de pouvoirs hostiles les puissances scientifiques de la production-, ils substituent au travail attrayant le travail forcé; ils rendent les conditions dans lesquelles le travail se fait de plus en plus anormales et soumettent l’ouvrier durant son service à un despotisme aussi illimité que mesquin; ils transforment sa vie entière en temps de travail et jettent sa femme et ses enfants sous les roues du Jagernaut [sorte de chariot géant, utilisé pour les processions hindouistes] capitaliste.

Mais toutes les méthodes qui aident à la production de la plus-value favorisent également l’accumulation, et toute extension de celle-ci appelle à son tour celles-là.

Il en résulte que, quel que soit le taux des salaires, haut ou bas, la condition du travailleur doit empirer à mesure que le capital s’accumule.

Enfin la loi, qui toujours équilibre le progrès de l’accumulation et celui de la surpopulation relative, rive le travailleur au capital plus solidement que les coins de Vulcain ne rivaient Prométhée à son rocher.

C’est cette loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »

Karl Marx, Le capital

Ce dernier paragraphe est une description adéquate de la condition du prolétariat, sous tous ses aspects.

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La paupérisation selon Marx : «honteusement inférieures au niveau normal»

Karl Marx aborde la question de la paupérisation lorsqu’il étudie les formes d’existence de la surpopulation relative.

Cela signifie que, dans Le Capital, la misère concerne des bien particuliers ; cela est très clair lorsque Karl Marx parle :

« des conditions d’existence tout à fait précaires et honteusement inférieures au niveau normal de la classe ouvrière »

La thèse marxiste de la paupérisation n’est donc pas, de manière unilatérale, une affirmation de la paupérisation absolue. En effet, la paupérisation absolue affirmée de manière unilatérale signifierait l’effacement du prolétariat, donc du capital, donc du mode de production capitaliste lui-même.

La paupérisation absolue est une tendance qui se renforce dans la mesure, et dans la mesure seulement, où l’armée de réserve industrielle grandit.

Par contre, la paupérisation relative – la « part de gâteau » toujours plus petite – est toujours plus grande ou, si l’on veut, l’écart de richesses entre le prolétariat et la bourgeoisie est toujours plus grand.

Comment Karl Marx, dans Le Capital, parle-t-il de la paupérisation absolue ? Voici ce qu’il en dit, définissant bien les secteurs concernés :

« En dehors des grands changements périodiques qui, dès que le cycle industriel passe d’une de ses phases à l’autre, surviennent dans l’aspect général de la surpopulation relative, celle-ci présente toujours des nuances variées à l’infini.

Pourtant on y distingue bientôt quelques grandes catégories, quelques différences de forme fortement prononcées – la forme flottante, latente et stagnante.

[1] Les centres de l’industrie moderne, – ateliers automatiques, manufactures, usines, mines, etc., – ne cessent d’attirer et de repousser alternativement des travailleurs, mais en général l’attraction l’emporte à la longue sur la répulsion, de sorte que le nombre des ouvriers exploités y va en augmentant, bien qu’il y diminue proportionnellement à l’échelle de la production.

Là la surpopulation existe à l’état flottant.

Dans les fabriques automatiques, de même que dans la plupart des grandes manufactures où les machines ne jouent qu’un rôle auxiliaire à côté de la division moderne du travail, on n’emploie par masse les ouvriers mâles que jusqu’à l’âge de leur maturité.

Ce terme passé, on en retient un faible contingent et l’on renvoie régulièrement la majorité. Cet élément de la surpopulation s’accroît à mesure que la grande industrie s’étend. Une partie émigre et ne fait en réalité que suivre l’émigration du capital (…).

L’exploitation de la force ouvrière par le capital est d’ailleurs si intense que le travailleur est déjà usé à la moitié de sa carrière.

Quand il atteint l’âge mûr, il doit faire place à une force plus jeune et descendre un échelon de l’échelle sociale, heureux s’il ne se trouve pas définitivement relégué parmi les surnuméraires. En outre, c’est chez les ouvriers de la grande industrie que l’on rencontre la moyenne de vie la plus courte (…).

[2] Dès que le régime capitaliste s’est emparé de l’agriculture, la demande de travail y diminue absolument à mesure que le capital s’y accumule. La répulsion de la force ouvrière n’est pas dans l’agriculture, comme en d’autres industries, compensée par une attraction supérieure. Une partie de la population des campagnes se trouve donc toujours sur le point de se convertir en population urbaine ou manufacturière, et dans l’attente de circonstances favorables à cette conversion (…).

