Lénine : Conquis et consacré

[publié le 6 mars 1919 dans la Pravda, à l’occasion de la rendue publique de la tenue du premier congrès de l’Internationale Communiste.]

Dans la révolution, seules les conquêtes des masses prolétariennes sont inébranlables. Seules les conquêtes véritablement inébranlables méritent d’être enregistrées.

La fondation de la III° Internationale, l’Internationale communiste, à Moscou, le 2 mars 1919, a été la consécration des conquêtes des masses prolétariennes, non seulement russes, non seulement de Russie, mais aussi allemandes, autrichiennes, hongroises, finlandaises, suisses, en un mot, des masses prolétariennes internationales.

Et c’est justement pour cette raison que la fondation de la IIIe Internationale, l’Internationale communiste, est une œuvre inébranlable.

Il y a à peine quatre mois, on ne pouvait encore dire que le pouvoir des Soviets, que la forme soviétique d’Etat soit une conquête internationale. Il impliquait un élément, du reste essentiel, propre non seulement à la Russie mais à tous les pays capitalistes. Cependant, on ne pouvait encore dire, avant l’épreuve des faits, quelles modifications – de quelle profondeur et de quelle importance – apporterait le développement de la révolution mondiale.

La révolution allemande a donné cette vérification. Un pays capitaliste évolué, après un des pays les plus arriérés, a montré au monde entier, en peu de temps, en une centaine de jours, non seulement les mêmes forces fondamentales de la révolution, non seulement la même orientation fondamentale, mais aussi la même forme fondamentale de la démocratie nouvelle, de la démocratie prolétarienne : les Soviets.

Parallèlement, en Angleterre, pays vainqueur, le plus riche en colonies, le pays qui était et passait depuis fort longtemps pour un modèle de la «paix sociale», le pays du plus vieux capitalisme, nous constatons la croissance puissante, impétueuse, irrésistible, sur un large front, des Soviets et des nouvelles formes soviétiques de la lutte des masses prolétariennes, les « Shop Stewards Committees ».

En Amérique, le pays capitaliste le plus puissant et le plus jeune, l’immense sympathie des masses ouvrières va aux Soviets.

La glace est brisée.

Les Soviets ont vaincu le monde entier.

Ils ont vaincu tout d’abord et par-dessus tout dans ce sens qu’ils ont gagné la sympathie des masses prolétariennes. C’est là l’essentiel.

Il n’est pas de férocité de la bourgeoisie impérialiste, il n’est pas de persécution et d’assassinat de bolchéviks, capables de ravir cette conquête aux masses. Plus la bourgeoisie «démocratique» sévira, et plus inébranlables seront ces conquêtes dans le cœur des masses prolétariennes, dans leur état d’esprit, dans leur conscience, dans leur volonté de lutte héroïque.

La glace est brisée.

Et c’est pourquoi les travaux de la Conférence internationale des communistes, tenue à Moscou, et qui a fondé la IIIe Internationale, se sont déroulés si aisément sans encombre, avec tant de calme et de fermeté.

Nous avons enregistré ce qui est déjà conquis. Nous avons consigné sur le papier ce qui était déjà inébranlable dans la conscience des masses.

Tous savaient, bien plus, tous voyaient, sentaient, percevaient, chacun à la lumière de l’expérience de son pays, qu’un mouvement nouveau, un mouvement prolétarien, sans précédent dans le monde par sa puissance et sa profondeur, a déferlé, qu’il ne se confine pas dans les anciennes limites, quelles qu’elles soient, qu’il ne saurait être enrayé par les grands maîtres de la petite politicaillerie, ni par les Lloyd George et les Wilson du capitalisme démocratique anglo-américain, dont l’expérience et l’habileté sont fameuses, ni par les Henderson, les Renaudel, les Branting et autres héros du social-chauvinisme qui en ont vu de toutes les couleurs.

Le nouveau mouvement va vers la dictature du prolétariat ; il y va en dépit de toutes les hésitations, en dépit des défaites atroces, en dépit du chaos «russe» jamais vu et incroyable (si l’on s’en tient à l’aspect extérieur), il va vers le pouvoir des Soviets avec la puissance d’un torrent, un torrent formé des millions et des dizaines de millions de prolétaires, un torrent qui balaie tout sur son chemin.

Nous l’avons consigné. Nos résolutions, nos thèses, nos rapports et nos discours enregistrent ce qui est déjà conquis.

A la lumière éclatante de la nouvelle expérience des ouvriers révolutionnaires, de cette riche expérience d’une portée universelle, la théorie marxiste nous a aidé à comprendre les lois qui président à la marche des événements.

Elle aidera les prolétaires du monde entier qui luttent pour jeter bas l’esclavage du salariat capitaliste, à prendre conscience plus nettement des objectifs de leur lutte, à avancer d’un pas plus ferme sur le chemin déjà tracé, à vaincre d’une manière plus sûre et plus inébranlable et à consolider la victoire.

La fondation de la IIIe Internationale, l’Internationale communiste, est le prélude de la République internationale des Soviets, de la victoire mondiale du communisme.

Le 5 mars 1919

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: Manifeste

Manifeste de l’Internationale Communiste aux prolétaires du monde entier !

Il y a soixante-douze ans, le parti communiste présenta au monde son programme sous forme d’un manifeste écrit par les plus grands prophètes de la Révolution prolétarienne, Karl Marx et Friedrich Engels.

A cette époque déjà, le communisme, à peine entré dans sa lutte, était accablé sous les poursuites, les mensonges, la haine et les persécutions des classes possédantes qui devinaient justement en lui leur ennemi mortel.

Pendant ces trois quarts de siècle, le développement du communisme a suivi des voies complexes, connaissant tour à tour les tempêtes de l’enthousiasme et les périodes de découragement, les succès et les durs échecs.

Mais au fond le mouvement suivit la route tracée par le Manifeste du Parti communiste. L’heure de la lutte finale et décisive est arrivée plus tard que ne l’escomptaient et ne l’espéraient les apôtres de la Révolution sociale. Mais elle est arrivée.

Nous, communistes, représentants du prolétariat révolutionnaire des différents pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie, rassemblés à Moscou, capitale de la Russie soviétique, nous nous sentons les héritiers et les continuateurs de l’œuvre dont le programme a été annoncé il y a soixante-douze ans.

Notre tâche est de généraliser l’expérience révolutionnaire de la classe ouvrière, de débarrasser le mouvement des mélanges impurs de l’opportunisme et du social-patriotisme, d’unir les forces de tous les partis vraiment révolutionnaires du prolétariat mondial et par là même de faciliter et de hâter la victoire de la Révolution communiste dans le monde entier.

Aujourd’hui que l’Europe est couverte de débris et de ruines fumantes, les plus coupables des incendiaires s’occupent à rechercher les responsables de la guerre. Ils sont suivis de leurs laquais, professeurs, parlementaires, journalistes, social-patriotes et autres soutiens politiques de la bourgeoisie.

Au cours d’une longue série d’années, le socialisme a prédit l’inéluctabilité de la guerre impérialiste ; il en a vu les causes dans le désir insatiable du lucre et de la propriété des classes possédantes des deux concurrents principaux et en général de tous les pays capitalistes.

Deux ans avant l’explosion, au congrès de Bâle, les chefs socialistes responsables de tous les pays dénonçaient l’impérialisme comme le fauteur de la guerre future. Ils menaçaient la bourgeoisie de déchaîner sur sa tête la Révolution sociale, vengeance du prolétariat contre les crimes du capitalisme.

Maintenant, après une expérience de cinq ans, alors que l’histoire, ayant mis au jour les appétits rapaces de l’Allemagne, dévoile les agissements non moins criminels des Alliés, les socialistes officiels des pays de l’Entente, à la suite de leurs gouvernements, ne cessent de dénoncer dans le kaiser allemand déchu le grand coupable de la guerre.

Bien plus, dans leur abjecte servilité, les social-patriotes allemands, qui, en août 1914, faisaient du livre blanc diplomatique du Hohenzollern l’évangile sacré des nations, accusent maintenant à leur tour cette monarchie allemande abattue, dont ils furent les fidèles serviteurs, d’être la cause principale de la guerre.

Ils espèrent ainsi à la fois oublier le rôle qu’ils ont joué et gagner l’indulgence des vainqueurs.

Mais à côté du rôle joué par les dynasties déchues des Romanov, des Hohenzollern, des Habsbourg et des cliques capitalistes de leurs pays, le rôle des classes dirigeantes de France, d’Angleterre, d’Italie et des Etats-Unis apparaît dans toute son ampleur criminelle à la lumière des événements accomplis et des révélations diplomatiques.

Jusqu’à l’explosion même de la guerre, la diplomatie anglaise ne leva point son masque mystérieux. Le gouvernement de la City craignait que s’il déclarait catégoriquement son dessein de participer à la guerre aux côtés de l’Entente, le gouvernement de Berlin ne reculât et qu’il n’y eût pas de guerre.

C’est pourquoi l’on se conduisit de façon à faire espérer d’une part, à Berlin et à Vienne, la neutralité de l’Angleterre et à permettre, d’autre part, à Paris et à Pétrograd de compter fermement sur l’intervention.

Préparée par la marche de l’histoire pendant plusieurs dizaines d’années, la guerre fut déchaînée par une provocation directe et consciente de la Grande-Bretagne.

Le gouvernement de ce pays avait fait le calcul de soutenir la Russie et la France exclusivement dans la mesure nécessaire pour les épuiser en épuisant l’Allemagne, son ennemie mortelle. Mais la puissance du système militaire allemand apparut trop dangereuse et imposa une intervention non plus apparente mais réelle de l’Angleterre.

Le rôle de spectateur souriant, auquel la Grande-Bretagne prétendait par tradition, revint aux Etats-Unis.

Le gouvernement de Wilson accepta d’autant plus facilement le blocus anglais, qui diminuait les possibilités de spéculation de la Bourse américaine sur le sang européen, que les puissances de l’Entente dédommagèrent, par de gros bénéfices, la bourgeoisie américaine de cette violation du « droit international ». Cependant l’énorme supériorité militaire de l’Allemagne obligea à son tour le gouvernement de Washington à sortir de l’état de neutralité fictive à l’égard de l’Europe.

Les Etats-Unis se chargèrent de la mission que l’Angleterre avait remplie dans les guerres passées et qu’elle avait essayé de remplir dans la dernière guerre, par rapport au continent : affaiblir un des camps en se servant de l’autre, et ne se mêler des opérations militaires que dans la mesure indispensable pour s’assurer tous les avantages de la situation. L’enjeu exposé de la loterie américaine n’était pas grand, mais il fut le dernier et par là lui assurait le gain.

Les contradictions du régime capitaliste se révélèrent à l’humanité à la suite de la guerre, sous forme de souffrances physiques : la faim, le froid, les maladies épidémiques et une recrudescence de barbarie.

Ainsi est jugée sans appel la vieille querelle académique des socialistes sur la théorie de la paupérisation et du passage progressif du capitalisme au socialisme.

Les statisticiens et les pontifes de la théorie de l’arrondissement des angles avaient, pendant des dizaines d’années, recherché dans tous les coins du monde des faits réels ou imaginaires capables de démontrer le progrès du bien-être de certains groupes ou catégories de la classe ouvrière.

La théorie de la paupérisation des masses était regardée comme enterrée sous les coups de sifflets méprisants des eunuques occupant les tribunes universitaires de la bourgeoisie et des mandarins de l’opportunisme socialiste. Maintenant ce n’est pas seulement la paupérisation sociale, mais un appauvrissement physiologique, biologique, qui se présente à nous dans toute sa réalité hideuse.

La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé de fond en comble toutes les conquêtes des batailles syndicalistes et parlementaires. Et pourtant cette guerre est née des tendances internes du capitalisme dans la même mesure que les marchandages économiques ou les compromis parlementaires qu’elle a enterrés dans le sang et dans la boue.

Le capital financier, après avoir précipité l’humanité dans l’abîme de la guerre, a subi lui-même durant cette guerre une modification catastrophique.

L’état de dépendance dans lequel était placé le papier-monnaie vis-à-vis du fondement matériel de la production, a été définitivement rompu. Perdant de plus en plus sa valeur de moyen et de régulateur de l’échange des produits dans le régime capitaliste. Le papier-monnaie s’est transformé en instrument de réquisition, de conquête et en général d’oppression militaire et économique.

La dépréciation totale des billets de banque marque la crise mortelle générale qui affecte la circulation des produits dans le régime capitaliste.

Si la libre concurrence, comme régulateur de la production et de la répartition, fut remplacée dans les champs principaux de l’économie par le système des trusts et des monopoles, plusieurs dizaines d’années avant la guerre, le cours même de la guerre a arraché le rôle régulateur et directeur aux groupements économiques pour le transmettre directement au pouvoir militaire et gouvernemental.

La répartition des matières premières, l’exploitation du naphte de Bakou ou de Roumanie, de la houille du Donetz, du froment d’Ukraine, l’utilisation des locomotives, des wagons et des automobiles d’Allemagne, l’approvisionnement en pain et en viande de l’Europe affamée, toutes ces questions fondamentales de la vie économique du monde ne sont plus réglées par la libre concurrence, ni même par des combinaisons de trusts ou de consortiums nationaux et internationaux.

Elles sont tombées sous le joug de la tyrannie militaire pour lui servir de sauvegarde désormais. Si l’absolue sujétion du pouvoir politique au capital financier a conduit l’humanité à la boucherie impérialiste, cette boucherie a permis au capital financier non seulement de militariser jusqu’au bout l’Etat, mais de se militariser lui-même, de sorte qu’il ne peut plus remplir ses fonctions économiques essentielles que par le fer et par le sang.

Les opportunistes qui, avant la guerre, invitaient les ouvriers à modérer leurs revendications sous prétexte de passer lentement au socialisme, qui, pendant la guerre, l’ont obligé à renoncer à la lutte de classes au nom de l’union sacrée et de la défense nationale, exigent du prolétariat un nouveau sacrifice, cette fois afin de triompher des conséquences effroyables de la guerre.

Si de tels prêches pouvaient influencer les masses ouvrières, le développement du capital se poursuivrait en sacrifiant de nombreuses générations, avec des formes nouvelles, encore plus concentrées et plus monstrueuses, avec la perspective fatale d’une nouvelle guerre mondiale. Par bonheur pour l’humanité, cela n’est plus possible.

L’étatisation de la vie économique, contre laquelle protestait tant le libéralisme capitaliste, est un fait accompli. Revenir, non point à la libre concurrence, mais seulement à la domination des trusts, syndicats et autres pieuvres capitalistes, est désormais impossible. La question est uniquement de savoir quel sera désormais celui qui prendra la production étatisée : l’Etat impérialiste ou l’Etat du prolétariat victorieux.

En d’autres termes, l’humanité travailleuse tout entière deviendra-t-elle l’esclave tributaire d’une clique mondiale triomphante qui, sous l’enseigne de la Ligue des Nations, au moyen d’une armée « internationale » et d’une flotte « internationale » pillera et étranglera les uns, entretiendra les autres, mais, toujours et partout, enchaînera le prolétariat, dans le but unique de maintenir sa propre domination ?

Ou bien la classe ouvrière d’Europe et des pays les plus avancés des autres parties du monde s’emparera-t-elle de la vie économique, même désorganisée et détruite, afin d’assurer sa reconstruction sur des bases socialistes ?

Abréger l’époque de crise que nous traversons ne se peut que par les méthodes de la dictature du prolétariat, qui ne regarde pas le passé, qui ne compte ni avec les privilèges héréditaires, ni avec le droit de propriété, qui, ne considérant que la nécessité de sauver les masses affamées, mobilise pour cela tous les moyens et toutes les forces, décrète pour tout le monde l’obligation du travail, institue le régime de la discipline ouvrière, afin de ne pas seulement guérir, en quelques années, les plaies béantes faîtes par la guerre, mais encore d’élever l’humanité à une hauteur nouvelle et insoupçonnable.

L’Etat national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l’expansion des forces productives.

Ce phénomène a rendu plus difficile la situation des petits Etats encastré au milieu des grandes puissances de l’Europe et du Monde.

Ces petits Etats, nés à différentes époques comme des fragments des grands, comme la menue monnaie destinée à payer divers tributs, comme des tampons stratégiques, possèdent leurs dynasties, leurs castes dirigeantes, leurs prétentions impérialistes, leurs filouteries diplomatiques. Leur indépendance illusoire a été basée, jusqu’à la guerre, exactement comme était basé l’équilibre européen sur l’antagonisme des deux camps impérialistes. La guerre a détruit cet équilibre.

En donnant d’abord un immense avantage à l’Allemagne, la guerre a obligé les petits Etats à chercher leur salut dans la magnanimité du militarisme allemand.

L’Allemagne ayant été vaincue, la bourgeoisie des petits Etats, de concert avec leurs « socialistes » patriotes, s’est retournée pour saluer l’impérialisme triomphant des Alliés, et dans les articles hypocrites du programme de Wilson elle s’est employée à rechercher les garanties du maintien de son existence indépendante.

En même temps, le nombre des petits Etats s’est accru : de la monarchie austro-hongroise, de l’empire des tsars se sont détachés de nouveaux Etats qui, aussitôt nés, se saisissent déjà les uns les autres à la gorge pour des question de frontière. Les impérialistes Alliés, pendant ce temps, préparent des combinaisons de petites puissances, anciennes et nouvelles, afin de les enchaîner les unes les autres par une haine mutuelle et une faiblesse générale.

Ecrasant et violentant les peuples petits et faibles, les condamnant à la famine et à l’abaissement, de même que, peu de temps auparavant, les impérialistes des empires centraux, les impérialistes alliés ne cessent de parler du droit des nationalités, droits qu’ils foulent aux pieds en Europe et dans le monde entier.

Seule, la Révolution prolétarienne peut garantir aux petits peuples une existence libre, car elle libérera les forces productives de tous les pays des tenailles serrées par les Etats nationaux, en unissant les peuples dans une étroite collaboration économique, conformément à un plan économique commun.

Seule, elle donnera aux peuples les plus faibles et les moins nombreux la possibilité d’administrer, avec une liberté et une indépendance absolues, leur culture nationale sans porter le moindre dommage à la vie économique unifiée et centralisée de l’Europe et du monde.

La dernière guerre, qui a été dans une large mesure une guerre pour la conquête des colonies, fut en même temps une guerre faite avec l’aide des colonies. Dans des proportions jusqu’alors inconnues les peuples coloniaux ont été entraînés dans la guerre européenne.

Les Hindous, les Nègres, les Arabes, les Malgaches se sont battus sur la terre d’Europe, au nom de quoi ? Au nom de leurs droits à demeurer plus longtemps esclaves de l’Angleterre et de la France. Jamais encore le spectacle de la malhonnêteté de l’Etat capitaliste dans les colonies n’avait été aussi édifiant ; jamais le problème de l’esclavage colonial n’avait été posé avec une pareille acuité.

De là une série de révoltes ou de mouvements révolutionnaires dans toutes les colonies. En Europe même, l’Irlande a rappelé par de sanglants combats de rues qu’elle était encore et qu’elle avait conscience d’être un pays asservi.

A Madagascar, en Annam, en d’autres lieux, les troupes de la république bourgeoise ont eu plus d’une fois, au cours de la guerre. à mater des insurrections d’esclaves coloniaux.

Dans l’Inde, le mouvement révolutionnaire n’a pas cessé un seul jour. Il a abouti en ces derniers temps à des grèves ouvrières grandioses, auxquelles le gouvernement britannique a répondu en faisant intervenir à Bombay les automobiles blindées.

Ainsi la question coloniale est posée dans toute son ampleur non seulement sur le tapis vert du congrès des diplomates à Paris, mais dans les colonies mêmes.

Le programme de Wilson a pour but, dans l’interprétation la plus favorable, de changer l’étiquette de l’esclavage colonial. L’affranchissement des colonies n’est concevable que s’il s’accomplit en même temps que celui de la classe ouvrière des métropoles.

Les ouvriers et les paysans non seulement de l’Annam, d’Algérie ou du Bengale, mais encore de Perse et d’Arménie, ne pourront jouir d’une existence indépendante que le jour où les ouvriers d’Angleterre et de France, après avoir renversé Lloyd George et Clemenceau, prendront entre leurs mains le pouvoir gouvernemental.

Dès à présent, dans les colonies les plus développées, la lutte n’est plus engagée seulement sous le seul étendard de l’affranchissement national, elle prend de suite un caractère social plus ou moins nettement accusé.

Si l’Europe capitaliste a entraîné malgré elles les parties les plus arriérées du monde dans le tourbillon des relations capitalistes, l’Europe socialiste à son tour viendra secourir les colonies libérées avec sa technique, son organisation, son influence morale, afin de hâter leur passage à la vie économique régulièrement organisée par le socialisme.

Esclaves coloniaux d’Afrique et d’Asie : l’heure de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme l’heure de votre délivrance.

Le monde bourgeois tout entier accuse les communistes d’anéantir la liberté et la démocratie politique. Cela est faux.

En prenant le pouvoir, le prolétariat ne fait que manifester la complète impossibilité d’appliquer les méthodes de la démocratie bourgeoise et créer les conditions et les formes d’une démocratie ouvrière nouvelle, et plus élevée.

Tout le cours du développement capitaliste, en particulier dans la dernière époque impérialiste, a sapé les bases de la démocratie politique, non seulement en divisant les nations en deux classes ennemies irréconciliables, mais encore en condamnant au dépérissement économique et à l’impuissance politique de multiples couches de la petite bourgeoisie et du prolétariat au même titre que les éléments les plus déshérités de ce même prolétariat.

La classe ouvrière des pays où le développement historique l’a permis a utilisé le régime de la démocratie politique pour son organisation contre le capital. Il en sera de même à l’avenir dans les pays où ne sont pas encore réalisées les conditions préliminaires d’une révolution ouvrière.

Mais les masses de la population intermédiaire, non seulement dans les villages, mais encore dans les villes, sont maintenues par le capitalisme loin en arrière, en retard de plusieurs époques sur le développement historique.

Le paysan de Bavière ou de Bade, encore étroitement attaché au clocher de son village, le petit vigneron français ruiné par la falsification des vins des gros capitalistes, le petit fermier américain obéré et trompé par les banquiers et les députés, toutes ces couches sociales, rejetées par le capitalisme loin de la grande route du développement historique, sont conviées sur le papier par le régime de la démocratie politique à participer au gouvernement de l’Etat.

En réalité, dans les questions fondamentales dont dépend la destinée des nations, c’est une oligarchie financière qui gouverne dans les coulisses de la démocratie parlementaire. Il en fut ainsi naguère dans la question de la guerre. Il en est ainsi maintenant dans la question de la paix.

Dans la mesure où l’oligarchie financière se donne encore la peine de faire sanctionner ses actes de tyrannie par des votes parlementaires, l’Etat bourgeois se sert, pour atteindre les résultats désirés, de toutes les armes du mensonge, de la démagogie, de la persécution, de la calomnie, de la corruption, de la terreur, que les siècles passés d’esclavage ont mises à sa disposition et qu’ont multipliées les prodiges de la technique capitaliste.

Exiger du prolétariat que dans sa dernière lutte à mort contre le capital il observe pieusement les principes de la démocratie politique, cela équivaudrait à exiger d’un homme qui défend son existence et sa vie contre des brigands qu’il observe les règles artificielles et conventionnelles de la boxe française, instituées par son ennemi et que son ennemi ne s’en serve pas.

