Staline : Mise au point sur la question nationale

A propos de l’article de Sémitch

Le Bolchevik, n° 11-12, 30 juin 1925

Dans l’article qu’il publie maintenant, après la discussion à la commission yougoslave, le camarade Sémitch se rallie entièrement à la position adoptée par la délégation du P.C.R. à l’I.C., et l’on ne peut que l’en féliciter. Mais il ne faudrait pas croire malgré tout qu’entre la délégation du P. C. R. et lui il n’y ait pas eu des divergences de vues avant ou pendant la discussion à la commission yougoslave.

C’est pourtant ce que semble croire le camarade Sémitch, qui s’efforce de ramener à des malentendus nos divergences de vues sur la question nationale. Mais il se trompe profondément.

Il affirme dans son article que la polémique menée contre lui est basée sur une « série de malentendus », suscités « uniquement par la traduction incomplète » de son discours à la commission yougoslave. En somme, la faute incomberait entièrement au traducteur qui, on ne sait pourquoi, n’aurait pas complètement traduit le discours de Sémitch.

Pour rétablir la vérité, je dois dire que cette affirmation de Sémitch ne correspond nullement à la réalité.

Certes, Sémitch aurait mieux fait de confirmer sa déclaration par des citations du discours qu’il a prononcé à la commission yougoslave et qui est conservé dans les archives de l’Internationale communiste. Mais il n’a pas cru devoir le faire. C’est pourquoi je me vois forcé d’entreprendre à sa place cette procédure qui n’est pas des plus agréables, mais qui est absolument nécessaire.

Cela est d’autant plus nécessaire que, même maintenant que Sémitch se solidarise entièrement avec la position de la délégation du P. C. R., il reste encore pas mal d’obscurités dans sa position.

Dans mon discours à la commission yougoslave (v. le Bolchevik, n° 7), j’ai parlé de nos divergences de vues sur trois questions : 1° sur les moyens de résoudre la question nationale ; 2° sur le contenu social du mouvement national à l’époque actuelle ; 3° sur le rôle du facteur international dans la question nationale.

En ce qui concerne la première question, j’ai affirmé que Sémitch « n’avait pas très bien compris comment les bolcheviks posaient la question nationale », qu’il détachait la question nationale de la question générale de la révolution, qu’il s’engageait ainsi dans une voie qui le conduisait à ramener la question nationale à une question constitutionnelle.

Tout cela est-il exact ?

Qu’on en juge par la lecture du passage suivant du discours prononcé par Sémitch à la commission yougoslave (30 mars. 1925) :

Peut-on ramener la question nationale à une question constitutionnelle. Tout d’abord, bornons-nous à poser théoriquement la question. Admettons qu’un Etat X englobe trois nations : A, B et C. Ces trois nations manifestent le désir de vivre dans un seul Etat.

De quoi s’agit-il en l’occurrence ? Évidemment de la régularisation des rapports intérieurs au sein de cet Etat. Donc, c’est là une question constitutionnelle. Dans ce cas théorique, la question nationale se ramène à la question constitutionnelle…

Si, dans ce cas théorique, nous ramenons la question nationale à la question constitutionnelle, il faut dire, ce que j’ai toujours souligné, que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, jusques et y compris leur constitution en États indépendants, est la condition de la solution de la question constitutionnelle. Et c’est uniquement sur ce plan que je pose la question constitutionnelle.

Ce passage du discours de Sémitch n’a pas besoin, me semble-t-il, de commentaires.

Il est clair que ceux qui considèrent la question nationale comme partie intégrante de la question générale de la révolution prolétarienne ne peuvent la ramener à une question constitutionnelle.

Et, inversement, seuls ceux qui détachent la question nationale de la question générale de la révolution prolétarienne peuvent la ramener à une question constitutionnelle.

Dans un passage de son discours, Sémitch indique que le droit des nations à disposer d’elles-mêmes ne peut être conquis sans une lutte révolutionnaire. « Il est évident, dit-il, que de tels droits ne peuvent être conquis sans une lutte révolutionnaire. Ils ne peuvent pas être conquis par la voie parlementaire ; ils ne peuvent l’être que par des actions révolutionnaires de masse ».

Mais que signifie « lutte révolutionnaire » et « actions révolutionnaires » ?

Peut-on identifier la « lutte révolutionnaire » et les « actions révolutionnaires » au renversement de la classe dominante, à la prise du pouvoir, à la victoire de la révolution en tant que condition de la solution de la question nationale ? Certes non.

Considérer la victoire de la révolution comme le postulat essentiel de la solution de la question nationale n’est pas du tout la même chose que faire des « actions révolutionnaires » et de la « lutte révolutionnaire » la condition de la solution de la question nationale. Il convient de remarquer que la voie des réformes, la voie constitutionnelle, n’exclut nullement les « actions révolutionnaires » et la « lutte révolutionnaire ».

Ce qui est déterminant dans la définition du caractère révolutionnaire ou réformiste de tel ou tel parti, ce n’est pas les « actions révolutionnaires » prises en elles-mêmes, mais les buts et les tâches politiques au nom desquels elles sont entreprises et utilisées par le parti ? En 1906, après là dissolution de la première Douma, les menchéviks russes, comme on le sait, proposaient d’organiser la « grève générale », et même l’insurrection armée ».

Mais cela ne les empêchait pas de rester des menchéviks. En effet, pourquoi proposaient-ils alors tout cela ? Certes, ce n’était pas pour abattre le tsarisme et organiser la victoire complète de la révolution, mais pour « faire pression » sur le gouvernement tsariste afin d’obtenir des réformes, afin d’obtenir l’élargissement de la « constitution » et la convocation d’une Douma « améliorée ».

Des « actions révolutionnaires » pour la réforme de l’ancien état de choses, avec le maintien du pouvoir aux mains de la classe dominante, c’est là la voie constitutionnelle.

Des « actions révolutionnaires » entreprises pour briser l’ancien régime, pour renverser la classe dominante, c’est là une chose toute différente, c’est là la voie menant à la victoire complète de la révolution. La différence, on le voit, est fondamentale.

Voilà pourquoi le fait que Sémitch se réfère à la « lutte révolutionnaire », en ramenant la question nationale à une question constitutionnelle, ne réfute pas, mais au contraire corrobore la déclaration dans laquelle je disais que Sémitch « n’a pas très bien compris la façon dont les bolcheviks posent la question nationale », car il n’a pas compris qu’il faut considérer la question nationale non pas isolément, mais en liaison indissoluble avec la question de la victoire de la révolution, qu’il faut la considérer comme une partie de la question générale de la révolution.

En insistant sur ce point, je ne crois nullement avoir dit quelque chose de nouveau sur l’erreur de Sémitch dans cette question. Au 5e congrès de l’I.C., Manouilsky a parlé, lui aussi, de cette erreur de Sémitch et a déclaré :

Dans sa brochure La question nationale à la lumière du marxisme et dans une série d’articles publiés dans l’organe du parti communiste yougoslave, le Radnik, Sémitch pose comme mot d’ordre pratique pour le parti communiste la lutte pour la révision de la constitution, c’est-à-dire ramène toute la question du droit des nations à disposer d’elles-mêmes sur le terrain constitutionnel.

Zinoviev, lui aussi, a parlé de cette erreur à la commission yougoslave et a déclaré : Dans la perspective du camarade Sémitch, il manque une petite chose : la révolution ; la question nationale est un problème révolutionnaire et non constitutionnel.

Il n’est pas possible que toutes ces remarques des représentants du P. C. R. à l’Internationale communiste sur l’erreur de Sémitch soient fortuites et dénuées de fondement. Il n’y a pas de fumée sans feu.

Voilà ce qu’il en est de la première erreur fondamentale de Sémitch, d’où découlent toutes les autres.

En ce qui concerne la deuxième question, j’affirmais dans mon discours (v. le Bolchevik, n° 7) que Sémitch « ne veut pas considérer la question nationale comme une question essentiellement paysanne ».Est-ce exact ? Qu’on en juge par la lecture du passage suivant du discours prononcé par Sémitch à la commission yougoslave :

En quoi consiste le sens social du mouvement national en Yougoslavie ?… Ce sens social consiste dans la rivalité entre le capital serbe, d’une part, et le capital croate et slovène, d’autre part.

Il n’est pas douteux, évidemment, que la rivalité de la bourgeoisie serbe et de la bourgeoisie croate et slovène joue là dedans un certain rôle.

Mais il est indubitable également que, si l’on voit le sens social d’un mouvement national dans la rivalité de la bourgeoisie des différentes nations d’un Etat, on ne peut considérer la question nationale comme une question essentiellement paysanne.

Quel est le sens de la question nationale maintenant que, de question locale, intérieure à un Etat, elle s’est transformée en question mondiale, en question de la lutte des colonies et des nationalités vassales contre l’impérialisme ?

L’essence de la question nationale réside maintenant dans la lutte des masses populaires des colonies et des nationalités vassales contre l’exploitation financière, contre l’asservissement politique et l’anéantissement de leur civilisation par la bourgeoisie impérialiste de la nationalité dominante.

La question nationale étant posée ainsi, quelle importance peut avoir la rivalité des bourgeoisies des différentes nationalités ?

Certes, cette importance ne saurait être déterminante ; dans certains cas, elle est même très petite.

Il est évident que ce qui importe ici, ce n’est pas le fait que la bourgeoisie d’une nationalité peut battre par la concurrence la bourgeoisie d’une autre nationalité, mais le fait que le groupe impérialiste de la nationalité dominante exploite et opprime les masses, et en premier lieu les masses paysannes des colonies et des nationalités vassales, et qu’en les opprimant et en les exploitant elle les entraîne par là même dans la lutte contre l’impérialisme et en fait des alliés de la révolution prolétarienne.

On ne peut considérer la question nationale comme une question paysanne par son essence si l’on ramène le sens social du mouvement national à la rivalité de labourgeoisie des différentes nationalités.

Et, vice versa, on ne peut voir le sens social du mouvement national dans la rivalité de la bourgeoisie des différentes nationalités si l’on considère la question nationale comme une question paysanne par son essence.

On ne saurait mettre entre ces deux formules le signe d’égalité.

Sémitch se réfère à un passage de la brochure de Staline, Marxisme et question nationale, écrite à la fin de 1912.

Dans cette brochure, il est dit que « la lutte nationale est la lutte des classes bourgeoises entre elles ». Sémitch s’appuie sur cette phrase pour justifier sa définition du sens social du mouvement national dans les conditions actuelles.

Mais la brochure de Staline a été écrite avant la guerre impérialiste, alors que la question nationale n’avait pas encore acquis aux yeux des marxistes une importance mondiale et que la revendication essentielle des marxistes sur le droit à l’autonomie était considérée non pas comme une partie de la révolution prolétarienne, mais comme une partie de la révolution démocratique bourgeoise.

Il serait ridicule de ne pas voir que, depuis lors, la situation internationale s’est radicalement modifiée, que la guerre, d’une part, et la révolution d’Octobre, d’autre part, ont fait de la question nationale une parcelle de la révolution socialiste prolétarienne.

En octobre 1916, dans son article intitulé « Bilan de la discussion sur l’autonomie », Lénine disait déjà que le point essentiel de la question nationale sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait cessé d’être partie constitutive du mouvement démocratique général, qu’il était devenu partie constitutive de la révolution socialiste prolétarienne générale.

Je ne parle pas des travaux ultérieurs composés par Lénine sur la question nationale, ainsi que par d’autres représentants du communisme russe.

Quelle valeur peut avoir, après cela, la référence de Sémitch à un passage d’une brochure de Staline écrite dans la période de révolution démocratique bourgeoise en Russie, maintenant qu’en vertu de la nouvelle situation historique nous sommes entrés dans une nouvelle époque, dans l’époque de la révolution mondiale prolétarienne ?

Sémitch, on le voit, cite hors du temps et de l’espace, sans tenir compte de la situation actuelle, violant par là les règles élémentaires de la dialectique et ne comprenant pas que ce qui est juste dans une situation historique peut être faux dans une autre.

J’ai déjà dit dans mon discours à la commission yougoslave que, dans la façon dont les bolcheviks russes ont posé et posent la question nationale, il faut distinguer deux stades : le stade d’avant-Octobre, quand il s’agissait de la révolution démocratique bourgeoise et que la question nationale était considérée comme une partie du mouvement démocratique général, et le stade d’Octobre, quand il s’agissait de la révolution prolétarienne et que la question nationale était déjà devenue partie constitutive de la révolution prolétarienne.

Il est inutile de démontrer que cette distinction a une importance décisive. J’ai bien peur que Sémitch n’ait pas encore compris le sens et l’importance de cette distinction pour la position de la question nationale. »

Voilà pourquoi la tentative de Sémitch de considérer le mouvement national non pas comme une question paysanne par son essence, mais comme la question de la concurrence des bourgeoisies des différentes nationalités « recouvre une sous-estimation de la puissance du mouvement national et une incompréhension de son caractère populaire, profondément révolutionnaire ».

Voilà ce qu’il en est de la deuxième erreur du camarade Sémitch.

Il est à remarquer que, dans son discours à la commission yougoslave, Zinoviev dit exactement la même chose que moi de cette erreur.

Sémitch, déclare Zinoviev, a tort d’affirmer qu’en Yougoslavie le mouvement paysan est dirigé par la bourgeoisie et que, par suite, il n’est pas révolutionnaire (Pravda, n° 83).

Cette coïncidence est-elle fortuite ? Certes, non. Nous le répétons, il n’y a pas de fumée sans feu. Enfin, en ce qui concerne la troisième question, j’ai affirmé que Sémitch « tentait de traiter la question nationale et des perspectives probables en Europe ».

Est-ce exact ? Oui, c’est exact. En effet, dans son discours, Sémitch n’a pas indiqué, même de façonindirecte, que la situation internationale dans les conditions actuelles représentait,

particulièrement pour la Yougoslavie, un facteur extrêmement important dans la solution de la question nationale.

Le fait que l’État yougoslave s’est constitué grâce à la collision de deux grandes coalitions impérialistes et que la Yougoslavie ne peut se soustraire à l’influence des forces qui agissent maintenant dans les Etats impérialistes qui l’entourent lui a complètement échappé.

Sémitch déclare qu’il conçoit très bien qu’il puisse se produire dans la situation internationale des changements qui feraient de la question de l’autonomie une question d’actualité pratique, mais cette déclaration, dans l’état actuel des rapports internationaux, doit être considérée comme insuffisante.

Il ne s’agit pas maintenant de reconnaître que certaines modifications qui peuvent affecter la situation internationale dans un avenir plus ou moins rapproché mettront au premier plan de l’actualité la question du droit des nations à disposer d’elles-mêmes ; les démocrates bourgeois, en cas de besoin, pourraient eux-mêmes reconnaître l’actualité de cette question.

Il s’agit maintenant de ne pas transformer les frontières actuelles de l’État yougoslave, frontières qui sont le résultat de guerres et de violences, en point de départ, en base légitime pour la solution de la question nationale.

De deux choses l’une : ou bien la question de l’autonomie nationale, c’est-à-dire de la modification radicale des frontières de la Yougoslavie, est un appendice éventuel au programme national, ou bien elle est la base de ce programme.

Il est clair en tout cas que le point sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne peut être en même temps et un appendice et la base du programme national du parti communiste yougoslave. Je crains bien que Sémitch ne continue à considérer le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme un appendice perspectif au programme national.

Voilà pourquoi je considère que Sémitch détache la question nationale de celle de la situation internationale et que, par suite, la question du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, c’est-à-dire la question de la modification des frontières de la Yougoslavie, ne soit pour lui qu’une question académique et non une questiond’actualité.

Voilà ce qu’il en est de la troisième erreur de Sémitch. Il est à remarquer que, dans son rapport au 5e congrès de l’I.C., Manouilsky se prononce également comme moi sur cette erreur.

Dans sa façon de poser la question nationale, Sémitch part du postulat que le prolétariat doit prendre l’État bourgeois dans les frontières établies à la suite d’une série de guerres et de violences.

Peut-on considérer cette coïncidence comme fortuite ? Certes non. Encore une fois, pas de fumée sans feu.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Nouvelle situations, nouvelles tâches de l’édification économique

DISCOURS PRONONCÉ A LA CONFÉRENCE DES DIRIGEANTS DE L’INDUSTRIE

23 JUIN 1931

Camarades, d’après les matériaux de la conférence on voit que, du point de vue de l’exécution du plan, notre industrie offre un tableau assez bigarré. Il est des industries qui, au cours des cinq mois écoulés, accusent un accroissement de production de 40 à 50 %, comparativement à l’année passée.

Il en est d’autres où l’accroissement ne dépasse pas 20 à 30 %. Il en est enfin qui accusent un accroissement minimum, quelque 6 ou 10 %, et parfois moins encore. Au nombre de ces dernières il convient de ranger l’industrie houillère et la sidérurgie. Tableau bigarré, comme vous le voyez.

Comment expliquer cette bigarrure ? Quelle est la raison du retard de certaines industries ?

Quelle est la raison qui fait que certaines industries ne fournissent en tout et pour tout que 20 à 25 % d’accroissement, et que l’industrie houillère et la sidérurgie accusent un accroissement encore moindre, qu’elles se traînent à la queue des autres branches d’industrie ?

La raison en est que, ces derniers temps, les conditions de développement de l’industrie ont radicalement changé ; une nouvelle situation s’est créée, qui réclame de nouveaux procédés de direction.

Mais certains de nos dirigeants de l’industrie, au lieu de modifier les procédés de travail, continuent à travailler à la mode ancienne. C’est donc que les nouvelles conditions de développement de l’industrie exigent que le travail soit fait d’une nouvelle manière ; or certains de nos dirigeants de l’industrie ne le comprennent pas ; ils ne voient pas qu’il faut diriger maintenant d’une manière nouvelle.

Là est la raison du retard de certaines branches de notre industrie.

Que .sont ces nouvelles conditions de développement de notre industrie ? D’où sont-elles venues ?

Ces nouvelles conditions sont pour le moins au nombre de six.

Examinons-les.

I ­ LA MAIND’OEUVRE

Il s’agit avant tout d’assurer la main d’œuvre aux entreprises.

Autrefois les ouvriers allaient ordinairement d’eux-mêmes dans les usines, dans les fabriques, il y avait donc une sorte de mouvement spontané dans ce domaine.

Ce mouvement spontané était dû au chômage, à la différenciation dans les campagnes, à la misère, à la peur de la faim qui chassait les gens de la campagne vers la ville. Vous vous rappelez la formule : «La fuite du moujik de la campagne à la ville» ?

Qu’est-ce qui obligeait le paysan à se sauver de la campagne vers la ville ? La peur de la faim, le chômage, parce que la campagne était pour lui une marâtre, et qu’il était prêt à la fuir au diable vauvert, pourvu qu’il reçût du travail.Il en était ainsi ou presque ainsi, chez nous, dans un passé récent.

Peut-on dire que nous ayons maintenant exactement le même tableau ? Non, on ne saurait le dire. Au contraire, la situation a radicalement changé aujourd’hui. Et précisément parce que la situation a changé, nous n’avons plus d’afflux spontané de main d’œuvre.

Qu’est-ce donc qui a changé en somme, pendant ce temps ?

Premièrement, nous avons liquidé le chômage ; nous avons donc anéanti la force qui pesait sur le «marché du travail. »

En second lieu, nous avons sapé à la racine la différenciation dans les campagnes ; nous avons donc surmonté cette misère de masse, qui chassait le paysan de la campagne vers la ville. Enfin, nous avons pourvu la campagne de dizaines de milliers de tracteurs et de machines agricoles ; nous avons battu le koulak ; nous avons organisé les kolkhoz et donné aux paysans la possibilité de vivre et de travailler humainement. Aujourd’hui, on ne peut plus dire que la campagne soit une marâtre pour le paysan.

Et précisément pour cela, le paysan reste installé à la campagne, et nous n’avons plus ni «fuite du moujik de la campagne à la ville», ni afflux spontané de main d’œuvre.

Vous voyez que maintenant la situation est toute nouvelle et que de nouvelles conditions sont réunies pour assurer la main d’œuvre aux entreprises.

Que s’ensuit-il ?

Il s’ensuit premièrement qu’on ne peut plus compter sur l’afflux spontané de la main d’œuvre. C’est donc que, de la «politique» d’afflux spontané, il faut passer à la politique de recrutement organisé des ouvriers pour l’industrie. Mais pour ce faire il n’existe qu’une seule voie, celle des contrats des organisation économiques avec les kolkhoz et les kolkhoziens.

Vous savez que certaines organisations économiques et certains kolkhoz se sont déjà engagés dans cette voie, et l’expérience a montré que la pratique des contrats donne de sérieux résultats, tant pour les kolkhoz que pour les entreprises industrielles.

Il s’ensuit deuxièmement que nous devons passer sans délai à la mécanisation des processus les plus pénibles du travail, en poussant les choses à fond (industrie forestière, bâtiment, industrie houillère, chargement et déchargement, transports, sidérurgie, etc.).

Cela ne signifie pas évidemment qu’il faille abandonner le travail manuel. Au contraire, le travail manuel jouera encore longtemps un rôle des plus sérieux dans la production.

Mais cela signifie que la mécanisation des processus du travail est pour nous cette force nouvelle et décisive, sans laquelle il est impossible de soutenir ni nos rythmes, ni les nouvelles échelles de production.

Nous comptons encore bon nombre de dirigeants de l’industrie, qui «ne croient pas» à la mécanisation, ni aux contrats avec les kolkhoz.

Ce sont ceux qui ne comprennent pas la nouvelle situation, ne veulent pas travailler d’une manière nouvelle et soupirent après le «bon vieux temps», où la main d’oeuvre «allait d’elle-même» aux entreprises.

Inutile de dire que de pareils dirigeants sont aussi éloignés, que le ciel l’est de la terre, des nouvelles tâches que la nouvelle situation pose devant nous quant à la construction de l’économie. Ils pensent, apparemment, que les difficultés de main d’œuvre sont un phénomène accidentel ; que le manque de main d’œuvre disparaîtra de lui-même, pour ainsi dire d’une façon spontanée. C’est une erreur, camarades.

Les difficultés de main d’œuvre ne peuvent disparaître d’elles-mêmes. Elles ne peuvent disparaître qu’au prix de nos propres efforts.

Ainsi donc, recruter de façon organisée la main d’œuvre au moyen de contrats passés avec les kolkhoz, mécaniser le travail : telle est la tâche.

Voilà ce qu’il en est de la première nouvelle condition du développement de notre industrie.

Passons à la deuxième condition.

II ­ LE SALAIRE DES OUVRIERS

Je viens de parler du recrutement organisé des ouvriers pour nos entreprises. Mais recruter des ouvriers ne signifie pas encore avoir tout fait. Pour assurer la main d’œuvre à nos entreprises, il faut que les ouvriers soient attachés à la production et que l’effectif ouvrier à l’entreprise soit plus ou moins stable.

Il est à peine besoin de démontrer que sans un effectif permanent d’ouvriers, qui se seraient plus ou moins assimilé la technique de la production et habitués aux nouveaux mécanismes, il est impossible d’aller de l’avant, impossible d’exécuter les plans de production.

Car autrement l’on serait chaque fois obligé d’instruire les nouveaux ouvriers et de perdre la moitié du temps à leur apprentissage, au lieu de l’utiliser à la production. Et que se passe-t-il en réalité ? Peut-on dire que l’effectif des ouvriers dans nos entreprises soit plus ou moins permanent ?Malheureusement, on ne peut pas le dire.

Au contraire, il y a encore dans nos entreprises ce qu’on appelle la fluctuation de la main d’œuvre. Bien plus, dans une série d’entreprises, la fluctuation de la main d’œuvre, loin de disparaître, augmente, s’accentue. En tout cas, vous trouverez peu d’entreprises dont l’effectif des ouvriers ne change pas, au cours d’un semestre ou même d’un trimestre, dans la proportion d’au moins 30 à 40 %.

Autrefois, dans la période de rétablissement de l’industrie, alors que notre outillage technique n’était pas compliqué, et que les échelles de production n’étaient pas grandes, on pouvait «tolérer» tant bien que mal ce qu’on appelle les fluctuations de main d’œuvre. Maintenant c’est autre chose.

La situation a changé radicalement. En cette période de vaste reconstruction, alors que les échelles de production sont immenses et l’outillage technique compliqué à l’extrême, la fluctuation de la main d’œuvre est devenue pour la production un fléau qui désorganise nos entreprises.

«Tolérer» maintenant les fluctuations de main d’œuvre, c’est désagréger notre industrie, supprimer la possibilité d’exécuter les plans de production, la possibilité d’améliorer la qualité des produits.

Quelle est la cause des fluctuations de la main d’œuvre ?

C’est l’organisation défectueuse des salaires, le système défectueux des tarifs, c’est le nivellement «gauchiste» dans le domaine des salaires.

Dans une série de nos entreprises les taux de salaires sont établis de telle sorte que la différence disparaît presque entre le travail qualifié et le travail non qualifié, entre le travail pénible et le travail facile.

Le nivellement a pour résultat que l’ouvrier non qualifié n’a pas intérêt à passer dans la catégorie des ouvriers qualifiés, et qu’il est ainsi privé de perspectives d’avancement, ce qui fait qu’il se sent comme «en villégiature» dans la production, ne travaillant que temporairement pour «se faire un peu d’argent» et s’en aller ensuite autre part «chercher fortune. »

Le nivellement a pour résultat que l’ouvrier qualifié est contraint de passer d’entreprise en entreprise pour en trouver, enfin, une où l’on sache apprécier comme il se doit le travail qualifié.

De là le mouvement «général» d’entreprise en entreprise la fluctuation de la main d’œuvre.

Pour remédier à ce mal, il faut supprimer le nivellement et briser l’ancien système des tarifs. Pour remédier à ce mal, il faut organiser un système de tarifs, qui tienne compte de la différence entre le travail qualifié et le travail non qualifié, entre le travail pénible et le travail facile.

On ne peut tolérer qu’un rouleur de la sidérurgie touche autant qu’un balayeur. On ne peut tolérer qu’un mécanicien de chemin de fer touche autant qu’un copiste.

Marx et Lénine disent que la différence entre le travail qualifié et le travail non qualifié existera même sous le socialisme, même après la suppression des classes ; que ce n’est que sous le communisme que doit disparaître cette différence ; que de ce fait le «salaire», même sous le socialisme, doit être payé selon le travail, et non selon les besoins.

Mais nos niveleurs parmi les dirigeants de l’industrie et les militants syndicaux ne sont pas d’accord avec cette thèse ; ils estiment que cette différence a déjà disparu sous notre régime des Soviets. Qui a raison, Marx et Lénine ou les niveleurs ?

Il faut croire qu’ici c’est Marx et Lénine qui ont raison. Mais alors il s’ensuit que celui qui bâtit maintenant le système des tarifs sur les «principes» du nivellement, sans tenir compte de la différence entre le travail qualifié et le travail non qualifié, celui-là brise avec le marxisme, brise avec le léninisme.

Dans chaque industrie, dans chaque entreprise, dans chaque atelier il existe des groupes essentiels d’ouvriers plus ou moins qualifiés, qu’il faut attacher à la production, avant tout et surtout si nous voulons réellement assurer la stabilité de l’effectif ouvrier à l’entreprise.

Ces groupes essentiels d’ouvriers constituent, eux, le chaînon fondamental de la production. Les attacher à l’entreprise, à l’atelier, c’est attacher tout l’effectif des ouvriers, c’est saper à là base la fluctuation de la main d’œuvre.

Et comment les attacher à l’entreprise ?

On ne peut les attacher qu’en leur donnant de l’avancement, en augmentant leurs salaires, en organisant le système des salaires de façon que la qualification du travailleur soit convenablement appréciée. Et que veut dire leur donner de l’avancement, élever le niveau de leur salaire ?

C’est en plus de toutes autres choses, ouvrir des perspectives devant les ouvriers non qualifiés, les encourager à l’avancement et les faire passer dans la catégorie des ouvriers qualifiés. Vous savez vous-mêmes que nous avons besoin maintenant de centaines de milliers et de millions d’ouvriers qualifiés.

Mais pour former des ouvriers qualifiés, il faut encourager les ouvriers non spécialisés et leur donner la perspective d’un avancement, d’une élévation continue. Plus hardiment nous nous engagerons dans cette voie, et mieux cela vaudra ; car c’est là le principal moyen de remédier aux fluctuations de la main d’œuvre.

Économiser en cette affaire, c’est commettre un crime, c’est marcher contre les intérêts de notre industrie socialiste.

Mais ce n’est pas tout.Pour fixer les ouvriers à l’entreprise il faut continuer à améliorer le ravitaillement et les conditions de logement.

On ne saurait nier que dans le domaine de la construction d’habitations et du ravitaillement des ouvriers, il a été fait beaucoup en ces dernières années. Mais ce qui a été fait est absolument insuffisant pour couvrir les besoins rapidement accrus des ouvriers.

On ne peut invoquer cet argument qu’autrefois les habitations étaient moins nombreuses qu’aujourd’hui et que, par conséquent, l’on peut s’en tenir aux résultats obtenus.

On ne peut non plus invoquer l’argument qu’autrefois le ravitaillement des ouvriers était autrement défectueux qu’aujourd’hui et que, par conséquent, l’on peut se contenter de l’état actuel des choses.

Seuls des gens pourris et rancis jusqu’à la moelle peuvent se consoler en invoquant le passé. Il ne faut pas prendre comme point de départ le passé, mais les besoins croissants des ouvriers dans le présent. Il faut comprendre que les conditions d’existence des ouvriers, de chez nous ont radicalement changé. L’ouvrier aujourd’hui n’est pas ce qu’il était autrefois.

L’ouvrier de nos jours, notre ouvrier soviétique, veut vivre de façon à pourvoir à tous ses besoins matériels et culturels au point de vue de son ravitaillement en produits alimentaires, et au point de vue du logement, et au point de vue de la satisfaction des besoins culturels et de tous les autres besoins. Il en a le droit, et nous avons le devoir de lui assurer ces conditions.

Il est vrai que chez nous il ne souffre pas du chômage, il est libéré du joug du capitalisme ; il n’est plus un esclave, il est le maître de sa besogne.

Mais cela ne suffit pas. Il exige que tous ses besoins matériels et culturels soient satisfaits, et nous avons le devoir de faire droit à cette revendication. N’oubliez pas que nous-mêmes formulons maintenant certaines exigences à l’égard de l’ouvrier, nous exigeons de lui la discipline du travail, un effort intense, l’émulation, un travail de choc.

N’oubliez pas que l’énorme majorité des ouvriers ont accepté ces exigences du pouvoir des Soviets avec un grand enthousiasme, et qu’ils s’en acquittent héroïquement. Aussi ne vous étonnez pas si, se conformant aux exigences du pouvoir des Soviets, les ouvriers exigent à leur tour que celui-ci remplisse ses engagements quant à l’amélioration continue de la situation matérielle et culturelle des ouvriers.

Ainsi, faire disparaître la fluctuation de la main d’œuvre, supprimer le nivellement, organiser judicieusement les salaires, améliorer les conditions d’existence des ouvriers ; telle est la tâche.

Voilà ce qu’il en est de la deuxième nouvelle condition du développement de notre industrie. Passons à la troisième condition.

III ­ ORGANISATION DU TRAVAIL

J’ai parlé plus haut de la nécessité de faire disparaître la fluctuation de la main d’œuvre, d’attacher les ouvriers aux entreprises. Mais attacher les ouvriers, ce n’est pas encore épuiser le problème.

Il ne suffit pas de faire disparaître la fluctuation. Il faut encore placer les ouvriers dans des conditions de travail leur permettant de travailler avec intelligence, d’élever le rendement, d’améliorer la qualité de la production.

Il s’agit, par conséquent, d’organiser le travail dans les entreprises de telle sorte que le rendement augmente de mois en mois, de trimestre en trimestre.

Peut-on dire que l’actuelle organisation du travail, telle qu’elle existe dans nos entreprises, réponde aux exigences modernes de la production ?

Non, malheureusement. En tout cas, jusqu’à présent, nous avons encore des entreprises où l’organisation du travail ne vaut rien ; où, au lieu de l’ordre et de la cohésion dans le travail, c’est le désordre et la confusion ; où, au lieu de la responsabilité pour le travail, règnent une totale irresponsabilité, l’absence de responsabilité personnelle.

Qu’est-ce que l’absence de responsabilité personnelle ? C’est l’absence de toute responsabilité pour le travail confié, pour les mécanismes, pour les machines, pour les outils.

On conçoit qu’avec l’absence de responsabilité il ne puisse être question d’un essor tant soit peu sérieux de la productivité du travail, de l’amélioration de la qualité des produits, du soin que l’on prend des mécanismes, des machines, des outils.

Vous savez ce qu’a amené l’absence de responsabilité personnelle dans les chemins de fer. Elle a abouti aux mêmes résultats dans l’industrie. Nous avons remédié à l’absence de responsabilité ; dans les chemins de fer, et amélioré le travail de ces derniers. Nous devons en faire autant pour l’industrie, afin d’élever son travail à un degré supérieur.

Autrefois l’on pouvait encore, tant bien que mal, «se contenter» de cette organisation défectueuse du travail, qui s’accommode aisément de l’absence de responsabilité de chacun pour un travail précis.

Maintenant c’est autre chose. La situation est tout autre.

Avec les grandioses échelles actuelles de la production et les entreprises géantes, l’absence de responsabilité personnelle est un fléau de l’industrie ; elle met en péril toutes nos réalisations, en matière de production et d’organisation, dans les entreprises.

Comment l’absence de responsabilité personnelle a-t-elle pu prendre racine dans certaines de nos entreprises ?

Elle est venue là comme l’illégitime compagne de route de la semaine ininterrompue. Il serait faux de dire que la semaine ininterrompue entraîne, forcément, l’absence de responsabilité personnelle dans la production.

Avec une juste organisation du travail, avec l’organisation de la responsabilité de chacun pour un travail déterminé, avec des groupes déterminés d’ouvriers attachés aux mécanismes, aux machines, avec une juste organisation des équipes qui ne le cèdent en rien les unes aux autres pour la qualité et la qualification, ces conditions étant réunies, la semaine ininterrompue amène un accroissement énorme du rendement et l’amélioration de la qualité du travail ; elle élimine le défaut de responsabilité personnelle.

Les choses vont ainsi, par exemple, dans les chemins de fer, où l’on pratique maintenant la semaine de travail ininterrompue, mais où il n’y a plus de défaut de responsabilité personnelle.

Peut-on dire que dans les entreprises industrielles nous ayons un tableau aussi favorable en ce qui concerne la semaine ininterrompue ?

Malheureusement non.

La vérité est que certaines de nos entreprises ont adopté la semaine ininterrompue avec trop de hâte, sans préparer les conditions nécessaires, sans organiser comme il faut les équipes, plus on moins égales en valeur pour la qualité et la qualification, sans organiser la responsabilité de chacun pour un travail précis.Conséquence : la semaine ininterrompue, livrée aux forces élémentaires, a abouti à l’absence de responsabilité personnelle.

Il en est résulté que nous avons dans une série d’entreprises, une semaine ininterrompue fictive, verbale, et une absence de responsabilité personnelle qui n’est pas fictive, qui est réelle.

Il en est résulté : absence du sentiment de responsabilité pour le travail, négligence pour les mécanismes, détérioration en masse des machines outils et absence de stimulant pour élever la productivité du travail.

Ce n’est pas sans raison que les ouvriers disent : «Nous aurions bien élevé le rendement et amélioré le travail, mais qui donc nous apprécierait puisque personne n’est responsable ?»

Il en résulte que certains de nos camarades se sont trop hâtés, çà et là, d’introduire la semaine ininterrompue et, dans leur précipitation, ils ont déformé la semaine ininterrompue, ils l’ont transformée en absence de responsabilité.

Pour remédier à cette situation et à l’absence de responsabilité, il existe deux solutions.

Ou bien modifier les conditions d’application de la semaine ininterrompue, à l’exemple de ce qui a été fait sur les chemins de fer, de façon qu’elle ne puisse se transformer en absence de responsabilité.

Ou bien, là où les conditions favorables pour une telle expérience font actuellement défaut, rejeter la semaine ininterrompue fictive, passer provisoirement à la semaine interrompue de 6 jours, comme on l’a fait récemment à l’usine de tracteurs de Stalingrad, et préparer les conditions pour revenir, ensuite, à la semaine ininterrompue, réelle, non fictive, pour revenir à la semaine ininterrompue sansabsence de responsabilité personnelle.

Pas d’autre solution.

Il est hors de doute que les dirigeants de notre industrie se rendent bien compte de tout cela. Mais ils se taisent.

Pourquoi ? Parce que, apparemment, ils craignent la vérité. Mais depuis quand les bolcheviks craignent-ils la vérité ? N’est-il pas exact que dans une série d’entreprises la semaine ininterrompue s’est transformée en absence de responsabilité personnelle ; que de cette façon le sens de la semaine ininterrompue est dénaturé à l’extrême ?

On se demande à quoi sert une telle semaine ininterrompue.

Qui osera dire que la nécessité de maintenir cette semaine ininterrompue, altérée et fictive, est supérieure à la nécessité d’une organisation judicieuse du travail, supérieure aux intérêts du développement de la productivité du travail, supérieure aux intérêts d’une semaine ininterrompue véritable, supérieure ; aux intérêts de notre industrie socialiste ?

N’est-il pas clair que plus vite nous enterrerons la semaine ininterrompue fictive, et plus vite nous arriverons à organiser une semaine ininterrompue véritable, qui n’existera pas que sur le papier ?

Certains camarades pensent que l’on peut remédier à l’absence de responsabilité personnelle par des exorcismes, par des discours grandiloquents.

Je connais, en tout cas, plusieurs dirigeants de l’industrie qui, dans leur lutte contre le défaut de responsabilité, se bornent à intervenir chaque fois dans les réunions, en proférant des malédictions à son adresse, ils estiment apparemment qu’après de tels discours ce défaut doit disparaître de lui-même, pour ainsi dire de façon spontanée.

Ils se trompent lourdement, s’ils pensent que ce défaut peut être éliminé de la pratique par des discours et des exorcismes. Non, camarades, le défaut de responsabilité personnelle ne disparaîtra jamais de lui-même.

Nous, et nous seuls, pouvons et devons y remédier, car nous sommes au pouvoir, vous et nous, et nous répondons ensemble de toute chose, y compris le défaut de responsabilité.

Je pense qu’il vaudrait beaucoup mieux que nos dirigeants de l’industrie, au lieu de s’occuper de discours et d’exorcismes, s’installent pour un mois ou deux, par exemple, dans la mine ou à l’usine, étudient sur place tous les détails et «petites choses» de l’organisation du travail, y suppriment pratiquement le défaut de responsabilité pour, ensuite, généraliser l’expérience de l’entreprise en question, aux autres entreprises.

Cela vaudrait beaucoup mieux. Ce serait là lutter effectivement contre le défaut de responsabilité, lutter pour l’organisation judicieuse, bolchevique du travail, lutter pour la répartition, judicieuse des forces à l’entreprise.

Ainsi donc, remédier à l’absence de responsabilité personnelle, améliorer l’organisation du travail, répartir judicieusement les forces à l’entreprise ; telle est la tâche.

Voilà ce qu’il en est de la troisième nouvelle condition du développement de notre industrie.

Passons à la quatrième condition.

IV ­ LA QUESTION DES INTELLECTUELS TECHNICIENS DE LA PRODUCTION, ISSUS DE LA CLASSE OUVRIERE

La situation a changé également en ce qui concerne les cadres de l’industrie en général, le personnel d’ingénieurs et techniciens en particulier.

Autrefois, les choses se présentaient ainsi : la base houillère et métallurgique d’Ukraine était la source principale de toute notre industrie.

L’Ukraine approvisionnait en métal toutes nos régions industrielles, aussi bien le Sud que Moscou et Leningrad. C’était elle encore qui fournissait de charbon nos principales entreprises en U.R.S.S.

J’exclus ici l’Oural, étant donné que la part de l’Oural, en comparaison du bassin du Donetz, n’était qu’une grandeur insignifiante.

C’est ainsi que nous avions trois principaux foyers pour la formation des cadres de l’industrie : le Sud, la région de Moscou, la région de Leningrad. On conçoit qu’avec un tel état de choses nous pouvions nous accommoder tant bien que mal du minimum d’ingénieurs et de techniciens dont pouvait alors disposer notre pays.

Il en était ainsi dans un passé récent.

Mais maintenant la situation est tout autre. Maintenant il est clair, je pense, qu’en conservant les rythmes actuels de développement et les gigantesques échelles de production, nous ne pouvons plus nous en tirer avec la seule base houillère et métallurgique d’Ukraine. Vous savez que, malgré l’accroissement de leur production, nous n’avons pas assez de la houille et du métal ukrainiens.

Vous savez que nous sommes obligés, pour cette raison, de créer une nouvelle base houillère et métallurgique à l’Est, à savoir : l’Oural-Kouzbass. Vous savez que cette base, nous travaillons à la créer non sans succès. Mais cela ne suffit pas.

Il nous faut créer ensuite une métallurgie dans la Sibérie même, pour satisfaire à ses besoins croissants.

Et nous y travaillons déjà. Il nous faut créer, en outre, une nouvelle base de métallurgie non ferreuse au Kazakhstan, au Turkestan.

Enfin, il nous faut procéder à de vastes travaux de construction de voies ferrées.

C’est ce que nous dictent les intérêts de l’U.R.S.S. dans son ensemble, les intérêts des Républiques de la périphérie aussi bien que ceux du centre.

Il s’ensuit donc que nous ne pouvons plus nous contenter du minimum d’ingénieurs, de techniciens et de chefs de l’industrie, dont nous nous accommodions auparavant.

Il s’ensuit que les vieux foyers pour la formation d’ingénieurs et de techniciens ne suffisent plus ; qu’il est nécessaire de ‘créer tout un réseau de nouveaux foyers dans l’Oural, en Sibérie, en Asie centrale.

Il nous faut aujourd’hui nous assurer un nombre trois fois, cinq fois plus grand d’ingénieurs, de techniciens et de chefs de l’industrie, si nous voulons réellement accomplir le programme d’industrialisation socialiste de l’U.R.S.S.

Mais ce qu’il nous faut, ce ne sont pas des chefs, des ingénieurs et des techniciens quelconques. Il nous faut des chefs, des ingénieurs et des techniciens tels qu’ils soient capables de comprendre la politique de la classe ouvrière de notre pays, capables de s’assimiler cette politique et prêts à la réaliser en conscience.

Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que notre pays est entrédans une phase de développement, où la classe ouvrière doit former

ses propres intellectuels techniciens de la production, capables de défendre dans la production les intérêts de la classe ouvrière comme intérêts de la classe dominante.

Aucune classe dominante n’a pu se passer de ses propres intellectuels. Il n’y a aucune raison de mettre en doute le fait que la classe ouvrière de l’U.R.S.S., elle non plus, ne peut se passer de ses propres intellectuels techniciens de la production.

Le pouvoir des Soviets a tenu compte de cette circonstance, et il a ouvert aux hommes de la classe ouvrière les portes des écoles supérieures, pour toutes les branches de l’économie nationale. Vous savez que des dizaines de milliers de jeunes ouvriers et paysans étudient maintenant dans les écoles supérieures.

Si autrefois, sous le capitalisme, les écoles supérieures étaient le monopole des fils à papa, maintenant, sous le régime soviétique, c’est la jeunesse ouvrière et paysanne qui y constitue la force dominante.

Il est hors de doute que nos établissements scolaires nous donneront bientôt des milliers de nouveaux techniciens et ingénieurs, de nouveaux chefs de notre industrie.

Mais ce n’est là qu’un côté de la question.

L’autre côté, c’est que les intellectuels techniciens de la production, issus de la classe ouvrière, ne seront pas formés seulement parmi les hommes sortis de l’école supérieure ; ils seront aussi recrutés parmi les praticiens occupés dans nos entreprises, parmi les ouvriers qualifiés, parmi les éléments cultivés de la classe ouvrière à l’usine, à la fabrique, à la mine.

Les initiateurs de l’émulation, les conducteurs des brigades de choc, les inspirateurs pratiques de l’enthousiasme au travail, les organisateurs des travaux sur tels ou tels secteurs de la construction : voilà le nouveau contingent de la classe ouvrière qui, avec les camarades sortis de l’école supérieure doit former le noyau des intellectuels de la classe ouvrière, le noyau du commandement de notre industrie.

La tâche consiste à ne pas refouler ces camarades pleins d’initiative, à les pousser plus hardiment aux postes de commande, à leur donner la possibilité de montrer leurs capacités d’organisation, à leur donner la possibilité de compléter leurs connaissances et à créer pour eux une ambiance appropriée, sans regarder à l’argent.

Il y a bon nombre de sans-parti parmi ces camarades. Mais cela ne saurait être un obstacle pour les pousser plus hardiment aux postes de direction.

Au contraire, ce sont eux précisément, ce sont ces camarades sans-parti qu’il faut entourer d’une attention particulière, pousser aux postes de commande, afin qu’ils se rendent compte, dans les faits, que le Parti sait apprécier les travailleurs capables et doués. Certains camarades pensent que dans les fabriques, dans les usines, les postes de direction ne sauraient être confiés qu’à des camarades du Parti.

C’est pour cette raison qu’ils refoulent souvent des camarades sans-parti capables et pleins d’initiative, pour faire avancer au premier rang des membres du Parti, bien que moins capables et sans initiative.

Inutile de dire qu’il n’y a rien de plus stupide et de plus réactionnaire qu’une telle «politique», s’il est permis de l’appeler ainsi. Il est à peine besoin de démontrer qu’avec une telle «politique», on ne peut que discréditer le Parti et en éloigner les ouvriers sans-parti.

Notre politique ne consiste pas du tout à transformer le Parti en une caste fermée. Notre politique veut qu’entre les ouvriers membres du Parti et les ouvriers sans-parti il y ait une atmosphère de «confiance mutuelle», une atmosphère de «contrôle mutuel» (Lénine).

Notre Parti est fort dans la classe ouvrière, entre autres, parce qu’il applique précisément cette politique.

Ainsi donc, faire en sorte que la classe ouvrière de l’U.R.S.S.

possède ses propres intellectuels techniciens de la production ; telle est la tâche.

Voilà ce qu’il en est de la quatrième nouvelle condition du développement de notre industrie.

Passons à la cinquième condition.

V ­ LES INDICES D’UN TOURNANT PARMI LES VIEUX INTELLECTUELS TECHNICIENS DE LA PRODUCTION

La question de l’attitude à observer envers les vieux intellectuels bourgeois techniciens de la production se pose, elle aussi, d’une autre manière.

Il y a quelque deux ans les choses se présentaient ainsi : la partie la plus qualifiée des vieux intellectuels techniciens était atteinte de la maladie du sabotage. Bien plus, le sabotage était alors une mode en son genre.

Les uns sabotaient, les autres couvraient les saboteurs, d’autres encore s’en lavaient les mains et gardaient la neutralité ; d’autres enfin balançaient entre le pouvoir des Soviets et les saboteurs.

Certes, la majorité des vieux intellectuels techniciens continuait à travailler avec plus ou moins de loyauté. Mais il s’agit ici, non de la majorité, mais de la partie la plus qualifiée des intellectuels techniciens.

Qu’est-ce qui engendrait le mouvement de sabotage ? Qu’est-ce qui l’entretenait ?

L’aggravation de la lutte de classes à l’intérieur de l’U.R.S.S., la politique d’offensive du pouvoir des Soviets à l’égard des éléments capitalistes de la ville et de la campagne, la résistance de ces derniers à la politique du pouvoir des Soviets, la situation internationale complexe, les difficultés de construction des kolkhoz et des sovkhoz.

Si l’activité de la partie combative des saboteurs était épaulée par les plans d’intervention des impérialistes des pays capitalistes et par les difficultés en matière de céréales à l’intérieur du pays, les oscillations de l’autre partie des vieux intellectuels techniciens vers les saboteurs actifs, étaient renforcées par les propos en vogue des bavards trotskistes-menchéviks, disant que «pour ce qui est des kolkhoz et des sovkhoz, de toute façon il n’en sortira rien» ; que «le pouvoir des Soviets dégénère de toute façon et doit bientôt tomber» ; que «par leur politique les bolcheviks favorisent eux-mêmes l’intervention», etc., etc.

En outre, puisque même certains vieux bolcheviks parmi les fauteurs de la déviation de droite n’ont pas résisté à la «contagion» et, durant cette période, ont fait un écart qui les a éloignés du Parti, il n’y a pas sujet de s’étonner que certains vieux intellectuels techniciens, qui n’avaient jamais tâté du bolchévisme, aient, eux aussi, avec l’aide de Dieu, chancelé.

On conçoit qu’en cette situation le pouvoir des Soviets n’ait pu pratiquer à l’égard des vieux intellectuels techniciens qu’une seule et unique politique : écraser les saboteurs actifs, différencier les neutres et gagner à nous les loyaux.

Il en était ainsi il y a un an ou deux.

Peut-on dire que la situation d’aujourd’hui soit exactement la même ?Non, on ne peut pas le dire.

Au contraire, la situation qui s’est créée maintenant est tout autre.

D’abord, nous avons battu et nous réduisons avec succès les éléments capitalistes de la ville et des campagnes.

Evidemment, cela n’est pas fait pour réjouir les vieux intellectuels. Il est très probable qu’ils continuent à manifester de la sympathie à leurs amis battus.

Mais on n’a jamais vu des sympathisants et, à plus forte raison, des neutres et des hésitants consentir volontairement à partager le sort de leurs amis actifs, après que ces derniers ont essuyé une défaite cruelle, irrémédiable.

Puis nous avons surmonté les difficultés en ce qui concerne les céréales, et non seulement nous les avons surmontées, mais nous exportons à l’étranger une quantité de blé comme nous n’en avons pas encore exporté depuis qu’existe le pouvoir des Soviets.

Par conséquent, cet «argument» des hésitants tombe lui aussi.

Ensuite, même les aveugles voient maintenant que sur le front de construction des kolkhoz et des sovkhoz, nous avons décidément vaincu, remporté d’immenses succès.

Par conséquent, le principal argument dans l’ «arsenal» des vieux intellectuels s’est effondré. En ce qui concerne les espoirs interventionnistes des intellectuels bourgeois, il faut reconnaître qu’ils on été — jusqu’à présent du moins, — comme une bicoque bâtie sur le sable.

En effet, durant six années on a promis l’intervention armée et pas une fois on n’a essayé d’intervenir. Il est temps de reconnaître que l’on avait simplement mené par le bout du nez nos perspicacesintellectuels bourgeois. Sans compter que la conduite même des saboteurs actifs au procès de Moscou devait découronner et a effectivement découronné l’idée du sabotage.

On conçoit que ces nouvelles circonstances n’aient pu rester sans influer sur nos vieux intellectuels techniciens. La nouvelle situation devait créer, et elle a effectivement créé un nouvel état d’esprit parmi les vieux intellectuels techniciens.

C’est ce qui explique proprement que nous avons des indices certains d’un revirement vers le pouvoir des Soviets, chez une certaine partie des intellectuels qui, autrefois, sympathisaient avec les saboteurs.

Le fait que non seulement cette catégorie de vieux intellectuels, mais même les saboteurs avérés d’hier, une partie considérable d’entre eux, commencent à travailler dans les usines et les fabriques, de pair avec la classe ouvrière, — ce fait atteste indéniablement que le revirement a déjà commencé parmi les vieux intellectuels techniciens. Cela ne signifie pas, évidemment, qu’il n’y ait plus chez nous de saboteurs. Non.

Les saboteurs existent et existeront aussi longtemps qu’il y aura des classes chez nous, aussi longtemps que subsistera l’encerclement capitaliste.

Mais cela signifie : dès l’instant qu’une partie considérable des vieux intellectuels techniciens qui auparavant sympathisaient d’une façon ou d’une autre avec les saboteurs, s’est tournée aujourd’hui vers le pouvoir des Soviets, les saboteurs actifs sont restés en petit nombre, ils sont isolés et ils devront pour l’instant se confiner dans une action strictement clandestine.

Il s’ensuit donc que notre politique, elle aussi, doit changer à l’égard des vieux intellectuels techniciens. Si, au plus fort du sabotage, notre attitude envers les vieux intellectuels techniciens s’est traduitesurtout par une politique d’écrasement, aujourd’hui que ces intellectuels se tournent vers le pouvoir des Soviets, notre attitude à leur égard doit se traduire surtout par la politique que voici : les gagner à nous et leur montrer de la sollicitude.

Il serait faux et anti-dialectique de continuer l’ancienne politique dans les conditions nouvelles, modifiées.

Il serait stupide et déraisonnable de considérer maintenant presque chaque spécialiste ou ingénieur de la vieille école, comme un criminel et un saboteur, qui n’a pas été pris sur le fait. «Manger du spécialiste» a toujours été considéré et est encore considéré, chez nous, comme un phénomène nuisible et honteux.

Ainsi, donc, modifier l’attitude à l’égard des ingénieurs et techniciens de la vieille école, leur montrer plus d’attention et de sollicitude, les attirer plus hardiment au travail ; telle est la tâche.

Voilà ce qu’il en est de la cinquième nouvelle condition du développement de notre industrie.

Passons à la dernière condition.

VI ­ SUR LE PRINCIPE DU RENDEMENT COMMERCIAL

Le tableau serait incomplet si je ne disais rien d’une nouvelle condition encore. Il s’agit des sources d’accumulation pour l’industrie, pour l’économie nationale, de l’intensification des rythmes de cette accumulation.

Qu’y a-t-il de nouveau et de particulier dans le développement de notre industrie du point de vue de l’accumulation ? C’est que les anciennes sources d’accumulation commencent à ne plus suffire au développement de l’industrie.C’est qu’il est nécessaire, par conséquent, de trouver de nouvelles sources d’accumulation et de renforcer les anciennes, si nous voulons vraiment maintenir et développer les rythmes bolcheviks d’industrialisation.

L’histoire des pays capitalistes nous apprend qu’il n’est pas un seul Etat jeune qui, désireux d’élever son industrie à un degré supérieur, ait pu se passer de l’aide du dehors sous forme d’emprunts ou de crédits à long terme.

Partant de là, les capitalistes des pays d’Occident ont refusé net à notre pays crédits et emprunts, estimant que l’absence de crédits et d’emprunts saperait à coup sûr l’industrialisation de notre pays. Mais les capitalistes se sont trompés.

Ils n’ont pas tenu compte du fait que notre pays, à la différence des pays capitalistes, dispose de sources particulières d’accumulation, suffisantes pour rétablir et développer plus avant l’industrie.

En effet, non seulement nous avons rétabli l’industrie, rétabli l’agriculture et les transports, mais nous avons déjà mis en train cette œuvre grandiose qu’est la reconstruction de l’industrie lourde, de l’agriculture, des transports.

On conçoit que cette œuvre ait absorbé des dizaines de milliards de roubles. Où avons­nous puisé ces milliards ? Dans l’industrie légère, dans l’agriculture, dans les accumulations budgétaires. Il en allait ainsi jusqu’à ces derniers temps.

Maintenant les choses se présentent d’une tout autre manière. Si auparavant les vieilles sources d’accumulation suffisaient à la reconstruction de l’industrie et des transports, aujourd’hui elles commencent manifestement à ne plus suffire. Il ne s’agit plus de reconstruire la vieille industrie. Il s’agit de créer une industrienouvelle, techniquement équipée, dans l’Oural, en Sibérie, au Kazakhstan.

Il s’agit de créer une nouvelle grande production agricole dans les régions de céréales, d’élevage et de matières premières de l’U.R.S.S.

Il s’agit de créer un nouveau réseau de chemins de fer entre l’est et l’ouest de l’U.R.S.S. On conçoit que les vieilles sources d’accumulation ne puissent plus suffire à cette œuvre grandiose.

Mais ce n’est pas tout. Ajoutons à cela que, par suite de la mauvaise gestion, le principe du rendement commercial s’est avéré absolument compromis dans toute une série de nos entreprises et organisations économiques.

C’est un fait que dans une série d’entreprises et d’organisations économiques on a cessé depuis longtemps de compter, de calculer, de dresser des bilans justifiés des recettes et des dépenses. C’est un fait que dans une série d’entreprises et d’organisations économiques, les notions : «régime d’économie», «réduction des dépenses improductives», «rationalisation de la production», sont depuis longtemps passées de mode.

On escompte apparemment que la Banque d’État «délivrera quand même les sommes nécessaires». C’est un fait que depuis quelque temps le prix de revient monte dans toute une série d’entreprises. La tâche leur a été assignée d’abaisser le prix de revient de 10 % et plus ; or elles relèvent.

Et qu’est-ce que la baisse du prix de revient ? Vous savez que chaque pour-cent de la baisse du prix de revient signifie une accumulation à l’intérieur de l’industrie de 150 à 200 millions de roubles. Il est clair qu’élever le prix de revient dans ces conditions, c’est perdre, pour l’industrie et pour l’ensemble de l’économie nationale, des centaines de millions de roubles.

De tout cela il résulte qu’on ne peut plus s’en tirer avec la seule industrie légère, avec la seule accumulation fournie par le budget, avec les seuls revenus de l’agriculture.

L’industrie légère est une très riche source d’accumulation, et elle a maintenant toutes les chances de se développer plus encore ; mais cette source n’est pas sans limite.

L’agriculture est une source non moins riche d’accumulation, mais elle-même a besoin aujourd’hui, dans la période de sa reconstruction, d’une aide financière de l’État. En ce qui concerne les accumulations budgétaires, vous savez vous-mêmes qu’elles ne peuvent ni ne doivent être sans limite.

Dès lors, que reste-t-il ?

Reste l’industrie lourde. Il faut donc faire en sorte que l’industrie lourde, et avant tout sa branche construction mécanique, apporte également sa part au fonds d’accumulation.

Par conséquent, tout en renforçant et développant les vieilles sources d’accumulation, il est nécessaire de faire en sorte que l’industrie lourde, — et avant tout les constructions mécaniques, — apporte également sa part au fonds d’accumulation.

Là est l’issue.

Et que faut-il pour cela ? Supprimer l’incurie administrative, mobiliser les ressources intérieures de l’industrie, appliquer et affermir le principe du rendement commercial dans toutes nos entreprises, abaisser de façon systématique le prix de revient, intensifier l’accumulation intérieure dans toutes les industries, sans exception.

Telle est l’issue.

Ainsi donc, appliquer et affermir le principe du rendement commercial, intensifier l’accumulation à l’intérieur de l’industrie ;

telle est la tâche.

VII ­ TRAVAILLER SUR UN MODE NOUVEAU,
DIRIGER D’UNE MANIERE NOUVELLE

Telles sont, camarades, les nouvelles conditions du développement de notre industrie.

Ces nouvelles conditions ont ceci d’important qu’elles créent pour l’industrie une situation nouvelle, exigeant de nouveaux procédés de travail, de nouveaux procédés de direction.

Ainsi :

a) Il en résulte qu’on ne peut plus compter, comme autrefois, sur l’afflux spontané de la main d’œuvre. Pour assurer la main d’œuvre à l’industrie, il faut la recruter de façon organisée, il faut mécaniser le travail.

Croire qu’avec nos rythmes de travail et les échelles de notre production, l’on peut se passer de la mécanisation, c’est espérer pouvoir vider l’océan à l’aide d’une cuiller.

b) Il en résulte ensuite qu’on ne peut plus tolérer les fluctuations de la main d’œuvre dans l’industrie. Pour se débarrasser de ce mal, il faut organiser les salaires d’une manière nouvelle et rendre plus ou moins stable l’effectif des ouvriers dans les entreprises.

c) Il en résulte ensuite qu’on ne peut plus tolérer le défaut de responsabilité personnelle dans la production. Pour se débarrasser de ce mal, il faut organiser le travail d’une manière nouvelle, il faut disposer les forces de façon que chaque groupe d’ouvriers réponde de son travail, des mécanismes, des machines-outils, de la qualité du travail.

d) Il en résulte ensuite qu’il n’est plus possible de se contenter, comme autrefois, du minimum de vieux ingénieurs et techniciens que nous avons hérité de la Russie bourgeoise. Pour élever les actuels rythmes et échelles de la production, il faut faire en sorte que la classe ouvrière possède ses propres intellectuels techniciens de la production.

e) Il en résulte ensuite qu’on ne peut plus, comme autrefois, mettre dans le même sac tous les spécialistes, tous les ingénieurs et techniciens de la vieille école. Pour tenir compte de la situation changée, il faut modifier notre politique et faire preuve d’un maximum de sollicitude à l’égard des spécialistes, des ingénieurs et techniciens qui s’orientent nettement vers la classe ouvrière.

f) Il en résulte enfin qu’on ne peut plus, comme autrefois, s’en tirer avec les vieilles sources d’accumulation. Pour assurer le développement de l’industrie et de l’agriculture, il est nécessaire de mettre en œuvre de nouvelles sources d’accumulation, de supprimer l’incurie administrative, d’appliquer le principe du rendement commercial, de réduire les prix de revient et d’intensifier l’accumulation intérieure de l’industrie.

Telles sont les nouvelles conditions du développement de l’industrie, qui exigent de nouveaux procédés de travail, de nouveaux procédés de direction dans la construction de l’économie.

Que faut-il pour organiser la direction d’une manière nouvelle ?

Pour cela, il faut d’abord que nos dirigeants de l’industrie comprennent la nouvelle situation, étudient concrètement les nouvelles conditions du développement de l’industrie, et réorganisent leur travail conformément aux exigences de la nouvelle situation.