L’ouvrier agricole se trouve par conséquent réduit au minimum du salaire et a un pied déjà dans la fange du paupérisme.

[3] La troisième catégorie de la surpopulation relative, la stagnante, appartient bien à l’armée industrielle active, mais en même temps l’irrégularité extrême de ses occupations en fait un réservoir inépuisable de forces disponibles.

Accoutumée à la misère chronique, à des conditions d’existence tout à fait précaires et honteusement inférieures au niveau normal de la classe ouvrière, elle devient la large base de branches d’exploitation spéciales où le temps de travail atteint son maximum et le taux de salaire son minimum. Le soi-disant travail à domicile nous en fournit un exemple affreux.

Cette couche de la classe ouvrière se recrute sans cesse parmi les « surnuméraires » de la grande industrie et de l’agriculture, et surtout dans les sphères de production où le métier succombe devant la manufacture, celle-ci devant l’industrie mécanique.

A part les contingents auxiliaires qui vont ainsi grossir ses rangs, elle se reproduit elle-même sur une échelle progressive (…).

[4] Enfin, le dernier résidu de la surpopulation relative habite l’enfer du paupérisme.

Abstraction faite des vagabonds, des criminels, des prostituées, des mendiants, et de tout ce monde qu’on appelle les classes dangereuses, cette couche sociale se compose de trois catégories.

[A] La première comprend des ouvriers capables de travailler. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les listes statistiques du paupérisme anglais pour s’apercevoir que sa masse, grossissant à chaque crise et dans la phase de stagnation, diminue à chaque reprise des affaires.

[B] La seconde catégorie comprend les enfants des pauvres assistés et des orphelins. Ce sont autant de candidats de la réserve industrielle qui, aux époques de haute prospérité, entrent en masse dans le service actif, comme, par exemple, en 1860.

[C] La troisième catégorie embrasse les misérables, d’abord les ouvriers et ouvrières que le développement social a, pour ainsi dire, démonétisés, en supprimant l’œuvre de détail dont la division du travail avait fait leur seule ressource puis ceux qui par malheur ont dépassé l’âge normal du salarié; enfin les victimes directes de l’industrie – malades, estropiés, veuves, etc., dont le nombre s’accroît avec celui des machines dangereuses, des mines, des manufactures chimiques, etc.

Le paupérisme est l’hôtel des Invalides de l’armée active du travail et le poids mort de sa réserve. Sa production est comprise dans celle de la surpopulation relative, sa nécessité dans la nécessité de celle-ci, il forme avec elle une condition d’existence de la richesse capitaliste.

Il entre dans les faux frais de la production capitaliste, frais dont le capital sait fort bien, d’ailleurs, rejeter la plus grande partie sur les épaules de la classe ouvrière et de la petite classe moyenne.

La réserve industrielle est d’autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l’étendue et l’énergie de son accumulation, partant aussi le nombre absolu de la classe ouvrière et la puissance productive de son travail, sont plus considérables.

Les mêmes causes qui développent la force expansive du capital amenant la mise en disponibilité de la force ouvrière, la réserve industrielle doit augmenter avec les ressorts de la richesse.

Mais plus la réserve grossit, comparativement à l’armée active du travail, plus grossit aussi la surpopulation consolidée dont la misère est en raison directe du labeur imposé.

Plus s’accroît enfin cette couche des Lazare de la classe salariée, plus s’accroît aussi le paupérisme officiel.

Voilà la loi générale, absolue, de l’accumulation capitaliste. »

La chose est donc très claire : la paupérisation absolue concerne l’armée industrielle de réserve, la partie au chômage, rendue toujours plus grande parce que les travailleurs sont chassés de la production par la tentative d’utiliser toujours plus de machines dans la concurrence.

Le capital, alors, scie la branche sur laquelle il est assis, puisque la réelle richesse provient de l’exploitation des travailleurs.

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Paupérisation absolue et relative selon Marx

La question de la paupérisation est l’une des clefs essentiels du Capital de Karl Marx. Pour des raisons historiques cependant, cette question a été enveloppée d’une brume très importante, amenant à un rapport incohérent, faux, au marxisme.