Dans le domaine de la dévastation, où non seulement les moyens de production et de transport, mais encore les institutions de la démocratie politique ne sont plus qu’un amas de débris ensanglantés, le prolétariat est obligé de créer un appareil à lui, qui serve avant tout à conserver la cohésion interne de la classe ouvrière elle-même et qui lui donne la faculté d’intervenir révolutionnairement dans le développement ultérieur de l’humanité. Cet appareil, ce sont les Soviets.

Les anciens partis, les anciennes organisations syndicales se sont manifestés en la personne de leurs chefs, incapables non seulement de décider, mais même de comprendre les problèmes posés par l’époque nouvelle.

Le prolétariat a créé un nouveau type d’organisation large, englobant les masses ouvrières indépendamment de la profession et du degré de développement politique, un appareil souple, capable d’un perpétuel renouvellement, d’un perpétuel élargissement, pouvant toujours entraîner dans son orbe des catégories nouvelles et embrasser les couches des travailleurs voisines du prolétariat de la ville et de la campagne.

Cette organisation irremplaçable de la classe ouvrière se gouvernant elle-même, luttant et conquérant finalement le pouvoir politique, a été mise dans différents pays à l’épreuve de l’expérience ; elle constitue la conquête et l’arme la plus puissante du prolétariat de notre époque.

Dans tous les pays où les masses travailleuses vivent d’une vie consciente se forment aujourd’hui et se formeront des Soviets de députés ouvriers, soldats et paysans. Fortifier les Soviets, élever leur autorité, les opposer à l’appareil gouvernemental de la bourgeoisie, voilà quel est maintenant le but essentiel des ouvriers conscients et loyaux de tous les pays.

Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière peut échapper aux éléments de dissolution qui portent dans son sein les souffrances infernales de la guerre, de la famine, de la tyrannie des riches avec la trahison de ses anciens chefs.

Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière, de la manière la plus sûre et la plus facile, peut parvenir au pouvoir dans tous les pays où les Soviets réuniront autour d’eux la majorité des travailleurs. Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière, maîtresse du pouvoir, gouvernera tous les domaines de la vie économique et morale du pays, comme cela se passe déjà en Russie.

La débâcle de l’Etat impérialiste, depuis ses formes tsaristes jusqu’aux plus démocratiques, va de pair avec la débâcle du système militaire impérialiste.

Les armées de plusieurs millions d’hommes mobilisés par l’impérialisme n’ont pu tenir qu’aussi longtemps que le prolétariat acceptait le joug de la bourgeoisie.

La destruction de l’unité nationale signifie la destruction inévitable des armées.

C’est ce qui arriva d’abord en Russie, puis en Allemagne et en Autriche. C’est encore ce qu’il faut attendre dans les autres pays impérialistes.

La révolte du paysan contre le propriétaire, de l’ouvrier contre le capitaliste, de tous les deux contre la bureaucratie monarchiste ou « démocratique » entraîne inévitablement la révolte des soldats contre les. officiers, et ensuite une scission caractérisée entre les éléments prolétaires et bourgeois de l’armée elle-même, la guerre impérialiste opposant les nations aux nations s’est changée et se change de plus en plus en guerre civile opposant les classes aux classes.

Les lamentations du monde bourgeois sur la guerre civile et la terreur rouge constituent la plus monstrueuse hypocrisie qu’ai jamais enregistrée l’histoire des luttes politiques.

Il n’y aurait pas de guerre civile si les coteries d’exploiteurs qui ont conduit l’humanité au bord de l’abîme ne s’opposaient pas à toute progression des travailleurs, n’organisaient pas des complots et des meurtres et ne sollicitaient pas le secours armé de l’étranger pour conserver ou restaurer leurs privilèges usurpés.

La guerre civile est imposée à la classe ouvrière par ses ennemis mortels. Si elle ne veut pas se suicider et renoncer à son avenir qui est l’avenir de toute l’humanité, la classe ouvrière ne peut pas éviter de répondre par des coups aux coups de ses agresseurs.

Les partis communistes ne suscitent jamais artificiellement la guerre civile, s’efforcent d’en diminuer autant que possible la durée toutes les fois qu’elle surgit comme une nécessité inéluctable, de réduire au minimum le nombre des victimes, mais par-dessus tout d’assurer le triomphe du prolétariat.

De là découle la nécessité de désarmer à temps la bourgeoisie, d’armer les ouvriers, de créer une armée communiste pour défendre le pouvoir du prolétariat et l’inviolabilité de sa construction socialiste. Telle est l’armée rouge de la Russie soviétique qui a surgi et qui s’élève comme le rempart des conquêtes de la classe ouvrière contre toutes les attaques du dedans et du dehors, Une armée soviétique est inséparable d’un Etat soviétique.

Conscients du caractère universel de leur cause, les ouvriers les plus avancés ont tendu, dès les premiers pas du mouvement socialiste organisé, vers une union internationale de ce mouvement.

Les bases en furent posées en 1864 à Londres, par la première Internationale.

La guerre franco-allemande, dont est née l’Allemagne des Hohenzollern, faucha la première Internationale et en même temps donna des partis ouvriers nationaux. Dès 1889, ces partis se réunissaient en Congrès à Paris et créaient l’organisation de la II° Internationale.

Mais le centre de gravité du mouvement ouvrier était placé entièrement à cette époque sur le terrain national dans le cadre des Etats nationaux, sur la base de l’industrie nationale, dans le domaine du parlementarisme national.

Plusieurs dizaines d’années de travail, d’organisation et de réformes ont créé une génération de chefs dont la majorité acceptaient en paroles le programme de la révolution sociale, mais y ont renoncé en fait, se sont enfoncés dans le réformisme, dans une adaptation servile à la domination bourgeoise.

Le caractère opportuniste des partis dirigeants de la II° Internationale s’est clairement révélé et a conduit au plus immense krach de l’histoire mondiale au moment précis où le cours des événements historiques réclamait des partis de la classe ouvrière des méthodes révolutionnaires de lutte.

Si la guerre de 1870 porta un coup à la Première Internationale en découvrant que derrière son programme social et révolutionnaire il n’y avait encore aucune force organisée des masses, la guerre de 1914 a tué la Deuxième Internationale en montrant qu’au-dessus des organisations puissantes des masses ouvrières se tiennent des partis devenus les instruments dociles de la domination bourgeoise.

Ces remarques ne s’appliquent pas seulement aux social-patriotes qui sont passés nettement et ouvertement dans le camp de la bourgeoisie, qui sont devenus ses délégués préférés et ses agents de confiance, les bourreaux les plu sûrs de la classe ouvrière ; elles s’appliquent encore à la tendance centriste, indéterminée et inconsciente, qui tente de restaurer la II° Internationale, c’est-à-dire de perpétuer l’étroitesse de vues, l’opportunisme, l’impuissance révolutionnaire de ses cercles dirigeants.

Le parti indépendant en Allemagne, la majorité actuelle du parti socialiste en France, le parti ouvrier indépendant d’Angleterre et tous les autres groupes semblables essayent en fait de prendre la place qu’occupaient avant la guerre les anciens partis officiels de la II° Internationale.

Ils se présentent comme autrefois avec des idées de compromis et d’unité, paralysant par tous les moyens l’énergie du prolétariat, prolongeant la crise et multipliant par là les malheurs de l’Europe. La lutte contre le centre socialiste est la conclusion indispensable du succès de la lutte contre l’impérialisme.

Rejetant loin de nous toutes les demi-mesures, les mensonges et la paresse des partis socialistes officiels caducs, nous, communistes, unis dans la III° Internationale, nous nous reconnaissons les continuateurs directs des efforts et du martyre héroïque acceptés par une longue série de générations révolutionnaires, depuisBabeuf jusqu’à Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg.

Si la première Internationale a prévu le développement à venir et a préparé les voies, si la deuxième Internationale a rassemblé et organisé des millions de prolétaires, la troisième Internationale est l’Internationale de l’action des masses, l’internationale de la réalisation révolutionnaire.

La critique socialiste a suffisamment flagellé l’ordre bourgeois. La tâche du parti communiste international est de renverser cet ordre de choses et d’édifier à sa place le régime socialiste.

Nous demandons aux ouvriers et ouvrières de tous les pays de s’unir sous l’étendard du communisme qui est déjà le drapeau des premières grandes victoires prolétariennes de tous les pays.

Dans la lutte contre la barbarie impérialiste, contre la monarchie et les classes privilégiées, contre l’Etat bourgeois et la propriété bourgeoise, contre tous les aspects et toutes les formes de l’oppression des classes ou des nations, unissez-vous !

Sous le drapeau des Soviets ouvriers, de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir et la dictature du prolétariat, sous le drapeau de la III° Internationale, prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: discours de clôture par Lénine

Ainsi, nous avons terminé notre travail.

Si nous avons pu nous réunir malgré toutes les difficultés et les répressions policières, si nous avons réussi, sans divergences essentielles, à prendre, en un court espace de temps, des décisions importantes sur toutes les questions brûlantes de l’époque révolutionnaire actuelle, c’est parce que les masses prolétariennes du monde entier ont mis toutes ces questions pratiquement à l’ordre du jour par leurs actes et ont commencé à les résoudre en fait.

Nous n’avons eu à résumer ici que ce que les masses ont déjà réussi à conquérir dans leur lutte révolutionnaire.

Le mouvement en faveur des Soviets s’étend toujours plus loin, non seulement dans les pays de l’Europe Orientale mais aussi dans ceux de l’Europe Occidentale, non seulement dans les pays vaincus mais aussi dans les pays victorieux comme l’Angleterre par exemple ; et ce mouvement n’est rien moins qu’un mouvement ayant pour but la création d’une nouvelle démocratie prolétarienne ; il est le progrès le plus considérable vers la dictature du prolétariat, vers la victoire complète du communisme.

Que la bourgeoisie du monde entier continue à sévir, qu’elle pourchasse, emprisonne et même assassine spartakistes et bolcheviks, cela ne lui servira de rien.

Cela ne pourra qu’éclairer les masses et les déterminer à s’affranchir de leurs vieux préjugés bourgeois démocratiques et à se retremper dans la lutte.

La victoire de la révolution prolétarienne est assurée dans le monde entier : la constitution de la République Soviétique Internationale est en marche.

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: résolution sur le rôle des femmes travailleuses

Le congrès de l’Internationale Communiste déclare que le succès de toutes les tâches qu’il s’est fixé, comme la victoire finale du prolétariat mondial et l’abolition finale du système capitaliste, ne peut être assuré que par la lutte commune des ouvriers et des ouvrières.

L’énorme augmentation du travail des femmes dans toutes les branches de l’économie ; le fait qu’au moins la moitié de toute la richesse produite dans le monde l’est par le travail des femmes ; en outre, la part importante, reconnue de tous, jouée par les ouvrières dans la construction de la nouvelle société communiste, en particulier dans le passage aux conditions de vie communistes, la réforme de la vie familiale et la réalisation d’une communauté éducative socialiste pour les enfants, objectif duquel sortiront des citoyens travailleurs, imprégnés d’un esprit de solidarité, pour la République des Conseils — tout cela impose à tout parti adhérant à l’Internationale communiste le devoir d’agir de toute ses forces en vue de gagner les travailleuses au parti et utiliser tous moyens afin de les instruire dans la signification de la nouvelle société et comment appliquer l’éthique communiste à la vie sociale et familiale.

La dictature du prolétariat ne peut être réalisée et maintenue qu’avec la participation énergique et active des travailleuses.

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: résolution sur la terreur blanche

Le système capitaliste fut dès son début un système de rapine et d’assassinats massifs.

Les horreurs de l’accumulation primitive, la politique coloniale qui, au moyen de la Bible, de la syphilis et de l’alcool, amena l’extermination impitoyable de races et de peuplades entières ; la misère, la famine, l’épuisement et la mort prématurée d’innombrables millions de prolétaires exploités, la répression sanglante de la classe ouvrière lorsqu’elle s’insurgeait contre ses exploiteurs, et enfin la boucherie immense et inouïe qui a transformé la production mondiale en une production de cadavres humains – voilà l’image de l’ordre capitaliste.

Dès le début de la guerre les classes dominantes qui, sur les champs de batailles avaient tué plus de dix millions d’hommes et en avaient estropiés encore bien davantage, ont érigé à l’intérieur de leurs pays aussi le régime de la dictature sanglante.

Le gouvernement tsariste russe fusilla et pendit les ouvriers, organisa des pogromes contre les juifs, extermina tout ce qui vivait dans le pays.

La monarchie autrichienne étrangla dans le sang l’insurrection des paysans et des ouvriers ukrainiens et tchèques.

La bourgeoisie anglaise assassina les meilleurs représentants du peuple irlandais. L’impérialisme allemand fit rage à l’intérieur de son pays et les marins révolutionnaires furent les première victimes de cette brute. En France on abattit les soldats russes qui n’étaient pas prêts à défendre les profits des banquiers français.

En Amérique la bourgeoisie lyncha les internationalistes, condamna des centaines parmi les meilleurs prolétaires à vingt ans de travaux forcés, abattit les ouvriers pour faits de grèves.

Lorsque la guerre impérialiste commença à se transformer en guerre civile, et que les classes dominantes, ces malfaiteurs les plus grands que l’histoire du monde ait jamais connus, se trouvèrent menacés du danger immédiat de l’effondrement de leur régime sanglant, leur bestialité devint encore plus cruelle.

Dans sa lutte pour le maintien de l’ordre capitaliste, la bourgeoisie emploie les méthodes les plus inouïes, devant lesquelles palissent toutes les cruautés du moyen-âge, de l’Inquisition et de la colonisation.

La classe bourgeoise, se trouvant au bord de sa tombe, détruit maintenant physiquement la force productive la plus importante de la société humaine – le prolétariat, et s’est démasquée à présent par cette terreur blanche dans toute sa hideuse nudité.

Les généraux russes, cette personnification vivante du régime tsariste. ont tué et tuent encore en masse les ouvriers avec l’appui direct où indirect des social-traîtres.

Durant la domination des socialistes-révolutionnaires et des mencheviks en Russie, des milliers d’ouvriers et de paysans remplissaient les prisons et les généraux exterminaient des régiments entiers pour cause de désobéissance.

A présent, les Krasnov et les Dénikine, jouissant de la collaboration bienveillante de l’Entente, ont tué et pendu des dizaines de milliers d’ouvriers, décimé, pour terroriser ceux qui restaient encore, ils laissèrent même pendant trois jours les cadavres pendus à la potence.

Dans l’Oural et dans la Volga, les bandes de gardes-blancs tchécoslovaques coupèrent les mains et les jambes des prisonniers, les noyèrent dans la Volga, les firent enterrer vivant.

En Sibérie, les généraux abattirent des milliers de communistes, une quantité innombrable d’ouvriers et de paysans.

La bourgeoisie allemande et autrichienne ainsi que les social-traîtres ont bien montré leur nature de cannibales, lorsqu’en Ukraine ils pendirent à des potences transportables en fer, les ouvriers et les paysans qu’ils avaient pillés, ainsi que les communistes, leurs propres compatriotes, nos camarades allemands et autrichiens.

En Finlande, pays de la démocratie bourgeoise, ils ont aidé la bourgeoisie finlandaise à fusiller plus de treize à quatorze mille prolétaires et à en torturer à mort plus de quinze mille dans les prisons.

A Helsingfors, ils poussèrent devant eux des femmes et des enfants pour se protéger contre les mitrailleuses. C’est par leur appui que les gardes-blancs finlandais et les aides suédois ont pu se livrer à ces orgies sanglantes contre le prolétariat finlandais vaincu.

A Tammerfors on força les femmes condamnées à mort à creuser elles-mêmes leurs tombes, à Viborg on abattit des centaines de femmes, d’hommes et d’enfants finlandais et russes.

A l’intérieur de leur pays, la bourgeoisie et la social-démocratie allemande, par la répression sanglante de l’insurrection ouvrière communiste, par l’assassinat bestial de Liebknecht et de Luxemburg, en tuant et en exterminant les ouvriers spartakistes, ont atteint le degré extrême de la rage réactionnaire. La terreur massive et individuelle des blancs – voilà le drapeau qui guide la bourgeoisie.

Dans d’autres pays c’est le même tableau qui s’offre à nous.

Dans la Suisse démocratique tout est prêt pour l’exécution des ouvriers au cas où ils oseraient violer la loi capitaliste. En Amérique, le bagne, la loi du lynch et la chaise électrique apparaissent comme les symboles choisis de la démocratie et de la liberté.

En Hongrie et en Angleterre, en Bohème et en Pologne – partout la même chose. Les assassins bourgeois ne reculent devant aucune infamie.

Pour raffermir leur domination ils déchaînent le chauvinisme et organisent par exemple la démocratie bourgeoise ukrainienne, avec le menchevik Petlyura à sa tête ; celle de Pologne avec le social-patriote Pilsudsky et ainsi de suite ; des pogromes immenses contre les juifs qui dépassent de loin ceux qu’organisaient les policiers du Tsar.

Et si la racaille polonaise réactionnaire et « socialiste » a assassiné les représentants de la Croix Rouge russe, ce n’est là qu’une goutte d’eau dans la mer de crimes et d’horreurs du cannibalisme bourgeois décadent.

La « Ligue des Nations » qui, selon les déclarations de ses fondateurs, doit amener la paix, va vers une guerre sanglante contre le prolétariat de tous les pays. Les puissances de l’Entente voulant sauver leur domination, frayant avec des armées de noirs la voie vers une terreur d’une brutalité incroyable.

En maudissant les assassins capitalistes et leurs aides social-démocrates, le premier Congrès de l’Internationale Communiste appelle les ouvriers de tous les pays à rassembler toutes leurs forces pour mettre définitivement fin au système d’assassinat et de rapine en abattant la puissance du régime capitaliste.

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: thèses sur la situation internationale et la politique de l’entente

Les expériences de la guerre mondiale ont démasqué la politique impérialiste des « démocraties » bourgeoises comme étant la politique de lutte des grandes puissances, tendant au partage du monde et à l’affermissement de la dictature économique et politique du capital financier sur les masses exploitées et opprimées.

Le massacre de millions de vies humaines, la paupérisation du prolétariat tombé en esclavage, l’enrichissement inouï des couches supérieures de la bourgeoisie, grâce aux fournitures de guerre, aux emprunts, etc., le triomphe de la réaction militaire dans tous les pays, tout cela ne tarda pas à détruire les illusions sur la défense de la patrie, la trêve et la « démocratie ».

La « politique de paix » démasque les véritables aspirations des impérialistes de tous les pays et va jusqu’au bout de cette mise à nu.

LA PAIX DE BREST-LITOVSK ET LA COMPROMISSION DE L’IMPERIALISME ALLEMAND

La paix de Brest-Litovsk et ensuite celle de Bucarest ont révélé le caractère de rapine et réactionnaire de l’impérialisme des puissances centrales. Les vainqueurs ont arraché à la Russie sans défense, des contributions et des annexions.

Ils ont utilisé le droit de libre disposition des peuples comme prétexte d’une politique d’annexions, en créant des Etats vassaux, dont les gouvernements réactionnaires favorisèrent la politique de rapine et réprimèrent le mouvement révolutionnaire des masses laborieuses.

L’impérialisme allemand qui, dans le combat international, n’avait pas remporté la victoire entière, n’avait pas à ce moment, la possibilité de montrer tout à fait franchement ses véritables intentions ; il dut se résigner à vivre dans une apparence de paix avec la Russie des Soviets et à couvrir sa politique de rapines et réactionnaire de phrases hypocrites.

Cependant les puissances de l’Entente, sitôt qu’elles avaient remporté la victoire mondiale, laissèrent tomber les masques et révélèrent aux yeux de tout le monde le véritable visage de l’impérialisme mondial.

LA VICTOIRE DE L’ENTENTE ET LE REGROUPEMENT DES ETATS

La victoire de l’Entente a partagé en différents groupes les pays soi-disant civilisés du monde.

Le premier des groupes est constitué par les puissance du monde capitaliste, les grandes puissances impérialistes victorieuses (Angleterre, Amérique, France, Japon, Italie).

En face d’elles se dressent les pays de l’impérialisme vaincu, ruinés par la guerre et ébranlés dans leur structure par le début de la révolution prolétarienne (Allemagne, Autriche-Hongrie avec leurs vassaux d’autrefois).

Le troisième groupe est formé par les Etats vassaux des puissances de l’Entente. II se compose des petits Etats capitalistes, ayant participé à la guerre aux côtés de l’Entente (Belgique, Serbie, Portugal, etc.) et des petites République « nationales » et Etats tampons créés récemment (république Tchéco-Slovaque, Pologne, républiques Russes contre-révolutionnaires, etc.).

Les Etats neutres s’approchent selon leur situation, des Etats vassaux, mais ils subissent une forte pression politique et économique, qui, parfois, rend leur situation semblable à celle des Etats vaincus.

La République socialiste russe est un Etat ouvrier et paysan, se plaçant en dehors du monde capitaliste et représentant pour l’impérialisme victorieux un énorme danger social, le danger que tous les résultats de la victoire s’effondrent sous l’assaut de la révolution mondiale.

LA « POLITIQUE DE PAIX » DE L’ENTENTE OU L’IMPERIALISME SE DEMASQUE LUI-MEME

La « politique de paix » des cinq puissances mondiales, lorsque nous la considérons dans son ensemble, était et reste une politique qui se démasque constamment elle-même.

Malgré toutes les phrases sur sa « politique extérieure démocratique » elle constitue le triomphe complet de la diplomatie secrète qui, derrière le dos et aux dépens des millions d’ouvriers de tous les pays, décide du sort du monde par la voie d’arrangements entre les fondés de pouvoir des trusts financiers.

Toutes les questions essentielles sont traitées sans exception à huis clos par le comité parisien des cinq grandes puissances, en l’absence des représentants des pays vaincus, neutres et des Etats vassaux eux-mêmes.

Les discours de Lloyd George, de Clemenceau, de Sonnino, etc., proclament et essaient de motiver ouvertement la nécessité des annexions et des contributions.

Malgré les phrases mensongères sur la « guerre pour le désarmement général » on proclame la nécessité de s’armer encore et avant tout de maintenir la puissance maritime britannique en vue de la soi-disant « protection de la liberté des mers ».

Le droit de libre disposition des peuples par eux mêmes, proclamé par l’Entente, est manifestement foulé aux pieds et remplacé par le partage des domaines contestés entre les Etats puissants et leurs vassaux.

Sans consulter la population, l’Alsace-Lorraine a été incorporée à la France ; l’Irlande, l’Egypte, les Indes n’ont pas le droit de disposer d’elles-mêmes ; l’Etat slave méridional et la République tchéco-slovaque ont été créés par la force des armes ; on trafique sans vergogne autour du partage de la Turquie d’Europe et d’Asie, le partage des colonies allemandes a déjà commencé, etc., etc.

La politique des contributions a été poussée à un degré de pillage complet des vaincus.

Non seulement on présente aux vaincus des notes se montant à des milliards et des milliards, non seulement on leur enlève tous les moyens de guerre – mais les pays de l’Entente leur prennent aussi les locomotives, les chemins de fer, les bateaux, les instruments agricoles, les provisions d’or, etc., etc.

En outre les prisonniers de guerre doivent devenir les esclaves des vainqueurs. On discute des propositions tendant au travail forcé des ouvriers allemands. Les puissances alliées ont l’intention d’en faire des esclaves misérables et affamés du capital de l’Entente.

La politique d’excitation nationale poussée à l’extrême a son expression dans l’excitation constante contre les nations vaincues dans la presse de l’Entente et les administrations de l’occupation, ainsi que dans le blocus de la faim, condamnant les peuples de l’Allemagne et de l’Autriche à l’extermination.