Pour cela, il faut ensuite que les cadres de notre industrie dirigent les entreprises non pas «en général», non pas «en l’air», mais concrètement, effectivement, qu’ils envisagent chaque question non pas simplement pour en bavarder, mais pour la traiter de façon rigoureusement pratique, qu’ils ne se bornent pas à une réponse purement protocolaire, à des généralités ou à des mots d’ordre abstraits, mais qu’ils pénètrent la technique du métier, qu’ils scrutent les détails de l’affaire, qu’ils scrutent les «petites choses», car c’est avec les «petites choses» que l’on édifie maintenant les grandes.

Pour cela, il faut ensuite que nos encombrants trusts actuels, qui groupent parfois de 100 à 200 entreprises, soient décentralisés sans délai et divisés en plusieurs trusts. Il est évident qu’un président de trust, qui a affaire à une centaine et plus d’usines ne peut les connaître à fond, connaître leurs possibilités, leur travail.

Il est évident que, ne connaissant pas les usines, il n’est pas en état de les diriger. Par conséquent, pour permettre aux présidents de trusts d’étudier, pour leur permettre de diriger véritablement les usines, il faut les décharger d’une partie de ces usines, il faut diviser les trusts, en constituer plusieurs et les rapprocher des entreprises.

Pour cela, il faut ensuite que nos trusts passent de la direction par collèges à la direction personnelle. Actuellement les choses vont ainsi : dans les collèges des trusts siègent de dix à quinze personnes qui rédigent des papiers, mènent la discussion.

On ne peut continuer à diriger ainsi, camarades. Il faut mettre fin à la «direction» paperassière et s’embrayer sur un travail réel, sérieux, bolchevik. Qu’à la tête du trust demeurent le président et quelques suppléants.

Cela suffira pleinement pour administrer le trust. Quant aux autres membres du collège, il vaudrait mieux les faire descendre dans les usines et les fabriques.

Ce serait autrement utile, et pour eux-mêmes et pour le travail.Pour cela il faut ensuite que les présidents des trusts et leurs suppléants fassent plus souvent le tour des usines, y restent plus longtemps à travailler, fassent plus ample connaissance avec les travailleurs de l’usine ; non seulement ils doivent instruire les travailleurs de la base, mais aussi s’instruire auprès d’eux.

Croire que l’on puisse maintenant diriger du fond d’un cabinet d’administration, en restant dans un bureau, loin des usines, c’est faire fausse route. Pour diriger les usines il faut se tenir plus souvent en contact avec le personnel des entreprises, il faut entretenir avec eux une liaison vivante.

Deux mots enfin de notre plan de production pour 1931. Autour du Parti gravitent des philistins qui assurent que notre programme de production est irréel, inexécutable. Ils font songer aux «très sages goujons» de Chtchédrine, qui sont toujours prêts à répandre autour d’eux «le vide de la sottise. »

Notre programme de production est-il réel ? Incontestablement. Il est réel, ne fût-ce que parce que nous avons toutes les conditions nécessaires à sa réalisation.

Il est réel, ne fût-ce que parce que son exécution dépend, aujourd’hui, exclusivement de nous-mêmes, de notre capacité et de notre désir d’utiliser les très riches possibilités dont nous disposons.

Sinon, comment expliquer que toute une série d’entreprises et d’industries aient déjà dépassé le plan ?

Il serait stupide de croire que le plan de production se réduisît à une énumération de chiffres et de tâches. En réalité, le plan de production, c’est l’activité vivante et pratique de millions d’hommes.

La réalité de notre plan de production, ce sont les millions de travailleurs qui créent la vie nouvelle. La réalité de notre programme, ce sont les hommes vivants, c’est vous et nous, notrevolonté de travail, notre empressement à travailler d’une manière nouvelle notre décision à exécuter le plan. Existe-t-elle chez nous, cette décision-là ?

Oui, elle existe. Par conséquent, notre programme de production peut et doit être réalisé. (Applaudissements prolongés.)

=>Oeuvres de Staline

Staline : Les fractions de droite dans le P. C. des États-Unis d’Amérique. Trois discours.

Discours prononcé à la Commission américaine du Présidium du CE. De l’I.C., le 6 mai 1929

On a prononcé ici pas mal de discours et la position politique des deux groupes du P.C. des Etats-Unis d’Amérique est suffisamment éclaircie. C’est pourquoi je ne m’arrêterai pas longuement sur la position politique des chefs de la majorité et de la minorité.

Je ne m’y arrêterai pas parce que, comme on a pu s’en persuader au cours des débats, les deux groupes commettent la même erreur fondamentale en exagérant le caractère spécifique du capitalisme américain. Vous n’ignorez pas que cette exagération est à la base de toutes les erreurs opportunistes, tant de celles de la majorité que de celles de la minorité.

Certes, on aurait tort de ne pas tenir compte des particularités spécifiques du capitalisme américain. Dans son activité, le Parti communiste doit s’en inspirer.

Mais on aurait plus tort encore de vouloir baser l’activité du Parti communiste sur ces particularités spécifiques, car tout parti communiste, y compris celui d’Amérique, doit baser son action sur les traits généraux du capitalisme, qui en substance sont les mêmes dans tous les pays, et non sur les traits spécifiques du capitalisme du pays donné.

C’est là que réside l’internationalisme des partis communistes. Les traits spécifiques ne sont que le complément des traits généraux.

L’erreur de ces deux groupes est d’outrer l’importance des traits spécifiques du capitalisme américain et d’oublier ainsi les traits fondamentaux du capitalisme américain, inhérents à tout le capitalisme mondial.

Aussi, y a-t-il incontestablement une part de vrai dans les accusations que les chefs de la majorité et de la minorité se lancent l’un à l’autre et qui tendent à s’attribuer mutuellement des éléments de déviation de droite.

On ne saurait nier que la réalité américaine offre un terrain propice au Parti communiste pour tomber dans l’erreur et pour s’exagérer la force et la solidité du capitalisme américain. C’est ce terrain, ce milieu qui poussent nos camarades américains, tant ceux de la majorité que ceux de la minorité, à des erreurs de l’espèce de la déviation de droite.

C’est ce milieu qui est la raison pour laquelle tantôt l’une, tantôt l’autre fraction du Parti communiste d’Amérique n’aperçoit pas, dans une mesure ou dans une autre, le réformisme en Amérique ; mésestime la radicalisation de la classe ouvrière et, en général, est enclin à regarder le capitalisme américain comme un phénomène en dehors et au-dessus du capitalisme mondial. C’est là l’origine de l’inconsistance de principes de l’une et de l’autre des fractions du P.C. D’Amérique.

Après ces observations générales, je passe aux questions politiques pratiques.

Quels sont les défauts essentiels des chefs de la majorité et de la minorité ?

D’abord en ce que — cela est surtout vrai pour les chefs de la majorité — dans leur action quotidienne ils s’inspirent des considérations de fraction, en abandonnant toute considération de principe, et qu’ils placent les intérêts de leur fraction au-dessus de ceux du Parti.

En second lieu en ce que, cela est encore plus vrai pour la fractiondes majoritaires, ils sont tellement contaminés par l’esprit de fraction

que, dans leurs rapports avec l’Internationale communiste, ils mettent non le principe de la confiance, mais une politique de diplomatie pourrie, «ne politique de jeu diplomatique.

Voici quelques exemples. Examinons le simple fait que voici : les chefs de la majorité aussi bien que ceux de la minorité spéculent sur les désaccords au sein du P.C. de l’Union soviétique. Vous n’ignorez pas que l’une et l’autre des fractions du Parti communiste d’Amérique font valoir à l’envi, en rivalisant d’ardeur, les divergences tant réelles qu’imaginaires dans le Parti communiste de l’Union soviétique.

Pourquoi ce sport ? Est-il utile au Parti communiste américain ?

Nullement. Elles le font pour procurer un avantage à leur fraction et pour porter préjudice à la fraction adverse. Foster et Bittelmann ne voient pas de mal à se proclamer « staliniens » pour illustrer ainsi leur attachement au P.C. de l’U.R.S.S. Mais c’est tout simplement inconvenant, chers camarades.

Ignorez-vous donc qu’il n’existe pas et qu’il ne doit pas exister de « staliniens »? Pourquoi la minorité se laisse-t-elle aller à cette inconvenance ?

Pour s’attaquer à la fraction majoritaire, à celle du camarade Lovestone, pour montrer que cette dernière est contre le P.C. de l’U.R.S.S. et, par suite, contre le noyau fondamental de l’I.C. Bien entendu, cela est faux et pas sérieux. Mais la minorité s’en lave les mains, son principal objectif étant de dénigrer, de vilipender la majorité dans l’intérêt de la minorité.

Voyons maintenant ce qu’il en est de la fraction Lovestone. Peut-être sa conduite est-elle plus convenable que celle de la minorité ? Malheureusement non.

Je dois constater à regret que sa conduite est bien plus inconvenante que celle de la minorité. Je vous en fais juges. La fraction Foster, pour prouver son attachement au P.C. de l’U.R.S.S., se proclame « stalinienne ». Lovestone croit que celaatteint la réputation de sa propre fraction.

Et pour ne pas être en reste avec les autres, la fraction Lovestone effectue brusquement un bond « vertigineux » et fait adopter au congrès du P.C. américain une résolution tendant à écarter Boukharine de l’I.C. Nous assistons ainsi à un jeu d’émulation : c’est à qui fera mieux. La lutte idéologique est ainsi remplacée par une spéculation sur les désaccords au sein du P.C. de l’Union soviétique, d’où la question des principes est entièrement exclue.

Voilà le résultat d’une politique qui met les intérêts de la fraction au-dessus de ceux du Parti.

Autre exemple : l’affaire Pepper. Vous connaissez tous plus ou moins l’histoire de cette affaire. L’I.C. demanda à deux reprises le rappel du camarade Pepper à Moscou. Le Comité central du P.C. américain en faisant acte de résistance, a transgressé une série de décisions du C.E. de l’I.C. concernant Pepper.

La majorité du P.C. américain témoigna ainsi son affinité avec Pepper dont les flottements opportunistes sont connus de tous. Enfin, une délégation du CE. De l’I.C. vient assister au congrès du Parti communiste d’Amérique et demande de nouveau, au nom du CE. De l’I.C. le rappel immédiat de Pepper.

La majorité, ayant à la tête Lovestone et Gitlow, résiste à nouveau à la décision du Comité exécutif de l’I.C. La fraction Foster utilise cette affaire contre la fraction Lovestone et affirme que la majorité du P.C. américain est contre l’I.C. La fraction Lovestone se rend compte enfin qu’elle peut perdre en prestige avec ce coup, en s’opposant à l’I.C.

Aussi, accomplit-elle encore un bond « vertigineux » et elle exclut du Parti le camarade Pepper, ce même Pepper que, hier encore, elle défendait contre l’I.C. Nous assistons donc de nouveau à un concours d’émulation. Comment se fait-il que la majorité ait fait résistance et se soit refusée à appliquer la décision de l’I.C. au sujet de Pepper. Ce n’était certes pas dans l’intérêt du Parti.Cela s’explique uniquement par les intérêts de fraction de majoritaires.

Comment se fait-il que la majorité a brusquement changé d’attitude et exclu du Parti Pepper ? Est-ce dans l’intérêt du Parti ? Non, bien entendu. Cela s’explique uniquement par les intérêts de la fraction Lovestone, qui ne voulait pas donner un atout de plus à sa rivale, la fraction adverse de Foster et Bittelmann. Les intérêts de fraction au-dessus de tout.

La fraction Foster, pour prouver son attachement au P.C. de l’U.R.S.S., se déclare « stalinienne ». Fort bien. Or, les lovestoniens vont plus loin et demandent l’exclusion de Boukharine de l’I.C. « Que la fraction Foster essaie de nous devancer ! Que l’on sache à Moscou que nous autres, Américains, savons bien jouer à la Bourse. »

La fraction Foster désire montrer son penchant pour l’I.C. et fait appliquer la décision de celle-ci sur le rappel de Pepper. Aussitôt après, la fraction Lovestone, pour ne pas être en reste, demande l’exclusion de Pepper du Parti. « Que les gens à Foster essayent donc de nous rattraper. Il faut que l’on sache à Moscou que nous autres Américains savons jouer à la Bourse ».

Tels sont les fruits du fractionnisme de la majorité et de la minorité.

Seulement, l’I.C. n’est pas une Bourse. Elle est le sanctuaire de la classe ouvrière. Voilà pourquoi on ne doit pas confondre l’I.C. avec la Bourse.

Ou bien nous sommes des léninistes, et nos rapports mutuels ainsi que les rapports des sections envers l’I.C. et inversement doivent être empreints de confiance réciproque, doivent être purs et transparents comme cristal, — et alors il ne doit pas y avoir dans nos rangs de jeu diplomatique pourri ; ou bien nous ne sommes pas des léninistes, — et alors nos rapports offrent un vaste champ à la diplomatie pourrie et à la lutte de fraction non idéologique. De deux choses l’une. Il faut choisir, camarades.

Pour vous montrer comment des mœurs communistes pures sont déformées et traînées dans la boue au cours des batailles de fraction, j’évoquerai, à titre d’exemple, mon entretien avec Foster et Lovestone. J’ai en vue l’entretien que j’eus avec ces camarades lors du VI e congrès.

A noter que, dans des lettres à des amis, Foster représente notre entretien comme je ne sais quoi de mystérieux dont on ne doit pas parler à haute voix. A noter également que, en dressant un réquisitoire contre Foster, Lovestone, invoque, à propos de cet entretien, une conversation qu’il eut avec moi et se vante de savoir, mieux que Foster, garder le secret, en affirmant que pour rien au monde il n’accepterait de divulguer le sujet de notre conversation.

D’où vient ce mystère et à qui doit-il profiter ? Qu’y a-t-il donc eu de mystérieux dans mon entretien avec Foster et Lovestone ? A entendre ces camarades, on pourrait croire, que je les ai entretenus de choses dont il est honteux de parler ici.

N’est-ce pas absurde ? A quoi bon jouer au mystère. Ne sait-on pas qu’à tout moment je suis prêt à répéter aux camarades le sujet de mon entretien avec Foster et Lovestone ? Que deviendra alors ce fameux mystère que Foster et Lovestone propagent ici avec tant de zèle ?

Savez-vous de quoi j’ai parlé à Foster ? Il se plaignait à moi de l’esprit de fraction et du manque de principes du groupe Lovestone.

Savez-vous ce que je lui répondis ? Je reconnus l’existence de ces péchés dans la fraction Lovestone, mais j’ajoutai aussitôt que la fraction Foster n’en était pas exempte non plus. Fort de notre entretien, Foster tire cette conclusion étrange que je sympathise avec la fraction minoritaire. Mais a-t-il des raisons de tirer cette conclusion ?

A-t-il des raisons de prétendre que je sympathise avec elle ? N’est-il pas évident que Foster prend ici ses propres désirs pour la réalité ?

Savez-vous ce que me dit Lovestone ? Il m’a dit que la fraction Foster et Bittelmann n’était bonne à rien. Savez-vous ce que je luirépondis ? Je lui dis que les deux fractions présentaient des défauts essentiels et lui conseillai de faire le nécessaire pour liquider cet esprit de fraction. C’est tout.

Qu’y a-t-il là de mystérieux dont on ne doive pas parler à haute voix ? N’est-il pas bizarre que les camarades de la majorité et de la minorité fassent mystère de ces faits simples et clairs ?

Mystère susceptible de provoquer le sourire de gens raisonnables. Il est évident que cette mystification n’aurait pu avoir lieu sans cette atmosphère de fraction qui empoisonne la vie du P.C. américain et entache les pures et simples mœurs communistes.

Voici, d’ailleurs, un autre fait. J’ai eu ces jours-ci un entretien avec Lovestone. A noter qu’au sujet de cet entretien Lovestone fait circuler des bruits ineptes qui entourent cet entretien d’une ombre de mystère. Quel penchant incompréhensible pour les « choses mystérieuses… »

Notre entretien de ces jours-ci roulait sur son rappel d’Amérique et sur la nécessité pour le Présidium du C.E. de l’I.C. de retirer cette décision.

Il se faisait fort de mettre en application la résolution éventuelle de l’I.C. à condition qu’elle ne soit pas dirigée contre les chefs de la majorité du P.C. américain ; il promettait d’être un soldat fidèle de l’I.C. et demandait qu’on le mît à l’épreuve en le chargeant d’une mission ; il assurait ne briguer dans le P.C. américain aucun poste élevé, n’ambitionner qu’une chose : être mis à l’épreuve pour pouvoir démontrer son attachement à l’I.C.

Je lui répondis que depuis trois ans déjà l’I.C. faisait des expériences pour éprouver sa fidélité, mais que ces expériences n’ont abouti à rien de positif.

Je répondis que le P.C. américain et l’I.C. avaient avantage à laisser Lovestone et Bittelmann pour un certain laps de temps à Moscou. Je répondis que cette façon d’agir de l’I.C. était le moyen le plus sûr de guérir le P.C. américain de l’esprit de fraction et de le sauver de la décomposition. Je lui répondis que tout en professant cette opinion j’acceptai de soumettre sa proposition aux camarades russes et de lui faire connaître l’avis de ces derniers à ce sujet.

Je crois que c’est bien clair. Or, Lovestone essaie de nouveau de faire un mystère de ces choses simples et claires, en répandant, au sujet de notre entretien, des bruits absurdes.

Il est évident que cette mystification n’aurait pas pu se produire et les faits simples se transformer en légendes mystérieuses si, dans le Parti communiste d’Amérique, on ne mettait les intérêts de fraction au-dessus de ceux du Parti, la diplomatie au-dessus des intérêts de l’I.C.

Pour liquider toutes ces anomalies et orienter le P.C. américain dans la voie léniniste, il faut, avant tout, en finir avec l’esprit de fraction dans ce parti.

Telle est la conclusion qui s’impose à la suite des faits ci-dessus exposés.

La solution ?

Foster nous en a signalé une. Il propose de remettre la direction à la minorité. Pourrait-on tomber d’accord sur cette proposition ? Il est évident que non. La délégation du CE. De l’I.C. a commis une faute, en ne se désolidarisant pas aussi nettement de la minorité qu’elle s’était désolidarisée de la majorité.

Il serait fâcheux que la commission du Présidium recommençât cette faute de la délégation du Comité exécutif de l’Internationale communiste. J’estime que dans son projet de résolution la commission du Présidium du Comité exécutif de l’Internationale communiste doit désapprouver aussi bien les erreurs de la majorité que celles de la minorité.

Et c’est justement pour cela qu’elle ne saurait proposer de transmettre la direction à la minorité. Par conséquent, la proposition Foster avec toutes les conséquences qui en découlent tombent d’elles-mêmes.

La délégation américaine a proposé une autre solution, diamétralement opposée à celle de Foster. La proposition de la délégation américaine comporte, on le sait, dix points. Le contenu de cette proposition se réduit en substance à réhabiliter intégralement les chefs de la majorité, à approuver le travail de fraction de la majorité, à faire rapporter la décision du Présidium du CE. De l’I.C.

sur le rappel de Lovestone et à ratifier ainsi l’étranglement de la minorité. Cette solution est-elle acceptable ? Non, évidemment. Ce serait non liquider l’esprit de fraction, mais l’ériger en principe.

Où donc chercher la solution ?

La voici :

1. Approuver dans ses grandes lignes l’activité et les propositions suggérées par la délégation du Comité exécutif de l’I.C., en en éliminant les articles se rapprochant des propositions Foster.

2. Envoyer au nom du C.E. de l’I.C. une lettre ouverte aux membres du P.C. américain exposant les erreurs des deux fractions du Parti et insistant sur la nécessité de liquider tout esprit de fraction.

3. Condamner l’activité des chefs majoritaires au congrès du P.C.

d’Amérique et, en particulier, dans le cas Pepper.

4. Liquider l’état de choses actuel dans le Parti communiste d’Amérique, où le travail positif, la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste, la question des salaires, de la journée de travail, de l’action syndicale, de la lutte contre le réformisme, de la lutte contre la déviation de droite, — où toutes ces questions restent dans l’ombre et sont remplacées par des questions mesquines de lutte entre la fraction de Lovestone et celle de Foster.

5. Rénover le Secrétariat du C.C. du P.C. américain, en y mettant des militants susceptibles de reconnaître, en dehors de la lutte des fractions, la lutte de la classe ouvrière contre la classe des capitalistes, capables de placer les intérêts du Parti et de son unité au-dessus de ceux des fractions et de leurs chefs.

6. Rappeler Lovestone et Bittelmann, en les mettant à la disposition de l’I.C., afin de faire comprendre aux militants du P.C. américain que l’I.C. prend sérieusement en mains la lutte contre les fractions.

Telle est, à mon avis, la bonne solution.Deux mots sur les tâches et la mission du P.C. américain. Je pense,

camarades, que le P.C. américain est un des rares partis communistes du monde chargés par l’histoire de tâches décisives du point de vue du mouvement révolutionnaire mondial. Vous connaissez tous la force et la puissance du capitalisme américain.

Bien des gens s’imaginent aujourd’hui que la crise générale du capitalisme mondial n’atteindra pas l’Amérique. Cette opinion est fausse, bien entendu. Cela est entièrement faux, camarades. La crise du capitalisme mondial se développe à une allure rapide et elle ne peut pas ne pas atteindre l’Amérique.

Les trois millions de chômeurs enregistrés à ce jour en Amérique sont le premier indice de la crise qui se prépare en Amérique.

L’exacerbation des antagonismes entre l’Amérique et l’Angleterre, la lutte pour les débouchés et les matières premières et, enfin, la croissance formidable des armements, — tels sont les symptômes qui, en second lieu, témoignent de l’approche d’une crise. Je crois que le jour n’est pas loin où la crise révolutionnaire éclatera en Amérique. Ce sera le commencement de la fin du capitalisme mondial.

Il faut que le P.C. américain soit préparé sous tous les rapports pour cette époque historique et puisse se mettre à la tête des batailles de classe futures en Amérique. Vous devez vous y préparer, camarades, de toutes vos forces et par tous les moyens. A cet effet, il faut améliorer et bolchéviser le Parti communiste d’Amérique.

A cet effet, il faut travailler à liquider tout esprit de fraction et toute déviation dans ce parti. A cet effet, il faut travailler au rétablissement de l’unité dans le P.C. américain. A cet effet, il faut forger des cadres de chefs prolétariens réellement révolutionnaires, capables de conduire les millions de travailleurs américains aux combats révolutionnaires de classe.

A cet effet, il faut abandonner toute considération personnelle et de fraction, mettre au premier plan l’éducation révolutionnaire de la classe ouvrière américaine.Voilà pourquoi, je pense que vous vous devez d’examiner avec tout le sérieux qu’elles comportent les propositions que vous soumet la commission du Présidium du C.E. de l’I.C., propositions tendant à assainir le P.C. américain, à y supprimer les fractions, à y réaliser l’unité, à raffermir le Parti et à le bolchéviser.

Premier discours prononcé au Présidium du Comité exécutif de l’Internationale communiste sur la question américaine, le 14 mai 1929

Nous sommes placés en ce moment devant un fait exceptionnel qui mérite de retenir notre très sérieuse attention. Il y a un mois déjà que la délégation américaine est arrivée à Moscou.

Depuis un mois nous étudions conjointement avec elle les questions brûlantes touchant le P.C. américain et recherchons les solutions propres à remédier à la situation. Chacun des membres de la délégation a eu la possibilité d’user de son droit de prendre la parole et de critiquer les camarades d’opinion adverse. Vous n’ignorez pas que ce droit a été utilisé par eux intégralement, sans que le moindre empêchement ait été apporté par le Comité exécutif de l’Internationale communiste.

Vous savez que Lovestone avait demandé que les camarades russes se prononcent obligatoirement. Vous n’ignorez pas que les camarades russes se sont déjà prononcés sur le fond de la question.

Par conséquent, la commission a rempli toutes les conditions nécessaires pour trouver une solution et mener les choses à bonne fin.

Mais au lieu de réfléchir sérieusement à la question et se décider à abandonner tout esprit de fraction, les membres de la délégation américaine nous offrent le spectacle d’une nouvelle explosion del’esprit de fraction et nous font assister à de nouvelles tentatives de saboter l’unité du Parti communiste d’Amérique. Il y a quelques jours, nous n’étions pas encore en possession du projet de résolution de l’Internationale communiste sur la question américaine.

Nous n’avions qu’une ébauche des grandes lignes de la résolution sur cette question, tendant à liquider les fractions. Et au lieu d’attendre la publication du projet de résolution, la délégation américaine, sans dire mot, le 9 mai, y est allée, d’une déclaration archifractionnelle et hostile au Parti.

Vous savez avec combien d’hostilité cette déclaration fut accueillie par les membres de la commission du Présidium du Comité exécutif de l’Internationale communiste. Vous savez aussi que la commission n’a pas laissé pierre sur pierre de cette déclaration. On était fondé à croire que la délégation américaine se raviserait et redresserait ses fautes.

Or, ce fut le contraire qui arriva. Dès que le projet de résolution de la commission parut et fut distribué à tous les membres du Présidium du CE. Et de la délégation américaine, celle-ci publia le 14 mai une nouvelle déclaration encore plus pénétrée d’esprit de fraction et plus opposée encore à la discipline du Parti que la déclaration du 9 mai.

Vous avez certainement connaissance de cette déclaration.

Le camarade Gitlov en a donné lecture pendant son discours. Le trait fondamental de cette déclaration est qu’elle proclame le principe de la non-soumission aux décisions du Présidium du C.E. de l’I.C.

Ce qui prouve que l’extrême esprit de fraction des chefs majoritaires les a poussés dans la voie de l’insoumission, par conséquent de la lutte contre l’I.C.

On ne saurait refuser aux camarades américains, comme du reste à tous les autres communistes, le droit absolu de ne pas être d’accord avec le projet de la commission, le droit de combattre ce projet. Ettant qu’ils se bornent à user de leur bon droit, il n’y a là et il ne peut y avoir rien de répréhensible. Par malheur, la déclaration du 14 mai ne s’arrête pas là.

Elle va plus loin et proclame que la lutte doit se poursuivre même après que le projet sera devenu résolution du Présidium du C.E. de l’I.C. C’est pourquoi nous croyons de notre devoir de poser carrément aux membres de la délégation américaine la question de savoir s’ils s’estiment tenus à se soumettre à cette résolution, à supposer que le projet devienne une décision obligatoire.

Nous avons débattu dans la commission pendant tout un mois, nous eûmes une série de discussions qui nous prirent énormément de temps, que nous aurions pu employer plus utilement.

A l’heure actuelle, la période des discussions étant close, nous sommes à la veille de l’adoption de la résolution qui sera obligatoire pour tous les membres de l’I.C.

Je demande : les membres de la délégation américaine en leur qualité de communistes et de léninistes, admettent-ils l’insoumission à la décision du Présidium du CE. De l’I.C. sur la question américaine ?

C’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui.

Permettez-moi maintenant d’aborder l’analyse de cette déclaration.

Cette déclaration datée du 14 mai est conçue d’une façon assez rusée. Je ne doute point qu’elle ne soit l’œuvre d’un juriste rompu aux subtilités de la procédure, d’un avocat retors. Jugez­en vous­ mêmes.

D’une part, la déclaration affirme la loyauté totale envers l’I.C., la fidélité indéfectible de ses signataires à l’I.C., non seulement dans le passé, mais aussi dans le présent et dans l’avenir. Tout cela est fort bien, à moins que ce ne soit une promesse en l’air.

D’autre part, la déclaration dit que ses auteurs ne sauraient assumer la responsabilité de la mise à exécution de la résolution du Présidium du C.E. de l’I.C. Voici textuellement ce passage de la déclaration :

Nous avons des raisons très solides de ne pas accepter ce nouveau projet de lettre et de ne pas assumer la responsabilité de la mise à exécution de cette lettre devant les masses du Parti, de désapprouver le préjudice imminent et irréparable que l’adoption de ce nouveau projet ne manquera pas de causer à notre parti.

Vous le voyez bien : d’une part, loyauté complète ; de l’autre, refus de mettre à exécution la décision de l’I.C. Et tout cela s’appelle de la fidélité à l’I.C.

Voilà de la vraie rouerie d’avocassier. En vérité, est-il croyable qu’un communiste, un véritable communiste proclame d’une part, sa loyauté envers l’I.C. et, de l’autre, refuse d’assumer la responsabilité de la mise à exécution des résolutions de l’I.C. ?

Est-ce là de la loyauté ? A quoi sert cette hypocrisie, ce tour de pharisien ? N’est-il pas évident que les grands mots sur la loyauté et la fidélité à l’I.C. n’ont été mis en œuvre par Lovestone que pour duper les « masses du Parti » ?

Cela fait penser, sans qu’on le veuille, à l’inoubliable Chamberlain qui, d’une part, s’affirme pour la paix, pour la réduction des armements, et, de l’autre, prend toutes les mesures pour que les armements et les préparatifs à la guerre se poursuivent activement.

Chamberlain a besoin du battage autour de la paix pour camoufler les préparatifs d’une nouvelle guerre. Lovestone a besoin de phrases grandiloquentes sur la loyauté et l’attachement à l’I.C., afin de pouvoir dissimuler la préparation de la lutte contre les décisions de l’I.C. Certes, Lovestone n’est pas Chamberlain. Il n’y a entre eux aucune analogie possible.

Mais le fait est que ses «manœuvres » font penser à celles de Chamberlain, et cela devrait lui servir d’avertissement.Mais la déclaration ne s’en tient pas là ! Passant de la défensive à l’offensive, elle proclame la nécessité de lutter contre les décisions du Présidium du CE. De l’I.C.; ces décisions étant soi-disant en opposition avec la ligne du VI e congrès de l’I.C.

Elle déclare nettement que ce projet de résolution, que ce projet de lettre ouverte de l’I.C., qui est approuvé unanimement au Présidium — que ce projet « contredit l’esprit et la lettre de la ligne du VI e congrès » de l’I.C.

La déclaration dit ouvertement que « ce projet apprécie le travail de notre parti [c’est-à–dire du Parti américain] et de sa direction d’une façon qui va à rencontre, dans d’importantes questions, de la ligne et des décisions du VI e congrès mondial ».

Je ne perdrai pas mon temps à démontrer que ces affirmations de la déclaration constituent une calomnie indigne et mesquine contre l’I.C. et ses organes exécutifs. Il ne vaut pas la peine non plus de s’arrêter à démontrer que ce sont justement les dirigeants actuels de la majorité du P.C. d’Amérique qui violaient et continuent de violer les résolutions fondamentales des congrès de l’I.C. et de ses organes exécutifs sur la liquidation des fractions dans le P.C. américain.

Le camarade Kuusinen a établi dans son discours de façon irréfutable que les deux fractions du P.C. américain, notamment celle de la majorité, violaient systématiquement les principales résolutions des congrès de l’I.C. sur la liquidation des fractions et le rétablissement de l’unité — cela à partir de 1925.

Il suffit de prendre connaissance des résolutions des congrès de l’I.C. pour se rendre compte que nous avons, en la personne des dirigeants actuels de la majorité, des violateurs incorrigibles de l’esprit et de la lettre des résolutions de l’I.C.

Quant au VI e congrès de l’I.C., il fait ressortir dans sa résolution sur le P.C. américain que « la tâche la plus importante qui se pose auParti est de mettre fin à la lutte des fractions, qui ne repose sur aucune divergence de principe plus ou moins sérieuse». Qu’a fait la fraction de Lovestone pour mettre en pratique cette décision du VI e congrès ?

Vous voyez bien vous-mêmes que, jusqu’à présent, elle n’a rien fait dans cet ordre d’idées. En revanche, elle s’est occupée et continue à s’occuper activement à transformer cette décision du VI e congrès en un chiffon de papier.

Tels sont les faits.

Or, si en dépit de tous ces faits, la déclaration n’en accuse pas moins le Présidium du C.E. de l’I.C. de transgresser « l’esprit et la lettre de la ligne du VI e congrès », c’est que les auteurs de la déclaration cherchent à opposer aux décisions du Présidium du C.E. de l’I.C. la ligne du VI e congrès, qu’ils violaient et continuent de violer. Mais pourquoi agissent-ils ainsi ?

Pour combattre les décisions du Présidium du C.E. de l’I.C. sous le couvert hypocrite du drapeau du VI e congrès. En agissant ainsi, les auteurs de la déclaration ont l’air de vouloir dire : Nous autres, fraction Lovestone, sommes pour le VIe congrès, seulement le projet de lettre ouverte émanant du Présidium du C.E. de l’I.C. est en contradiction avec la ligne du VI e congrès, c’est pourquoi nous avons le devoir de combattre et nous combattrons la décision du Présidium du CE.

Les auteurs de la déclaration s’imaginent sans doute que cette « manœuvre » hypocrite est un procédé nouveau dont nous ne parviendrons pas à déchiffrer le sens véritable. Ils se trompent.

L’histoire de l’I.C. enseigne que chaque fois que les camarades ont quitté l’Internationale, ils ont recouru toujours à des « manœuvres » semblables.

Au moment de sortir de l’Internationale communiste, Zinoviev inaugura son attaque en opposant la ligne de l’I.C. aux décisions de son Comité exécutif. Il s’est servi de cette manœuvre en vue de camoufler sa lutte contre le C.E. de l’I.C. par des propos sur la ligne de cette dernière. Il en fut de même pour Trotski qui, en abandonnant l’Internationale, avait inauguré sa campagne en opposant la ligne de l’I.C. aux décisions de l’Exécutif et de son Présidium. C’est là le chemin battu de l’opportunisme, vieux comme le monde. Il est fâcheux de constater que les auteurs de la déclaration s’étaient laissé glisser sur cette pente.

En opposant l’I.C. à son Comité exécutif, les auteurs de la déclaration poursuivent le même but qu’avaient poursuivi Zinoviev et Trotski : séparer le C.E. de l’I.C. de cette dernière. C’est d’un ridicule achevé !

Les auteurs de la déclaration oublient que ce ne sont pas eux, mais le Comité exécutif et son Présidium qui sont les seuls interprètes des décisions des congrès de l’I.C. Les auteurs de la déclaration sont dans l’erreur s’ils croient que les ouvriers américains croiront plus leurs commentaires que ceux du Présidium de l’Exécutif de l’I.C.

Telle est en substance la déclaration faite par la délégation américaine.

Cette déclaration est donc une plate­forme de lutte contre la ligne de l’I.C., au nom de flottements opportunistes, au nom de l’esprit de fraction que rien ne justifie, au nom de la violation de l’unité du P.C. américain.

Passons maintenant au projet de la commission.

Comment a été conçu le projet de la commission soumis actuellement au Présidium du Comité exécutif ?

Le projet s’inspire de la défense de la ligne de l’I.C. au sein du P.C. américain, de la bolchévisation du Parti américain, de la lutte contre les déviations de la ligne marxiste et, avant tout, contre la déviation de droite, de l’unité du parti léniniste, enfin et avant tout de la liquidation de tout esprit de fraction. Car il est temps, camarades, de comprendre que l’esprit de fraction est le fléau essentiel du P.C. Américain.

A travers le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, nous, bolcheviks, avons plus d’une fois mené une lutte de fraction contre l’opportunisme.

C’était à l’époque où les bolcheviks et les menchéviks se trouvaient dans le même parti, où les bolcheviks se voyaient dans l’obligation de se grouper en une fraction distincte afin de saper l’autorité des social-démocrates, d’organiser la scission contre la social-démocratie et de créer un parti communiste à eux. A ce moment, l’existence de fractions était utile et nécessaire.

Mais aujourd’hui, la situation est tout autre. La situation actuelle est radicalement changée. Aujourd’hui, nous possédons nos propres partis communistes monolithiques, sections de l’I.C.

Aujourd’hui, l’existence de fractions est nuisible et dangereuse, puisqu’elle affaiblit le communisme, réduit la force d’assaut du communisme contre le réformisme, mine la lutte du communisme contre le social-démocratisme, dans le mouvement ouvrier. C’est cette différence radicale entre le passé et le présent que ne comprennent pas, apparemment, nos camarades américains.

Quel mal causent les fractions dans les rangs du Parti communiste ? D’abord, elles affaiblissent le sentiment de discipline du Parti, émoussent l’esprit révolutionnaire, aveuglent les militants à tel point que dans leur emportement de fraction, ils placent forcément les intérêts de leur fraction au-dessus de ceux du Parti, au-dessus de ceux de l’I.C., au-dessus de ceux de la classe ouvrière. L’esprit de fraction a souvent pour résultat que les militants, aveuglés par la lutte des fractions, ont tendance à apprécier tous les faits, tous les événements de la vie du Parti non du point de vue des intérêts du Parti et de la classe ouvrière, mais de celui de leur clocher, de leur paroisse fractionnelle.

Lovestone et ses amis ne savaient-ils pas qu’il fallait se tenir à l’écartde Pepper, qu’il fallait s’en désolidariser pour ne pas se compromettre comme révolutionnaires ? Pourquoi ne s’en étaient-ils pas désolidarisés à temps, malgré les nombreux avertissements de l’I.C.?

Parce qu’ils agissaient avant tout comme hommes de fraction. Parce que dans la lutte des fractions, on fait cas de tout : on ramasse jusqu’aux menus éclats de bois, jusqu’aux bouts de corde ; un soldat même mauvais, un officier même sans valeur, tout est bon.

Parce que dans la lutte des fractions on peut utiliser même des hommes tels que Pepper. Parce que l’aveuglement engendré par l’esprit de fraction les a obligés à mettre les intérêts de leur fraction au-dessus de ceux du Parti.

Le camarade Foster ignoraitil donc qu’il fallait se tenir à l’écart des trotskistes cachés dans sa fraction ?

Pourquoi ne s’en est-il pas désolidarisé à temps, en dépit de multiples avertissements ? Parce qu’il agissait avant tout comme homme de fraction. Parce que, dans la lutte fractionnelle contre le groupe Lovestone il comptait utiliser jusqu’aux trotskistes cachés.

Parce que l’aveuglement fractionnel émousse dans les gens le sentiment de la discipline et les pousse à ne négliger aucun moyen. Bien entendu, une telle politique est néfaste et incompatible avec les intérêts du Parti. Mais les fractionnistes sont d’ordinaire enclins à oublier les intérêts du Parti pour ceux de leur clocher fractionnel.

En deuxième lieu, les fractions empêchent d’éduquer le Parti dans l’esprit d’une politique ferme, basée sur des principes déterminés.

Elles empêchent d’éduquer les cadres dans un esprit révolutionnaire honnête, prolétarien, intègre, exempt de diplomatie pourrie et de combinaisons louches autant qu’injustifiées. Le léninisme enseigne que seule une politique fondée sur des principes déterminés est rationnelle et digne d’être pratiquée. Les partisans des fractions s’imaginent, au contraire, que la diplomatie fractionnelle et lescombinaisons fractionnelles sans principes sont la seule politique acceptable.

C’est pourquoi l’atmosphère de la lutte fractionnelle produit non des hommes politiques ayant des principes fermes, mais des tripoteurs fractionnels adroits, d’habiles filous et des menchéviks sachant entortiller l’ « adversaire » et dissimuler leur franc jeu. Bien entendu, un tel travail « éducatif » des hommes de fraction est en contradiction avec les intérêts essentiels du Parti et de la classe ouvrière.

Mais les hommes de fraction n’en ont cure, ils ne connaissent que leur cuisine diplomatique fractionnelle, que leurs intérêts personnels.

Aussi, rien d’étonnant à ce que les militants à principes fermes et les révolutionnaires prolétariens honnêtes ne rallient pas les sympathies des hommes de fraction qui, par contre, accordent leur sympathie aux mystificateurs et rusés compères, aux individus sans principes habiles à machiner, dans les coulisses, des combinaisons et à former des blocs d’intérêts.

En troisième lieu, les fractions, en relâchant la volonté du Parti vers l’unité et en sapant la discipline de fer du Parti, créent un état de choses fractionnel spécifique où toute la vie intérieure du Parti se trouve découverte face aux ennemis de classe, tandis que le Parti lui-même risque de devenir un jouet entre les mains des agents de la bourgeoisie.

Voici comment cela se fait généralement. Supposons qu’une question est discutée au Bureau politique du Comité central.

Supposons ensuite qu’il y ait au Bureau politique une minorité et une majorité qui examinent de leur point de vue fractionnel chacune des questions à l’étude.

Lorsque dans le Parti règne l’esprit de fraction, les tripoteurs des deux fractions se mettent en devoir d’annoncer aussitôt à leur cercle la décision prise par le Bureau politique, essayant de préparer le cercle en leur faveur.

Cette façon d’annoncer se répète systématiquement, parce que chacun des fractions croit de son devoir de présenter les choses à sa façon, à son cercle, et de le tenir ainsi en état de mobilisation en vue des batailles à livrer contre la fraction adverse.

A la suite de quoi d’importantes décisions secrètes du Parti deviennent des secrets de polichinelle. C’est ainsi que les agents de la bourgeoisie ont facilement accès aux décisions confidentielles du Parti et peuvent plus facilement utiliser les données sur la vie intérieure du Parti contre le Parti.

Cet état de choses menace, il est vrai, d’apporter la démoralisation complète dans les rangs du Parti. Mais les hommes de fraction s’en soucient bien peu, mettant au-dessus de tout les intérêts de leur groupe.

Enfin, les fractions ont ceci de préjudiciable qu’elles coupent dans la racine tout travail positif dans le Parti, détournent les militants des tâches quotidiennes de la classe ouvrière (salaires, journée de travail, amélioration des conditions d’existence de la classe ouvrière, etc.), affaiblissant l’action du Parti en vue de préparer la classe ouvrière aux batailles de classe contre la bourgeoisie et créant ainsi un état de choses où l’autorité du Parti doit nécessairement diminuer aux yeux des travailleurs qui, au lieu d’entrer au Parti par groupes compacts, sont obligés d’abandonner ses rangs.

C’est ce qui se produit en ce moment dans le P.C. américain. Depuis quelque temps, les chefs des fractions de la majorité et de la minorité s’occupaient surtout d’intrigues mesquines, de futilités et de bagatelles de fraction ; ils s’occupaient à rédiger des plates-formes, grandes et petites ; à composer des amendements, grands et petits, par dizaines et centaines, à ces plates-formes.

On perd des semaines et des mois à chercher noise à un adversaire de fraction, à fouiller dans sa vie personnelle pour y trouver quelque fait compromettant, et au cas où l’on ne réussit pas à en trouver, à inventer quelque canard. Il est évident que dans cette atmosphère le travail positif s’en ressent, la vie du Parti doit baisser de niveau,l’autorité du Parti tomber, et les ouvriers, les meilleurs et les plus révolutionnaires d’entre eux, qui aspirent à l’action, abandonnent le Parti.

Telles sont en substance les conséquences néfastes des fractions dans les partis communistes.

C’est pourquoi la tâche la plus importante du P.C. américain est de liquider les fractions et de se guérir enfin de cette maladie.

Telle est l’idée qui a présidé à la composition du projet que la commission soumet à vos délibérations.

Quelques mots sur la manière fanfaronne des gens de la fraction Lovestone de parler ici au nom de tout le Parti communiste américain, de 99 % des membres de ce Parti. Ils ne prennent pas la parole à moins. On croirait, à les entendre, qu’ils les ont dans leur poche ces 99 % des membres du Parti. C’est là une mauvaise habitude, camarades de la délégation américaine.

Je vous rappelle que Zinoviev et Trotski, eux aussi, avaient fait miroiter des chiffres, des pourcentages, cherchant à faire croire à tout le monde qu’ils avaient obtenu ou, du moins, qu’ils obtiendraient 99 %, soit la majorité dans les rangs du P.C. de l’U.R.S.S. Vous savez à quoi a abouti cette vantardise de Trotski et de Zinoviev.

C’est pourquoi je ne vous conseillerai pas de jongler avec les pourcentages. Vous assurez que vous avez dans le Parti communiste d’Amérique une majorité certaine, que cette majorité vous est acquise, quelle que soit la situation.

C’est inexact, camarades de la délégation américaine, c’est entièrement inexact.

Vous aviez la majorité parce que, jusqu’à présent, le P.C. américain croyait avoir en vous des partisans fermes de l’I.C.

Et c’est précisément parce qu’il vous croyait fermement attachés à l’I.C. que vous aviez la majorité. Mais que diront les ouvriers américains lorsqu’ils auront appris que vous avez l’intention de briser l’unité des rangs de l’I.C. et que vous vous apprêtez à engager la lutte contre ses organes exécutifs ?

Croyez-vous que les ouvriers américains vous suivront contre l’I.C., qu’ils sacrifieront les intérêts de votre fraction à ceux de l’I.C.?

L’histoire de l’I.C. relate des cas où des chefs éminemment populaires et autrement compétents que vous se sont trouvés isolés dès qu’ils avaient arboré le drapeau de la lutte contre l’I.C. Comptez­ vous avoir plus de chance que ces chefs ? Piètre espoir que le vôtre.

En théorie, vous détenez encore la majorité. Mais demain il en ira tout autrement et vous serez absolument seuls si vous tentez de combattre les décisions du Présidium de l’Exécutif de l’I.C. Je vous le certifie.

On dit que Lovestone est un chef plein de talent, que c’est lui qui a fondé le Parti communiste d’Amérique. On dit que le P.C. américain ne saurait se passer de Lovestone ; que relever Lovestone de ses fonctions équivaudrait à détruire le parti américain. Ce n’est pas vrai.

Bien mieux : cette affirmation n’est pas sincère.

Ce serait un bien mauvais parti s’il ne pouvait se passer de tel ou tel de ses chefs. Le Parti communiste d’Amérique n’est pas aussi faible que certains se plaisent à le dire. En tout cas, il est bien plus fort qu’on ne le représente. Les partis se créent par la classe ouvrière et non par des chefs. Il serait ridicule de prétendre le contraire. En outre, Lovestone est loin d’être un chef de grande envergure. Certes, c’est un camarade capable et de talent.

Mais où applique-t-il ses capacités ? A des intrigues et des machinations fractionnelles. Lovestone est sans conteste un brasseur d’affaires habile et ingénieux dans sa fraction. On ne saurait lui refuser ce titre.

Seulement, il ne faut pas confondre : chef de fraction avec chef de parti. Ce sont deux choses absolument différentes. Il n’est pas donné à tout chef de fraction d’être chef de parti. Je doute fort que Lovestone, au stade actuel, puisse faire un chef de parti.Telle est la situation.

La solution ? Me demanderez-vous. A mon avis, elle consiste à adopter le projet de la commission, à rejeter la déclaration de la délégation américaine et à engager tous les membres du P.C.

américain à s’en tenir strictement et sans réserves aux décisions du Présidium. Ou les camarades américains se soumettront sans hésiter aux décisions du CE. De l’I.C. et les réaliseront activement, et ce sera un pas en avant sérieux vers la suppression des fractions, vers la paix dans le Parti ; ou ils s’en tiendront à leur déclaration et refuseront de se soumettre aux décisions de l’Exécutif de l’I.C.

Mais au lieu de la paix ce sera la guerre contre l’I.C., la guerre au sein du Parti communiste d’Amérique. Nous proposons la paix et l’unité. Si les camarades de la délégation américaine acceptent nos propositions, ce sera tant mieux, sinon tant pis pour eux. L’I.C. finira par l’emporter, quelles que soient les conditions, vous pouvez en être certains.

Enfin, deux mots encore sur les nouveaux procès de bolchévisation des sections de l’I.C., qui se produisent en ce moment.

Au cours d’un entretien qu’il eut avec moi ces jours-ci, Lovestone m’a dit qu’une phrase lui avait échappé sur la « tumeur cancéreuse » dans l’appareil de l’I.C. Il m’assurait que cette phrase lui avait échappé par hasard et ne reflétait nullement son attitude envers l’I.C.

Je lui répondis que s’il était vrai que cette phrase lui avait échappé accidentellement, il ne fallait pas s’y arrêter, encore qu’elle fût dans le fond absolument fausse et erronée. Cependant, quelque temps après cet entretien, j’ai pris connaissance du rapport de Lovestone au VI e congrès du Parti communiste d’Amérique, où il reprend la même phrase : « tumeur cancéreuse », mais, cette fois-ci non plus à propos de l’appareil de l’I.C., mais à propos du capitalisme mondial.

Ce qui prouve que la phrase « tumeur cancéreuse » n’est pas tout à fait accidentelle dans la bouche de Lovestone.« Tumeur cancéreuse » appliquée au capitalisme mondial doit signifier, je suppose : crise du capitalisme mondial, processus de décomposition.

Mais que doit vouloir dire dans la bouche de Lovestone cette phrase ? Apparemment, la même crise et la même décomposition existe dans l’appareil de l’I.C. Que pourrait-elle signifier d’autre ?

Qui pouvait obliger Lovestone à parler de « tumeur cancéreuse » ou de crise dans l’appareil de l’I.C.? Ce doit être, vraisemblablement, ce qui a obligé les droitiers dans le P.C. de l’U.R.S.S. à parler de la crise et de la décomposition de l’I.C.

En parlant de la décomposition de l’I.C. les droitiers allèguent d’habitude des faits tels que l’expulsion des droitiers du P.C.

allemand, la défaite de la droite dans le P.C. tchécoslovaque, l’isolement de la droite dans le P.C.F., la lutte pour l’isolement des fractionnistes incorrigibles dans le P.C. américain, etc.

Ces faits sont peut-être en réalité l’indice d’un mal sérieux dans l’I.C., indice de sa décomposition, indice d’une « tumeur cancéreuse » dans l’I.C. ?

Naturellement, non. Seuls les philistins et les petits bourgeois qui sont dans le Parti peuvent penser ainsi.

En réalité, c’est un processus bienfaisant qui épure les sections de l’I.C. des droitiers et des conciliateurs, un processus bienfaisant qui épure l’I.C. des éléments opportunistes et hésitants. Les partis se bolchévisent et se renforcent en se débarrassant des scories.

Tel est le sens des événements qui se sont déroulés ces derniers temps dans les partis allemand, tchécoslovaque, américain, français et autres. Les philistins du Parti prennent cela pour l’indice de la décomposition de l’I.C., parce qu’ils ne voient pas plus loin que leur nez. Les marxistes révolutionnaires savent que sans ce processus bienfaisant il est impossible de préparer le Parti et le prolétariat aux luttes de classe prochaines.

Certains pensent qu’il n’y a rien de changé dans la situation internationale pendant ces derniers temps, que tout est resté comme

auparavant. C’est faux. En réalité, nous avons une aggravation de la lutte de classe dans tous les pays capitalistes, un accroissement de la crise révolutionnaire en Europe, la maturation des conditions d’une nouvelle poussée révolutionnaire.

La grève générale de Lodz nous l’a signalé hier. Récemment, nous avons encore eu un signal à Berlin. Demain, de nouveaux signaux viendront de France, d’Angleterre, de Tchécoslovaquie, d’Amérique, de l’Inde et de la Chine. Bientôt le terrain commencera à brûler sous les pieds du capitalisme mondial.

Les tâches des partis communistes consistent à commencer dès maintenant à développer en grand les préparatifs, en vue des prochaines batailles de classe, à préparer la classe ouvrière et les masses exploitées à de nouveaux combats révolutionnaires.

Il importe de renforcer la lutte contre le réformisme et le social-démocratisme ; d’accentuer la lutte pour gagner au communisme les masses ouvrières ; de redoubler d’efforts pour forger des cadres réellement révolutionnaires et pour sélectionner des chefs véritablement révolutionnaires pour le Parti, des militants capables de livrer le combat et d’entraîner avec eux le prolétariat, des militants qui ne flancheront pas devant la tempête, ne manqueront pas de présence d’esprit et ne se laisseront pas aller à la panique, mais qui affronteront le péril.

Pour s’acquitter de ces tâches, il est nécessaire de s’occuper, dès à présent, sans perdre une minute, puisque le temps presse, à épurer les partis communistes des éléments de droite et des conciliateurs qui, objectivement, sont les agents de la social-démocratie au sein des partis communistes.

A cette besogne il convient de s’atteler séance tenante, et de la poursuivre à une allure accélérée, car, nous le répétons, le temps presse et nous ne devons pas nous laisser surprendre par les événements.

On aurait pu temporiser il y a un an ou deux, dans l’espoir que le processus de bolchévisation des partis communistes écarterait graduellement les éléments de droite et les éléments instables, les Brandler, les Thaelheimer, tous ces tripoteurs d’affaires de fraction, etc. On pouvait ne pas se presser, puisqu’il n’y avait pas danger de se mettre en retard.

Mais, aujourd’hui, la situation a changé. Aujourd’hui, agir lentement c’est arriver en retard ; or, arriver en retard c’est se laisser surprendre par la crise révolutionnaire qui s’approche. C’est pourquoi le processus d’épuration du Parti des éléments instables est un processus salutaire tendant à raffermir l’I.C. et ses sections.

Les philistins redoutent ce processus salutaire et, dans leur effroi, parlent de la décomposition de l’I.C.

Mais ils ne sont pas des philistins pour rien. Par contre, les révolutionnaires salueront toujours ce processus bienfaisant parce qu’il est dans le même temps, partie intégrante de la grande œuvre de préparation de la classe ouvrière aux batailles de classe futures, tâche fondamentale actuelle des partis communistes de tous les pays du monde.

Le projet de la commission a, entre autres, le mérite de faciliter au P.C. américain l’accomplissement de cette tâche essentielle.

Deuxième discours prononcé au Présidium du C.E. de l’I.C., le 14 mai 1929

Il me semble que certains délégués américains ne se rendent pas bien compte de la situation existant chez nous aujourd’hui à la suite de l’adoption du projet de la commission par le Présidium.

Les camarades ne se rendent pas visiblement compte qu’il y a une différence entre défendre ses convictions tant que la décision n’est pas adoptée et se soumettre à la volonté de l’I.C. quand la décision est prise.

On pouvait et il fallait critiquer et combattre le projet de la commission dans la mesure où les membres de la délégation le considéraient comme peu conforme.

Mais aujourd’hui que le projet de la commission est devenu la résolution du Présidium, les délégués américains devront trouver le courage de se soumettre à la volonté collective, à celle de l’I.C. et assumer la responsabilité de la mise à exécution de la décision de l’I.C.

Il faut savoir apprécier la fermeté et la persévérance avec lesquelles huit camarades sur les dix de la délégation américaine combattent le projet de la commission. Mais on ne saurait approuver ces huit camarades qui se refusent à se soumettre à l’organe suprême de l’Internationale communiste, au Présidium de son Comité exécutif, leurs opinions ayant essuyé ici une défaite complète.

Le vrai courage n’est pas de placer sa volonté individuelle au-dessus de celle de la collectivité, au-dessus de celle de l’I.C.

Le vrai courage consiste à trouver en soi assez de force pour lutter contre soi-même, pour triompher de soi-même et pour subordonner sa volonté à celle de la collectivité, à celle de l’instance suprême du Parti. Sinon il n’est point de collectivité qui tienne. Sinon il n’y a pas et il ne saurait y avoir de direction collective.

Je pense que vous n’allez pas refuser de rendre hommage aux bolcheviks russes pour leur courage, leur fermeté, leur âpreté à défendre leurs idées. Voyons comment agissait d’ordinaire tel ou tel groupe de bolcheviks russes, resté en minorité. Pour ne pas briser la discipline de fer du Parti, la minorité se soumettait d’habitude à la volonté de la majorité.

L’histoire de notre parti connaît des dizaines et des centaines d’exemples où une fraction de bolcheviks, persuadée que le C.C. du Parti bolchevik avait adopté une résolution fausse, affirmait, à la suite de discussions, d’ardents débats, d’une défense acharnée de ses idées, sa volonté de se soumettre aux décisions de l’organisme dirigeant suprême et de les réaliser.

Je pourrais vous citer, à titred’exemple, le cas de 1907, où une partie des bolcheviks était pour le boycottage de la Douma, alors que la majorité des bolcheviks se prononçaient pour la participation à la Douma : la minorité se soumit sans réserve à la volonté de la majorité.

Les bolcheviks russes auraient conduit à sa perte la cause de la révolution russe s’ils n’avaient su subordonner la volonté de quelques-uns des camarades à celle de la majorité, s’ils n’avaient pas su agir collectivement.

Voilà comment nous avons agi, nous autres, bolcheviks russes, qui avons renversé la bourgeoisie, établi le régime soviétique et sommes en train de saper les fondements de l’impérialisme mondial. Savoir agir collectivement, être résolu à subordonner la volonté des camarades isolés à celle de la collectivité, voilà ce que nous appelons le vrai courage bolchevik.

Car sans ce courage, sans la force de surmonter, si vous voulez, son amour-propre et de subordonner sa volonté à celle de la collectivité, sans ces qualités, il n’est ni collectivité, ni direction collective, ni communisme.

Cela est vrai non seulement pour certains partis et leurs Comités centraux, cela est surtout vrai pour l’I.C. et ses organes dirigeants qui unifient les partis communistes de tous les pays du monde.

Les camarades Gitlow et Lovestone ont déclaré ici avec aplomb que leur conscience et leurs convictions ne leur permettaient pas de se soumettre aux décisions du Présidium et de les mettre en application.

La même déclaration avait été faite ici par la camarade Bloor. Ils laissaient entendre que, n’étant pas d’accord avec la décision du Présidium, ils ne pouvaient se soumettre à cette décision et la mettre en pratique. Mais seuls des anarchistes, des individualistes peuvent raisonner ainsi.

Les bolcheviks, les léninistes ont le devoir de mettre la volonté collective au-dessus de leur volonté individuelle. Ils invoquent leurconscience et leurs convictions. Mais les membres du Présidium du CE. De l’I.C. ont aussi une conscience et des convictions. Comment faire lorsque la conscience et les convictions du Présidium de l’Exécutif de notre Internationale se heurtent à la conscience et aux convictions de certains membres de la délégation américaine ?

Comment agir lorsque la déclaration de la délégation américaine n’a recueilli au Présidium qu’une voix, celle du camarade Gitlow, et que les autres membres du Présidium se sont unanimement prononcés contre la déclaration de la délégation américaine et pour le projet de la commission ?

Croyez-vous donc, camarades de la délégation américaine, que la conscience et les convictions de Gitlow sont supérieures à la conscience et aux convictions de la majorité écrasante du Présidium de l’Exécutif de notre Internationale ?

Vous rendez-vous bien compte que si chacun de nous se mettait à agir à sa guise, sans tenir compte de la volonté collective, nous n’aurions jamais aucune décision, aucune volonté collective, aucune direction ?

Prenons, à titre d’exemple, une usine. Admettons que la plupart des ouvriers de cette usine manifestent le désir de faire la grève et que la minorité, se recommandant de ses convictions, se prononce contre la grève.

Une lutte d’opinions s’engage, des réunions sont convoquées, finalement l’immense majorité des ouvriers décide de déclarer la grève. Que diriez-vous de ces 10 ou 20 ouvriers de la minorité qui prétendraient ne pouvoir se soumettre à la décision de la majorité, n’étant pas d’accord avec cette décision ? Comment les auriez-vous taxés, ces ouvriers ?

Vous savez qu’à ces ouvriers on applique l’appellation de briseurs de grève. Il est évident que les grèves, les manifestations et les autres actions collectives de masse seraient absolument impossibles, si laminorité refusait de se soumettre à la majorité.

N’est-il pas évident que nous n’aurions jamais ni décision, ni volonté collective pas plus dans chacun des partis que dans l’Internationale si des individus isolés et, en général, la minorité ne se soumettait pas à la volonté de la majorité, à celle de l’organe suprême ?

Voilà la tournure que prennent les choses, camarades de la délégation américaine.

Enfin, deux mots sur les destinées du P.C. américain, en rapport avec l’adoption de la décision par le Présidium du Comité exécutif de l’Internationale. Les camarades de la délégation américaine présentent la situation sous des couleurs trop sombres. Ils prétendent qu’avec l’adoption du projet de la commission, le P.C. américain périra ou, tout au moins, se trouvera au bord du précipice. Ce n’est pas exact. Mieux : C’est entièrement risible.

Le Parti communiste d’Amérique vit et vivra en dépit des pronostics des camarades de la délégation américaine.

Bien mieux : Le P.C. américain grandira et prospérera, s’il réussit à éliminer de son milieu les fractions et l’esprit de fraction, et à rétablir une politique fondée sur des principes fermes. La résolution prise par le Présidium tire sa valeur précisément du fait qu’elle permet au Parti américain de liquider plus facilement la lutte de fraction sans principe, d’établir l’unité dans le Parti et de sortir enfin sur la grand’route du travail politique des masses.

Non, camarades, le P.C. américain ne périra pas. Il se développera dans la prospérité, à rencontre des ennemis de la classe ouvrière.

Seul un petit groupe fractionnel périra, s’il persiste dans son entêtement, s’il refuse de se soumettre à la volonté de l’Internationale, s’il persiste dans ses erreurs. Mais on ne saurait identifier le sort d’une petite fraction avec le sort du Parti communiste d’Amérique.

De ce qu’une fraction minime périra politiquement, il ne faut pas en déduire que le Parti communiste d’Amérique doit en faire autant.Laissons donc cette fraction infime périr, puisqu’elle est vouée à la perte, — pourvu que le Parti communiste d’Amérique grandisse, se développe et prospère. Vous envisagez les choses avec trop de pessimisme, chers camarades de la délégation américaine. Quant à moi, je suis plus optimiste.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Lénine et l’alliance avec le paysan moyen

Pravda, n° 152, 3 juillet 1928

Staline

(Réponse au camarade S.)