Une erreur très importante, du type misérabiliste, consiste à affirmer que le marxisme expliquerait que le prolétariat deviendrait unilatéralement de plus en plus pauvre, au sens d’un effondrement de son niveau de vie.

Cette erreur d’interprétation est, historiquement diffusée par les dénonciateurs du marxisme, qui prétendent avoir prouver son erreur fondamentale, en opposant les faits à la lecture misérabiliste de la paupérisation.

Voici ce qu’il en est réellement. Karl Marx, dans le Capital rappelle le principe de base concernant le salaire : ce dernier ne peut exister que dans la mesure où il satisfait les intérêts des capitalistes.

Il ne peut pas être trop haut, car sinon le capitaliste n’y voit pas d’intérêt. Il ne peut pas être trop bas, sinon les travailleurs ne peuvent survivre et se reproduire. Karl Marx explique donc :

« Le prix du travail ne peut donc jamais s’élever qu’entre des limites qui laissent intactes les bases du système capitaliste et en assurent la reproduction sur une échelle progressive. »

Or, le salaire n’existe que dans le cadre de la production. Celle-ci s’améliore toujours davantage : c’est là tout l’intérêt historique du mode de production capitaliste ; il agrandit les forces productives.

Par conséquent, on lit dans Le Capital :

« Mais par quelle voie s’obtient ce résultat ? Par une série de changements dans le mode de produire qui mettent une somme donnée de force ouvrière à même de mouvoir une masse toujours croissante de moyens de production.

Dans cet accroissement, par rapport à la force ouvrière employée, les moyens de production jouent un double rôle.

Les uns, tels que machines, édifices, fourneaux, appareils de drainage, engrais minéraux, etc., sont augmentés en nombre, étendue, masse et efficacité, pour rendre le travail plus productif, tandis que les autres matières premières et auxiliaires s’augmentent parce que le travail devenu plus productif en consomme davantage dans un temps donné. »

En clair, la production connaît des sauts qualitatifs, par les découvertes et les inventions, permettant une amélioration générale des capacités productives. Le développement technologique permet une production meilleure et plus importante, nécessitant par ailleurs moins de travailleurs.

Cette mise de côté des travailleurs est, comme on le sait, à la base du principe de la baisse tendancielle du taux de profit.

Cependant, l’autre aspect est donc une amélioration générale des capacités productives, et cela est d’autant plus vrai que le marché est mondialisé, avec une concurrence accrue, une consommation plus grande, impliquant des capitaux plus vastes.

C’est à partir de là qu’il faut voir ce qu’est la paupérisation. Il faut pour cela bien distinguer deux formes propres à la paupérisation :

– la paupérisation relative : en proportion, le prolétariat a « une part du gâteau » toujours plus petite, mais le gâteau continue de grandir ;

– la paupérisation absolue : en proportion, le prolétariat a « une part du gâteau » toujours plus petite, mais le gâteau a cessé de grandir.

Ce que dit Karl Marx, c’est que :

– l’armée industrielle de réserve, existant obligatoirement dans un mode de production capitaliste qui utilise cette armée de chômeurs comme outil pour comprimer les salaires et se renforçant des travailleurs mis de côté par les machines, connaît un phénomène de paupérisation absolue.

– les travailleurs, eux, connaissent une paupérisation relative : leur niveau de vie s’élève, mais leur part de richesse dans la richesse générale, est toujours plus réduite. À cela s’ajoute une paupérisation sociale absolue, c’est-à-dire l’enfermement dans le travail soumis au capitaliste.

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Karl Marx et la crise de surproduction : la surproduction des moyens de production

Immédiatement après avoir précisé dans quelle mesure la surproduction de capital n’est pas une « surproduction absolue tout court », Karl Marx précise dans quel cas elle serait une surproduction des moyens de production, une surproduction absolue.

Il faut comprendre la chose ainsi selon lui :

« [La véritable, en tant que telle] surproduction de capital ne signifie jamais autre chose que surproduction de moyens de production – moyens de travail et subsistances – pouvant exercer la fonction de capital, c’est-à-dire susceptibles d’être utilisés pour exploiter le travail à un degré d’exploitation donné. »

Karl Marx, Le capital

Ce que cela implique, c’est la surproduction de marchandises. La véritable crise du capitalisme ne consiste pas en une simple surproduction de capital. C’est pour cela que Lénine a pu définir l’impérialisme, comme émergence historique de la surproduction de capital et son affirmation comme superstructure, sans modification de l’infrastructure capitaliste.