Cette politique mène à des pogromes contre les allemands, organisés par les soutiens de l’Entente – les éléments chauvins tchèques et polonais, et à des pogromes contre les juifs, qui surpassent tous les hauts-faits du tsarisme russe.

Les Etats « démocratiques » de l’Entente poursuivent une politique de réaction extrême.

La réaction triomphe aussi bien à l’intérieur des pays de l’Entente elle-même, parmi lesquels la France est revenue aux pires époques de Napoléon III, que dans le monde capitaliste tout entier, qui se trouve sous l’influence de l’Entente.

Les alliés étranglent la révolution dans les pays occupés de l’Allemagne, la Hongrie, de la Bulgarie, etc., ils excitent les gouvernements opportunistes-bourgeois des pays vaincus contre les ouvriers révolutionnaires en les menaçant de leur supprimer les vivres.

Les alliés ont déclaré qu’ils couleraient tous les navires allemands qui oseraient hisser le drapeau rouge de la révolution ; ils ont refusé de reconnaître les conseils allemands ; dans les régions allemandes occupées, ils ont aboli la journée de huit heures.

Abstraction faite du soutien de la politique réactionnaire dans les pays neutres, et au soutien de celle-ci dans les Etats vassaux (le régime Paderevsky en Pologne), les alliés ont excité les éléments réactionnaires de ces pays (en Finlande, en Pologne, en Suède, etc.) contre la Russie révolutionnaire, et demandent l’intervention des forces armées allemandes.

CONTRADICTIONS ENTRE LES ETATS DE L’ENTENTE

Malgré l’identité des lignes fondamentales de leur politique impérialiste, une série de contradictions profondes se manifestent au sein des grandes puissances qui dominent le monde.

Ces contradictions se concentrent surtout autour du programme de paix du capital financier américain (le programme dit programme Wilson). Les points les plus importants de ce programme sont les suivants : « Liberté des mers », « Société des Nations » et « internationalisation des colonies ».

Le mot d’ordre de « liberté des mers » – débarrassé de son masque hypocrite – signifie en réalité l’abolition de la prédominance militaire navale de certaines grandes puissances (en premier lieu de l’Angleterre), et l’ouverture de toutes les voies maritimes au commerce américain.

La « Société des Nations » signifie que. le droit à l’annexion immédiate des Etats et des peuples faibles sera refusé aux grandes puissances européennes (en premier lieu à la France). « L’internationalisation des colonies » fixe la même règle envers les domaines coloniaux.

Ce programme est conditionné par les faits suivants : le capital américain ne possède pas la plus grande flotte du monde ; il n’a plus la possibilité de procéder à des annexions directes en Europe, et c’est pourquoi il vise à l’exploitation des Etats et des peuples faibles au moyen des relations commerciales et des investissements de capitaux.

C’est pourquoi il veut contraindre les autres puissances à former un syndicat des trusts d’Etats, à répartir « loyalement » entre elles les parts de l’exploitation mondiale et à transformer la lutte entre les trusts d’Etats en une lutte purement économique.

Dans le domaine de l’exploitation économique le capital financier américain hautement développé obtiendra une hégémonie effective qui lui assurera la prédominance économique et politique dans le monde.

La « liberté des mers » est en contradiction aiguë avec les intérêts de l’Angleterre, du Japon, en partie aussi de l’Italie (dans l’Adriatique). La « Société des Nations » et « l’internationalisation des colonies » est en contradiction décisive avec les intérêts de la France et du Japon – dans une mesure moindre avec les intérêts de toutes les autres puissances impérialistes.

La politique des impérialistes de la France, où le capital financier a une forme particulièrement usurière, où l’industrie est faiblement développée et où la guerre a complètement ruiné les forces productives, vise par des moyens désespérés au maintien du régime capitaliste ; ces moyens sont : le pillage barbare de l’Allemagne, l’assujettissement direct et l’exploitation rapace des Etats vassaux (projets d’une Union Danubienne, d’Etats slaves méridionaux) et extorsion par la violence des dettes contractées par le tsarisme russe auprès du Shylock français.

La France, l’Italie (et dans une forme altérée cela est aussi valable pour le Japon) en tant que pays continentaux, sont aussi capables de poursuivre une politique d’annexions directes.

Tout en étant en contradiction avec les intérêts de l’Amérique, les grandes puissances ont des intérêts qui s’opposent réciproquement entre eux.

L’Angleterre craint le renforcement de la France sur le continent, elle a en Asie Mineure et en Afrique des intérêts qui s’opposent à ceux de la France. Les intérêts de l’Italie dans les Balkans et au Tyrol sont contraires aux intérêts de la France. Le Japon dispute à l’Australie anglaise les îles situées dans l’Océan Pacifique.

GROUPEMENTS ET TENDANCES A L’INTERIEUR DE L’ENTENTE

Ces contradictions entre les grandes puissances rendent possibles différents groupements à l’intérieur de l’Entente. Jusqu’ici deux combinaisons principales se sont dessinées : la combinaison franco-anglo-japonaise, qui est dirigée contre l’Amérique et l’Italie et la combinaison anglo-américaine s’opposant aux autres grandes puissances.

La première de ces combinaisons prévalait jusqu’au début de janvier 1919, tant que le Président Wilson n’avait pas encore renoncé à exiger l’abolition de la domination maritime anglaise.

Le développement du mouvement révolutionnaire des ouvriers et des soldats en Angleterre, qui a conduit à une entente entre les impérialistes de différents pays pour liquider l’aventure russe et pour hâter la conclusion de la paix, a renforcé le penchant de l’Angleterre vers cette combinaison. Elle devient prédominante depuis janvier 1919.

Le bloc anglo-américain s’oppose à la priorité de la France dans le pillage de l’Allemagne et à l’intensité exagérée de ce pillage. Il pose certaines limites aux exigences annexionnistes exagérées de la France, de l’Italie et du Japon.

Il empêche que les Etats vassaux nouvellement fondés leur soient directement soumis. En ce qui concerne la question russe, la combinaison anglo-américaine a des dispositions pacifiques : elle veut avoir les mains libres afin de pouvoir accomplir le partage du monde, d’étouffer la révolution européenne et ensuite aussi la révolution russe.

A ces deux combinaisons des puissances correspondent deux tendances à l’intérieur des grandes puissances, l’une ultra annexionniste et l’autre modérée, dont la seconde soutient la combinaison Wilson-Lloyd George.

LA « SOCIETE DES NATIONS »

Vu les contradictions irréconciliables qui se sont fait jour au sein même de l’Entente, la Société des Nations – même si elle se réalisait sur le papier – ne jouerait cependant que le rôle d’une sainte alliance des capitalistes pour la répression de la révolution ouvrière. La propagation de la « Société des Nations » est le meilleur moyen pour troubler la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière.

A la place du mot d’ordre d’une Internationale des républiques ouvrières révolutionnaires, on lance celui d’une association internationale de prétendues démocraties, devant être atteinte par une coalition du prolétariat et des classes bourgeoises.

La «Société des Nations » est un mot d’ordre trompeur, au moyen duquel les social-traîtres sur ordre du capital international, divisent les forces prolétariennes et favorisent la contre-révolution impérialiste.

Les prolétaires révolutionnaires de tous les pays du monde doivent mener une lutte implacable contre les idées de la Société des Nations de Wilson et protester contre l’entrée dans cette société de vol, d’exploitation et de contre-révolution impérialiste.

LA POLITIQUE EXTERIEURE ET INTERIEURE DES PAYS VAINCUS

L’écrasement militaire et l’effondrement intérieur de l’impérialisme autrichien et allemand ont amené, dans les Etats centraux et pendant la première période de la révolution, la domination du régime bourgeois social-opportuniste. Sous couleur de démocratie et de socialisme les social-traîtres allemands protègent et restaurent la domination économique et la dictature politique de la bourgeoisie.

Dans leur politique extérieure ils visent au rétablissement de l’impérialisme allemand en exigeant la restitution des colonies et l’admission de l’Allemagne dans la Société de rapines.

A mesure que se renforcent en Allemagne les bandes de gardes-blancs et que progresse le processus de décomposition dans le camp de l’Entente, les velléités de la bourgeoisie et des social-traîtres à devenir une grande puissance s’accroissent elles aussi.

En même temps le gouvernement bourgeois social-opportuniste mine aussi la solidarité internationale du prolétariat et sépare les ouvriers allemands de ses frères de classe, en accomplissant les ordres contre-révolutionnaires des alliés et surtout en excitant les ouvriers allemands contre la révolution russe prolétarienne pour plaire à l’Entente.

La politique de la bourgeoisie et des social-opportunistes en Autriche et en Hongrie est la répétition de la politique du bloc bourgeois opportuniste de l’Allemagne sous une forme atténuée.

LES ETATS VASSAUX DE L’ENTENTE

Dans les Etats vassaux et dans les Républiques que l’Entente vient de créer (Tchécoslovaquie, pays slaves méridionaux ; il faut aussi y compter la Pologne, la Finlande, etc.) la politique de l’Entente, appuyée sur les classes dominantes et les social-nationalistes, vise à créer des centres d’un mouvement national contre-révolutionnaire.

Ce mouvement doit être dirigé contre les peuples vaincus, il doit maintenir en équilibre les forces des Etats nouveaux et les assujettir à l’Entente, il doit freiner les mouvements révolutionnaires qui naissent au sein des nouvelles républiques « nationales » et fournir en fin de compte des gardes-blancs pour la lutte contre la révolution internationale et surtout contre la révolution russe.

En ce qui concerne la Belgique, le Portugal, la Grèce et autres petits pays alliés à l’Entente, leur politique est entièrement déterminée par celle des grands brigands, auxquels ils sont complètement soumis et dont ils sollicitent l’aide pour obtenir des petites annexions et des indemnités de guerre.

LES ETATS NEUTRES

Les Etats neutres sont dans la situation de vassaux non favorisés de l’impérialisme de l’Entente, à l’égard desquels l’Entente emploie, sous une forme atténuée, les mêmes méthodes qu’à l’égard des pays vaincus. Les Etats neutres favorisés formulent différentes revendications aux ennemis de l’Entente (les prétentions du Danemark sur Flensburg, la proposition suisse de l’internationalisation du Rhin, etc.).

En même temps, ils exécutent les ordres contre-révolutionnaires de l’Entente (expulsion de l’ambassadeur russe, enrôlement des gardes-blancs dans les pays scandinaves, etc.). D’autres encore sont exposés au danger du démembrement territorial (projet de l’incorporation de la province de Limbourg à la Belgique et de l’internationalisation de l’embouchure de l’Escaut).

L’ENTENTE ET LA RUSSIE SOVIETIQUE

Le caractère rapace anti-humanitaire et réactionnaire de l’impérialisme de l’Entente se manifeste le plus nettement en face de la Russie Soviétique. Dès le début de la Révolution d’octobre les puissances de l’Entente se sont mises du côté des partis et des gouvernements contre-révolutionnaires de la Russie.

Avec l’aide des contre-révolutionnaires bourgeois elles ont annexé la Sibérie, l’Oural, les côtes de la Russie d’Europe, le Caucase et une partie du Turkestan. Ils dérobent de ces contrées annexées des matières premières (bois, naphte, manganèse, etc.). Avec l’aide des bandes tchécoslovaques à leurs gages ils ont volé la provision d’or de la Russie. Sous la direction du diplomate anglais Lockhart, des espions anglais et français ont fait sauter des ponts et détruit des chemins de fer et tentèrent de gêner l’approvisionnement en vivres.

L’Entente a soutenu, avec des fonds, des armes et par l’aide militaire des généraux réactionnaires Dénikine, Koltchak et Krasnov, qui ont fusillé et pendu des milliers d’ouvriers et de paysans à Rostov, Jousovka, Novorossijsk, Omsk, etc.

Par les discours de Clemenceau et de Pichon l’Entente proclame ouvertement le principe de « l’encerclement économique », c’est-à-dire qu’on veut vouer à la famine et à la destruction la République des ouvriers et des paysans révolutionnaires ; on y promet un « soutien technique » aux bandes de Dénikine, Koltchak et Krasnov. L’Entente a refusé à différentes reprises les propositions de paix de la puissance soviétique.

Le 23 janvier 1919 les puissances de l’Entente, au sein desquelles les tendances modérées s’étaient momentanément renforcées, a adressé à tous les gouvernements russes la proposition d’envoyer des délégués à l’île des Princes. Cette proposition n’était certainement pas dépourvue d’une intention provocatrice à l’égard du gouvernement soviétique.

Bien que le 4 février l’Entente reçut une réponse affirmative du gouvernement soviétique, réponse dans laquelle celui-ci se déclarait même prêt à envisager des annexions, des contributions et des concessions, afin de délivrer les ouvriers et les paysans russes de la guerre qui leur est imposée par l’Entente – celle-ci ne répondit pas plus à cette proposition de paix qu’aux autres.

Cela confirme que les tendances annexionniste-réactionnaires des impérialistes de l’Entente se fondent sur un terrain solide. Ils menacent la république socialiste de nouvelles annexions et de nouveaux assauts contre-révolutionnaires.

La « politique de paix » de l’Entente dévoile ici définitivement aux yeux du prolétariat international la nature de l’impérialisme de l’Entente et de l’impérialisme en général. Elle prouve en même temps que les gouvernements impérialistes sont incapables de conclure une paix « juste et durable » et que le capital financier est incapable de rétablir l’économie détruite.

Le maintien de la domination du capital financier mènerait soit à la destruction complète de la société civilisée ou à l’augmentation de l’exploitation, de l’esclavage, de la réaction politique, des armements et finalement à de nouvelles guerres destructrices.

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: le Comité Exécutif

Afin de pouvoir commencer sans retard son travail actif, le Congrès désigne immédiatement les organes nécessaires, dans l’idée que la constitution définitive de l’Internationale Communiste devra être donnée par le prochain congrès sur la proposition du Bureau.

La direction de l’Internationale Communiste est confiée à un Comité Exécutif. Celui-ci se compose d’un représentant de chacun des partis communistes des pays les plus importants. Les partis de Russie, d’Allemagne, d’Autriche allemande, de Hongrie, de la Fédération des Balkans, de Suisse et de Scandinavie doivent envoyer immédiatement leurs représentants au premier Comité Exécutif.

Les partis des pays qui déclarent adhérer à l’Internationale Communiste avant le deuxième congrès obtiendront un siège au Comité Exécutif.

Jusqu’à l’arrivée des représentants étrangers, les camarades du pays dans lequel le Comité Exécutif a son siège se chargent d’assurer le travail. Le Comité Exécutif élit un bureau de cinq personnes.

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Premier congrès : plate-forme de l’internationale communiste

Les contradictions du système capitaliste mondial, auparavant dissimulées dans son sein, se sont manifestées avec une force inouïe en une formidable explosion : la grande guerre impérialiste mondiale.

Le capitalisme a tenté de surmonter sa propre anarchie en organisant la production.

A la place des nombreuses entreprises concurrentes se sont organisées de vastes associations capitalistes (syndicats, cartels, trusts); le capital bancaire s’est uni au capital industriel; toute la vie économique est tombée sous la domination d’une oligarchie financière capitaliste qui, par son organisation sur la base de ce pouvoir, a acquis l’hégémonie.

Le monopole supplante la libre concurrence. Le capitaliste isolé se transforme en membre d’une association capitaliste. L’organisation remplace l’anarchie insensée.

Mais, dans la mesure où, dans les différents Etats, les procédés anarchiques de la production capitaliste ont été remplacés par l’organisation capitaliste, les contradictions, la concurrence, l’anarchie, n’ont cessé de s’aggraver dans l’économie mondiale.

La lutte entre les plus grands Etats conquérants a conduit, par une nécessité de fer, à la monstrueuse guerre impérialiste. La soif de bénéfices a poussé le capitalisme mondial à la lutte pour la conquête de nouveaux marchés, de nouvelles sphères d’investissement, de nouvelles sources de matières premières et la main- d’œuvre à bon marché des esclaves coloniaux.

Les Etats impérialistes qui se sont partagé le monde entier, qui ont transformé des millions de prolétaires et de paysans d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, d’Australie, en bêtes de somme, devaient tôt ou tard révéler dans un conflit gigantesque la nature anarchique du capital. Ainsi se produisit le plus grand des crimes — la guerre mondiale de brigandage.

Le capitalisme a tenté de surmonter les contradictions de sa structure sociale.

La société bourgeoise est une société de classes.

Mais le capital des grands Etats « civilisés » s’est efforcé d’étouffer les contradictions sociales.

Aux dépens des peuples coloniaux qu’il exploitait, le capital a corrompu ses esclaves salariés, créant une communauté d’intérêts entre les exploiteurs et les exploités — communauté d’intérêts dirigée contre les colonies opprimées et les peuples coloniaux jaunes, noirs ou rouges; il a enchaîné la classe ouvrière européenne et américaine à la « patrie » impérialiste.

Mais, cette même méthode de corruption permanente, qui servait à alimenter le patriotisme de la classe ouvrière et sa sujétion morale, s’est transformée en son contraire grâce à la guerre.

L’extermination, la sujétion totale du prolétariat, le joug monstrueux, l’appauvrissement, la dégénérescence, la faim dans le monde entier — telle fut la dernière rançon de la paix sociale. Et cette paix a fait faillite. La guerre impérialiste s’est transformée en guerre civile.

La nouvelle époque est née : l’époque de la désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. L’époque de la révolution communiste du prolétariat.

Le système impérialiste croule. Troubles aux colonies, fermentation parmi les petites nationalités jusqu’à présent privées de leur indépendance, insurrections du prolétariat, révolutions prolétariennes victorieuses dans plusieurs pays, décomposition des armées impérialistes, incapacité absolue des classes dirigeantes à diriger dorénavant les destinées des peuples — tel est le tableau de la situation actuelle dans le monde entier.

L’humanité, dont toute la culture a été dévastée, est menacée de destruction totale. Il n’est plus qu’une force capable de la sauver, et cette force, c’est le prolétariat. L’ancien « ordre » capitaliste n’existe plus. Il ne peut plus exister. Le résultat final du mode de production capitaliste est le chaos — et ce chaos ne peut être vaincu que par la plus grande classe productive : la classe ouvrière.

C’est elle qui doit instituer l’ordre véritable, l’ordre communiste. Elle doit briser la domination du capital, rendre les guerres impossibles, effacer les frontières entre les Etats, transformer le monde en une vaste communauté travaillant pour elle-même, réaliser la solidarité fraternelle et la libération des peuples.

Entre temps, contre le prolétariat, le capital mondial s’est armé pour le dernier combat. Sous le couvert de la Société des Nations et des bavardages pacifistes, il tente un dernier effort pour recoller les parties désagrégées du système capitaliste et diriger ses forces contre la révolution prolétarienne montante.

A ce nouveau et immense complot des classes capitalistes, le prolétariat doit répondre par la conquête du pouvoir politique, tourner ce pouvoir contre ses ennemis de classe et s’en servir comme levier pour la transformation économique de la société. La victoire définitive du prolétariat mondial marquera le commencement de l’histoire véritable de l’humanité libérée.

1.La conquête du pouvoir politique

La conquête du pouvoir politique par le prolétariat signifie la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie.

L’appareil d’Etat bourgeois avec son armée capitaliste, placée sous le commandement d’un corps d’officiers bourgeois et de junkers, avec sa police et sa gendarmerie, ses geôliers et ses juges, ses prêtres, ses fonctionnaires, etc., constitue le plus puissant instrument de domination de la bourgeoisie.

La conquête du pouvoir politique ne peut consister en un simple changement de personnes dans les ministères, mais signifie la destruction de l’appareil d’Etat ennemi, la prise en mains de la force réelle, le désarmement de la bourgeoisie, du corps d’officiers contre-révolutionnaires, des gardes blancs, l’armement du prolétariat, des soldats révolutionnaires et de la garde rouge ouvrière; la destitution de tous les juges bourgeois et l’organisation des tribunaux prolétariens, la destruction du fonctionnarisme réactionnaire et la création de nouveaux organes d’administration prolétariens.

La victoire prolétarienne est assurée par la désorganisation du pouvoir ennemi et l’organisation du pouvoir prolétarien; elle signifie la destruction de l’appareil d’Etat bourgeois et la construction de l’appareil d’Etat prolétarien.

Ce n’est qu’après sa victoire complète, quand le prolétariat aura définitivement brisé la résistance de la bourgeoisie, qu’il pourra obliger ses anciens adversaires à le servir utilement, les amenant progressivement, sous son contrôle, à l’œuvre de construction communiste.

2. Démocratie et dictature

Comme tout Etat, l’Etat prolétarien est un appareil de contrainte et cet appareil est maintenant dirigé contre les ennemis de la classe ouvrière. Sa mission est de briser et de rendre impossible la résistance des exploiteurs qui emploient dans leur lutte désespérée tous les moyens pour étouffer la révolution dans le sang. D’autre part, la dictature du prolétariat qui donne officiellement à la classe ouvrière l’hégémonie dans la société est une institution provisoire.

Dans la mesure où sera brisée la résistance de la bourgeoisie, où celle-ci sera expropriée et se transformera en une masse laborieuse, la dictature du prolétariat disparaîtra, l’Etat dépérira et les classes sociales avec lui.

La prétendue démocratie, c’est-à-dire la démocratie bourgeoise, n’est rien d’autre que la dictature bourgeoise déguisée. La « volonté populaire » tant prônée est une fiction, comme l’unité du peuple. En fait, il n’existe que des classes dont les intérêts antagonistes sont irréductibles.

Et comme la bourgeoisie n’est qu’une petite minorité, elle utilise cette fiction, cette prétendue « volonté populaire » nationale, afin d’affermir, sous le couvert de ces belles phrases, sa domination sur la classe ouvrière, et de lui imposer sa volonté de classe.

Au contraire, le prolétariat constituant l’énorme majorité de la population, utilise ouvertement la violence de classe de ses organisations de masse, de ses conseils, pour supprimer les privilèges de la bourgeoisie et assurer la transition vers une société communiste sans classes.

L’essence de la démocratie bourgeoise réside dans la reconnaissance purement formelle des droits et des libertés, précisément inaccessibles au prolétariat et aux éléments semi-prolétariens, du fait de leur manque de ressources matérielles, tandis que la bourgeoisie a toutes les possibilités de tirer parti de ses ressources matérielles, de sa presse et de son organisation, pour mentir au peuple et le tromper.

Au contraire, l’essence du système des conseils — ce nouveau type de pouvoir d’Etat — consiste en ce que le prolétariat a la possibilité d’assurer dans les faits ses droits et sa liberté.

Le pouvoir des conseils remet au peuple les plus beaux palais, les maisons, les typographies, les réserves de papier, etc., pour sa presse, ses réunions, ses associations. Ce n’est qu’alors que devient possible la véritable démocratie prolétarienne.

Avec son système parlementaire, la démocratie bourgeoise ne donne qu’en paroles le pouvoir aux masses. Les masses et leurs organisations sont en réalité tenues complètement à l’écart et du pouvoir véritable et de la véritable administration de l’Etat.

Dans le système des Conseils, les organisations de masse et par elles les masses elles-mêmes gouvernent l’Etat, appelant à administrer un nombre toujours plus grand d’ouvriers; et ce n’est que de cette façon que tout le peuple travailleur est peu à peu appelé à prendre part effectivement au gouvernement de l’Etat.

Le système des Conseils s’appuie de la sorte sur les organisations des masses prolétariennes, représentées par les Conseils eux-mêmes, les syndicats révolutionnaires, les coopératives, etc.

La démocratie bourgeoise et le parlementarisme, renforcés par la séparation des pouvoirs législatif et exécutif et l’absence du droit de révoquer les députés, achèvent de séparer les masses de l’Etat.