Camarade S.,

Il n’est pas juste de dire que le mot d’ordre de Lénine : « Aboutir à une entente avec le paysan moyen sans abandonner, l’espace d’une seconde, la lutte contre le koulak et en s’appuyant uniquement sur la paysannerie pauvre », — mot d’ordre formulé dans son article sur Pitirime Sorokine, — est un mot d’ordre de la « période des comités de paysans pauvres », celui de la « fin de la période dite de neutralisation de la paysannerie moyenne ».

C’est absolument faux. Les comités de paysans pauvres furent constitués en juin 1918. Fin octobre 1918, nos forces à la campagne prenaient déjà le dessus sur le koulak, et le paysan moyen s’orientait vers le pouvoir soviétique.

Ce tournant a motivé la décision du C.C. visant à abolir la division du pouvoir entre les Soviets et les comités de paysans pauvres, à renouveler l’effectif des Soviets cantonaux et communaux, à intégrer dans les Soviets nouvellement désignés les comités de paysans pauvres et, par suite, à liquider ces derniers.

Cette décision fut promulguée, comme on le sait, le 9 novembre 1918, au VIe congrès des Soviets. J’ai en vue la décision adoptée par le VI » congrès des Soviets le 9 novembbre 1918 sur la réélection des Soviets communaux et cantonaux et l’intégration des comités de paysans pauvres aux Soviets.Quand parut l’article de Lénine : « Les révélations précieuses de Pitirime Sorokine », où à la place du mot d’ordre de neutralisation du paysan moyen il préconise l’entente avec ce dernier ?

Le 21 novembre 1918, c’est-à-dire presque deux semaines après que fut adoptée la décision du VIe congrès des Soviets. Dans cet article, Lénine déclare nettement que la politique d’entente avec le paysan moyen s’impose du fait de l’orientation de ce dernier vers nous.

Voici ce que dit Lénine :

Notre tâche, à la campagne, est de renverser le propriétaire foncier, de briser la résistance du koulak, exploiteur et spéculateur. Pour cela, nous pouvons nous appuyer uniquement sur les semi­ prolétaires, sur la « paysannerie pauvre ».

Mais le paysan moyen ne nous est pas hostile. Il a été, est et restera hésitant : la tâche qui consiste à agir sur les hésitants n’est pas identique à celle visant à renverser l’exploiteur et à triompher de l’ennemi actif. Aboutir à un accord avec le paysan moyen sans abandonner, l’espace d’une seconde, la lutte contre le koulak et en s’appuyant uniquement sur la paysannerie pauvre, — voilà la tâche de l’heure, car c’est aujourd’hui précisément que, pour les raisons énoncées ci-dessus, la paysannerie moyenne ne va pas manquer de s’orienter vers nous. (Lénine, Œuvres complètes, t. XV, page 564.) Qu’est-ce à dire ?

Cela veut dire que le mot d’ordre de Lénine ne se rapporte pas à la vieille période, à celle des comités de paysans pauvres et de la neutralisation du paysan moyen, mais à une période nouvelle, période d’entente avec ce dernier. Il marque ainsi non la fin de l’ancienne période, mais le début de la période nouvelle.

Votre affirmation concernant le mot d’ordre de Lénine est fausse non seulement au point de vue formel, pour ainsi dire sous le rapportchronologique, mais aussi quant au fond.

On sait que le mot d’ordre de Lénine sur l’entente avec le paysani moyen a été proclamé, à titre de mot d’ordre nouveau, au VIIIe congrès de notre parti (mars 1919).

On sait que le VIIIe congrès du P.C. a jeté les bases de notre politique d’alliance solide avec le paysan moyen ; que notre programme, celui du P.C. de l’U.R.S.S., a été adopté également au VIIIe congrès du Parti ; que ce programme comporte des articles concernant l’attitude du Parti envers les différents groupes ruraux : paysans pauvres, moyens, koulaks.

Que lisons-nous dans ces articles du programme du P.C. de l’U.R.S.S. sur les groupements sociaux de la campagne et sur l’attitude du Parti à leur égard ?

Ecoutez :

Dans toute son activité rurale, le P.C. de l’U.R.S.S. s’appuie, comme par le passé, sur les forces prolétariennes et semi-prolétariennes de la campagne ; il les organise, avant tout, en une force indépendante ; il crée des cellules rurales du Parti, des organisations de paysans pauvres, des syndicats d’un type spécial de prolétaires et semi-prolétaires ruraux, etc. ; il les rapproche par tous les moyens du prolétariat urbain, les arrache à l’influence de la bourgeoisie campagnarde et des intérêts de la petite propriété.

A l’égard du koulak et de la bourgeoisie campagnarde, la politique du P.C. de l’U.R.S.S. consiste à lutter résolument contre leurs velléités d’exploitation, à briser la résistance qu’ils opposent à la politique soviétique.

Pour la paysannerie moyenne la politique du P.C. de l’U.R.S.S.

consiste à l’entraîner, graduellement et méthodiquement, à l’œuvre d’édification socialiste. Le Parti s’assigne pour tâche de la dissocier des koulaks, de la gagner aux côtés de la classe ouvrière par la sollicitude qu’il lui témoigne, en combattant son esprit retardataire au moyen d’une action idéologique et non par des mesures de contrainte ; en cherchant toujours, dès que ses intérêts vitaux se trouvent en jeu, à aboutir à des ententes pratiques avec elle ; en lui faisant des concessions lors de la détermination des moyens destinés à réaliser des transformations socialistes. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte-rendu sténographique.)

Essayez donc de trouver une différence, si petite soit-elle, ne fût-ce que verbale, entre ces points du programme et le mot d’ordre de Lénine. Vous la chercheriez en vain, celle-ci étant inexistante.

Bien mieux : il est hors de doute que le mot d’ordre de Lénine, loin de contredire les décisions du VIIIe congrès sur la paysannerie moyenne, constitue la formule la plus précise et la plus réussie de ces décisions.

Or, chacun sait que le programme du P.C. de l’U.R.S.S. fut adopté en mars 1919, au VIIIe congrès du Parti, qui a examiné tout spécialement la question de la paysannerie moyenne, tandis que l’article de Lénine contre Pitirime Sorokine, préconisant une entente avec le paysan moyen, avait paru en novembre 1918, quatre mois avant le VIIIe congrès du P.C.

N’est-il pas clair que le VIIIe congrès du P.C. a confirmé sans réserve le mot d’ordre de Lénine proclamé dans son article contre Pitirime Sorokine, comme un mot d’ordre dont le Parti doit s’inspirer dans son activité à la campagne pour toute la période actuelle de l’édification socialiste.

En quoi consiste la quintessence du mot d’ordre de Lénine ? En ce qu’il fixe de main de maître la triple tâche du P.C. à la campagne, tâche se traduisant par une seule formule lapidaire :

a)appuie-toi sur la paysannerie pauvre ;

b) organise l’entente avec le paysan moyen ;

c) poursuis sans discontinuer la lutte contre le koulak.

Essayez donc de retrancher de cette formule un des éléments qui la composent pour en former la base du travail à la campagne, à l’heure présente, sans tenir compte des autres éléments, et vous vous trouverez immanquablement acculé dans une impasse.

Est-il possible, dans les conditions actuelles de l’édification socialiste, d’organiser une entente effective et durable avec le paysan moyen, sans s’appuyer sur la paysannerie pauvre et sans mener la lutte contre le koulak ?

Non.

Est-il possible dans le cadre du développement actuel d’engager une lutte heureuse contre le koulak sans s’appuyer sur la paysannerie pauvre et sans aboutir à une entente avec le paysan moyen ? Non.

Comment mieux exprimer par un mot d’ordre général, cette triple tâche du Parti à la campagne ?

Je pense que le mot d’ordre de Lénine est l’expression la plus heureuse de cette tâche. Il faut avouer qu’on ne saurait mieux dire que ne l’a fait Lénine.

Pourquoi est-il nécessaire de souligner l’utilité du mot d’ordre de Lénine précisément à l’heure actuelle, dans les conditions présentes du travail à la campagne ?

C’est que, aujourd’hui précisément, on voit se manifester, parmi certains de nos camarades, une tendance qui consiste à mettre en pièces la triple tâche du Parti à la campagne et à en dissocier lesdifférents éléments.

Cet état de choses se trouve confirmé au travers de notre campagne de stockage des blés, en janvier-février dernier. Tous les bolcheviks se rendent compte qu’il est indispensable d’établir une entente avec le paysan moyen. Mais ce que d’aucuns semblent ignorer, c’est la façon dont il faut s’y prendre.

Les uns croient pouvoir établir une entente avec les paysans en abandonnant ou en affaiblissant la lutte contre le koulak, sous prétexte que celle-ci pourrait, voyez-vous, effaroucher une partie — la partie aisée — de la paysannerie moyenne.

D’autres croient pouvoir établir une entente avec la paysannerie moyenne en abandonnant le travail d’organisation de la paysannerie pauvre ou bien en en affaiblissant le rythme : l’organisation de la paysannerie pauvre, voyez-vous, pourrait aboutir à l’isolement de celle-ci, or l’isolement risque de nous aliéner les paysans moyens.

Toutes ces déviations de la juste ligne engendrent l’oubli de la thèse marxiste selon laquelle le paysan moyen est une classe hésitante, l’entente avec celle-ci ne peut être durable que si l’on engage une lutte à outrance contre le koulak, et si l’on accentue le travail parmi la paysannerie pauvre ; sinon, on risque de voir le paysan moyen pencher vers le koulak, en tant que force.

Rappelez-vous les paroles de Lénine dites au VIIIe congrès du P.C. : Il importe de déterminer notre attitude envers la classe gui n’occupe pas une position stable nettement définie. Le prolétariat, dans sa majeure partie, est pour le socialisme ; la bourgeoisie, dans sa majeure partie, est contre le socialisme : il est donc aisé de déterminer les rapports entre ces deux classes.

Mais lorsque nous passons à la paysannerie moyenne, il se trouve que celle-ci est une classe hésitante. Elle est en partie propriétaire,en partie travailleuse. Elle n’exploite pas les autres représentants des travailleurs.

Elle a eu, durant des décades, à livrer des efforts inouïs pour défendre sa situation, à subir l’exploitation des propriétaires fonciers et des capitalistes ; mais elle demeure propriétaire, malgré tout ce dont elle a eu à souffrir. Aussi, notre attitude à l’égard de cette classe hésitante offre-t-elle d’énormes difficultés. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte rendu sténographique, p. 300.)

Mais il est encore d’autres déviations de la juste ligne, non moins périlleuses que les précédentes. Souvent la lutte est livrée contre le koulak, d’une façon si maladroite et si inconsidérée que les coups viennent frapper le paysan moyen et pauvre.

Résultat : le koulak reste indemne, l’alliance avec le paysan, moyen se trouve endommagée et une partie de la paysannerie pauvre tombe provisoirement sous la coupe du koulak qui mène un travail de sape contre la politique soviétique.

Souvent des tentatives sont faites pour substituer à la lutte contre les koulaks la dépossession de ces derniers, et à l’approvisionnement en céréales — la réquisition, oubliant que la dépossession des koulaks, à l’heure présente, est chose absurde, et que la réquisition, loin d’être une alliance, revient à lutter contre le paysan moyen.

D’où proviennent ces déviations de la ligne du Parti ? Elles proviennent de l’incompréhension que la triple tâche du Parti à la campagne est une tâche unique et irréductible. De l’incompréhension du fait que l’on ne saurait dissocier la lutte contre les koulaks de l’entente avec le paysan moyen, et ces deux tâches prises ensemble — de la transformation de la paysannerie pauvre en appui du Parti à la campagne.

Il en résulte que les déviations de la ligne juste créent un doubledanger pour la cause de l’alliance entre ouvriers et paysans : le

danger émanant de ceux qui, mettons, entendent transformer les mesures extraordinaires provisoires en vue du stockage des céréales, en l’orientation permanente ou durable du Parti, et le danger émanant de ceux qui veulent utiliser la suppression des mesures extraordinaires pour donner libre cours au koulak, proclamer la liberté complète du commerce, sans que ce dernier soit régularisé par les organes de l’État.

Aussi est-il nécessaire, pour assurer une ligne juste, d’engager la lutte sur deux fronts.

Je saisis l’occasion pour marquer que notre presse ne se conforme pas toujours à cette règle ; elle pèche parfois par son esprit quelque peu unilatéral.

Il arrive, par exemple, que l’on dénonce ceux qui cherchent à transformer les mesures extraordinaires pour le stockage des blés, — mesures d’ordre provisoire, — en orientation permanente de notre politique, ce qui constitue une menace pour l’alliance entre la ville et la campagne.

Très bien.

Mais ce qui est mal et faux, c’est lorsqu’on ne critique pas assez et qu’on ne dénonce pas ceux qui menacent l’alliance par un autre côté ; ceux qui se livrent aux pratiques petites-bourgeoises, insistent pour que soit atténuée la lutte contre les éléments capitalistes de la campagne et instaurée la liberté complète du commerce, sans que l’État exerce sur ce dernier un rôle régulateur, — ce qui a pour effet de compromettre l’alliance, par un autre bout.

Voilà ce qui est mal. Voilà — pour l’esprit unilatéral.

Il arrive également que l’on dénonce ceux qui contestent, mettons, lapossibilité et l’utilité d’encourager les exploitations paysannes

individuelles, petites et moyennes, qui, au stade actuel, forment la base de l’économie rurale.

Cela est très bien, mais ce qui est mal et faux, c’est lorsque, parallèlement, on néglige de dénoncer ceux qui cherchent à infirmer l’importance des collectivités agricoles et des fermes d’État, ceux qui ne voient pas que le relèvement de la production paysanne, petite et moyenne, doit être complété pratiquement par la tâche consistant à développer l’édification des kolkhoz et sovkhoz. Une fois de plus — esprit unilatéral.

Pour assurer une juste ligne, il importe donc de livrer la lutte sur deux fronts et de se départir de tout esprit unilatéral.

Que faut-il entreprendre pour que toutes ces tâches ne se dissocient pas les unes des autres au travers de notre activité actuelle à la campagne ?

Il faut, pour le moins, préconiser un mot d’ordre directeur capable de grouper tous ces objectifs en une seule formule universelle, et d’empêcher, en conséquence, la séparation de ces tâches les unes d’avec les autres.

Existe-t-il dans notre arsenal du Parti une telle formule, un tel mot d’ordre ?

Oui, c’est le mot d’ordre de Lénine : « Aboutir à une entente avec le paysan moyen sans abandonner, l’espace d’une seconde, la lutte contre le koulak et en s’appuyant uniquement sur la paysannerie pauvre ».

Voilà pourquoi je pense que ce mot d’ordre est le plus utile et le plus universel ; qu’il importe de le mettre au tout premier plan précisément à l’heure actuelle, dans les conditions présentes de notre travail à la campagne.

Selon vous, le mot d’ordre de Lénine est un mot d’ordre « d’opposition », et vous demandez dans votre lettre : « Comment se fait-il que… ce mot d’ordre d’opposition ait été publié, pour le 1er mai 1928, par la Pravda…? Comment expliquer la présence de ce mot d’ordre dans les colonnes de la Pravda, organe du C.C. du P.C. de l’U.R.S.S.? N’est-ce pas là une faute d’impression ou bien est-ce un compromis avec l’opposition, sur la question du paysan moyen ? »

Vous n’y allez pas de main morte, camarade S. Mais vous feriez bien de procéder « en douceur », de peur, votre zèle aidant, d’être amené à conclure à la nécessité d’interdire la publication de notre programme qui confirme entièrement le mot d’ordre de Lénine (c’est indéniable !), programme élaboré en majeure partie par Lénine (qui ne saurait être taxé d’opposition !) et adopté par le VIIIe congrès du Parti (lui aussi n’en est pas, de l’opposition !).

Ayez donc plus de respect pour certains articles de notre programme sur les groupements sociaux, à la campagne ! Ayez donc un peu plus d’estime pour les décisions du VIIIe congrès du P.C. sur la paysannerie moyenne ! Quant à votre phrase au sujet du « compromis avec l’opposition dans la question du paysan moyen », je présume qu’elle ne vaut pas la peine qu’on s’y arrête : vous l’aurez prononcée sans y trop réfléchir.

Une chose paraît vous chiffonner, c’est que le mot d’ordre de Lénine et le programme du P.C. de l’U.R.S.S. adopté au VHP congrès comportent une entente avec le paysan moyen, cependant que, dans son discours, Lénine préconise une alliance solide avec la paysannerie moyenne.

Vous y percevez, apparemment, quelque chose comme une contradiction. Peut-être même seriez-vous enclin à supposer que la politique d’entente avec le paysan moyen implique pour ainsi dire un abandon de la politique d’alliance avec ce dernier. C’est faux,camarade S., c’est une grande aberration.

Voilà bien le cas des gens qui ne voient que la lettre du mot d’ordre, mais ne savent pas en percevoir la portée ; le cas des gens qui ne savent pas l’historique du mot d’ordre sur l’alliance, sur l’entente avec la paysannerie moyenne ; des gens capables d’imaginer que Lénine, qui a proclamé dans son discours d’ouverture au VIIIe congrès, l’ « union solide » avec le paysan moyen, se soit déjugé en déclarant, dans un autre discours prononcé à ces mêmes assises et dans le programme du P.C. adopté au VIIIe congrès, que ce qu’il nous faut actuellement, c’est une politique d’ « entente » avec la paysannerie moyenne.

Qu’est-ce à dire ?

Le fait est que Lénine et le P.C., par le truchement du VIIIe congrès, ne voient aucune différence entre le terme « entente » et celui d’ « alliance ». Partout, dans tous ses discours prononcés au VIII’ congrès, Lénine établit le signe d’égalité entre la notion « alliance » et celle d’ « entente ». On peut en dire autant de la résolution du VIII » congrès sur « L’attitude envers la paysannerie moyenne ».

Comme Lénine et le Parti ne tiennent pas la politique d’entente avec le paysan moyen pour une politique accidentelle et passagère, mais pour une politique durable, ils avaient et ils continuent d’avoir toutes les raisons de considérer la politique d’entente avec la paysannerie moyenne comme celle d’une alliance solide avec cette dernière et, vice-versa, la politique d’une alliance solide avec le paysan moyen- comme une politique d’entente avec ce dernier.

Il suffit de consulter le compte rendu sténographique du VIIIe congrès du P.C. et la résolution adoptée par ce même congrès sur la paysannerie moyenne, pour s’en convaincre.

Voici un passage du discours prononcé par Lénine au VIIIr congrès.

Il arrive souvent que, par l’inexpérience des fonctionnaires soviétiques, par le fait des difficultés en présence, les coups destinés au koulak s’abattent sur la paysannerie moyenne. Sur ce terrain, nous avons commis maintes erreurs.

L’expérience que nous avons recueillie en ce sens nous permettra de faire tout ce qui est nécessaire pour éviter nos errements à l’avenir.

C’est là une tâche qui se pose devant nous, non en théorie, mais en pratique. Vous vous rendez parfaitement compte que la tâche ne laisse pas d’être difficile.

Nous ne possédons pas les bienfaits nécessaires pour en pourvoir les paysans moyens ; or, ceux-ci sont des matérialistes, des praticiens ; ils exigent des bienfaits matériels concrets que nous ne sommes pas à même de leur fournir et dont le pays aura à se passer peut-être encore pendant de longs mois de lutte ardue, lutte qui, dès à présent, nous promet la victoire totale.

Mais nous pouvons prendre maintes dispositions en ce qui concerne notre pratique administrative ; améliorer notre appareil ; redresser toute une masse d’abus. Nous pouvons et devons corriger et redresser la ligne de notre parti qui ne s’oriente qu’insuffisamment vers l’alliance, vers l’entente avec la paysannerie moyenne. (VHP congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte rendu sténographique.) Ainsi, vous voyez que Lénine ne fait pas de différence entre l’« entente » et l’ « alliance ».

Nous reproduisons ci-après des passages tirés de la résolution du VIIIe congrès sur « L’attitude envers la paysannerie moyenne » : Confondre les paysans moyens avec les koulaks, étendre aux premiers, dans telle ou telle mesure, les dispositions dirigées contre ces derniers, reviendrait à enfreindre, de la façon la plus grossièrenon seulement tous les décrets du pouvoir des Soviets et toute sa politique, mais encore les principes fondamentaux du communisme, qui préconisent l’entente du prolétariat avec la paysannerie moyenne en période de lutte résolue livrée par le prolétariat en vue du renversement de la bourgeoisie, condition essentielle nécessaire pour passer sans encombre à la suppression de toute exploitation.

La paysannerie moyenne, qui a des racines économiques relativement fortes du fait de l’infériorité de la technique agricole par rapport à celle de l’industrie, même dans les pays.

Capitalistes avancés sans parler déjà de la Russie, se maintiendra un laps de temps assez prolongé après qu’aura éclaté la révolution prolétarienne. Aussi la tactique des fonctionnaires soviétiques à la campagne, comme celle des militants du P.C., doit-elle prévoir une période durable de collaboration avec la paysannerie moyenne…

…La politique parfaitement juste du pouvoir soviétique à la campagne assure, ainsi l’alliance et l’entente du prolétariat victorieux avec la paysannerie moyenne…

…La politique du gouvernement ouvrier-paysan et du P.C. doit continuer à s’inspirer du même esprit d’entente du prolétariat et de la paysannerie pauvre avec le paysan moyen. (VIIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. Compte rendu sténographique.)

Ainsi, vous voyez que la résolution ne fait pas non plus de différence entre les termes « entente » et « alliance ».

A noter que la résolution du VIIIe congrès ne contient pas un seul mot de l’ « alliance solide » avec le paysan moyen. Est-ce à dire qu’elle s’écarte, par cela même, de cette alliance ? Non, évidemment.

Gela veut dire seulement que la résolution établit le signe d’égalité entre le terme « entente », « collaboration » et le terme « alliance solide ».

Cela se conçoit du reste : il ne saurait y avoir d’ « alliance » avec le paysan moyen sans qu’il y ait « entente » avec lui ; l’alliance avec le paysan moyen ne saurait être « solide » sans qu’il y ait entente « durable » et collaboration avec lui. Voilà les faits.

De deux choses l’une : ou bien Lénine et le VIIIe congrès du P.C. ont abandonné la déclaration léniniste concernant l’ « alliance solide » avec la paysannerie moyenne, ou bien il faut reconnaître que Lénine et le VIIIe congrès du Parti communiste ne font aucune différence entre le terme « entente » et le terme « alliance solide ».

Quiconque ne veut pas être la victime d’un inutile ergotage ; quiconque tient à pénétrer le sens du mot d’ordre léniniste préconisant l’appui sur la paysannerie pauvre, l’entente avec le paysan moyen et la lutte contre le koulak, — ne peut pas ne pas comprendre que la politique d’entente avec la paysannerie moyenne est en même temps une politique d’alliance solide avec cette dernière.

Votre erreur consiste en ce que vous n’avez pas compris le subterfuge malhonnête de l’opposition et êtes tombé dans le piège que vous tendait votre adversaire. Les filous de l’opposition se multiplient en protestations pour faire croire qu’ils sont pour le mot d’ordre de Lénine sur l’entente avec la paysannerie moyenne ; ce faisant, ils lancent une allusion provocatrice comme quoi l’ «entente » avec le paysan moyen est une chose, et l’ « alliance solide » en est une autre.

C’est ainsi qu’ils courent deux lièvres à la fois : d’abord, camoufler leur véritable position à l’égard de la paysannerie moyenne, position qui implique non point l’entente avec cette dernière, mais le « désaccord » (Voir le discours bien connu du membre de l’opposition, Smirnov, que j’ai cité à la XVIe conférence du P.C. de Moscou) ; ensuite, faire mordre à l’hameçon d’une différence spécieuse entre les termes « entente » et « alliance » les naïfs parmi les bolcheviks, les embrouiller à fond et les écarter de Lénine.

Comment réagissent à cela certains de nos camarades ? Au lieu d’arracher le masque des opposants, au lieu de les convaincre de mensonge, à l’égard du P.C., au sujet de leur position authentique, au lieu de cela ils mordent à l’hameçon, se laissent prendre au piège et écarter de Lénine.

L’opposition fait du bruit autour du mot d’ordre de Lénine ; les membres de celle-ci s’essaient au rôle de partisans du mot d’ordre léniniste : aussi, devons-nous nous désolidariser de ce mot d’ordre de peur d’être confondus avec l’opposition, de nous voir accuser de « composer avec l’opposition… ».

Voilà la logique de ces camarades. Et ce n’est pas là un exemple unique de la filouterie de l’opposition.

Prenez, par exemple, le mot d’ordre d’autocritique. Les bolcheviks ne peuvent pas ne pas savoir que le mot d’ordre d’autocritique est la base de l’activité de notre parti, le moyen de fortifier la dictature prolétarienne, le fond de la méthode bolchevik de formation de cadres.

L’opposition fait du battage pour faire croire que le mot d’ordre d’autocritique a été inventé par elle ; que le P.C. lui a emprunté ce mot d’ordre et capitulé ainsi devant l’opposition.

Ce faisant, l’opposition veut aboutir pour le moins à deux choses : en premier lieu, cacher à la classe ouvrière l’abîme qui existe entre l’autocritique de l’opposition ayant pour but de détruire la discipline du Parti, et l’autocritique bolchevik qui s’assigne pour tâche de renforcer cette discipline ; en second lieu, faire mordre à l’hameçon les naïfs et les obliger à se désolidariser du mot d’ordre lancé par le Parti en fait d’autocritique.

Comment réagissent certains camarades ? Au lieu d’arracher le masque des filous de l’opposition et de défendre l’autocritique bolchevik, ils se laissent prendre au piège, s’écartent du mot d’ordre d’autocritique, marchent sous la houlette de l’opposition et… capitulent devant elle, pensant à tort qu’ils se désolidarisent ainsi de l’opposition. On pourrait multiplier ces exemples à l’infini.

Or, dans notre travail, nous ne pouvons marcher sous la houlette de qui que ce soit. Nous ne pouvons d’autant plus nous inspirer dans notre activité de ce que disent à notre sujet les hommes de l’opposition. Nous devons suivre notre chemin, en déjouant les savantes manœuvres de l’opposition et en venant à bout des erreurs de certains de nos bolcheviks qui se laissent prendre à la provocation des opposants.

Souvenez-vous de ce qu’a dit Marx : « Suivez votre chemin, et laissez dire. »

Avec mes salutations communistes, le 12 juin 1928, J. Staline

=>Oeuvres de Staline

Staline : Le bilan du premier plan quinquennal

LE BILAN DU PREMIER PLAN QUINQUENNAL RAPPORT PRÉSENTÉ A L’ASSEMBLÉE PLÉNIÉRE COMMUNE DU COMITÉ CENTRAL ET DE LA COMMISSION CENTRALE DE CONTROLE DU PARTI COMMUNISTE (BOLCHEVIK) DE L’U.R.S.S.

LE 7 JANVIER 1933

I ­ LA PORTEE INTERNATIONALE DU PLAN QUINQUENNAL

Camarades, lorsque le plan quinquennal fit son apparition, les gens ne supposaient guère qu’il pût avoir une portée internationale considérable.

Au contraire, nombreux étaient ceux qui croyaient que le plan quinquennal était une affaire privée de l’Union soviétique, une affaire importante et sérieuse, mais néanmoins une affaire privée, une affaire nationale, de l’Union soviétique.

L’histoire a montré, cependant, que la portée internationale du plan quinquennal était immense. L’histoire a montré que le plan quinquennal n’était pas une affaire privée de l’Union soviétique, mais l’affaire du prolétariat international tout entier.

Déjà bien avant l’apparition du plan quinquennal, à l’époque où nous achevions la lutte contre les interventionnistes et où nous nous engagions dans la voie de l’édification économique, déjà à cette époque Lénine disait que notre édification économique avait une immense portée internationale ; que chaque pas en avant accompli par le pouvoir des Soviets sur le chemin de l’édification économique trouvait un écho profond dans les couches les plus diverses des pays capitalistes, et scindait les hommes en deux camps : celui des partisans de la révolution prolétarienne et celui de ses adversaires.

Lénine disait alors :

Actuellement, c’est par notre politique économique que nous exerçons notre principale action sur la révolution internationale. Tous regardent la République des Soviets de Russie, tous les travailleurs, dans tous les pays du monde, sans aucune exception et sans aucune exagération. C’est là un point acquis. Sur ce terrain, la lutte se développe à l’échelle mondiale. Si nous résolvons ce problème, nous aurons partie gagnée à l’échelle internationale, à coup sûr et définitivement.

Aussi les problèmes de l’édification économique acquièrent-ils pour nous une importance tout à fait exceptionnelle. Sur ce front nous devons remporter la victoire par une progression lente, graduelle, — une progression rapide est impossible, — mais continue et ascendante, (t. XXVI, pp. 410-411, éd. Russe.)

Cela fut dit à l’époque où nous terminions la guerre contre les interventionnistes, où nous passions de la lutte armée contre le capitalisme à la lutte sur le front économique, à la période de construction économique.

Bien des années se sont écoulées depuis et chaque pas fait par le pouvoir des Soviets dans le domaine de la construction économique,chaque année, chaque trimestre ont brillamment confirmé la justesse de ces paroles du camarade Lénine.

Mais la confirmation la plus brillante de la justesse des paroles de Lénine a été fournie par le plan quinquennal de notre œuvre de construction, par l’apparition de ce plan, son développement, sa réalisation.

Il semble bien, en effet, qu’aucune mesure touchant la construction économique de notre pays, n’ait trouvé dans les couches les plus diverses des pays capitalistes d’Europe, d’Amérique et d’Asie, une répercussion analogue à celle du plan quinquennal, de son développement, de sa réalisation.

Dans les premiers temps, la bourgeoisie et sa presse avaient accueilli le plan quinquennal par la raillerie. «Fantaisie», «délire», «utopie», c’est ainsi qu’elles baptisèrent alors notre plan quinquennal.

Puis, lorsqu’il apparut que l’application de ce plan donnait des résultats réels, elles sonnèrent le tocsin en prétendant que le plan quinquennal menaçait l’existence des pays capitalistes, que sa réalisation aboutirait à inonder les marchés européens de marchandises, à renforcer le dumping et à aggraver le chômage.

Ensuite, ce stratagème utilisé contre le pouvoir des Soviets n’ayant pas donné lui non plus les résultats qu’on en attendait, on vit s’ouvrir une série de voyages en U.R.S.S. de différents représentants de toutes sortes de firmes, d’organes de presse, de sociétés de tous genres, etc., venus pour voir de leurs propres yeux ce qui, à proprement parler, se passait en U.R.S.S.

Je ne parle pas ici des délégations ouvrières qui, dès l’apparition du plan quinquennal, exprimèrent leur admiration pour les initiatives et les succès du pouvoir des Soviets, et manifestèrent leur empressement à soutenir la classe ouvrière de l’U.R.S.S.

Dès lors, la division commença dans ce qu’on appelle l’opinion publique, dans la presse bourgeoise, dans les sociétés bourgeoises de tous genres, etc.

Les uns affirmaient que le plan quinquennal avait fait complètement faillite et que les bolcheviks étaient tout près de leur perte. Les autres, au contraire, assuraient que les bolcheviks avaient beau être de mauvaises gens, le plan quinquennal leur réussissait néanmoins, et qu’ils arriveraient probablement à leurs fins.

Il ne sera peut-être pas superflu de citer quelques appréciations empruntées à divers organes de la presse bourgeoise.

Prenons, par exemple, le journal américain New-York Times. Fin novembre 1932, il écrivait :

Le plan quinquennal de l’industrie, qui s’était assigné pour but de lancer un défi au sentiment des proportions et qui poursuivait son but «sans regarder à la dépense», comme Moscou s’en est vantée souvent, avec fierté, n’est pas un plan en réalité. C’est une spéculation.

Il s’ensuit que le plan quinquennal n’est même pas un plan, mais une vaine spéculation. Et voici l’appréciation émise par le journal bourgeois anglais The Daily Telegraph, fin novembre 1932 : Si l’on considère le plan comme une pierre de touche de l’«économie planifiée», nous devons dire qu’il a fait complètement faillite.

Appréciation donnée par le New-York Times, en novembre 1932 : La collectivisation a honteusement échoué. Elle a amené la Russie au bord de la famine.Appréciation donnée pendant l’été de 1932 par la Gazeta Polska, journal bourgeois polonais :

La situation semble montrer que le gouvernement des Soviets, avec sa politique de collectivisation des campagnes, s’est engagé dans une impasse.

Appréciation donnée par le Financial Times, journal bourgeois anglais, en novembre 1932 :

En conséquence de leur politique, Staline et son parti se trouvent placés devant l’effondrement du système préconisé par le plan quinquennal, et devant l’échec de toutes les tâches qu’il était appelé à réaliser.

Appréciation de la revue italienne Politica :

Il serait absurde de croire que quatre années de travail fourni par un peuple comptant 160 millions d’habitants, quatre années d’effort économique et politique surhumain de la part d’un régime aussi fort que l’est le régime bolchevik, n’aient rien créé. Au contraire, ils ont beaucoup créé… Et néanmoins, la catastrophe est là, c’est un fait évident pour tout le monde.

Amis et ennemis, bolcheviks et antibolchéviks,

oppositionnels de droite et de gauche, tous s’en sont convaincus.

Enfin l’appréciation donnée par la revue bourgeoise américaine Curent History :

Ainsi l’examen de l’état actuel des choses, en Russie, conduit à la conclusion que le programme de cinq ans s’est effondré en ce qui concerne les buts annoncés, et encore davantage en ce qui concerne ses principes sociaux essentiels.

Telles sont les appréciations d’une partie de la presse bourgeoise.Il ne vaut guère la peine de critiquer les auteurs de ces jugements. Je pense que cela n’en vaut pas la peine.

Cela n’en vaut pas la peine parce que ces «die-hards» appartiennent à la race des fossiles moyenâgeux, pour qui les faits n’ont pas d’importance et qui, quelle que soit la façon dont se réalise notre plan quinquennal, continueront quand même à ressasser leur antienne.

Passons aux appréciations d’autres organes de presse, émanant du même camp bourgeois.

Voici l’appréciation donnée en janvier 1932 par le journal bourgeois français bien connu, le Temps :

L’Union soviétique a gagné la première manche en s’industrialisant, sans apport de capital étranger.

Appréciation du même Temps, donnée en été 1932 : … le communisme aura franchi d’un bond l’étape constructive qu’en régime capitaliste il faut parcourir à pas lents… Ce qui nous gêne, en France particulièrement, où la propriété s’est divisée à l’infini, c’est l’impossibilité où nous sommes de mécaniser l’agriculture… En industrialisant leur agriculture, les Soviets résolvent le problème… Pratiquement, les bolchévistes ont gagné la partie contre nous.

Appréciation de la revue bourgeoise anglaise Round Table : Les réalisations du plan quinquennal sont un phénomène surprenant.

Les usines de tracteurs de Kharkov et de Stalingrad, l’usine d’automobiles Amo à Moscou, l’usine d’automobiles de Nijni-Novgorod, la centrale hydroélectrique du Dniepr, les aciéries grandioses de Magnitogorsk et de Kouznetsk, tout un réseau d’usines de constructions mécaniques et de produits chimiques dans l’Oural, lequeldevient une Ruhr soviétique, toutes ces réalisations industrielles et tant d’autres dans le pays entier témoignent que, quelles que soient les difficultés, l’industrie soviétique, telle une plante bien arrosée, croît et se fortifie…

Le plan quinquennal a jeté les bases du développement futur et a considérablement renforcé la puissance de l’U.R.S.S.

Appréciation du journal bourgeois anglais Financial Times : Les succès obtenus dans l’industrie des constructions mécaniques ne peuvent faire aucun doute. L’exaltation de ces succès dans la presse et dans les discours n’est nullement dépourvue de fondement. Il ne faut pas oublier qu’autrefois la Russie ne produisait que les machines et les outils les plus simples.

Il est vrai que maintenant encore les chiffres absolus de l’importation des machines et instruments sont en progression ; mais la proportion des machines importées, en comparaison de celles fabriquées en U.R.S.S., est en baisse constante. L’U.R.S.S. fabrique actuellement tout l’outillage nécessaire à son industrie métallurgique et électrique. Elle a su créer sa propre industrie automobile.

Elle a créé la production des outils et instruments dans toute leur gamme, depuis les plus petits instruments de haute précision jusqu’aux presses les plus lourdes. En ce qui concerne les machines agricoles, l’U.R.S.S. ne dépend plus des importations de l’étranger.

D’autre part, le gouvernement soviétique prend des mesures pour que les retards dans la production du charbon et du fer n’empêchent pas la réalisation du plan quinquennal en quatre ans. Il est hors de doute que les immenses usines nouvellement construites garantissent un accroissement considérable de la production de l’industrie lourde.

Appréciation donnée au début de 1932 par le journal bourgeois autrichien Neue Freie Presse :On peut maudire le bolchévisme, mais il faut le connaître. Le plan quinquennal est un nouveau colosse, dont il importe de tenir compte, pour le moins au point de vue économique.

Appréciation donnée en octobre 1932 par le capitaliste anglais Gibson Jarvie, président de la Banque United Dominion : Je tiens à déclarer que je ne suis ni communiste, ni bolchevik, je suis sans nul doute un capitaliste et un individualiste… La Russie progresse au moment où beaucoup trop de nos usines sont inactives et où près de trois millions d’individus de notre pays cherchent désespérément du travail. On a raillé le plan quinquennal et on en a prédit la faillite. Mais soyez certains qu’on a fait plus que le plan quinquennal s’était proposé de faire…

Dans toutes les villes industrielles que j’ai visitées, j’ai vu bâtir, d’après un plan déterminé, de nouveaux quartiers avec de larges rues plantées d’arbres et dotées de squares, avec des maisons du type le plus moderne, avec des écoles, des hôpitaux, des clubs ouvriers et les inévitables pouponnières et jardins d’enfants, où l’on prend soin des bébés des mères-ouvrières…

N’essayez pas de sous-estimer les Russes et leurs plans, et ne commettez pas la faute d’espérer que le gouvernement soviétique puisse s’effondrer… La Russie d’aujourd’hui est un pays doué d’une âme et d’un idéal.

La Russie est un pays d’une activité étonnante. J’ai la conviction que les aspirations de la Russie sont saines… Le plus important, c’est peut-être que toute la jeunesse et les ouvriers de la Russie ont une chose qui, malheureusement, fait aujourd’hui défaut dans les pays capitalistes, à savoir l’espérance.

Appréciation donnée en novembre 1932 par la revue bourgeoise américaine The Nation :

Les quatre années du plan quinquennal ont apporté de»réalisations vraiment remarquables. L’Union soviétique s’est consacrée avec une activité intense, propre au temps de guerre, à l’édification des bases d’une vie nouvelle. La physionomie du pays change littéralement au point qu’il devient impossible de la reconnaître…

Cela est vrai pour Moscou, avec ses centaines de squares et rues nouvellement asphaltées, avec ses nouveaux édifices, avec ses nouveaux faubourgs et sa ceinture de nouvelles fabriques suburbaines. Cela est également vrai pour les villes de moindre importance.

De nouvelles cités ont surgi dans les steppes et dans les déserts, non pas quelques villes isolées, mais au moins cinquante villes avec une population de cinquante à deux cent cinquante mille habitants. Elles ont toutes surgi, dans les quatre dernières années, autour des nouvelles entreprises construites pour la mise en valeur des ressources naturelles de la région.

Des centaines de nouvelles centrales électriques régionales et toute une série d’entreprises géantes comme le Dniéprostroï, font peu à peu une réalité de la formule de Lénine : «Le socialisme, c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification»…

L’Union soviétique a organisé la production en masse d’un nombre infini d’articles que la Russie n’avait jamais fabriqués autrefois : tracteurs, moissonneuses-batteuses, aciers extra-fins, caoutchouc synthétique, roulements à billes, puissants moteurs Diesel, turbines de cinquante mille kws, appareillage téléphonique, machines électriques pour l’industrie minière, aéroplanes, automobiles, bicyclettes, sans compter des centaines de types de machines nouvelles.

Pour la première fois dans l’histoire, la Russie extrait l’aluminium, la magnésite, les apatites, l’iode, la potasse et de nombreux autres produits de valeur. Ce ne sont plus les croix et les coupoles des églises qui servent de point de repère dans les plaines soviétiques, mais les élévateurs de grains et lestours-silos. Les kolkhoz construisent des maisons, des étables, des porcheries.

L’électricité pénètre à la campagne, la radio et les journaux l’ont conquise. Les ouvriers apprennent à travailler sur les machines les plus modernes.

Les jeunes paysans construisent et manient des machines agricoles plus grandes et plus complexes que celles que l’Amérique a jamais vues. La Russie commence à «penser machines». La Russie passe rapidement du siècle du bois au siècle du fer, de l’acier, du béton et des moteurs.

Appréciation donnée en septembre 1932 par la revue réformiste de «gauche» anglaise Forward :

L’immense travail qui s’accomplit en U.R.S.S. saute aux yeux.

Nouvelles usines, nouvelles écoles, nouveaux cinémas, nouveaux clubs, nouveaux immeubles géants — partout des constructions nouvelles. Beaucoup sont déjà, terminées, d’autres sont encore revêtues d’échafaudages. Il est difficile de raconter au lecteur anglais ce qui a été fait depuis deux ans et ce qui est en train de se faire. Il faut voir tout cela pour le croire.

Les réalisations que nous avons nous-mêmes enregistrées du temps de la guerre ne sont que bagatelle en comparaison de ce qui se fait en U.R.S.S.

Les Américains reconnaissent que même la période de fièvre de construction la plus intense dans les Etats de l’Ouest, n’offrait rien de comparable à la fiévreuse activité créatrice de l’U.R.S.S., aujourd’hui.

Pendant les deux dernières années, l’U.R.S.S. a été le théâtre de tant de changements qu’on renonce à imaginer ce que ce pays sera dans dix ans…

Otez-vous de la tête les histoires fantastiques et terrifiantes rapportées par les journaux anglais, qui mettent tant de ténacité et de sottise à calomnier l’U.R.S.S.

Otez-vous encore de la tête ces impressions et demi-vérités fondées sur l’incompréhension, qui sont répandues par des intellectuels dilettantes, lesquels considèrent l’U.R.S.S. d’unoeil protecteur, à travers les lunettes de l’homme de la rue, mais qui n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe là-bas…

L’U.R.S.S. construit une nouvelle société sur de saines assises. Pour atteindre ce but, il faut s’exposer au risque, il faut travailler avec enthousiasme, avec une énergie sans précédent ; il faut lutter contre des difficultés énormes, inévitables lorsqu’on veut construire le socialisme dans un vaste pays isolé du reste du monde.

Or, après avoir visité de nouveau ce pays au bout de deux ans, j’ai l’impression qu’il s’est engagé dans la voie d’un progrès solide, qu’il planifie, qu’il crée et construit, tout cela sur une échelle qui est un défi éclatant lancé au monde capitaliste hostile.

Telles sont les divergences d’opinion et la division dans le camp des milieux bourgeois : les uns sont pour réduire à néant l’U.R.S.S. avec son plan quinquennal qu’ils prétendent en faillite, les autres sont visiblement pour une collaboration commerciale avec l’U.R.S.S., dans l’espoir évident de tirer quelque profit des succès du plan quinquennal.

Il convient d’envisager à part l’attitude de la classe ouvrière des pays capitalistes à l’égard du plan quinquennal, à l’égard des succès de l’édification socialiste en U.R.S.S. On pourrait se borner, ici, à reproduire l’appréciation de l’une des nombreuses délégations ouvrières qui visitent l’U.R.S.S. chaque année, ne serait-ce que celle de la délégation ouvrière belge.

Ce témoignage est typique pour toutes les délégations ouvrières sans exception, qu’il s’agisse des délégations anglaises ou françaises, des délégations allemandes ou américaines ou des délégations d’autres pays. Voici ce témoignage :

Nous sommes frappés d’admiration devant l’édification grandiose que nous avons constatée au cours de notre voyage.

A Moscou, comme à Makéevka, à Gorlovka, à Kharkov et àLeningrad, nous avons pu nous rendre compte de l’enthousiasme avec lequel on y travaille. Les machines sont toutes du dernier modèle. Dans les usines règne la propreté, il y a beaucoup d’air et de lumière. Nous avons vu comment en U.R.S.S. les ouvriers étaient entourés de soins médicaux et sanitaires.

Les maisons ouvrières sont bâties à proximité des usines. Les cités ouvrières sont pourvues d’écoles et de pouponnières ; les enfants y jouissent des soins les plus attentifs. Nous avons pu voir la différence entre les anciennes usines et celles nouvellement construites, entre les anciennes et les nouvelles habitations.

Tout ce que nous avons vu nous a donné une idée nette de la force colossale des travailleurs qui édifient la nouvelle société sous la direction du Parti communiste. Nous avons observé en U.R.S.S. un essor culturel gigantesque, alors que dans les autres pays, c’est la dépression dans tous les domaines et le chômage.

Nous avons pu nous rendre compte des difficultés exceptionnelles que les travailleurs soviétiques rencontrent sur leur chemin. Nous comprenons d’autant mieux l’orgueil avec lequel ils nous montrent les succès obtenus. Nous sommes persuadés qu’ils surmonteront tous les obstacles.

Voilà donc la portée internationale du plan quinquennal.

Il nous a suffi de faire un travail d’édification pendant quelque deux ou trois ans ; il a suffi de montrer les premiers succès du plan quinquennal, pour que le monde tout entier se scinde en deux camps, le camp de ceux qui aboient après nous sans se lasser, et le camp de ceux qui sont frappés des réalisations du plan quinquennal, sans parler de notre propre camp, qui existe et se fortifie dans le monde entier, le camp de la classe ouvrière des pays capitalistes, qui se réjouit des succès de la classe ouvrière de l’U.R.S.S. et est prêt à lui donner son soutien, au grand effroi de la bourgeoisie mondiale.

Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire que la portée internationale du plan quinquennal, la portée internationale de ses succès et de ses conquêtes, ne peut être mise en doute.

Cela veut dire que les pays capitalistes portent en eux la révolution prolétarienne et que, précisément pour cela, la bourgeoisie voudrait puiser dans des échecs du plan quinquennal un nouvel argument contre la révolution, tandis que le prolétariat, au contraire, s’efforce de puiser et puise réellement dans les succès du plan quinquennal un nouvel argument en faveur de la révolution, contre la bourgeoisie du monde entier.

Les succès du plan quinquennal mobilisent les forces révolutionnaires de la classe ouvrière de tous les pays contre le capitalisme, c’est là un fait incontestable.

Il est hors de doute que la portée révolutionnaire internationale du plan quinquennal, est réellement immense.

Nous devons accorder une attention d’autant plus grande au plan quinquennal, à son contenu, à ses tâches essentielles.

Nous devons analyser avec d’autant plus de soin le bilan du plan quinquennal, le bilan de son exécution et de sa mise en pratique.

II ­ LA TACHE ESSENTIELLE DU PLAN QUINQUENNAL
ET LES MOYENS DE L’ACCOMPLIR

Passons à la question du plan de cinq ans considéré en lui-même.

Qu’est ce que le plan de cinq ans ?Quelle était la tâche essentielle du plan quinquennal ? La tâche essentielle du plan quinquennal était de faire passer notre pays, de sa technique arriérée, parfois médiévale, à une technique nouvelle, moderne.

La tâche essentielle du plan quinquennal était de transformer l’U.R.S.S., de pays agraire et débile, qui dépendait des caprices des pays capitalistes, en un pays industriel et puissant parfaitement libre de ses actions et indépendant des caprices du capitalisme mondial.

La tâche essentielle du plan quinquennal était, tout en transformant l’U.R.S.S. en un pays industriel, d’éliminer complètement les éléments capitalistes, d’élargir le front des formes socialistes de l’économie et de créer une base économique pour la suppression des classes en U.R.S.S., pour la construction d’une société socialiste.

La tâche essentielle du plan quinquennal était de créer dans notre pays une industrie capable de ré­outiller et de réorganiser, sur la base1 du socialisme, non seulement l’industrie dans son ensemble, mais aussi les transports, mais aussi l’agriculture.

La tâche essentielle du plan quinquennal était de faire passer la petite économie rurale morcelée sur la voie de la grande économie collectivisée, d’assurer par cela même la base économique du socialisme à la campagne, et de rendre impossible la restauration du capitalisme en U.R.S.S.

Enfin, la tâche du plan quinquennal était de créer dans le pays toutes les conditions techniques et économiques nécessaires pour en relever au maximum la capacité de défense, pour lui permettre d’organiser une riposte vigoureuse à toutes les tentatives d’intervention armée, à toutes les tentatives d’agression armée de l’extérieur, d’où qu’elles viennent.

Qu’est-ce qui dictait cette tâche essentielle du plan quinquennal ? qu’est-ce qui la justifiait ?

La nécessité de faire cesser le retard économique et technique de l’U.R.S.S., qui la condamnait à une existence peu enviable ; la nécessité de créer dans le pays des conditions lui permettant non seulement de rejoindre, mais de dépasser avec le temps, au point de vue économique et technique, les pays capitalistes avancés.

L’idée que le pouvoir des Soviets ne peut longtemps se maintenir sur la base d’une industrie arriérée ; que seule une grande industrie moderne, qui non seulement ne le cède en rien à l’industrie des pays capitalistes mais est capable, avec le temps, de la surpasser, peut servir de fondement réel et sûr au pouvoir des Soviets.

L’idée que le pouvoir des Soviets ne peut longtemps se baser sur deux fondements opposés, sur la grande industrie socialiste qui anéantit les éléments capitalistes, et sur la petite économie paysanne individuelle, qui engendre les éléments capitalistes.

L’idée qu’aussi longtemps qu’une base de grosse production ne sera pas assignée à l’agriculture ; qu’aussi longtemps que les petites exploitations paysannes ne seront pas groupées en de grandes exploitations collectives, le danger de restauration du capitalisme en U.R.S.S. est le danger le plus réel de tous les dangers possibles.

Lénine disait :

La Révolution a fait que la Russie, en quelques mois, a rattrapé, quant à son régime politique, les pays avancés.

Mais cela ne suffit pas. La guerre est inexorable. Elle pose la question avec une âpreté implacable : périr ou rejoindre les pays avancés et les dépasser aussi au point de vue économique… Périr ou s’élancer en avant à toute vapeur. C’est ainsi que l’histoire pose la question. («La catastropheimminente et les moyens de la conjurer», t. XXI, p. 191, éd. Russe.)

Lénine disait :

Tant que nous vivons dans un pays de petits paysans, il existe en Russie, pour le capitalisme, une base économique plus solide que pour le communisme. Il faut bien retenir cela.

Tous ceux qui ont observé attentivement la vie rurale en la comparant à la vie urbaine, savent que nous n’avons pas arraché les racines du capitalisme, ni sapé les fondements, la base de l’ennemi intérieur.

Ce dernier se maintient sur les petites exploitations, et pour en venir à bout il n’est qu’un moyen : faire passer l’économie du pays, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la grande production moderne…

C’est lorsque le pays sera électrifié, lorsque nous aurons donné à l’industrie, à l’agriculture et aux transports la base technique de la grande industrie moderne, c’est alors seulement que notre victoire sera définitive. («Rapport au VIIIe congrès des Soviets de la R.S.F.S.R.», t. XXVI, pp. 46-47, éd. Russe.)

C’est de ces thèses que s’est inspiré le Parti pour élaborer le plan quinquennal et déterminer la tâche essentielle de ce plan.

Voilà ce qu’il en est de la tâche essentielle du plan quinquennal.

Mais on ne saurait entreprendre la réalisation d’un plan aussi grandiose, à la débandade, en commençant par n’importe quoi. Pour réaliser un tel plan, il faut tout d’abord trouver le maillon essentiel, car ce n’est qu’après avoir trouvé ce maillon et s’en être saisi, qu’il a été possible de tirer à soi tous les autres maillons du plan.

Quel était le principal maillon du plan quinquennal ?

C’était l’industrie lourde et son pivot : les constructions mécaniques.

Car seule l’industrie lourde peut reconstruire et mettre sur pied et l’industrie dans son ensemble, et les transports, et l’agriculture. C’est donc par elle qu’il fallait commencer la réalisation du plan quinquennal. Il importait par conséquent de mettre le rétablissement de l’industrie lourde à la base de la réalisation du plan quinquennal.

Sur ce point aussi nous avons des indications de Lénine : Le salut pour la Russie n’est pas seulement dans une bonne récolte de l’économie paysanne — cela ne suffit pas encore – et pas seulement dans le bon état de l’industrie légère qui fournit aux paysans les articles de consommation — cela non plus ne suffit pas encore — il nous faut également une industrie lourde…

Si nous ne sauvons pas l’industrie lourde, si nous ne la rétablissons pas, nous ne pourrons construire aucune industrie et, à défaut de celle­ci, c’en sera fait de nous, en général, comme pays indépendant… L’industrie lourde a besoin de subventions de l’État. Si nous ne les trouvons pas, c’en est fait de nous comme Etat civilisé, je ne dis même pas socialiste.

(«Rapport au IVe congrès de l’Internationale communiste», t. XXVII, p. 349, éd. Russe.)

Mais le rétablissement et le développement de l’industrie lourde, surtout dans un pays arriéré et pauvre comme l’était notre pays au début du plan quinquennal, constituent une tâche des plus ardues, car l’industrie lourde exige, on le sait, des dépenses financières considérables et un certain minimum de forces techniques expérimentées, sans quoi le rétablissement de l’industrie lourde est tout bonnement impossible.

Le Parti le savait-il et s’en rendait-il compte ? Oui, il le savait. Et non seulement il le savait, mais il le proclamait hautement. Le Parti savait de quelle façon l’industrie lourde fut édifiée en Angleterre, en Allemagne, en Amérique.

Il savait que l’industrie lourde fut édifiée,dans ces pays, soit à l’aide de gros emprunts, soit par le pillage d’autres pays, soit par les deux moyens à la fois. Le Parti savait que ces voies-là sont fermées pour notre pays. Sur quoi comptait-il donc ?

Il comptait sur les forces propres de notre pays. Il comptait que, possédant le pouvoir soviétique et nous appuyant sur la nationalisation de la terre, de l’industrie, des transports, des banques, du commerce, nous pourrions appliquer le régime de la plus stricte économie pour accumuler des ressources suffisantes, nécessaires au rétablissement et au développement de l’industrie lourde.

Le Parti disait tout net que cette entreprise exigerait de sérieux sacrifices et que, si nous voulions atteindre le but, nous devions consentir ces sacrifices ouvertement et consciemment. Le Parti comptait mener à bien cette entreprise par les forces intérieures de notre pays, sans crédits asservissants et sans emprunts extérieurs.

Voici ce que disait Lénine à ce sujet :

Nous devons nous efforcer de construire un Etat où les ouvriers continueraient à exercer la direction sur les paysans et garderaient la confiance de ces derniers, Etat où, par une économie rigoureuse, ils banniraient de tous les domaines de la vie sociale les moindres traces d’excès.

Nous devons réaliser le maximum d’économie dans notre appareil administratif. Nous devons en bannir toutes les traces d’excès que lui a laissées en si grand nombre la Russie tsariste, son appareil capitaliste et bureaucratique.

Est-ce que ce ne sera pas le règne de la médiocrité paysanne ? Non.

Si nous conservons à la classe ouvrière sa direction sur la paysannerie, nous pourrons, au prix d’une économie des plus rigoureuses dans la gestion de notre Etat, employer la moindre somme économisée pour développer notre grande industrie mécanisée, l’électrification, l’extraction hydraulique de la tourbe, pour achever la construction de la centrale électrique du Volkhov, etc.

Là, et là seulement est notre espoir. Alors seulement nous pourrons, pour employer une expression figurée, changer le cheval miséreux du paysan, du moujik, le cheval des économies prévues pour un pays paysan ruiné, — contre celui que recherche et ne peut pas ne pas rechercher pour soi le prolétariat, contre le cheval de la grande industrie mécanisée, de l’électrification, de la centrale hydro-électrique du Volkhov, etc. («Mieux vaut moins, mais mieux», t. XXVII, p. 417, éd. Russe.)

Changer le cheval miséreux du moujik contre le cheval de la grande industrie mécanisée, tel est le but que poursuivait le Parti en élaborant le plan quinquennal et en travaillant à sa réalisation.

Etablir le régime de la plus stricte économie et accumuler les ressources nécessaires au financement de l’industrialisation de notre pays, voilà le chemin qu’il fallait emprunter pour arriver à rétablir l’industrie lourde et à réaliser le plan quinquennal.

Tâche hardie ? Chemin difficile ? Mais notre Parti s’appelle précisément le Parti de Lénine, parce qu’il n’a pas le droit de craindre les difficultés.

Bien plus. La certitude qu’avait le Parti quant à la possibilité de réaliser le plan quinquennal, et sa foi dans les forces de la classe ouvrière étaient si grandes qu’il a jugé possible de s’assigner comme tâche la réalisation de cette œuvre difficile, non pas en cinq ans, ainsi que le demandait le plan quinquennal, mais en quatre— ou plutôt en quatre ans et trois mois, si l’on y ajoute le trimestre spécial.

C’est sur cette base qu’est né le mot d’ordre fameux : «Le plan quinquennal en quatre ans».Et qu’est-il advenu ?

Les faits ont montré par la suite que le Parti avait raison.

Les faits ont montré que, sans cette hardiesse et cette foi dans les forces de la classe ouvrière, le Parti n’aurait pu remporter la victoire dont aujourd’hui nous sommes fiers à bon droit.

III ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL
EN QUATRE ANS DANS L’INDUSTRIE

Passons maintenant au bilan de la réalisation du plan quinquennal.

Quel est, dans l’industrie, le bilan du plan quinquennal en quatre ans ?

Avons-nous remporté la victoire dans ce domaine ? Oui, nous l’avons remportée. Et non seulement nous l’avons remportée, mais nous avons fait plus que nous n’attendions nous-mêmes, plus que ne pouvaient attendre les têtes les plus chaudes de notre Parti. Cela, nos ennemis eux-mêmes ne le nient plus maintenant. D’autant moins peuvent le nier nos amis.

Nous n’avions pas de sidérurgie, base de l’industrialisation du pays.

Nous l’avons maintenant.

Nous n’avions pas d’industrie des tracteurs. Nous l’avons maintenant.

Nous n’avions pas d’industrie automobile. Nous l’avons maintenant.

Nous n’avions pas d’industrie des constructions mécaniques. Nous l’avons maintenant.Nous n’avions pas une sérieuse industrie chimique moderne. Nous l’avons maintenant.

Nous n’avions pas une véritable et sérieuse industrie pour la fabrication des machines agricoles modernes. Nous l’avons maintenant.

Nous n’avions pas d’industrie aéronautique. Nous l’avons.

Pour la production de l’énergie électrique nous occupions la toute dernière place. Nous sommes maintenant arrivés à une des premières places.

Pour la production des produits du pétrole et du charbon, nous occupions la dernière place. Maintenant nous sommes arrivés à une des premières places.

Nous ne possédions qu’une seule base houillère et métallurgique, — celle de l’Ukraine, — que nous avions beaucoup de mal à exploiter.

Nous sommes arrivés non seulement à remettre debout cette base, — mais encore nous avons créé une nouvelle base houillère et métallurgique dans l’Est, qui fait l’orgueil de notre pays.

Nous ne possédions qu’une seule base de l’industrie textile, dans le nord du pays. Nous avons fait en sorte que d’ici peu nous aurons deux nouvelles bases de l’industrie textile, en Asie centrale et en Sibérie occidentale.

Et non seulement nous avons créé ces nouvelles et vastes industries, mais nous les avons créées sur une échelle et dans des proportions qui font pâlir les échelles et les proportions de l’industrie européenne.

Tout cela a abouti au fait que les éléments capitalistes sont éliminésde l’industrie, définitivement et sans retour, cependant que l’industrie

socialiste est devenue la seule forme de l’industrie en U.R.S.S.

Tout cela a abouti au fait que notre pays, d’agraire est devenu industriel, puisque la part de la production industrielle par rapport à la production agricole a passé de 48 %, au début de la période quinquennale (1928), à 70 % vers la fin de la quatrième année du plan quinquennal (1932).

Tout cela a abouti au fait que, vers la fin de la quatrième année de la période quinquennale, nous avons accompli le programme de l’ensemble de la production industrielle, établi pour cinq ans, à 93,7 %, en augmentant ainsi le volume de la production industrielle de plus du triple en comparaison du niveau d’avant-guerre, et de plus du double en comparaison du niveau de 1928.

Quant au programme de la production de l’industrie lourde, nous avons réalisé le plan quinquennal à 108 %. Il est vrai que pour le programme d’ensemble du plan quinquennal, nous l’avons rempli à 6 % près.

Mais cela s’explique par le fait que, étant donné le refus des pays voisins de signer avec nous des pactes de non-agression, et vu les complications survenues en Extrême-Orient, il nous a fallu, pour renforcer la défense du pays, aménager en hâte une série de nos usines pour la fabrication de moyens de défense modernes.

Or, cet aménagement, vu la nécessité de passer par une certaine période de préparation, aboutit à ce résultat que ces usines cessèrent de produire pendant quatre mois, ce qui devait forcément se répercuter sur l’accomplissement du programmé général de production prévu au plan quinquennal, au cours de l’année 1932.

Cette opération a eu pour résultat que nous avens comblé toutes les lacunes, en ce qui concerne la capacité de défense du pays. Mais elle ne pouvait manquer d’exercer une influence négative sur l’accomplissement du programme de production prévu au planquinquennal. Nul doute que sans cette circonstance nouvelle, nous n’aurions pas seulement réalisé, mais à coup sûr dépassé les chiffres du plan de cinq ans.