La véritable crise du capitalisme consiste en la combinaison de la surproduction de capital et de la surproduction de marchandises. Karl Marx synthétise de la manière suivante cette double nature :

« La fin [au sens de l’objectif] du capital étant la production de profit et non la satisfaction des besoins, le capital n’atteignant ce but que par des méthodes qui adaptent la masse de sa production à l’échelle de production et non inversement, il doit nécessairement y avoir sans cesse discordance entre les dimensions restreintes de la consommation sur la base capitaliste et une production qui sans cesse tend à franchir cette barrière qui lui est immanente.

Du reste, on sait que le capital se compose de marchandises et par suite la surproduction de capital inclut celle des marchandises.

D’où la bizarrerie du fait que les mêmes économistes qui nient toute surproduction de marchandises reconnaissent la surproduction de capital. »

Karl Marx, Le capital

La chose est ici très claire et ceux qui résument la crise à une surproduction de capital n’ont pas compris qu’il ne s’agissait que d’un aspect de la question.

À quoi ressemblerait cependant une situation de surproduction de capital et de surproduction de marchandises ? Karl Marx relie cela à la question de chaque cycle capitaliste, qui produit davantage de capital. Il définit par conséquent la chose ainsi :

« Le taux de profit, c’est-à-dire l’accroissement relatif de capital, est surtout important pour toutes les nouvelles agglomérations de capital qui se forment d’elles-mêmes.

Et si la formation de capital devenait le monopole exclusif d’un petit nombre de gros capitaux arrivé à maturité, pour lesquels la masse de capitaux l’emporterait sur son taux, le feu de la production s’éteindrait définitivement. »

Karl Marx, Le capital

On sait maintenant quand se produit la crise générale du capitalisme : quand le cycle est cassé, c’est-à-dire quand les capitalistes empêchent l’émergence d’autres capitalistes, ne vivant par ailleurs plus que d’une vaste production, allant dans le sens d’une mise en esclavage, ne s’intéressant plus à la question du taux de profit.

On est là dans ce que Lénine a appelé le capitalisme monopoliste d’État pendant la Seconde Guerre mondiale, mais pas du tout au sens d’un nouveau mode de production (comme chez Eugen Varga et Paul Boccara), seulement au sens du moment d’effondrement final des cycles capitalistes.

Cet effondrement va de pair avec la socialisation obligatoire de l’économie, sans quoi c’est le retour – par ailleurs impossible de par les lois du mouvement de la matière – à la féodalité.

Lorsque les capitalistes monopolistes prédominent totalement, dans une situation historique, alors le capitalisme monopoliste est l’antichambre du socialisme.

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Karl Marx et la crise de surproduction : la surproduction absolue de capital

La sous-partie « Excédent de capital accompagné d’une population excédentaire » est aussi longue que les deux précédentes prises ensemble ; elle dispose qui plus est d’un addenda tout aussi long, qui fournit cependant des éléments secondaires, des précisions.

Elle est le prolongement direct de ce qu’a dit Karl Marx auparavant et présente les traits généraux de ce qu’est la crise du mode de production capitaliste au sens strict.

Le premier aspect, vraiment important, est l’explication pourquoi au bout d’un moment, les petits capitaux sont particulièrement agressifs. C’est qu’ils sont placés dans une situation particulièrement exigeante.

Voici comment la chose est présentée :

« La masse des petits capitaux éparpillés est ainsi contrainte à s’engager dans la voie de l’aventure : spéculation, gonflement abusif du crédit, bluff sur les actions, crises.

Ce qu’on appelle la plethora [la pléthore] de capital concerne toujours essentiellement la pléthore du capital pour lequel la chute du taux de profit n’est pas compensée par sa masse [comme pour le grand capital] – et c’est le cas toujours des bourgeonnements de capital frais qui viennent de se former – ou la pléthore qui, sous forme de crédit, met ces capitaux, incapables d’exercer une action à leur propre bénéfice, à la disposition de ceux qui dirigent les grands secteurs commerciaux ou industriels.