Au contraire, le système des Conseils, par le droit de révocation, par la fusion des pouvoirs législatif et exécutif et par la capacité des Conseils à constituer des collectivités de travail, lie les masses aux organes de l’administration. Ce lien est encore affermi par le fait que, dans le système des Conseils, les élections ne se font pas d’après des subdivisions territoriales artificielles, mais d’après des unités locales de production.

Le système des Conseils rend ainsi possible la véritable démocratie prolétarienne, démocratie pour le prolétariat et à l’intérieur du prolétariat, dirigée contre la bourgeoisie.

Dans ce système, la position dominante est assurée au prolétariat industriel, auquel appartient, du fait de sa meilleure organisation et de son plus grand développement politique, le rôle de classe dirigeante, et dont l’hégémonie permettra au semi-prolétariat et aux paysans pauvres de s’élever progressivement.

Ces privilèges temporaires du prolétariat industriel doivent être utilisés pour arracher les masses non possédantes de la petite-bourgeoisie paysanne à l’influence des propriétaires ruraux et de la bourgeoisie, pour les organiser et les appeler à collaborer à la construction communiste.

L’expropriation de la bourgeoisie et la socialisation de la production

La décomposition du système capitaliste et de la discipline capitaliste du travail rendent impossible, étant donné les relations entre les classes, la reconstitution de la production sur les anciennes bases. La lutte des ouvriers pour l’augmentation des salaires, même en cas de succès, n’amène pas l’amélioration espérée des conditions d’existence, l’augmentation du prix des produits de consommation rendant chaque succès illusoire.

La lutte énergique des ouvriers pour l’augmentation des salaires dans tous les pays dont la situation est désespérée, par sa puissance élémentaire, par sa tendance à la généralisation, rend impossibles dorénavant les progrès de la production capitaliste.

L’amélioration de la condition des ouvriers ne pourra être atteinte que lorsque le prolétariat lui-même s’emparera de la production.

Pour élever les forces productives de l’économie, pour briser au plus vite la résistance de la bourgeoisie qui prolonge l’agonie de la vieille société, créant par là même le danger d’une ruine complète de la vie économique, la dictature prolétarienne doit réaliser l’expropriation de la grande bourgeoisie et des hobereaux et faire des moyens de production et de transport la propriété collective de l’Etat prolétarien.

Le communisme est en train maintenant de naître sur les décombres de la société capitaliste; l’histoire ne laisse pas d’autre issue à l’humanité. Les opportunistes, en retardant la socialisation par leur utopique revendication du rétablissement de l’économie capitaliste, ne font qu’ajourner la solution de la crise et créent la menace d’une ruine totale.

La révolution communiste apparaît dans une telle période comme le seul moyen qui permette de sauvegarder la force productive, la plus importante de la société, le prolétariat, et avec lui l’ensemble même de la société.

La dictature prolétarienne n’entraîne aucun partage des moyens de production et de transport. Au contraire, sa tâche est de réaliser une plus grande centralisation des forces productives et de subordonner l’ensemble de la production à un plan unique.

Le premier pas vers la socialisation de toute l’économie comporte nécessairement les mesures suivantes : socialisation des grandes banques qui dirigent maintenant la production; prise en mains par le pouvoir d’Etat prolétarien de tous les organes de l’Etat capitaliste régissant la vie économique; prise en mains de toutes les entreprises communales; socialisation des branches d’industrie trustées ou cartellisées; de même, socialisation des branches d’industrie dont le degré de concentration et de centralisation rend la réalisation techniquement possible; socialisation des propriétés agricoles et leur transformation en entreprises agricoles dirigées par la société.

Quant aux entreprises de moindre importance, le prolétariat doit, en tenant compte de leur dimension, les socialiser petit à petit et les unifier.

Il importe de souligner ici que la petite propriété ne doit pas être expropriée et que les petits propriétaires qui n’exploitent pas le travail salarié ne doivent subir aucune mesure de violence.

Cette classe sera peu à peu intégrée dans l’organisation socialiste.

L’exemple et la pratique démontreront en effet la supériorité de la nouvelle structure sociale qui libère la classe des petits-paysans et la petite-bourgeoisie urbaine du joug économique des grands capitalistes usuriers, des hobereaux, des impôts excessifs (principalement par suite de l’annulation des dettes d’Etat, etc.).

La tâche de la dictature prolétarienne dans le domaine économique ne peut être réalisée que dans la mesure où le prolétariat saura créer des organes centralisés de direction de la production et réaliser la gestion par les ouvriers eux-mêmes. A cette fin, il devra tirer parti des organisations de masses qui sont le plus étroitement liées au processus de production.

Dans le domaine de la distribution, la dictature prolétarienne doit remplacer le commerce par une juste répartition des produits. Parmi les mesures indispensables indiquées : la socialisation des grandes entreprises commerciales, la prise en mains par le prolétariat de tous les organes de distribution bourgeois étatiques et municipaux; le contrôle des grandes unions coopératives dont l’organisation aura encore, pendant la période de transition, une importance économique considérable; la centralisation progressive de tous ces organes et leur transformation en un système unique de répartition rationnelle des produits.

De même que dans le domaine de la production, dans celui de la distribution il importe d’utiliser tous les techniciens et les spécialistes qualifiés — sitôt que leur résistance dans le domaine politique aura été brisée et qu’ils seront en état de servir, non plus le capital, mais le nouveau système de production.

Le prolétariat n’a pas l’intention de les opprimer; au contraire, lui seul leur donnera, le premier, la possibilité de développer l’activité créative la plus intense. La dictature prolétarienne remplacera la division du travail physique et intellectuel, propre au capitalisme, par leur union, fusionnant ainsi le travail et la science.

En même temps qu’il expropriera les fabriques, les mines, les propriétés, etc., le prolétariat devra mettre fin à l’exploitation de la population par les capitalistes propriétaires d’immeubles, remettre les grandes habitations aux Conseils ouvriers locaux, installer la population ouvrière dans les appartements bourgeois, etc.

Au cours de cette immense période de transformation, le pouvoir des Conseils doit, d’une part, échafauder un énorme appareil de gouvernement toujours plus centralisé et, d’autre part, appeler à un travail d’administration directe des couches toujours plus nombreuses des masses laborieuses.

Le chemin de la victoire

La période révolutionnaire exige que le prolétariat use d’une méthode de lutte qui concentre toute son énergie, à savoir l’action directe des masses jusque et y compris à sa suite logique, le choc direct, la guerre déclarée avec la machine d’Etat bourgeoise. A ce but doivent être subordonnés tous les autres moyens tels que, par exemple, l’utilisation révolutionnaire du parlementarisme bourgeois.

Les conditions préliminaires indispensables à cette lutte victorieuse sont : la rupture, non seulement avec les laquais directs du capital et les bourreaux de la révolution communiste — dont les sociaux-démocrates de droite assurent aujourd’hui le rôle — mais encore la rupture avec le « Centre » (groupe Kautsky), qui, au moment critique, abandonne le prolétariat et lie partie avec ses ennemis déclarés.

D’un autre côté, il est nécessaire de réaliser un bloc avec ces éléments du mouvement ouvrier révolutionnaire qui, bien que n’ayant pas appartenu auparavant au parti socialiste, se placent maintenant dans l’ensemble sur le terrain de la dictature prolétarienne sous la forme du pouvoir des Conseils, c’est-à-dire avec les éléments révolutionnaires du syndicalisme.

La montée du mouvement révolutionnaire dans tous les pays, le danger, pour cette révolution, d’être étouffée par la ligue des Etats bourgeois, les tentatives d’union des partis social-traîtres (formation de l’internationale jaune, à Berne), dans le but de servir bassement la ligue de Wilson — et enfin la nécessité absolue pour le prolétariat de coordonner ses efforts — tout cela nous conduit inévitablement à la fondation de l’internationale communiste, véritablement révolutionnaire et véritablement prolétarienne.

L’Internationale, qui subordonnera les intérêts dits nationaux aux intérêts de la révolution mondiale, réalisera ainsi l’entraide des prolétaires des différents pays — car sans cette solidarité économique et autre, le prolétariat ne sera pas capable d’édifier une société nouvelle.

D’autre part, contrairement à l’Internationale socialiste jaune, l’Internationale prolétarienne et communiste soutiendra les peuples exploités des colonies dans leur lutte contre l’impérialisme, afin de hâter l’effondrement final du système impérialiste mondial.

Les brigands capitalistes affirmaient, au début de la guerre mondiale, qu’ils ne faisaient que défendre leur patrie. Mais l’impérialisme allemand devait révéler rapidement sa nature bestiale véritable par la série de ses sanglants forfaits commis en Russie, en Ukraine, en Finlande.

Maintenant se démasquent à leur tour, même aux yeux des couches les plus arriérées de la population, les puissances de l’Entente qui pillent le monde entier et assassinent le prolétariat.

D’accord avec la bourgeoisie allemande et les social-patriotes, des phrases hypocrites sur la paix aux lèvres, elles s’efforcent d’écraser, au moyen de leurs armes de guerre et de troupes coloniales abruties et barbares, la révolution du prolétariat européen. La terreur blanche des bourgeois-cannibales a été féroce au-delà de toute expression.

Les victimes sont innombrables dans les rangs de la classe ouvrière qui a perdu ses meilleurs dirigeants : Liebknecht, Luxemburg.

Le prolétariat doit se défendre à tout prix. L’Internationale communiste appelle le prolétariat mondial à cette lutte décisive. Arme contre arme ! Violence contre violence ! A bas la conspiration impérialiste du capital ! Vive la République internationale des Conseils prolétariens !

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Rapports sur la plate-forme de l’Internationale Communiste

Lénine : Nous passons au point suivant de l’ordre du jour : Plate-forme de la conférence communiste internationale. Les rapporteurs sont les camarades Albert [le délégué allemand] et Boukharine. Le camarade Albert a la parole.

Rapport d’ALBERT

Albert : Camarades, après les déclarations faites par les représentants de Russie et de Finlande, il pourrait sembler que les camarades allemands sont opposés à la fondation de la IIIe Internationale.

Nous n’élevons aucune espèce d’objection de principe contre cette fondation, mais les camarades pensent que si l’on aborde la question de la fondation d’une nouvelle Internationale, il faut prendre en considération l’état d’esprit qui prévaut parmi les ouvriers, en particulier parmi les ouvriers des Etats occidentaux qui, avec le temps, sont devenus méfiants vis-à-vis de telles fondations ; c’est parce qu’ils respectent cette méfiance des ouvriers des Etats occidentaux que les camarades allemands déclarèrent qu’ils ne voulaient pas aborder dès maintenant la fondation de la nouvelle Internationale, mais d’abord examiner à cette conférence préparatoire les forces existantes, les fondements politiques sur la base desquels il est possible de s’unir.

Tous ceux qui connaissent l’histoire de la dernière Internationale devront reconnaître que cette méfiance à l’égard de la fondation de telles unions est justifiée chez les ouvriers des Etats occidentaux.

Nous savons avec quelles formes pompeuses furent tenues des conférences, prises de fermes résolutions, mis sur pied des plans en vue de grandes actions, mais lorsque l’heure vint de transposer tout cela en pratique, toutes ces résolutions furent honteusement abandonnées et l’œuvre de l’internationale détruite.

Toutes les résolutions furent foulées aux pieds et l’on fit exactement le contraire de ce qu’elles préconisaient. Telles sont les raisons pour lesquelles les ouvriers sont méfiants. Ils ne veulent pas que la IIIe Internationale soit à nouveau replâtrée par quelques camarades réunis fortuitement, car les conditions dans lesquelles nous sommes venus ici à la conférence ont été trop difficiles.

Il apparaît aussi dans les faits que très peu de représentants des différentes organisations nationales sont présents. Les ouvriers ne veulent pas qu’ait lieu ici à nouveau une fondation pompeuse, que soient prises à nouveau des résolutions qui resteraient sur le papier.

Ils veulent d’abord savoir sur qui ils pourront compter dans les luttes à venir, et nous sommes tous d’accord que la IIIe Internationale doit avoir un autre aspect dans son activité que l’internationale passée.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus de se disputer sur les théories du socialisme dans des conférences, d’annoncer les luttes futures, de forger des plans, de prendre des résolutions. Il s’agit de diriger le prolétariat de tous les pays vers l’action.

Aujourd’hui, alors que le prolétariat de tous les pays engage la lutte pour sa libération qui ne peut pas être menée simplement par des tracts, des brochures et des discours, il s’agit d’une question de vie ou de mort; aujourd’hui, les ouvriers veulent savoir si la IIIe Internationale qui doit être créée, possède la force nécessaire pour soutenir la lutte des ouvriers ou si elle est en mesure de l’acquérir.

C’est pourquoi les ouvriers estiment qu’il est nécessaire d’abord de dire ce que nous voulons et quels sont les fondements des luttes ultérieures, et alors ils diront s’ils sont prêts à fonder la nouvelle Internationale et à y adhérer.

Cette voie sera également la plus correcte et la plus simple et mènera au but que nous souhaitons tous. Je peux dire expressément que les ouvriers allemands ne sont pas opposés à la création de la IIIe Internationale, mais ils veulent que cette Internationale soit armée dès le début de la fermeté et de la force nécessaire au soutien de la lutte prolétarienne de tous les pays. C’est pourquoi, à notre avis, il est nécessaire que nous apparaissions d’abord au monde avec une plate-forme dans laquelle nous exprimions clairement et distinctement les tâches du prolétariat, ses buts, ses voies, que nous créions une bannière qui puisse être levée dans la lutte contre la bourgeoisie.

Il est nécessaire pour cela que nous nous exprimions dès le début avec le maximum de clarté et de précision. Il ne s’agit plus comme avant de bavarder le plus possible et de faire figurer dans l’internationale le maximum de pièces de décoration qui ne sont que des bulles de savon inconsistantes. Nous devons rassembler ceux qui sont d’accord avec nous et éloigner de nous ceux qui ne sont que des faibles et des incertains, en qui on ne peut avoir confiance.

Le camarade Boukharine et moi-même avons établi quelques lignes directrices pour une telle plate-forme. Nous allons vous les soumettre.

Votre tâche sera de prendre position sur ces lignes directrices et de dire si vous êtes d’accord avec ce qui est exposé et si vous prenez l’engagement de faire en sorte que ces résolutions deviennent actions, que vos organisations se rangent à ces lignes directrices et que sur la base de celles-ci, le prolétariat décide lui-même s’il est prêt à se rassembler dans une IIIe Internationale.

Cette plate-forme se compose d’abord d’un avant-propos qui donne une caractérisation de la bourgeoisie et du capitalisme.

Il y est décrit comment le capitalisme avec ses tendances impérialistes, a transformé les différents Etats en Etats brigands, quelle politique le capitalisme a mené à la recherche impétueuse de nouveaux débouchés, de nouvelles matières premières, de nouveaux domaines coloniaux et de quelle manière le monde tout entier a été partagé entre les différents Etats capitalistes.

Il y est décrit la manière dont ont procédé les Etats capitalistes pour se partager le monde et comment, une fois que le monde a été partagé, les tendances du capitalisme n’ont pas cessé de se manifester, comment les tendances à l’expansion, à l’élargissement, la rapacité des classes capitalistes se sont intensifiées et comment enfin les différents Etats en vinrent à se saisir au collet, et à s’arracher les débouchés les uns après les autres.

Il y est décrit comment la nature du capital, sans considération aucune des besoins de la classe ouvrière des différents pays, a opposé les peuples les uns aux autres, les maintenant dans une attitude hostile rien que par sa rapacité, par besoin d’augmenter les profits, d’accroître les propriétés.

Il y est décrit comment le capitalisme a essayé de subordonner la classe ouvrière à ses buts égoïstes, comment il a essayé de surmonter la structure sociale contradictoire dans les différents Etats afin d’utiliser les ouvriers dans la lutte contre les pays voisins et remplir ses poches et comment il a voulu les utiliser pour mener sa politique coloniale dans les différents pays.

Il y est montré comment le capitalisme et la bourgeoisie dans les différents pays ont su éveiller dans l’esprit de la classe ouvrière le sentiment de solidarité et de communauté entre le capital et le travail, comment ils ont réussi à inculquer la notion de « patrie » dans la tête et le cœur des ouvriers et comment, grâce à ce sentiment commun, ils ont pu assaillir les pays voisins, comment enfin s’est réalisée l’union sacrée.

Les tendances impérialistes menèrent à la guerre mondiale et firent que les divers grands Etats capitalistes se sont mutuellement entre-déchirés. Les ouvriers suivirent docilement les vœux et les intérêts des classes dominantes et foulèrent ainsi aux pieds leurs propres intérêts en se mettant entièrement à la remorque des classes dominantes.

Si la grande masse des ouvriers a suivi les tendances du capitalisme, cela est dû au fait que notre prédécesseur, la IIe Internationale, a complètement fait faillite.

A la dernière conférence de la IIe Internationale encore, il fut décidé qu’en cas de guerre les prolétariats emploieraient tous les moyens pour empêcher la guerre.

Mais, lorsque celle-ci éclata, les dirigeants mirent tout en œuvre pour la favoriser ; les dirigeants qui s’étaient rencontrés auparavant dans des conférences essayèrent de toutes leurs forces et toute leur influence de convaincre les ouvriers que la lutte des classes avait cessé, que la réconciliation des ouvriers avec les classes dominantes était une nécessité; ils conduisirent ainsi le prolétariat à la boucherie.

Au cours de la guerre et de l’union sacrée, il apparut que les buts qu’on avait fait miroiter aux yeux du prolétariat ne pouvaient pas être atteints. Au lieu de l’amélioration de la situation de la classe ouvrière grâce à sa participation à la guerre, il se produisit le contraire.

Au lieu d’une amélioration des conditions de vie, on vit que l’union sacrée pendant la guerre conduisait à la destruction physique généralisée du prolétariat; on vit que la misère, la détresse, l’asservissement du prolétariat avaient progressé; que les conséquences de l’union sacrée n’étaient pas l’amélioration de la situation du prolétariat, mais la famine à l’échelon mondial.

Lorsque cette prise de conscience gagna de plus en plus de terrain parmi les ouvriers à la fin de la guerre, lorsque la classe ouvrière se rendit compte qu’elle avait fait la plus grande bêtise d’assaillir coude à coude avec sa propre bourgeoisie la classe ouvrière des Etats voisins, lorsqu’elle vit que la théorie de l’union sacrée avait fait fiasco, alors la guerre impérialiste se transforma dans différents Etats en guerre civile.

Nous voyons dans les grands Etats la révolution se déclencher, nous voyons comment en Russie et dans d’autres Etats, les ouvriers ont retourné leurs fusils pour les diriger contre leurs ennemis véritables, les capitalistes de leur propre pays.

Nous avons vu que les conséquences en ont été l’effervescence dans les autres pays, l’effervescence parmi les peuples coloniaux qui étaient jusqu’à présent les plus exploités de tous les Etats capitalistes ; nous avons vu que les soulèvements des ouvriers se succèdent dans différents pays, que les antagonismes entre le capital et le travail se sont accrus après l’union sacrée et que l’hostilité entre les différentes classes a augmenté.

Aujourd’hui dans beaucoup de pays la lutte n’est plus menée simplement à l’aide de tracts, brochures et réunions, mais déjà à l’aide de mitrailleuses et de grenades à gaz. La classe capitaliste ne trouve pas d’issue.

Elle nous a conduits sur le chemin de l’abîme, elle a fait des Etats européens civilisés un champ de ruines et elle n’est pas en mesure d’édifier sur ce champ de ruines un nouveau régime social. S’il ne se produit pas un changement rapide, la destruction totale de la culture européenne est à prévoir.

Les ouvriers cherchent une issue à ce dilemme. Demandons-nous d’abord si la classe dominante est capable de reconstruire la société en ruines. Nous devons dire qu’elle n’est pas capable de reconstruire ce qui a été détruit.

La société capitaliste a montré son incapacité à prolonger sa domination, s’est montrée incapable de garder en mains les destinées de la société humaine. Il ne reste donc pas d’autre issue pour le prolétariat, de loin la classe la plus productive, que de s’emparer enfin du pouvoir.

Dans certains Etats déjà, nous en sommes à ce point; nous avons déjà vu qu’en Russie la lutte finale décisive est engagée et que nous avons déjà remporté de grands succès; nous avons vu qu’en Allemagne la bourgeoisie et le prolétariat se préparent pour le combat final décisif et impitoyable et que la bourgeoisie fait appel à tous les moyens de la classe dominante qu’elle peut encore mettre en œuvre.

La théorie de la Société des Nations, la formation des gardes blancs et la terreur blanche ne devront pas retenir le prolétariat d’engager la lutte.

C’est ce que nous avons exprimé dans la plate-forme afin de dévoiler les antagonismes, d’ouvrir les yeux aux ouvriers et de leur montrer où en est la situation aujourd’hui.

Il est compréhensible que dans notre plateforme, nous ayons été obligés de préciser par quels moyens nous pensons atteindre nos buts, que nous fassions comprendre aux ouvriers ce qu’ils ont à faire, que nous leur indiquions le chemin qu’ils doivent parcourir pour parvenir aux buts de la révolution socialiste, à la réalisation du nouveau régime social.

Cela est naturellement extraordinairement difficile, car les conditions de cette lutte sont différentes suivant les divers pays; et certains sont en avance sur le chemin de la révolution socialiste, si bien que ce que nous exposons aujourd’hui est dépassé pour les uns, tandis que pour les autres ce n’est pas encore mûr.

Il se peut que les Etats qui sont les plus avancés sur la voie de la révolution socialiste nous disent : ce que vous voulez, nous l’avons déjà en grande partie et que les autres nous disent : ce que vous voulez ici, nous en sommes loin, nous ne sommes pas encore à la veille de réaliser ce que vous nous demandez, nous n’en sommes pas encore à ce point de développement.

Et pourtant il nous faut trouver une voie sur laquelle nous nous rencontrions, il nous faut esquisser une sorte de ligne moyenne sur la base de laquelle nous pouvons nous unir et il est nécessaire et important que les pays qui sont en avance dans leur développement soutiennent puissamment, à la fois par leur expérience et par l’action, les pays qui sont en retard dans leur développement.

Il est nécessaire que nous nous mettions d’accord et j’espère que les objections éventuelles contre cette plate-forme pourront être examinées dans la discussion et éliminées. Nous demandons que le prolétariat s’attelle à la tâche de la prise du pouvoir, s’efforce de réaliser le rapprochement et l’union du prolétariat de tous les pays.

La prise du pouvoir par le prolétariat est conditionnée par la lutte impitoyable contre la bourgeoisie et la destruction de son pouvoir politique. Il n’est pas possible, comme le pensent les centristes, de reconstruire le vieux pouvoir politique et après seulement de passer à la réalisation du socialisme.

A l’époque où le pouvoir de la bourgeoisie est devenu poreux, nous ne devons pas hésiter; nous devons, dans les différents Etats, nous efforcer de toutes nos forces de prendre le pouvoir politique et de détruire celui de la bourgeoisie.

Mais il ne s’agit pas de se contenter simplement de faire une prétendue révolution, d’éliminer quelques princes et quelques valets et de les remplacer par quelques individus comme nous le montre l’exemple de l’Allemagne. Il ne faut pas renverser un Kaiser et ensuite le remplacer par un Ebert; cela est absolument insuffisant.

Il est nécessaire que le prolétariat effectue non seulement un changement de personnel dans le gouvernement, mais qu’il exécute aussi sa tâche de destruction de tout l’appareil d’Etat dans les pays capitalistes, que ce soit non pas les personnes qui soient éliminées, mais le système; et que soit mis à la place du régime capitaliste le régime socialiste.