Enfin, tout cela a abouti au fait que de pays faible et non préparé à la défense, l’Union soviétique est «devenue un pays puissant quant à sa capacité de défense, un pays prêt à toutes les éventualités, un pays capable de produire en masse tous les instruments de défense modernes et d’en munir son armée en cas d’agression du dehors.

Tel est, dans l’ensemble, le bilan du plan quinquennal en quatre ans, dans l’industrie.

Jugez maintenant vous-mêmes ce que vaut, après cela, le verbiage de la presse bourgeoise sur la «faillite» du plan quinquennal dans l’industrie.

Et comment les choses se présentent-elles dans les pays capitalistes, qui traversent actuellement une âpre crise quant au mouvement de leur production industrielle ?

Voici les données officielles connues de tous.

Alors qu’à la fin de 1932, le volume de la production industrielle de l’U.R.S.S. s’est élevé à 334 % par rapport à son niveau d’avant-guerre, le volume de la production industrielle aux Etats-Unis est tombé, pour la même période, à 84 % du niveau d’avant-guerre ; en Angleterre, à 75 % ; en Allemagne, à 62 %.

Alors qu’à la fin de 1932 le volume de la production industrielle de l’U.R.S.S. s’est élevé à 219 % par rapport au niveau de 1928, le volume de la production industrielle aux Etats-Unis est tombé, pour la même période, à 56 % ; en Angleterre, à 30 % ; en Allemagne, à 55 % ; en Pologne, à 54 %.

Que dénotent ces chiffres, sinon que le système industriel capitaliste n’a pas résisté à l’épreuve dans sa compétition avec le système soviétique ; que le système industriel soviétique a tous les avantages sur le système capitaliste.

On nous dit : Tout cela est fort bien, on a construit beaucoup de nouvelles usines, on a jeté les bases de l’industrialisation.

Mais il aurait beaucoup miteux valu renoncer à la politique d’industrialisation, à la politique d’extension de la production des moyens de production, ou du moins rejeter cette tâche à l’arrière-plan, afin de produire une plus grande quantité de cotonnades, de chaussures, de vêtements et autres objets de grande consommation.

La production d’objets de grande consommation a été inférieure à nos besoins, et cela crée certaines difficultés.

Mais alors il faut savoir et il faut se rendre compte à quoi nous aurait conduits cette politique de mise à l’arrière-plan des tâches de l’industrialisation. Evidemment, sur le milliard et demi de roubles, en devises étrangères, que nous avons dépensés au cours de cette période pour équiper notre industrie lourde, nous aurions pu réserver la moitié aux importations de coton, de cuir, de laine, de caoutchouc, etc.

Nous aurions eu alors plus de cotonnades, de chaussures, de vêtements. Mais alors nous n’aurions ni industrie des tracteurs, ni industrie automobile ; nous n’aurions pas de sidérurgie tant soit peu importante ; nous n’aurions pas de métal pour la fabrication des machines, et nous serions désarmés face à l’encerclement capitaliste armé d’une technique nouvelle.

Nous nous serions alors privés de la possibilité de fournir l’agriculture en tracteurs et en machines agricoles, et donc nous serions restés sans blé.

Nous nous serions mis dans l’impossibilité de vaincre les éléments capitalistes du pays, et donc nous aurions augmenté incroyablement les chances de restauration du capitalisme.

Nous n’aurions pas alors tous les moyens modernes de défense, sans lesquels l’indépendance d’un pays comme Etat est impossible ; sans lesquels un pays devient un objectif pour les opérations militaires de ses ennemis du dehors.

Notre situation serait alors plus ou moins analogue à celle de la Chine d’aujourd’hui, qui n’a pas une industrie lourde, qui n’a pas une industrie de guerre à elle et que grugent maintenant tous ceux qui veulent s’en donner la peine.

En un mot, nous aurions dans ce cas une intervention militaire, non pas des pactes de non-agression, mais la guerre, une guerre dangereuse, mortelle, une guerre sanglante et inégale, puisque dans cette guerre nous serions à peu près désarmés devant l’ennemi disposant de tous les moyens modernes d’agression.

Voilà le tour que prennent les choses, camarades.

Il est clair qu’un pouvoir d’État qui se respecte, qu’un parti qui se respecte, ne pouvait se placer à un point de vue aussi néfaste.

Et c’est précisément parce que le Parti a repoussé cette position antirévolutionnaire, qu’il a remporté une victoire décisive quant à l’exécution du plan quinquennal dans l’industrie.

En réalisant le plan quinquennal et en organisant la victoire dans l’oeuvre de construction industrielle, le Parti a suivi la politique d’accélération maximum des rythmes de développement de l’industrie. Le Parti pour ainsi dire aiguillonnait le pays, afin de hâter sa course en avant.

Le Parti a-t-il bien fait de pratiquer la politique des rythmes accélérés au maximum ?

Certes, oui.

On ne peut pas ne pas stimuler un pays qui retarde de cent années et qui, de ce fait, est menacé d’un danger mortel. C’est ainsi seulement que l’on pouvait mettre le pays en état de se rééquiper rapidement sur la base d’une technique nouvelle et de s’engager enfin sur la grande route.

Et puis, nous ne pouvions savoir le jour que les impérialistes choisiraient pour attaquer l’U.R.S.S. et interrompre notre œuvre de construction. Et qu’ils pouvaient profiter de l’insuffisance technique et économique de notre pays pour nous attaquer à tout moment, sur ce point le doute n’était pas possible.

Force était donc au Parti d’aiguillonner le pays pour ne pas perdre de temps, pour profiter jusqu’au bout de la trêve et réussir à jeter, en U.R.S.S., les fondements de l’industrialisation, base de sa puissance.

Le Parti n’avait pas la possibilité d’attendre ni de manœuvrer, et il devait appliquer la politique des rythmes accélérés au maximum.

Enfin, le Parti devait remédier dans le plus bref délai aux insuffisances du pays quant à sa défense. Les conditions de l’heure, la croissance des armements dans les pays capitalistes, la faillite de l’idée de désarmement, la haine de la bourgeoisie internationale contre l’U.R.S.S., tout cela incitait le Parti à travailler d’arrache-pied au renforcement de la capacité de défense du pays, base de son indépendance.

Mais le Parti avait-il la possibilité réelle de pratiquer la politique des rythmes accélérés au maximum ?

Oui, il avait cette possibilité non seulement parce qu’il avait réussi, en temps opportun, à imprimer au pays un mouvement de progression rapide, mais d’abord parce qu’il pouvait s’appuyer, dans les vastes travaux de construction nouvelle, sur les usines et lesfabriques anciennes ou remises à neuf, dont les ouvriers, les ingénieurs et le personnel technique avaient déjà acquis la pratique de la production, et qui, pour cette raison, permettaient de réaliser des rythmes de développement accélérés au maximum.

Voilà sur quelle base ont grandi chez nous dans la première période quinquennale l’essor rapide de l’édification nouvelle, l’enthousiasme des artisans de l’oeuvre immense de construction, les héros et oudarniks des nouveaux chantiers, la pratique des impétueux rythmes de développement.

Peut-on dire qu’au cours de la deuxième période quinquennale nous aurons à faire exactement la même politique des rythmes accélérés au maximum ?

Non, on ne saurait le dire.

Premièrement, la réalisation victorieuse du plan quinquennal a eu ce résultat que nous avons déjà accompli, pour l’essentiel, sa tâche principale : assurer une base technique moderne à l’industrie, aux transports, à l’agriculture. Est-il besoin après cela d’aiguillonner et de pousser en avant le pays ?

Il est clair que la nécessité ne s’en fait plus sentir maintenant.

Deuxièmement, la réalisation victorieuse du plan quinquennal a eu ce résultat que nous avons dès à présent élevé la capacité de défense du pays à la hauteur voulue. Est-il besoin après cela d’aiguillonner et de pousser en avant le pays ? Il est clair que la nécessité ne s’en fait plus sentir maintenant.

Enfin, la réalisation victorieuse du plan quinquennal a eu ce résultat que nous avons pu construire des dizaines et des centaines de nouvelles grandes usines et des combinats, pourvus d’une technique complexe, moderne.

Cela signifie que dans l’ensemble de la production industrielle de la deuxième période quinquennale, le rôle essentiel n’appartiendra plus aux vieilles usines dont nous possédons déjà la technique, comme ce fut le cas pour la première période quinquennale, mais aux usines neuves dont nous ne possédons pas encore la technique, technique qu’il nous faut assimiler.

Mais assimiler la nouvelle technique et les entreprises nouvelles, est autrement difficile qu’utiliser les usines et fabriques anciennes ou remises à neuf, dont la technique a déjà été assimilée. Cela demande plus de temps pour relever la qualification des ouvriers, des ingénieurs et du personnel technique, et pour s’adapter aux nouvelles méthodes d’utilisation intégrale de la technique nouvelle.

N’est-il pas clair après cela, que si même nous le voulions, nous ne pourrions réaliser, dans la deuxième période quinquennale, surtout dans ses deux ou trois premières années, la politique des rythmes de développement accélérés au maximum ?

Voilà pourquoi je pense que, dans la deuxième période quinquennale, il nous faudra adopter des rythmes moins accélérés pour le développement de la production industrielle.

Au cours de la première période quinquennale, l’accroissement annuel de la production industrielle représentait en moyenne 22 %. Je pense que pour la deuxième période quinquennale, il faudra nous en tenir à un accroissement annuel moyen de la production industrielle de 13 à 14 %.

Pour les pays capitalistes, un tel rythme d’accroissement de la production industrielle constitue un idéal inaccessible.

Et non seulement un tel rythme, mais même 5 % d’accroissement annuel en moyenne, constitue aujourd’hui pour eux un idéal inaccessible.

Mais ils ne sont pas des pays capitalistes pour rien. Il en est autrement du pays des Soviets, avec son système soviétique d’économie. Avec notre système d’économie, nous pouvons parfaitement et nous devons réaliser un accroissement de laproduction de 13 à 14 % par an, comme minimum.

Au cours de la première période quinquennale nous avons su organiser l’enthousiasme, l’émouvant élan de l’édification nouvelle, et nous avons obtenu des succès décisifs. C’est très bien. Mais cela ne suffit plus. Maintenant nous devons compléter la chose par l’enthousiasme, l’élan émouvant pour l’assimilation de la technique nouvelle des nouvelles usines et aussi par un relèvement sérieux de la productivité du travail, par une sérieuse réduction du prix de revient.

C’est là maintenant l’essentiel.

Car ce n’est que sur cette base que nous pourrons assurer, disons, vers la seconde moitié de la deuxième période quinquennale, un nouvel élan vigoureux, aussi bien dans l’oeuvre de construction que pour l’accroissement de la production industrielle.

Enfin, quelques mots sur les rythmes et pourcentages mêmes de l’accroissement annuel de la production. Nos experts industriels ne s’occupent guère de cette question. Et pourtant elle est d’un grand intérêt. Qu’est-ce que le pourcentage d’accroissement de la production et que représente à proprement parler chaque pour-cent d’accroissement ?

Prenons, par exemple, l’année 1925, période de rétablissement.

L’accroissement de la production pour cette année fut de 66 %. La production globale de l’industrie atteignait 7.700 millions de roubles.

66 % d’accroissement représentaient alors, en chiffres absolus, un peu plus de 3 milliards. Donc, chaque pour-cent d’accroissement équivalait à 45 millions de roubles. Prenons maintenant l’année 1928. Elle a donné 26 % d’accroissement, soit, en pourcentage, presque trois fois moins qu’en 1925.

La production globale de l’industrie était de 15.500 millions de roubles. L’accroissement total pendant l’année était, en chiffres

absolus, de 3.280 millions de roubles. Donc, chaque pour-cent d’accroissement équivalait à 126 millions de roubles, soit une somme presque trois fois plus grande qu’en 1925, alors que nous enregistrions 66 % d’accroissement.

Prenons enfin l’année 1931. Elle a donné 22 % d’accroissement, soit trois fois moins qu’en 1925. La production globale de l’industrie représentait alors 30.800 millions de roubles. L’accroissement total, en chiffres absolus, était d’un peu plus de 5.600 millions de roubles.

Donc, chaque pour-cent d’accroissement représentait plus de 250 millions de roubles, soit six fois plus qu’en 1925, alors que nous enregistrions 66 % d’accroissement, et deux fois plus qu’en 1928, alors que nous enregistrions un peu plus de 26 % d’accroissement.

Que signifie tout cela ? C’est qu’en analysant les rythmes d’accroissement de la production, on ne doit pas considérer simplement le pourcentage total d’accroissement. Il faut encore savoir ce que représente chaque pour-cent d’accroissement, et quel est le total de l’accroissement annuel de la production. Nous prenons, par exemple, pour 1933, 16 % d’accroissement, soit quatre fois moins qu’en 1925.

Mais cela ne signifie pas encore que l’accroissement de la production, dans cette année, sera lui aussi quatre fois moindre.

L’accroissement de la production en 1925, en chiffres absolus, a été d’un peu plus de 3 milliards et chaque pour-cent représentait 45 millions de roubles.

A n’en pas douter, en 1933 le taux d’accroissement étant de 16 %, l’accroissement de la production sera, en chiffres absolus, d’au moins 5 milliards de roubles, c’est-à-dire presque deux fois plus qu’en 1925, et chaque pour-cent d’accroissement représentera au moins 320-340 millions de roubles, soit une somme au moins sept fois plus grande que chaque pour-cent d’accroissement de 1925.

Voilà donc, camarades, le tour que prennent les choses si l’on envisage les rythmes et pourcentages d’accroissement, d’une façon concrète.

Voilà ce qu’il en est du bilan du plan quinquennal en quatre ans, dans l’industrie.

IV ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL EN QUATRE ANS DANS L’AGRICULTURE

Passons à l’examen du bilan du plan quinquennal en quatre ans, dans l’agriculture.

Le plan quinquennal dans l’agriculture est celui de la collectivisation. De quoi le Parti s’est-il inspiré en procédant à la collectivisation ?

Le Parti s’est inspiré de ce principe que, pour consolider la dictature du prolétariat et édifier la société socialiste, il est nécessaire, outre l’industrialisation, de passer encore de la petite exploitation paysanne individuelle à la grande agriculture collective, munie de tracteurs et de machines agricoles modernes, seule base solide du pouvoir des Soviets à la campagne.

Le Parti s’est inspiré de ce principe que, sans la collectivisation, il est impossible de conduire notre pays sur la grand’route de l’édification des fondements économiques du socialisme, impossible d’affranchir de la misère et de l’ignorance les millions de paysans laborieux.

Lénine disait :

Impossible de sortir de la misère par la petite exploitation.(«Discours à la Ire conférence de la R.S.F.S.R. sur le travail à la campagne», t. XXIV, p. 540, éd. Russe.)

Lénine disait :

Si nous nous confinons comme autrefois dans Les petites exploitations, fussions-nous citoyens libres sur une terre libre, nous n’en serons pas moins menacés d’une perte certaine.

(«Discours sur la question agraire au 1er congrès des députés paysans de Russie», t. XX, p. 417, éd. Russe.)

Lénine disait :

Ce n’est que par un travail en commun, un travail par artel, par association, que nous pourrons sortir de l’impasse où nous a acculés la guerre impérialiste, (t. XXIV, p. 537.)

Lénine disait :

Il est nécessaire de passer à la culture en commun dans les grandes exploitations modèles, sans quoi nous ne nous tirerons pas de la débâcle, de la situation vraiment désespérée où se trouve la Russie, (t. XX, p. 418.)

Partant de là, Lénine arrivait à cette conclusion essentielle : C’est seulement dans le cas où nous réussirons à montrer en fait aux paysans les avantages de la culture en commun, collective, par associations, par artels ; c’est seulement si nous réussissons à aider le paysan à s’organiser en associations, en artels, que la classe ouvrière, tenant en mains le pouvoir d’État, prouvera réellement au paysan qu’elle a raison, attirera réellement à ses côtés, de façon durable et effective, la masse innombrable des paysans. («Discours au congrès des communes et artels agricoles» t. XXIX, p. 579, éd. Russe.)

C’est de ces thèses de Lénine que s’est inspiré le Parti pour réaliser le programme de collectivisation de l’agriculture, le programme duplan quinquennal dans l’agriculture.

Cela étant, la tâche du plan quinquennal en matière d’agriculture consistait à grouper les petites exploitations paysannes individuelles morcelées, qui n’avaient pas la possibilité de se servir des tracteurs et des machines agricoles modernes, en de grandes exploitations collectives pourvues de tous les instruments modernes d’une agriculture hautement développée, et à couvrir les terres disponibles de fermes d’État modèles, de sovkhoz.

La tâche du plan quinquennal en matière d’agriculture consistait à transformer l’U.R.S.S., de pays arriéré et de petits paysans, en un pays de grande agriculture organisée sur la base du travail collectif, et donnant le maximum de produits pour le marché.

Qu’est-ce que le Parti a obtenu en réalisant le programme du plan quinquennal en quatre ans, dans l’agriculture ? A-t-il rempli ce programme ou a-t-il échoué ?

Le Parti a obtenu ceci qu’en l’espace de quelque trois ans il a su organiser plus de 200.000 exploitations collectives et près de 5.000 sovkhoz pour la culture des céréales et l’élevage ; en même temps il a obtenu en quatre ans, pour la surface ensemencée, une extension de 21 millions d’hectares.

Le Parti a obtenu que les kolkhoz groupent actuellement plus de 60 % des exploitations paysannes, qui englobent plus de 70 % de toutes les terres des paysans, ce qui revient à dire que le plan quinquennal a été dépassé de trois fois.

Le Parti a obtenu qu’au lieu des 500-600 millions de pouds de blé marchand, stockés à l’époque où prédominait l’économie paysanne individuelle, il peut aujourd’hui stocker de 1.200 à 1.400 millions de pouds de céréales par an.Le Parti a obtenu que les koulaks ont été battus comme classe, bien qu’ils ne soient pas encore complètement liquidés ; la paysannerie laborieuse a été libérée de l’asservissement aux koulaks et de leur exploitation, et le pouvoir des Soviets possède désormais à la campagne une base économique solide, la base de l’économie collective.

Le Parti a obtenu que l’U.R.S.S., de pays de petits paysans est transformée d’ores et déjà en pays de la plus grande agriculture du monde.

Tel est dans ses grandes lignes le bilan du plan quinquennal en quatre ans dans l’agriculture.

Jugez maintenant vous-mêmes ce que vaut après cela le bavardage de la presse bourgeoise sur la «faillite» de la collectivisation, sur l’«échec» du plan quinquennal dans l’agriculture.

Et comment les choses se présentent-elles pour l’agriculture dans les pays capitalistes, qui traversent actuellement une dure crise agricole ?

Voici des données officielles connues de tous.

Les surfaces ensemencées des principaux pays producteurs de blé ont été réduites de 8-10 % Aux Etats-Unis les cultures de coton ont été réduites de 15 %; celles de la betterave à sucre, en Allemagne et en Tchécoslovaquie, de 22-30 % ; celles du lin, en Lituanie et en Lettonie, de 25-30 %.

D’après les données du département de l’Agriculture américain, la valeur de la production agricole globale aux Etats-Unis est tombée de 11 milliards de dollars en 1929 à 5 milliards en 1932, soit une diminution de plus de 50 %.

Pour les céréales, en ce même pays, lavaleur de la production globale est tombée de 1.288 millions de dollars en 1929 à 391 millions de dollars en 1932, soit de plus de 68 %. Le coton, en ce même pays, tombe de 1.389 millions de dollars en 1929 à 397 millions de dollars en 1932, soit une diminution de plus de 70 %.

Tous ces faits ne témoignent-ils pas des avantages du système soviétique de l’agriculture sur le système capitaliste ? Ces faits ne prouvent-ils pas que les kolkhoz sont une forme d’économie plus viable que les exploitations individuelles et capitalistes ?

On dit que les kolkhoz et les sovkhoz ne sont pas tout à fait des entreprises de rapport, qu’ils absorbent une quantité de ressources, qu’il n’y a aucune raison d’entretenir de telles entreprises, qu’il serait plus rationnel de les dissoudre, en ne gardant que les entreprises de bon rapport.

Mais seuls les gens qui n’entendent rien à l’économie nationale, aux problèmes de l’économie, peuvent parler de la sorte. Il y a quelques années, plus de la moitié de nos entreprises textiles ne rapportaient pas.

Certains de nos camarades nous proposaient alors de fermer ces entreprises. Où en serions-nous si nous les avions écoutés ? Nous aurions commis le plus grand crime envers le pays, envers la classe ouvrière, car nous aurions ruiné ainsi notre industrie en voie de relèvement. Comment avons-nous agi, alors ?

Après un peu plus d’une année d’attente, nous avons obtenu ce résultat que toute l’industrie textile est devenue de bon rapport. Et notre usine d’automobiles, à Gorki ? Car elle aussi ne rapporte pas pour le moment. Ne voudriez-vous pas qu’on la fermât ? Ou bien notre sidérurgie qui, elle non plus, pour l’instant du moins, n’est pas de bon rapport.

Peut-être faut-il la fermer, camarades ? Si l’on envisage la rentabilité de ce point de vue, nous ne devrions développer à plein que certaines industries rapportant le plus de bénéfice, par exemple, la confiserie, la minoterie, la parfumerie, la bonneterie, les jouets, etc. Certes, je ne m’oppose pas au développement de ces industries.

Au contraire, elles doivent être développées, car elles sont également nécessaires à la population. Mais tout d’abord elles ne peuvent être développées sans l’outillage ni le combustible que leur fournit l’industrie lourde. En second lieu, on ne saurait baser sur elles l’industrialisation. Voilà ce qu’il en est, camarades.

On ne peut considérer la rentabilité d’une façon mercantile, du point de vue de la minute actuelle. On doit l’envisager du point de vue de toute l’économie nationale, avec une perspective de plusieurs années. Seul un tel point de vue peut être qualifié de vraiment léniniste, de vraiment marxiste.

Et ce point de vue s’impose, non seulement en ce qui concerne l’industrie, mais encore plus en ce qui concerne les kolkhoz et les sovkhoz. Songez un peu : en quelque trois ans nous avons créé plus de 200.000 kolkhoz et près de 5.000 sovkhoz, c’est-à-dire que nous avons créé de grandes entreprises absolument nouvelles, dont l’importance pour l’agriculture est pareille à celle qu’ont les usines et les fabriques pour l’industrie.

Nommez un pays qui ait créé, en l’espace de trois ans, non pas 205.000 grandes entreprises nouvelles, mais ne serait-ce que 25.000.

Vous ne le nommerez pas parce qu’un tel pays n’existe pas et n’a jamais existé.

Or nous, nous avons créé 205.000 nouvelles entreprises dans l’agriculture. Et voilà qu’il se trouve des gens, de par le monde, qui exigent que ces entreprises deviennent immédiatement de bon rapport ; si elles ne le deviennent pas immédiatement, ils exigent qu’on les détruise, qu’on les fasse dissoudre. N’est-il pas clair que les lauriers d’Erostrate troublent le sommeil de ces gens plus qu’étranges ?

En parlant de la non-rentabilité des kolkhoz et des sovkhoz, je ne veux point dire qu’ils soient tous de mauvais rapport. Il n’en est rien.

Tout le monde sait qu’il existe dès maintenant toute une série de kolkhoz et sovkhoz de haut rapport. Nous comptons des milliers de kolkhoz et des dizaines de sovkhoz qui sont, dès à présent, d’un rapport excellent.

Ils sont l’orgueil de notre Parti, l’orgueil du pouvoir des Soviets.

Evidemment ils ne sont pas partout les mêmes. Il en est d’anciens, de nouveaux et de tout récents. Ce sont des organismes économiques encore faibles, incomplètement cristallisés. Ils en sont, dans leur organisation, à peu près à la période que nos usines et nos fabriques traversèrent en 1920-21. On conçoit que la majeure partie d’entre eux ne puissent pas encore être de bon rapport.

Mais il est hors de doute que, d’ici deux à trois ans, ils rapporteront comme le font nos usines et fabriques depuis 1921. Leur refuser aide et soutien parce que tous ne rapportent pas, pour le moment, serait commettre le plus grand crime envers la classe ouvrière et la paysannerie.

Seuls les ennemis du peuple et les contre-révolutionnaires peuvent poser la question de l’inutilité des kolkhoz et des sovkhoz.

En réalisant le plan quinquennal de l’agriculture, le Parti a pratiqué la collectivisation à des rythmes accélérés.

Le Parti a-t-il eu raison d’appliquer la politique des rythmes accélérés de collectivisation ? Oui, sans doute, encore que l’on n’ait pas été, ici, à l’abri de certains entraînements. En appliquant la politique de liquidation des koulaks comme classe, et en détruisant les nids de koulaks, le Parti ne pouvait s’arrêter à mi-chemin, il devait mener les choses jusqu’au bout.Premier point.

En second lieu, disposant, d’une part, de tracteurs et de machines agricoles, et profitant, d’autre part, de l’absence de la propriété foncière privée (nationalisation de la terre !), le Parti avait toutes possibilités de pousser la collectivisation de l’agriculture.

Effectivement, il a remporté le plus grand succès dans ce domaine, puisqu’il a dépassé du triple le plan quinquennal en matière de collectivisation.

Est-ce à dire que nous devions mener une politique de rythmes accélérés de collectivisation, au cours de la deuxième période quinquennale également ?

Certes non.

La vérité est que nous avons déjà achevé, pour l’essentiel, la collectivisation des principales régions de l’U.R.S.S.

Nous avons donc réalisé dans ce domaine plus qu’on ne pouvait attendre.

Et nous n’avons pas seulement achevé la collectivisation dans ses lignes essentielles. Nous avons obtenu que dans la conscience de l’immense majorité des paysans, les kolkhoz sont devenus la forme la plus indiquée de l’économie. C’est là une conquête immense, camarades.

Vaut-il la peine après cela de précipiter inconsidérément les rythmes de collectivisation ? Il est clair que non.

Maintenant la question des rythmes accélérés de collectivisation ne se pose plus, ni à plus forte raison la question de savoir si les kolkhoz doivent être ou ne pas être, ce problème ayant été résolu dans un sens affirmatif.

Les kolkhoz sont stabilisés, et la voie vers l’ancienne exploitation, vers l’exploitation individuelle, est fermée à jamais.

Il s’agit maintenant d’affermir les kolkhoz au point de vue organisation, d’en chasser les éléments saboteurs, de recruter des cadres bolcheviks véritables, éprouvés, pour les kolkhoz, et de rendre ces derniers réellement bolcheviks.

C’est maintenant l’essentiel.

Voilà ce qu’il en est du plan quinquennal en quatre ans, dans l’agriculture.

V ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL EN QUATRE ANS EN CE QUI CONCERNE L’AMELIORATION DE LA SITUATION MATERIELLE DES OUVRIERS ET DES PAYSANS

J’ai parlé tout à l’heure des succès remportés dans l’industrie et l’agriculture, de l’essor industriel et agricole en U.R.S.S. Quels résultats ces succès ont-ils donnés au point de vue de l’amélioration de la situation matérielle des’ ouvriers et des paysans ? Quels sont les résultats essentiels de nos succès dans l’industrie et l’agriculture, du point de vue de l’amélioration radicale de la situation matérielle des travailleurs ?

C’est d’abord qu’on a supprimé le chômage et fait disparaître l’incertitude du lendemain chez les ouvriers.

C’est, ensuite, qu’on a étendu l’édification des kolkhoz à la presque totalité des paysans pauvres ; que, sur cette base, on a sapé la différenciation de la paysannerie en koulaks et paysans pauvres, et supprimé, de ce fait, la misère et le paupérisme à la campagne.

C’est là une conquête immense, camarades, dont aucun Etat bourgeois ne peut rêver, fût-il un Etat tout ce qu’il y a de plus «démocratique».

Chez nous, en U.R.S.S., les ouvriers ont depuis longtemps oublié ce qu’est le chômage. Il y quelque trois ans, nous avions près d’un million et demi de sans-travail. Voilà deux ans que nous avons supprimé le chômage. Et les ouvriers ont eu le temps d’en oublier le joug, les horreurs.

Voyez un peu les pays capitalistes, les horreurs qui sont la conséquence du chômage. On compte aujourd’hui, dans ces pays, 30 à 40 millions de chômeurs. Qui sont-ils, ces gens-là ? On dit d’eux habituellement, que ce sont des «hommes finis».

Chaque jour ils sollicitent, ils cherchent du travail, ils sont prêts à accepter n’importe quelles conditions, ou presque, mais on ne les embauche pas parce qu’ils sont «de trop».

Et cela dans un moment où des masses énormes de marchandises et de produits sont gaspillées au gré des caprices des favorisés du sort, des rejetons des capitalistes et des grands propriétaires fonciers.

On refuse aux chômeurs la nourriture, parce qu’ils n’ont pas de quoi la payer : on leur refuse un abri, parce qu’ils n’ont pas de quoi payer le loyer. Comment et où vivent-ils ?

Ils vivent des misérables miettes tombées de la table des maîtres, des reliefs pourris qu’ils trouvent en fouillant dans les poubelles ; ils vivent dans les taudis des grandes villes et surtout dans les masures que les chômeurs construisent à la hâte en dehors des villes, avec de vieilles caisses et de l’écorce d’arbre.

Mais ce n’est pas tout. Les sans-travail ne sont pas seuls à souffrir du chômage. Les ouvriers occupés en souffrent eux aussi. Ils en souffrent parce que l’existence d’un grand nombre de sans-travail rend leur situation instable dans la production, et leur lendemain incertain. Aujourd’hui ils travaillent dans une entreprise, mais ils ne sont pas sûrs que demain, à leur réveil, ils n’apprendront pas qu’ils ont été réglés.

Une des conquêtes essentielles du plan quinquennal en quatre ans est d’avoir supprimé le chômage et affranchi de ses horreurs les ouvriers de l’U.R.S.S.

Il faut en dire autant des paysans. Eux aussi ont oublié ce qu’est la différenciation de la paysannerie en koulaks et paysans pauvres, l’exploitation de ceux-ci par ceux-là, la ruine qui chaque année réduisait à la mendicité des centaines de milliers et des millions de paysans pauvres.

Il y a trois ou quatre ans, les paysans pauvres formaient chez nous au moins 30 % de toute la population paysanne.

Soit plus de 10 millions d’hommes. Antérieurement, avant la Révolution d’Octobre, les paysans pauvres formaient au moins 60 % de la population paysanne.

Qu’étaient-ce que les paysans pauvres ? Des gens qui, pour exploiter leur sol, manquaient généralement soit de semences, soit d’un cheval, soit d’instruments, soit de toutes ces choses à la fois. Les paysans pauvres, c’étaient des gens qui aie mangeaient jamais à leur faim, et qui, en règle générale, étaient asservis par les koulaks et, sous l’ancien régime, par les koulaks et les grands propriétaires fonciers.

Tout récemment encore, près d’un million et demi de paysans pauvres, si ce n’est deux millions entiers, descendaient vers le Sud chaque année, à la recherche d’un gagne-pain — au Caucase du Nord et en Ukraine, — pour se faire embaucher par les koulaks, et, autrefois, par les koulaks et les grands propriétaires fonciers.

Il s’en présentait encore davantage chaque année aux portes des usines, grossissant ainsi les rangs des chômeurs.

Les paysans pauvres n’étaient pas seuls dans cette situation peu enviable. Une bonne moitié des paysans moyens subissait une misère et des privations égales à celles des paysans pauvres. Toutcela, les paysans ont déjà eu le temps de l’oublier.

Qu’a donné le plan quinquennal en quatre ans aux paysans pauvres et aux couches inférieures de paysans moyens ? Il a miné et brisé les koulaks comme classe, et il a libéré les paysans pauvres et une bonne moitié des paysans moyens de leur asservissement aux koulaks. Il les a entraînés dans les kolkhoz et leur a fait une situation stable.

Il a supprimé par là même la possibilité de différenciation de la paysannerie en exploiteurs — les koulaks, — et en exploités — les paysans pauvres.

Il a élevé les paysans pauvres et les couches inférieures de paysans moyens, dans les kolkhoz, au rang d’hommes à l’abri du besoin, en supprimant du même coup le processus de ruine et d’appauvrissement de la paysannerie.

On ne voit plus maintenant chez nous des millions de paysans abandonnant, chaque année, leur foyer pour aller chercher un gagne-pain dans des contrées lointaines.

Pour faire travailler un paysan en dehors de son kolkhoz, il faut maintenant signer un contrat avec le kolkhoz et, de plus, assurer au kolkhozien la gratuité du voyage en chemin de fer. On ne voit plus maintenant, chez nous, des centaines de milliers et des millions de paysans se ruiner et assiéger les portes des fabriques et des usines.

Cela fut, mais il y a beau temps que cela n’est plus. Maintenant le paysan est un agriculteur à l’abri du besoin, il est membre d’un kolkhoz disposant de tracteurs, de machines agricoles, de fonds de semences, de fonds de réserve, etc., etc.

Voilà ce que le plan quinquennal a donné aux paysans pauvres et aux couches inférieures de paysans moyens.Voilà ce que sont au fond les principales conquêtes du plan quinquennal en ce qui concerne l’amélioration de la situation matérielle des ouvriers et des paysans.

Ces principales conquêtes quant à l’amélioration des conditions matérielles des ouvriers et des paysans ont eu pour résultat, au cours de la première période quinquennale :

a) l’augmentation au double du nombre des ouvriers et des employés de la grande industrie par rapport à 1928, ce qui excède de 57 % le plan quinquennal ;

b) l’augmentation du revenu national, donc augmentation des revenus des ouvriers et des paysans, atteignant en 1932, 45,1 milliards de roubles, soit une augmentation de 85 % contre 1928 ;

c) l’augmentation de 67 % du salaire annuel moyen des ouvriers et des employés de la grande industrie par rapport à 1928, ce qui excède de 18 % le plan quinquennal ;

d) l’augmentation du fonds d’assurances sociales de 292 % par rapport à 1928 (4.120 millions de roubles en 1932 contre 1.050 millions en 1928), ce qui excède de 111 % le plan quinquennal ; e) le développement de l’alimentation publique qui embrasse plus de 70 % des ouvriers des industries maîtresses, ce qui excède de 6 fois le plan quinquennal.

Certes, nous ne sommes pas encore arrivés à pourvoir intégralement aux besoins matériels des ouvriers et des paysans. Et il n’est guère probable que nous y parvenions au cours des prochaines années.

Mais nous avons, sans nul doute, obtenu que la situation matérielle des ouvriers et des paysans s’améliore chez nous d’année en année.

Seuls peuvent en douter les ennemis jurés du pouvoir des Soviets ou, peut-être, certains représentants de la presse bourgeoise, y compris

une partie des correspondants de cette presse à Moscou, qui, en ce qui concerne la vie économique des peuples et la situation des travailleurs, n’y entendent guère plus que, par exemple, le roi d’Ethiopie dans les hautes mathématiques.

Et comment se présente la situation des ouvriers et des paysans dans les pays capitalistes ?

Voici les données officielles.

Le nombre des chômeurs dans les pays capitalistes s’est accru d’une façon catastrophique. Aux Etats-Unis, d’après les données officielles, dans la seule industrie de transformation, le nombre des ouvriers occupés a diminué de 8,5 millions de personnes, en 1928, à 5,5 millions en 1932 ; d’après les données de la Fédération américaine du travail, le nombre des chômeurs aux Etats-Unis, dans toute l’industrie, atteint à la fin de 1932, 11 millions.

En Angleterre, le nombre des chômeurs est passé, d’après les statistiques officielles, de 1.290.000 en 1928 à 2,8 millions en 1932.

En Allemagne, d’après les données officielles, le nombre des sans-travail est passé de 1.376.000 en 1928 à 5,5 millions en 1932.

Il en va de même pour tous les pays capitalistes ; encore convient-il de dire que les statistiques officielles, en règle générale, diminuent le chiffre de chômeurs, dont le nombre oscille, dans les pays capitalistes, entre 35 et 40 millions de personnes.

On procède à une réduction systématique des salaires ouvriers.

D’après les données officielles, la baisse du salaire mensuel moyen aux Etats-Unis atteint, par rapport au niveau de 1928, 35 %. En Angleterre, pour la même période de temps, 15 %, et en Allemagne même 50 %.

Selon les calculs établis par la Fédération américaine du travail, les pertes subies pair les ouvriers américains, par suite de la baisse des salaires en 1930-1931, s’élevaient à plus de 35 milliards de dollars.

Les fonds d’assurances, déjà bien assez minimes, ont été notablement réduits en Angleterre et en Allemagne. Aux Etats-Unis et en France, c’est l’absence totale ou quasi totale de toute forme d’assurance-chômage. D’où augmentation formidable du nombre d’ouvriers sans logis et d’enfants abandonnés, surtout aux Etats-Unis.

La situation des masses paysannes dans les pays capitalistes n’est guère meilleure : la crise agricole sape à la racine les exploitations paysannes et réduit à la mendicité des millions de paysans et de fermiers ruinés.

Tel est le bilan du plan quinquennal en quatre ans quant à l’amélioration de la situation matérielle des travailleurs de l’U.R.S.S.

VI ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL EN QUATRE ANS DANS LE DOMAINE DES ECHANGES ENTRE LA VILLE ET LA CAMPAGNE

Passons maintenant aux résultats du plan quinquennal en quatre ans quant au développement des échanges entre la ville et la campagne.

L’accroissement considérable de la production industrielle et agricole, l’accroissement des excédents de marchandises aussi bien dans l’industrie que dans l’agriculture, enfin l’accroissement des besoins des ouvriers et des paysans, tout cela devait forcément amener et a réellement amené une reprise et une extension des échanges entre la ville et la campagne.

Les liens de production entre la ville et la campagne sont la forme essentielle de leur alliance. Mais cette forme, à elle seule, ne suffit pas. Il faut la compléter par une alliance dans le domaine deséchanges afin que la liaison entre la ville et la campagne devienne indissoluble et durable. A cela on ne peut arriver qu’en développant le commerce soviétique.

On aurait tort de croire que l’on pût développer le commerce soviétique par un seul canal, par exemple les coopératives. Pour développer le commerce soviétique, il est nécessaire d’utiliser tous les canaux : et le réseau coopératif, et le réseau commercial de l’État, et le commerce des kolkhoz.

Certains camarades pensent que développer le commerce soviétique, et notamment développer le commerce des kolkhoz, c’est revenir au premier stade de la Nep. Cela est absolument faux.

Une différence cardinale existe entre le commerce soviétique, y compris le commerce des kolkhoz, et le commerce du premier stade de la Nep.

Au premier stade de la Nep nous admettions une reprise du capitalisme, nous admettions le commerce privé, nous admettions Inactivité» des commerçants privés, des capitalistes, des spéculateurs.

C’était un commerce plus ou moins libre, limité seulement par le rôle régulateur de l’État. Le secteur capitaliste privé occupait alors une place assez importante dans les échanges du pays. Inutile de dire qu’alors notre industrie n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui, qu’il n’y avait ni kolkhoz ni sovkhoz travaillant d’après un plan et mettant à la disposition de l’État d’immenses réserves de produits agricoles et d’articles de la ville.

Peut-on dire que nous ayons à présent la même situation ? Evidemment non.

D’abord on ne peut placer le commerce soviétique sur le même planque le commerce au premier stade de la Nep, bien que celui-ci fût réglé par l’État. Si au premier stade de la Nep le commerce admettait une reprise du capitalisme et le fonctionnement du secteur capitaliste privé dans les échanges, le commerce soviétique part de la négation de l’un et de l’autre.

Qu’est-ce que le commerce soviétique ? Le commerce soviétique est le commerce sans capitalistes, ni petits ni grands, le commerce sans spéculateurs, ni petits ni grands.

C’est un commerce d’un genre spécial, que l’histoire n’a pas connu jusqu’ici et que nous, bolcheviks, sommes seuls à pratiquer dans le cadre du développement soviétique.

En second lieu, nous possédons maintenant une industrie d’État assez développée et tout un système de kolkhoz et de sovkhoz, qui assurent à l’État d’énormes réserves de marchandises agricoles et industrielles permettant de développer le commerça soviétique. Cela n’existait ni ne pouvait exister au premier stade de la Nep.

En troisième lieu, nous avons réussi, au cours de la dernière période, à éliminer complètement des échanges les commerçants privés, les marchands, les intermédiaires de tout genre.

Il est évident que cela n’exclut pas la possibilité de voir réapparaître par atavisme, dans l’échange des marchandises, les commerçants privés et les spéculateurs, qui utiliseront le champ d’activité le plus commode pour eux, à savoir le commerce des kolkhoz.

Bien plus, les kolkhoziens eux-mêmes ne sont pas fâchés, parfois, de se lancer dans la spéculation, ce qui ne leur fait pas honneur évidemment. Mais pour combattre ces manifestations malsaines, le pouvoir des Soviets a promulgué récemment une loi sur les mesures devant mettre fin à la spéculation et punir les spéculateurs. Vous savez naturellement que cette loi ne pèche pas par un excès de douceur. Vous comprendrez naturellement qu’une telle loi n’existaitpas et ne pouvait exister au premier stade de la Nep.

Vous voyez que parler après tout cela de retour au commerce du premier stade de la Nep, c’est ne rien comprendre, mais absolument rien, à notre économie soviétique.

On nous dit qu’il est impossible de développer le commerce, fût-il un commerce soviétique, sans un système monétaire sain et sans une devise saine ; qu’il faut avant tout soigner notre système monétaire et nos devises soviétiques, qui, dit-on, ne représentent aucune valeur.

C’est ce que nous disent les économistes des pays capitalistes. Je pense que ces honorables économistes n’entendent en matière d’économie politique guère plus que, par exemple, l’archevêque de Canterbury en propagande antireligieuse.

Comment peut-on affirmer que notre devise soviétique ne représente aucune valeur ? N’est-ce pas un fait qu’avec cette devise nous avons construit le Magnitostroî, le Dniéprostroï, le Kouznetskstroï, les usines de tracteurs de Stalingrad et de Kharkov, les usines d’automobiles de Gorki et de Moscou, des centaines de milliers de kolkhoz et des milliers de sovkhoz ?

Ces messieurs ne pensent-ils pas que toutes ces entreprises ont été construites avec de la paille ou de l’argile et non avec des matériaux véritables, ayant une valeur déterminée ?

Qu’est-ce qui assure la stabilité de la devise soviétique si l’on parle, bien entendu, du marché organisé ayant une importance décisive dans le commerce du pays, et non pas du marché inorganisé dont l’importance n’est que secondaire ?

Evidemment, pas seulement la réserve d’or. La stabilité de la devise soviétique est assurée avant tout par la quantité énorme des masses de marchandises dont l’État dispose et qui sont mises en circulation àdes prix fermes.

Qui donc parmi les économistes peut nier qu’une telle garantie, qui n’existe qu’en U.R.S.S., est une garantie plus réelle de la stabilité de la devise, que n’importe quelle réserve d’or ?

Les économistes des pays capitalistes comprendront-ils un jour qu’ils se sont définitivement empêtrés dans la théorie de la réserve d’or, comme unique garantie de la stabilité de la devise.

Voilà où en sont les choses en ce qui concerne l’extension du commerce soviétique.

Quels résultats nous a donnés l’accomplissement du plan quinquennal quant au développement du commerce soviétique ? Nous enregistrons comme bilan du plan quinquennal : a) un accroissement de la production de l’industrie légère atteignant 187 % par rapport à 1928 ;

b) un accroissement du commerce de détail coopératif et d’État, dont le chiffre s’élève aujourd’hui à 39,6 milliards de roubles (prix de 1932), soit une augmentation de la masse de marchandises dans le commerce de détail de 175 % par rapport à 1928 ;

c) un accroissement du réseau commercial, coopératif et d’État, de 158.000 boutiques et magasins par rapport à 1929 ;

d) l’extension de plus en plus grande du commerce des kolkhoz et des stockages de produits agricoles, opérés par les différentes organisations coopératives et d’État.

Tels sont les faits.

Tout autre est le tableau que présentent les échanges dans les pays capitalistes, où la crise a abouti à une compression catastrophique du commerce, à la fermeture en masse des entreprises et à la ruine despetits et moyens commerçants, à la faillite des grandes maisons de commerce et à l’engorgement des entreprises commerciales, parallèlement à la chute continue du pouvoir d’achat des masses travailleuses.

Tel est le bilan du plan quinquennal en quatre ans, quant au développement des échanges.

VII ­ LE BILAN DU PLAN QUINQUENNAL EN QUATRE ANS DANS LE DOMAINE DE LA LUTTE CONTRE LES DEBRIS DES CLASSES ENNEMIES

L’accomplissement du plan quinquennal dans l’industrie, l’agriculture et le commerce nous a permis d’affermir le socialisme dans toutes les sphères de l’économie nationale, après en avoir chassé les éléments capitalistes.

A quoi cela devait-il aboutir pour les éléments capitalistes, et à quoi cela a-t-il abouti effectivement ?

A ceci que les derniers débris des classes expirantes ont été délogés : les industriels et leur valetaille, les commerçants et leurs suppôts, les ci-devant nobles et les popes, les koulaks et leurs complices, les anciens officiers blancs et ouriadniks, les anciens policiers et gendarmes, les intellectuels bourgeois, chauvins de tout poil, et tous les autres éléments antisoviétiques.

Délogés et dispersés à travers l’U.R.S.S., ces ci-devant sont venus s’insinuer dans nos usines et fabriques, dans nos institutions et nos organisations commerciales, dans nos entreprises de transports par fer et par eau, et surtout dans les kolkhoz et les sovkhoz. Il s’y sont insinués et réfugiés, affublés du masque d’«ouvriers» et de «paysans» ; certains d’entre eux se sont même faufilés dans le Parti.

Qu’ont-ils apporté avec eux ? Evidemment, un sentiment de haine contre le pouvoir des Soviets, un sentiment d’hostilité féroce pour les nouvelles formes d’économie, d’existence, de culture.

Attaquer de front le pouvoir des Soviets, ces messieurs n’en ont plus la force. Eux et leurs classes avaient déjà à plusieurs reprises mené de ces attaques, mais ils avaient été battus et dispersés. Aussi, la seule chose qui leur reste, c’est de faire du tort, de nuire aux ouvriers, aux kolkhoziens, au pouvoir des Soviets, au Parti.

Et ils font du tort, tant qu’ils, peuvent, en poussant sournoisement leurs sapes. Ils mettent le feu aux entrepôts et brisent les machines.

Ils organisent le sabotage. Ils organisent le sabotage dans les kolkhoz, dans les sovkhoz ; et certains d’entre eux, au nombre desquels figurent même des professeurs, vont, dans leur ardeur à nuire, jusqu’à inoculer la peste et le charbon au bétail des kolkhoz et des sovkhoz, jusqu’à favoriser la propagation de la méningite chez les chevaux, etc.

Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel dans Inactivité» de ces ci-devant, c’est qu’ils organisent le vol et le pillage en masse des biens de l’État, des biens des coopératives, de la propriété des kolkhoz.

Vol et pillage dans les fabriques et usines, vol et pillage des marchandises sur les chemins de fer, vol et pillage dans les dépôts et entreprises de commerce, surtout vol et pillage dans les sovkhoz et les kolkhoz.

Telle est la forme principale de l’ «activité» de ces ci-devant. Ils sentent, comme par un instinct de classe, que la propriété sociale est la base de l’économie soviétique ; que c’est cette base précisément qu’il s’agit d’ébranler pour faire du tort au pouvoir des Soviets, et ils s’efforcent effectivement d’ébranler la propriété sociale par le vol et le pillage organisés.

Pour organiser les pillages, ils exploitent les habitudes et lessurvivances de l’esprit de propriété chez les kolkhoziens, hier encore

paysans individuels, aujourd’hui membres de kolkhoz. En votre qualité de marxistes, vous devez savoir que la conscience des hommes retarde dans son développement sur leur situation réelle.

Par leur situation les kolkhoziens ne sont plus des paysans individuels ; ils sont des collectivistes.

Mais leur conscience est encore pour le moment celle d’autrefois, celle du propriétaire privé. Et les ci-devant, issus des classes exploiteuses profitent des habitudes de propriétaires privés qu’ont les kolkhoziens, pour organiser le pillage des biens publics et ébranler ainsi la base du régime soviétique, la propriété sociale.

Beaucoup de nos camarades considèrent ce fait avec placidité ; ils ne comprennent pas le sens et la signification des vols et du pillage en masse. Tels des aveugles, ils passent à côté de ces faits, estimant qu’ «il n’y a là rien de particulier». Mais ces camarades se trompent lourdement. La base de notre régime est la propriété sociale, de même que la base du capitalisme est la propriété privée.

Si les capitalistes ont proclamé la propriété privée, sacrée et inviolable, et sont parvenus, en leur temps, à consolider le régime capitaliste, nous, communistes, devons d’autant plus proclamer la propriété sociale, sacrée et inviolable, afin de stabiliser par là-même les nouvelles formes socialistes de l’économie dans toutes les branches de la production et du commerce.

Tolérer le vol et le pillage de la propriété sociale, — qu’il s’agisse de la propriété de l’État ou de la propriété des coopératives et des kolkhoz, peu importe ! — et passer à côté de telles infamies contre-révolutionnaires, c’est contribuer à saper le régime soviétique reposant sur la propriété sociale qui en est la base.

C’est de là qu’est parti notre gouvernement soviétique, en promulguant sa récente loi sur la sauvegarde de la propriété sociale.Cette loi constitue à cette heure la base de la légalité révolutionnaire.

L’appliquer le plus rigoureusement est le premier devoir de chaque ouvrier et de chaque kolkhozien.

On dit que la légalité révolutionnaire de nos jours ne se distingue en rien de la légalité révolutionnaire de la première période de la Nep ; que la légalité révolutionnaire de nos jours marque un retour à la légalité révolutionnaire de la première période de la Nep. C’est absolument faux.

La légalité révolutionnaire de la première période de la Nep avait sa pointe dirigée surtout contre les excès du communisme de guerre, contre les confiscations et les prestations «illicites». Elle garantissait au propriétaire privé, au paysan individuel, au capitaliste, la sauvegarde de leur bien à condition qu’ils observent rigoureusement les lois soviétiques.

Tout autre est la légalité révolutionnaire de nos jours. La légalité révolutionnaire de nos jours a sa pointe dirigée, non contre les excès du communisme de guerre, qui ont disparu il y a beau temps, mais contre les voleurs et les saboteurs dans l’économie sociale, contre les apaches et les dilapidateurs de la propriété sociale.

Le principal souci de la légalité révolutionnaire de nos jours, c’est, par conséquent, la sauvegarde de la propriété sociale, et pas autre chose.

Voilà pourquoi la lutte pour la sauvegarde de la propriété sociale, la lutte par tous les moyens et toutes les mesures que les lois du pouvoir des Soviets mettent à notre disposition constitue une des tâches essentielles du Parti.

Une dictature du prolétariat, forte et puissante, voilà ce qu’il nous faut maintenant pour réduire en poussière les derniers débris des classes expirantes et briser leurs machinations de filous.

Certains camarades ont compris la thèse de la suppression des classes, de la création d’une société sans classes et du dépérissement

de l’État, comme une justification de la paresse et de la placidité, une justification de la théorie contre-révolutionnaire de l’extinction de la lutte de classes et de l’affaiblissement du pouvoir d’État.

Inutile de dire que ces hommes ne peuvent avoir rien de commun avec notre Parti. Ce sont des éléments dégénérés ou à double face, qu’il faut chasser du Parti. La suppression des classes peut être réalisée, non par l’extinction de la lutte de classes, mais par son accentuation.

Le dépérissement de l’État se fera, non par l’affaiblissement du pouvoir d’État, mais par son renforcement maximum, ce qui est indispensable pour achever les débris des classes expirantes et organiser la défense contre l’encerclement capitaliste, lequel est encore loin d’être détruit et ne le sera pas encore de sitôt.

L’accomplissement du plan quinquennal nous a permis de chasser à jamais, de leurs positions dans la production, les derniers débris des classes ennemies ; nous avons défait la classe des koulaks et préparé le terrain en vue de son anéantissement.

Tel est le bilan du plan quinquennal quant à la lutte contre les derniers détachements de la bourgeoisie. Mais cela ne suffit pas. Notre tâche est de déloger les ci-devant de nos propres entreprises et institutions, et de les mettre définitivement hors d’état de nuire.

On ne peut dire que les ci-devant puissent changer quelque chose, par leurs machinations de saboteurs et de filous, à la situation actuelle de l’U.R.S.S. Ils sont trop faibles et impuissants pour tenir tête aux dispositions du pouvoir des Soviets.

Mais si nos camarades ne s’arment pas de vigilance révolutionnaire et n’abandonnent pas leur placidité de philistins devant le vol et la dilapidation de la propriété sociale, les ci-devant peuvent causer bien du tort.Il ne faut pas perdre de vue que la puissance croissante de l’État soviétique augmentera la résistance des derniers débris des classes expirantes.

Précisément parce qu’ils expirent et achèvent de vivre leurs derniers jours, ils passeront de telles formes d’attaque à d’autres, à des formes d’attaque plus violentes, en en appelant aux couches arriérées de la population et en les mobilisant contre le pouvoir des Soviets.

Il n’est point de vilenies et de calomnies dont les ci-devant n’usent contre le pouvoir des Soviets, et autour desquelles ils ne tentent de mobiliser les éléments arriérés.

Sur ce terrain peuvent revivre et se remettre en mouvement les groupes défaits des vieux partis contre-révolutionnaires des socialistes-révolutionnaires, des menchéviks, des nationalistes bourgeois du centre et de la périphérie ; peuvent revivre et se remettre en mouvement les débris des éléments d’opposition contre-révolutionnaires : trotskistes et fauteurs de la déviation de droite.

Ce n’est pas terrible, évidemment. Mais il faut tenir compte de tout cela, si nous voulons en finir avec ces éléments, en finir vite et sans qu’il nous en coûte trop cher.

Voilà pourquoi la vigilance révolutionnaire est cette qualité qui aujourd’hui est particulièrement indispensable aux bolcheviks.

VIII ­ CONCLUSIONS GENERALES

Tels sont les résultats essentiels de l’accomplissement du plan quinquennal dans l’industrie et l’agriculture, quant à l’amélioration des conditions d’existence des travailleurs et au développement des échanges, quant à la consolidation du pouvoir des Soviets et à l’extension de la lutte de classe contre les débris et les survivances des classes dépérissantes.

Tels sont les succès et les conquêtes du pouvoir des Soviets depuis quatre ans.

Ce serait une erreur de croire, sur la foi de ces succès, que chez nous tout va bien. Il est évident que tout ne va pas encore bien chez nous.

Il y a dans notre travail pas mal de défauts et d’erreurs. L’incurie et le désordre sont encore chose courante chez nous. Je ne puis malheureusement pas m’arrêter maintenant à ces défauts, à ces erreurs.

Le cadre du rapport d’activité qui m’a été confié ne m’en laisse pas la latitude.

Mais il ne s’agit pas de cela maintenant. La vérité est que, en dépit des défauts et des erreurs, dont personne parmi nous ne nie l’existence, nous avons obtenu des succès tellement sérieux, qu’ils suscitent l’admiration de la classe ouvrière du monde entier ; nous avons remporté une victoire qui, en vérité, est d’une importance historique et mondiale.

Qu’est-ce qui a pu jouer et a joué effectivement un rôle essentiel dans le fait que, malgré nos erreurs et nos défauts, le Parti a néanmoins remporté des succès décisifs dans l’accomplissement du plan quinquennal en quatre ans ?

Où sont les forces essentielles qui nous ont assuré, malgré tout, cette victoire historique ?

C’est d’abord l’activité et l’abnégation, l’enthousiasme et l’initiative des millions d’ouvriers et de kolkhoziens qui, de concert avec les ingénieurs et les techniciens, ont fait preuve d’une énergie colossale pour développer l’émulation socialiste et le travail de choc.

Il ne peut faire aucun doute que, sans cela, nous n’aurions pu arriver au but, nous n’aurions pu avancer d’un seul pas.

C’est, en second lieu, la direction ferme du Parti et du gouvernement, qui ont appelé les masses à aller de l’avant et qui, pour atteindre le but, ont surmonté toutes les difficultés imaginables sur leur chemin.

Ce sont enfin les mérites et les avantages particuliers du système soviétique de l’économie, système qui renferme d’immenses possibilités, nécessaires pour vaincre les difficultés de toute sorte.

Telles sont les trois forces essentielles qui ont déterminé la victoire historique de l’U.R.S.S.

Conclusions générales :

1. Les résultats du plan quinquennal ont réfuté l’affirmation des hommes politiques bourgeois et social-démocrates, prétendant que le plan de cinq ans est une fantaisie, un délire, un rêve irréalisable.

Les résultats du plan quinquennal ont montré que celui-ci était déjà réalisé.

2. Les résultats du plan quinquennal ont battu en brèche le «credo» bourgeois bien connu, selon lequel la classe ouvrière est incapable d’édifier du nouveau, et n’est capable que de détruire l’ancien. Les résultats du plan quinquennal ont montré que la classe ouvrière est tout aussi capable d’édifier parfaitement du nouveau que de détruire l’ancien.

3. Les résultats du plan quinquennal ont battu en brèche la thèse des social-démocrates, suivant laquelle il est impossible de construire intégralement le socialisme dans un seul pays, pris à part. Les résultats du plan quinquennal ont montré qu’il est parfaitement possible de construire dans un seul pays une société socialiste,puisque la base économique d’une telle société est déjà construite en U.R.S.S.

4. Les résultats du plan quinquennal ont réfuté l’affirmation des économistes bourgeois, disant que le système capitaliste d’économie est le meilleur, que tout autre système d’économie manque de solidité et est incapable de résister à l’épreuve des difficultés du développement économique.

Les résultats du plan quinquennal ont montré que le système capitaliste d’économie est précaire et manque de solidité, qu’il a déjà fait son temps et doit céder sa place à un autre système, supérieur, au système soviétique, socialiste ; que le seul système d’économie ne craignant pas les crises et capable de surmonter des difficultés insolubles pour le capitalisme, est le système d’économie soviétique.

5. Enfin, les résultats du plan quinquennal ont montré que le Parti est invincible s’il sait dans quelle direction agir et s’il ne craint pas les difficultés.

(Longs applaudissements en rafale, qui tournent en ovation.

L’assistance debout acclame le camarade Staline.)

=>Oeuvres de Staline

Staline : L’année du grand tournant

L’ANNEE DU GRAND TOURNANT

POUR LE XIIe ANNIVERSAIRE DE LA REVOLUTION D’OCTOBRE

Pravda, n° 259, 7 novembre 1929

Importance décisive, on peut ramener les succès de notre offensive sur ce front, nos réalisations de l’année écoulée, à trois éléments essentiels.

L’année écoulée fut celle d’un grand tournant sur tous tes fronts de construction socialiste. Ce tournant s’est poursuivi et se poursuit encore sous le signe d’une offensive résolue du socialisme contre les éléments capitalistes de la ville et de la campagne. Cette offensive a ceci de caractéristique qu’elle nous a déjà donné une série de succès décisifs dans les principaux domaines de la transformation (reconstruction) socialiste de notre économie nationale.

Il s’ensuit que le Parti a su utiliser efficacement le recul opéré aux premiers stades de la Nep pour, ensuite, à ses stades ultérieurs, organiser le tournant et engager une offensive victorieuse contre les éléments capitalistes.

Lors de l’institution de la Nep, Lénine disait :

« Nous reculons actuellement, nous semblons reculer, maisnous le faisons pour ensuite prendre notre élan et bondir avec plus de force en avant. C’est à cette seule condition que nous avons reculé en appliquant notre nouvelle politique économique… pour, après le recul, commencer une offensive des plus opiniâtres. («Discours à l’Assemblée plénière du Soviet de Moscou», t. XXVII, pp. 361­362, éd. Russe.) Les résultats de l’année écoulée attestent incontestablement que le Parti, dans son travail, applique avec succès cette indication décisive de Lénine. »

Si l’on prend les résultats de l’année écoulée dans le domaine de l’édification économique, qui est pour nous d’une ???

I ­ DANS LE DOMAINE DE LA PRODUCTIVITE DU TRAVAIL

On ne peut guère douter que l’un des faits les plus importants, sinon le plus important de notre œuvre constructive dans l’année qui vient de s’écouler, c’est que nous avons réussi à opérer un tournant décisif dans le domaine de la productivité du travail. Ce tournant s’est traduit par une accentuation de l’initiative créatrice et un puissant élan de travail des masses innombrables de la classe ouvrière sur le front de construction socialiste. Là est notre première et principale réalisation de l’année écoulée.

L’initiative créatrice et l’élan au travail des masses furent stimulés principalement dans trois directions : a) en luttant contre le bureaucratisme qui enchaîne l’initiative et l’activité des masses dans leur travail, — par l’autocritique ; b) en luttant contre les tire-au-flanc et destructeurs de la discipline prolétarienne du travail, — par l’émulation socialiste ; enfin c) en luttant contre la routine et l’inertie dans la production, par l’organisation de la semaine de travail ininterrompue. [Semaine de travail ininterrompue.

Les entreprises (les institutions) travaillent tous les jours ; les ouvriers bénéficient d’un jour de repos à tour de rôle, tous les cinq jours. (N. des Trad).] Comme résultat, nous enregistrons un immense succès sur le front du travail : l’enthousiasme au travail et l’appel mutuel au travail des masses innombrables de la classe ouvrière sur tous les points de notre pays immense.