Cette pléthore de capital naît des mêmes conditions qui provoquent une surpopulation relative, et c’est donc un phénomène qui vient compléter celle-ci, bien que les deux faits se situent à des pôles opposés, capital inemployé d’un côté et population ouvrière non occupée de l’autre. »

Karl Marx, Le capital

Il ne s’agit ici que d’une précision de ce qui a été dit auparavant. Eugen Varga en fera d’ailleurs la base principale de sa description du capitalisme « bloqué », en théorisant un chômage de masse permanent.

La phrase qui suit la citation est pourtant d’une importance très grande :

« Surproduction de capital, non de marchandises singulières – quoique la surproduction de capital implique toujours surproduction de marchandises – signifie donc suraccumulation de capital. »

Karl Marx, Le capital

Eugen Varga mit cet aspect de côté ; son disciple français Paul Boccara en fit par contre le cœur de son interprétation du « capitalisme monopoliste d’État ». La suraccumulation, le fait que le capital ne puisse plus se placer quelque part, serait telle que l’État s’assimilerait au capital pour trouver de nouveaux espaces.

Le problème est que Karl Marx ne mentionne cette suraccumulation de capital, ou bien surproduction absolue de capital, seulement comme hypothèse de travail pour développer sa thèse sur la crise.

Chez Paul Boccara, cette hypothèse est prise pour la réalité, il est vrai pour justifier dans les années 1960 la participation aux institutions pour les protéger contre un prétendu assaut du capital en surplus.

Mais pourquoi Karl Marx a-t-il besoin de l’hypothèse de la surproduction absolue de capital ?

La raison en est la suivante. Il imagine que cela soit le cas et il dit qu’il y aurait alors une partie du capital en jachère, comme en attente, et de l’autre un capital en action, mais peu mis en valeur en raison de la grande concurrence posée par le capital en attente.

Il expose alors la situation, qui serait marquée par une destruction de capital provoquée par une crise ayant comme source l’impossibilité de valoriser par la vente de marchandises, dans un contexte d’hyper-concurrence.

Les prix s’effondreraient, il y aurait une sorte de décompression, mais ce n’est pas du tout la question ici : Karl Marx mentionne justement cette hypothèse pour dire qu’elle n’est pas possible. Il est explicite :

« Et ainsi la boucle serait de nouveau bouclée. Une partie du capital dévalué pour avoir cessé de fonctionner retrouverait son ancienne valeur.

Pour le reste, les choses décriraient de nouveau le même cercle vicieux sur la base de conditions de production élargies, d’un marché plus vaste, d’une force productive augmentée.

Mais même dans l’hypothèse extrême que nous avons émise de surproduction absolue de capital, il n’y aurait pas en fait surproduction absolue tout court, surproduction absolue des moyens de production.

Il n’y a surproduction de moyens de production que dans la mesure où ceux-ci font office de capital et, partant, impliquent par rapport à leur valeur qui s’est gonflée avec leur masse une mise en valeur de cette valeur, dans la mesure où ils doivent créer une valeur additionnelle. »

Karl Marx, Le capital

On sait désormais comment Karl Marx voit la crise du capitalisme : comme surproduction des moyens de production.

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Karl Marx et la crise de surproduction : la question de la nature de la crise

Il ne faut jamais perdre de vue que la question de la nature de la crise n’exige pas simplement une « logique » adéquate ; c’est indéniablement avant tout une question politique.

C’est la lecture politique de la réalité qui va prédéterminer la manière de saisir la crise du capitalisme et ses modalités. Cette question a pour cette raison été celle des grands débats dans l’Internationale Communiste dans les années 1920.

Si Léon Trotsky se fait ainsi rejeter, c’est parce que sa thèse implique que le capitalisme a rencontré le mur, que les forces productives ne peuvent plus se développer. Cela signifie, de fait, que les trotskystes expliquent depuis des décennies que les forces productives ne se seraient plus développés depuis 1920…

Si Boukharine se fait pareillement rejeter, c’est parce qu’il affirme que dans chaque pays, les monopoles ont entièrement pris le pouvoir et qu’il n’y a plus de contradiction dans le capitalisme au niveau national.

On l’a compris, la question revenant inlassablement est celle du capitalisme organisé. Cette conception est d’ailleurs ouvertement assumée par les socialistes allemands après 1918. Ils considèrent que les communistes ont tort de penser que le capitalisme est à bout de souffle.