Nous avons exigé en Allemagne, aux premiers jours de la révolution, le désarmement de toute la bourgeoisie, en particulier du corps des officiers.

Les ouvriers doivent arracher la violence physique des mains de la bourgeoisie et s’en emparer.

Ils doivent désarmer les représentants des classes ennemies, ils doivent supprimer tout l’appareil de contrainte de l’Etat, le corps des fonctionnaires d’Etat, les juges, les représentants du système d’éducation et les remplacer par des hommes et des organisations qui reconstruiront à neuf, dans l’intérêt et dans le sens du socialisme, les organisations de l’Etat. Le camarade Boukharine traitera cela en détail.

La destruction de l’appareil d’Etat de la bourgeoisie et des classes dominantes est la première nécessité après la prise du pouvoir par le prolétariat et ses organisations. Démocratie bourgeoise ou dictature du prolétariat, telle est l’alternative. Il n’existe pas de possibilité de réaliser en commun avec les classes dominantes les buts du socialisme.

Et, si dans tous les Etats où a eu lieu la révolution, le premier mot d’ordre de la bourgeoisie a été de dire : « Vous avez fait la révolution, votre tâche est de défendre la démocratie »nous lui dirons : « le prolétariat n’a jamais réclamé la démocratie dans ce sens.

Le prolétariat qui se réclame du socialisme s’est toujours tenu sur le terrain de la lutte des classes, a toujours proclamé la lutte de classe impitoyable contre la bourgeoisie, et, dès le moment où le prolétariat prend le pouvoir, il ne peut plus être question de renoncer à la lutte des classes ».

C’est alors, à plus forte raison que le prolétariat doit commencer à entreprendre par les méthodes de la lutte de classe la destruction complète du système social.

Mais cela ne peut se faire que si le prolétariat refuse la démocratie bourgeoise; que s’il refuse de reconstruire la nouvelle société la main dans la main avec la bourgeoisie et de maintenir le vieil appareil d’Etat; que si le prolétariat, sans tenir compte des hurlements de la bourgeoisie, continue la lutte et proclame la dictature du prolétariat.

Celle-ci suppose qu’à la place du vieil appareil d’Etat soit mis le nouveau système des organisations de masse prolétarienne, le système soviétique.

Et nous devons poser aux délégués rassemblés ici la question de savoir s’ils considèrent qu’une des questions essentielles à poser au prolétariat est celle-ci : Etes-vous partisans de la démocratie bourgeoise ou êtes-vous sur le terrain de la dictature du prolétariat, par conséquent du système soviétique ?

Il nous est impossible de fonder la IIIe Internationale avec des gens qui, maintenant comme avant, sont partisans de la démocratie bourgeoise et refusent de s’unir à nous pour réclamer le système soviétique.

Nous ne pouvons pas non plus nous unir à l’aile gauche de l’ancienne IIe Internationale, aile gauche qui a d’abord pris position avec enthousiasme pour la démocratie bourgeoise et qui a étranglé ainsi le développement du système soviétique.

Nous ne pouvons pas marcher avec des gens qui se sont pendus aux basques de la bourgeoisie, qui voient dans le maintien de la bourgeoisie une condition nécessaire pour le développement futur, qui étouffent ainsi le système des soviets et qui remettent à nouveau le pouvoir entre les mains de la bourgeoisie.

De nos jours, ils déclarent, en pleurnichant, qu’ils sont également pour le système des soviets et ils cherchent à trouver une combinaison entre la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat, un compromis entre le parlement et le système des soviets.

Nous ne pouvons et nous ne savons pas nous unir avec des faibles et des indécis, car ils ne constituent pas un renforcement du front de lutte prolétarien, mais au contraire un frein qui nous empêchera de progresser sur la voie de la lutte de classe prolétarienne.

Ce sera une des tâches principales dans les différents pays de veiller à ce que ces éléments soient repoussés, que partout les communistes se situent sur leur propre terrain, se déclarent pour la dictature du prolétariat et le système des soviets et ne rassemblent autour d’eux que les ouvriers qui se déclarent résolument partisans de la dictature du prolétariat, de la lutte des classes, et que les ouvriers entreprennent dans les différents pays de détruire les formes d’organisations existantes et se créent leurs propres organisations de masse.

La démocratie bourgeoise est faite pour dépouiller à nouveau le prolétariat de son pouvoir, elle doit donc être combattue par les masses. La tâche des masses sera de garder entre ses mains le pouvoir et de réaliser l’auto-administration par le système des soviets. Ici aussi, le camarade Boukharine entrera dans les détails.

Mais, si nous voulons mener le prolétariat à la bataille pour la dictature, alors il faut que nous disions aux ouvriers que les tâches sont liées à la prise du pouvoir.

Je veux dire par-là la nécessité de réaliser, à côté de la dictature politique, la dictature économique également, la nécessité pour le prolétariat d’entreprendre immédiatement l’expropriation de la bourgeoisie et de réaliser la socialisation de la production.

Je disais précédemment qu’il était impossible de remettre en ordre l’économie dans les différents pays. Les ouvriers ont vu leur salaire augmenter parfois considérablement pendant la guerre.

Les entrepreneurs ne veulent plus produire dans les grandes entreprises car, selon eux, l’affaire n’est plus rentable pour eux à cause des succès des revendications de salaires. D’un autre côté, le manque d’ardeur au travail grandit de plus en plus; les ouvriers n’ont aucune envie de travailler pour remplir les poches des capitalistes; ils veulent que le mode de production soit transformé afin de bénéficier également de leur propre travail.

Il est donc nécessaire que, là où le prolétariat s’est emparé du pouvoir, il entreprenne l’expropriation des grands capitalistes et des hobereaux afin de frayer la voie à la socialisation, afin de briser la colonne vertébrale de la bourgeoisie pour qu’elle ne puisse plus penser à réagir, à se rétablir.

Voilà précisément ce qui est nécessaire contrairement à ce que pensent les kautskystes qui veulent remettre le socialisme à une date ultérieure afin de restaurer l’ancien mode de production jusqu’à ce que les maux de la guerre soient guéris.

Nous devons en plus dire aux ouvriers comment doit être réalisée la socialisation. Nous devons leur montrer qu’il ne peut pas être question d’un partage généralisé comme ils se l’imaginent souvent. Nous devons éviter, comme cela s’est passé par exemple en Allemagne, que les ouvriers s’imaginent que la socialisation est réalisée quand ils ont expulsé les capitalistes et distribué les richesses matérielles existantes.

Nous devons leur dire que ces méthodes sont fausses, que les ouvriers ne doivent pas socialiser uniquement pour eux seuls, mais que cette socialisation doit être accomplie dans l’intérêt de l’ensemble.

C’est pourquoi nous devons veiller à ce que la propriété soit confisquée aux capitalistes, que les dettes d’Etat, les emprunts de guerre, soient annulés; que les propriétaires d’immeubles soient expropriés et que leurs maisons soient remises aux ouvriers.

Dans ce domaine, nous pourrons apprendre considérablement de l’expérience russe; nous y voyons en effet que les grands capitalistes ont été chassés de leur palais et que les véritables propriétaires, les ouvriers, les y ont remplacés, que seuls ont le droit de vivre décemment ceux qui travaillent pour la société.

Alors, nous pourrons et devrons également montrer aux ouvriers de quelle manière nous pouvons atteindre les buts que nous nous fixons, nous lui montrerons le chemin de la victoire, nous lui dirons que le prolétariat doit mener la lutte essentiellement par des actions de masses.

Il ne s’agit plus de tomber sur la bourgeoisie par de beaux discours seulement ou de laisser les ouvriers mener le combat en commun avec les faibles et les indécis. La séparation du prolétariat d’avec les agents du capital est la première exigence à mettre en avant ici.

Il ne s’agit plus pour le prolétariat de continuer à se laisser égarer, à se laisser traîner dans le sillage de l’internationale jaune. Telles sont toutes les raisons qui peuvent nous déterminer à préparer la fondation de la IIIe Internationale, raisons qu’il est nécessaire d’exprimer ici.

Il n’y a plus, à l’avenir, de communauté possible avec les représentants de l’Internationale jaune de Berne. A l’avenir, nous devons non seulement proclamer la lutte à mort contre la bourgeoisie, mais nous devons également engager le combat contre les traîtres du prolétariat, contre les Scheidemann et contre les faibles et les lâches de tous les pays.

Alors, nous pourrons dire à juste titre que nous remplirons la mission historique qui est dévolue à la IIIe Internationale communiste.

Rapport de BOUKHARINE

Boukharine (Russie) : Camarades, ma tâche consiste à analyser la plate-forme qui nous est proposée. Le caractère général de cette plate-forme sera nécessairement quelque peu abstrait. Cela est dû au fait que nous devons établir ici des thèses valables non seulement pour tel ou tel pays particulier, mais pour tous les pays qui seront représentés dans la IIIe Internationale.

D’autre part, toute l’expérience des pays où le mouvement s’est déjà développé doit être contenue dans cette plate-forme en particulier la grande expérience de la révolution prolétarienne communiste russe. Je suppose que les camarades ont déjà pris connaissance de cette plate-forme. D’abord, l’introduction théorique.

Celle-ci donne la caractéristique générale de l’époque tout entière, sous un angle très particulier, à savoir sous l’angle de l’effondrement du système capitaliste. Auparavant, lorsqu’on écrivait de telles introductions, on donnait simplement une description générale du système capitaliste.

A mon avis, cela ne suffit plus aujourd’hui. Nous devons non seulement donner la caractéristique générale du système capitaliste et impérialiste, mais décrire également le processus de désagrégation et d’effondrement de ce système. C’est le premier point de vue. L’autre est que nous devons considérer le système capitaliste, non pas seulement dans sa forme abstraite, mais également pratique en tant que capitalisme mondial, et que nous devons considérer celui-ci comme une totalité économique.

Si nous considérons à présent ce système capitaliste économique mondial du point de vue de son effondrement nous devons poser la question suivante : comment cet effondrement a-t-il été rendu possible ? Et il s’agit alors en premier lieu d’analyser les contradictions du système capitaliste.

Les deux plus importantes contradictions du système capitaliste sont d’abord l’anarchie dans la production; deuxièmement, l’anarchie dans sa structure sociale. Nous avons d’abord les contradictions purement économiques, ensuite les contradictions sociales. Nous ne devons pas les considérer uniquement sous leur forme générale, mais sous la forme dans laquelle elles s’expriment à notre époque.

Nous décrivons ici, dans la première partie de notre introduction, le fait que la contradiction économique du système capitaliste réside dans sa nature anarchique. Le capital a développé partiellement un processus d’organisation capitaliste. Comme on sait, la forme primitive du capital, du capital dispersé et inorganisé, a presque disparu.

Ce processus avait déjà commencé avant la guerre et s’est renforcé au cours de la guerre. Cette guerre a joué un grand rôle d’organisation.

Sous sa pression, la forme du capitalisme financier s’est transformée en une forme supérieure, la forme du capitalisme d’Etat; de même le capitalisme autrefois inorganisé a été remplacé dans les différents pays par sa forme organisée, le capitalisme d’Etat.

Divers spécialistes bourgeois prétendent que la nature anarchique du capital dont parlent les marxistes est un bluff et que toutes les conséquences qui ont été déduites par les marxistes de l’anarchie capitaliste sont également du bluff.

Mais, ces braves spécialistes bourgeois ne remarquent pas l’autre côté de ce même développement : dans la mesure où les contradictions économiques disparaissent progressivement et où le capitalisme dispersé dans les différents pays s’est développé en un capitalisme organisé, le même processus de développement des forces productives du système mondial a entraîné une aggravation extraordinaire de l’anarchie dans l’économie mondiale. 

La loi générale du développement capitaliste est que la concurrence est l’expression de l’anarchie dans le système capitaliste.

Cette concurrence s’est reproduite à une échelle sans cesse plus grande. Les spécialistes bourgeois n’ont pas remarqué qu’à notre époque, la nature anarchique du capitalisme se manifeste dans des proportions gigantesques dans le cadre de toute l’économie mondiale capitaliste : sa nature interne contradictoire a provoqué son effondrement complet. C’est un aspect de la question.

La question de l’anarchie sociale de la société capitaliste se pose de la même manière. Elle aussi a voulu dépasser le capitalisme.

Par quels moyens ? Précisément par les moyens de la politique impérialiste, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Le capitalisme des pays les plus avancés a tenté cela au moyen du brigandage dans les autres pays et de l’accumulation de surprofits sur le dos des peuples coloniaux exploités. Le capital voulut donner une petite partie de ce surproduit aux ouvriers des métropoles afin d’assurer la paix civile permanente.

Nous savons tous à présent comment fut créé le patriotisme des ouvriers sur la base de l’exploitation et du brigandage des peuples coloniaux, particulièrement le patriotisme de la couche des ouvriers qualifiés qui profitèrent en grande majorité de ces surprofits.

Mais, comme la méthode de la création de la paix civile était précisément la méthode impérialiste, une contradiction lui était également inhérente. Cette méthode qui assure réellement la paix civile conduisit inévitablement à une collision violente entre les forces capitalistes dans les pays brigands.

Cette méthode par laquelle le capitalisme cherche à surmonter les contradictions internes de sa structure sociale, a conduit effectivement à une aggravation croissante des antagonismes sociaux et, par là, au déclenchement de la guerre civile, à une explosion violente, à un choc gigantesque entre les différents pays. C’est ce que nous décrivons dans l’introduction théorique.

Nous avons cru nécessaire d’analyser également dans cette introduction la dernière tentative de la bourgeoisie pour surmonter ces contradictions, la Société des Nations. C’est le dernier effort du capital mondial pour éliminer les contradictions qui lui sont inhérentes.

Mais la situation est telle dans l’application de ce moyen que le capitalisme ne dispose plus entre ses mains de forces suffisamment puissantes pour empêcher le processus d’effervescence sociale et la révolution communiste. Tel est l’arrière-plan théorique de tout notre programme et de notre projet de plate-forme.

A présent, camarades, je voudrais expliciter rapidement quelques points particuliers de notre plate-forme. Le premier point concerne « la question de la prise du pouvoir ».

Nous avons dû dire ici ouvertement que nous sommes revenus à l’ancienne doctrine marxiste. Comme on sait, la vieille social-démocratie, qui se dit marxiste, se trouve presque partout sur le terrain de la doctrine marxiste châtrée.

La doctrine marxiste de l’Etat considère l’Etat comme un appareil d’oppression. Dans la société communiste, il n’y aura absolument plus d’Etat, car il n’y aura plus de classe et donc plus d’organisation de classe.

Nous disons ici qu’après la conquête du pouvoir par le prolétariat et après la destruction totale de la bourgeoisie comme classe qui combat le prolétariat, l’Etat lui-même « dépérira » avec les classes et toutes les organisations de classe. Nous avons utilisé ce mot que Marx et Engels employèrent souvent pour ce processus. Camarades, nous devons traiter la question de la prise du pouvoir de manière assez approfondie.

Le vieux parti social-démocrate n’a absolument aucune idée de ce que veut dire la prise du pouvoir. Il se représente le pouvoir comme une sorte de terrain neutre. Cette représentation du pouvoir d’Etat est totalement fausse. Il n’existe pas de pouvoir d’Etat abstrait, mais seulement concret.

Lorsque la bourgeoisie se trouve à la tête de l’Etat, alors l’Etat est une organisation bourgeoise et lorsque le prolétariat conquiert le pouvoir d’Etat, il ne conquiert pas ce pouvoir d’Etat, mais organise son propre pouvoir et, dans ce processus, doit nécessairement détruire l’ancienne organisation d’Etat. Cela est particulièrement clair depuis les expériences des révolutions russes et allemandes. Prenons par exemple le meilleur soutien du vieil Etat, l’Armée.

Peut-on imaginer un instant que le prolétariat conquière le pouvoir d’Etat sans désorganiser l’armée impérialiste ? Bien sûr que non ! La conquête du pouvoir d’Etat est liée à la désorganisation de l’armée impérialiste. On peut dire la même chose pour l’ensemble de l’appareil d’Etat.

Le prolétariat, en prenant le pouvoir d’Etat, en s’emparant du pouvoir politique détruit tout l’appareil d’Etat bourgeois. Cette vérité est une vérité révolutionnaire et elle était familière à Marx et Engels, les fondateurs de la doctrine communiste. C’est seulement au cours de la période suivante du développement pacifique que ce principe fondamental fut totalement oublié.

A présent, nous revenons à cette doctrine éprouvée de Marx et nous disons : premièrement, dans la société communiste, il ne peut pas y avoir de pouvoir d’Etat et deuxièmement, la conquête du pouvoir par le prolétariat doit entraîner nécessairement la destruction de la vieille organisation d’Etat. Voilà en ce qui concerne la conquête du pouvoir politique.

Il y a ensuite le point suivant : démocratie bourgeoise ou dictature du prolétariat. Je ne traiterai pas particulièrement en détail ce point, non pas qu’il ne soit pas important, mais parce que dans l’ordre du jour nous aurons une discussion particulière et que le camarade Lénine rapportera sur cette question. Je ne discuterai que quelques points fondamentaux de la plate-forme.

D’abord, en ce qui concerne la construction de la plate-forme. Les thèses sont construites ici de manière antithétique. Lorsque nous considérons la question de la démocratie bourgeoise ou de la dictature du prolétariat, le plus important est de mentionner, premièrement que la démocratie bourgeoise n’est en réalité que la dictature de la bourgeoisie et, deuxièmement, qu’elle repose sur une fiction, à savoir la fiction de la prétendue « volonté du peuple ».

Ce fétiche, ce faux concept de la « volonté du peuple » est un mot d’ordre pour tous les partis. Prenons n’importe quel tract ou brochure du vieux parti social-démocrate et nous y trouverons dans d’innombrables phrases ce mot sacramentel de « volonté du peuple ».

En réalité, cependant, cette volonté du peuple est un non-sens. La société capitaliste n’est pas une quelconque totalité fermée. Il y a en effet, dans la société capitaliste, non pas une société mais deux. 

A la volonté de la minorité exploiteuse s’oppose diamétralement la volonté de la majorité exploitée et c’est pourquoi il ne peut pas exister une « volonté du peuple » unitaire qui engloberait toutes les classes.

On ne peut même pas dire qu’il pourrait y avoir malgré tout une résultante issue de la volonté des différentes classes; une telle résultante est, en réalité, impossible car une classe cherche à imposer par divers moyens, par la violence brutale ou par le mensonge idéologique, sa volonté; en réalité il n’y a qu’une seule volonté dominante et ce n’est pas un hasard si dans la démocratie bourgeoise précisément la fiction de la volonté du peuple est particulièrement mise en avant.

Il est clair que, dans la démocratie bourgeoise précisément, se réalise seulement la volonté de la bourgeoisie, non celle du prolétariat qui est au contraire totalement opprimée dans la démocratie bourgeoise.

La deuxième idée fondamentale de cette plate-forme est l’antithèse entre la liberté formelle de la démocratie bourgeoise et la « réalisation matérielle » de la liberté par la dictature du prolétariat.

La démocratie bourgeoise a proclamé différentes libertés pour tout le peuple, par conséquent aussi pour les classes travailleuses; mais tant que la base matérielle est concentrée entre les mains des classes capitalistes, ces libertés sont inaccessibles à la classe ouvrière.

La situation est analogue en ce qui concerne la liberté de la presse aux Etats-Unis : la censure américaine n’interdit pas les journaux prolétariens, mais elle refuse de les diffuser par la poste. L’existence formelle de cette liberté de presse n’a donc pas de signification pour le prolétariat. Il en va de même pour toutes les autres libertés dans la démocratie bourgeoise.

Etant donné que la bourgeoisie possède les immeubles, le papier, les imprimeries, bref possède tout, le prolétariat peut bien disposer de différentes libertés formelles, mais il est incapable de les réaliser. Il en va tout autrement dans la dictature du prolétariat. Nous ne tenons pas de grands discours sur les différentes libertés.

Nous garantissons la réalisation de ces libertés par le fait que nous enlevons la base matérielle de la société capitaliste, la propriété, les moyens matériels à la bourgeoisie afin de les remettre aux ouvriers, aux paysans pauvres, c’est-à-dire au peuple réel.

Troisièmement, notre plate-forme contient encore l’antithèse entre la dictature bourgeoise et la dictature prolétarienne dans la mesure où il s’agit de la participation au pouvoir d’Etat.

Bien que dans la démocratie bourgeoise on fasse beaucoup de discours sur le fait que c’est le peuple lui-même qui gouverne (le terme même de démocratie signifiant en effet « autogouvernements du peuple »), le peuple proprement dit, c’est-à-dire en premier lieu le prolétariat, reste totalement isolé de l’appareil d’Etat dans la démocratie bourgeoise.

Dans les républiques démocratiques bourgeoises de Suisse ou des Etats-Unis, la « participation » du prolétariat à l’administration d’Etat consiste seulement en ceci qu’il a le droit de déposer tous les quatre ans un petit bulletin de vote dans l’urne en remplissant ainsi son « devoir » de citoyen.

Tout le travail est confié à un député, très souvent à un député bourgeois et l’ouvrier ne sait absolument pas du tout comment « travaillent » à vrai dire ces députés. L’ouvrier est totalement exclu de l’appareil d’Etat. Les choses sont tout à fait différentes dans la dictature du prolétariat.

Le prolétariat ne participe pas seulement aux élections, mais il est bien plutôt le membre actif de tout l’appareil d’Etat, de ce grand mécanisme qui s’étend sur tout le pays et qui le tient entre ses mains. Toutes les organisations de masses du prolétariat se transforment ici en auxiliaires du pouvoir d’Etat prolétarien et c’est ce qui garantit la participation constante du prolétariat à l’administration d’Etat.

Maintenant, camarades, vient le point qui concerne l’expropriation de la bourgeoisie, c’est-à-dire l’aspect économique de la dictature du prolétariat. Cet aspect de la dictature du prolétariat est aussi important que la prise du pouvoir politique. La dictature politique, la dictature du prolétariat est pour nous simplement un moyen de réaliser la transformation économique.

La transformation de la société capitaliste en société communiste s’accomplit sur le terrain de la transformation de la structure économique de la société moderne, et la transformation des rapports de production est l’objectif principal de la dictature du prolétariat.

Il nous faut ici polémiquer avec nos adversaires politiques. Nous savons maintenant que l’on nous fait l’objection suivante : après la guerre il s’est produit un tel épuisement qu’il serait risible de prendre de quelconques mesures socialistes.

Les Scheidemann, nos menchéviks, Kautsky, qui tous flirtent avec le socialisme affirment naturellement que le socialisme est en soi une bonne chose, mais que dans l’état actuel des forces productives, après le processus de destruction, de paupérisation de la classe ouvrière et de toute la société, il serait risible de vouloir passer au socialisme.

Kautsky a même dit que socialiser l’Allemagne actuelle signifierait transformer le pays tout entier en une maison de fous. Nous affirmons au contraire dans notre plate-forme que, dans l’état actuel des forces productives et des rapports de classes, il est non seulement faux mais utopique de croire que la restauration du capitalisme est possible.

Le système capitaliste craque à présent de toutes parts. Prenons l’aspect économique : il est vrai que tout est détruit, mais on ne peut pas replâtrer sur une ancienne base, ce qui a été détruit. Considérons les rapports entre les ouvriers et les capitalistes. L’ancienne société capitaliste présupposait un rapport particulier entre les « employeurs » et les ouvriers.