Or, la portée de ce succès est véritablement inappréciable, car seuls l’élan et l’enthousiasme au travail des masses innombrables peuvent assurer la montée continue de la productivité du travail, sans quoi la victoire définitive du socialisme sur le capitalisme ne saurait se concevoir.

La productivité du travail, dit Lénine, c’est, en dernière analyse, ce qu’il y a de plus important, d’essentiel pour la victoire du nouvel ordre social. Le capitalisme a créé une productivité du travail inconnue sous le servage. Le capitalisme peut être définitivement vaincu et le sera définitivement, parce que le socialisme crée une productivité du travail nouvelle, beaucoup plus élevée. («La grande initiative», t. XXIV, p. 342, éd. Russe.)

Partant de là, Lénine estime que :

Nous devons nous pénétrer de cet enthousiasme au travail, de cette volonté de travail, de cette opiniâtreté dont dépend désormais le salut le plus prompt des ouvriers et des paysans, le salut de l’économie nationale. («Le IIIe anniversaire de la Révolution d’Octobre. Discours à l’Assemblée plénière du Soviet, du Comité du Parti et du Conseil des syndicats de Moscou», t. XXV, p. 477, éd. Russe.)

Telle est tâche que Lénine a posée, devant le Parti.

L’année écoulée a montré que le Parti accomplit cette tâche avec succès, en surmontant résolument les difficultés dressées sur ce chemin.Voilà ce qu’il en est de la première réalisation importante du Parti, pour l’année écoulée.

II ­ DANS LE DOMAINE DE L’EDIFICATION INDUSTRIELLE

A cette première réalisation du Parti se rattache étroitement sa deuxième réalisation.

Cette deuxième réalisation du Parti, c’est que nous avons obtenu, au cours de l’année écoulée, une solution favorable, dans l’essentiel, du problème de l’accumulation pour les grands travaux de l’industrie lourde ; que nous avons adopté un rythme accéléré pour le développement de la production des moyens de production, et créé les conditions nécessaires à la transformation de notre pays en un pays métallurgique. Là est notre deuxième réalisation essentielle pour l’année écoulée.

Le problème de l’industrie légère ne présente pas de difficultés particulières. Nous l’avons déjà résolu il y a quelques années. Plus difficile et plus important est le problème de l’industrie lourde. Plus difficile, parce que celle-ci exige d’énormes investissements de capitaux ; de plus, ainsi que le montre l’histoire des pays arriérés sous le rapport industriel, l’industrie lourde ne peut se passer d’énormes emprunts à long terme.

Plus important, parce que sans développer l’industrie lourde, nous ne pouvons construire aucune industrie, nous ne pouvons procéder à aucune industrialisation. Et comme nous n’avions et n’avons ni emprunts à long terme, ni crédits quelque peu prolongés, l’acuité du problème devient pour nous plus qu’évidente.

C’est ce qui guide précisément les capitalistes de tous les pays, lorsqu’ils nous refusent emprunts et crédits ; ils croient que nous ne pourrons venir à bout, par nos propres forces, du problème de l’accumulation, que nous nous enferrerons sur le problème de la reconstruction de l’industrie lourde et serons obligés d’aller les trouver chapeau bas, de nous livrer à leur merci.

Or, que nous disent à ce propos les résultats de l’année écoulée ? L’importance de ces résultats, c’est qu’ils mettent en pièces les calculs de messieurs les capitalistes.

L’année écoulée a montré que, malgré le blocus financier, avoué ou secret, de l’U.R.S.S., nous ne nous sommes pas livrés à la merci des capitalistes, et que nous avons résolu avec succès, par nos propres forces, le problème de l’accumulation, en jetant les fondations de l’industrie lourde.

C’est ce que désormais ne peuvent nier même les ennemis jurés de la classe ouvrière. En effet, si les investissements dans la grande industrie ont été, l’an dernier, supérieurs à 1.600 millions de roubles, dont 1.300 millions environ sont allés à l’industrie lourde, et que les investissements dans la grande industrie, cette année, sont supérieurs à 3.400 millions de roubles, dont plus de 2.500 millions iront à l’industrie lourde ; si la production globale de la grande industrie accusait l’an dernier une augmentation de 23 %, — la part d’accroissement de l’industrie lourde étant de 30 %, — tandis que la production globale de la grande industrie doit fournir, cette année, un accroissement de 32 %, la part d’accroissement de l’industrie lourde devant être de 46 %, — n’est­il pas clair que le problème de l’accumulation pour la construction de l’industrie lourde ne présente pas pour nous de difficultés insurmontables ?

Comment peut­on douter que nous avançons à une allure accélérée, dans la voie du développement de notre industrie lourde, que nous dépassons les anciens rythmes et laissons derrière nous notre retard «séculaire» ?

Peut-on s’étonner après tout ce qui vient d’être dit, que les prévisionsdu plan quinquennal aient été dépassées dans l’année écoulée, et que

la variante optima du plan quinquennal, que les écrivassiers bourgeois tiennent pour «chose fantastique, inaccessible» et dont s’épouvantent nos opportunistes de droite (groupe Boukharine), soit devenue en fait la variante minima du plan quinquennal ? Le salut pour la Russie, dit Lénine, n’est pas seulement dans une bonne récolte de l’économie paysanne — cela ne suffit pas encore — et pas seulement dans le bon état de l’industrie légère qui fournit aux paysans les articles de consommation – cela non plus ne suffit pas encore, — il nous faut également une industrie lourde…

Si nous ne sauvons pas l’industrie lourde, si nous ne la rétablissons pas, nous ne pourrons construire aucune industrie et, à défaut de celle-ci, c’en sera fait de nous, en général, comme pays indépendant…

L’industrie lourde a besoin de subventions de l’État. Si nous ne les trouvons pas, c’en est fait de nous comme Etat civilisé, je ne dis même pas socialiste. («Cinq années de révolution russe et les perspectives de la révolution mondiale». Rapport présenté au IVe congrès de l’I.C., t. XXVII, p. 349, éd. Russe.) C’est en ces termes catégoriques que Lénine formule le problème de l’accumulation et la tâche du Parti, quant à la construction de l’industrie lourde.

L’année écoulée a montré que le Parti s’acquitte avec succès de cette tâche en surmontant résolument les difficultés de toute sorte dressées sur ce chemin.

Cela ne signifie évidemment pas que l’industrie ne rencontrera plus de sérieuses difficultés.

La construction de l’industrie lourde ne se heurte pas seulement au problème de l’accumulation. Elle se heurte encore au problème des cadres, au problème consistant :

a) à associer à la construction socialiste, des dizaines de milliers de techniciens et spécialistes attachés au régime soviétique et

b) à former de nouveaux techniciens et spécialistes rouges choisis au sein de la classe ouvrière.

Si on peut considérer le problème de l’accumulation comme résolu pour l’essentiel, par contre le problème des cadres attend encore d’être résolu.

Or maintenant que s’effectue la reconstruction technique de l’industrie, te problème des cadres est le problème décisif de la construction socialiste.

Ce qui nous manque surtout, dit Lénine, c’est la culture, c’est l’art de diriger… Economiquement et politiquement, la Nep nous assure pleinement la possibilité de bâtir les fondements de l’économie socialiste. Il s’agit «seulement» de créer les forces cultivées du prolétariat et de son avant-garde. («Lettre au camarade Molotov sur le plan du rapport politique au XIe congrès du Parti», t. XXVII, p. 207.)

Évidemment, il s’agit ici, avant tout, des «forces cultivées», des cadres pour la construction économique en général, pour la construction et la direction de l’industrie en particulier.

Il s’ensuit donc que, malgré les réalisations éminemment sérieuses en matière d’accumulation, et qui ont une importance essentielle pour l’industrie lourde, on ne peut considérer le problème de la construction de l’industrie lourde comme entièrement résolu, tant que ne sera pas résolu le problème des cadres.

D’où la tâche du Parti : serrer de près le problème des cadres et emporter cette forteresse coûte que coûte.

Voilà ce qu’il en est de la deuxième réalisation du Parti, pour l’année écoulée.

III ­ DANS LE DOMAINE DE L’EDIFICATION AGRICOLE

Enfin, la troisième réalisation du Parti dans l’année écoulée, réalisation organiquement liée aux deux premières.

Je veux parler du tournant radical opéré dans le développement de notre agriculture,allant de la petite économie individuelle arriérée à la grosse agriculture collective avancée, au travail de la terre en commun, aux stations de machines et de tracteurs, aux artels et kolkhoz basés sur la technique moderne, enfin aux sovkhoz géants pourvus de centaines de tracteurs et de moissonneuses-batteuses.

La réalisation du Parti, ici, c’est que dans nombre de régions, nous avons réussi à détourner les masses paysannes fondamentales de l’ancienne voie capitaliste de développement, — qui ne profite qu’à une poignée de richards-capitalistes, tandis que l’énorme majorité des paysans est réduite à végéter dans le dénuement, — vers la voie nouvelle, la voie socialiste de développement, qui évince les richards-capitalistes et ré-outille d’une façon nouvelle les paysans moyens et pauvres, les pourvoit de nouveaux instruments, les pourvoit de tracteurs et de machines agricoles, afin de leur permettre de se tirer de la misère et de l’asservissement au koulak, et de s’engager sur la large voie du travail par association, du travail collectif de la terre.

La réalisation du Parti, c’est que nous avons réussi à organiser ce tournant radical au sein même de la paysannerie et à entraîner derrière nous les grandes masses de paysans pauvres et moyens, en dépit de difficultés incroyables, en dépit de la résistance désespérée des forces occultes de toute sorte, depuis les koulaks et les popes jusqu’aux philistins et aux opportunistes de droite.

Voici quelques chiffres. En 1928, la surface ensemencée des sovkhoz était de 1.425.000 hectares, avec une production marchande de plus de 6 millions de quintaux de céréales ; la surface ensemencée des kolkhoz atteignait 1.390.000 hectares avec une production marchande d’environ 3 millions et demi de quintaux de céréales.

En 1929, la surface ensemencée des sovkhoz était de 1.816.000 hectares avec une production marchande de près de 8 millions dequintaux de céréales, tandis que la surface ensemencée des kolkhoz était de 4. 262.000 hectares avec une production marchande s’élevant à près de 13 millions de quintaux de céréales.

Dans l’année 1930 qui vient, la surface ensemencée des sovkhoz doit atteindre, selon les prévisions du plan, 3.280.000 hectares, avec une production marchande de 18 millions de quintaux de céréales, tandis que la surface ensemencée des kolkhoz doit atteindre 15 millions d’hectares avec une production marchande de 49 millions de quintaux environ.

Autrement dit, dans l’année 1930 qui vient, la production marchande des céréales dans les sovkhoz et les kolkhoz doit s’élever à plus de 65 millions de quintaux, c’est-à-dire au-delà de 50 % de la production marchande de céréales de toute l’économie rurale (sans compter la consommation sur place).

Il faut reconnaître que des rythmes de développement aussi impétueux sont inconnus même de notre grande industrie socialisée, dont les rythmes de développement se distinguent en général par leur grande envergure.

N’est-il pas clair que notre grande agriculture socialiste (kolkhoz et sovkhoz), qui est jeune, a devant elle un bel avenir, qu’elle fera des miracles de croissance ?

Ce succès sans précédent de la construction des kolkhoz s’explique par toute une série de raisons, dont il conviendrait de signaler au moins les suivantes.

Il s’explique d’abord par ceci que le Parti a réalisé la politique léniniste d’éducation des masses, en conduisant de façon conséquente les masses paysannes vers les kolkhoz par l’établissement de sociétés coopératives.

Il s’explique par ceci que le Parti a mené avec succès la lutte contre ceux qui cherchaient à devancer le mouvement et à forcer à coups de décrets le développement des kolkhoz (les phraseurs «de gauche»), de même que contre ceux qui essayaient de tirer le Parti en arrière et de rester à la queue du mouvement (les brouille-tout de droite). Sans une telle politique, le Parti n’aurait pu transformer le mouvement de collectivisation en un véritable mouvement de masse des paysans eux-mêmes.

Lorsque le prolétariat de Pétrograd et les soldats de la garnison de Pétrograd ont pris le pouvoir, dit Lénine, ils savaient parfaitement que l’édification à la campagne rencontrerait de grandes difficultés ; qu’il fallait avancer ici plus graduellement ; que c’eût été la plus grande bêtise de vouloir ici essayer d’introduire à coups de décrets et de lois le travail collectif de la terre ; que seule une quantité infime de paysans conscients pouvaient y consentir, mais que l’immense majorité des paysans ne posaient point ce problème.

Et c’est pourquoi nous nous sommes bornés à ce qui était absolument nécessaire au développement de la révolution : ne devancer en aucun cas le développement des masses, mais attendre que de la propre expérience de ces masses, de leur propre lutte, naisse un mouvement en avant. («Discours sur l’anniversaire de la Révolution au VIe congrès extraordinaire des Soviets de la R.S.F.S.R.», t. XXIII, p. 252, éd. Russe.)

Si le Parti a remporté une très grande victoire sur le front de la construction des kolkhoz, c’est parce qu’il a appliqué exactement cette indication tactique de Lénine.

Ce succès sans précédent dans la construction de l’agriculture s’explique, en second lieu, par le fait que le pouvoir des Soviets a su tenir compte du besoin grandissant de la paysannerie en nouveau matériel agricole, en nouveaux moyens techniques ; il a su tenir compte, de façon juste, de la situation sans issue où se trouvait la paysannerie avec ses vieilles formes du travail de la terre et, tenant compte de tout cela, il a organisé à temps une aide pour elle sous forme de postes de location, de colonnes de tracteurs, de stations de machines et de tracteurs ; sous forme d’organisation du travail de la terre en commun, par l’établissement des kolkhoz, enfin sous la forme d’une aide multiple de sovkhoz à l’économie paysanne.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un pouvoir est apparu, le pouvoir des Soviets, qui, pratiquement, a montré sa volonté et sa capacité de prêter aux masses travailleuses de la paysannerie une aide systématique et durable en matière de production.

N’est-il pas clair que les masses travailleuses de la paysannerie, qui souffrent depuis toujours de la pénurie de matériel agricole, ne pouvaient manquer de se saisir de cette aide, et de s’engager dans la voie du mouvement de collectivisation agricole ?

Et peut-on s’étonner que, désormais, le vieux mot d’ordre des ouvriers : «Face à la campagne» soit complété par le nouveau mot d’ordre des paysans-kolkhoziens : «Face à la ville» ? Ce succès sans précédent de la construction des kolkhoz s’explique, enfin, par ceci que les ouvriers avancés de notre pays ont pris l’affaire en main.

Je veux parler des brigades ouvrières disséminées par dizaines et par centaines dans les principales régions de notre pays. Il faut reconnaître que de tous les propagandistes existants et possibles du mouvement de collectivisation agricole parmi les masses paysannes, les propagandistes ouvriers sont les meilleurs.

Qu’y a-t-il donc d’étonnant si les ouvriers ont réussi à convaincre les paysans de l’avantage que la grosse économie collective a sur la petite économie individuelle, d’autant plus que les kolkhoz et les sovkhoz existants sont une preuve évidente de cet avantage ?

Voilà sur quel terrain ont été remportés nos succès dans l’œuvre de construction des kolkhoz, succès qui, à mon sens, sont les plus importants et les plus décisifs de ces dernières années.Les objections de la «science» contre la possibilité et l’utilité d’organiser de grandes fabriques de céréales, de 50 et 100.000 hectares, se sont effondrées, disséminées en poussière.

La pratique a réfuté les objections de la «science» ; elle a montré une fois de plus qu’elle ne doit pas seule faire son profit de la «science», mais que la «science» aussi ne ferait pas mal de profiter des enseignements de la pratique.

Dans les pays capitalistes les fabriques géantes de céréales ne s’acclimatent pas. Mais notre pays n’est pas un pays capitaliste. Il ne faut pas oublier cette «petite» différence.

Là-bas, chez les capitalistes, il est impossible d’organiser une grande fabrique de céréales sans acheter quantité de terrains ou sans payer une rente foncière absolue, ce qui grève forcément de frais énormes la production, puisque là-bas existe la propriété privée de la terre.

Chez nous, au contraire, il n’existe ni rente foncière absolue, ni achat et vente de terrains, ce qui crée forcément des conditions favorables au développement des grandes exploitations de céréales, puisque chez nous la propriété privée de la terre n’existe pas.

Là-bas, chez les capitalistes, les grandes exploitations de céréales ont pour objet de réaliser le maximum de profit ou, tout au moins, de réaliser des profits correspondant à ce qu’on appelle le taux moyen du profit, faute de quoi le capital n’a pas intérêt en général à se mêler d’organiser des exploitations de céréales.

Chez nous, au contraire, les grandes exploitations de céréales, qui sont en même temps des exploitations d’État, n’ont besoin pour se développer ni d’un maximum de profit, ni du taux moyen du profit, elles peuvent se contenter d’un profit minimum et, parfois, se passer même de tout profit ; les conditions restent cependant favorables au développement des grandes exploitations de céréales.

Enfin, en régime capitaliste, il n’existe, pour les grandesexploitations de céréales, ni facilités de crédit ni dégrèvements

spéciaux, alors qu’en régime soviétique, qui vise ai soutien du secteur socialiste, ces facilités existent et continueront d’exister.

Tout cela la vénérable «science» l’a oublié.

Les affirmations des opportunistes de droite (groupe Boukharine) se sont effondrées et disséminées en poussière, affirmations qui prétendaient :

a) que les paysans n’iraient pas au kolkhoz ;

b) que le rythme accéléré du développement des kolkhoz ne pouvait que provoquer un mécontentement de masse et la désunion entre la paysannerie et la classe ouvrière ;

c) que ce ne sont pas les kolkhoz, mais la coopération qui représente la «grand’route» du développement socialiste à la campagne ;

d) que le développement des kolkhoz et l’offensive contre les éléments capitalistes de la campagne pouvaient laisser le pays sans pain.

Tout cela s’est effondré et disséminé en poussière, comme un vieux fatras de libéralisme bourgeois.

Premièrement, les paysans ont pris le chemin des kolkhoz, ils l’ont pris par villages, par cantons, par rayons entiers.

Deuxièmement, le mouvement kolkhozien de masse, loin d’affaiblir, fortifie l’alliance de la ville et des campagnes en lui assignant une nouvelle base, une base de production.

Même les aveugles voient maintenant que si un mécontentement quelque peu sérieux se manifeste dans les masses paysannes fondamentales, il ne concerne pas la politique de collectivisation pratiquée par le pouvoir des Soviets, mais le fait que ce dernier (quant à l’approvisionnement des paysans en machines et tracteurs), a du mal à suivre le progrès du mouvement kolkhozien.

Troisièmement, la discussion relative à la «grand’route» du développement socialiste des campagnes est une discussion scolastique, digne des jeunes libéraux petits-bourgeois du typeEichenwald et Slepkov. Il est clair que tant qu’il n’y avait pas de mouvement kolkhozien de masse, la «grand’route» était représentée par les formes inférieures de la coopération, par la coopération d’achat et de vente.

Mais lorsque sur la scène apparut la forme supérieure de la coopération, la forme kolkhozienne, elle devint la «grand’route» du développement. Pour parler sans guillemets, la grand’route du développement socialiste des campagnes, c’est le plan coopératif de Lénine, plan qui englobe toutes les formes de la coopération agricole, depuis les formes inférieures (achat et vente) jusqu’aux formes supérieures (de production kolkhozienne).

Opposer les kolkhoz à la coopération, c’est se moquer du léninisme et avouer sa propre ignorance.

Quatrièmement, même les aveugles voient maintenant que sans une offensive contre les éléments capitalistes de la campagne, et sans le développement du mouvement des kolkhoz et des sovkhoz, nous n’aurions aujourd’hui ni les succès décisifs que nous avons remportés au cours de cette année dans les stockages de blé, ni les dizaines de millions de quintaux de blé — réserves intangibles — accumulés déjà entre les mains de l’État.

Bien plus, on peut affirmer que grâce à la croissance du mouvement des kolkhoz et des sovkhoz, nous sortons définitivement, ou même nous sommes déjà sortis, de la crise du blé.

Et si le développement des kolkhoz et des sovkhoz se poursuit à une allure accélérée, il n’y a aucune raison de douter que notre pays deviendra, dans quelque trois ans, un des plus grands, sinon le plus grand producteur de blé du monde.

Qu’y a-t-il de nouveau dans l’actuel mouvement des kolkhoz ? Ce qu’il y a de nouveau et de décisif dans le mouvement actuel des kolkhoz, c’est que les paysans y entrent non par groupes isolés,comme cela se faisait auparavant, mais par villages, par cantons, par rayons, voire par arrondissements entiers.

Qu’est-ce à dire ? C’est que le paysan moyen a pris le chemin des kolkhoz. Là est la base du tournant radical qui s’est opéré dans le développement de l’agriculture et qui constitue une réalisation capitale entre toutes du pouvoir des Soviets, pour l’année écoulée.

On voit s’effondrer et se briser en éclats la «conception» menchévique du trotskisme, selon laquelle la classe ouvrière est incapable d’entraîner derrière elle les masses paysannes fondamentales dans le domaine de la construction socialiste. Même les aveugles voient maintenant que le paysan moyen s’est tourné vers les kolkhoz.

Maintenant il est clair pour tous que le plan quinquennal de l’industrie et de l’agriculture est celui de la construction de la société socialiste, que les gens qui ne croient pas à la possibilité de construire intégralement le socialisme dans notre pays, n’ont pas le droit de saluer notre plan quinquennal.

On voit s’écrouler et se réduire en poussière l’espoir ultime des capitalistes de tous les pays, qui rêvent de restaurer en U.R.S.S. le capitalisme, le «principe sacré de la propriété privée. » Les paysans qu’ils considèrent comme un engrais destiné à préparer le terrain pour le capitalisme, abandonnent en masse le drapeau tant vanté de la «propriété privée» et s’engagent dans la voie du collectivisme, dans la voie du socialisme. Il croule, l’espoir ultime de voir restaurer le capitalisme.

C’est ce qui explique, entre autres, les tentatives désespérées des éléments capitalistes de notre pays pour dresser contre le socialisme en marche toutes les forces du vieux monde, tentatives aboutissant à aggraver la lutte de classes. Le capital ne veut pas s’ «intégrer» dansle socialisme.

C’est aussi ce qui explique les hurlements de fureur que poussent ces derniers temps contre le bolchévisme, les chiens de garde du Capital, tous ces Strouvé et Hessen, ces Milioukov et Kérenski, ces Dan et Abramovitch. Pensez donc ! L’espoir suprême de restaurer le capitalisme disparaît.

Que peuvent encore attester cette rage furieuse des ennemis de classe et ces hurlements frénétiques des laquais du Capital, si ce n’est que le Parti a remporté effectivement une victoire décisive sur le front le plus difficile de la construction socialiste ?

C’est seulement dans le cas où nous réussirons à montrer en fait aux paysans les avantages de la culture en commun, collective, par associations, par artels ; c’est seulement si nous réussissons, à aider le paysan à s’organiser en associations, en artels, que la classe ouvrière, tenant en mains le pouvoir d’État, prouvera réellement au paysan qu’elle a raison, attirera réellement à ses côtés, de façon durable et effective, la masse innombrable des paysans. («Discours au congrès des communes et artels agricoles», t. XXIV, p. 579, éd. Russe.)

C’est ainsi que Lénine pose la question des moyens à employer pour gagner les millions de paysans à la classe ouvrière, pour faire passer la paysannerie sur la voie de la construction des kolkhoz. L’année écoulée a montré que le Parti s’acquitte de cette tâche avec succès, en surmontant résolument les difficultés de toute sorte, dressées sur ce chemin.

La paysannerie moyenne dans la société communiste, dit Lénine, ne se rangera à nos côtés que lorsque nous aurons allégé et amélioré les conditions économiques de son existence. Si demain nous pouvions fournir 100.000 tracteurs de premier ordre, les pourvoir en essence, les pourvoir en mécaniciens (vous savez fort bien que pour l’instant c’est de la fantaisie), le paysan moyen dirait : «Je suis pour la commune» (c’est-à-dire pour le communisme).

Mais pour ce faire, il faut d’abord vaincre la bourgeoisie internationale, il faut l’obliger à nous fournir ces tracteurs, ou bien il faut élever notre productivité du travail de telle sorte que nous puissions les fournir nous-mêmes. C’est ainsi seulement que cette question sera bien posée. («Rapport sur le travail à la campagne au VIIIe congrès du P. C. (b) R.», t. XXIV, p. 170, éd. Russe.)

C’est ainsi que Lénine pose la question des voies à suivre pour ré-outiller techniquement le paysan moyen, la question des voies à suivre pour le gagner au communisme.

L’année écoulée a montré que le Parti s’acquitte également avec succès de cette tâche. On sait qu’au printemps de l’année 1930 qui vient, nous aurons sur nos champs plus de 60.000 tracteurs ; l’année d’après, plus de 100.000 tracteurs, et au bout de deux années encore, plus de 250.000 tracteurs. Ce que l’on tenait pour une «fantaisie» il y a quelques années, nous avons aujourd’hui toute possibilité d’en faire une réalité.

Telle est la raison pour laquelle le paysan moyen s’est tourné vers la «commune». Voilà ce qu’il en est de la troisième réalisation du Parti. Telles sont les principales réalisations du Parti, pour l’année écoulée.

CONCLUSION

Nous marchons à toute vapeur dans la voie de l’industrialisation, vers le socialisme, laissant derrière nous notre retard «russe» séculaire. Nous devenons le pays du métal, le pays de l’automobile, le pays du tracteur.

Et quand nous aurons installé l’U.R.S.S. sur l’automobile, et le moujik sur le tracteur, qu’ils essayent de nous rattraper, les honorables capitalistes qui se targuent de leur «civilisation». Nous verrons alors quels pays on pourra «qualifier» d’arriérés, et lesquels d’avancés.

=>Oeuvres de Staline

Staline : La question agraire

L’Elva [l’Eclair], n°5, 9 et 10 des 17, 22 et 23 mars 1906.
Signé : I. Bessochvili
Traduit du géorgien
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I

   L’ancien régime croule de toutes parts, la campagne commence à bouger. La paysannerie, hier encore opprimée est humiliée, se relève aujourd’hui et redresse l’échine. Le mouvement paysan, hier encore impuissant, s’élance aujourd’hui, tel un torrent impétueux, contre l’ancien régime : ôte-toi de mon chemin, sinon je te balaye ! « Les paysans veulent obtenir les terres seigneuriales », « les paysans veulent supprimer les vestiges du servage », voilà ce qu’on entend dire aujourd’hui dans les bourgs et villages insurgés de Russie.

   Ceux qui comptent imposer silence aux paysans avec des balles se trompent : l’expérience nous l’a montré, les balles ne font qu’attiser et exaspérer le mouvement révolutionnaire.

   Ceux qui tentent d’apaiser les paysans avec de simples promesses et des « banques paysannes » se trompent aussi : les paysans veulent la terre, ils la voient même en rêve et, naturellement, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient mis la main sur les terres seigneuriales. Qu’ont-ils à attendre de promesses creuses et d’on ne sait quelles « banques paysannes » ?

   Les paysans veulent s’emparer des terres seigneuriales. Ils entendent supprimer ainsi les vestiges du servage. Et quiconque se refuse à trahir les paysans doit s’appliquer à résoudre précisément de cette façon la question agraire.

   Mais comment la paysannerie pourra-t-elle prendre possession de ces terres ?

   On prétend que l’unique issue est dans le « rachat » des terres « à des conditions avantageuses ».

Le gouvernement et les grands propriétaires fonciers possèdent de vastes étendues de terres libres, nous disent ces messieurs ; si les paysans rachètent ces terres, tout s’arrangera : ainsi les loups seront rassasiés et le brebis sauvées.

Mais ils ne se demandent pas avec quoi les paysans pourront racheter ces terres, ces paysans qu’on a non seulement dépouillés de leur argent, mais encore écorchés vifs. Ils ne réfléchissent pas à ceci que lors du rachat, on ne remettra aux paysans que de mauvaises terres, et l’on gardera les bonnes pour soi, comme on l’a fait lors de l’ « affranchissement des serfs » !

Et puis, pourquoi les paysans rachèteraient-ils les terres qui de tout temps leur ont appartenu ? Est-ce que les terres de l’Etat et des grands propriétaires fonciers n’ont pas été arrosées par la sueur des paysans ?Est-ce qu’elles n’ont pas appartenu aux paysans ? Est-ce que ces biens de leurs pères et de leurs aïeux n’ont pas été enlevés aux paysans ?

Où donc est la justice si l’on demande aux paysans de racheter les terres qui leur furent enlevées ? Et la question du mouvement paysan n’est-elle qu’une question de vente et d’achat ?

Le mouvement paysan ne vise-t-il pas à affranchir les paysans ? Qui donc affranchira les paysans du joug du servage, sinon les paysans eux-mêmes? Or, ces messieurs nous assurent que les paysans seront affranchis par les grands propriétaires fonciers : il suffit pour cela de leur verser comptant une petite somme. Et le croiriez-vous ?

Cet « affranchissement » devra être réalisé, paraît-il, sous la direction de la bureaucratie tsariste, de cette même bureaucratie qui a plus d’une fois accueilli la paysannerie affamée à coups de canon et de mitrailleuse !…

   Non ! Le rachat des terres ne sauvera pas les paysans. Ceux qui leur conseillent le « rachat à des conditions avantageuses » sont des traîtres, car ils cherchent à prendre les paysans dans les filets du maquignonnage et ne veulent pas que l’affranchissement des paysans soit l’oeuvre des paysans eux-mêmes.

   Si les paysans veulent s’emparer des terres seigneuriales ; s’ils doivent supprimer ainsi les vestiges du servage ; si le « rachat à des conditions avantageuses » ne peut les sauver : si l’affranchissement des paysans doit être l’oeuvre des paysans eux-mêmes, il est hors de doute qu’il n’y a pour eux qu’un seul moyen : enlever les terres aux grands propriétaires fonciers, c’est-à-dire les confisquer.

   Là est l’issue.

   Une question se pose : jusqu’où doit aller cette confiscation ? A-t-elle une limite ? Les paysans doivent-ils s’emparer de toutes les terres ou d’une partie seulement ?

   Certains disent que s’emparer de toutes les terres, ce serait trop ; qu’il suffit d’en prendre une partie pour satisfaire les paysans. Admettons-le. Mais comment fera-t-on si les paysans réclament davantage ? Nous n’allons tout de même pas leur barrer la route : arrêtez-vous, n’avancez pas plus loin ! Voilà qui serait réactionnaire !

Les événements de Russie n’ont-ils pas prouvé que les paysans réclament effectivement la confiscation de toutes les terres seigneuriales ? Et puis, que veux dire « s’emparer d’une partie » ? Quelle partie doit être enlevée aux grands propriétaires fonciers, la moitié ou le tiers ?

Qui doit trancher cette question, les grands propriétaires seuls ou les propriétaires et les paysans tous ensemble ?

Comme on le voit, il reste ici une grande marge pour le maquignonnage ; la marchandage demeure possible entre propriétaires fonciers et paysans ; or cela va radicalement à l’encontre de l’affranchissement des paysans.

Ceux-ci doivent comprendre une fois pour toutes qu’il ne faut pas marchander avec les grands propriétaires fonciers, mais lutter contre eux. Il faut non pas raccommoder le joug du servage, mais le briser, pour en détruire à jamais les vestiges.

« S’emparer d’une partie seulement », c’est travailler à raccommoder les vestiges du servage ; et ceci est incompatible avec l’affranchissement des paysans.

   Il est évident que le seul moyen est d’enlever aux grands propriétaires fonciers toutes leurs terres. C’est ainsi seulement qu’on pourra faire aboutir le mouvement paysan, qu’on pourra accroître l’énergie populaire et détruire les vestiges périmés du servage.

   Ainsi l’actuel mouvement des campagnes est un mouvement démocratique des paysans. le but de ce mouvement est de supprimer les vestiges du servage.

Et, pour les supprimer, il faut confisquer toutes les terres seigneuriales et celles de l’Etat.

   Certains messieurs nous lancent l’accusation que voici : pourquoi, jusqu’à présent, la social-démocratie n’a-t-elle pas réclamé la confiscation de toutes les terres ? Pourquoi, jusqu’à présent, n’a-t-elle parlé que de la confiscation des « otrezki »1 ?

   Pour la raison, messieurs, qu’en 1903, lorsque le parti parlait des « otrezki », la paysannerie de Russie n’était pas encore gagnée au mouvement. Le devoir du parti était de lancer à la campagne un mot d’ordre qui enflammât le coeur des paysans, qui soulevât la paysannerie contre les vestiges du servage.

Ce mot d’ordre était celui des « otrezki » : ils rappelaient de façon frappante à la paysannerie de Russie ce qu’il y avait d’injuste dans les vestiges du servage.

   Mais les temps ont changé. Le mouvement paysan a grandi. A présent il n’est plus nécessaire de le susciter : il se déchaîne sans cela. Aujourd’hui, il n’est plus question de savoir comment on doit mettre en mouvement la paysannerie, mais ce que doit réclamer la paysannerie déjà en mouvement.

Il est clair qu’il faut ici des revendications précises, et le parti déclare à la paysannerie qu’elle doit exiger la confiscation de toutes les terres seigneuriales et de toutes celles de l’Etat.

   Ce qui signifie que chaque chose vient en son temps et lieu, aussi bien les « otrezki » que la confiscation de toutes les terres.

II

   Nous avons vu que le mouvement actuel à la campagne représente un mouvement de libération des paysans ; nous avons vu aussi que pour libérer les paysans, il faut supprimer les vestiges du servage, et que pour supprimer ces vestiges, il faut enlever toutes leurs terres aux grands propriétaires fonciers et à l’Etat, afin de déblayer le chemin de la vie nouvelle, du libre développement du capitalisme.

   Supposons tout cela réalisé. Comment ces terres doivent-elles être réparties ? A qui doivent-elles être remises en propriété ?

   Les uns disent que les terres saisies doivent être remises au village, en propriété commune ; la propriété privée de la terre doit être dés maintenant abolie et le village doit jouir de la propriété absolue des terres ; après quoi, il répartira lui-même des « lots » égaux entre les paysans ; de cette façon, le socialisme se trouvera dés maintenant réalisé à la campagne : à la place du salariat s’instituera la jouissance égalitaire du sol.

   C’est, nous disent les socialistes-révolutionnaires, ce qui s’appelle la « socialisation de la terre« .

   Pouvons-nous accepter cette solution ? Examinons le fond de l’affaire.

Et d’abord ceci: les socialistes-révolutionnaires veulent commencer par la campagne pour réaliser le socialisme. Cela est-il possible ?

La ville, on le sait, est plus développée que la campagne, elle est le guide de la campagne ; toute mesure socialiste doit donc commencer par la ville. Or, les socialistes-révolutionnaires prétendent faire de la campagne le guide de la ville, la forcer à réaliser la première le socialisme, ce qui, bien entendu, est impossible à cause de son état arriéré.

D’où l’on voit que le « socialisme » des socialistes-révolutionnaires sera un socialisme mort-né.

   Passons maintenant au fait qu’ils entendent réaliser dés maintenant le socialisme à la campagne. Réaliser le socialisme, c’est supprimer la production marchande, abolir l’économie monétaire, détruire de fond en comble le capitalisme et socialiser tous les moyens de production. Les socialistes-révolutionnaires, eux, entendent laisser toutes ces choses en l’état et ne socialiser que la terre, ce qui est absolument impossible.

Si la production marchande reste telle qu’elle est, la terre aussi deviendra une marchandise ; aujourd’hui ou demain elle fera son apparition sur le marché, et voilà le « socialisme » des socialistes-révolutionnaires volatilisé. Il est évident qu’ils veulent réaliser le socialisme dans le cadre du capitalisme, ce qui, bien entendu, est inconcevable. Voilà pourquoi l’on dit que le « socialisme » des socialistes-révolutionnaires est un socialisme bourgeois.

   Quant à la jouissance égalitaire du sol, ce n’est tout bonnement qu’une phrase creuse. la jouissance égalitaire du sol exige l’égalité de fortune ; or, entre les paysans, il existe une inégalité de fortune que la révolution démocratique d’aujourd’hui n’est pas en mesure de supprimer. Peut-on croire que le paysan qui possède huit paires de boeufs exploitera la terre dans la même mesure que celui qui n’en possède pas une seule ?

Les socialistes-révolutionnaires s’imaginent pourtant que la « jouissance égalitaire du sol » supprimera le salariat et mettra fin au développement du capital, ce qui, bien entendu, est absurde.

Evidemment, les socialistes-révolutionnaires entendent lutter contre la continuation du développement capitaliste et faire tourner en arrière la roue de l’histoire : c’est là qu’ils voient le salut.

La science, elle, nous dit que la victoire du socialisme dépend du développement du capitalisme, et quiconque lutte contre ce développement lutte contre le socialisme. Voilà pourquoi l’on donne aussi aux socialistes-révolutionnaires le nom de socialistes-réactionnaires.

   Sans compter que les paysans entendent lutter pour l’abolition de la propriété féodale, non pas contre la propriété bourgeoise, mais sur la base de la propriété bourgeoise : ils veulent répartir entre eux les terres saisies pour en devenir les propriétaires privés, ils ne se satisferont pas de la « socialisation de la terre ».

   Comme on le voit, la « socialisation de la terre » est inacceptable.

   D’autres disent que les terres expropriées doivent être remises à l’Etat démocratique dont les paysans ne seraient que les affermataires.

   C’est ce qu’on appelle la « nationalisation de la terre« .

La nationalisation de la terre est-elle acceptable ? Si nous prenons en considération le fait que l’Etat futur, si démocratique qu’il soit, sera néanmoins bourgeois, que la remise des terres à cet Etat sera suivie d’un renforcement politique de la bourgeoisie, ce qui extrêmement désavantageux pour le prolétariat rural et urbain ; si nous considérons aussi le fait que les paysans eux-mêmes seront hostiles à la « nationalisation de la terre » et ne se satisferont pas du rôle de simples affermataires, on comprendra aisément que la « nationalisation de la terre » ne répond pas aux intérêts du mouvement actuel.

   Par conséquent, la « nationalisation de la terre » est également inacceptable.

   D’autres encore disent que la terre doit être remise en propriété aux autorités administratives locales qui l’affermeraient aux paysans.

   C’est ce qu’on appelle la « municipalisation de la terre« .

   La municipalisation de la terre est-elle acceptable ? Que signifie-t-elle ? Elle signifie d’abord que les paysans ne deviendront pas propriétaires des terres qu’ils auront enlevées de haute lutte aux grands propriétaires fonciers et à l’Etat.

Qu’en penseront-ils ?

Les paysans entendent recevoir la terre en toute propriété, ils entendent partager les terres expropriées, dont ils se voient les propriétaires même en rêve. Et quand on leur dira que les terres doivent être remises non pas à eux, mais aux autorités locales, ils ne seront certainement pas d’accord avec les partisans de la « municipalisation ». Cela, nous ne devons pas l’oublier.

   Et puis, que faire si les paysans, entraînés par la révolution, s’approprient toutes les terres saisies et ne laissent rien aux autorités locales ?

Nous n’allons tout de même pas leur barrer la route et leur dire : arrêtez-vous, ces terres doivent être remises aux autorités locales et non à vous ; l’affermage vous suffira.

   En second lieu, si nous acceptons le mot d’ordre de « municipalisation », nous devons dés maintenant le lancer dans le peuple et expliquer tout de suite aux paysans que ces terres pour lesquelles ils luttent et dont ils veulent s’emparer, seront remises en propriété aux autorités locales et non pas à eux.

Certes, si le parti a une grande influence sur les paysans, il se peut qu’ils l’approuvent, mais il va sans dire qu’ils ne lutteront plus avec la même énergie, ce qui sera extrêmement préjudiciable à la révolution actuelle.

Et si le parti n’a pas une grande influence sur les paysans, ceux-ci s’en écarteront et lui tourneront le dos, ce qui provoquera un conflit entre les paysans et le parti et affaiblira considérablement les forces de la révolution.

   On nous dira : souvent les désirs des paysans sont en contradiction avec le développement de l’histoire ; or, nous ne pouvons pas méconnaître la marche de l’histoire et nous conformer toujours aux désirs des paysans, — le parti doit avoir ses principes. Très juste!

Le parti doit se guider sur ses principes. Mais le parti qui rejetterait toutes les aspirations paysannes, indiquées ci-dessus trahirait ses principes.

Si le désir des paysans de s’emparer des terres seigneuriales et de les partager ne contredit pas la marche de l’histoire ; si ces aspirations, au contraire, découlent entièrement de la révolution démocratique actuelle ; si une lutte véritable contre la propriété féodale n’est possible que sur la base de la propriété bourgeoise ; si les aspirations des paysans expriment précisément cette tendance, alors il va de soi que le parti ne peut rejeter ces revendications des paysans, car refuser de les soutenir équivaudrait à renoncer au développement de la révolution.

Au contraire, si le parti a des principes, s’il ne veut pas devenir un frein pour la révolution, il doit contribuer à réaliser ces aspirations des paysans. Or elles sont en contradiction absolue avec la « municipalisation de la terre » !

   Comme on le voit, la « municipalisation de la terre » est, elle aussi inacceptable.

III

   Nous avons vu que ni la « socialisation », ni la « nationalisation », ni la « municipalisation » ne répondent véritablement aux intérêts de la révolution actuelle.

   Comment donc faut-il répartir les terres saisies, à qui faut-il les remettre en propriété ?

   Il est clair que les terres saisies par les paysans doivent être remises aux paysans eux-mêmes pour qu’ils puissent se les partager entre eux. C’est ainsi que doit être résolue la question posée plus haut.

Le partage des terres entraînera une mobilisation de la propriété. les moins fortunés vendront leurs terres et s’achemineront vers la prolétarisation ; les paysans aisés achèteront de nouvelles terres et s’appliqueront à améliorer la technique de la culture ; la campagne se divisera en classes, une lutte plus aiguë s’allumera entre ces classes et c’est ainsi que sera créée la base pour un développement ultérieur du capitalisme.

   Comme on le voit, le partage de la terre découle du développement économique actuel.

   D’autre part, le mot d’ordre : « La terre aux paysans, rien qu’aux paysans et à personne d’autre » , encouragera la paysannerie, il lui insufflera une force nouvelle et permettra de mener à son terme le mouvement révolutionnaire déjà commencé à la campagne.

   Comme on le voit, la marche elle-même de la révolution actuelle exige le partage des terres.

   Nos adversaires nous accusent de faire renaître ainsi la petite bourgeoisie, ce qui contredit radicalement la doctrine de Marx. Voici ce qu’écrit la Révolutsionnaïa Rossia (2) :

   « En aidant la paysannerie à exproprier les grands propriétaires fonciers, vous contribuez inconsciemment à instaurer l’économie petite-bourgeoise sur les ruines des formes plus ou moins développées de l’économie agraire capitaliste. n’est-ce pas là « un pas en arrière » du point de vue du marxisme orthodoxe ? » (Voir la Révolutsionnaïa Rossia, n°75).

   Je dois dire que messieurs les « critiques » ont embrouillé les faits. Ils ont oublié que l’économie du grand propriétaire foncier n’est pas une économie capitaliste, qu’elle est une survivance de l’économie féodale et que, par conséquent, en expropriant les grands propriétaires fonciers, on détruit les vestiges de l’économie féodale et non l’économie capitaliste.

Ils ont oublié également que, du point de vue du marxisme, l’économie féodale n’a jamais été suivie et ne saurait être suivie, immédiatement, par l’économie capitaliste : entre les deux se place l’économie petite-bourgeoise qui succède à l’économie féodale et se transforme ensuite en économie capitaliste.

Déjà Karl Marx, dans le livre III du Capital, affirmait que, dans l’histoire, l’économie féodale a été suivie d’abord par l’économie rurale petite-bourgeoise et qu’après seulement s’est développée la grande économie capitaliste ; il n’y a pas eu et il ne pouvait pas y avoir de bond immédiat de l’une à l’autre. Cependant, ces singuliers « critiques » nous disent que, du point de vue marxiste, la saisie et le partage des terres seigneuriales représentent un recul !

Bientôt ils nous jetteront à la tête que « l’abolition du servage » a été, elle aussi, un recul du point de vue marxiste, puisque alors également certaines terres furent « enlevées » aux grands propriétaires fonciers pour être remises aux petits exploitants : les paysans ! Drôle de gens !

Ils ne comprennent pas que le marxisme envisage toutes choses du point de vue historique ; que du point de vue du marxisme, l’économie rurale petite-bourgeoise est progressiste par rapport à l’économie féodale ; que la destruction de l’économie féodale et l’instauration de l’économie petite-bourgeoise sont une condition nécessaire au développement du capitalisme qui, par la suite, évincera cette économie petite-bourgeoise.

   Mais laissons en paix les « critiques ».

   La vérité est que la remise des terres aux paysans, et puis leur partage, sapent les fondements des survivances du servage, préparent le terrain pour le développement de l’économie capitaliste, renforcent considérablement l’essor révolutionnaire : voilà pourquoi ces mesures sont acceptables pour le Parti social-démocrate.

   Ainsi, pour supprimer les vestiges du servage, il faut confisquer toutes les terres seigneuriales; les paysans doivent en prendre possession et se les partager entre eux, selon leurs intérêts.

   C’est sur cette base que doit être établi le programme agraire du parti.

   On nous dira : tout cela concerne les paysans, mais que pensez-vous du prolétariat rural ?

Nous répondons que s’il faut aux paysans un programme agraire démocratique, il existe pour les prolétaires des campagnes et des villes un programme socialiste, qui exprime leurs intérêts de classe ; quant à leurs intérêts immédiats, il en a été tenu compte dans les seize points du programme minimum où l’on parle de l’amélioration des conditions du travail. (Voir le Programme du parti, adopté au IIe congrès).

Pour l’instant, l’action socialiste immédiate du parti consiste en ceci ; il fait une propagande socialiste parmi les prolétaires ruraux, il les rassemble en des organisations socialistes qui leur sont propres et les unit aux prolétaires des villes en un parti politique distinct.

Le parti se tient constamment en rapports avec cette fraction de la paysannerie ; il lui dit : vous devez garder la liaison avec les paysans en lutte et lutter contre les grands propriétaires fonciers ; et pour autant que vous marchez vers le socialisme, vous devez vous unir résolument aux prolétaires des villes et lutter impitoyablement contre tout bourgeois, qu’il soit paysan ou noble.

Avec les paysans, pour la république démocratique ! Avec les ouvriers, pour le socialisme ! Voilà ce que dit le parti au prolétariat rural.

   Si le mouvement des prolétaires et leur programme socialiste attisent la flamme de la lutte des classes, pour abolir ainsi à jamais toute division en classes, le mouvement paysan et son programme agraire démocratique, de leur côté, attisent à la campagne la flamme de la lutte entre les ordres de la société, pour abolir ainsi jusque dans sa racine toute division en ordres (3).

*

   P.S. En terminant cet article, nous ne pouvons laisser passer sans réponse la lettre d’un lecteur qui nous écrit ce qui suit : « Votre premier article ne m’a tout de même pas satisfait. Le parti n’était-il pas hostile à la confiscation de toutes les terres ? Et s’il l’était, pourquoi ne le disait-il pas ? »

   Non, estimé lecteur, le parti n’a jamais été hostile à cette confiscation. Dés le IIe congrès, celui où fut précisément adopté le point relatif aux « otrezki », dés ce congrès (en 1903), le parti disait, par la bouche de Plékhanov et de Lénine, que nous soutiendrons les paysans s’ils revendiquent la confiscation de toutes les terres(4).

Deux ans plus tard (en 1905), les deux fractions du parti, les « bolchéviks » au IIIe congrès et les « menchéviks » à leur Ière conférence, ont déclaré à l’unanimité qu’ils soutiendraient sans réserve les paysans quant à la confiscation de toutes les terres (5).

Ensuite, les journaux des deux tendances du parti, aussi bien l’Iskra et le Prolétari que la Novaïa Jizn (6) et la Natchalo (7), ont appelé maintes fois la paysannerie à confisquer toutes les terres…

Comme vous le voyez, le parti était, dés le début, pour la confiscation de toutes les terres et, par conséquent, vous n’avez aucune raison de penser qu’il s’est mis à la remorque du mouvement paysan. celui-ci n’avait pas encore commencé pour de bon, les paysans ne réclamaient pas encore même les « otrezki », que le parti parlait déjà, à son IIe congrès, de la confiscation de toutes les terres.

   Si toutefois vous nous demandez pourquoi nous n’avons pas inscrit dans notre programme, en cette même année 1903, la revendication de la confiscation de toutes les terres, nous vous répondrons à notre tour par une question : pourquoi donc les socialistes-révolutionnaires n’ont-ils pas inscrit dés 1900, dans leur programme, la revendication de la république démocratique ?

Etaient-ils vraiment contre cette revendication8 ?

Pourquoi ne parlait-on alors que de nationalisation tandis qu’aujourd’hui on nous rebat les oreilles avec la socialisation ?

Et si aujourd’hui, nous ne disons rien dans notre programme minimum de la journée de travail de 7 heures, est-ce à dire que nous sommes contre ?

Qu’en conclure ? Seulement ceci : c’est qu’en 1903, alors que le mouvement était encore faible, la confiscation de toutes les terres serait restée lettre morte, le mouvement encore faible n’aurait pu faire triompher cette revendication; voilà pourquoi le mot d’ordre des « otrezki » convenait mieux à cette période.

Mais, par la suite, quand le mouvement grandit et mit en avant les questions d’ordre pratique, le parti dut montrer que le mouvement ne pouvait et ne devait pas s’arrêter aux seuls « otrezki », que la confiscation de toutes les terres s’imposait.

   Tels sont les faits.

   Quelques mots pour finir à propos de la Tznobis Pourtzéli (9) (voir le n°3033). Ce journal débite des insanités sur la « mode » et le « principe » et il assure que le parti, naguère, érigé les « otrezki » en principe.

Il s’agit là d’un mensonge, car le parti a, dés le début, publiquement admis le principe de la confiscation de toutes les terres, le lecteur a pu le constater plus haut. Quant au fait que la Tznobis Pourtzéli ne distingue pas entre principes et questions pratiques, le malheur n’est pas grand : avec l’âge, elle apprendra à les distinguer (10).

Notes

1. Le manifeste de 1861 accordait aux serfs la liberté personnelle sans aucun droit sur la terre. Pour qu’ils pussent remplir leurs obligations envers l’Etat et le propriétaire foncier, les paysans recevaient, moyennant le paiement d’un fermage ou d’un droit de rachat, des lots de terre. Les « otrezki » — « coupes » ou « retraits » — étaient des parcelles retranchées des lots attribués aux paysans et conservées par les propriétaires fonciers. l’importance de ces parcelles retranchées a été surtout considérable dans la zone fertile des terres noires.

2. La Révolutsionnaïa Rossia [la Russie révolutionnaire], organe des socialistes-révolutionnaires, parut de la fin de 1900 à 1905. Editée d’abord par l’Union des socialistes-révolutionnaires, elle devint à partir de janvier 1902 l’organe central du parti socialiste-révolutionnaire.

3. La société féodale est caractérisée par la division en ordres. Ainsi, il existait dans la France d’avant 1789 trois ordres : noblesse, clergé, tiers état. La révolution démocratique bourgeoise se dresse contre les ordres privilégiés, elle abat les anciennes barrières pour laisser le champ libre au capitalisme.

4. Voir les Procès-verbaux du IIe congrès. (J.S.).

5. Voir les Procès-verbaux du IIIe congrès. (J.S.).

6. La Novaïa Jizn [la Vie nouvelle], premier journal bolchévik légal, parut à Saint-Pétersbourg du 27 octobre au 3 décembre 1905. Dés que Lénine revint de l’émigration, la Novaïa Zijn passa sous sa direction effective. Maxime Gorki participait activement à sa rédaction. A son n°27, la Novaïa Zijn fut interdite par les autorités. Son dernier numéro, le n°28, parut illégalement.

7. Le Natchalo [le Commencement] quotidien légal des menchéviks, parut à Pétersbourg du 13 novembre au 2 décembre 1905.

8. Voir Nos tâches, édition de l’Union des socialistes-révolutionnaires, 1900. (J.S.).

9. La Tznobis Pourtzéli [la Feuille des nouvelles], quotidien géorgien ; parut à Tiflis de 1896 à 1906. A partir de la fin de 1900, ce journal fut le porte-parole des nationalistes géorgiens ; en 1904, il devint l’organe des social-fédéralistes géorgiens.

10. Tznobis Pourtzéli a « entendu dire » quelques part que les « social-démocrates de Russie… ont adopté un nouveau programme agraire en vertu duquel… ils soutiennent la municipalisation des terres ». Je dois déclarer qu’aucun programme de cette nature n’a été adopté par les social-démocrates de Russie. L’adoption d’un programme est affaire de congrès ; or, notre congrès ne s’est pas encore tenu. Il est clair que quelqu’un ou quelque chose a induit en erreur la Tznobis Pourtzéli. Ce journal ferait bien de ne pas servir à ses lecteurs des on-dits.

=>Oeuvres de Staline

Staline : L’industrialisation du pays et la déviation de droite dans le Parti communiste (b) de l’Union soviétique

Materialisme-dialectique.com

Vive le PCF (mlm) !

Staline

L’industrialisation du pays et la déviation de droite dans le Parti communiste (b) de l’Union soviétique

Discours prononcé au Plénum du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, le 19 novembre 1928

J’examinerai ici trois questions essentielles posées dans les thèses du Bureau politique. Je parlerai d’abord de l’industrialisation du pays, et je m’attacherai à prouver que le facteur décisif en matière d’industrialisation est le développement de la production des moyens de production, développement qui doit se poursuivre à un rythme aussi accéléré que possible.

Ensuite, j’essaierai de démontrer que le rythme de développement de l’agriculture chez nous marque un retard sensible sur celui de l’industrie et que, par conséquent, la question actuelle la plus brûlante de notre politique intérieure est celle de l’agriculture et notamment, le problème des céréales, la question de savoir comment relever, remanier l’agriculture sur la base de la nouvelle technique.

Et enfin, la question des déviations, de la lutte sur les deux fronts.

Dans cet ordre d’idées je tâcherai de prouver qu’à l’heure actuelle le danger le plus sérieux pour nous est dans la déviation de droite.

I ­ Le rythme de développement de l’industrie

Le point de départ de nos thèses, c’est que le rythme accéléré de développement de l’industrie en général et de la production desmoyens de production en particulier constitue l’idée maîtresse, la clé de voûte de l’industrialisation du pays, de la transformation de l’ensemble de notre économie nationale sur la base de l’évolution socialiste.

Mais que veut dire au juste le rythme accéléré du développement industriel ? Cela veut dire qu’il faut engager le plus de capitaux possible dans l’industrie. Or, cela entraîne un état de tension de tous nos plans budgétaires et extra-budgétaires.

En effet, le trait caractéristique de nos « chiffres de contrôle » pendant les trois dernières années, — en période de reconstruction, c’est qu’ils sont établis et réalisés sous le signe de la « tension ».

Que vous examiniez nos « chiffres de contrôle », que vous étudiiez nos propositions budgétaires, que vous vous entreteniez avec nos militants, ceux qui travaillent aux divers échelons du Parti ou ceux qui dirigent notre édification soviétique, économique et coopérative, partout et en toutes circonstances on voit apparaître un trait caractéristique, à savoir : la tension de nos plans.

On se demande si, en général, cette « situation tendue » nous est indispensable. Ne pourrions-nous pas nous en passer ?

Serait-il donc impossible d’adopter un rythme ralenti, de travailler dans une atmosphère plus « calme » ? Le rythme accéléré de développement de l’industrie, que nous avons adopté, ne devrait-il pas s’expliquer par la nervosité des membres du Bureau politique et du Conseil des commissaires du peuple ? Non, certes. Au Bureau politique et au Conseil des commissaires du peuple siègent des gens calmes et bien équilibrés.

En faisant abstraction de la situation extérieure et intérieure, nous pourrions certes adopter un rythme plus lent. Mais, tout d’abord, il est impossible de faire abstraction de la situation extérieure et intérieure ; en second lieu, si l’on tient compte de la situation actuelle, on est amené à conclure que c’est précisément cette situation qui nous impose le rythme accéléré du développement de notre industrie.

Permettez-moi, maintenant, de passer à l’examen de cette situation, de ces facteurs d’ordre extérieur et intérieur qui nous obligent à adopter un rythme accéléré pour le développement de notre industrie.

Facteurs extérieurs. — Nous avons pris le pouvoir dans un pays où la technique est extrêmement arriérée. A côté de quelques grosses unités industrielles, qui possèdent plus ou moins un outillage moderne, nous avons des centaines et des milliers d’usines et de fabriques dont la technique ne résiste à aucune critique au point de vue des réalisations modernes.

D’autre part, nous sommes entourés d’un grand nombre de pays capitalistes dotés d’une technique industrielle beaucoup plus développée et plus parfaite que la nôtre. Voyez ce qui se passe dans les pays capitalistes.

Dans ces pays, la technique non seulement fait des progrès, mais avance à pas de géant laissant en arrière les formes désuètes de la technique industrielle.

Or, voici ce qui se produit : notre pays est doté, d’une part, du régime le plus avancé du monde, le régime soviétique ; d’autre part, nous avons une technique extrêmement arriérée de l’industrie, laquelle est la base du socialisme et du régime soviétique.

Croyez-vous qu’en présence de cette contradiction il soit possible de faire triompher définitivement le socialisme ? Que doit-on faire pour liquider cette contradiction ?

A cet effet, nous devons rattraper et dépasser la technique moderne des pays capitalistes avancés. Nous avons rattrapé et dépassé les pays capitalistes avancés en ce qui concerne l’instauration d’un nouveau régime politique, du régime soviétique. Parfait.

Mais cela n’est pas suffisant.

Pour aboutir à la victoire finale du socialisme,nous devons rattraper et dépasser ces pays aussi sous le rapport technique et économique. Ou nous réaliserons cet objectif, ou nous ferons faillite. Cela est vrai non seulement du point de vue de l’édification du socialisme, mais cela est vrai aussi du point de vue de la sauvegarde de l’indépendance de notre pays dans le cadre capitaliste.

Or, il est impossible de sauvegarder l’indépendance de notre pays sans être pourvu d’une base industrielle suffisante pouvant assurer cette défense. Impossible de créer cette base industrielle, sans avoir une technique industrielle hautement développée. Voilà pourquoi nous avons besoin d’un rythme de développement accéléré de notre industrie.

L’état arriéré de la technique et de l’économie de notre pays n’a pas été voulu par nous. Ce retard est séculaire, il nous fut légué par le développement historique de notre pays. Ce retard se faisait sentir comme un fléau aussi bien dans le passé, dans la période prérévolutionnaire, que depuis la révolution.

Lorsque Pierre le Grand, après avoir noué contact avec les pays plus avancés d’Occident, fit construire fébrilement des usines et des fabriques destinées à assurer le ravitaillement de l’armée et à renforcer la défense du pays, ce fut là une tentative originale de remédier à ce retard. On conçoit cependant aisément qu’aucune des anciennes classes, ni l’aristocratie féodale, ni la bourgeoisie, n’ait pu se charger de liquider cet état arriéré de notre pays.

Bien plus : ces classes non seulement n’étaient pas en mesure de s’acquitter de cette tâche, mais elles étaient même incapables de la formuler d’une façon plus ou moins satisfaisante.

Le retard séculaire de notre pays ne saurait être liquidé que sur la base de l’édification socialiste. Et seul le prolétariat, qui a instauré sa dictature et tient en main la direction du pays, réussira à mener à bien cette liquidation.

Il serait puéril de vouloir nous consoler en disant que puisque nous ne sommes pour rien dans le retard, que cet état de choses nous a été légué par l’histoire de notre pays, nous ne pouvons et ne devons pas en supporter la responsabilité.

Ce n’est pas juste. Dès l’instant où nous avons pris le pouvoir, où nous nous sommes chargés de transformer le pays sur la base du socialisme, nous revendiquons toutes les responsabilités. Et c’est parce que nous en revendiquons les responsabilités que nous nous devons de liquider notre retard technique et économique.

C’est pour nous une obligation, si nous voulons réellement rattraper et dépasser les pays capitalistes avancés.

Or, il n’y a que nous, bolcheviks, qui pouvons le faire et personne d’autre. Et c’est justement pour mener à bien cette tâche que nous devons réaliser systématiquement un rythme accéléré de développement de notre industrie. Or, il n’est personne qui ne se rende clairement compte aujourd’hui que nous sommes en train de réaliser un rythme accéléré de développement de notre industrie.

La nécessité de rattraper et de dépasser les pays capitalistes avancés sous le rapport technique et économique n’a pour nous autres bolcheviks, rien de nouveau ni d’imprévisible.

Cette question nous l’avons posée déjà en 1917, au cours de la période d’avant la révolution d’Octobre. Cette question fut soulevée par Lénine déjà en septembre 1917, à la veille de la révolution d’Octobre, pendant la guerre impérialiste, dans sa brochure intitulée la Catastrophe imminente et les moyens de la conjurer. Voici ce que dit Lénine à ce sujet :

Elle [la révolution] a eu pour résultat de porter en quelques mois la Russie, dans l’ordre politique, au niveau des pays les plus avancés.

Mais cela ne suffit pas. La guerre est inflexible, elle pose la question en termes inexorables : périr ou rattraper et dépasser les paysavancés, même sur le terrain économique.

Il faut périr ou aller de l’avant à toute vapeur. La question est ainsi posée par l’histoire (Lénine, Œuvres complètes, t. XXI, p. 234. Edit. Soc. Int.).