La thèse qui triompha à l’opposé au sein de l’Internationale Communiste est celle de la stabilité relative dans la crise générale du capitalisme : le capitalisme a rencontré le mur de ses limites, mais peut passer quelques paliers, difficilement, et dans tous les cas en s’orientant toujours plus vers la guerre.

Eugen Varga, qui a participé au premier chef à l’élaboration de ce concept, va toutefois le fétichiser, et considérer que le capitalisme maintenu va modifier sa nature, se rationaliser, s’intellectualiser pour trouver une solution.

Le marxisme ne considérant pas que le capital « pense », il alla chercher ce « cerveau » auprès de l’État. L’alliance de l’État et du capital aurait permis le maintien du capitalisme.

Dans les années 1960, Paul Boccara poursuivra directement le tir, en faisant du capitalisme monopoliste d’État une sorte de super-capitalisme s’auto-gérant.

Il y eut par ailleurs de nombreuses analyses du même type, faisant du capitalisme une forme sociale gérée par une bureaucratie par les cadres des entreprises (le « néo-capitalisme »), par une toute petite oligarchie organisée de manière complotiste (le « groupe Bilderberg », les « illuminatis », etc.), par les État-Unis d’Amérique, par le FMI et la banque mondiale, par les complexes militaro-industriels, par les multinationales, etc.

Toutes ces conceptions d’un capitalisme organisé sont directement reliés historiquement à la négation de la possibilité de la crise du capitalisme.

Karl Marx, au moyen de la troisième partie de son analyse de la baisse tendancielle du taux de profit, contredit pourtant cela.

Le long exposé intitulé « Excédent de capital accompagné d’une population excédentaire » donne une réponse très claire à la question de savoir ce qu’est la crise capitaliste.

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Karl Marx et la crise de surproduction : l’ultime barrière

Voici un long passage dans lequel Karl Marx explique la nature de « crise » propre au capitalisme. Il faut ici bien faire attention : ce n’est pas une définition terminée, il reste une sous-partie, on n’en est ici qu’à la fin de la seconde sous-partie.

Si l’on s’arrête là, on tombe inévitablement dans l’interprétation erronée d’Eugen Varga, qui a secoué l’Internationale Communiste dans les années 1920-1930. C’est la thèse d’une « crise générale du capitalisme » qui serait un capitalisme perpétuellement en crise, surmontant par moments celle-ci pour une relance cyclique, qui basculerait elle-même dans la crise, etc., dans une sorte d’allers-retours sans fin.

Karl Marx dit la chose suivante :

« La dépréciation périodique du capital existant [car à chaque cycle le capital s’agrandit, donc le capital précédent voit sa part dans le total s’abaisser], qui est un moyen immanent au mode de production capitaliste d’arrêter la baisse du taux de profit et d’accélérer l’accumulation de valeur-capital par la formation de capital neuf, perturbe les conditions données, dans lesquelles s’accomplissent les procès de circulation et de reproduction du capital, et, par suite, s’accompagnent de brusques interruptions et de crises du procès de production.

La baisse relative du capital variable par rapport au capital constant, qui va de pair avec le développement des forces productives, stimule l’accroissement de la population ouvrière, tout en créant constamment une surpopulation artificielle [c’est-à-dire que le chômage est provoqué ici par l’abaissement de la part des ouvriers dans la production, aux dépens des machines].

L’accumulation du capital, au point de vue de sa valeur, est ralentie par la baisse du taux de profit, qui hâte encore l’accumulation de la valeur d’usage [de marchandises utiles, utilisées], tandis que celle-ci, à son tour accélère le cours de l’accumulation quant à sa valeur [car plus de choses sont produites et vendues, donc valorisant le capital].

La production capitaliste tend sans cesse à dépasser ces limites qui lui sont immanentes, mais elle n’y parvient qu’en employant des moyens qui, de nouveau, et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières.

La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même. »

Cela signifie ici que le capitalisme est par nature déséquilibré, car il augmente les forces productives, mais en même temps s’appuie sur l’appauvrissement du plus grand nombre, or il faut bien vendre ce qui a été produit pour passer au prochain cycle productif.

Le capitalisme connaît donc une ultime barrière, propre à sa nature, existant de manière interne. Il développe les moyens d’existence de l’humanité, mais le capital étant sa propre fin, il ôte en même temps ce qu’il fournit.