Ce système reposait sur la paix civile permanente qui avait une signification non seulement politique mais aussi plus générale. Dans chaque usine doit régner la paix civile de manière à ce que la production capitaliste puisse avoir lieu. Mais une fois que les fils entre le capitalisme et l’ouvrier sont coupés, ils ne peuvent plus être renoués organiquement sur l’ancienne base.

Le mouvement des revendications de salaires des ouvriers ne peut pas s’arrêter. Mais, du coup, les différentes branches industrielles de la production cessent d’être rentables pour la classe capitaliste, c’est-à-dire que dans certaines conditions les capitalistes sabotent, ferment leurs entreprises comme cela s’est produit en Russie.

Nulle part n’existe la possibilité de continuer les rapports capitalistes. Seul un utopiste peut encore le réclamer.

Les kautskystes se sont déjà révélés des utopistes par la façon dont ils ont répondu à la question de l’impérialisme, des luttes ultérieures du prolétariat. Ce sont eux qui, à présent, réclament la restauration des rapports capitalistes. Il n’existe que deux issues : soit la destruction totale de toute la vie économique, soit la production socialiste.

Restaurer les rapports capitalistes signifierait seulement prolonger l’agonie de la vieille société, prolonger de plus en plus la désagrégation et l’anarchie et, par là, aussi, d’empêcher la possibilité de la restauration de la vie économique sur des bases nouvelles.

A cela est liée une autre question. Non seulement les socialistes russes, mais aussi les socialistes allemands de l’espèce de Kautsky affirment que nous pratiquons une variété toute particulière de communisme : non pas un communisme productif mais une espèce toute particulière de « lumpen-communisme », un communisme de partage qui n’a rien de commun avec les tâches véritables de la classe ouvrière.

Nous devons répondre que ces socialistes ont oublié les fondements de la doctrine de Marx. D’après Marx, la force productive principale est représentée dans la société capitaliste par la force de travail. Du point de vue purement économique, le prolétariat est la force productive la plus importante de toute la société.

Maintenant, après la destruction gigantesque opérée par la guerre, la tâche de tous ceux qui luttent pour le progrès de la société consiste à maintenir en état la force productive la plus importante : la classe ouvrière.

Toutes les charges de la guerre, tout le processus de destruction lié à la guerre pèsent particulièrement sur la classe ouvrière, si bien que cette force productive est menacée de disparaître. Un économiste bourgeois a très justement remarqué à ce propos que même si tous les moyens matériels sont détruits, mais qu’existe encore cette force de travail, il existe toujours l’espoir, la certitude même que sera à nouveau produit de la richesse matérielle grâce à cette force de travail précisément.

Mais, si celle-ci disparaît également, si le prolétariat lui- même est détruit, alors disparaît aussi le dernier espoir de la possibilité de la continuation de la société humaine.

Il est donc clair pour tout homme sensé que tous les efforts doivent tendre à maintenir cette force.

Le prétendu communisme de consommation que nous pratiquons, le « communisme de partage », c’est-à-dire la distribution au prolétariat de ce qui était autrefois entre les mains des capitalistes est le seul moyen de sauver les ouvriers de la destruction totale. Il crée littéralement la possibilité de continuer le développement des forces productives et du communisme productif.

Nous abordons ainsi la question par une voie nouvelle qui nous mène au bout du compte au développement des forces productives de la société. Nous avons éclairé ces idées non seulement par la théorie mais par notre pratique.

En ce qui concerne les mesures concrètes, elles sont toutes connues des camarades. Elles étaient déjà presque toutes contenues dans le programme maximum, dans celui des tribunistes hollandais pendant la guerre, dans la brochure Was will das Spartakusbund ? et dans les écrits édités par les partis communistes. Je voudrais faire remarquer que nous avons souligné ici quelques points qui méritent particulièrement attention.

Tout d’abord, les différents appareils capitalistes d’Etat, dans les différents pays développés. On dit que nous devons exproprier les banques, les grandes entreprises, socialiser les trusts, les cartels, mais l’on oublie par là que le capitalisme d’Etat lui-même a créé de nouveaux appareils, appareils que nous pouvons utiliser à notre profit.

Je veux dire les différents appareils de municipalisation et de distribution, de même que les organismes capitalistes d’Etat qui sont nés pendant la guerre en grand nombre, particulièrement en Allemagne, mais aussi en Angleterre, en Amérique et en France.

Comme ces appareils sont étroitement liés à l’Etat, il est certes très difficile de les maintenir pendant la révolution, mais nous pouvons toutefois utiliser à nos fins quelques-uns de leurs éléments matériels. C’est pourquoi nous soulignons précisément ce point.

En plus, nous avons abordé spécialement la question concernant la petite- bourgeoisie et la petite-paysannerie. On ne peut ici poser la question que de manière générale, car les rapports agraires sont à ce point diversifiés suivant les pays qu’il est presque impossible d’en dire quelque chose de concret.

Mais, nous avons pourtant donné ici également des lignes directrices. Premièrement, la petite-bourgeoisie et la petite-paysannerie ne seront pas expropriées par le prolétariat; deuxièmement, ces classes seront intégrées lentement et d’une manière pacifique dans l’organisation socialiste; et troisièmement, le prolétariat ne luttera pas contre ces classes, mais accomplira quelque chose de positif pour elles en les libérant du capital usuraire, des charges, des impôts et des dettes d’Etat.

Cette question financière, qui est également très étroitement liée à la question des dettes d’Etat, est très importante.

Si nous avions écrit pour des Russes, nous aurions traité du rôle des syndicats dans le processus de transformation révolutionnaire. Mais, d’après l’expérience des communistes allemands, cela est impossible car ces camarades nous disent que les syndicats allemands sont entièrement opposés aux nôtres. Chez nous, les syndicats jouent le rôle principal dans le processus du travail positif.

Le pouvoir soviétique s’appuie précisément sur eux; en Allemagne c’est le contraire. Cela semble être dû au fait qu’en Allemagne les syndicats étaient aux mains des jaunes, des Legien et Cie.

Ils étaient dirigés contre l’intérêt du prolétariat allemand et ils le sont encore, mais le prolétariat liquide à présent ces vieux syndicats. A leur place sont apparues en Allemagne de nouvelles formes d’organisation, les conseils d’usine qui essayent de prendre en mains les usines. Les syndicats ne jouent plus de rôle positif.

Nous ne pouvons pas élaborer ici de lignes directrices concrètes; c’est pourquoi nous avons dit de manière générale que pour la gestion des usines il fallait créer des organes sur lesquels le prolétariat s’appuie, organisations qui sont très étroitement liées et intriquées à la production.

Par conséquent, s’il existe par exemple en Angleterre des shops-stewards, ou toute autre forme d’organisation qui soit en liaison étroite avec la production, comme chez nous les syndicats ou en Allemagne les comités d’usine, ces organismes formeront la colonne vertébrale de l’administration de la société socialiste.

Nous avons encore à traiter deux questions. La première concerne les coopératives, la deuxième, les techniciens et les spécialistes. La question des coopératives est très importante comme nous l’a montré la révolution russe.

En ce qui concerne les organisations de l’appareil de distribution, nous affirmons que nous ne pouvons presque rien faire en Russie sans ces coopératives. C’est pourquoi nous devons en tenir compte et les utiliser totalement pour nos objectifs.

Nous n’avons pas trouvé, au cours de notre entretien avec le camarade Albert, un seul argument qui puisse réfuter cette expérience russe. Pour les autres pays, également, nous avons intégré l’expérience russe dans notre plate-forme. La question des techniciens et des spécialistes joue à présent, comme vous le savez un rôle assez important en Russie.

Tous ces gens veulent à présent travailler avec nous. Nous savons très bien que parmi eux il y a des adversaires, mais ils sont les dépositaires de l’expérience pratique du système antérieur; nous ne pouvons pas nous en sortir dans l’économie et la technique sans ces gens.

En Allemagne, en Angleterre et encore plus en Amérique, la première phase du combat contre ces forces sera encore bien plus sévère que chez nous. Nous avons déjà franchi ce stade.

Les deux idées fondamentales de ce paragraphe sont : premièrement, tant que ces couches mènent une lutte ouverte ou secrète contre nous, nous devons également les traiter en conséquence; deuxièmement, mais lorsque la résistance de ces couches et de la bourgeoisie tout entière est brisée, alors nous sommes obligés d’utiliser en grande partie ces forces techniques et de les assimiler progressivement.

Le titre du paragraphe final est : « Le chemin de la victoire ». Nous avons indiqué ici la possibilité d’utiliser de manière révolutionnaire le parlementarisme bourgeois.

Nous avons retenu cette possibilité dans notre plate-forme, car il serait théoriquement faux de dire qu’il est pour nous principalement impossible d’entrer dans un parlement quel qu’il soit.

La question du boycott du parlement bourgeois-démocratique est une question purement tactique et est déterminée exclusivement par la situation donnée, c’est-à-dire par le rapport de classes, par la force du prolétariat, par sa maturité et par sa préparation à la lutte finale victorieuse.

Une chose doit être dite encore : nous sommes partisans de l’insurrection armée comme forme supérieure de la lutte révolutionnaire des masses; mais l’instant précis de cette insurrection, le moment de l’affrontement final est déterminé par la situation donnée et les rapports de classes.

Nous avons dit que nous ne devons pas forcer le développement historique, mais d’abord organiser nos forces et utiliser même les organisations bourgeoises parlementaires afin que, déjà organisées, nous allions avec toutes nos forces au combat final.

En ce qui concerne les opportunistes et les kautskystes, nous n’avons pas besoin d’ajouter grand-chose.

Comme paragraphe final, nous avons admis dans notre plate-forme l’idée que le prolétariat international n’est pas passé à l’offensive, mais se trouve sur la défensive.

Cette formulation a une grande valeur pour l’agitation. La bourgeoisie hurle que nous sommes à présent les adversaires de la paix, les représentants de l’impérialisme rouge, la puissance attaquante. Tous les faits contredisent cela, la révolution en Russie comme en Allemagne.

Nous savons que la terreur blanche existe déjà, que les méthodes barbares de lutte de la bourgeoisie seront utilisées contre nous. Nous savons également très bien que cette Société des Nations signifie seulement la préparation au combat final du capitalisme contre le prolétariat international et c’est contre cela que le prolétariat doit se défendre.

Mais, dans cette défense contre la bourgeoisie qui utilise tous les moyens possibles, le prolétariat doit recourir également à des armes adéquates.

Voilà notre plate-forme.

Je voudrais exprimer le vœu que la grande majorité des camarades participent à la discussion de cette plate-forme.

Comme vous le remarquez tous, elle touche presque à toutes les questions qui concernent les tâches courantes de la classe ouvrière dans les circonstances actuelles, elle condense presque tous les problèmes qui attendent le prolétariat et qu’il doit s’efforcer de résoudre.

Telle est la situation. Nous avons encore naturellement quelques autres paragraphes à traiter dans notre ordre du jour, mais en gros cette plate-forme est notre programme et le matériel pour le programme de la IIIe Internationale communiste.

Et si les camarades y participent activement, alors nous considérerons, le camarade Albert et moi que nous avons bien rempli notre tâche.

Lénine : La parole est au camarade Platten, rapporteur de la commission des résolutions.

Platten : Camarades, après avoir recueilli tous les rapports, la commission des résolutions propose que toutes les résolutions soient votées aujourd’hui par le congrès. Etant donné que toute une série de points sont encore à régler, nous devons vous prier d’éviter si possible les discussions.

Je peux vous assurer que la commission a siégé des heures et des nuits entières pour examiner le plus possible toutes les suggestions et en tenir compte au maximum; le contenu et la forme ont également été vérifiés en détail; nous en arrivons à la Plate-forme.

>Retour au dossier sur le premier congrès de l’Internationale Communiste

Résolution sur la fondation de l’Internationale Communiste

PLATTEN, président. – … A présent, je porte à votre connaissance une proposition, présentée par les délégués Rakovsky, Gruber, Grimlund, Rudnianszky. Elle est ainsi conçue :

Elle est ainsi conçue :

« Les représentants du Parti Communiste de l’Autriche allemande, du Parti social-démocrate de gauche de Suède, de la Fédération ouvrière révolutionnaire social-démocrate des Balkans, du Parti Communiste de Hongrie, proposent la fondation de l’Internationale Communiste.

« 1. La nécessité de la lutte pour la dictature du prolétariat exige l’organisation unifiée, commune et internationale de tous les éléments communistes qui se placent sur ce terrain.

« 2. Cette fondation est un devoir d’autant plus impérieux qu’actuellement on tente à Berne et peut-être tentera-t-on aussi plus tard ailleurs de rétablir l’ancienne Internationale opportuniste et de rassembler tous les éléments confus et hésitants du prolétariat. C’est pourquoi il est nécessaire d’établir une séparation nette entre les éléments révolutionnaires prolétariens et les éléments social-traîtres.

« 3. Si la III° Internationale n’était pas fondée par la Conférence siégeant à Moscou, cela créerait l’impression que les Partis communistes sont en désaccord, ce qui affaiblirait notre situation et augmenterait la confusion parmi les éléments indécis du prolétariat de tous les pays.

« 4. La constitution de la III° Internationale est donc un devoir historique absolu, et la Conférence communiste internationale siégeant à Moscou doit en faire une réalité. »

Cette proposition suppose que nous revenions sur une résolution quant à savoir si nous sommes une conférence ou un congrès. La proposition vise à la constitution de la III° Internationale. La discussion est ouverte.

Après la discussion, le camarade Platten met aux voix la proposition signée par Rakovsky, Gruber, Grimlund, Rudnianszky.

« Cette proposition, dit-il, est faite afin d’amener une décision sur la fondation de la III° Internationale. »

La résolution fut adoptée à l’unanimité moins 5 abstentions (délégation allemande).

DECISION

La Conférence Communiste Internationale décide de se constituer comme III° Internationale et d’adopter le nom d’Internationale Communiste. Les proportions des voix accordées ne subissent pas de changement. Tous les partis, toutes les organisations et les groupes conservent le droit, pendant une durée de huit mois, d’adhérer définitivement à la III° Internationale.

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: déclaration faite par les participants de la conférence de Zimmerwald

Les conférences de Zimmerwald et de Kienthal eurent leur importance à une époque où il était nécessaire d’unir tous les éléments prolétariens disposés sous une forme ou sous une autre à protester contre la boucherie impérialiste.

Mais il pénétra dans le groupement de Zimmerwald, à côté d’éléments nettement communistes, des éléments « centristes », pacifistes et hésitants.

Ces éléments centristes, comme l’a montré la conférence de Berne, s’unissent actuellement aux social-patriotes, pour lutter contre le prolétariat révolutionnaire, utilisant ainsi Zimmerwald au profit de la réaction.

En même temps, le mouvement communiste grandissait dans une série de pays, et la lutte contre les éléments centristes qui font obstacle au développement de la révolution sociale est devenue maintenant la tâche principale du prolétariat révolutionnaire.

Le groupement de Zimmerwald a fait son temps. Tout ce qu’il y avait dans le groupement de Zimmerwald de véritablement révolutionnaire passe et adhère à l’Internationale Communiste.

Les participants soussignés de Zimmerwald déclarent qu’ils considèrent le groupement de Zimmerwald comme dissout et demandent au Bureau de la Conférence de Zimmerwald de remettre tous ses documents au Comité Exécutif de la III° Internationale.

Rakovsky, Lénine, Zinoviev, Trotsky, Platten

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Premier congrès de l’Internationale Communiste: résolution sur la position envers les courants socialistes et la conférence de Berne

Déjà en 1907 au Congrès international socialiste de Stuttgart, lorsque la Deuxième Internationale aborda la question de la politique coloniale et des guerres impérialistes, il s’avéra que plus de la moitié de la Deuxième Internationale et la plupart de ses dirigeants étaient dans ces questions beaucoup plus près des points de vue de la bourgeoisie que du point de vue communiste de Marx et d’Engels.

Malgré cela le Congrès de Stuttgart adopta un amendement proposé par les représentants de l’aile révolutionnaire, N. Lénine et Rosa Luxemburg, et conçu dans ces termes :

« Si néanmoins une guerre éclate, les socialistes ont le devoir d’œuvrer pour sa fin rapide et d’utiliser par tous les moyens la crise économique et politique provoquée par la guerre pour réveiller le peuple et de hâter par là la chute de la domination capitaliste. ».

Au Congrès de Bâle de novembre 1912, convoqué au moment de la guerre des Balkans, la Deuxième Internationale déclara :

« Que les gouvernements bourgeois n’oublient pas que la guerre franco-allemande donna naissance à l’insurrection révolutionnaire de la Commune, et que la guerre russo-japonaise mit en mouvement les forces révolutionnaires de la Russie. Aux yeux des prolétaires c’est un crime que de s’entre-tuer au profit du gain capitaliste, de la rivalité dynastique et de la floraison des traités diplomatiques ».

Fin juillet et au début d’août 1914, 24 heures avant le commencement de la guerre mondiale, les organismes et institutions compétents de la Deuxième Internationale continuèrent encore à condamner la guerre qui approchait, comme le plus grand crime de la bourgeoisie. Les déclarations se rapportant à ces jours et émanant des partis dirigeants de la Deuxième Internationale constituent l’acte d’accusation le plus éloquent contre les dirigeants de la Deuxième Internationale.

Dès le premier coup de canon tombé sur les champs de la boucherie impérialiste, les principaux partis de la Deuxième Internationale trahirent la classe ouvrière et passèrent, sous le couvert de la « défense nationale » chacun du coté de « sa » bourgeoisie. Scheidemann et Ebert en Allemagne, Thomas et Renaudel en France, Henderson et Hyndman en Angleterre, Vandervelde et De Brouckère en Belgique, Renner et Pernerstorfer en Autriche, Plékhanov et Roubanovitch en Russie, Branting et son parti en Suède, Gompers et ses camarades d’idées en Amérique, Mussolini et Cie en Italie, exhortèrent le prolétariat à une « trêve » avec la bourgeoisie de « leur » pays, à renoncer à la guerre contre la guerre, et à devenir en fait de la chair à canon pour les impérialistes.

Ce fut à ce moment que la Deuxième Internationale fit définitivement faillite et périt.

Grâce au développement économique général, la bourgeoisie des pays les plus riches, au moyen de petites aumônes puisées dans ses gains énormes, eut la possibilité de corrompre et de séduire le sommet de la classe ouvrière, l’aristocratie ouvrière. Les « compagnons de lutte » petits-bourgeois du socialisme affluèrent dans les rangs des partis social-démocrates officiels et orientèrent peu à peu le cours de ceux-ci dans le sens de la bourgeoisie. Les dirigeants du mouvement ouvrier parlementaire et pacifique, les dirigeants syndicaux, les secrétaires, rédacteurs et employés de la social-démocratie, formèrent toute une caste d’une bureaucratie ouvrière, ayant ses propres intérêts de groupes égoïstes, et qui fut en réalité hostile au socialisme.

Grâce à toutes ces circonstances la social-démocratie officielle dégénéra en un parti anti-socialiste et chauvin.

Dans le sein de la Deuxième Internationale déjà se révélèrent trois tendances fondamentales. Au cours de la guerre et jusqu’au début de la révolution prolétarienne en Europe les contours de ces trois tendances se dessinèrent déjà en toute netteté :

1. La tendance social-chauvine (tendance de la « majorité », dont les représentants les plus typiques sont les social-démocrates allemands, qui partagent maintenant le pouvoir avec la bourgeoisie allemande et qui sont devenus les assassins des chefs de l’Internationale Communiste, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg.

Les social-chauvins se sont révélés à présent complètement comme les ennemis de classe du prolétariat et suivent le programme de « liquidation » de la guerre que la bourgeoisie leur a dicté : faire retomber la plus grande partie des impôts sur les masses laborieuses, inviolabilité de la propriété privée, maintien de l’armée entre les mains de la bourgeoisie, dissolution des conseils ouvriers surgissant partout, maintien du pouvoir politique entre les mains de la bourgeoisie – la « démocratie » bourgeoise contre le socialisme.

Malgré l’âpreté avec laquelle les communistes ont lutté jusqu’ici contre les « social-démocrates de la majorité », les ouvriers n’ont cependant pas encore reconnu tout le danger dont ces traîtres menacent le prolétariat international. Ouvrir les yeux à tous les travailleurs sur l’œuvre de trahison des social-chauvins et mettre par la force des armes ce parti contre-révolutionnaire hors d’état de nuire, voilà une des tâches les plus importantes de la révolution prolétarienne internationale.

2. La tendance centriste (social-pacifistes, kautskystes, indépendants). Cette tendance a commencé à se former dès avant la guerre, surtout en Allemagne. Au début de la guerre, les principes généraux du « Centre » coïncidaient presque toujours avec ceux des social-chauvins. Kautsky, le chef théorique du « Centre » défendait la politique poursuivie par les social-chauvins allemands et français. L’Internationale n’était qu’un « instrument en temps de paix »; « lutte pour la paix », « lutte de classe – en temps de paix », tels étaient les mots d’ordre de Kautsky.

Depuis le début de la guerre le « Centre » est pour « l’unité » avec les social-chauvins. Après l’assassinat de Liebknecht et de Luxemburg, le « Centre » continue à prêcher cette « unité » ; c’est-à-dire, l’unité des ouvriers communistes avec les assassins des chefs communistes, Liebknecht et Luxemburg.

Dès le début de la guerre, le « Centre » ( Kautsky, Victor Adler, Turati, MacDonald) se mit à prêcher « l’amnistie réciproque » à l’égard des chefs des partis social-chauvins d’Allemagne et d’Autriche d’une part, de la France et de l’Angleterre de l’autre. Cette amnistie, le « Centre » la préconise encore aujourd’hui, après la guerre, empêchant ainsi les ouvriers de se faire une idée claire sur les causes de l’effondrement de la Deuxième Internationale.

Le « Centre » a envoyé ses représentants à Berne à la conférence internationale des socialistes de compromis, facilitant ainsi aux Scheidemann et aux Renaudel leur tâche de tromper les ouvriers.

Il est absolument nécessaire de séparer du « Centre » les éléments les plus révolutionnaires, ce à quoi on ne peut aboutir que par la critique impitoyable et en compromettant les chefs du « Centre ». La rupture organisatoire avec le « Centre » est une nécessité historique absolue. La tâche des communistes de chaque pays est de déterminer le moment de cette rupture selon l’étape que le mouvement a atteint chez eux.

3. Les Communistes. Au sein de la Deuxième Internationale où cette tendance a défendu les conceptions communistes-marxistes sur la guerre et les tâches du prolétariat (Stuttgart 1907; résolution Lénine-Luxemburg) ce courant était en minorité. Le groupe de la « gauche radicale » (le futur Spartakusbund) en Allemagne, le parti des bolcheviks en Russie, les « tribunistes » en Hollande, le groupe de Jeunes dans une série de pays, formèrent le premier noyau de la nouvelle Internationale.

Fidèle aux intérêts de la classe ouvrière, cette tendance proclama dès le début de la guerre le mot d’ordre de transformation de guerre impérialiste en guerre civile. Cette tendance s’est constituée maintenant en Troisième Internationale.

La conférence socialiste de Berne en février 1919 était une tentative de galvaniser le cadavre de la Deuxième Internationale.

La composition de la conférence de Berne montre manifestement que le prolétariat révolutionnaire du monde n’a rien de commun avec cette conférence.

Le prolétariat victorieux de la Russie, le prolétariat héroïque d’Allemagne, le prolétariat italien, le parti communiste du prolétariat autrichien et hongrois, le prolétariat suisse, la classe ouvrière de la Bulgarie, de la Roumanie, de Serbie, les partis ouvriers de gauche suédois, norvégiens, finlandais, le prolétariat ukrainien, letton, polonais, la Jeunesse Internationale, et l’Internationale des Femmes ont ostensiblement refusé de participer à la conférence de Berne des social-patriotes.