Voilà comment Lénine posait d’une façon tranchante la question de la liquidation de notre retard technique et économique.

Tout cela avait été écrit par Lénine à la veille de la révolution d’Octobre, pendant la période qui précéda la prise du pouvoir par le prolétariat, alors que les bolcheviks n’avaient encore ni pouvoir, ni industrie socialisée, ni un vaste réseau ramifié de coopératives, englobant des millions de paysans, ni exploitations agricoles collectives, ni fermes d’État.

Or, aujourd’hui, où nous possédons une certaine base réelle pour liquider à fond notre retard technique et économique, nous pourrions paraphraser le passage de Lénine à peu près comme suit : « Nous avons rattrapé et dépassé les pays capitalistes avancés au point de vue politique, en

instituant la dictature du prolétariat.

Mais ce n’est pas assez. Nous devons utiliser la dictature du prolétariat, notre industrie socialisée, le transport, notre système de crédit etc., la coopération, les exploitations agricoles collectives, les fermes d’État, etc. — pour rattraper et dépasser, les pays capitalistes avancés, sous le rapport économique aussi. »

L’application d’un rythme accéléré au développement de notre industrie ne s’imposerait pas aussi impérieusement qu’elle s’impose en ce moment, si nous possédions une industrie et une technique aussi avancées qu’en Allemagne, par exemple ; si le rôle de notre économie nationale était aussi important qu’en Allemagne, par exemple.

Dans ce cas, nous pourrions développer notre industrie à un rythme moins accéléré, sans avoir à craindre de nous laisser distancer parles capitalistes et sachant que nous pouvons les devancer d’un seul coup.

Mais, c’est qu’alors le retard technique et économique qui se fait vivement sentir chez nous serait inexistant. Il n’en est rien. Sous ce rapport, nous sommes en retard sur l’Allemagne et bien loin de l’avoir rattrapée au point de vue technique et économique.

Le rythme accéléré de développement industriel ne s’imposerait pas aussi impérieusement si, au lieu d’être l’unique pays de dictature du prolétariat, nous représentions un des pays de dictature du prolétariat ; si le prolétariat exerçait le pouvoir non seulement dans notre pays, mais aussi dans d’autres pays plus avancés, tels que l’Allemagne et la France.

Dans ce cas, l’encerclement capitaliste ne serait pas pour nous un danger aussi grave qu’il l’est aujourd’hui ; la question de l’indépendance économique de notre pays serait reléguée, tout naturellement, au second plan ; nous pourrions nous intégrer dans un système d’Etats prolétariens plus avancés, qui nous fourniraient des machines pour enrichir notre industrie et notre agriculture, en échange de matières premières et de produits alimentaires ; nous pourrions, par suite, développer notre industrie à une allure moins rapide.

Mais vous savez fort bien que ces conditions nous font encore défaut, et que nous sommes pour le moment l’unique pays de dictature du prolétariat, entouré de pays capitalistes dont beaucoup sont très en avant de nous au point de vue technique et économique.

Voilà la raison pour laquelle la nécessité de rattraper et de dépasser les pays capitalistes avancés dans le domaine économique, était, selon Lénine, une question de vie et de mort pour notre développement.

Tels sont les facteurs extérieurs qui commandent d’adopter un rythme accéléré de développement de notre industrie.

Facteurs intérieurs. — Mais en dehors des facteurs extérieurs, il enexiste d’ordre intérieur qui nous commandent l’application d’un

rythme accéléré de développement de notre industrie, base première de toute notre économie nationale.

Je veux parler du grand retard de notre agriculture, de sa technique, de son outillage. Je veux parler des petits producteurs qui forment dans notre pays la majorité prédominante, dont la production est en état de dispersion et les procédés de travail rudimentaires, et au milieu desquels notre grande industrie socialisée est comme une île en pleine mer, île dont la base s’élargit chaque jour, mais qui n’en est pas moins une île en pleine mer.

On répète couramment chez nous que l’industrie est l’élément dirigeant de toute l’économie nationale y compris l’agriculture ; que l’industrie est la clé au moyen de laquelle on réussira à remanier sur la base du collectivisme, l’agriculture arriérée et morcelée. Cela est tout à fait exact. Nous ne devons pas nous départir de ce principe l’espace d’une seconde.

Mais il ne faut pas oublier, d’autre part, que si l’industrie est un élément décisif, l’agriculture sert de base au développement de l’industrie, d’abord comme marché absorbant la production industrielle, puis comme pourvoyeur de matières premières et de denrées alimentaires, et enfin comme source de réserves pour l’exportation destinées à assurer l’entrée de l’outillage pour les besoins de l’économie nationale.

Pourra-t-on faire progresser l’industrie en laissant l’agriculture dans un état de technique absolument arriérée, sans assurer à l’industrie une base agricole, sans réorganiser l’agriculture et sans l’ajuster au niveau de l’industrie ? Non, évidemment.

Il en résulte que nous devons assurer au maximum à l’agriculture l’outillage et les moyens de production afin d’accélérer et d’activer sa réorganisation sur une nouvelle base technique.

Mais pour atteindre cet objectif, il est indispensable d’adopter un rythme accéléré de développement de notre industrie. Bien entendu, la reconstruction de l’agriculture éparpillée et morcelée est une chose infiniment plus difficile que la reconstruction de l’industrie socialiste unifiée et centralisée. Mais cette tâche s’impose à nous et nous devons nous en acquitter.

Or, on ne saurait résoudre cette question que sur la base d’un rythme accéléré de développement de notre industrie.

On ne saurait indéfiniment, interminablement, c’est-à-dire pendant une trop longue période, faire reposer le pouvoir soviétique et l’édification socialiste sur deux bases différentes : l’industrie socialiste la plus grande et la plus unifiée et la petite économie paysanne, arriérée et dispersée.

Il faut faire passer graduellement, mais systématiquement et avec persévérance, l’agriculture sur une nouvelle base technique, sur la base de la grosse production, en l’ajustant au niveau de l’industrie socialiste.

Ou bien nous nous acquitterons de cette tâche, et alors la victoire définitive nous sera assurée, ou bien nous l’abandonnerons sans résoudre le problème, — et alors la restauration capitaliste peut devenir imminente.

Voici ce que dit Lénine à ce sujet :

Tant que nous vivons dans un pays de petits cultivateurs, le capitalisme possède en Russie une base économique plus solide que le communisme. Il faut se bien mettre dans la tête cette vérité. Tous ceux qui observent attentivement la vie de la campagne en la comparant à celle de la ville, savent que nous n’avons pas encore fait disparaître les racines du capitalisme ni sapé la base, le fondement de l’ennemi intérieur.

Celui-ci s’appuie sur la petite production ; or il n’est qu’un seul moyen de le battre en brèche, c’est de doter l’ensemble de notreéconomie nationale, y compris l’agriculture d’une nouvelle base technique, de la base technique de la grande industrie moderne.

Cette base ne peut être que l’électricité. Le communisme c’est le régime soviétique plus l’électrification de tout le pays. (Lénine, Œuvres complètes, t. XXVI, VIIIe congrès panrusse des Soviets ».)

Comme on le voit, par électrification du pays, Lénine entend non la construction isolée de quelques stations électriques, mais « le transfert de l’économie nationale, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la grande industrie moderne », qui se rattache d’une façon ou de l’autre, directement ou indirectement, à l’électrification.

Le discours dont j’ai extrait ce passage a été prononcé par Lénine au VIIIe congrès des Soviets en décembre 1920, la veille même de l’instauration de la Nouvelle politique économique, quand il lança l’idée de ce que l’on a appelé le plan Goelro ; le plan d’électrification de l’ensemble du pays. En partant de ce fait, certains camarades prétendent que les idées exposées dans ce passage de Lénine sont inapplicables à la situation actuelle. Pourquoi ?

Parce que, — disent-ils, — depuis cette époque beaucoup d’eau s’est écoulée. C’est juste.

Nous avons aujourd’hui une industrie socialiste développée ; nous avons des exploitations agricoles collectives, comme un phénomène de masse ; nous avons de vieilles et nouvelles fermes d’État, un réseau serré de coopératives développées ; nous avons des dépôts de location d’outillage desservant les exploitations paysannes individuelles ; nous avons les contrats de consignations, nouvelle forme d’union entre la campagne et la ville ; or, nous pouvons dès aujourd’hui mettre en action tous ces leviers et bien d’autres encore pour placer graduellement l’agriculture sur la base de la technique moderne.

Tout cela est juste. Il n’en est pas moins vrai que malgré tout nous demeurons toujours un pays agricole, où prédomine la petiteproduction. Or, c’est là l’essentiel. Et tant que ce facteur essentiel subsistera, la thèse de Lénine restera en vigueur : « tant que nous vivons dans un pays de petits cultivateurs, notre pays présente pour le capitalisme une base économique plus solide que pour le communisme ». Le danger de la restauration capitaliste n’est donc pas une phrase creuse.

Les mêmes idées sont exprimées par Lénine, quoique dans une forme plus tranchante, dans sa brochure Sur l’impôt alimentaire, écrite déjà après l’introduction de la Nouvelle politique économique. (Avril-mai 1921.)

Si nous entreprenons l’électrification du pays pour aboutir dans 10-20 ans, l’individualisme du petit cultivateur et le commerce libre, exercé par ce dernier sur le plan local ne seraient plus à redouter.

Mais sans l’électrification, le retour au capitalisme est imminent en tout état de cause.

Et puis plus loin :

10 ou 20 années de rapports réguliers avec la paysannerie nous assureront la victoire à l’échelle internationale (même si les révolutions prolétariennes en gestation tardent à éclater). Sinon, nous serons voués aux horreurs de la terreur des gardes blancs pendant 20 ou 40 ans. (Recueil Lénine, t. IV. p. 374. Edition russe.)

On voit donc que Lénine pose la question d’une façon tranchante : ou l’électrification, c’est-à-dire « le placement de toute l’économie nationale, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base de la grande production moderne », ou le retour au capitalisme.

Voilà comment Lénine pose la question des « justes rapports » avec les paysans. Il ne s’agit point de flatter les paysans ni de considérer cette flatterie comme des rapports rationnels.

Non, avec cette méthode on n’ira pas très loin. Il s’agit d’aider les paysans à faire passer leur économie « sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la grande industrie moderne ». C’est là le moyen essentiel qui affranchira les paysans de leur misère.

Or, il serait impossible de donner à l’économie nationale une nouvelle base technique, sans appliquer un rythme accéléré de développement à notre industrie, et avant tout, à notre industrie des moyens de production.

Tels sont les facteurs intérieurs qui nous commandent un rythme accéléré de développement de l’industrie.

Voilà à quels facteurs, extérieurs et intérieurs, est due la tension des « chiffres de contrôle » de notre économie nationale.

Voilà la raison pour laquelle nos plans économiques, budgétaires et extra-budgétaires sont conçus sous le signe d’une « tension », sous le signe d’investissements considérables dans les grands travaux d’édification, ayant pour but de maintenir le rythme accéléré de développement de notre industrie.

On peut demander : « Où cela figure-t-il dans les thèses, à quel passage de nos thèses pouvons-nous nous référer ? » Une voix : Oui, où cela est-il dit ?

Le montant des investissements dans l’industrie pour 1928/29, indiqué dans les thèses en fait foi. Car celles-ci portent le nom de thèses sur les « chiffres de contrôle ». N’est-ce pas ainsi ? Une voix : Oui.

Eh bien, dans ces thèses il est dit que nous engageons dans l’industrie, au titre de grands travaux de construction pour 1928/29, 1.650 millions de roubles.

En d’autres termes, nous investissons dans l’industrie, cette année, 330 millions de roubles de plus que l’année dernière. Ainsi, non seulement nous conservons le rythme accéléré de développement industriel, mais nous franchissons encore un pas en avant, en engageant dans l’industrie une somme supérieure à celle de l’an dernier, c’est-à-dire en élargissant les grands travaux de construction relativement et absolument.

C’est là le pivot des thèses sur les « chiffres de contrôle » de l’économie nationale. Or, l’essentiel a échappé à bon nombre de nos camarades. Ils ont critiqué sous toutes leurs faces les thèses sur les chiffres de contrôle, sans avoir pu discerner l’essentiel.

II ­ Le problème des céréales

J’ai traité jusqu’ici la première question fondamentale des thèses, celle du rythme de développement de notre industrie. Passons maintenant à la deuxième question fondamentale, à savoir : la question des céréales. Ce qui caractérise nos thèses, c’est qu’elles s’attachent au problème du développement de l’agriculture en général et sur celui des céréales en particulier.

Cette orientation est-elle juste ? Je crois que oui.

Déjà, à la séance plénière de juillet, on a dit que le point le plus faible dans le développement de notre économie nationale était l’état extrêmement arriéré de notre agriculture en général, de notre économie des céréales en particulier.

Ceux qui prétendent que notre agriculture est en retard sur l’industrie et s’en plaignent font preuve de légèreté. L’agriculture a été et sera toujours en retard sur l’industrie.

Cela est surtout vrai dans nos conditions où l’industrie est concentrée au maximum et l’agriculture dans un état de dispersion extrême. Il est clair que l’industrie unifiée se développera plus rapidement que ne le fera l’agriculture éparpillée.

De là le rôle dirigeant de l’industrie à l’égard de l’agriculture. Aussi le retard habituel de l’agriculture sur l’industrie n’autorise-t-il pas encore à poser la question des céréales.Le problème de l’agriculture et, en particulier, celui de la production des céréales ne font leur apparition que lorsque le retard habituel de l’agriculture sur l’industrie se transforme en un rythme excessivement lent de développement.

Ce qui caractérise l’état actuel de l’économie nationale c’est que le rythme de développement de la production des céréales marque un retard démesuré sur le rythme du développement industriel, cependant que la demande de céréales, de la part des villes et des centres industriel en plein essor, prend des proportions colossales.

Notre tâche n’est pas de ralentir le rythme du développement industriel au niveau de l’économie des céréales (il n’en résulterait que de la confusion qui ferait rétrograder toute l’évolution), mais de rajuster le développement de la production des céréales au rythme du développement de l’industrie, pour relever le rythme du développement de la production des céréales à un niveau susceptible d’assurer le progrès rapide de toute l’économie nationale, de l’industrie et de l’agriculture.

Ou bien nous nous acquitterons de cette tâche, et c’est ainsi que le problème des céréales sera résolu, ou bien nous ne nous en acquitterons pas, et alors la rupture entre la ville socialiste et la campagne des petits cultivateurs est imminente. Voilà comment la question se pose.

Voilà en quoi consiste le problème des céréales.

Est-ce à dire que nous assistons à un « temps d’arrêt » dans le développement de la production des céréales, voire même à sa « dégradation ». C’est ainsi que le camarade Froumkine formule la question dans sa seconde lettre que, sur sa demande, nous avons fait distribuer aujourd’hui aux membres du Comité central et de la Commission centrale de contrôle. Dans cette lettre, il ditouvertement que l’agriculture se trouve dans un état de stagnation.

« Nous ne pouvons, — dit-il, — et ne devons pas parler dans la presse de dégradation, mais, à l’intérieur du Parti, nous n’avons pas à dissimuler que ce retard équivaut à une dégradation. » Cette affirmation du camarade Froumkine est-elle fondée ? Non, certes.

Nous autres, membres du Bureau politique, ne partageons nullement cette affirmation, et les thèses du Bureau politique sont entièrement en désaccord avec cette façon de présenter l’état actuel de la production des céréales.

En effet, qu’est-ce que la dégradation et en quoi doit-elle consister quant à l’agriculture ? Elle doit visiblement se manifester dans un mouvement de recul de l’agriculture, vers le bas, mouvement allant des nouvelles formes de culture aux formes moyenâgeuses.

Elle doit se traduire, disons par le passage des paysans de l’assolement triennal au système des jachères, de la charrue et de la machine modernes à la charrue primitive, des semences sélectionnées et de haute qualité aux semences non sélectionnées et de qualité inférieure, des procédés modernes de culture aux procédés primitifs, et ainsi de suite.

Mais en est-il vraiment ainsi ?

Nul n’ignore que des dizaines et des centaines de milliers de « feux » paysans passent chaque année de l’assolement triennal à l’assolement quadriennal et plus, remplacent les semences de qualité inférieure par celles de qualité supérieure, l’araire par la charrue moderne et les machines, les procédés anciens de culture par des procédés modernes de culture. Y a-t-il là dégradation ?

Le camarade Froumkine aime en général à s’accrocher aux pans du vêtement de tel ou tel membre du Bureau politique pour justifier son point de vue à lui. Il est fort possible qu’en l’espèce il cherche également à s’accrocher aux pans du vêtement du camarade Boukharine et s’efforce de démontrer que ce dernier dit « la même chose » dans son article : « Notes d’un économiste ».

Or, le camarade Boukharine est loin de dire « la même chose ». Dans son article, le camarade Boukharine a posé de façon abstraite, théorique, la question de la possibilité ou du danger de la dégradation.

Abstraitement parlant, cette façon de poser la question est fort possible et logique.

Mais que fait le camarade Froumkine ? Il transforme la question abstraite de la dégradation éventuelle en un fait accompli de la dégradation agricole. Et c’est ce qu’il appelle analyse de l’état de la production des céréales. Rien de plus ridicule.

Il serait bien bas, le régime soviétique, si, à la onzième année de son existence, il avait amené l’agriculture à une dégradation ! Mais un tel régime mériterait qu’on le chassât et non qu’on le soutînt ! Et il est certain que les ouvriers auraient depuis longtemps renversé un tel régime, s’il avait amené l’agriculture à la dégradation. Ce sont les spécialistes bourgeois de tout ordre, qui crient à la dégradation de l’agriculture qu’ils voient en songe.

A un moment donné Trotski aussi avait crié à la dégradation. Je ne pensais pas que le camarade Froumkine irait s’engager dans cette voie épineuse.

Sur quoi le camarade Froumkine cherche-t-il à baser son affirmation relative à la dégradation ?

D’abord sur ce fait que cette année la surface des terres cultivées en céréales se trouve être inférieure à celle de l’année dernière. A quoi cela tient-il ? A la politique du gouvernement soviétique peu-têtre ? Non certes.

Cela s’explique par la perte des blés d’hiver dans la région des steppes de l’Ukraine et, en partie, dans le Caucase du Nord, ainsi que par la sécheresse qui a sévi cet été dans la même région de l’Ukraine.

Sans ces facteurs climatériques défavorables, auxquels l’agriculture se trouve entièrement soumise, nous aurions, cette année, une superficie de terres cultivées en céréales dépassant de un million de« déciatines » au moins celle de l’année dernière.

Il essaie de fonder ensuite son assertion sur le fait que cette année notre production globale de céréales ne dépasse que de très peu celle de l’année dernière (de 70 millions de pouds) et que la récolte de froment et de seigle est inférieure à celle de l’année dernière de 200 millions de pouds environ. Mais comment faut-il expliquer ce fait ?

Toujours par les mêmes phénomènes climatériques : sécheresse et perte des blés d’hiver provoquée par la rigueur des froids. Sans ces facteurs climatériques défavorables, la production globale de céréales dépasserait cette année de 300 millions de pouds celle de l’année dernière.

Comment peut-on faire abstraction de facteurs aussi sérieux que la sécheresse, le gel, etc., facteurs décisifs pour la récolte dans telles ou telles régions ?

Nous nous assignerons aujourd’hui la tâche d’élargir de 7 % la surface d’ensemencement, de relever de 3 % le rendement du sol et d’augmenter de 10 %, je crois, la production globale de céréales. Il est hors de doute que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous acquitter de ces tâches.

Mais il n’est pas impossible, malgré toutes les mesures que nous aurons prises, que nous ayons à faire face à une récolte insuffisante, partielle, à une période de sécheresse ou de gel dans telle ou telle région.

Il est possible que l’ensemble de ces circonstances entraîne un fléchissement de la production globale de céréales par rapport à celle prévue par nos plans, voire même à celle de cette année.

Est-ce à dire que l’agriculture « décroît », que cette « déchéance » est imputable à la politique du gouvernement soviétique ; que nous avons « privé » le paysan de ce qui lui servait de stimulant économique, que nous l’avons « dépouillé » de la perspective économique ?Il y a quelques années, Trotski était tombé dans la même erreur en affirmant que tes « pluies » n’exerçaient aucune influence sur l’agriculture. Rykov lui a répliqué, soutenu par l’immense majorité des membres du Comité central.

Aujourd’hui Froumkine tombe dans la même erreur, en négligeant les conditions de climat qui jouent un rôle décisif pour l’agriculture, et en s’efforçant d’imputer à la politique de notre parti tous les malheurs.

Quels sont les moyens et les voies propres à relever le rythme de développement de l’agriculture, en général, et de la production des céréales en particulier ? Nous en repérons trois : a) relever le rendement du sol et élargir la surface cultivable des exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens ; b) développer les exploitations agricoles collectives ; c) élargir les vieilles fermes d’État et en créer de nouvelles.

Ces points figurent déjà dans la résolution du Plénum de juillet. Les thèses qui ne font que reprendre ce qui a été dit au Plénum de juillet, posent la question en plus concret, en la commentant par des chiffres relatifs aux capitaux engagés. Ici encore, le camarade Froumkine a trouvé le moyen de s’accrocher.

Il croit qu’il suffit que la culture individuelle tienne le premier rang et que les exploitations agricoles collectives et fermes d’État viennent en deuxième et troisième lieu pour assurer le triomphe de son point de vue.

Cela est ridicule. Bien entendu, si on se place au point de vue de l’importance de telles ou telles formes d’agriculture, il faudra mettre au premier plan les exploitations individuelles qui fournissent presque six fois plus de blé-marchand que les fermes collectives et d’État.

Mais si on se place au point de vue du type de culture, au point de vue des formes de culture qui nous sont le plus proches, il faudra mettre au premier plan les fermes collectives et d’État, qui constituent le type supérieur d’agriculture comparativement auxexploitations individuelles paysannes.

Est-il besoin de démontrer que les deux points de vue sont également acceptables ? Quelles mesures faut-il prendre pour que notre travail suive les trois chemins indiqués, pour que soit réalisée pratiquement une accentuation du rythme de développement de l’agriculture et, avant tout, de la production des céréales ?

Il faudra, avant tout, attirer l’attention des cadres de notre parti sur l’agriculture et, en premier lieu, sur les problèmes concrets relatifs à la production des céréales. Il faut abandonner les généralités et le bavardage sur l’agriculture en général ; il est temps de nous occuper enfin de rechercher les mesures pratiques, susceptibles de relever la production des céréales conformément aux conditions respectives des diverses régions.

Il est temps de passer de la parole à l’acte, d’aborder enfin la question concrète de savoir comment relever le rendement du sol et élargir la surface d’ensemencement des exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens ; comment améliorer et développer ultérieurement les exploitations agricoles collectives et les fermes d’État; comment organiser l’aide que les exploitations collectives et fermes collectives fourniraient aux paysans, au point de vue de leur ravitaillement en semences de meilleure qualité, en meilleures espèces le bétail ; comment organiser l’aide aux paysans en machines et outillage agricoles par l’intermédiaire de dépôts de location ; comment élargir et améliorer les contrats de consignation et, en général, la coopération agricole, etc.

Une voix : C’est du praticisme !

Un tel praticisme nous est absolument nécessaire, sinon nous risquons de noyer dans un verbalisme creux sur l’agriculture en général, la solution nécessaire de la question des céréales.

Le Comité central a décidé que des rapports concrets concernant lesquestions du développement de l’agriculture seront faits par nos

militants responsables des principales régions de blé au Conseil des commissaires du peuple et au Bureau politique.

Au cours de ce Plénum, vous entendrez le rapport du camarade Andréev sur les moyens de résoudre le problème des céréales dans le Caucase du Nord.

Je pense que plus tard nous aurons à entendre des rapports analogues de l’Ukraine, de la Région centrale du Tchernoziom (Terre noire), du Volga, de la Sibérie, etc. Cela est absolument indispensable pour attirer l’attention du Parti sur le problème des céréales, et pour inciter enfin, les cadres de notre parti à aborder concrètement les questions se rattachant à la production des céréales.

Il faut, en second lieu, que nos militants du Parti travaillant dans la campagne sachent faire une distinction rigoureuse, au cours de leur travail, entre les paysans moyens et les koulaks, ne les mettent pas tous dans le même sac et ne frappent pas le paysan moyen alors que c’est le koulak qu’il faut battre. Il est temps de liquider ces soi-disant erreurs. Prenons, par exemple, la question de l’imposition individuelle.

Une décision du Bureau politique et une loi correspondante autorisent d’appliquer l’imposition individuelle à 2­3 % seulement des « feux » paysans, soit à la partie la plus riche des koulaks. Or, que voyons-nous en réalité ? Il existe des régions où l’imposition individuelle est appliquée à 10 %, 12 % et même plus de la population paysanne, ce qui fait qu’une partie des paysans moyens se trouve lésée.

N’est-il pas temps de mettre un terme à ce crime ?

Au lieu d’envisager des mesures concrètes pour liquider ces abus et tant d’autres, nos chers « critiques » se mettant en frais d’imagination, proposent de remplacer les mots « la partie la plus riche des koulaks » par « la partie la plus forte des koulaks » ou par « la partie supérieure des koulaks ». Comme si cela ne revenait au même ! Il est établi que nous avons 5 % de koulaks.

Il est également établi que la loi n’impose à titre individuel que 2-3 % seulement des « feux » paysans, soit la partie la plus riche des koulaks. Il est établi que, dans la pratique, cette loi est transgressée dans un grand nombre de régions.

Or, les « critiques », au lieu de préconiser des mesures concrètes pour liquider ces phénomènes, se livrent à une critique verbale, s’obstinant à ne pas vouloir se rendre compte que ce faisant, ils n’avancent pas les choses d’un seul iota.

On dirait de vrais exégètes.

Une voix : On propose d’imposer individuellement tous les koulaks.

Oui, mais alors il faudra réclamer l’abrogation de la loi instituant l’imposition individuelle de 2 à 3 %. Or, que je sache, personne n’a réclamé l’abrogation de la loi sur l’imposition individuelle. On prétend que l’extension arbitraire de l’imposition individuelle a pour but de compléter le budget local.

Mais est-il permis de compléter le budget local en violant la loi, en transgressant les directives du Parti ? Le Parti existe encore chez nous, il n’est pas encore liquidé. Le régime soviétique existe encore, il n’est pas encore liquidé. Et si le budget local manque de ressources, il faut poser la question du budget local, au lieu d’enfreindre les directives du Parti, de violer les lois.

Ensuite, il faut continuer de stimuler les exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens. Il est certain que l’augmentation, déjà décrétée, du prix des blés, la mise en application des lois révolutionnaires, l’aide pratique donnée aux paysans pauvres et moyens par la voie des contrats de consignation, sont autant de mesures propres à stimuler notablement l’activité économique des paysans.

Froumkine croit que nous avons tué ou presque tué ce stimulant en dépouillant le paysan de sa perspective économique.

C’est absurde. S’il en est ainsi on ne comprend plus sur quoi repose l’alliance de la classe ouvrière et des grandes masses paysannes, car on ne saurait pas prétendre que cette union soit une union morale.

Il est grand temps de comprendre que l’union de la classe ouvrière et des paysans est une union raisonnée, l’union des intérêts de deux classes, une union de classe des ouvriers et des grandes masses rurales, ayant pour but d’assurer des avantages réciproques. Il va de soi que si, en dépouillant le paysan de sa perspective économique nous avons tué ou presque tué ce qui sert de stimulant économique à la paysannerie, nous n’arriverions pas à réaliser l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie.

Il est évident qu’on ne saurait parler ici de « créer » ou de « tuer » le stimulant de l’activité économique de la paysannerie pauvre et moyenne. Il s’agit de renforcer ce stimulant et de le développer à l’avantage réciproque de la classe ouvrière et des principales masses de la paysannerie. Voilà de quoi parlent les thèses sur les chiffres de contrôle de l’économie nationale.

Enfin, il est nécessaire de renforcer l’approvisionnement de la campagne en marchandises. J’entends par là aussi bien des articles de consommation que (surtout) des marchandises d’ordre industriel (machines, engrais, etc.), susceptibles de relever la production agricole.

On ne peut dire que tout est pour le mieux dans ce domaine. Vous n’ignorez pas que la disette de marchandises est loin d’être liquidée et qu’elle ne le sera pas de sitôt. Dans certains milieux de notre parti, il existe cette illusion que nous pouvons, dès maintenant, liquider la disette de marchandises.

Malheureusement cela est faux. Il ne faut pas oublier que la disette de marchandises est liée, d’une part, au mieux-être des ouvriers et des paysans et à l’accroissement colossal de la capacité d’achat de marchandises, dont la production, qui augmente d’année en année, ne suffit pas à faire face à toute la demande et, d’autre part, à la période actuelle de la reconstruction industrielle.

La reconstruction de l’industrie comporte un déplacement de ressources du domaine de la production des moyens de consommation vers celui de la production de moyens de production.

Sans cette condition, il ne saurait y avoir de reconstruction industrielle sérieuse, surtout dans nos conditions soviétiques. Mais qu’est-ce à dire ?

Cela veut dire que l’on engage des capitaux dans les travaux de construction de nouvelles entreprises ; que le nombre des villes et des nouveaux consommateurs s’accroît, tandis que les nouvelles entreprises ne pourront fournir de nouvelles quantités de marchandises que dans 3 ou 4 ans.

Il apparaît donc clairement que cette circonstance ne saurait favoriser la liquidation de la disette de marchandises. Faut-il en déduire que nous devons nous croiser les bras et avouer notre impuissance face à la disette de marchandises ?

Non. Nous pouvons et devons prendre des mesures concrètes pour atténuer, pour affaiblir cette disette. Cela est possible et nous devons le faire dès maintenant.

Pour cela, il faut accentuer l’activité des branches d’industrie dont dépend directement l’essor de la production agricole (l’usine de tracteurs de Stalingrad, celle de machines agricoles de Rostov, celle de trieurs de Voronèje, etc.).

A cet effet, il faudra aussi renforcer, dans la mesure du possible, les branches d’industrie susceptibles d’augmenter la quantité de marchandises manquantes (draps, verrerie, clous, etc.).

Le camarade Koubiak a fait remarquer que d’après les chiffres decontrôle de l’économie nationale, on accorde cette année aux

exploitations agricoles individuelles moins de facilités que l’année dernière.

Je crois que ce n’est pas exact. Le camarade Koubiak ne tient visiblement pas compte du crédit de 300 millions de roubles que nous avons consenti cette année aux paysans par contrat de consignation (presque cent millions de plus que l’année dernière).

Si l’on tient compte de ce fait — impossible de ne pas le faire — on comprendra que nous donnons, cette année, aux exploitations individuelles plus d’avantages que l’an dernier. Quant aux exploitations agricoles collectives et fermes d’État, anciennes et nouvelles, nous y investissons 180 millions de roubles environ (soit 75 millions de plus que l’année dernière).

Il faut surtout prêter une attention suivie aux exploitations agricoles collectives et d’État et aussi aux contrats de consignation. Ces formes de culture ne doivent pas être considérées seulement comme un moyen servant à augmenter nos ressources en céréales.

Elles constituent en même temps une forme nouvelle de trait d’union entre la classe ouvrière et les principales masses paysannes. Les contrats de consignation ont déjà été suffisamment examinés chez nous, et je ne m’étendrai pas longuement sur ce sujet.

Tout le monde se rend compte que l’application des contrats de consignation en masse permet d’unifier les efforts fournis par les exploitations paysannes individuelles ; elle apporte un élément de constance aux rapports entre l’État et les paysans, et renforce ainsi l’alliance entre la ville et la campagne.

Je voudrais attirer votre attention sur les exploitations agricoles collectives et surtout sur les fermes d’État, qui sont comme des leviers aidant à transformer l’agriculture sur la base de la technique moderne, à opérer une révolution dans l’esprit des paysans et à libérer les masses rurales de la routine et de leurs habitudes séculaires.

L’apparition des tracteurs, des grosses machines agricoles et des colonnes de tracteurs dans nos régions productrices de blé n’est pas sans laisser des traces sur les exploitations agricoles des localités environnantes.

L’aide que nous apportons aux paysans des localités environnantes en semences, machines et tracteurs sera certainement appréciée par les paysans ; ils y verront une preuve de puissance et de solidité de l’État ouvrier qui s’efforce de les acheminer vers un essor sérieux de l’agriculture. Jusqu’à présent, nous avons négligé cette circonstance, et, je crois qu’aujourd’hui encore nous n’en tenons pas suffisamment compte.

Je crois cependant que c’est là l’essentiel de ce que les exploitations agricoles collectives et les fermes d’État donnent et peuvent donner, en ce moment, pour résoudre le problème des céréales et renforcer l’alliance de la ville et de la campagne, dans ses nouvelles formes.

Tels sont les voies et les moyens que nous aurons à suivre pour résoudre la question des céréales.

III ­ La lutte contre les déviations
et l’attitude conciliante à leur égard

Nous abordons maintenant la troisième question fondamentale de nos thèses, celle des déviations de la ligne léniniste.

La base sociale des déviations est la prédominance de la petite production dans notre pays, la naissance d’éléments capitalistes engendrés par la petite production, l’atmosphère petite-bourgeoise qui enveloppe notre parti et, enfin, la contamination de certains chaînons de notre parti par cette atmosphère.

Voilà, dans ses grandes lignes, la base sociale des déviations. Toutes ces déviations revêtent un caractère petit-bourgeois.

A quoi se ramène la déviation de droite dont il est question ici principalement ?

A quoi tend-elle ? Elle tend à s’adapter à l’idéologie bourgeoise ; elle tend à adapter notre politique aux goûts et aux besoins de la bourgeoisie « soviétique ».

Quel risque courons-nous de voir la déviation de droite triompher dans notre parti ? Ce serait la débâcle idéologique de notre parti, le déchaînement des éléments capitalistes, la multiplication des chances de restauration capitaliste ou, comme disait Lénine, le « retour au capitalisme ».

Où vont-elles surtout se nicher les tendances de droite ? Dans notre appareil soviétique, économique, coopératif et syndical, ainsi que dans l’appareil du Parti, notamment aux échelons ruraux de la base.

Y a-t-il parmi nos militants du Parti des colporteurs de la déviation de droite ?

Oui, certainement. Rykov a cité l’exemple de Chatounovski qui s’est prononcé contre la construction du Dniéprostroï. Il est évident que Chatounovski s’est laissé glisser vers la déviation de droite, vers l’opportunisme grandement affirmé. J’estime cependant que le cas de Chatounovski n’est pas caractéristique de la déviation de droite, de son aspect politique. Je crois qu’ici la palme revient à Froumkine.

(Rires.) Je parle de sa première lettre (juin 1928), ensuite de sa deuxième lettre qui a été distribuée ici aux membres du Comité central et de la Commission centrale de contrôle (novembre 1928).

Analysons ces deux lettres. Envisageons d’abord la « thèse fondamentale » de la première de ces lettres.

1. « La campagne, à part une portion insignifiante des paysans pauvres, est contre nous. » Est-ce vrai ? Non, évidemment. Si cela était vrai, il ne resterait plus aucune trace de l’alliance entre la ville et la campagne. Dire que depuis le mois de juin (date de la première lettre) presque six mois se sont déjà écoulés, et quiconque n’est pas aveugle se rend compte que l’alliance entre la classe ouvrière et les masses fondamentales de la paysannerie subsiste et se renforce. Pourquoi Froumkine a­t­il besoin d’écrire une absurdité pareille ? Pour faire peur au Parti et le rendre moins intransigeant à l’égard de la déviation de droite.

2. « L’orientation adoptée depuis quelque temps a dépouillé les paysans moyens de toutes perspectives d’avenir. »

Est-ce vrai ? Pas le moins du monde. Il est évident que si, au printemps de cette année, les principales masses de la paysannerie moyenne n’avaient pas eu de perspectives d’avenir, elles se seraient bien gardé d’étendre les emblavures de printemps dans les principales régions de la production de blé. Les emblavures de printemps s’effectuent chez nous en avril et mai.

Or, la lettre de Froumkine date de juin. Quel est en régime soviétique le principal stockeur de céréales ? L’État et la coopération qui s’y rattache. Il est évident que si la paysannerie moyenne était dépourvue de perspectives économiques, si elle se trouvait en état de « divorce » avec le régime soviétique, elle se garderait bien d’agrandir les emblavures de printemps pour complaire à l’État, qui est le principal stockeur. Froumkine avance là une absurdité manifeste. Il essaie une fois de plus d’intimider le Parti, en étalant les « horreurs » de cette absence de perspectives, afin d’arracher au Parti des concessions en faveur du point de vue que lui, Froumkine, défend.

3. « Il faut rebrousser chemin vers le XIVe et XVe congrès. » Que le XVe congrès ait été invoqué ici sans rime ni raison, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Ce qui importe ici, ce n’est point le XVe congrès, mais le mot d’ordre : Rebroussons chemin vers le XIVe congrès.

Qu’est­ce à dire ? Cela veut dire qu’il faut renoncer à « accentuer l’offensive contre le koulak ». (Voir la résolution du XVe congrès.)

Je ne veux pas dire du mal du XIVe congrès. Il n’en est rien. Si je le dis, c’est parce qu’en nous engageant à rebrousser chemin vers le XIVe congrès, Froumkine conteste les progrès que le Parti a réalisés dans l’intervalle du XIVe au XVe congrès et qu’en niant ces progrès il tire le Parti en arrière.

Le Plénum de juillet du C.C. s’est prononcé à ce sujet. Il a déclaré nettement dans sa résolution que ceux qui cherchent à « passer sous silence la décision du XVe congrès — à développer l’offensive ultérieure contre le koulak — sont les colporteurs de tendances bourgeoises dans notre pays ».

Je dirai franchement à Froumkine que le Bureau politique, en formulant ce passage dans la résolution du Plénum de juillet, visait précisément Froumkine et sa première lettre.

4. « Développer au maximum l’aide aux paysans pauvres qui rejoignent les exploitations agricoles collectives ». Nous avons toujours, dans la mesure de nos forces et de nos possibilités, accordé le maximum d’aide aux paysans pauvres qui rejoignaient ou non les collectivités agricoles.

Il n’y a là rien de nouveau. Ce qui est nouveau dans les résolutions du XVe congrès, c’est qu’il nous a posé comme tâche primordiale le développement intensif du mouvement de collectivisation.

En disant que nous devons accorder le maximum d’aide aux paysans pauvres allant aux exploitations agricoles collectives, Froumkine tend à esquiver, à éluder la tâche imposée au Parti par le XVe congrès et qui consiste à développer largement les exploitations agricoles collectives.

Au fond, Froumkine s’affirme contre le renforcement du secteur socialiste à la campagne, c’est-à-dire contre le développement des exploitations agricoles collectives.

5. « Il ne faut pas développer les fermes d’État sur un rythme intense et ultra­intense ». Froumkine ne peut pas ignorer que nous ; ne faisions que commencer un travail sérieux visant à élargir les fermes d’État et à en créer de nouvelles. Froumkine ne peut pas ignorer que nous engageons à cette fin beaucoup moins de ressources qu’il n’en faudrait si nous avions des réserves.

Les mots « sur un rythme intense et ultra-intense » nous ont été servis ici pour « faire peur » aux gens et dissimuler ainsi l’opposition de l’auteur à toute extension plus ou moins sérieuse des fermes d’État. Froumkine s’affirme ainsi contre le renforcement du secteur socialiste rural dans le sens de la construction des fermes d’État.

Réunissez maintenant toutes ces thèses de Froumkine et vous aurez les caractéristiques de la déviation de droite.

Voyons maintenant la seconde lettre de Froumkine. Qu’est­ce qui la distingue de la première ? C’est qu’elle aggrave les erreurs de la première. La première lettre disait que les paysans moyens manquaient de perspectives d’avenir.

Or, la seconde parle de la « dégradation » de l’agriculture. La première lettre recommandait de rebrousser chemin vers le XIVe congrès pour affaiblir l’offensive contre le koulak. Dans la seconde lettre nous lisons : « Nous ne devons pas gêner la production des économies agricoles koulaks ». La première lettre ne parle pas du tout de l’industrie.

La seconde développe une « nouvelle » théorie d’après laquelle il faut engager le moins de capitaux possible dans l’industrie. Il y a cependant deux points sur lesquels les deux lettres sont d’accord : c’est en ce qui concerne les exploitations agricoles collectives et les fermes d’État.

Dans l’une et l’autre des deux lettres Froumkine s’affirme contre le développement des exploitations agricoles collectives et fermes d’État. Il est donc évident que la seconde lettre ne fait qu’aggraver les erreurs de la première.

J’ai déjà parlé de la théorie de la « dégradation ». Il est hors de doute que cette théorie a été inventée de toutes pièces par les spécialistes bourgeois prêts à proclamer la faillite du régime soviétique. Le camarade Froumkine s’en est laissé imposer par les spécialistes bourgeois qui pullulent au commissariat des Finances.

Aujourd’hui, il essaie lui-même d’en imposer au Parti, afin de le rendre moins intransigeant à l’égard de la déviation de droite. Pour ce qui est du problème des exploitations agricoles collectives et des fermes d’État, il a été déjà suffisamment débattu. Aussi, n’y reviendrai-je plus.

Voyons les deux autres points : les exploitations koulaks et les investissements de fonds dans l’industrie.

Au sujet des exploitations koulaks Froumkine dit « que nous ne devons pas gêner la production des économies agricoles koulaks ».

Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire que nous ne devons pas empêcher le koulak de développer son économie. Mais que veut dire : ne pas empêcher le koulak exploiteur de développer son économie ? Cela veut dire : libérer le capitalisme dans les campagnes, lui lâcher la bride, lui laisser la liberté d’action.

C’est là le vieux mot d’ordre des libéraux français : « laisser faire, laisser passer », c’est-à-dire laisser la bourgeoisie se livrer à ses occupations, la laisser agir en toute liberté. Ce mot d’ordre avait été arboré par les anciens libéraux français, pendant la Révolution française, pendant la lutte contre la féodalité qui gênait la bourgeoisie et entravait son évolution.

Il s’ensuit que nous devons aujourd’hui abandonner le mot d’ordre socialiste visant à limiter de plus en plus l’activité des éléments capitalistes (voyez les thèses sur les chiffres de contrôle) passer au mot d’ordre bourgeois-libéral qui vise à ne pas entraver le développement du capitalisme dans la campagne.

Aurions-nous l’intention, nous autres bolcheviks, de devenir des libéraux ? Qu’y a-t-il de commun entre ce mot d’ordre libéral de Froumkine et la ligne du Parti ?

Froumkine : Camarade Staline, lisez aussi les autres articles.

Je lis le passage tout entier : « Nous ne devons pas gêner laproduction des économies agricoles koulaks, tout en combattant les conditions d’esclavage de leur exploitation . » Eh ! Bien, camarade Froumkine, croyez-vous que la seconde partie de la phrase redresse la situation et ne l’aggrave pas ?

Que veut dire la lutte contre « l’exploitation esclavagiste » ? La lutte contre les conditions d’esclavage de l’exploitation n’est-elle pas le mot d’ordre de la révolution bourgeoise contre les méthodes féodales ou semi-féodales d’exploitation ?

En effet, nous avons formulé ce mot d’ordre lorsqu’il s’agissait de la révolution bourgeoise, en distinguant la forme esclavagiste d’exploitation que nous cherchions à liquider, de la forme non esclavagiste, dite « progressiste » de l’exploitation que nous ne pouvions à ce moment ni enrayer ni supprimer, puisque le régime bourgeois continuait à exister. Mais, à ce moment, nous nous acheminions vers la République démocratique-bourgeoise.

Or, aujourd’hui, nous avons, si je ne m’abuse, la révolution socialiste qui vise — et ne peut pas ne pas viser — à l’abolition de toutes les formes d’exploitation aussi bien esclavagistes que non esclavagistes.

Vous voulez donc, Froumkine, que nous abandonnions la révolution socialiste que nous sommes en train de réaliser et de pousser en avant, pour rebrousser chemin vers les mots d’ordre de la révolution bourgeoise ? Comment pouvez-vous, Froumkine, vous laisser aller à une telle absurdité ?

D’autre part, que veut dire : Ne pas entraver le développement de l’économie koulak ? Cela veut dire : laisser la liberté au koulak. Et que veut dire : laisser la liberté au koulak ?

Cela veut dire lui donner le pouvoir. Lorsque les libéraux bourgeois de France demandaient à la féodalité de ne pas s’opposer au développement de la bourgeoisie, ils formulaient des revendications concrètes pour conférer le pouvoir à la bourgeoisie. Et ils avaient raison. Pour assurer son développement, la bourgeoisie a besoind’exercer le pouvoir.

Donc, pour être conséquent il faut dire : laissez le koulak accéder au pouvoir, car il faut se rendre compte qu’on entrave forcément le développement des koulaks, en leur retirant le pouvoir et en le concentrant aux mains de la classe ouvrière. Telles sont les conclusions qui s’imposent à la lecture de la seconde lettre de Froumkine.

Les grands travaux d’édification industrielle. Lors de la discussion des chiffres de contrôle nous étions en présence de trois chiffres : le Conseil supérieur de l’économie nationale demandait 825 millions de roubles ; la Commission des plans d’État (Gosplan) n’en accordait que 750 millions. Le commissariat du peuple aux Finances ne consentait à donner que 650 millions.

Quelle décision fut prise à ce sujet par le Comité central de notre Parti ? Il fixa le chiffre à 800 millions, soit une somme de 150 millions supérieure à celle qu’offrait le commissariat des Finances.

Que le commissariat du peuple aux Finances en offrait moins, cela n’a rien d’étonnant : la parcimonie de ce commissariat est connue de tous, et il ne saurait en être autrement.

Mais la question n’est pas là. Froumkine s’en tient au chiffre de 650 millions non par parcimonie, mais en vertu d’une théorie fraîchement éclose sur les « possibilités » en présence : il affirme dans sa seconde lettre et dans un article spécial publié par l’organe du commissariat des Finances, que nous aggraverons à coup sûr la situation de notre économie nationale en accordant au Conseil supérieur de l’économie nationale plus de 650 millions de roubles au titre des grands travaux d’édification.

Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que Froumkine s’affirme contre le rythme actuel de développement de l’industrie, ne se rendant visiblement pas compte que le ralentissement de ce rythme de développement est de nature à empirer pour de bon l’état de toute notre économie nationale.

Et maintenant joignez ensemble ces deux points de la seconde lettrede Froumkine, le point concernant l’économie koulak et celui des grands travaux de construction industrielle, ajoutez-y la théorie de la « dégradation » et vous verrez apparaître la physionomie de la déviation de droite.

Voulez-vous savoir ce qu’est la déviation de droite et sous quel aspect elle se présente ? Lisez les deux lettres de Froumkine, étudiez-les et vous serez fixés.

Voilà donc la physionomie de la déviation de droite.

Mais les thèses ne parlent pas que de la déviation de droite. Elles parlent aussi de la déviation dite de « gauche ». Qu’est-ce au juste que la déviation de « gauche » ? Existe-t-elle réellement dans le Parti ?

Des tendances hostiles au paysan moyen, comme l’affirment nos thèses, des tendances à la surindustrialisation du pays, etc. se font-elles réellement jour dans notre parti ? Oui, certes. A quoi donc se ramènent-elles ?

Elles se ramènent au trotskisme.

Déjà le C.C. élargi de juillet l’avait constaté. Je veux parler de la résolution bien connue sur la politique du stockage des blés, où il est dit que nous devons engager la lutte sur deux fronts : contre ceux qui cherchent à nous faire rebrousser chemin depuis le XVe congrès — c’est la droite — et contre ceux qui entendent transformer des mesures extraordinaires en l’orientation permanente du Parti — ce sont les tendances de « gauche », les tendances trotskystes. Il est évident que des éléments trotskistes et la tendance à l’idéologie trotskiste se manifestent au sein de notre parti. Je crois que lors de la discussion d’avant le XVe congrès, 6.000 membres du Parti ont voté contre notre plate-forme.

Une voix : Dix mille.

Je crois que si dix mille ont voté contre, deux fois dix mille militants du Parti sympathisant avec le trotskisme n’ont pas voté du tout, puisqu’ils n’étaient pas venus aux réunions. Ce sont les mêmes éléments trotskistes restés dans le Parti et qui ne se sont pas encore— j’imagine — affranchis de l’idéologie trotskiste.

En outre, il est, je crois, des éléments qui ont rompu, par la suite, avec l’organisation trotskiste et sont revenus au Parti, sans s’être dégagés totalement de leur mentalité trotskiste ; ceux-là aussi ne se font évidemment pas faute de propager leurs idées parmi les membres du Parti.

Enfin, on assiste à une certaine renaissance de l’idéologie trotskiste dans maintes organisations de notre parti. Mettez ensemble tous ces faits et vous aurez tout ce qu’il faut pour trouver dans le Parti une déviation vers le trotskisme.

Rien d’étonnant : est-il possible qu’avec l’atmosphère petite-bourgeoise qui entoure le Parti et la pression qu’elle exerce sur lui, ce dernier soit affranchi de toutes tendances trotskistes ? Faire arrêter et déporter les cadres des trotskistes est une chose ; en finir avec l’idéologie trotskiste, en est une autre. Cela est autrement difficile. Nous disons donc : là où il y a déviation de droite, il doit y avoir aussi déviation de « gauche ».

La déviation de « gauche » n’est que l’ombre de la déviation de droite. Lénine disait, en parlant des otzovistes [Tendance existant an sein du P.O.S.D.R. vers 1908-10 qui exigeait d’abord le rappel des députés s.d. de la IIIe Douma et qui eut ensuite encore d’autres points de vue propres.], que ceux de la « gauche » étaient des menchéviks à rebours. C’est tout à fait juste. Il en est de même pour ceux de la « gauche » d’aujourd’hui.

Ceux qui dévient vers le trotskisme ne représentent, au fond, que la droite à rebours, droite qui s’abrite derrière la phraséologie de gauche.

C’est pourquoi nous avons à mener le combat sur deux fronts : contre la déviation de droite et contre la déviation de « gauche ».

On peut nous objecter : puisque la déviation de « gauche » n’est, au fond, que la droite opportuniste, où est la différence entre elles et à quoi se résume la lutte sur deux fronts ?

En effet, puisque la victoire de la droite revient à augmenter les chances de succès de la restauration capitaliste, et si le triomphe de

la « gauche » aboutit au même résultat, quelle différence y a-t-il donc entre ces deux déviations et pourquoi les appelle-t-on, l’une de « droite » et l’autre de « gauche » ?

Si la différence subsiste, en quoi consiste-t-elle ? N’est-il pas vrai que les deux déviations ont la même origine sociale, qu’elles sont des déviations petites-bourgeoises ? N’est-il pas vrai que l’une et l’autre, en cas de triomphe, aboutiraient aux mêmes résultats ? Où est donc la différence entre elles ?

La différence, c’est qu’elles ont des plates-formes distinctes, des tâches différentes, des méthodes d’action et des procédés différents.

Si la droite dit : « Il ne fallait pas construire le Dniéprostroï », et que la gauche, par contre, objecte : « Que voulez-vous que nous fassions d’un seul Dniéprostroï, donnez-nous en pour le moins un par an » (Rires), il faut croire que la différence est patente.

Si la droite dit : « Ne touchez pas au koulak, laissez-le se développer en toute liberté », la gauche, par contre, objecte : « Frappez aussi bien le koulak que le paysan moyen, parce que celuo-ci est propriétaire au même titre que le koulak », il faut reconnaître que la différence est manifeste entre ces deux déviations.

Si la droite dit : «Des difficultés surviennent, ne ferions-nous pas bien de capituler ? », la gauche, par contre, objecte : « Oh ! les difficultés, on s’en « bat l’œil » de vos difficultés, prenons notre élan » (Rires), il faut avouer qu’il existe bien une différence entre ces deux déviations.

Voilà donc un tableau de la plate-forme particulière et des procédés spécifiques de la « gauche ».

C’est à cela que tient, évidemment, la raison qui fait que la « gauche » réussit à attirer un certain nombre d’ouvriers à l’aide de phrases radicales sonores, et à se faire passer pour l’adversaire le plus résolu de la droite — encore que tout le monde sache que la déviation de droite et celle de « gauche » reposent sur la même base sociale, et qu’il leur arrive souvent deconjuguer leurs efforts pour combattre la ligne léniniste.

Voilà pourquoi nous autres léninistes devons combattre sur deux fronts : contre la déviation de droite et contre celle de « gauche ».

Mais si la tendance trotskiste représente la déviation de « gauche », est-ce à dire que la « gauche » soit plus à gauche que le léninisme ? Nullement. Le léninisme est le courant le plus à gauche (sans guillemets) dans le mouvement ouvrier mondial.

Nous autres, léninistes, nous avons fait partie de la IIe Internationale, avant la guerre impérialiste, comme la fraction extrême gauche des social-démocrates.

Nous avons quitté la IIe Internationale et prêché la scission au sein de cette Internationale, parce que nous ne voulions pas, en tant que fraction extrême gauche, coudoyer dans le même parti les traîtres petits-bourgeois du marxisme, les social-pacifistes et les social-chauvins. Cette tactique et cette idéologie ont été mises, plus tard, à la base de tous les partis bolcheviks du monde. Dans notre parti, nous autres, léninistes, nous sommes la seule gauche sans guillemets.

Voilà pourquoi nous ne représentons ni la droite ni la « gauche » dans notre propre parti.

Nous sommes le parti des marxistes-léninistes. Or, au sein de notre parti, nous combattons non seulement ceux que nous traitons ouvertement de droitiers, mais ceux encore qui veulent être plus « à gauche » que le marxisme, plus « à gauche » que le léninisme, en masquant leur nature de droite opportuniste sous des phrases radicales sonores.

Tout le monde comprendra que c’est par ironie qu’on applique le terme de « gauches » à ceux qui ne se sont pas encore affranchis des tendances trotskistes. Lénine appliquait aux « communistes de gauche » la dénomination de gauches, tantôt sans et tantôt avec guillemets.

Mais tout le monde se rend compte que c’est par ironie que Lénineles nommait ainsi, voulant souligner par là qu’ils ne sont radicaux

qu’en paroles, qu’en apparence, mais qu’en réalité ils représentent les tendances petites-bourgeoises de droite.

Peut-on sérieusement parler de radicalisme (sans guillemets), des éléments trotskistes qui, hier encore, formaient, avec les éléments franchement opportunistes, un seul bloc antiléniniste, et s’associaient ouvertement aux couches antisoviétiques du pays ? N’est-il pas établi qu’hier encore la « gauche » et la droite étaient liguées contre le Parti de Lénine, et que ce bloc était incontestablement soutenu par les éléments bourgeois ?

N’est-il pas évident que la « gauche » et la droite n’auraient pu se grouper dans un même bloc, si elles n’avaient pas de racines sociales communes, si elles n’étaient pas dotées d’une même nature opportuniste ? Le bloc des trotskistes s’est désagrégé il y a un an.

Une partie de la droite, tel le camarade Chatounovski, a abandonné ce bloc.

Par conséquent, ceux du bloc de droite s’affirmeront désormais comme les représentants de la droite, alors que la « gauche » cherchera à camoufler sa nature de droite sous des phrases gauchistes. Mais où est la garantie que la « gauche » et la droite ne finiront par se rejoindre un jour ? (Rires.) Il est évident qu’il ne saurait être question d’aucune garantie.

Mais dès l’instant où nous nous affirmons pour le mot d’ordre de lutte sur deux fronts, est-ce à dire que nous proclamons par là même la nécessité du centrisme dans notre parti ? Que veut dire : lutter sur deux fronts ? N’est-ce pas du centrisme ?

Vous savez que c’est justement ainsi que les trotskistes cherchent à représenter la chose ; ils disent : il y a la « gauche », c’est nous, les trotskistes, les « vrais léninistes » ; il y a la « droite », ce sont les autres ; il y a enfin les « centristes », qui oscillent entre la droite et la « gauche ». Cette conception de notre parti est-elle juste ?

Non évidemment. Seuls des gens dont les idées sont embrouillées et qui ont rompu avec le marxisme depuis longtemps peuvent émettre des opinions semblables.

Seuls des gens qui ne perçoivent pas la différence de principes entre le Parti social-démocrate d’avant guerre, parti du bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois, et le Parti communiste — parti monolithe du prolétariat révolutionnaire — peuvent raisonner ainsi.

Le centrisme n’est pas une notion d’espace : ici, c’est la droite, là, c’est la « gauche » ; au milieu, les centristes.

Le centrisme est une notion politique. Son idéologie est celle du conformisme, l’idéologie de la subordination des intérêts prolétariens à ceux de la petite bourgeoisie au sein d’un parti commun. Or, cette idéologie est étrangère et contraire au léninisme.

Le centrisme est un phénomène inhérent à la IIe Internationale d’avant-guerre.

Il y avait là une droite (la majorité) et une gauche (sans guillemets) et des centristes, dont la politique consistait à farder, par des phrases gauchistes, l’opportunisme de la droite et de subordonner la gauche à la droite. En quoi consistait, à l’époque, la politique de la gauche, dont le noyau était constitué par les bolcheviks ?

A lutter vigoureusement contre les centristes, pour la séparation avec la droite (notamment au début de la guerre impérialiste) et à travailler à la formation d’une nouvelle Internationale révolutionnaire comprenant les éléments réellement gauches, réellement prolétariens.

Comment a pu surgir, à l’époque, ce rapport des forces et cette politique des bolcheviks à l’intérieur de la IIe Internationale ? Parce que la IIe Internationale représentait à ce moment le bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois, pour servir les social-pacifistes etles social-chauvins petits-bourgeois.

Parce que les bolcheviks ne pouvaient pas ne pas concentrer à ce moment le feu contre les centristes qui cherchaient à subordonner les éléments prolétariens aux intérêts petits-bourgeois. Parce que les bolcheviks se voyaient obligés alors de prêcher la scission, sans laquelle les prolétaires n’auraient pas pu organiser leur propre parti révolutionnaire marxiste.

Peut-on affirmer qu’il existe aujourd’hui, dans notre parti, le même rapport des forces et que nous devons suivre la même politique que celle suivie par les bolcheviks dans les partis de la IIe Internationale de la période d’avant-guerre ?

Il est évident que non. Car ce serait méconnaître la différence de principes qui existe entre un parti du bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois, et le parti monolithe du prolétariat révolutionnaire.

Là (chez les social-démocrates), le Parti avait une base de classe distincte ; ici (chez les communistes), il y en a une autre toute différente.

Là, au sein de la social-démocratie, le centrisme était un phénomène normal, puisqu’un parti représentant des intérêts hétérogènes ne peut se passer de centristes, et les bolcheviks étaient obligés de s’engager dans la voie de la scission. Ici (chez les communistes), le centrisme est inadmissible ; il est incompatible avec la discipline léniniste, puisque le Parti communiste est un parti monolithe du prolétariat et non un parti représentant les intérêts des différents éléments de classe.

Et puisque la force dominante dans notre parti est constituée par le courant le plus radical du mouvement ouvrier mondial (le léninisme), la politique de scission dans notre parti ne se justifie et ne peut être justifiée aucunement du point de vue léniniste.

Une voix : La scission est-elle possible ou non dans notre parti ?Il ne s’agit pas de savoir si la scission est possible ou non ; je tenais

simplement à montrer que la politique scissionniste, dans notre parti léniniste monolithe, ne saurait être justifiée du point de vue léniniste. Quiconque ne comprend pas cette différence de principe agit à rencontre du léninisme, rompt avec ce dernier.

C’est pourquoi je pense que seuls les fous, des gens entièrement détachés du marxisme, peuvent affirmer sérieusement que la politique de notre parti, la politique de la lutte sur deux fronts est une politique centriste.

Lénine a toujours lutté sur deux fronts dans notre parti, il a combattu la « gauche » et les déviations franchement menchéviks. Parcourez la brochure de Lénine la Maladie infantile du communisme, consultez l’histoire de notre parti, et vous vous rendrez compte que celui-ci a grandi et s’est raffermi à travers la lutte contre les deux déviations — celle de droite et celle de « gauche ».

Lutte contre les otzovistes et les communistes de « gauche », d’une part ; lutte contre la déviation franchement opportuniste avant la révolution d’Octobre, pendant la révolution d’Octobre et depuis cette révolution, telles sont les phases que notre parti a traversées dans son évolution. Tout le monde se rappelle les paroles de Lénine disant que nous devons combattre l’opportunisme aussi bien que les doctrinaires de « gauche ».

Est-ce à dire que Lénine fut un centriste, qu’il ait suivi la politique du centrisme ? Non, évidemment.

Mais alors, qu’est-ce donc que les déviations de droite et de « gauche « ? En ce qui concerne la déviation de droite, on ne saurait l’assimiler à l’opportunisme des social-démocrates d’avant-guerre. La déviation vers l’opportunisme ce n’est pas encore de l’opportunisme.

Nous savons comment Lénine expliquait, dans le temps, l’idée « déviation ».La déviation à droite est une déformation qui n’a pas encore pris la forme de l’opportunisme et que l’on peut encore corriger.

Aussi ne doit-on pas identifier la déviation à droite avec l’opportunisme achevé. Quant à la déviation de « gauche », elle est l’opposé de ce qu’étaient ceux de l’extrême gauche dans la IIe Internationale d’avant-guerre, c’est-à-dire les bolcheviks.