Cependant, cela veut-il dire que les crises du capitalisme ne sont finalement que des situations d’équilibre, et que le capitalisme est toujours en déséquilibre, sans pour autant connaître de crise finale ?

Faut-il alors considérer qu’à un moment, on est tellement proche de la barrière, que le capitalisme ne peut plus vraiment grandir ?

Ou bien qu’il y aura toujours une nouvelle vague de capitalistes produit par le nouveau cycle, et relançant la machine ?

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Karl Marx et la crise de surproduction : la notion de crise

Karl Marx, pour commencer, constate la chose suivante dans la seconde partie du chapitre XV. Les capitalistes peuvent soit mettre de côté des ouvriers, soit renforcer leur exploitation. Dans le premier cas, le taux de profit baisse, dans le second il augmente.

Or, même en augmentant le taux d’exploitation des ouvriers restants, on ne rattrapera pas le niveau d’exploitation acquis lorsqu’il y avait plus d’ouvriers. La baisse tendancielle du taux de profit semble inéluctable.

Seulement voilà, et ici Karl Marx montre qu’il avait tout à fait prévu l’avenir, contrairement à ce qui est dit : selon lui, plus les forces productives augmentent, plus il y a des marchandises qu’on peut acheter.

Préfigurant la « société de consommation », Karl Marx explique la chose suivante :

« Le développement de la force productive du travail contribue indirectement à augmenter la valeur-capital existante en multipliant la masse et la diversité des valeurs d’usage qui représentent la même valeur d’échange et constituent le substrat matériel du capital, ses éléments concrets, les objets matériels qui composent directement le capital constant et, au moins indirectement, le capital variable.

Avec le même capital et le même travail, on crée davantage d’objets susceptibles d’être convertis en capital, abstraction faite de leur valeur d’échange ; objets qui peuvent servir à absorber du travail additionnel, donc du surtravail additionnel aussi, et donc peuvent servir à créer du capital additionnel. »

Karl Marx, Le capital

Cela correspond à ce qui a été formulé : un accroissement du nombre de marchandises est un saut quantitatif, mais ne modifie pas le problème sur le plan qualitatif.

Ce n’est pas tout. Avec le développement des forces productives, le même capital devient plus productif qu’auparavant. Il a gagné en puissance qualitative. Et le capital est plus nombreux à chaque cycle, il y a donc plus de capital, ce qui fait que le même capital a perdu de la puissance quantitative.

À chaque cycle, le capital est plus grand, le même capital plus puissant par rapport à ce qu’il était, mais sa part dans l’ensemble du capital s’est vu réduite, puisqu’il y a davantage de capital. On a là un faisceau de contradictions et Karl Marx embraie alors là-dessus, en avertissant de la complexité dialectique à laquelle on va faire face.

Il prévient ainsi :

« Mais il ne faut pas se contenter, à la manière de Ricardo, d’étudier ces deux phases [baisse qualitative du taux de profit, augmentation du profit par le renforcement quantitatif de la production], incluses dans le procès d’accumulation, dans leur coexistence paisible : elles renferment une contradiction qui se manifeste en tendances et en phénomènes contradictoires. Les facteurs antagoniques agissent simultanément les uns contre les autres (…).

Périodiquement, le conflit des facteurs antagoniques se fait jour dans des crises. Les crises ne sont jamais que des solutions violentes et momentanées des contradictions existantes, de violentes éruptions qui rétablissent pour un instant l’équilibre rompu. »

Karl Marx, Le capital

Nous voilà donc au cœur de la question de crises, que Karl Marx définit ici comme interne au processus d’accumulation, d’une part, et ensuite comme également momentanées. Cependant, on voit également que ces éruptions ne font que momentanément rétablir l’équilibre : il faut bien voir que pour Karl Marx la crise n’est pas un déséquilibre, mais un équilibre !

Le capitalisme ne se développe qu’à travers un déséquilibre. Sa croissance n’est pas une symétrie entre ses composantes, mais une dissymétrie.

C’est pourquoi la planification en URSS, développée sous Staline, lui oppose le plan comme développement harmonieux des forces productives.

Cependant, en quoi consiste alors la notion de crise chez Karl Marx ? Quel est son sens, puisque la crise est ici équilibre, et non pas déséquilibre ? C’est qu’en fait, le capitalisme est lui-même une crise dans son existence elle-même.

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