Les participants à la conférence de Berne qui ont encore quelque contact avec le véritable mouvement ouvrier de notre époque, ont formé un groupe d’opposition qui, dans la question essentielle du moins « appréciation de la Révolution russe », se sont opposés aux menées des social-patriotes. La déclaration du camarade français Loriot, qui stigmatisa la majorité de la conférence de Berne comme suppôt de la bourgeoisie, reflète la véritable opinion de tous les ouvriers conscients du monde entier.

Dans la prétendue « question des responsabilités », la conférence de Berne se mouvait toujours dans les cadres de l’idéologie bourgeoise. Les social-patriotes allemands et français se firent mutuellement les mêmes reproches que s’étaient lancés réciproquement les bourgeois allemands et français.

La conférence de Berne se perdit dans des détails mesquins sur telle ou telle démarche de tel ou tel ministre bourgeois avant la guerre, ne voulant pas reconnaître que le capitalisme, le capital financier des deux groupes de puissances et leurs valets social-patriotes étaient les principaux responsables de la guerre.

La majorité des social-patriotes de Berne voulait trouver le principal responsable de la guerre. Un coup d’œil dans le miroir aurait suffi pour qu’ils se reconnaissent tous comme responsables.

Les déclarations de la conférence de Berne sur la question territoriale sont pleines d’équivoques. Cette équivoque est justement ce dont la bourgeoisie a besoin. Monsieur Clemenceau, le représentant le plus réactionnaire de la bourgeoisie impérialiste, a reconnu les mérites de la conférence social-patriote de Berne en face de la réaction impérialiste en recevant une délégation de la conférence de Berne et en lui proposant de participer à toutes les commissions de la conférence impérialiste de Paris.

La question coloniale révéla clairement que la conférence de Berne était à la remorque de ces politiciens libéraux-bourgeois de la colonisation, qui justifient l’exploitation et l’asservissement des colonies par la bourgeoisie impérialiste et cherchent seulement à la masquer par des phrases philanthropiques-humanitaires.

Les social-patriotes allemands exigèrent que l’appartenance des colonies allemandes au Reich soit maintenue, c’est-à-dire le maintien de l’exploitation de ces colonies par le capital allemand. Les divergences qui se manifestèrent à ce sujet démontrent que les social-patriotes de l’Entente ont le même point de vue de négrier, et considèrent comme tout naturel l’asservissement des colonies françaises et anglaises par le capital métropolitain. Ainsi la conférence de Berne montre qu’elle avait bien oublié le mot d’ordre de « A bas la politique coloniale ».

Dans l’appréciation de la « Société des Nations » la conférence de Berne montra qu’elle suivait les traces de ces éléments bourgeois qui, par l’apparence trompeuse de la soi-disant « Ligue des Peuples » veulent bannir la révolution prolétarienne grandissant dans le monde entier. Au lieu de démasquer les menées de la conférence des alliés à Paris, comme celles d’une bande qui fait de l’usure avec les peuplades et les domaines économiques, la conférence de Berne la seconda en se faisant son instrument.

L’attitude servile de la conférence, qui abandonna à une conférence gouvernementale bourgeoise de Paris le soin de résoudre la question de la législation sur la protection du travail, montre que les social-patriotes se sont consciemment exprimés en faveur de la conservation de l’esclavage du salariat capitaliste et sont prêts à tromper la classe ouvrière par de vaines réformes.

Les tentatives inspirées par la politique bourgeoise, de faire prendre à la conférence de Berne une résolution, selon laquelle une intervention armée éventuelle en Russie serait couverte par la Deuxième Internationale, n’échouèrent que grâce aux efforts de l’opposition. Ce succès de l’opposition de Berne remporté sur les éléments chauvins déclarés est pour nous la preuve indirecte que le prolétariat de l’Europe occidentale sympathise avec la révolution prolétarienne de Russie et qu’il est prêt à lutter contre la bourgeoisie impérialiste.

A leur crainte de s’occuper le moins du monde de ce phénomène d’importance historique mondiale on reconnaît la peur qu’éprouvent ces valets de la bourgeoisie devant l’extension des conseils ouvriers.

Les conseils ouvriers constituent le phénomène le plus important depuis la Commune de Paris. La conférence de Berne, en ignorant cette question, a manifesté son indigence spirituelle et sa faillite théorique.

Le congrès de l’internationale Communiste considère « l’Internationale » que la conférence de Berne tente de construire comme une Internationale jaune de briseurs de grèves, qui n’est et ne restera qu’un instrument de la bourgeoisie.

Le congrès invite les ouvriers de tous les pays à entamer la lutte la plus énergique contre l’Internationale jaune et à préserver les masses les plus larges du peuple de cette Internationale de mensonge et de trahison.

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Discours de Lénine sur ses thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne

[Prise de parole de Lénine au sujet de thèses présentées au premier congrès de l’Internationale Communiste.]

Camarades,

Je voudrais ajouter quelques mots aux deux derniers points. Je pense que les camarades qui doivent nous faire le rapport sur la conférence de Berne nous en parleront avec plus de détails.

Pas un mot n’a été dit sur la signification du pouvoir soviétique au cours de toute la conférence de Berne. Il y a deux ans que nous discutions cette question en Russie.

Déjà en avril 1917, au congrès du parti, nous avons posé cette question du point de vue théorique et politique : « Qu’est-ce que le pouvoir soviétique, quelle en est la substance, quelle en est la signification historique ? » Voilà bientôt deux ans que nous étudions cette question et au congrès du parti nous avons adopté une résolution sur ce sujet.

La Freiheit, de Berlin, a publié le 11 février un appel au prolétariat allemand signé non seulement par les chefs des social-démocrates indépendants en Allemagne, mais par tous les membres de la fraction des indépendants.

En août 1918, le plus grand théoricien des indépendants, Kautsky, écrivait dans sa brochure, La dictature du prolétariat, qu’il était partisan de la démocratie et des organes soviétiques mais que les Soviets ne devaient avoir qu’un caractère économique et ne sauraient être reconnus comme organisations d’Etat. Kautsky répète cette affirmation dans les numéros de la Freiheit, en date des 11 novembre et 12 janvier.

Le 9 février paraît un article de Rudolph Hilferding, qui est également considéré comme un des principaux théoriciens autorisés de la II° Internationale. Il propose de fusionner juridiquement, c’est-à-dire par la voie législative, les deux systèmes des Soviets et de l’Assemblée Nationale.

C’était le 9 février. Cette seconde proposition est adoptée par tout le parti des Indépendants et publiée sous forme d’appel.

Malgré que l’Assemblée Nationale existe déjà en fait, même après que la « démocratie pure » a pris corps et réalité, après que les plus grands théoriciens des social-démocrates indépendants aient expliqué que les organisations soviétiques ne sauraient être des organes d’Etat, après et malgré tout cela, il y a encore des hésitations. Cela prouve que ces messieurs n’ont vraiment rien compris au nouveau mouvement et à ses conditions de lutte.

Mais cela prouve en outre, autre chose, à savoir qu’il doit y avoir des circonstances, des motifs déterminant ces hésitations. Lorsque après tous ces événements. après bientôt deux ans de révolution victorieuse en Russie on nous propose de semblables résolutions comme ayant été adoptées à la Conférence de Berne, résolutions dans lesquelles il n’est rien dit des Soviets et de leur signification, et Conférence à laquelle pas un délégué n’a soufflé mot dans un discours quelconque de ces questions, nous avons parfaitement le droit d’affirmer que tous ces messieurs sont morts pour nous en tant que socialistes et théoriciens.

Mais en fait, du point de vue politique, cela prouve, camarades, qu’un grand progrès s’accomplit dans les masses puisque ces indépendants, théoriquement et par principe adversaires de ces organisations d’Etat, nous proposent subitement une sottise telle que la fusion « pacifique » de l’Assemblée Nationale avec le système des Soviets, c’est-à-dire la fusion de la dictature de la bourgeoisie avec la dictature du prolétariat. On voit à quel point ces gens-là ont fait faillite sous les rapports politiques et théoriques et quelle énorme transformation se produit dans les masses.

Les masses arriérées du prolétariat allemand viennent à nous, que dis-je, elle sont venues à nous. Ainsi donc la signification du parti indépendant social-démocrate allemand, la meilleure partie du point de vue théorique et socialiste est égale à zéro; cependant elle conserve une certaine importance dans ce sens que ces éléments nous servent d’indication de l’état d’esprit de la partie la plus arriérée du prolétariat. C’est là à mon avis qu’est l’énorme importance historique de cette conférence.

Nous avons vu quelque chose d’analogue au cours de notre révolution: Nos mencheviks ont subi pas à pas, pour ainsi dire, la même évolution que les théoriciens des indépendants en Allemagne. Lorsqu’ils eurent la majorité dans les Soviets ils étaient pour les Soviets. On n’entendait alors que les cris de : « Vivent les Soviets ! », « Pour les Soviets ! », « Les Soviets et la démocratie révolutionnaire ! ».

Mais, lorsque c’est nous qui eûmes la majorité dans les Soviets, nous bolcheviks, ils entonnèrent d’autres chants : « Les Soviets, déclarèrent-ils, ne doivent pas exister en même temps que l’Assemblée Constituante »; et même certains théoriciens mencheviks proposèrent quelque chose d’analogue à la fusion du système des Soviets avec l’Assemblée Constituante et leur inclusion dans les organisations d’Etat. Une fois de plus il est apparu que le cours général de la révolution prolétarienne est identique dans le monde entier.

D’abord constitution spontanée, élémentaire, des Soviets, puis leur extension et développement, ensuite apparition dans la pratique de la question : Soviets ou Assemblée Nationale Constituante ou bien parlementarisme bourgeois, confusion absolue parmi les chefs et enfin révolution prolétarienne.

Il me semble cependant qu’après bientôt deux ans de révolution nous ne devons pas poser la question de la sorte mais prendre des résolutions concrètes étant donné que la propagation du système des Soviets est pour nous, et particulièrement pour la majorité des pays de l’Europe Occidentale, la plus essentielle des tâches.

L’étranger qui n’a jamais entendu parler du bolchevisme ne peut que bien difficilement se faire une opinion propre sur nos discussions. Tout ce que les bolcheviks affirment, les mencheviks le contredisent et réciproquement. Certes il ne saurait en être autrement au cours de la lutte.

C’est pourquoi il est extrêmement important que la dernière conférence du parti menchevik tenue au mois de décembre 1918, ait adopté une longue résolution détaillée entièrement publiée dans le Journal des typographes, organe menchevik. Dans cette résolution, les menchéviks eux-mêmes exposent brièvement l’historique de la lutte des classes et de la guerre civile.

Il y est dit que les menchéviks condamnent les groupes du parti alliés aux classes possédantes dans l’Oural et dans le Midi, en Crimée et en Géorgie et ils indiquent avec précision toutes ces régions. Les groupes du parti menchévik qui, alliés aux classes possédantes, ont combattu contre le pouvoir soviétique sont maintenant condamnés dans cette résolution.

Mais le dernier point condamne également ceux qui sont passés aux communistes. Il s’ensuit que les mencheviks sont obligés de reconnaître qu’il n’y a point d’unité dans leur parti et qu’ils se tiennent ou bien aux côtés de la bourgeoisie ou aux cotés du prolétariat. Une grande partie des mencheviks est passée à la bourgeoisie et a lutté contre nous pendant la guerre civile.

Naturellement nous poursuivons les mencheviks, nous les faisons même fusiller lorsque, en guerre contre nous, ils combattent notre armée rouge et font fusiller nos officiers rouges. A la bourgeoisie qui nous a déclaré la guerre, nous avons répondu par la guerre prolétarienne : il ne peut y avoir d’autre issue.

Ainsi donc, du point de vue politique, tout cela n’est qu’hypocrisie menchevique. Historiquement, il est incompréhensible que, à la Conférence de Berne, des gens qui ne sont pas officiellement reconnus fous, eussent pu, sur l’ordre des mencheviks et des socialistes révolutionnaires, parler de la lutte des bolcheviks contre eux tout en passant sous silence leur lutte en commun avec la bourgeoisie contre le prolétariat.

Tous ils nous attaquent avec acharnement parce que nous les poursuivons ; c’est exact, mais ils se gardent bien de dire un mot de la part qu’ils ont prise eux-mêmes dans la guerre civile.

Je pense qu’il convient de remettre, pour transcription au procès-verbal, le texte complet de la résolution et je prie les camarades étrangers de lui accorder toute leur attention car elle représente un document historique dans lequel la question est parfaitement posée et qui fournit la meilleure documentation pour l’appréciation de la discussion entre les diverses tendances « socialistes » en Russie.

Entre le prolétariat et la bourgeoisie, il existe une classe de gens inclinant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre; il en fût ainsi toujours et dans toutes. les révolutions, et il est absolument impossible que dans la société capitaliste, où le prolétariat et la bourgeoisie constituent deux camps ennemis opposés, il n’existe pas entre eux des couches sociales intermédiaires. Historiquement l’existence de ces éléments flottants est inévitable ; malheureusement ces éléments qui ne savent pas eux-mêmes de quel côté ils combattront demain existeront encore relativement longtemps.

Je désire faire une proposition concrète tendant à faire adopter une résolution dans laquelle trois points doivent particulièrement être soulignés.

1. Une des tâches les plus importantes pour les camarades des pays de l’Europe Occidentale consiste à expliquer aux masses la signification, l’importance et la nécessité du système des Soviets. On constate sous ce rapport une insuffisante compréhension.

S’il est vrai que Kautsky et Hilferding ont fait faillite en tant que théoriciens, les derniers articles de la Freiheit prouvent cependant qu’ils ont su exprimer exactement l’état d’esprit des parties arriérées du prolétariat allemand. Il est arrivé la même chose chez nous : au cours des huit premiers mois de la révolution russe la question de l’organisation soviétique a été beaucoup discutée, et les ouvriers ne voyaient pas très clairement en quoi consiste le nouveau système, ni si l’on pouvait constituer l’appareil d’Etat avec les Soviets. Dans notre révolution nous avons progressé non par la voie théorique mais par la voie pratique.

Ainsi, par exemple, jamais auparavant nous n’avons posé théoriquement la question de l’Assemblée Constituante et nous n’avons jamais dit que nous ne reconnaissons pas celle-ci.

Ce n’est que plus tard, lorsque les institutions soviétiques se répandirent à travers tout le pays et conquirent le pouvoir politique que nous décidâmes de disperser l’Assemblée Constituante. Nous voyons à présent que la question se pose avec beaucoup plus d’acuité en Hongrie et en Suisse.

D’un côté il est excellent qu’il en soit ainsi; nous puisons dans ce fait la conviction absolue que la révolution avance plus rapidement dans les Etats de l’Europe Occidentale et qu’elle nous apportera de grandes victoires. Mais, d’autre part, il y a un certain danger et c’est à savoir que la lutte sera tellement acharnée et tendue que la conscience des masses ouvrières ne sera pas en mesure de suivre ce rythme.

Encore maintenant la signification du système des Soviets n’est pas claire pour les grandes masses des ouvriers allemands politiquement instruits, parce qu’ils ont été élevés dans l’esprit du parlementarisme et des préjugés bourgeois.

2. Point relatif à la propagation du système des Soviets. Lorsque nous voyons combien rapidement l’idée des Soviets se répand en Allemagne et même en Angleterre, nous pouvons bien nous dire que c’est là une preuve essentielle que la Révolution prolétarienne vaincra. On ne saurait arrêter son cours que pour peu de temps. Mais c’est une tout autre affaire lorsque les camarades Albert et Platten viennent nous déclarer qu’il n’y a guère de Soviets chez eux dans les campagnes, parmi les travailleurs ruraux et la petite paysannerie.

J’ai lu, dans la Rote Fahne, un article contre les Soviets paysans, mais (et c’est absolument juste) pour les Soviets de travailleurs ruraux et de paysans pauvres.

La bourgeoisie et ses valets, tels que Scheidemann et compagnie, ont déjà donné le mot d’ordre de Soviets paysans. Mais nous ne voulons que les Soviets de travailleurs ruraux et de paysans pauvres. Il ressort malheureusement des rapports des camarades Albert et Platten et autres, qu’à l’exception de la Hongrie, on fait bien peu de choses pour l’expansion du système soviétique dans les campagnes.

C’est peut-être là que se trouve un danger pratique assez considérable pour l’obtention de la victoire par le prolétariat allemand. En effet, la victoire ne saurait être considérée comme assurée que lorsque seront organisés non seulement les travailleurs de la ville mais aussi les prolétaires ruraux, et organisés non comme auparavant dans les syndicats et coopératives, mais dans les Soviets.

Nous avons obtenu la victoire plus facilement parce qu’en octobre 1917, nous avons marché ensemble avec toute la paysannerie. Dans ce sens notre révolution était alors bourgeoise.

Le premier pas de notre gouvernement prolétarien consista en ce que les vieilles revendications de toute la paysannerie, exprimées encore sous Kérenski par les Soviets et les assemblées de paysans furent réalisées par la loi édictée par notre gouvernement le 26 octobre (vieux style) 1917, le lendemain de la révolution.

C’est en cela que consista notre force et c’est pour cela qu’il nous fût si facile de conquérir les sympathies de la majorité écrasante.

Pour la campagne, notre révolution continua à être bourgeoise, mais, plus tard, six mois après, nous fûmes contraints de commencer, dans les cadres de l’organisation d’Etat, la lutte des classes dans les campagnes, d’instituer dans chaque village des comités de pauvreté, de demi-prolétaires et de lutter systématiquement contre la bourgeoisie rurale.

C’était inévitable chez nous car la Russie est un pays arriéré. Il en sera tout autrement en Europe Occidentale et c’est pourquoi nous devons souligner la nécessité absolue de l’expansion du système des Soviets aussi dans la population rurale en des formes correspondantes et peut-être nouvelles.

3. Nous devons dire que la conquête de la majorité communiste dans les Soviets constitue la principale tâche dans tous les pays où le pouvoir soviétique n’a pas encore triomphé.

Notre commission de résolutions a étudié hier cette question. Peut-être d’autres camarades voudront-ils aussi dire leur opinion mais je désirerais proposer qu’on adopte ce troisième point sous forme de résolution spéciale.

Il va sans dire que nous ne saurions prescrire sa voie de développement.

Il est tout à fait probable que, dans beaucoup d’Etats de l’Europe Occidentale, la révolution éclatera très prochainement; en tous cas, nous, en qualité de fraction organisée des ouvriers et du Parti, nous tendons et devons tendre à obtenir la majorité dans les Soviets.

Alors notre victoire sera assurée et il n’y aura plus de force en mesure d’entreprendre quoi que ce soit contre la révolution communiste.

Autrement la victoire ne sera pas si facile à atteindre et ne sera pas de longue durée.

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Lénine au premier congrès de l’Internationale Communiste : Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne

[4 mars 1919]

1. La croissance du mouvement révolutionnaire prolétarien dans tous les pays suscite les efforts convulsifs de la bourgeoisie et des agents qu’elle possède dans les organisations ouvrières pour découvrir les arguments philosophico-politiques capables de servir à la défense de la domination des exploiteurs.

La condamnation de la dictature et la défense de la démocratie figurent au nombre de ces arguments. Le mensonge et l’hypocrisie d’un tel argument répété à satiété dans la presse capitaliste et à la conférence de l’Internationale jaune de Berne en février 1919 sont évidents pour tous ceux qui ne tentent pas de trahir les principes fondamentaux du socialisme.

2. D’abord, cet argument s’appuie sur les conceptions de « démocratie en général » et de « dictature en général », sans préciser la question de la classe. Poser ainsi le problème, en dehors de la question de classes, en prétendant considérer l’ensemble de la nation, c’est proprement se moquer de la doctrine fondamentale du socialisme, à savoir la doctrine de la lutte de classes, acceptée en paroles, mais oubliée en fait par les socialistes passés dans le camp de la bourgeoisie.

Car, dans aucun pays civilisé, dans aucun pays capitaliste, il n’existe de démocratie en général : il n’y a que la démocratie bourgeoise. Il ne s’agit pas davantage de la dictature exercée par la classe opprimée, c’est-à-dire par le prolétariat, sur les oppresseurs et les exploiteurs, sur la classe bourgeoise, dans le but de triompher de la résistance des exploiteurs luttant pour leur domination.

3. L’histoire enseigne qu’aucune classe opprimée n’est jamais parvenue à la domination, et n’a pu y parvenir sans passer par une période de dictature pendant laquelle elle s’empare du pouvoir politique et abat par la force la résistance désespérée, exaspérée, qui ne s’arrête devant aucun crime, qu’ont toujours opposée les exploiteurs.

La bourgeoisie dont aujourd’hui la domination est soutenue par les socialistes qui pérorent sur la dictature en général et qui se démènent en faveur de la démocratie en général a conquis le pouvoir dans les pays civilisés au prix d’une série d’insurrections, de guerres civiles, de l’écrasement par la force – des rois, des nobles, des propriétaires d’esclaves – et par la répression des tentative de restauration.

Des milliers de fois, les socialistes de tous les pays ont expliqué au peuple le caractère de classe de ces révolutions bourgeoises, dans leurs livres, dans leurs brochures, dans les résolutions de leurs congrès, dans leurs discours de propagande.

C’est pourquoi cette défense actuelle de la démocratie bourgeoise au moyen de discours sur la « dictature en général », tous ces cris et ces pleurs contre la dictature du prolétariat sous prétexte de condamner « la dictature en général », ne sont qu’une trahison véritable du socialisme, qu’une désertion caractérisée au profit de la bourgeoisie, qu’une négation du droit du prolétariat à sa révolution prolétarienne.

C’est défendre le réformisme bourgeois, précisément à l’heure où il a fait faillite dans le monde entier, alors que la guerre a créé un état de choses révolutionnaire.

4. Tous les socialistes en démontrant le caractère de classe de la civilisation bourgeoise, de la démocratie bourgeoise, du parlementarisme bourgeois, ont exprimé cette idée déjà formulée, avec le maximum d’exactitude scientifique par Marx et Engels que la plus démocratique des républiques bourgeoises ne saurait être autre chose qu’une machine à opprimer la classe ouvrière à la merci de la bourgeoisie, la masse des travailleurs à la merci d’une poignée de capitalistes.

Il n’y a pas un seul révolutionnaire, pas un seul marxiste parmi ceux qui crient aujourd’hui contre la dictature et pour la démocratie qui n’ait juré ses grands dieux devant les ouvriers qu’il acceptait cette vérité fondamentale du socialisme ; et maintenant que le prolétariat révolutionnaire est en fermentation et en mouvement, qu’il tend à détruire cette machine d’oppression et à conquérir la dictature du prolétariat, ces traîtres au socialisme voudraient faire croire que la bourgeoisie a donné aux travailleurs la « démocratie pure », comme si la bourgeoisie avait renoncé à toute résistance et était prête à obéir à la majorité des travailleurs, comme si, dans une république démocratique, il n’y avait pas une machine gouvernementale faite pour opérer l’écrasement du travail par le capital.

5. La Commune de Paris, que tous ceux qui veulent passer pour socialistes honorent en paroles, parce qu’ils savent que les masses ouvrières sont pleines d’une vive et sincère sympathie pour elle, a montré avec une particulière netteté la relativité historique, la valeur limitée du parlementarisme bourgeois et de la démocratie bourgeoise, institutions marquant un très grand progrès par rapport à celles du moyen-âge, mais exigeant nécessairement une réforme fondamentale à l’époque de la révolution prolétarienne.