Non seulement ils n’appartiennent pas à la gauche sans guillemets, mais ils sont, en fait, les mêmes droitiers, avec cette différence, toutefois, qu’ils dissimulent inconsciemment leur nature véritable sous des phrases gauchistes. Ce serait un crime contre le Parti que de ne pas voir l’abîme qui sépare la déviation de « gauche » des léninistes authentiques, les seuls représentants de la gauche (sans guillemets) dans notre parti.

Une voix : Et la légalisation des déviations ?

Si la lutte ouverte contre les déviations est une légalisation, il faudra avouer que Lénine les a « légalisées » depuis longtemps.

Ces droitiers aussi bien que ces « gauchistes », se recrutent parmi les éléments les plus variés des couches sociales non prolétariennes, éléments qui reflètent la pression de l’atmosphère petite-bourgeoise sur le Parti et la décomposition de certains maillons de notre parti.

Ex-adhérents à d’autres partis ; individus à tendances trotskistes ; fragments d’anciennes fractions dans le Parti ; militants du Parti en train de se bureaucratiser (ou qui se sont déjà bureaucratisés) dans l’appareil administratif, économique, coopératif, syndical, et qui, au sein de cet appareil, font bloc avec les éléments franchement bourgeois de ces appareils ; les membres du Parti aisés dans nos organisations rurales, qui s’apparentent aux koulaks, etc., telle est la source qui alimente les déviations à l’égard de la ligne léniniste. Il est évident que ces éléments sont incapables de s’assimiler quoi que ce soit de réellement gauche, de réellement léniniste.

Par contre, ce dont ils sont capables, c’est de faire naître unedéviation franchement opportuniste ou la déviation dite de « gauche

», qui masque son opportunisme sous des phrases gauchistes.

Voilà pourquoi la lutte sur les deux fronts est la seule politique juste du Parti.

Poursuivons. Les thèses déclarent que la méthode essentielle de lutte contre la déviation de droite doit être la lutte idéologique largement déployée. Est-ce juste ? Je crois que oui. Il serait bon de se rappeler l’expérience de la lutte contre le trotskisme. Par où avons-nous commencé le combat ? Est-ce par des mesures disciplinaires ?

Non, évidemment. Nous avons commencé la lutte par des moyens idéologiques. Nous l’avons livrée de 1918 à 1925. Déjà en 1924 notre parti, et, en 1925, le Ve congrès de l’I.C., avaient adopté une résolution sur le trotskisme en le qualifiant de déviation petite­ bourgeoise. Cependant, Trotski continuait de siéger, chez nous, aussi bien au C.C. qu’au Bureau politique.

Est-ce vrai ou non ? Oui. Donc, nous avons « toléré » Trotski et les trotskistes au Comité central. Comment se fait-il que nous ayons supporté leur présence dans les organes dirigeants du Parti ?

Mais parce que les trotskistes, à l’époque, en dépit de leurs divergences de vues avec le Parti, se soumettaient aux décisions du C.C. et observaient une attitude loyale. Quand nous sommes-nous mis à user à leur égard, dans une mesure plus ou moins large, de mesures d’organisation ?

Lorsqu’ils se furent constitués en fraction ; après qu’ils eurent créé leur centre, transformé leur fraction en un nouveau parti et appelé les masses à des manifestations antisoviétiques. Je crois que nous devons suivre la même voie pour la lutte contre la déviation de droite.

La déviation de droite n’est pas encore une tendance nettement affirmée, cristallisée, encore qu’elle prenne de plus en plus d’extension dans le Parti. Elle ne fait que se préciser et se cristalliser.Les droitiers ont-ils une fraction à eux ? Je ne le pense pas. Peut-on affirmer qu’ils ne se soumettent pas aux décisions du Parti ? Nous ne sommes pas encore fondés à les en accuser.

Peut-on affirmer que les droitiers finiront par constituer une fraction à eux ? J’en doute. Une conclusion s’impose : dans le stade actuel, la méthode essentielle de lutte contre la déviation de droite doit être une lutte idéologique largement déployée.

Cela est d’autant plus juste que parmi certains militants de notre parti se fait jour une tendance inverse, visant à amorcer la lutte contre la déviation de droite non par des méthodes idéologiques, mais par des mesures disciplinaires.

Voici ce qu’ils disent : Livrez-nous une dizaine ou une vingtaine de ces droitiers et nous ne serons pas longs à leur régler leur compte et à en finir avec la déviation de droite. J’estime, camarades, que de pareilles méthodes d’action ne sont pas justes ; elles nous sont préjudiciables.

C’est pour ne pas nous laisser aller à de telles méthodes, c’est pour orienter la lutte contre la déviation de droite dans la bonne voie que nous croyons de notre devoir de proclamer, haut et clair, qu’au stade actuel la méthode essentielle de lutte contre la déviation de droite, est la lutte idéologique.

Est-ce à dire que nous excluons l’éventualité de mesures disciplinaires ?

Non, évidemment. Cela veut dire, toutefois, que les peines disciplinaires doivent jouer ici un rôle secondaire : si les décisions ne sont pas violées par les droitiers, nous ne devons pas les exclure des organisations ou institutions dirigeantes.

Une voix : Et l’expérience de Moscou ?

Je pense que parmi les camarades dirigeants de Moscou il n’y avait pas de droitiers. Il y a eu au sein de cette organisation une position fausse envers la tendance de droite. Il serait plus exact de dire qu’il s’agissait là d’une tendance à la conciliation avec la déviation de droite. Mais je ne puis affirmer qu’une déviation de droite ait existéau Comité de Moscou.

Une voix : Et la lutte sur le terrain d’organisation ?

Oui, il y avait bien la lutte sur le terrain d’organisation, bien qu’elle n’y ait occupé qu’une place secondaire. Cette lutte s’est engagée parce qu’à ce moment on était à Moscou en pleine campagne électorale qui se poursuivait sur la base de l’autocritique, et que les militants des comités de rayon ont le droit de remplacer leurs secrétaires. (Rires.)

Une voix : Est-ce que les élections des secrétaires avaient été annoncées ?

Le remplacement des secrétaires par voie d’élection n’a jamais été défendu chez nous. L’appel de juin du Comité central déclare, en termes précis, que l’autocritique peut devenir un vain mot, si on n’accorde pas aux organisations de base le droit de remplacer n’importe quel secrétaire, n’importe quel comité. Que pouvez-vous objecter contre un tel appel ?

Une voix : Avant la conférence du Parti ?

Oui, mettons avant la conférence du Parti. J’aperçois un sourire d’augure sur le visage de certains camarades. Ce n’est pas bien. Je vois que certains d’entre vous brûlent de relever au plus vite de leurs fonctions tels représentants de la déviation de droite. Seulement, ce n’est pas là une solution. Bien entendu, il est plus facile de destituer des fonctionnaires que d’engager une vaste campagne d’éclaircissement pour expliquer aux masses en quoi consiste la déviation de droite, le danger de droite et comment on doit le combattre. Pourtant, le plus facile n’est pas le meilleur.

Donnez-vous donc la peine d’organiser une vaste campagne explicative contre le danger de droite, sans ménager votre temps, et vous verrez que plus cette campagne sera large et profonde, et plus la déviation de droite s’en ressentira. C’est pourquoi j’estime que le gros de notre lutte contre la déviation de droite doit être la lutteidéologique.

Quant au Comité de Moscou, je ne vois pas très bien ce que l’on pourrait ajouter à ce qu’a dit le camarade Ouglanov dans son discours de clôture au Plénum du comité élargi du Parti et de la Commission de contrôle de Moscou.

Il a déclaré littéralement ceci : « Que l’on se rappelle un peu l’histoire ; que l’on se souvienne comment, en 1921, je me suis battu avec le camarade Zinoviev à Léningrad, et l’on devra avouer qu’à ce moment la « bataille » était de beaucoup plus sérieuse. Nous fûmes vainqueurs parce que nous avions raison. Aujourd’hui, nous avons été battus parce que nous étions dans notre tort. Cette leçon nous servira. »

Ainsi le camarade Ouglanov a livré le combat aujourd’hui tout comme il l’avait fait, en son temps, contre Zinoviev. Mais à qui a-t-il livré la bataille ? A la politique du C.C., sans doute. A qui encore ? Sur quelle base ? Visiblement, sur la base de la conciliation avec la déviation de droite.

Voilà pourquoi les thèses soulignent avec raison la nécessité de combattre la conciliation avec les déviations de la ligne léniniste et, en particulier, la conciliation à l’égard de la déviation de droite et proclament cette lutte comme une des tâches urgentes de notre parti.

Enfin, une dernière question. Il est dit dans les thèses que nous devons, à l’heure actuelle, souligner surtout la nécessité de lutter contre la déviation de droite.

Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire qu’à l’heure actuelle le danger de droite constitue la menace la plus grave pour notre parti. La lutte contre les tendances trotskistes, lutte ramassée, par surcroît, se poursuit chez nous depuis déjà une dizaine d’années. Cette lutte a abouti à la débâcle des cadres essentiels du trotskisme.

On ne saurait affirmer qu’au cours de ces derniers temps la luttecontre la déviation franchement opportuniste se soit poursuivie avec

autant de vigueur. Or, si cette lutte n’a pas été jusqu’à présent assez intense, c’est que la déviation de droite est encore chez nous, dans sa période de formation et de cristallisation ; elle se renforce et s’accroît dans la mesure où la pression petite-bourgeoise due aux difficultés engendrées par le stockage de blé se renforce. Voilà pourquoi nous devons diriger le gros de nos efforts contre la déviation de droite.

En terminant, je tiens à signaler, camarades, encore un fait dont on n’a pas parlé ici et qui, à mon avis, présente un intérêt considérable.

Nous, membres du Bureau politique, vous avons soumis nos thèses sur les chiffres de contrôle. Dans mon discours, j’ai défendu ces thèses que je considère comme absolument justes. Il est possible qu’elles comportent des amendements. Mais, dans leurs grandes lignes, elles sont justes et nous assurent la réalisation rigoureuse de la ligne léniniste.

Cela ne fait aucun doute. Je tiens à vous dire que ces thèses ont été adoptées au Bureau politique à l’unanimité. Je crois que ce point a de l’importance étant donné surtout les bruits que font courir dans nos rangs les personnes malveillantes, les ennemis de notre parti.

Je veux parler des bruits tendant à faire croire qu’il y aurait au sein du Bureau politique une déviation de droite, une déviation de « gauche », une tendance à la conciliation et bien d’autres choses encore.

Puissent ces thèses apporter une fois de plus, pour la centième ou cent et unième fois, la preuve que nous sommes tous, au Bureau politique, unis jusqu’au bout et le resterons. Je forme le vœu que le Plénum adopte avec la même unanimité l’essentiel de ces thèses.

(Applaudissements).

=>Oeuvres de Staline

Staline : La révolution d’octobre et la tactique des communistes russes

Avant-propos à l’ouvrage  «Vers Octobre »

17 décembre 1924

I. Conditions extérieures et intérieures
de la révolution d’Octobre

Trois circonstances extérieures ont déterminé la facilité relative avec laquelle la révolution prolétarienne en Russie a réussi à rompre les chaînes de l’impérialisme et à renverser ainsi le pouvoir de la bourgeoisie.

Premièrement, la révolution d’Octobre a éclaté pendant la lutte acharnée des deux principaux groupes impérialistes anglo-français et austro-allemand, cependant que ces deux groupes, absorbés par leur lutte mortelle, n’avaient ni le temps ni les moyens d’accorder une attention sérieuse à la lutte contre la révolution d’Octobre.

Cette circonstance eut une importance énorme pour la révolution d’Octobre : elle lui permit de mettre à profit les furieuses luttes intestines de l’impérialisme pour concentrer et organiser ses propres forces.

Deuxièmement, la révolution d’Octobre a éclaté au cours de la guerre impérialiste, ,au moment où, torturées par la guerre et avides de paix, les masses des travailleurs étaient amenées, par la logique même des choses, à la révolution prolétarienne, comme à la seule issue de la guerre.

Cette circonstance eut la plus grande importance pour la révolution d’Octobre, car elle mit entre ses mains l’armepuissante de la paix, lui donna la possibilité de rattacher la révolution soviétiste au terme de la guerre abhorrée et lui attira de cette façon la sympathie des masses autant parmi les ouvriers d’Occident que parmi les peuples opprimés d’Orient.

Troisièmement, il existait alors un puissant mouvement ouvrier en Europe et l’on pouvait s’attendre que la prolongation de la guerre impérialiste déclenchât bientôt une crise révolutionnaire en Occident et en Orient.

Cette circonstance eut, pour la révolution en Russie, une importance inestimable, car elle lui assurait de fidèles alliés en dehors de la Russie, dans sa lutte contre l’impérialisme mondial.

Mais, en dehors des circonstances d’ordre extérieur, la révolution d’Octobre fut encore favorisée par une série de conditions intérieures qui lui facilitèrent la victoire.

Premièrement, la révolution d’Octobre pouvait compter sur le concours le plus actif de l’énorme majorité de la classe ouvrière de Russie.

Deuxièmement, elle avait l’appui certain des paysans pauvres et de la majorité des soldats avides de paix et de terre.

Troisièmement, elle avait à sa tête pour la diriger un parti expérimenté, le parti bolchevik, fort, non seulement, de son expérience et de sa discipline forgée au cours de longues années, mais aussi de ses liaisons étendues avec les masses laborieuses.

Quatrièmement, la révolution d’Octobre avait devant elle des ennemis aussi faciles à vaincre que la bourgeoisie russe, plus ou moins faible, la classe des propriétaires fonciers, définitivement démoralisée par les « révoltes » paysannes, et les partis de conciliation (menchéviks et socialistes-révolutionnaires) en pleine faillite depuis la guerre.

Cinquièmement, elle avait à sa disposition les immenses espaces dujeune Etat où elle pouvait manœuvrer librement, reculer quand la situation l’exigeait, se reprendre, récupérer ses forces, etc.

Sixièmement, elle pouvait compter, pendant la lutte avec la contre-révolution, sur des ressources suffisantes en vivres, en combustibles et en matières premières à l’intérieur du pays.

La combinaison de ces conditions extérieures et intérieures créa la situation particulière qui détermina la facilité relative de la victoire d’Octobre.

Il ne s’ensuit pas, bien entendu, que la révolution d’Octobre n’ait eu ses conditions défavorables à l’extérieur comme à l’intérieur.

Rappelons, par exemple, l’isolement relatif de cette révolution, qui n’avait aucun pays soviétiste voisin sur lequel elle pût s’appuyer. Il n’est pas douteux qu’une révolution en Allemagne, par exemple, se trouverait maintenant, sous ce rapport, dans une situation beaucoup plus avantageuse, du fait qu’elle aurait dans son voisinage un pays soviétiste aussi fort que l’U. R. S. S. Une autre condition défavorable à la révolution d’Octobre fut l’absence d’une majorité prolétarienne dans le pays.

Mais ces désavantages ne font que mieux ressortir l’importance énorme de la situation extérieure et intérieure spéciale où se trouvait la Russie au moment de la révolution d’Octobre.

Cette situation spéciale, il ne faut pas l’oublier, et il convient surtout de s’en souvenir lorsqu’on analyse les événements d’automne 1923 en Allemagne. Le camarade Trotsky devrait se la rappeler, lui qui établit une analogie complète entre la révolution d’Octobre et la révolution en Allemagne et flagelle impitoyablement le parti communiste allemand pour ses fautes réelles et prétendues.

Dans la situation concrète, extrêmement originale de 1917, la Russie, dit Lénine, pouvait facilement commencer la révolution socialiste, mais la continuer et l’achever lui sera beaucoup plusdifficile qu’aux pays d’Europe.

J’ai déjà signalé cette circonstance au début de 1918, et l’expérience des deux années qui se sont écoulées depuis a pleinement confirmé la justesse de ma conception.

L’originalité de la situation politique russe en 1917 tenait à quatre circonstances spécifiques :

1° la possibilité d’associer la révolution soviétiste à la liquidation d’une guerre impérialiste qui causait des souffrances extrêmes aux ouvriers et aux paysans ;

2° la possibilité de profiter pendant quelque temps de la lutte à mort de deux formidables groupes de rapaces impérialistes qui étaient dans l’impossibilité de s’unir contre l’ennemi soviétiste ; 3° la possibilité de soutenir une guerre civile relativement longue, tant à cause de l’étendue considérable du pays que du mauvais état des voies de communication ;

4° l’existence dans la masse paysanne d’un mouvement révolutionnaire bourgeois-démocratique si profond que le parti du prolétariat adopta les revendications révolutionnaires du parti des paysans (le parti socialiste-révolutionnaire, en grande majorité violemment hostile au bolchévisme) et leur donna aussitôt satisfaction grâce à la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

Ces conditions spécifiques n’existent pas actuellement en Europe occidentale et la reproduction de conditions identiques ou analogues n’est pas très facile. Voilà pourquoi, notamment, à côté d’autres causes multiples, commencer la révolution socialiste sera plus difficile à l’Europe occidentale qu’à nous (v. La maladie infantile du communisme).

II ­ Deux particularités de la révolution d’Octobre, ou Octobre et la théorie de la révolution permanente de Trotsky

Il existe deux particularités de la révolution d’Octobre qu’il est indispensable d’éclaircir avant tout, pour comprendre le sens intérieur et la portée historique de cette révolution.

Quelles sont ces particularités ?

C’est tout d’abord le fait que la dictature du prolétariat a surgi chez nous sur la base de l’union du prolétariat et des masses paysannes laborieuses, ces dernières étant guidées par le prolétariat. C’est, d’autre part, le fait que la dictature du prolétariat s’est affermie chez nous comme résultat de la victoire du socialisme dans un pays où le capitalisme était peu développé, tandis que le capitalisme subsistait dans les autres pays de capitalisme plus développé.

Cela ne signifie pas, évidemment, que la révolution d’Octobre n’ait point d’autres particularités.

Mais ce sont ces deux particularités qui nous importent en ce moment, non seulement parce qu’elles expriment clairement la nature de la révolution d’Octobre, mais aussi parce qu’elles dévoilent merveilleusement le caractère opportuniste de la théorie de la « révolution permanente ».

Examinons rapidement ces particularités.

La question des masses laborieuses de la petite bourgeoisie urbaine et rurale, la question de leur ralliement à la cause du prolétariat est une des questions capitales de la révolution prolétarienne.

Dans la lutte pour le pouvoir, avec qui sera le peuple travailleur des villes et des campagnes, avec la bourgeoisie ou avec le prolétariat ? De qui sera-t-il la réserve ? De la bourgeoisie ou du prolétariat ?De là dépendent le sort de la révolution et la solidité de la dictature du prolétariat. Les révolutions de 1848 et de 1871 en France furent écrasées surtout parce que les réserves paysannes se trouvèrent du côté de la bourgeoisie.

La révolution d’Octobre a vaincu parce qu’elle a su enlever à la bourgeoisie ses réserves paysannes, parce qu’elle a su les attirer du côté du prolétariat, en un mot, parce que le prolétariat s’est trouvé être, dans cette révolution, la seule force directrice de millions de travailleurs de la ville et de la campagne.

Qui n’a point compris cela ne comprendra jamais ni le caractère de la révolution d’Octobre, ni la nature de la dictature du prolétariat, ni les particularités de la politique intérieure de notre pouvoir prolétarien.

La dictature du prolétariat n’est pas une simple élite gouvernementale « intelligemment sélectionnée » par un « stratège expérimenté » et « s’appuyant rationnellement sur telle ou telle couche de la population. La dictature du prolétariat est l’union de classe du prolétariat et des masses paysannes laborieuses pour le renversement du capital, pour le triomphe définitif du socialisme, à condition que la force directrice de cette union soit le prolétariat.

Ainsi, il n’est pas question en l’occurrence de sous-estimer ou de surestimer « quelque peu » les possibilités révolutionnaires du mouvement paysan.

Il s’agit de la nature du nouvel Etat prolétarien, né de la révolution d’Octobre. Il s’agit du caractère du pouvoir prolétarien, des bases de la dictature même du prolétariat.

La dictature du prolétariat, dit Lénine, est une forme spéciale d’alliance de classe entre le prolétariat, avant-garde des travailleurs, et les nombreuses couches de travailleurs non-prolétaires (petite bourgeoisie, petits patrons, paysans, intellectuels, etc.) ou leur majorité, alliance dirigée contre le capital et ayant pour but le renversement complet de ce dernier, l’écrasement complet de la résistance de la bourgeoisie et de ses tentatives de restauration, l’instauration définitive et la consolidation du socialisme.

Et, plus loin :

Traduite en un langage plus simple, l’expression latine, scientifique, historico-philosophique de dictature du prolétariat signifie qu’une classe, celle des ouvriers urbains et en général des ouvriers industriels, est capable de diriger toute la masse des travailleurs et des exploités dans la lutte pour le renversement du joug capitaliste, pour le maintien et la consolidation de la victoire, pour la création du nouveau régime social, le régime socialiste, et pour la suppression complète des classes.

Telle est la théorie de la dictature du prolétariat selon Lénine.

L’une des particularisés de la révolution d’Octobre, c’est que cette révolution est une application classique de la théorie léniniste de la dictature du prolétariat.

Certains camarades croient que cette théorie est une théorie purement « russe », n’ayant de rapports qu’avec la situation russe.

C’est là une erreur complète. Parlant des masses laborieuses appartenant aux classes non-prolétariennes, Lénine a en vue non seulement les paysans russes, mais aussi les éléments travailleurs des régions situées aux confins de l’Union soviétique et qui étaient, il n’y a pas encore très longtemps, des colonies de la Russie.

Lénine ne se lassait pas de répéter que, sans une union avec ces masses des autres nationalités, le prolétariat de Russie ne pourrait vaincre.

Dans ses articles sur la question nationale et dans ses discours aux congrès de l’Internationale communiste, il a souvent répété que la victoire de la révolution mondiale est impossible en dehors de l’union révolutionnaire, en dehors du bloc révolutionnaire du prolétariat des pays avancés avec les peuples opprimés des colonies asservies.

Mais qu’est-ce donc que les colonies, sinon ces mêmes masses laborieuses opprimées, et avant tout les masses laborieuses de la paysannerie ? Qui ne sait que la question de la libération des colonies est en fait la question de la libération des masses laborieuses des classes non-prolétariennes de l’oppression et de l’exploitation du capital financier ?

Il faut en conclure que la théorie léniniste de la dictature du prolétariat n’est pas une théorie purement « russe », mais une théorie valable pour tous les pays. Le bolchévisme n’est pas seulement un phénomène russe. « Le bolchévisme, dit Lénine, est un modèle de tactique pour tous » (v. La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).

Tels sont les traits caractéristiques de la première particularité de la révolution d’Octobre.

Quelle est la valeur de la théorie de la « révolution permanente » du camarade Trotsky du point de vue de cette particularité ?

Nous ne nous étendrons pas sur la position de Trotsky en 1905, quand il oublia purement et simplement les paysans comme force révolutionnaire en proposant le mot d’ordre : « Pas de tsar ! Gouvernement ouvrier ! », c’est-à-dire le mot d’ordre de la révolution sans les paysans. Radek lui-même, ce défenseur diplomate de la « révolution permanente », est obligé maintenant de reconnaître que la « révolution permanente » en 1905 était un « saut en l’air », un écart de la réalité (Pravda, 14 décembre 1924).

Maintenant on considère à peu près unanimement que ce n’est plus la peine de s’occuper de ce fameux « saut en l’air ».

Nous ne nous étendrons pas non plus sur la position de Trotsky pendant la guerre, en 1915 par exemple, lorsque partant du fait que « nous vivons à l’époque de l’impérialisme », que l’impérialisme «oppose, non la nation bourgeoise à l’ancien régime, mais le prolétariat à la nation bourgeoise », il en conclut, dans son article « La lutte pour le pouvoir », que le rôle révolutionnaire des paysans doit diminuer, que le mot d’ordre de la confiscation de la terre n’a déjà plus l’importance d’auparavant (v. l’ouvrage « 1905 »).

On sait que Lénine, critiquant cet article du camarade Trotsky, l’accusait alors de « nier le rôle des paysans », et disait : Trotsky, en fait, aide les politiciens ouvriers libéraux de Russie, qui, le voyant « nier » le rôle du paysan, s’imaginent que nous ne voulons pas soulever les paysans pour la révolution.

Passons plutôt aux travaux plus récents de Trotsky sur cette question, aux travaux de la période où la dictature du prolétariat avait déjà eu le temps de s’affermir et où Trotsky avait eu la possibilité de vérifier sa théorie de la « révolution permanente » par les faits et de rectifier ses erreurs. Prenons la préface que Trotsky a écrite en 1922 pour son ouvrage intitulé : « 1905 ».

Voici ce qu’il y dit de la « révolution permanente » : C’est précisément dans l’intervalle qui sépare le 9 janvier de la grève d’octobre 1905 que l’auteur arriva à concevoir le développement révolutionnaire de la Russie sous l’aspect qui fut ensuite fixé par la théorie dite « de la révolution permanente ».

Cette désignation quelque peu abstruse voulait exprimer que la révolution russe, qui devait d’abord envisager, dans son avenir le plus immédiat, certaines fins bourgeoises, ne pourrait toutefois s’arrêter là-dessus.

La révolution ne résoudrait les problèmes bourgeois qui se présentaient à elle en première ligne qu’en portant le prolétariat au pouvoir. Et lorsque celui-ci se serait emparé du pouvoir, il ne pourrait se limiter au cadre bourgeois de la révolution.

Tout au contraire, et précisément pour assurer sa victoire définitive, l’avant-garde prolétarienne devrait, dès les premiers jours de sa domination, pénétrer profondément dans les domaines interdits de la propriété aussi bien bourgeoise que féodale. Cela devait l’amener à des collisions non seulement avec tous les groupes bourgeois qui l’auraient soutenue au début de sa lutte révolutionnaire, mais aussi avec les larges masses paysannes dont le concours l’aurait poussée vers le pouvoir.

Les contradictions qui dominaient la situation d’un gouvernement ouvrier, dans un pays retardataire où l’immense majorité de la population se composait de paysans, ne pouvaient trouver leur solution que sur le plan international, sur l’arène d’une révolution prolétarienne mondiale.

Ainsi s’exprime Trotsky au sujet de sa « révolution permanente ».

Il suffit de rapprocher cette citation de celles que nous avons données de Lénine sur la dictature du prolétariat, pour comprendre l’abîme qui sépare la théorie léniniste de la dictature du prolétariat et la théorie de la « révolution permanente » de Trotsky.

Lénine considère l’alliance du prolétariat et des couches travailleuses de la paysannerie comme la base de la dictature du prolétariat. Trotsky, au contraire, nous fait prévoir des « collisions » entre « l’avant-garde prolétarienne » et « les larges masses paysannes ».

Lénine parle de la direction prolétarienne des travailleurs et des masses exploitées. Trotsky, au contraire, nous montre des contradictions dans « la situation d’un gouvernement ouvrier » instauré « dans un pays retardataire où l’immense majorité de la population est composée de paysans ».

Selon Lénine, la révolution puise avant tout ses forces parmi les ouvriers et les paysans de la Russie même. D’après Trotsky, les forces indispensables ne peuvent être trouvées que « sur l’arèned’une révolution prolétarienne mondiale ».

Et que faire si la révolution mondiale se trouve retardée ? Y a-t-il alors quelque espoir pour notre révolution ? Trotsky ne nous laisse aucune lueur d’espoir, car « les contradictions » dans « la situation d’un gouvernement ouvrier… ne peuvent trouver leur solution que…

sur l’arène d’une révolution prolétarienne mondiale ». On en déduit cette perspective : végéter dans ses propres contradictions et pourrir sur pied en attendant la révolution mondiale.

Qu’est­ce que la dictature du prolétariat selon Lénine ? La dictature du prolétariat, c’est le pouvoir qui s’appuie sur l’alliance du prolétariat et des masses laborieuses de la paysannerie pour « le renversement complet du capital », pour l’édification définitive et l’affermissement du socialisme.

Qu’est-ce que la dictature du prolétariat selon Trotsky ? C’est un pouvoir entrant «en collisions » avec « les larges masses paysannes » et ne cherchant la solution de ses « contradictions » que « sur l’arène de la révolution mondiale du prolétariat ».

En quoi cette « théorie de la révolution permanente » diffère-t-elle de la fameuse théorie du menchévisme sur la négation de l’idée de la dictature du prolétariat ?

En rien.

Nul doute possible. La « révolution permanente » n’est pas une simple sous-estimation des possibilités révolutionnaires du mouvement paysan. C’est une sous-estimation du mouvement paysan qui mène à la négation de la théorie léniniste de la dictature du prolétariat.La « révolution permanente » de Trotsky est une des variétés du menchévisme.

Voilà en quoi consiste la première particularité de la révolution d’Octobre.

Quelle est la seconde particularité de cette révolution ? Etudiant l’impérialisme, surtout pendant la guerre, Lénine est arrivé à la loi du développement économique et politique irrégulier, saccadé des pays capitalistes.

D’après cette loi, le développement des entreprises, des trusts, des branches de l’industrie et des divers pays ne s’effectue pas régulièrement, dans un ordre arrêté, de telle façon qu’un trust, une branche de l’industrie ou un pays marche toujours en tête, et que les autres trusts ou pays retardent en conservant constamment leurs distances respectives.

Ce développement s’accomplit, au contraire, par bonds, avec des interruptions dans le développement de certains pays et des bonds en avant dans le développement des autres.

En outre, l’aspiration « parfaitement légitime » des pays retardataires à la conservation de leurs positions acquises et l’aspiration, non moins « légitime », des pays avancés à la conquête de nouvelles positions font que les collisions armées des Etats impérialistes sont une inéluctable nécessité. Il en a été ainsi, par exemple, de l’Allemagne, qui, il y a un demi-siècle, était un pays arriéré en comparaison de la France et de l’Angleterre.

On peut en dire autant du Japon comparé à la Russie. On sait cependant qu’au début du XX e siècle déjà, l’Allemagne et le Japon avaient pris une telle avance que la première avait évincé la France et commençait à évincer l’Angleterre sur le marché mondial et que le second évinçait la Russie. C’est de ces contradictions qu’est sortie, comme on le sait, la guerre impérialiste.Cette loi part du fait que :

1° « Le capitalisme s’est transformé en un système mondial d’étouffement colonial et financier des pays de la plus grande partie du globe par une poignée de pays « avancés » (Lénine) ;

2° « Le partage de ce « butin » s’effectue entre deux ou trois puissants rapaces armés jusqu’aux dents (Amérique, Angleterre, Japon), qui, pour régler le partage de leur butin, entraînent le monde entier dans leur guerre » (Lénine) ;

3° La croissance des contradictions à l’intérieur du système mondial d’oppression financière et l’inéluctabilité des collisions militaires font que le front impérialiste mondial devient facilement vulnérable pour la révolution et que la rupture de ce front dans certains pays est probable ;

4° Cette rupture a le plus de chances de se produire sur les points et dans les pays où la chaîne du front impérialiste est le plus faible, c’est-à-dire où l’impérialisme est le moins blindé et où la révolution peut le plus facilement se développer ;

5° C’est pourquoi la victoire du socialisme dans un seul pays, même peu développé au point de vue capitaliste, cependant que le capitalisme subsiste dans les autres pays plus avancés, est parfaitement possible et probable.

Telles sont, en résumé, les bases de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne.

En quoi consiste la seconde particularité de la révolution d’Octobre ? Elle consiste en ce que cette révolution est un modèle d’application pratique de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne.Qui n’a pas compris cette particularité de la révolution d’Octobre ne comprendra jamais ni le caractère international de cette révolution, ni sa formidable puissance internationale, ni sa politique extérieure spécifique.

L’irrégularité du développement économique et politique, dit Lénine, est, sans contredit, une loi du capitalisme. Il s’ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes, voire dans un seul.

Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se soulèverait contre le reste du monde capitaliste, attirerait à lui les classes opprimées des autres pays, les soulèverait contre les capitalistes, emploierait même, au besoin, la force armée contre les classes exploiteuses et leurs Etats…

Car l’union libre des nations dans le socialisme est impossible sans une lutte acharnée, plus ou moins longue, des républiques socialistes contre les Etats retardataires. (Lénine : Contre le courant.)

Les opportunistes de tous les pays affirment que la révolution prolétarienne ne peut éclater — si toutefois elle doit éclater quelque part selon leur théorie — que dans les pays industriellement avancés et que plus ces pays sont développés industriellement, plus le socialisme a de chances de victoire.

De plus, ils excluent, comme une chose invraisemblable, la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays, surtout si le capitalisme y est peu développé.

Déjà pendant la guerre, Lénine, s’appuyant sur la loi du développement irrégulier des Etats impérialistes, oppose aux opportunistes sa théorie de la révolution prolétarienne sur la victoire du socialisme dans un seul pays, même peu développé au point de vue capitaliste.

On sait que la révolution d’Octobre a entièrement confirmé lajustesse de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne.

Que devient la « révolution permanente » de Trotsky du point de vue de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne ? Prenons la brochure Notre révolution (1906), où l’on trouve ces paroles de Trotsky :

Sans l’appui gouvernemental direct du prolétariat européen, la classe ouvrière de Russie ne pourra se maintenir au pouvoir et transformer sa domination temporaire en dictature socialiste durable. C’est là une chose indubitable.

Que signifient ces paroles de Trotsky ? Que la victoire du socialisme dans un seul pays, la Russie en l’occurrence, est impossible « sans l’appui gouvernemental direct du prolétariat européen », c’est-à-dire tant que le prolétariat européen n’aura pas conquis le pouvoir.

Qu’y a-t-il de commun entre cette « théorie » et la thèse de Lénine sur la possibilité de la victoire du socialisme « dans un pays capitaliste pris à part » ?

Rien, évidemment.

Mais admettons que cette brochure de Trotsky, éditée en 1906, lorsqu’il était difficile de définir le caractère de notre ponde pas entièrement aux vues adoptées plus tard par Trotsky. Voyons une autre brochure de Trotsky, son Programme de paix, paru à la veille de la révolution d’octobre 1917 et réédité actuellement (1924) dans son ouvrage « 1917 ».

Dans cette brochure, Trotsky critique la théorie léniniste de la révolution prolétarienne sur la victoire du socialisme dans un seul pays et lui oppose le mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe.

Il affirme que la victoire du socialisme est impossible dans un seul pays,qu’elle n’est possible qu’en tant que victoire de plusieurs Etats d’Europe (Angleterre, Russie, Allemagne) groupés en Etats-Unis d’Europe.

Il déclare sans ambages qu’ « une révolution victorieuse en Russie ou en Angleterre est impossible sans la révolution en Allemagne et inversement ».

L’unique objection tant soit peu concrète au mot d’ordre des Etats-Unis, dit Trotsky, a été formulée dans le Social-Démocrate suisse [organe central des bolcheviks à cette époque] en ces termes : « L’irrégularité du développement économique et politique est la loi absolue du capitalisme. »

D’où le Social-Démocrate concluait que la victoire du socialisme était possible dans un seul pays et que, par suite, il n’y avait pas de raison de faire dépendre la dictature du prolétariat dans chaque Etat pris à part de la formation des Etats-Unis d’Europe.

Que le développement capitaliste des différents Etats soit irrégulier, cela est indiscutable.

Mais cette irrégularité elle-même est très irrégulière. Le niveau capitaliste de l’Angleterre, de l’Autriche, de l’Allemagne ou de la France n’est pas le même. Mais, comparés à l’Afrique ou à l’Asie, tous ces Etats représentent l’ « Europe » capitaliste mûre pour la révolution sociale.

Qu’aucun pays ne doive « atteindre » les autres dans sa lutte, c’est là une pensée élémentaire qu’il est utile et indispensable de répéter pour que l’idée de l’action internationale parallèle ne soit pas remplacée par l’idée de l’expectative et de l’inaction internationales.

Sans attendre les autres, nous commençons et nous continuons la lutte sur le terrain national, avec l’entière certitude que notre initiative donnera le branle à la lutte dans les autres pays ; et si cela n’avait pas lieu, on ne saurait espérer — l’expérience historique et les considérations théoriques sont là pour le démontrer — que, par exemple, la Russie révolutionnaire pourrait résister à l’Europe conservatrice, ou que l’Allemagne socialiste pourrait demeurer isolée dans le monde capitaliste.

Comme on le voit, c’est encore la même théorie de la victoire simultanée du socialisme dans les principaux pays d’Europe, théorie qui exclut la théorie léniniste de la révolution et de la victoire du socialisme dans un seul pays.

Il est indiscutable que, pour être entièrement garanti contre le rétablissement de l’ancien ordre de choses, les efforts combinés des prolétaires de plusieurs pays sont nécessaires.

Il est hors de doute que si notre révolution n’avait pas été soutenue par le prolétariat d’Europe, le prolétariat de Russie n’eût pu résister à la pression générale, de même que, sans l’appui de la révolution russe, le mouvement révolutionnaire d’Occident n’eût pu se développer aussi rapidement qu’il l’a fait après l’avènement de la dictature prolétarienne en Russie.

Il est hors de doute que nous avons besoin d’appui.

Mais qu’est-ce que l’appui du prolétariat d’Europe occidentale à notre révolution ?

Les sympathies des ouvriers européens pour notre révolution, leur empressement à déjouer les plans d’intervention des impérialistes constituent-ils un appui, une aide sérieuse ? Oui, sans nul doute.

Sans cet appui, sans cette aide non seulement des ouvriers européens, mais aussi des colonies et des pays asservis, la dictature prolétarienne en Russie se fût trouvée en mauvaise posture.

A-t-il suffi jusqu’à présent de cette sympathie et de cette aide, qui sont venues s’ajouter à la puissance de notre armée rouge et au dévouement des ouvriers et des paysans russes prêts à défendre de leurs poitrines la patrie socialiste, pour repousser les attaques des impérialistes et conquérir la sécurité nécessaire à un travail de construction sérieux ? Oui, cela a suffi.

Cette sympathie va-t-elle en augmentant ou en diminuant ?

Elle augmente incontestablement. Existe-t-il chez nous, par conséquent, des conditions favorables non seulement pour mener de l’avant l’organisation de l’économie socialiste, mais encore pour venir en aide aux ouvriers d’Europe occidentale comme aux peuples opprimés de l’Orient ? Oui, ces conditions existent.

C’est ce que dit éloquemment l’histoire de sept années de dictature prolétarienne en Russie. Peut-on nier qu’un puissant essor dans le domaine du travail ait déjà commencé chez nous ? Non, on ne peut le nier.

Quelle signification peut avoir, après tout cela, la déclaration de Trotsky sur l’impossibilité pour la Russie révolutionnaire de résister à l’Europe conservatrice ?

Elle signifie que Trotsky, premièrement, ne sent pas la puissance intérieure de notre révolution ; deuxièmement, qu’il ne comprend pas l’importance inestimable de l’appui moral apporté à notre révolution par les ouvriers d’Occident et les paysans d’Orient ; troisièmement, qu’il ne saisit pas le mal intérieur qui ronge actuellement l’impérialisme.

Emporté par sa critique de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne, Trotsky, à son insu, s’est confondu lui-même dans son Programme de paix paru en 1917 et réédité en 1924.

Mais peut-être cette brochure de Trotsky est-elle aussi périmée et ne correspond-elle plus à ses vues actuelles ?

Prenons les ouvrages plus récents que Trotsky a composés après la victoire de la révolution prolétarienne dans un seul pays, en Russie.

Prenons, par exemple, sa Postface (1922) à la nouvelle édition de sa brochure Programme de paix.

Voici ce qu’il y dit :L’affirmation que la révolution prolétarienne ne peut se terminer victorieusement dans le cadre national, affirmation que l’on trouve répétée à plusieurs reprises dans le Programme de paix, semblera probablement à quelques lecteurs démentie par l’expérience presque quinquennale de notre République soviétiste.

Mais une telle conclusion serait dénuée de fondement.

Le fait qu’un Etat ouvrier, dans un pays isolé et, en outre, arriéré, a résisté au monde entier, témoigne de la formidable puissance du prolétariat qui, dans les autres pays plus avancés, plus civilisés, sera capable de véritables prodiges. Mais si nous avons résisté politiquement et militairement en tant qu’Etat, nous ne sommes pas encore arrivés à l’édification de la société socialiste et nous ne nous en sommes même pas approchés…

Tant que la bourgeoisie est au pouvoir dans les autres Etats européens, nous sommes obligés, pour lutter contre l’isolement économique, de rechercher des ententes avec le monde capitaliste ; on peut dire aussi avec certitude que ces ententes peuvent à la rigueur nous aider à guérir telles ou telles blessures économiques, à faire tel ou tel pas en avant, mais que le véritable essor de l’économie socialiste en Russie ne sera possible qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d’Europe.

Ainsi s’exprime Trotsky, qui, s’efforçant obstinément de sauver sa « révolution permanente » de la banqueroute définitive, se met en contradiction flagrante avec la réalité.

Ainsi, quoi qu’on fasse, non seulement « on n’est pas arrivé » à instaurer la société socialiste, mais on ne s’en est même pas « approché ». Certains, paraît-il, nourrissaient l’espoir d’ « ententes avec le monde capitaliste », mais ces ententes non plus, paraît-il, n’ont rien donné, parce que, quoi qu’on fasse, le « véritable essor de l’économie socialiste » demeurera impossible tant que le prolétariat n’aura pas vaincu « dans les pays les plus importants d’Europe ».

Et comme il n’y a pas encore de victoire en Occident, il ne reste plus à la révolution russe qu’à pourrir sur pied ou à dégénérer en Etat bourgeois.

Ce n’est pas sans raison que Trotsky parle, depuis deux ans déjà, de la « dégénérescence » de notre parti.

Ce n’est pas sans raison qu’il prédisait l’année dernière la « fin » de notre pays.

Comment concilier cette étrange « perspective » avec celle de Lénine selon laquelle la nouvelle politique économique nous donnera la possibilité de « construire les bases de l’économie socialiste » ?

Comment concilier cette désespérance « permanente » avec ces paroles de Lénine :

Dès à présent, le socialisme n’est plus une question d’avenir lointain, une sorte de vision abstraite ou d’icône… Nous avons introduit le socialisme dans la vie courante et, maintenant, nous devons nous rendre compte de la situation. Voilà notre tâche d’aujourd’hui, voilà le problème de notre époque.

Permettez-moi de terminer en exprimant la certitude que, si ardu que soit ce problème, si nouveau qu’il soit en comparaison de l’ancien et quelques difficultés qu’il nous cause, nous allons, tous ensemble et coûte que coûte, le résoudre, non en un jour, mais en plusieurs années, et de telle façon que, de la Russie de la Nep, sorte la Russie socialiste.

Comment concilier cette désespérance « permanente » avec ces autres paroles de Lénine :

Possession par l’État des principaux moyens de production,possession du pouvoir politique par le prolétariat, alliance de ce

prolétariat avec la masse immense des petits paysans, direction assurée de la paysannerie par le prolétariat, etc., n’est-ce pas là tout ce qu’il nous faut pour pouvoir, avec la seule coopération (que nous traitions auparavant de mercantile et que nous avons maintenant, jusqu’à un certain point, le droit de traiter ainsi sous la Nep), procéder à la construction pratique de la société socialiste intégrale ?

Ce n’est pas là encore la construction de la société socialiste, mais c’est tout ce qui est nécessaire et suffisant pour cette construction (De la coopération).

Il est clair que les vues de Trotsky ne peuvent, en l’occurrence, se concilier avec celles de Lénine. La « révolution permanente » de Trotsky est la négation de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne, et, inversement, la théorie léniniste de la révolution prolétarienne est la négation de la théorie de la « révolution permanente ».

Manque de foi dans les forces et les capacités de notre révolution, manque de foi dans les forces et les capacités du prolétariat de Russie, tel est sous-sol de la théorie de la « révolution permanente ».

Jusqu’à présent, on ne soulignait ordinairement qu’un côté de la « révolution permanente » : le scepticisme à l’égard des possibilités révolutionnaires du mouvement paysan.

Maintenant, pour être juste, il est nécessaire d’en mettre en lumière un autre côté : l’incroyance aux forces et aux capacités du prolétariat de Russie.

En quoi la théorie de Trotsky diffère-t-elle de la théorie courante du menchévisme selon laquelle la victoire du socialisme dans un seul pays, surtout dans un pays arriéré, est impossible sans la victoire préalable de la révolution prolétarienne « dans les principaux pays de l’Europe occidentale » ?

Au fond, ces deux théories sont identiques. Le doute n’est pas possible : la théorie de la « révolution permanente » de Trotsky est une variété du menchévisme.

Ces derniers temps, nombre de diplomates «à la manque» se sont efforcés de montrer dans notre presse que la théorie de la «révolution permanente» était conciliable avec le léninisme. Sans doute, disent-ils, cette théorie ne convenait pas en 1905. Mais l’erreur de Trotsky réside en ce qu’il anticipait, essayant d’appliquer à la situation de 1905 ce qui était alors inapplicable.

Mais, par la suite, disent-ils, et notamment en 1917 lorsque la révolution fut arrivée à complète maturité, la théorie de Trotsky se trouva tout à fait à sa place. On devine sans peine que le principal de ces diplomates est le camarade Radek.

Lisez plutôt :

La guerre creusa un abîme entre les paysans aspirant à la conquête de la terre et à la paix et les partis petits-bourgeois, elle jeta les paysans sous la direction de la classe ouvrière et de son avant-garde, le parti bolchevik.

Alors, ce qui devint possible, ce fut non pas la dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie, mais la dictature de la classe ouvrière s’appuyant sur la paysannerie. Ce que Rosa Luxembourg et Trotsky en 1905 avançaient contre Lénine

[c’est-à-dire la « révolution permanente »]

devint en fait la deuxième étape du développement historique (Pravda, 21 février 1924).

Là-dedans, pas un mot qui ne soit un escamotage.

Il est faux que, pendant la guerre, « ce qui devint possible, ce fut non pas la dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie, mais la dictature de la classe ouvrière s’appuyant sur la paysannerie ». En réalité, la révolution de février 1917 fut la réalisation de la dictaturedu prolétariat et des paysans, combinée d’une façon particulière avec la dictature de la bourgeoisie.

Il est faux que la théorie de la « révolution permanente », que Radek passe pudiquement sous silence, ait été élaborée en 1905 par Rosa Luxembourg et Trotsky.

En réalité, cette théorie est l’œuvre de Parvus et de Trotsky.

Maintenant, après dix mois, Radek rectifie, jugeant nécessaire de tancer Parvus pour la « révolution permanente » (voir son article sur Parvus dans la Pravda). Mais la justice exige de Radek qu’il tance également le compagnon de Parvus, le camarade Trotsky.

Il est faux que la théorie de la « révolution permanente », démentie par la révolution de 1905, se soit avérée juste pour « la deuxième étape du développement historique », c’est-à-dire pendant la révolution d’Octobre. Tout le développement de la révolution d’Octobre a montré et démontré l’inconsistance de cette théorie et sa complète incompatibilité avec les bases du léninisme.

Ni discours, ni procédés diplomatiques n’arriveront à masquer le gouffre béant qui sépare la théorie de la « révolution permanente » et le léninisme.

III ­ Quelques particularités de la tactique des bolcheviks pendant la période de préparation de la révolution d’Octobre

Pour bien comprendre la tactique des bolcheviks pendant la période de préparation de la révolution d’Octobre, il est indispensable de se rendre compte tout au moins de quelques particularités importantes de cette tactique. Cela est d’autant plus indispensable que, dans les nombreuses brochures sur la tactique des bolcheviks, il n’est pas rare que ces particularités soient passées sous silence.

Quelles sont ces particularités ?

Première particularité. A entendre le camarade Trotsky, on pourrait croire que, dans l’histoire de la préparation d’Octobre, il n’existe en tout et pour tout que deux périodes, la période des reconnaissances avancées et la période insurrectionnelle ; quant au reste, c’est de l’invention pure.

Qu’est-ce que la manifestation d’avril 1917 ? La manifestation d’avril, qui avait pris plus « à gauche » qu’il ne fallait, dit Trotsky, était une sorte de reconnaissance destinée à vérifier l’état d’esprit des masses et leurs rapports avec la majorité des soviets.

Et qu’est-ce que la démonstration de juillet 1917 ?

D’après Trotsky, « l’affaire, cette fois encore, se réduisit à une nouvelle reconnaissance plus large et touchant une étape nouvelle et plus avancée du mouvement ». Point n’est besoin de dire que la démonstration de juillet 1917, organisée sur les instances de notre parti, doit, à plus forte raison, selon Trotsky, être qualifiée de « reconnaissance ».

Ainsi, en mars 1917 déjà, les bolcheviks auraient eu une armée politique d’ouvriers et de paysans toute prête, et s’ils ne la lancèrent dans l’insurrection ni en avril, ni en juin, ni en juillet et ne s’occupèrent que de « reconnaissances », c’est uniquement parce que « ces reconnaissances » ne donnaient pas des « renseignements » satisfaisants.

Point n’est besoin de dire que cette conception simpliste de la tactique politique de notre parti n’est qu’une confusion de la tactique militaire ordinaire avec la tactique révolutionnaire des bolcheviks.

En fait, toutes ces démonstrations furent avant tout le résultat de la pression spontanée des masses, qui s’élançaient dans la rue pour manifester leur indignation contre la guerre.

En fait, le rôle du parti se borna alors à donner à l’action spontanée des masses une forme et une direction conformes aux mots d’ordre des bolcheviks.

En fait, les bolcheviks n’avaient pas et ne pouvaient avoir en mars 1917 d’armée politique toute prête.

Ils ne procédèrent à la constitution de cette armée qu’au cours de la lutte et des collisions de classes d’avril à octobre 1917 (ils la constituèrent définitivement en octobre 1917).

A cet effet, ils utilisèrent la manifestation d’avril, les démonstrations de juin et de juillet, les élections municipales générales et partielles, la lutte contre Kornilov, la conquête des soviets. L’armée politique n’est pas du tout l’armée proprement dite.

Le commandement militaire entre en campagne avec une armée toute prête, mais le parti doit former la sienne au cours de la lutte même, au cours des collisions de classes, à mesure que les masses elles­mêmes se convainquent par leur propre expérience de la justesse des mots d’ordre du parti et de la justesse de sa politique.

Evidemment, chacune de ces démonstrations mettait aussi en lumière la corrélation des forces, jouait dans une certaine mesure le rôle de reconnaissance, mais la reconnaissance n’était point le motif de la démonstration, elle n’en était que le résultat naturel.

Analysant les événements à la veille de l’insurrection d’octobre et les comparant aux événements d’avril-juin, Lénine dit :

La situation, précisément, n’est pas la même qu’à la veille des 20-21 avril, du 9 juin et du 3 juillet, car il s’agissait alors d’une effervescence spontanée que nous ne saisissions pas, en tant que parti (20 avril), ou que nous contenions en lui donnant la forme d’une démonstration pacifique (9 juin et 3 juillet).

Car nous savions fort bien alors que les soviets n’étaient pas encore nôtres, que les paysans croyaient encore à la méthode de Lieber-Dan-Tchernov et non à celle des bolcheviks (l’insurrection), que, par conséquent, la majorité du peuple ne pouvait être pour nous et que, partant, l’insurrection serait prématurée.

Il est clair qu’à elle seule une reconnaissance » ne peut mener bien loin.

Aussi, n’est-ce pas de « reconnaissance » qu’il s’agit, mais de ce que :

1° Pendant toute la période préparatoire d’Octobre le parti s’appuyait incessamment dans sa lutte sur l’élan spontané du mouvement révolutionnaire de masses ;

2° En s’appuyant sur cet élan spontané, il s’assurait la direction exclusive du mouvement ;

3° Une telle direction du mouvement facilitait au parti la formation d’une armée politique de masse pour l’insurrection d’octobre ;

4° Une telle politique devait nécessairement aboutir à mettre toute la préparation d’Octobre sous la direction d’un seul parti, le parti bolchevik ;

5° La conséquence d’une telle préparation d’Octobre fut qu’à la suite de l’insurrection d’Octobre le pouvoir se trouva entre les mains d’un seul parti, le parti bolchevik.

Ainsi, le point essentiel de la préparation d’Octobre, c’est que cette préparation fut dirigée par un parti unique, le parti communiste.

Telle est la première particularité de la tactique des bolcheviks pendant la période de la préparation d’Octobre.

Est­il besoin de démontrer que, sans cette particularité, la victoire de la dictature du prolétariat en période impérialiste eût été impossible.

C’est par là que la révolution d’Octobre diffère avantageusement de la révolution française de 1871, dans laquelle la direction de la révolution était partagée par deux partis, dont aucun ne pouvait être appelé communiste.Deuxième particularité. La préparation d’Octobre s’effectua ainsi sous la direction d’un parti unique, le parti bolchevik. Mais, dans quel sens le parti mena-t-il cette direction ?

Il s’attacha à isoler les partis conciliateurs, qu’il considérait à juste titre comme les groupements les plus dangereux dans la période de dénouement de la révolution, il s’efforça d’isoler les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks.

En quoi consiste la règle stratégique fondamentale du léninisme ? Elle consiste à reconnaître que :

1° L’appui social le plus dangereux des ennemis de la révolution dans la période précédant le dénouement révolutionnaire est constitué par les partis conciliateurs ;

2° Il est impossible de renverser l’ennemi (tsarisme ou bourgeoisie) sans isoler préalablement ces partis ;

3° Dans la période de préparation révolutionnaire, il faut, par suite, s’attacher principalement à isoler ces partis, à en détacher les larges masses laborieuses.

Dans la période de lutte contre le tsarisme, dans la période de préparation de la révolution bourgeoise-démocratique (1905-1916), l’appui social le plus dangereux du tsarisme était le parti libéral-monarchique, le parti des cadets.

Pourquoi ? Parce que c’était un parti conciliateur, un parti de conciliation entre le tsarisme et la majorité du peuple, c’est-à-dire l’ensemble de la paysannerie. Il est naturel que le parti dirigeât alors principalement ses coups contre les cadets, car sans isoler ces derniers, on ne pouvait compter sur la rupture entre la paysannerie et le tsarisme, et sans assurer cette rupture, on ne pouvait compter sur la victoire de la révolution.

Beaucoup ne comprenaient pas alors cette particularité de la stratégie des bolcheviks, qu’ils accusaient de haine excessive pour les cadets et auxquels ils reprochaient de se laisser « détourner » dela lutte contre le principal ennemi, le tsarisme. Mais ces accusations dénuées de fondement trahissaient l’incompréhension complète de la stratégie bolchéviste, qui exigeait l’isolement des partis conciliateurs pour faciliter, accélérer la victoire sur le principal ennemi.

Il n’est guère besoin de démontrer que, sans cette stratégie, l’hégémonie du prolétariat dans la révolution bourgoise-démocratique eût été impossible.

Pendant la période de la préparation d’Octobre, le centre de gravité des forces belligérantes se déplaça. Il n’y avait plus de tsar. De force conciliatrice, le parti des cadets devint une force gouvernante, dominante de l’impérialisme.

La lutte n’avait plus lieu entre le tsarisme et le peuple, mais entre la bourgeoisie et le prolétariat. Dans cette période, l’appui social le plus dangereux de l’impérialisme était représenté par les partis démocratiques petits-bourgeois des s.-r. Et des menchéviks.

Pourquoi ? Parce que ces partis étaient alors des partis conciliateurs, des partis de conciliation entre l’impérialisme et les masses laborieuses.

Naturellement, c’est contre eux que les bolcheviks dirigeaient leurs coups les plus formidables, car si on n’avait pas isolé les s.-r. Et les menchéviks, on n’aurait pu compter sur la rupture des masses laborieuses avec l’impérialisme, et si l’on n’avait pas assuré cette rupture, on n’aurait pu compter sur la victoire de la révolution soviétiste.

Nombreux alors étaient ceux qui ne comprenaient pas cette particularité de la tactique des bolcheviks, qu’ils accusaient de témoigner une « haine excessive» aux s.-r.

Et aux menchéviks et d’ « oublier » le but principal. Mais toute la période de la préparation d’Octobre montre éloquemment que, seule, cette tactique permit aux bolcheviks d’assurer la victoire de la révolution d’Octobre.Le trait caractéristique de cette période est le révolutionnement croissant des masses rurales, leur désenchantement de la politique des s.-r.

Et des menchéviks, leur éloignement de ces derniers, leur ralliement autour du prolétariat, unique force intégralement révolutionnaire et capable de mener le pays à la paix. L’histoire de cette période est celle de la lutte qui se déroula entre les bolcheviks, d’une part, les s.-r. Et les menchéviks, de l’autre, pour la conquête des masses laborieuses de la paysannerie.

L’issue de cette lutte fut décidée par la période de coalition, par la période où Kérensky fut au pouvoir, par le refus des s.-r. et des menchéviks de confisquer les terres des grands propriétaires fonciers, par la lutte des s.-r. et des menchéviks pour la continuation de la guerre, par l’offensive de juillet sur le front, par le rétablissement de la peine de mort pour les soldats, par la révolte de Kornilov.

Et cette décision fut en faveur de la stratégie bolchéviste.

Sans isoler les s.-r. Et les menchéviks, il était impossible de renverser le gouvernement des impérialistes et, partant, d’échapper à la guerre. La politique d’isolement des s.-r. et des menchéviks était donc la seule politique juste.

Ainsi, dans leur direction de la préparation d’Octobre, les bolcheviks s’attachèrent principalement à isoler les partis des menchéviks et des s.-r.

Telle est la deuxième particularité de leur tactique.

Il serait superflu de démontrer que, sans cette particularité de la tactique des bolcheviks, l’union de la classe ouvrière et des masses laborieuses de la campagne, eût été impossible.

Fait caractéristique, Trotsky ne dit rien ou presque rien de cette particularité de la tactique bolchéviste dans ses Leçons d’Octobre.

Troisième particularité. Ainsi la direction de la préparation d’Octobre par le parti tendit à isoler les partis des s.-r.

Et des menchéviks, à détacher les masses ouvrières et paysannes de ces partis. Mais comment cet isolement fut-il réalisé concrètement par le parti ; sous quelle forme, avec quel mot d’ordre ?

Il fut réalisé sous forme de mouvement révolutionnaire des masses en faveur des soviets avec le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux soviets ! », par une lutte dont le but était de transformer les soviets, d’organes de mobilisation des masses, en organes d’insurrection, en organes du pouvoir, en appareil du nouvel Etat prolétarien.

Pourquoi les bolcheviks ont-ils choisi précisément les soviets comme levier fondamental d’organisation, susceptible de faciliter l’isolement des menchéviks et des s.-r., de pousser en avant la révolution prolétarienne et de mener des millions de travailleurs à la victoire de la dictature prolétarienne ?

Qu’est-ce que les soviets ?

Les soviets sont un nouvel appareil étatique qui, en premier lieu, instaure la force armée des ouvriers et des paysans, force qui n’est pas, comme celle de l’ancienne armée permanente, détachée du peuple, mais reliée étroitement à ce dernier, qui, dans le domaine militaire, est incomparablement supérieure à toutes celles qui l’ont précédée et qui, au point de vue révolutionnaire, ne peut être remplacée par aucune autre.

En second lieu, cet appareil instaure avec les masses, avec la majorité du peuple, une liaison si étroite, si indissoluble, si facilement contrôlable et renouvelable qu’on en chercherait vainement une semblable dans l’ancien appareil étatique.

En troisième lieu, cet appareil qui est électif et dont le peuple peut, à son gré, sans formalités bureaucratiques, changer le personnel, est par là même beaucoup plus démocratique que les appareils antérieurs. En quatrième lieu, il donne une liaison solide avec les professions les plus diverses, facilitant ainsi la réalisation, sansbureaucratie aucune, des réformes les plus différentes et les plus profondes.

En cinquième lieu, il donne la forme d’organisation de l’avant-garde des paysans et des ouvriers, c’est-à-dire de la partie la plus consciente, la plus énergique, la plus avancée des classes opprimées, et permet par là même à cette avant-garde d’élever, instruire, éduquer et entraîner dans son sillage toute la masse de ces classes, qui jusqu’à présent était restée complètement en dehors de la vie politique, complètement en dehors de l’Histoire.

En sixième lieu, il permet d’allier les avantages du parlementarisme à ceux de la démocratie immédiate et directe, c’est-à-dire de réunir, dans la personne des représentants électifs du peuple, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

Comparativement au parlementarisme bourgeois, c’est là, dans le développement de la démocratie, un pas d’une importance historique mondiale… Si la force créatrice des classes révolutionnaires n’avait pas enfanté les soviets, la révolution prolétarienne serait, en Russie, condamnée, car avec l’ancien appareil le prolétariat ne pourrait certainement pas conserver le pouvoir, et il est impossible de créer du coup un nouvel appareil (Sur la route de l’insurrection, p. 123).

Voilà pourquoi les bolcheviks se sont attachés aux soviets, comme au chaînon fondamental susceptible de faciliter l’organisation de la révolution d’Octobre et la création d’un nouvel et puissant appareil d’État prolétarien.

Dans son développement intérieur, le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! » a passé par deux phases, dont la première va jusqu’à la défaite bolchéviste de juillet, et dont la seconde commence après l’écrasement de la révolte de Kornilov.

Dans la première phase, ce mot d’ordre comportait la rupture du bloc des menchéviks et des s.­r. Avec les cadets, la formation d’un gouvernement soviétiste de menchéviks et de socialistes-révolutionnaires (car les soviets étaient alors socialistes­ révolutionnaires et menchévistes), la liberté de propagande pour l’opposition (c’est-à-dire pour les bolcheviks) et la liberté de lutte pour les partis au sein des soviets, liberté de lutte qui devait permettre aux bolcheviks de conquérir les soviets et de changer la composition du gouvernement soviétiste par le développement lent et pacifique de la révolution. Ce plan, évidemment, ne signifiait point la dictature du prolétariat.