Marx, qui a apprécié mieux qu’aucun autre l’importance historique de la Commune, a prouvé en l’analysant le caractère d’exploitation de la démocratie et du parlementarisme bourgeois, régime sous lequel les classes opprimées recouvrent le droit de décider en un seul jour pour une période de plusieurs années quel sera le représentant des classes possédantes qui représentera et opprimera le peuple au Parlement.

Et c’est à l’heure où le mouvement soviétiste embrassant le monde entier, continue aux yeux de tous l’œuvre de la Commune que les traîtres du socialisme oublient l’expérience concrète de la Commune de Paris, et répètent les vieilles sornettes bourgeoises sur la « démocratie en général ». La Commune n’était pourtant pas une institution parlementaire.

6. La valeur de la Commune consiste, ensuite en ce qu’elle a tenté de bouleverser, de détruire de fond en comble l’appareil gouvernemental bourgeois dans l’administration, dans la justice, dans l’armée, dans la police, en le remplaçant par l’organisation autonome des masses ouvrières, sans reconnaître aucune distinction des pouvoirs législatif et exécutif.

Toutes les démocraties bourgeoises contemporaines, sans excepter la République allemande que les traîtres du socialisme appellent prolétarienne en dépit de la vérité, conservent au contraire le vieil appareil gouvernemental. Ainsi, il se confirme une fois de plus, de façon absolument évidente, que tous ces cris en faveur de la démocratie ne servent en réalité qu’à défendre la bourgeoisie et ses privilèges de classe exploiteuse.

7. La liberté de réunion peut être prise pour exemple des principes de la démocratie pure.

Tout ouvrier conscient qui n’a pas rompu avec sa classe, comprendra du premier coup qu’il serait insensé de permettre la liberté de réunion aux exploiteurs, dans un temps et dans les circonstances où des exploiteurs s’opposent à leur déchéance et défendent leurs privilèges. La bourgeoisie, quand elle était révolutionnaire, soit en Angleterre en 1649, soit en France en 1793, n’a jamais accordé la liberté de réunion aux monarchistes ni aux nobles qui appelaient les troupes étrangères et « se réunissaient » pour organiser des tentatives de restauration.

Si la bourgeoisie d’aujourd’hui, qui depuis longtemps est devenue réactionnaire, réclame du prolétariat qu’il garantisse à l’avance, malgré toute la résistance que feront les capitalistes à leur expropriation, la liberté de réunion pour les exploiteurs, les ouvriers ne pourront que rire de l’hypocrisie de cette bourgeoisie.

D’autre part, les ouvriers savent très bien que la liberté de réunion, même dans la république bourgeoise la plus démocratique, est une phrase vide de sens, puisque les riches possèdent les meilleurs édifices publics et privés, ainsi que le loisir nécessaire pour se réunir sous la protection de cet appareil gouvernemental bourgeois.

Les prolétaires de la ville et de la campagne et les petits paysans, c’est-à-dire l’immense majorité de la population, ne possèdent ni l’un ni l’autre. Tant qu’il en est ainsi, l’égalité, c’est-à-dire la démocratie pure est un leurre.

Pour conquérir la véritable légalité, pour réaliser vraiment la démocratie au profit des travailleurs, il faut préalablement enlever aux exploiteurs toutes les riches demeures publiques et privées, il faut préalablement donner des loisirs aux travailleurs, il faut que la liberté de leurs réunions soit protégée par des ouvriers armés et non point par les officiers hobereaux ou capitalistes avec des soldats à leur dévotion.

C’est seulement alors que l’on pourra, sans se moquer des ouvriers, des travailleurs, parler de liberté de réunion et d’égalité. Or, qui peut accomplir cette réforme, sinon l’avant-garde des travailleurs, le prolétariat, par le renversement des exploiteurs et de la bourgeoisie ?

8. La liberté de la presse est également une des grandes devises de la démocratie pure. Encore une fois, les ouvriers savent que les socialistes de tous les pays ont reconnu des millions de fois que cette liberté est un mensonge, tant que les meilleures imprimeries et les plus gros stocks de papier sont accaparés par les capitalistes, tant que subsiste le pouvoir du capital dans le monde entier avec d’autant plus de clarté, de netteté et de cynisme que le régime démocratique et républicain est plus développé, comme par exemple en Amérique.

Afin de conquérir la véritable égalité et la vraie démocratie dans l’intérêt des travailleurs, des ouvriers et des paysans, il faut commencer par enlever au capital la faculté de louer les écrivains, d’acheter et de corrompre des journaux et des maisons d’édition, et pour cela il faut renverser le joug du capital, renverser les exploiteurs, briser leur résistance. Les capitalistes appellent liberté de la presse la faculté pour les riches de corrompre la presse, la faculté d’utiliser leurs richesses pour fabriquer et pour soutenir la soi-disant opinion publique.

Les défenseurs de la « démocratie pure » sont en réalité une fois de plus des défenseurs du système vil et corrompu de la domination des riches sur l’instruction des masses ; ils sont ceux qui trompent le peuple et le détournent avec de belles phrases mensongères, de cette nécessité historique d’affranchir la presse de son assujettissement au capital. De véritable liberté ou égalité, il n’y en aura que dans le régime édifié par les communistes, dans lequel il serait matériellement impossible de soumettre la presse directement ou indirectement au pouvoir de l’argent, dans lequel rien n’empêchera chaque travailleur, ou chaque groupe de travailleurs, de posséder ou d’user, en toute égalité, du droit de se servir des imprimeries et du papier de l’Etat.

9. L’histoire du XIX° siècle et du XX° siècle nous a montré, même avant la guerre, ce qu’était la fameuse démocratie pure sous le régime capitaliste. Les marxistes ont toujours répété que plus la démocratie était développée, plus elle était pure, plus aussi devait être vive, acharnée et impitoyable la lutte des classes, et plus apparaissait purement le joug du capital et la dictature de la bourgeoisie. L’affaire Dreyfus de la France républicaine, les violences sanglantes des détachements soudoyés et armés par les capitalistes contre les grévistes dans la république libre et démocratique d’Amérique, ces faits et des milliers d’autres semblables découvrent cette vérité qu’essaye en vain de cacher la bourgeoisie, que c’est précisément dans les républiques les plus démocratiques que règnent en réalité la terreur et la dictature de la bourgeoisie, terreur et dictature qui apparaissent ouvertement chaque fois qu’il semble aux exploiteurs que le pouvoir du capital commence à être ébranlé.

10. La guerre impérialiste de 1914-1918 a définitivement manifesté, même aux yeux des ouvriers non éclairés, ce vrai caractère de la démocratie bourgeoise, même dans les républiques les plus libres – comme caractère de dictature bourgeoise.

C’est pour enrichir un groupe allemand ou anglais de millionnaires ou de milliardaires qu’ont été massacrés des dizaines de millions d’hommes et qu’a été instituée la dictature militaire de la bourgeoisie dans les républiques les plus libres. Cette dictature militaire persiste, même après la défaite de l’Allemagne dans les pays de l’Entente.

C’est la guerre qui, mieux que tout, a ouvert les yeux aux travailleurs, a arraché les faux appas à la démocratie bourgeoise, a montré au peuple tout l’abîme de la spéculation et du lucre pendant la guerre et à l’occasion de la guerre.

C’est au nom de la liberté et de l’égalité que la bourgeoisie a fait cette guerre; c’est au nom de la liberté et de l’égalité que les fournisseurs aux armées ont amassé des richesses inouïes. Tous les efforts de l’Internationale jaune de Berne n’arriveront pas à dissimuler aux masses le caractère d’exploitation actuellement manifeste de la liberté bourgeoise, de l’égalité bourgeoise, de la démocratie bourgeoise.

11. Dans le pays capitaliste le plus développé d’Europe, en Allemagne, les premiers mois de cette complète liberté républicaine, apportée par la défaite de l’Allemagne impérialiste, ont révélé aux ouvriers allemands et au monde entier le caractère de classe de la république démocratique bourgeoise.

L’assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg est un événement d’une importance historique universelle, non seulement par la mort tragique des hommes et des chefs les meilleurs de la vraie Internationale prolétarienne et communiste, mais encore parce qu’il a manifesté dans l’Etat le plus avancé d’Europe et même, on peut le dire, du monde entier, la véritable essence du régime bourgeois.

Si des gens en état d’arrestation, c’est-à-dire pris par le pouvoir gouvernemental des social-patriotes sous sa garde, ont pu être tués impunément par des officiers et des capitalistes, c’est que la république démocratique dans laquelle un pareil événement a été possible n’est que la dictature de la bourgeoisie.

Les gens qui expriment leur indignation au sujet de l’assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg, mais qui ne comprennent pas cette vérité, ne font que montrer par là leur bêtise ou leur hypocrisie.

La liberté, dans une des républiques du monde les plus libres et les plus avancées, dans la république allemande, est la liberté de tuer impunément les chefs du prolétariat en état d’arrestation, et il ne peut en être autrement, tant que subsiste le capitalisme, car le développement du principe démocratique, loin d’affaiblir, ne fait que surexciter la lutte de classes qui, par suite des répercussions et des influences de la guerre, a été portée à son point d’ébullition.

Dans tout le monde civilisé, on expulse aujourd’hui les bolcheviks, on les poursuit, on les emprisonne, comme par exemple dans une des plus libres républiques bourgeoises, en Suisse ; on massacre les bolcheviks en Amérique, etc.

Du point de vue de la démocratie en général ou de la démocratie pure, il est tout à fait ridicule que les Etats civilisés et avancés, démocratiques, armés jusqu’aux dents, craignent la présence de quelques dizaines d’hommes venus de la Russie retardataire, affamée, ruinée, de cette Russie que, dans leurs dizaines de millions d’exemplaires, les journaux bourgeois appellent sauvage, criminelle, etc. Il est clair que les conditions sociales dans lesquelles une contradiction aussi criante a pu naître réalisent en réalité la dictature de la bourgeoisie.

12. Dans un tel état de choses, la dictature du prolétariat n’est pas seulement absolument légitime, en tant qu’instrument propre au renversement des exploiteurs et à l’écrasement de leur résistance, mais encore absolument indispensable pour toute la masse laborieuse, comme le seul moyen de défense contre la dictature de la bourgeoisie qui a causé la guerre et qui prépare de nouvelles guerres.

Le point le plus important, que ne comprennent pas les socialistes et qui constitue leur myopie théorique, leur emprisonnement dans les préjugés bourgeois et leur trahison politique envers le prolétariat, c’est que dans la société capitaliste, dès que s’aggrave la lutte des classes qui est à sa base, il n’y a pas de milieu entre la dictature de la bourgeoisie et la dictature du prolétariat. Tous les rêves d’une solution intermédiaire ne sont que lamentations réactionnaires de petits bourgeois.

La preuve en est apportée par l’expérience du développement de la démocratie bourgeoise et du mouvement ouvrier depuis plus d’un siècle dans tous les pays civilisés et en particulier par l’expérience des cinq dernières années.

C’est aussi la vérité qu’enseigne toute la science de l’économie politique, tout le contenu du marxisme qui explique par quelle nécessité économique naît la dictature de la bourgeoisie, et comment elle ne peut être remplacée que par une classe développée multipliée, fortifiée et devenue très cohérente par le développement même du capitalisme, c’est-à-dire la classe des prolétaires.

13. Une autre erreur théorique et politique des socialistes, consiste à ne pas comprendre que les formes de la démocratie ont constamment changé pendant le cours des siècles, depuis ses premiers germes dans l’antiquité, à mesure qu’une classe dominante était remplacée par une autre. Dans les anciennes républiques de la Grèce, dans les cités du moyen-âge, dans les pays capitalistes civilisés, la démocratie revêt des formes diverses et un degré d’adaptation différent.

Ce serait la plus grande sottise de croire que la révolution la plus profonde dans l’histoire de l’humanité, que le passage du pouvoir, pour la première fois au monde, d’une minorité d’exploiteurs à la majorité d’exploités, puisse se produire dans les vieux cadres de la démocratie bourgeoise et parlementaire, puisse se produire sans brisures nettes, sans que se créent de nouvelles institutions incarnant ces nouvelles conditions de vie, etc.

14. La dictature du prolétariat ressemble à la dictature des autres classes parce qu’elle est provoquée, comme toute espèce de dictature, par la nécessité de réprimer violemment la résistance de la classe qui perd la domination politique.

Le point fondamental qui sépare la dictature du prolétariat de celle des autres classes, de la dictature des éléments féodaux au moyen-âge, de la dictature de la bourgeoisie dans tous les pays civilisés capitalistes, consiste en ce que la dictature des éléments féodaux et de la bourgeoisie était l’écrasement violent de la résistance de l’énorme majorité de la population, de la classe laborieuse, tandis que la dictature du prolétariat est l’écrasement, par la force, de la résistance des exploiteurs, c’est-à-dire d’une infime minorité de la population: les propriétaires fonciers et les capitalistes.

Il s’ensuit encore que la dictature du prolétariat entraîne inévitablement non seulement une modification des formes et des institutions démocratiques en général, mais encore une modification telle qu’elle aboutit à une extension jusqu’alors inconnue du principe démocratique en faveur des classes opprimées par le capitalisme, en faveur des classes laborieuses.

En effet, la forme de la dictature du prolétariat, déjà élaborée en fait, c’est-à-dire le pouvoir des Soviets en Russie, le Raete Système en Allemagne, les Shop Stewards Committees et autres institutions analogues dans les autres pays, signifie précisément et réalise pour les classes laborieuses, c’est-à-dire pour l’énorme majorité de la population, une faculté rapide de profiter des droits et libertés démocratiques comme il n’y en a jamais eu, même d’approchants, dans les républiques bourgeoises les meilleures et les plus démocratiques.

L’essence du pouvoir des Soviets consiste en ce que la base constante et unique de tout le pouvoir gouvernemental, c’est l’organisation des masses jadis opprimées par les capitalistes, c’est-à-dire les ouvriers et les demi-prolétaires (paysans n’exploitant pas le travail d’autrui et ayant constamment besoin de vendre une partie au moins de leur force de travail).

Ce sont ces masses qui, même dans les républiques bourgeoises les plus démocratiques, tout en jouissant de l’égalité selon la loi, étaient écartées en réalité par des milliers de coutumes et de manœuvres de toute participation à la vie politique, de tout usage de droits et de libertés démocratiques et qui maintenant sont appelées à prendre une part considérable et obligatoire, une part décisive à la gestion démocratique de l’Etat.

15. L’égalité de tous les citoyens, indépendamment du sexe, de la religion, de la race, de la nationalité, que la démocratie bourgeoise a toujours et partout promise, mais n’a réalisée nulle part et qu’étant donné la domination du capitalisme, elle ne pouvait pas réaliser, le pouvoir des Soviets ou la dictature du prolétariat la réalise tout d’un coup et complètement, car seul il est en état de réaliser le pouvoir des ouvriers qui ne sont pas intéressés à la propriété privée, aux moyens de production, à la lutte pour leur partage et leur distribution.

16. La vieille démocratie, c’est-à-dire la démocratie bourgeoise et le parlementarisme, était organisée de telle façon que les masses laborieuses étaient de plus en plus éloignées de l’appareil gouvernemental.

Le pouvoir des Soviets, c’est-à-dire la dictature du prolétariat, est au contraire construit de façon à rapprocher les masses laborieuses de l’appareil gouvernemental. Au même but tend la réunion du pouvoir législatif et exécutif dans l’organisation soviétiste de l’Etat, ainsi que la substitution aux circonscriptions électorales territoriales d’unités de travail, comme les usines et les fabriques.

17. Ce n’est pas seulement sous la monarchie que l’armée était un instrument d’oppression. Elle l’est restée dans toutes les républiques bourgeoises, même les plus démocratiques.

Seul le pouvoir des Soviets, en tant qu’organisation permanente des classes opprimées par le capitalisme est capable de supprimer la soumission de l’armée au commandement bourgeois et de fondre réellement le prolétariat avec l’armée, en réalisant l’armement du prolétariat et le désarmement de la bourgeoisie, sans lesquels est impossible le triomphe du socialisme.

18. L’organisation soviétiste de l’Etat est adaptée au rôle directeur du prolétariat comme classe concentrée au maximum et éduquée par le capitalisme. L’expérience de toutes les révolutions et de tous les mouvements des classes opprimées, l’expérience du mouvement socialiste dans le monde entier nous enseignent que seul le prolétariat est en état d’unifier et de conduire les masses éparses et retardataires de la population laborieuse et exploitée.

19. Seule l’organisation soviétiste de l’Etat peut réellement briser d’un coup et détruire définitivement le vieil appareil bourgeois, administratif et judiciaire qui s’est conservé et devait inévitablement se conserver sous le capitalisme, même dans les républiques les plus démocratiques, puisqu’il était de fait le plus grand empêchement à la mise en pratique des principes démocratiques en faveur des ouvriers et des travailleurs. La Commune de Paris a fait, dans cette voie, le premier pas d’une importance historique universelle; le pouvoir des Soviets a fait le second.

20. L’anéantissement du pouvoir gouvernemental est le but que se sont proposés tous les socialistes. Marx le premier. Sans réalisation de ce but, la vraie démocratie, c’est-à-dire l’égalité et la liberté, est irréalisable. Or, le seul moyen pratique d’y arriver est la démocratie soviétiste ou prolétarienne, puisque, appelant à prendre une part réelle et obligatoire au gouvernement les organisations des masses laborieuses, elle commence dès maintenant à préparer le dépérissement complet de tout gouvernement.

21. La complète banqueroute des socialistes réunis à Berne, leur incompréhension absolue de la démocratie prolétarienne nouvelle apparaissent particulièrement dans ce qui suit : le 10 février 1919, Branting clôturait à Berne la conférence internationale de l’Internationale jaune.

Le 11 février 1919, à Berlin, était imprimé dans le journal de ses coreligionnaires Die Freiheit une proclamation du parti des Indépendants au prolétariat. Dans cette proclamation est reconnu le caractère bourgeois du gouvernement de Scheidemann, auquel on reproche son désir d’abolir les Soviets appelés les messagers et les défenseurs de la Révolution, auquel on demande de légaliser les Soviets, de leur donner les droits politiques, le droit de vote contre les décisions de l’Assemblée Constituante, le référendum demeurant juge en dernier ressort.

Cette proclamation dénote la complète faillite des théoriciens qui défendaient la démocratie sans comprendre son caractère bourgeois.

Cette tentative ridicule de combiner le système des Soviets, c’est-à-dire la dictature du prolétariat, avec l’Assemblée Constituante, c’est-à-dire la dictature de la bourgeoisie, dévoile jusqu’au bout, à la fois la pauvreté de pensée des socialistes jaunes et des social-démocrates, leur caractère réactionnaire de petits bourgeois et leurs lâches concessions devant la force irrésistiblement croissante de la nouvelle démocratie prolétarienne.

22. En condamnant le bolchevisme, la majorité de l’Internationale de Berne, qui n’a pas osé voter formellement un ordre du jour correspondant à sa pensée, par crainte des masses ouvrières, a agi justement de son point de vue de classe. Cette majorité est complètement solidaire des mencheviks et socialistes révolutionnaires russes, ainsi que des Scheidemann allemands.

Les mencheviks et socialistes révolutionnaires russes, en se plaignant d’être poursuivis par les bolcheviks, essayent de cacher le fait que ces poursuites sont causées par la part prise par les mencheviks et les socialistes révolutionnaires à la guerre civile du côté de la bourgeoisie contre le prolétariat.

Les Scheidemann et leur parti ont déjà montré de la même façon en Allemagne qu’ils prenaient la même part à la guerre civile du côté de la bourgeoisie contre les ouvriers.

Il est, par suite, tout. à fait naturel que la majorité des participants de l’Internationale jaune de Berne se soit prononcée contre les bolcheviks ; par là s’est manifesté, non point le désir de défendre la démocratie pure, mais le besoin de se défendre eux-mêmes, chez des gens qui sentent et qui savent que dans la guerre civile ils sont du côté de la bourgeoisie contre le prolétariat.

Voilà pourquoi, du point de vue de la lutte de classes, il est impossible de ne pas reconnaître la justesse de la décision de la majorité de l’Internationale jaune. Le prolétariat ne doit pas craindre la vérité, mais la regarder en face et tirer les conclusions qui en découlent.

Sur la base de ces thèses, et en considération des rapports des délégués des différents pays, le congrès de l’Internationale Communiste déclare que la tâche principale des partis communistes, dans les diverses régions où le pouvoir des Soviets n’est pas encore constitué, consiste en ce qui suit :

1° Eclairer le plus largement les masses de la classe ouvrière sur la signification historique de la nécessité politique et pratique d’une nouvelle démocratie prolétarienne, qui doit prendre la place de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme ;

2° Elargir et organiser des Soviets dans tous les domaines de l’industrie, dans l’armée, dans la flotte, parmi les ouvriers agricoles et les petits paysans ;

3° Conquérir, à l’intérieur des Soviets, une majorité communiste, sûre et consciente.

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Lénine : discours d’ouverture du premier congrès de l’Internationale Communiste

[2 mars 1919]

Par mandat du Comité Central du Parti Communiste russe, j’ouvre le premier Congrès international.

Avant tout, je vous prie de vous lever pour honorer la mémoire des meilleurs représentants de la III° Internationale, de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg.

Camarades, notre Congrès revêt une grande importance dans l’histoire mondiale. Il démontre la banqueroute de toutes les illusions de la démocratie bourgeoise. La guerre civile est devenue un fait, non seulement en Russie, mais dans les pays capitalistes les plus développés, par exemple en Allemagne.

La bourgeoisie est affolée de terreur devant le mouvement révolutionnaire prolétarien qui grandit. Cela se comprend, parce que toute la marche des événements depuis la fin de la guerre impérialiste renforce inévitablement le mouvement révolutionnaire du prolétariat, et que la révolution internationale mondiale commence et grandit dans tous les pays.

Le peuple se rend compte de la grandeur et de l’importance de cette lutte. Il fallait trouver la forme pratique qui permît au prolétariat d’exercer sa domination. Cette forme, c’est le régime des Soviets avec la dictature du prolétariat.

La dictature du prolétariat : ces mots étaient « du latin » pour les masses jusqu’à nos jours. Maintenant, grâce au système des Soviets, ce latin est traduit dans toutes les langues modernes; la forme pratique de la dictature est trouvée par les masses populaires.

Elle est devenue intelligible à la grande masse des ouvriers grâce au pouvoir des Soviets en Russie, aux spartakistes en Allemagne, à des organisations analogues dans les autres pays, tels les Shop Stewards Committees en Angleterre. Tout cela prouve que la forme révolutionnaire de la dictature prolétarienne est trouvée et que le prolétariat est en train d’exercer sa domination de fait.

Camarades !

Je pense qu’après les événements en Russie, après les combats de janvier en Allemagne, il importe surtout de noter que la forme nouvelle du mouvement du prolétariat se manifeste et se fraie une voie dans d’autres pays aussi.

Aujourd’hui, j’ai lu dans un journal anglais antisocialiste un télégramme annonçant que le gouvernement anglais avait reçu le soviet de délégués ouvriers de Birmingham et lui avait promis de reconnaître les Soviets comme des organisations économiques. Le système soviétique a remporté la victoire non seulement dans la Russie arriérée, mais dans le pays le plus civilisé de l’Europe : l’Allemagne, et dans le plus vieux pays capitaliste : l’Angleterre.

La bourgeoisie peut sévir; elle peut assassiner encore des milliers d’ouvriers – mais la victoire est à nous, la victoire de la révolution communiste mondiale est assurée.

Camarades !

Je vous souhaite cordialement la bienvenue au nom de notre Comité Central.

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