Mais il facilitait indubitablement la préparation des conditions indispensables à l’instauration de la dictature car, portant les menchéviks et les s.-r. Au pouvoir et les mettant dans la nécessité de réaliser leur programme antirévolutionnaire, il hâtait la révélation de leur véritable nature, précipitait leur isolement, leur rupture avec les masses.

Mais la défaite des bolcheviks en juillet interrompit ce développement, en donnant l’avantage à la contre-révolution des généraux et des cadets et en jetant s.-r. Et menchéviks dans les bras de cette dernière.

C’est pourquoi le parti fut obligé de retirer temporairement le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! » et d’attendre, pour le lancer à nouveau, une nouvelle recrudescence de la révolution.

L’écrasement de Kornilov ouvrit la seconde phase. Le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! » fut de nouveau lancé.

Mais alors il n’avait plus la même signification que dans la première phase. Il signifiait la rupture complète avec l’impérialisme et le passage du pouvoir aux bolcheviks, étant donné que la majorité des soviets était déjà bolchéviste.

Il signifiait la réalisation directe de la dictature du prolétariat par l’insurrection. Bien plus, il signifiait l’organisation de la dictature du prolétariat et son érection en pouvoir d’État.

La tactique de transformation des soviets en organes de pouvoirgouvernemental avait une valeur inestimable parce qu’elle arrachait

des millions de travailleurs à l’impérialisme, montrait que les partis des menchéviks et des s.-r, étaient des instruments de l’impérialisme et amenait directement, pour ainsi dire, les masses à la dictature du prolétariat.

Ainsi, la politique de transformation des soviets en organes de pouvoir gouvernemental, en tant que condition principale de l’isolement des partis conciliateurs et du triomphe de la dictature du prolétariat, est la troisième particularité de la tactique des bolcheviks dans la période de la préparation d’Octobre.

Quatrième particularité. Le tableau ne serait pas complet si nous n’envisagions comment et pourquoi les bolcheviks parvenaient à transformer les mots d’ordre de leur parti en mots d’ordre de masse activant la révolution, comment et pourquoi ils parvenaient à convaincre de la justesse de leur politique non seulement l’avant-garde et la majorité de la classe ouvrière, mais aussi la majorité du peuple.

Pour qu’une révolution soit victorieuse, si elle est vraiment populaire, si elle embrasse les grandes masses, il ne suffit pas que les mots d’ordre du parti soient justes.

Une autre condition est indispensable ; il faut que les masses elles-mêmes se soient convaincues par leur propre expérience de la justesse de ces mots d’ordre. Alors seulement les mots d’ordre du parti deviennent ceux des masses elles-mêmes. Alors seulement la révolution devient réellement la révolution du peuple.

L’une des particularités de la tactique des bolcheviks pendant la période de préparation d’Octobre, c’est d’avoir su déterminer avec justesse les voies menant naturellement les masses aux mots d’ordre du parti, au seuil de la révolution, et d’avoir permis ainsi à ces masses de sentir, de contrôler et d’expérimenter elles-mêmes la justesse de ces mots d’ordre.

Autrement dit, l’une des particularités de la tactique des bolcheviks consiste en ce qu’elle ne confond point la direction du parti avec celle des masses, qu’elle distingue clairement la différence qui sépare ces deux directions et qu’ainsi elle est la science, non seulement de la direction du parti, mais aussi de la direction des grandes masses de travailleurs.

L’expérience de la convocation et de la dissolution de l’Assemblée constituante est un exemple frappant de l’application de cette particularité de la tactique bolchéviste.

On sait que les bolcheviks lancèrent le mot d’ordre de « République soviétiste » dès avril 1917. On sait également que l’Assemblée constituante est un parlement bourgeois en contradiction absolue avec les bases de la République soviétiste.

Comment se fait-il que les bolcheviks, en marchant vers la République soviétiste, aient en même temps exigé du Gouvernement provisoire la convocation immédiate de l’Assemblée constituante ?

Comment se fait-il que les bolcheviks non seulement prirent part aux élections, mais convoquèrent eux-mêmes l’Assemblée constituante ? Comment se fait-il que, un mois avant l’insurrection, les bolcheviks aient admis la possibilité d’une combinaison temporaire de la République soviétiste et de l’Assemblée constituante ? Il en fut ainsi parce que :

1° L’idée de l’Assemblée constituante était une des idées les plus populaires parmi la masse de la population ;

2° Le mot d’ordre de la convocation immédiate de l’Assemblée constituante permettait de dévoiler plus facilement la nature contre­ révolutionnaire du Gouvernement provisoire ;

3° Pour ouvrir les yeux aux masses populaires sur l’idée de l’Assemblée constituante, il était indispensable d’amener ces masses jusqu’à l’Assemblée constituante, avec leurs revendications sur laterre, la paix, le pouvoir soviétiste, de les mettre en présence de l’Assemblée constituante réalisée, vivante ;

4° C’était là le seul moyen de permettre aux masses de se convaincre par leur propre expérience de la nature contre-révolutionnaire de l’Assemblée constituante et de la nécessité de sa dissolution ;

5° Tout cela supposait naturellement la possibilité d’admettre une combinaison temporaire de la République soviétiste et de l’Assemblée constituante comme un des moyens destinés à éliminer l’Assemblée constituante ;

6° Une telle combinaison, si elle eût été réalisée, à condition que tout le pouvoir fût passé aux soviets, n’eût pu signifier que la subordination de l’Assemblée constituante aux soviets, sa transformation en annexe des soviets, sa mort sans douleur.

Point n’est besoin de démontrer que, sans cette politique des bolcheviks, la dissolution de l’Assemblée constituante n’eût pas été si facile et que les tentatives ultérieures des s.-r. Et des menchéviks avec le mot d’ordre « Tout le pouvoir à l’Assemblée constituante ! » n’eussent pas échoué aussi piteusement.

Nous autres, dit Lénine, nous avons pris part à l’élection du parlement bourgeois de Russie, de l’Assemblée constituante, en septembre-novembre 1917. Notre tactique était-elle juste ou non ?…

N’avions-nous pas, nous autres bolcheviks russes, en novembre 1917, plus que n’importe quels communistes d’Occident, le droit d’estimer que chez nous le parlementarisme avait fait son temps politiquement ?

Nous l’avions certainement, car il ne s’agit pas de savoir depuis combien de temps les parlements bourgeois existent, mais si les larges masses laborieuses sont prêtes, théoriquement, politiquement, pratiquement, à adopter le régime soviétiste et à dissoudre ou àlaisser dissoudre le parlement démocratique bourgeois.

Que dans la Russie de septembre-novembre 1917 la classe ouvrière des villes, les soldats, les paysans, par suite de toutes sortes de conditions spéciales, se soient trouvés admirablement préparés à l’adoption du régime soviétiste et à la dissolution du plus démocratique des parlements bourgeois, c’est là un fait historique indéniable et parfaitement établi.

Pourtant les bolcheviks n’ont pas boycotté l’Assemblée constituante ; loin de là, ils ont participé aux élections, non seulement avant, mais même après la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, (V.

La maladie infantile, p. 62­63.)

Pourquoi les bolcheviks ne boycottèrent-ils pas l’Assemblée constituante ? Parce que, dit Lénine :

Même quelques semaines avant la victoire de la République soviétiste, même après cette victoire, la participation à un parlement de démocratie’ bourgeoise, loin de nuire à un prolétariat révolutionnaire, l’aide à prouver aux masses retardataires que ces parlements méritent d’être dissous, facilite la réussite de leur dissolution, rapproche le moment où l’on pourra dire que le parlementarisme bourgeois a « politiquement fait son temps » (La maladie infantile, p. 63).

Fait caractéristique, Trotsky ne comprend pas cette particularité de la tactique bolchéviste et se moque de la « théorie » de la combinaison de l’Assemblée constituante et des soviets, comme d’une théorie à la Hilferding.

Il ne comprend pas que l’admissibilité d’une telle combinaison (avec le mot d’ordre de l’insurrection et la probabilité de la victoire des soviets) liée à la convocation de l’Assemblée constituante était à ce moment l’unique tactique révolutionnaire possible, qu’elle n’avait rien de commun avec la tactique de Hilferding consistant à transformer les soviets en annexe de l’Assemblée constituante et que l’erreur de certains camarades sur cette question ne lui donne pas le droit de dénigrer la position juste de Lénine et du parti sur la possibilité de réaliser, dans certaines conditions, une « forme gouvernementale combinée ».

Il ne comprend pas que, sans la politique originale qu’ils adoptèrent en vue de l’Assemblée constituante, les bolcheviks n’eussent pas réussi à attirer de leur côté les larges masses du peuple et que, si ces masses leur avaient manqué, ils n’eussent pu transformer l’insurrection d’Octobre en profonde révolution populaire.

Fait intéressant, Trotsky se moque même des mots « peuple », « démocratie révolutionnaire », etc., qui se rencontrent dans les articles des bolcheviks et qu’il juge inconvenants pour un marxiste.

Trotsky oublie évidemment que, même en septembre 1917, un mois avant la victoire de la dictature, Lénine, marxiste éminent, parlait de la « nécessité de la transmission immédiate de tout le pouvoir à la démocratie révolutionnaire ayant à sa tête le prolétariat révolutionnaire ».

Trotsky oublie évidemment que Lénine, citant la lettre de Marx à Kugelmann (avril 1871) où il est dit que la destruction de l’appareil d’État bureaucratique­militaire est la condition préalable de toute révolution vraiment populaire sur le continent, écrit en termes non équivoques :

Ce qui mérite une attention particulière, c’est cette profonde remarque de Marx, que la destruction de la machine bureaucratique et militaire de l’État est « la condition préalable de toute révolution populaire ».

Cette expression de révolution « populaire » paraît surprenante dans la bouche de Marx, et les plékhanoviens russes et les menchéviks disciples de Strouvé, désireux de passer pour marxistes, pourraient y voir une « méprise ».

Ils ont réduit le marxisme à une doctrine si piètrement libérale que, en dehors de l’antithèse : révolution bourgeoise et révolution prolétarienne, rien n’existe pour eux, et encore conçoivent-ils cette antithèse’ comme une chose tout à fait morte… Dans aucun des pays de l’Europe continentale de 1871, le prolétariat ne formait la majorité du peuple.

La révolution capable d’entraîner la majorité dans le mouvement ne pouvait être « populaire » qu’à la condition d’englober le prolétariat et la classe paysanne.

Ces deux classes composaient alors le « peuple ». Ces deux classes sont solidaires, du fait que la « machine bureaucratique et militaire de l’État » les opprime, les écrase et les exploite.

Briser cette machine, la démolir, tel est le but pratique du « peuple », de la majorité du peuple, ouvriers et paysans, telle est la « condition préalable » de la libre alliance des paysans pauvres et du prolétariat ; sans cette alliance, pas de démocratie solide, pas de transformation sociale possible (L’État et la révolution, p. 55-56).

Ces paroles de Lénine sont à retenir.

Convaincre les masses, par leur propre expérience, de la justesse des mots d’ordre du parti et les amener aux positions révolutionnaires afin de les conquérir, telle est la quatrième particularité de la tactique des bolcheviks pendant la période de la préparation d’Octobre.

IV ­ La révolution d’Octobre commencement
et facteur de la révolution mondiale

Il est indéniable que la théorie universelle de la victoire simultanée de la révolution dans les principaux pays d’Europe, la théorie de l’impossibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays s’est avérée artificielle, non viable.

L’histoire septennale de la révolution prolétarienne en Russie réfute cette théorie. Cette théorie est inacceptable comme schéma du développement de la révolution mondiale, parce qu’elle est en contradiction avec les faits patents.

Elle est encore plus inacceptable comme mot d’ordre parce qu’elle entrave l’initiative des pays qui, en vertu de certaines conditions historiques, ont la possibilité de percer seuls le front capitaliste ; parce que, loin de stimuler l’offensive contre le capital dans chaque pays pris à part, elle conduit à attendre passivement le moment du « dénouement général » ; parce qu’elle entretient parmi les prolétaires des différents pays non pas l’esprit de décision révolutionnaire, mais l’esprit de doute, la crainte de ne pas être soutenu par les prolétaires des autres pays.

Lénine a parfaitement raison de dire que la victoire du prolétariat dans un seul pays est un « cas typique », que « la révolution simultanée dans plusieurs pays » ne peut être qu’une « rare exception ».

Mais la théorie léniniste de la révolution ne se limite pas à ce seul côté de la question. Elle est en même temps la théorie du développement de la révolution mondiale. La victoire du socialisme dans un seul pays n’est pas une fin en soi.

La révolution victorieuse dans un pays doit être considérée, non pas comme une fin en soi, mais comme un appui, comme un moyenpour accélérer la victoire du prolétariat dans tous les pays.

La victoire de la révolution dans un pays, en l’occurrence en Russie, n’est pas seulement le résultat du développement irrégulier et de la décomposition progressive de l’impérialisme, elle est en même temps le commencement et le facteur de la révolution mondiale.

Il n’est pas douteux que les voies de développement de la révolution mondiale ne sont pas aussi simples qu’elles pouvaient le paraître précédemment, avant la victoire de la révolution dans un pays, avant l’avènement de l’impérialisme développé, qui marque la « veille de la révolution socialiste ».

C’est qu’un nouveau facteur est apparu : la loi du développement irrégulier des pays capitalistes, loi fonctionnant dans les conditions de plein développement impérialiste et qui montre l’inéluctabilité des collisions armées, l’épuisement général du front capitaliste mondial et la possibilité de la victoire du socialisme dans des pays séparés.

C’est qu’il est apparu un nouveau facteur comme l’immense pays des soviets, situé entre l’Occident et l’Orient, entre le centre de l’exploitation financière mondiale et l’arène de l’oppression coloniale, pays dont la seule présence suffit à révolutionner le monde.

Ce sont là des facteurs (et je ne cite que les plus importants), dont il est impossible de ne pas tenir compte dans l’étude des voies de la révolution mondiale.

Auparavant, on croyait d’ordinaire que la révolution se développerait par la « maturation » régulière des éléments du socialisme, tout d’abord dans les pays les plus développés, dans les pays « avancés ».

Cette façon de voir doit être maintenant considérablement modifiée.

Le système des relations internationales, dit Lénine, est devenu tel qu’en Europe un Etat, l’Allemagne, est asservi par d’autres Etats.

D’autre part, plusieurs Etats, précisément les plus anciens Etatsd’Occident, se sont trouvés, du fait de leur victoire, dans des

conditions qui leur permettent de mettre cette victoire à profit pour faire quelques concessions insignifiantes à leurs classes asservies, concessions qui suffisent cependant à retarder le mouvement révolutionnaire de ces dernières et créent un certain semblant de « paix sociale ».

Cependant, une série de pays : l’Orient, l’Inde, la Chine, etc., Par suite de la guerre impérialiste, sont définitivement sortis de leur voie traditionnelle. Leur développement a définitivement suivi le cours général du capitalisme européen.

L’effervescence qui agite toute l’Europe commence à les travailler.

Et il est clair maintenant pour le monde entier qu’ils se sont engagés dans une voie de développement qui ne peut pas ne pas mener à une crise de tout le capitalisme mondial…

Par suite, les pays capitalistes d’Europe occidentale parachèveront leur évolution vers le socialisme… autrement que nous ne le pensions. Ils la parachèveront, non pas par la « maturation » régulière du socialisme dans ces pays, mais au moyen de l’exploitation de certains Etats par d’autres, au moyen de l’exploitation du premier Etat vaincu dans la guerre impérialiste, exploitation jointe à celle de tout l’Orient.

L’Orient, d’autre part, est entré définitivement dans le mouvement révolutionnaire par suite de cette première guerre impérialiste et a été entraîné dans le tourbillon du mouvement révolutionnaire mondial.

Si l’on ajoute à cela que les pays vaincus et les colonies ne sont pas seuls à être exploités par les pays vainqueurs, mais qu’une partie des pays vainqueurs est exploitée financièrement par les pays victorieux les plus puissants, l’Amérique et l’Angleterre ; que les contradictions entre tous ces pays sont les facteurs les plus importants de la décomposition de l’impérialisme mondial ; qu’en dehors de ces contradictions, il en existe d’autres très profondes qui se développent à l’intérieur de chacun de ces pays ; que toutes ces contradictions sont aggravées du fait de l’existence de là grande République des soviets aux côtés des pays capitalistes, on a un tableau plus ou moins complet de l’originalité de la situation internationale.

Le plus probable, c’est que la révolution mondiale se développera par la séparation révolutionnaire d’un certain nombre de pays qui se détacheront du système des Etats impérialistes avec l’appui du prolétariat de ces Etats.

Le premier pays qui s’est détaché, le premier pays victorieux, a déjà l’appui des masses ouvrières et paysannes des autres pays en général. Il n’aurait pu tenir sans cet appui. Il est hors de doute que cet appui ira se renforçant et s’accroissant.

Il est également hors de doute que le développement même de la révolution mondiale, que le processus de la séparation d’une série de nouveaux pays d’avec l’impérialisme sera d’autant plus rapide et profond que le socialisme se sera plus solidement enraciné dans le premier pays victorieux, que ce pays se sera plus rapidement transformé en base de développement de la révolution mondiale, en ferment de la décomposition impérialiste.

S’il est vrai que la victoire définitive du socialisme dans le pays libéré le premier est impossible sans les efforts communs des prolétaires de plusieurs pays, il est également vrai que le développement de la révolution mondiale sera d’autant plus rapide et profond que l’aide apportée par le premier pays socialiste aux masses ouvrières et laborieuses de tous les autres pays sera plus efficace.

En quoi cette aide doit-elle consister ?

Premièrement, le prolétariat du pays victorieux, doit faire chez lui « le maximum de ce qui est possible pour développer, soutenir et éveiller la révolution dans les autres pays » (La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).

Deuxièmement, le « prolétariat victorieux» d’un pays, « après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se soulève… contre le reste du monde capitaliste, attirant à lui les classes opprimées des autres pays, les incitant à l’insurrection contre les capitalistes, employant même au besoin la force armée contre les classes exploiteuses et leurs Etats ».

Non seulement cette aide du pays victorieux accélère la victoire des prolétaires des autres pays, mais encore en facilitant cette victoire, elle assure par là même la victoire définitive du socialisme dans le premier pays victorieux.

Il est plus que probable qu’au cours du développement de la révolution mondiale, il se formera, parallèlement aux foyers impérialistes des pays capitalistes et du système de ces foyers dans le monde entier, des foyers de socialisme dans chaque pays soviétiste et un système de ces foyers dans le monde entier et que la lutte entre ces deux systèmes remplira l’histoire du développement de la révolution mondiale.

Car, dit Lénine, la libre union des nations dans le socialisme est impossible sans une lutte acharnée, plus ou moins longue, des républiques socialistes avec les Etats arriérés.

La révolution d’Octobre a une importance mondiale non seulement parce qu’elle représente la première initiative d’un pays pour rompre le système impérialiste et le premier îlot du socialisme dans l’océan des pays impérialistes, mais aussi parce qu’elle est la première étape de la révolution mondiale et la base puissante de son développement futur.

C’est pourquoi ceux qui, oubliant le caractère international de la révolution d’Octobre, proclament que la victoire de la révolution dans un seul pays est un phénomène purement et exclusivement national, commettent une lourde erreur.

En outre, ceux qui, se souvenant du caractère international de la révolution d’Octobre, sont enclins à considérer cette révolution comme quelque chose de passif, destiné uniquement à recevoir un appui de l’extérieur, commettent également une erreur.

En réalité, non seulement la révolution d’Octobre a besoin d’être appuyée par la révolution des autres pays, mais la révolution de ces pays a besoin de l’appui de la révolution d’Octobre pour accélérer le renversement de l’impérialisme mondial.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Entretien avec les délégations ouvrières de l’étranger

5 novembre 1927

Première partie : réponse de Staline

A l’entretien assistaient 80 délégués des pays suivants : Allemagne, France, Autriche, Tchécoslovaquie, Amérique du Sud, Chine, Belgique, Finlande, Danemark et Esthonie. L’entretien dura six heures.

Staline. — Camarades, on m’a fait parvenir hier une liste non signée de questions, en allemand. Ce matin, j’ai reçu deux nouvelles listes : l’une de la délégation française, l’autre de la délégation danoise.

Commençons par la première liste de questions, bien qu’on ne sache pas quelle délégation l’a envoyée. Nous pourrons ensuite passer aux deux listes suivantes. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous allons commencer. (Les délégués expriment leur assentiment.)

Première question. — Pourquoi l’U.R.S.S. ne prend-elle pas part à la Société des nations ?

Réponse. — Les raisons pour lesquelles l’Union soviétique ne prend pas part à la Société des nations ont déjà été exposées à maintes reprises dans notre presse. Je vais vous donner quelques-unes de ces raisons.

L’Union soviétique n’est pas membre de la Société des nations et ne participe pas à la S.D.N. avant tout parce qu’elle ne veut pas prendre la responsabilité de la politique impérialiste de la S.D.N., des « mandats » que la S.D.N. octroie pour exploiter et asservir les peuples coloniaux.

L’Union soviétique ne prend pas part à la S.D.N. parce qu’elle est entièrement contre l’impérialisme, contre l’oppression des colonies et des pays dépendants.

L’Union soviétique ne prend pas part à la S.D.N., en second lieu, parce qu’elle ne veut pas prendre la responsabilité des préparatifs de guerre, de la croissance des armements, des nouvelles alliances militaires, etc., que couvre et sanctionne la S.D.N. et qui ne peuvent pas ne pas conduire à de nouvelles guerres impérialistes.

L’Union soviétique ne prend pas part à la S.D.N. parce qu’elle est entièrement contre les guerres impérialistes.

Enfin, l’Union soviétique ne prend pas part à la S.D.N. parce qu’elle ne veut pas être partie intégrante du paravent des intrigues impérialistes que constitue la S.D.N. et que celle-ci cache par les discours onctueux de ses membres. La S.D.N. est la « maison de rendez-vous » pour les impérialistes qui font leurs affaires dans les coulisses. Ce qu’on dit officiellement à la Société des nations n’est qu’un vain bavardage destiné à tromper les ouvriers.

Ce que les gouvernants impérialistes font officieusement dans les coulisses est la vraie politique impérialiste, hypocritement cachée par les orateurs grandiloquents de la Société des nations. Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que l’Union soviétique ne veuille pas être membre et complice de cette comédie contre les peuples ? Deuxième question. — Pourquoi, dans l’Union soviétique, ne peut-on pas tolérer le Parti social-démocrate ?

Réponse. — Le Parti social-démocrate (c’est-à-dire les menchéviks) n’est pas toléré dans l’Union soviétique pour les mêmes raisons qu’on n’y tolère pas les contre-révolutionnaires. Il se peut que cela vous étonne, mais il n’y a là rien d’étonnant.

Les conditions de développement sont telles que la social-démocratie, qui a été sous le régime tsariste un parti plus ou moins révolutionnaire, est devenue après le renversement du tsarisme, sous Kérenski, un parti gouvernemental, un parti de la bourgeoisie, de la guerre impérialiste ; puis, après la révolution d’Octobre, elle s’est transformée en un parti de franche contre-révolution contre la dictature du prolétariat.

Vous ne pouvez ignorer que chez nous la social-démocratie a pris part à la guerre civile aux côtés de Koltchak et de Dénikine contre le pouvoir des Soviets.

A l’heure actuelle, c’est un parti de la restauration du capitalisme, de la liquidation de la dictature du prolétariat. Je pense qu’une telle évolution de la social-démocratie n’est pas seulement typique pour l’U.R.S.S., mais aussi pour les autres pays. La social-démocratie a été chez nous plus ou moins révolutionnaire quand existait le régime tsariste.

C’est ce qui explique, à vrai dire, pourquoi nous, bolcheviks, nous avons été alors avec les menchéviks, c’est-à-dire avec les social-démocrates, dans un seul parti.

La social-démocratie devient soit un parti d’opposition, soit un parti gouvernemental bourgeois lorsque la bourgeoisie prétendument démocratique accède au pouvoir. Elle se transforme en un parti de franche contre-révolution lorsque c’est le prolétariat révolutionnaire qui accède au pouvoir.

Un des délégués. — Cela veut-il dire que la social-démocratie n’est une force contre-révolutionnaire qu’en U.R.S.S., ou bien qu’elle peut être qualifiée ainsi dans les autres pays également ?

Staline. — J’ai déjà dit que nous avons ici une certaine différence.

La social-démocratie, dans le pays de la dictature du prolétariat, est une force contre-révolutionnaire qui aspire à la restauration du capitalisme et à la liquidation de la dictature du prolétariat au nom de la « démocratie » bourgeoise.

Dans les pays capitalistes, où le prolétariat n’est pas encore au pouvoir, la social-démocratie est soit un parti d’opposition, soit un parti à moitié gouvernemental faisant coalition avec la bourgeoisie libérale contre les forces les plus réactionnaires du capitalisme, soit un parti entièrement gouvernemental défendant ouvertement le capitalisme et la « démocratie » bourgeoise contre le mouvement révolutionnaire du prolétariat.

C’est seulement lorsque le pouvoir du prolétariat devient une réalité, qu’elle devient complètement révolutionnaire et que sa tendance contre-révolutionnaire se dirige contre le pouvoir du prolétariat.

Troisième question. — Pourquoi n’y a-t-il pas de liberté de presse en U.R.S.S.?

Réponse. — De quelle liberté de presse parlez-vous ? De la liberté de la presse pour quelle classe ? Pour la bourgeoisie ou pour le prolétariat ?

S’il s’agit de la liberté de la presse pour la bourgeoisie, elle n’existe pas et elle n’existera pas chez nous tant qu’existera la dictature du prolétariat.

Si vous parlez de la liberté de la presse pour le prolétariat, je dois dire que vous ne trouverez pas au monde un autre pays où la liberté de la presse soit aussi large et complète pour le prolétariat que dans l’U.R.S.S.

La liberté de la presse pour le prolétariat n’est pas un vain mot. Il n’y a pas de liberté de la presse pour le prolétariat s’il ne possède pas les meilleures imprimeries, les meilleures maisons d’éditions ; s’il n’y a pas des organisations légales de la classe ouvrière, depuis les plus petites jusqu’aux plus grandes, groupant des millions d’ouvriers ; s’il n’y a pas la plus large liberté de réunion.

Voyez les conditions de vie en U.R.S.S., faites une tournée dans les quartiers ouvriers et vous comprendrez que les meilleures imprimeries, les meilleures maisons d’éditions, des fabriques entières de papier, des usines entières de matières colorantes, nécessaires pour la presse, d’énormes palais pour les réunions : tout cela, et bien d’autres choses encore, nécessaires pour la liberté de la presse de la classe ouvrière, tout cela est entièrement à la disposition de la classe ouvrière et des masses laborieuses.

C’est ce qu’on appelle chez nous la liberté de la presse pour la classe ouvrière. Chez nous, il n’y a pas de liberté de la presse pour la bourgeoisie. Il n’y a pas de liberté de la presse pour les menchéviks et les s.-r. Qui, chez nous, représentent les intérêts de la bourgeoisie battue et renversée.

Qu’y a-t-il là d’étonnant ? Nous n’avons jamais pris l’engagement de donner la liberté de la presse à toutes les classes, de faire le bonheur de toutes les classes.

En prenant le pouvoir, en octobre 1917, les bolcheviks ont ouvertement déclaré que ce serait le pouvoir d’une seule classe, du prolétariat, qui écraserait la bourgeoisie dans l’intérêt des masses travailleuses des villes et des campagnes, énorme majorité de la population de l’U.R.S.S.

Comment peut-on après cela exiger de la dictature du prolétariat la liberté de la presse pour la bourgeoisie ?

Quatrième question. — Pourquoi ne relâche-t-on pas les menchéviks emprisonnés ?

Réponse. — Il s’agit évidemment des menchéviks militants. Oui c’est vrai, nous gardons en prison les menchéviks actifs jusqu’à l’expiration de leur peine. Est-ce surprenant ? Pourquoi n’a-t-on pas relâché, par exemple, les bolcheviks emprisonnés en juillet, août, septembre et octobre 1917, alors que les menchéviks et les s.-r.

Étaient ou pouvoir ?

Pourquoi Lénine a-t-il été obligé de se cacher et de vivre illégalement de juillet à octobre 1917, alors que le pouvoir était aux mains des menchéviks et des s.-r.?

Comment expliquer que le grand Lénine, dont le nom est un drapeau pour les prolétaires de tous les pays, ait été obligé de se cacher de juillet à octobre 1917, en Finlande, loin de la « République démocratique » de Kérenski et de Tsérételli, de Tchernov et de

Dan, tandis que l’organe du parti de Lénine, la Pravda, était pillée par les junkers bourgeois, bien qu’à la tête du gouvernement il y eût alors des militants actifs et connus de la IIe Internationale ?

Cela s’explique, évidemment, par le fait que la lutte entre la contre­ révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne est accompagnée fatalement de certaines répressions. J’ai déjà dit que la social-démocratie est chez nous un parti de contre-révolution. Il en résulte que la révolution prolétarienne ne peut manquer d’arrêter les militants de ce parti contre-révolutionnaire.

Ce n’est pas tout. Il en résulte ensuite que l’arrestation des menchéviks est chez nous la continuation de la politique de la révolution d’Octobre ?

Au fond, qu’est-ce que là révolution d’Octobre ? C’est avant tout le renversement du pouvoir de la bourgeoisie. A l’heure actuelle, tous les ouvriers plus ou moins conscients de tous les pays reconnaissent que les bolcheviks ont bien fait, en octobre 1917, de renverser le pouvoir de la bourgeoisie. Je ne doute pas que vous soyez du même avis.

Mais voici une question : qui donc, à vrai dire, le prolétariat a-t-il renversé en octobre 1917 ? L’histoire, les faits disent qu’en octobre 1917, le prolétariat a renversé les menchéviks et les s.-r., car ce sont eux précisément, Kérenski et Tchernov, Gotz et Lieber, Dan et Tsérételli, Abramovitch et Avxentiev qui étaient alors au pouvoir.

Or, que sont les partis des menchéviks et des s.-r. ? Ce sont des partis de la IIe Internationale.

Il s’avère donc qu’en accomplissant la révolution d’Octobre, le prolétariat de l’U.R.S.S. a renversé les partis de la IIe Internationale.

C’est peut-être désagréable à certains social-démocrates, mais c’est un fait indiscutable qu’il serait puéril de contester.

Par conséquent, au moment de la révolution prolétarienne on pouvaitet on devait renverser le pouvoir des menchéviks et des s.-r. Pour

que le pouvoir du prolétariat pût triompher. Mais si on peut renverser les menchéviks et les s.-r., pourquoi ne peut-on les arrêter lorsqu’ils passent ouvertement et résolument dans le camp de la contre-révolution bourgeoise ?

Pensez-vous que le renversement des menchéviks et des s.r. soit un moyen moins violent que leur arrestation ? On ne peut estimer juste la politique de la révolution d’Octobre sans estimer aussi juste ses conséquences inévitables.

De deux choses l’une : ou bien la révolution d’Octobre a été une faute, et dans ce cas, c’est une faute d’arrêter les menchéviks et les s.-r., ou bien la révolution d’Octobre n’est pas une faute, et alors on ne peut considérer comme une faute l’arrestation des menchéviks et des s.-r. Logique oblige.

Cinquième question. — Pourquoi le correspondant du Bureau de la presse social-démocrate n’a-t-il pas reçu l’autorisation de venir en U.R.S.S. ?

Réponse. — Parce que la presse social-démocrate à l’étranger, en particulier le Vorwaerts, a dépassé par ses calomnies monstrueuses contre l’U.R.S.S. et ses représentants beaucoup de journaux bourgeois. Parce que nombre de journaux bourgeois, par exemple la Vossische Zeitung, se conduisent dans la lutte contre l’U.R.S.S. bien plus « objectivement » et « convenablement » que le Vorwaerts.

Cela peut sembler « étrange », mais c’est un fait avec lequel on doit compter.

Si le Vorwaerts pouvait se conduire aussi bien que les journaux bourgeois, ses représentants, certainement, auraient leur place dans l’U.R.S.S., à l’égal des représentants des autres journaux bourgeois.

Un de ces jours, un représentant du Vorwaerts s’est adressé à un des collaborateurs de notre représention diplomatique à Berlin pour lui demander les conditions auxquelles le correspondant du Vorwaertspourrait être autorisé à venir en U.R.S.S.

On lui répondit : « Lorsque le Vorwaerts montrera effectivement qu’il est prêt à se conduire envers l’U.R.S.S. et ses représentants aussi bien qu’un journal libéral « convenable », dans le genre de la Vossische Zeitung, le gouvernement soviétique ne fera pas obstacle à la venue du correspondant du Vorwaerts en U.R.S.S. »

Je pense que la réponse est parfaitement claire.

Sixième question. — La fusion des IIe et IIIe Internationales est-elle possible ?

Réponse. — Je pense que c’est impossible. C’est impossible puisque la IIe et la IIIe Internationales ont des positions absolument différentes et regardent de deux côtés différents.

Si la IIIe Internationale regarde du côté du renversement du capitalisme et de l’instauration de la dictature du prolétariat, la IIe Internationale, par contre, regarde du côté du maintien du capitalisme et de la destruction de tout ce qui est nécessaire pour instaurer la dictature du prolétariat.

La lutte entre ces deux Internationales est le reflet idéologique de la lutte entre les partisans du capitalisme et ceux du socialisme.

De cette lutte doit sortir victorieuse soit la IIe, soit la IIIe Internationale. Il n’y a nulle raison de douter que ce soit la IIIe Internationale qui triomphe dans le mouvement ouvrier. J’estime que la fusion de ces deux Internationales est impossible.

Septième question. — Comment juger la situation dans l’Europe occidentale ? Faut-il s’attendre à des événements révolutionnaires dans les prochaines années ?Réponse. — Je pense qu’en Europe grandissent et grandiront les éléments de la crise la plus profonde du capitalisme. Le capitalisme peut partiellement se stabiliser, rationaliser sa production, comprimer temporairement la classe ouvrière : il est encore en état de le faire pour le moment, mais il ne retournera jamais à la « stabilité » et à 1’ « équilibre » dont il jouissait avant la guerre mondiale et la révolution d’Octobre.

Il ne reviendra jamais à cette « stabilité » et à cet « équilibre ». On le voit, ne serait-ce que par les brasiers révolutionnaires qui s’allument en Europe comme dans les colonies, ressources du capitalisme européen.

Aujourd’hui, c’est en Autriche que se produit une explosion révolutionnaire ; demain, c’est en Angleterre ; après-demain, quelque part en France ou en Allemagne ; puis, en Chine, dans l’Indonésie, dans l’Inde, etc. Or, qu’est-ce que l’Europe et les colonies ?

C’est le centre et la périphérie du capitalisme. La tranquillité ne règne plus dans les centres du capitalisme européen. Elle règne encore moins dans sa périphérie. Les conditions mûrissent pour de nouveaux événements révolutionnaires.

Je pense que la preuve la plus éclatante de la crise croissante du capitalisme, l’exemple le plus clair du mécontentement et de l’indignation qui s’accumulent dans la classe ouvrière, ce sont les événements qui se rattachent à l’assassinat de Sacco et Vanzetti.

Qu’est-ce que l’assassinat de deux ouvriers pour le charnier capitaliste ? Est-ce que jusqu’à présent on ne tuait pas les ouvriers par dizaines, par centaines, chaque semaine, chaque jour ? Pourtant, il suffit de l’assassinat de deux ouvriers, Sacco et Vanzetti, pour mettre en mouvement la classe ouvrière du monde entier ?

Qu’est-ce à dire ? Que le terrain est de plus en plus brûlant sous les pieds du capitalisme.

Que les conditions mûrissent pour de nouveaux événements révolutionnaires. Le fait que les capitalistes réussirent à tenir durant la première secousse de l’explosion révolutionnaire n’est nullement une consolation pour eux.

La révolution contre le capitalisme ne peut avancer en une vague continue et générale. Elle grandit toujours avec des flux et des reflux. Il en a été ainsi en Russie. Il en sera ainsi en Europe. Nous sommes à la veille de nouveaux événements révolutionnaires.

Huitième question. — L’opposition est­elle forte dans le Parti russe ? Sur quels milieux s’appuie-t-elle ?

Réponse. — Je pense qu’elle est très faible. Bien plus, ses forces sont presque nulles dans notre parti. J’ai en mains le journal d’aujourd’hui. On y donne le bilan de plusieurs jours de discussion.

Les chiffres disent que plus de 135.000 membres du Parti ont voté pour le Comité central de l’U.R.S.S. et pour ses thèses, et 1.200 seulement pour l’opposition.

Cela ne fait même pas 1 %. Je pense que, dans la suite, le vote donnera des résultats encore plus humiliants pour l’opposition. La discussion continuera chez nous jusqu’au congrès.

Nous nous efforçons, pendant ce temps, de demander l’opinion de tout le Parti. J’ignore comment chez vous, dans les partis social-démocrates, on discute. Je ne sais si on discute en général dans les partis social-démocrates. Nous considérons la discussion d’une façon sérieuse.

Nous demanderons l’opinion de tout le Parti, et vous verrez que l’importance de l’opposition dans notre parti est encore plus infime que ne le montrent les chiffres que je viens d’indiquer. Il se peut très bien qu’au XVe congrès l’opposition n’ait pas un représentant, pas un délégué.

Dans la grande usine Tréougolnik, à Léningrad, il y a 15.000 ouvriers, dont 2,122 communistes ; 39 d’entre eux ont voté pour l’opposition. A l’usine Poutilov, à Léningrad également, il y a environ 11.000 ouvriers, dont 1.718 communistes ; 29 ont voté pour l’opposition.

Sur quels milieux s’appuie l’opposition ? Je pense que c’est surtout sur les milieux non prolétariens. Si l’on demandait aux couches non prolétariennes de la population, à celles qui sont mécontentes du régime de la dictature du prolétariat, de quel côté vont leurs sympathies, elles répondraient sans hésiter que c’est du côté de l’opposition.

Pourquoi ?

Parce que la lutte de l’opposition, au fond, est une lutte contre le Parti, contre le régime de la dictature du prolétariat, dont certaines couches non prolétariennes sont fatalement mécontentes.

L’opposition est le reflet du mécontentement, de la poussée des couches non prolétariennes de la population contre la dictature du prolétariat.

Neuvième question. — Les bruits répandus en Allemagne par Ruth Fischer et Maslow, qui déclarent que la direction actuelle de l’I.C. et du Parti russe livre les ouvriers à la contre-révolution, sont-ils vrais ?

Réponse. — Il faut croire qu’ils sont vrais. Il faut croire que l’Internationale communiste et le Parti communiste russe livrent pieds et poings liés la classe ouvrière de l’U.R.S.S. aux contre­ révolutionnaires de tous les pays.

Bien plus, je puis vous annoncer que l’I.C. et le Parti communistes russe ont décidé ces jours­ci de rappeler tous les capitalistes et tous les hobereaux qui avaient été chassés du pays et de leur rendre les usines et les fabriques. Ce n’est pas tout. L’Internationale communiste et le P.C. de l’U.R.S.S. sont allés plus loin en décidant qu’il est temps pour les bolchéviks de commencer à se nourrir dechair humaine. Enfin, nous avons décidé de nationaliser toutes les femmes et de faire commerce du viol de nos propres sœurs.

(Hilarité générale.)

Des voix : Qui a pu poser une telle question ?

Je vois que vous riez. Peut-être quelques-uns d’entre vous pensent-ils que je ne réponds pas sérieusement à la question. C’est exact, camarades on ne peut répondre sérieusement à de telles questions. Je pense qu’on ne peut répondre à de telles questions qu’en les tournant en ridicule. (Vifs applaudissements.)

Dixième question. — Quelle est votre attitude envers l’opposition et la tendance Ruth Fischer et Maslow en Allemagne ? Réponse. — Mon attitude envers l’opposition et ses agents en Allemagne est la même que l’attitude du célèbre romancier français Alphonse Daudet envers Tartarin de Tarascon. (Mouvements de gaité parmi les délégués.)

Vous avez sans doute lu ce fameux récit d’Alphonse Daudet. Le héros de cet ouvrage était, au fond, un habituel « bon » petit bourgeois.

Mais sa fantaisie était si puissante, sa faculté de « mentir innocemment » était si développée, qu’à la fin des fins il a été lui-même victime de ses extraordinaires capacités.

Tartarin se vantait à tout venant d’avoir tué dans la chaîne de l’Atlas un nombre incalculable de lions et de tigres. Les amis crédules de Tartarin lui décernèrent le titre de premier chasseur de lions du monde.

Pourtant, Alphonse Daudet, savait parfaitement, aussi bien que Tartarin lui-même, que ce dernier n’avait jamais vu ni lions, ni tigres.

Tartarin s’était vanté en assurant à tous qu’il avait fait l’ascension du mont Blanc. Ses crédules amis lui décernèrent le titre de premier alpiniste du monde. Pourtant, Alphonse Daudet savait parfaitement que Tartarin n’avait jamais été sur le mont Blanc.

Tartarin s’était vanté et avait assuré à tous qu’il avait fondé une grande colonie dans un pays lointain de la France. Ses crédules amis lui décernèrent le titre de premier colonisateur du monde.

Pourtant, Alphonse Daudet, aussi bien que son héros, savait que les idées fantaisistes de Tartarin ne pouvaient aboutir à rien d’autre qu’à la confusion de ce dernier et de ses amis.

Vous savez à quelle confusion, à quel ridicule, la vantardise de Tartarin a conduit ses amis.

Je pense que le tapage et la vantardise des leaders de l’opposition, à Moscou et à Berlin, se termineront par la même confusion et le même ridicule pour l’opposition. (Hilarité générale.) Staline. — Nous venons d’épuiser la première liste des questions.

Passons maintenant aux questions de la délégation française.

Première question. — De quelle façon le gouvernement de l’U.R.S.S. pense-t-il combattre les firmes pétrolières étrangères ?

Réponse. — La question, à mon avis, est mal posée. Ainsi formulée, elle pourrait donner à croire que l’industrie soviétique du naphte s’est assignée pour but de livrer bataille aux firmes de la même industrie des autres pays et qu’elle veut les couler et les liquider. En est-il ainsi en réalité ? Non.

Voici de quoi il s’agit au fond : certaines firmes pétrolières des pays capitalistes s’efforcent d’étouffer l’industrie soviétique du naphte, celle-ci doit se défendre pour vivre et se développer. Le fait est que l’industrie pétrolière soviétique est plus faible que l’industrie pétrolière des pays capitalistes, aussi bien en ce qui concerne l’extraction (nous extrayons moins qu’eux) que dans les relations avec le marché (ils ont bien plus de relations avec le marché mondial que nous).Comment l’industrie soviétique du pétrole se défend-elle ?

Elle se défend en améliorant la qualité de la production et, avant tout, en baissant les prix du pétrole, en vendant sur le marché un produit bon marché, meilleur marché que le pétrole des firmes capitalistes.

Mais, pourra-t-on demander, les Soviets sont-ils donc si riches qu’ils ont la possibilité de vendre moins cher que les plus riches firmes capitalistes ?

Naturellement, l’industrie soviétique n’est pas plus riche que les firmes capitalistes. Au contraire, les firmes capitalistes sont beaucoup plus riches que l’industrie soviétique.

Mais il ne s’agit pas de richesses. Le fait est que l’industrie soviétique du pétrole n’est pas une industrie capitaliste, et c’est pourquoi elle n’a pas besoin de surprofits fabuleux, alors que les firmes capitalistes ne peuvent s’en passer. C’est précisément parce que l’industrie soviétique du pétrole n’a pas besoin de surprofits formidables qu’elle peut vendre ses produits moins cher que les firmes capitalistes. On peut en dire autant des céréales, du bois soviétique, etc.

En général, il faut dire que les produits soviétiques, en particulier le pétrole, sont sur le marché international un facteur comprimant les prix et allégeant ainsi la situation des masses de consommateurs.

C’est là, pour le pétrole soviétique, une force, un moyen de défense contre les tentatives des firmes pétrolières capitalistes. C’est pourquoi les grands pétroliers de tous les pays, en particulier Déterding, crient à tue-tête contre les Soviets et contre le pétrole soviétique en dissimulant leur politique des hauts prix et le pillage du consommateur par des phrases à la mode sur la « propagande communiste ».

Deuxième question. — Comment pensez-vous réaliser le collectivisme parmi la paysannerie ?

Réponse. — Nous pensons réaliser le collectivisme parmi la paysannerie graduellement, par des mesures d’ordre économique,financier, politique et éducatif. Je pense que la question la plus intéressante est celle des mesures d’ordre économique.

Dans ce domaine, nos mesures vont dans trois directions : l’organisation des exploitations paysannes individuelles dans les coopératives ; l’organisation des exploitations paysannes, surtout celle des paysans pauvres, dans les sociétés de production ; et, enfin, les mesures à prendre par les organes de plan et de régularisation étatiques pour embrasser l’économie paysanne aussi bien en ce qui concerne l’écoulement des produits ruraux que la fourniture aux paysans des objets de notre industrie qui leur sont nécessaires.

Il y a quelques années, il existait entre l’industrie et l’agriculture de nombreux intermédiaires représentés par des entrepreneurs privés qui fournissaient aux paysans les produits de la ville et vendaient aux ouvriers le pain des paysans.

Il est compréhensible que ces intermédiaires ne « travaillaient » pas pour rien et retiraient des dizaines de millions en pressurant la population rurale et la population urbaine.

C’était la période où l’alliance entre la ville et le village, entre l’industrie socialiste et l’économie paysanne individuelle était encore mal organisée. Le rôle de la coopération et des organes de répartition de l’État était alors relativement insignifiant. Depuis, l’état de chose a foncièrement changé.

Maintenant, dans les échanges entre la ville et le village, entre l’industrie et l’économie rurale, le rôle de la coopération et des organes commerciaux de l’État peut être considéré non seulement comme prépondérant, mais comme nettement dominant, sinon exclusif.

Dans la fourniture des tissus aux paysans, la part vendue par les coopératives et les organes de l’État s’élève à plus de 70 % ; dans la fourniture de machines agricoles, elle atteint presque 100 %.

Dans l’achat des céréales des paysans, la part des coopératives et des organes de l’État dépasse 80 %.Dans l’achat des matières premières pour l’industrie, telles que le coton, la. Betterave, etc., elle est presque de 100 %.

Que signifie cela ?

Cela signifie, premièrement, que le capitalisme est évincé de la sphère des échanges, que l’industrie se soude directement à l’économie paysanne, que les bénéfices qui allaient aux intermédiaires spéculateurs restent dans l’industrie et dans l’agriculture, que les paysans ont la possibilité d’acheter les produits de la ville moins cher, que les ouvriers, à leur tour, ont la possibilité de payer moins cher pour les denrées agricoles.

Deuxièmement, qu’en éliminant de l’échange les intermédiaires capitalistes, l’industrie a la possibilité d’entraîner à sa remorque l’économie rurale, de l’influencer, d’élever son niveau, de la rationaliser, de l’industrialiser.

Troisièmement, qu’en soudant l’agriculture à l’industrie, l’État a la possibilité d’introduire le principe du plan, de la prévision dans le développement de l’agriculture, de lui fournir de meilleures semences et de meilleurs engrais, de déterminer le montant de sa production, de l’influencer dans le sens de la politique des prix, etc.

Enfin, cela signifie que, dans les villages, il se crée des conditions favorables à la liquidation des éléments capitalistes, à la restriction et à la liquidation des éléments koulaks, à l’organisation des paysans travailleurs dans des sociétés de production, au financement de ces sociétés par l’État.

Prenons, par exemple, la production de la betterave à sucre et celle du coton.

Le montant de la production de ces deux matières premières, de même que les prix et la qualité, ne sont pas déterminés sporadiquement, par le jeu des forces sur le marché inorganisé, par les intermédiaires spéculateurs, par la Bourse et les comptoirs capitalistes de toute espèce, mais par le Plan, par des traités préalables et précis entre les syndicats du sucre, les syndicats du textile d’une part, et les dizaines de millions de producteurs paysans en la personne de la coopération de la culture de la betterave et du coton, de l’autre.

Il n’y a ici ni Bourses, ni comptoirs, ni agiotage sur les prix, etc. Tous ces accessoires de l’économie capitaliste n’existent plus chez nous dans ce domaine.

Il n’y a plus ici que les deux parties en présence, sans Bourses ni intermédiaires : d’une part, les syndicats de l’État, d’autre part, les paysans coopérés.

Les syndicats de l’État signent des contrats avec les organisations coopératives intéressées pour la production de telle ou telle quantité de betterave ou de coton, pour la fourniture aux paysans de semences, de prêts, etc.

Après la récolte, toute la production est mise à la disposition des syndicats, et les paysans reçoivent la somme qui leur revient selon les clauses des contrats signés à l’avance. C’est ce qu’on appelle chez nous le système de contractation.

Ce système est bon en ce sens qu’il a des avantages pour les deux parties et qu’il soude l’agriculture à l’industrie directement, sans nul intermédiaire. Ce système est la voie la plus sûre vers la collectivisation de l’économie paysanne.

On ne peut dire que les autres branches de l’agriculture soient arrivées à un tel degré de développement. Mais on peut dire avec assurance que toutes les branches de l’économie rurale, sans en excepter la production des céréales, devront peu à peu passer par là.

Ce chemin conduit directement à la collectivisation de l’économie rurale.

La collectivisation générale n’arrivera que lorsque les exploitations rurales seront réorganisées sur une nouvelle base technique, grâce à l’emploi généralisé des machines et à l’électrification ; lorsque la majorité des paysans travailleurs seront groupés dans les organisations coopératives ; lorsque la majorité des villages serontcouverts d’un réseau de sociétés agricoles à caractère collectiviste.

On va vers ce but, mais on n’y est pas encore arrivé et on n’y arrivera pas de sitôt.

Pourquoi ? Entre autres, parce qu’il faut pour cela des capitaux immenses dont notre Etat ne dispose pas encore, mais qui, incontestablement, s’accumuleront avec le temps.

Marx disait qu’aucun nouveau régime social ne se consolide sans être intensément financé, sans que des centaines et des centaines de millions soient dépensés pour cela. Je pense que nous entrons déjà dans la période de développement de l’agriculture où l’État commence à avoir la possibilité de financer plus énergiquement le nouvel ordre social.

Le fait que l’industrie socialiste a déjà conquis le rôle d’élément dirigeant dans l’économie nationale, et entraîne à sa suite l’agriculture, est la garantie la plus sûre que l’économie paysanne suivra la voie de la collectivisation.

Troisième question. — Quelles ont été les principales difficultés sous le communisme de guerre, lorsqu’on a tenté de supprimer l’argent ?

Réponse. — Les difficultés ont été nombreuses aussi bien en ce qui concerne le développement intérieur que les relations extérieures. Si l’on prend les rapports intérieurs d’ordre économique, on peut constater trois principales difficultés.

Premièrement, notre industrie était ruinée et paralysée, abstraction faite de l’industrie de guerre qui fournissait les munitions aux fronts de la guerre civile pendant l’intervention. Les deux tiers de nos usines et fabriques chômaient, les transports clochaient, il n’y avait pas ou presque pas de marchandises.

Deuxièmement, l’agriculture allait très mal, la main d’œuvre agricole était sur le front, on manquait de matières premières, on manquait de pain pour la population des villes et, avant tout, pour les ouvriers.

Nous donnions alors aux ouvriers une demi-livre de pain, et parfois même 1/8 de livre par jour.

Troisièmement, il n’y avait pas ou presque pas d’appareil commercial soviétique de transmission plus ou moins organisé entre la ville et le village, d’appareil capable de fournir au village les produits de la ville et à la ville les denrées du village. La coopération et les organes commerciaux de l’État étaient dans un état embryonnaire.

Après la guerre civile et l’instauration de la nouvelle politique économique, la situation économique du pays a changé radicalement.

L’industrie s’est développée et renforcée et a occupé une position dominante dans toute l’économie nationale. Ce qu’il y a de plus caractéristique à cet égard, c’est que pendant les deux dernières années nous avons réussi à investir dans l’industrie plus de 2 milliards de roubles tirés de nos propres accumulations, sans l’aide de l’extérieur, sans aucun emprunt étranger. On ne peut plus dire maintenant qu’il n’y a plus de marchandises pour les paysans.

L’agriculture s’est relevée, sa production a repris les proportions d’avant-guerre. On ne peut plus dire maintenant que pour les ouvriers il n’y a pas de pain ou d’autres produits de l’agriculture.

La coopération et les organes commerciaux de l’État se sont développés au point d’occuper dans les échanges du pays une position dominante. On ne peut plus dire que nous n’avons pas d’appareil de transmission et de répartition entre la ville et le village, entre l’industrie et l’agriculture.

Tout cela, bien entendu, ne suffit pas pour édifier dès maintenant l’économie socialiste. Mais c’est parfaitement suffisant pour aller del’avant dans le chemin de l’édification victorieuse du socialisme.

Nous avons besoin maintenant de réoutiller notre industrie, de construire de nouvelles usines sur une nouvelle base technique. Il nous faut relever le niveau de l’agriculture, fournir aux paysans le maximum de machines agricoles, organiser dans les coopératives la majorité des paysans travailleurs, réorganiser les producteurs isolés dans un large réseau de sociétés agricoles.

Il nous faut organiser notre appareil de transmission et de répartition entre la ville et le village de façon qu’il soit capable d’évaluer les moyens et de satisfaire les besoins de la ville et du village dans tout le pays, de la même façon que chaque personne calcule son budget, ses recettes et ses dépenses.

Tout cela réalisé, nous arriverons au temps où l’on n’aura plus besoin d’argent. Mais nous en sommes encore loin.

Quatrième question. — Qu’en est-il des « ciseaux » ?

Réponse. — Si, par « ciseaux », on entend l’écart entre les prix des denrées agricoles et ceux des produits industriels du point de vue du prix de revient, la situation des « ciseaux » est la suivante : Il est incontestable que nos produits industriels se vendent encore plus cher qu’il serait possible de les vendre dans d’autres conditions.

Cela s’explique par la jeunesse de notre industrie, la nécessité de la protéger contre la concurrence extérieure, de lui créer des conditions accélérant son développement.

Or son développement rapide est nécessaire aussi bien aux villes qu’aux campagnes.

Autrement il ne serait pas possible de fournir à temps et en quantité suffisante aux paysans les tissus et les machines agricoles. Cette circonstance crée un écart entre les prix des produits industriels et ceux des produits agricoles, avec un certain préjudice pourl’économie rurale.

Pour mettre fin à ce désavantage de l’agriculture, le gouvernement et le Parti se sont donnés pour tâche d’appliquer une politique de baisse graduelle, mais constante, des prix des produits industriels. Peut-on dire que cette politique soit réaliste ?

J’estime qu’elle l’est incontestablement. On sait par exemple que, pendant la dernière année, nous avons réussi à baisser les prix de détail des produits industriels de 8 à 10 %. On sait aussi que nos organisations industrielles réduisent systématiquement les prix de revient et les prix de vente des produits industriels.

Il n’y a pas de raisons de douter que cette politique ne continue à l’avenir. Bien plus, je dois dire que la politique de baisse constante des prix des produits industriels est la pierre angulaire de notre politique économique, sans laquelle ni l’amélioration ni la rationalisation de notre économie industrielle, ni la consolidation de l’alliance de la classe ouvrière avec les paysans ne sauraient se concevoir.

Dans les pays bourgeois, on suit à cet égard une autre politique.

Dans ces pays, les entreprises s’organisent habituellement en trusts et en syndicats pour majorer à l’intérieur les prix des marchandises fabriquées par l’industrie, pour s’assurer un monopole de fait sur les prix, pour réaliser ainsi le maximum de bénéfices et constituer des fonds leur permettant de vendre ces mêmes marchandises à bas prix dans les pays étrangers afin de conquérir de nouveaux marchés.

C’était là la politique appliquée chez nous, en Russie, à l’époque du régime bourgeois, alors que le sucre, par exemple, était vendu à l’intérieur du pays trois fois plus cher qu’à l’étranger, trois fois plus cher qu’en Angleterre par exemple, où il était vendu si bon marché qu’on en nourrissait les cochons.

Le gouvernement soviétique suit une politique diamétralement opposée.Il estime que l’industrie est faite pour servir la population, et non pas le contraire.

Il pense que la baisse constante des prix industriels est le moyen essentiel sans lequel le progrès normal de l’industrie est impossible. Sans parler du fait que la politique de baisse des prix industriels contribue à accroître la consommation de la population, augmente la capacité d’achat du marché intérieur, urbain et rural, et crée ainsi la base, sans cesse élargie, nécessaire au déploiement intérieur de l’industrie.

Cinquième question. — Quelles sont les propositions du gouvernement soviétique aux petits porteurs français de fonds russes ?

Comment les porter à la connaissance des rentiers français ?

Réponse. — Nos propositions en ce qui concerne les dettes d’avant-guerre ont été publiées dans la fameuse interview du camarade Rakovski. Je pense que vous devez les connaître.

Elles sont conditionnées par l’obtention simultanée de crédits par l’U.R.S.S. Nous nous en tenons ici au fameux principe : donnant, donnant. Si vous nous accordez des crédits, vous obtiendrez de nous quelque chose en ce qui concerne les dettes d’avant-guerre ; si vous ne donnez rien, vous ne recevrez rien.

Cela veut-il dire que nous reconnaissons ici en principe les dettes d’avant-guerre ?

Pas le moins du monde.

Cela veut seulement dire que, tout en laissant en vigueur le célèbre décret sur l’abolition des dettes tsaristes, nous consentons néanmoins, à titre d’accord pratique, à payer quelque chose de ces dettes, si l’on nous fournit en échange les crédits qui nous sont nécessaires et qui seront profitables à l’industrie française.

Nous considérons les paiements pour les dettes comme des intérêts supplémentaires pour les crédits que nous recevrons pour le développement de notre industrie.

On parle des dettes de guerre de la Russie tsariste. On parle de toute sorte de prétentions à l’égard de l’U.R.S.S. à la suite des résultats de la révolution d’Octobre. Mais on oublie que notre révolution est la négation de principe des guerres impérialistes et des dettes tsaristes qui s’y rattachent.

On oublie que l’U.R.S.S. ne peut pas ne pas faire entrer en ligne de compte les pillages et les violences qu’elle a subis pendant plusieurs années, pendant l’intervention étrangère, et pour lesquels elle présente certaines revendications. Qui répond de ces pillages et de ces violences ? Qui doit en répondre ? Qui doit payer ces pillages et ces violences ? Les gouvernants impérialistes sont enclins à oublier ces choses désagréables. Mais ils doivent savoir que de telles choses ne s’oublient pas.

Sixième question. — Comment concilier le monopole de l’eau-de-vie et la lutte contre l’alcoolisme ?

Réponse. — Je pense qu’il est en général difficile de les concilier. Il y a ici une contradiction indubitable. Le Parti connaît cette contradiction et il s’y est engagé consciemment, sachant qu’au moment actuel l’admission de cette contradiction est un moindre mal.

Quand nous avons établi le monopole de l’eau-de-vie nous étions devant cette alternative : ou bien nous laisser asservir par les capitalistes, leur livrer de nombreuses usines et fabriques des plus importantes et recevoir en échange certaines ressources nécessaires pour nous tirer d’affaire ; ou bien, établir le monopole de l’eau-de-vie afin d’obtenir les capitaux de roulement nécessaires pour pouvoir développer notre industrie par nos propres moyens.

Les membres du Comité central, dont je faisais partie, ont eu alors une conversation avec Lénine, qui a reconnu que, dans le cas où l’on ne pourrait obtenir des emprunts à l’étranger, il faudrait recourir ouvertement et directement au monopole de l’eau-de-vie.

Naturellement, il aurait mieux valu se passer de la vodka, car celle-ci est un mal. Mais il aurait fallu alors s’asservir temporairement aux capitalistes, ce qui est un mal encore plus grand. C’est pourquoi nous avons préféré le moindre mal. A l’heure actuelle, la vodka donne plus de 500 millions de roubles de revenus.

Renoncer maintenant à la vodka serait renoncer à ce revenu ; de plus, il n’y a aucune raison de croire que l’alcoolisme en serait réduit, car le paysan commencerait à distiller lui-même son eau de vie, s’intoxiquant ainsi avec un alcool impur fabriqué par des moyens de fortune.

Evidemment, le bas niveau culturel de nos campagnes joue ici un certain rôle. Sans compter que la renonciation immédiate au monopole de l’eau-de-vie priverait notre industrie de plus d’un demi­ milliard de roubles, somme qui ne pourrait être tirée d’une autre source.

S’ensuit-il que le monopole de l’alcool doive subsister à l’avenir ? Nullement. Ce n’est qu’une mesure provisoire.

C’est pourquoi, elle devra être supprimée dès que notre économie nationale trouvera de nouvelles sources de revenus pour le développement de notre industrie. Et il n’est pas douteux que nous arriverons à trouver ces sources.

Avons-nous bien fait en laissant entre les mains de l’État la fabrication et la vente de l’eau-de-vie ? Je pense que oui.

Si la vodka était livrée à des particuliers, cela aboutirait : premièrement, à renforcer le capital privé ; deuxièmement, à priver le gouvernement de la possibilité de régler convenablement la production et la consommation de la vodka ; troisièmement, à rendre plus difficile la suppression, dans un avenir prochain, de la production et de la consommation de la vodka.

A l’heure actuelle, notre politique consiste à réduire peu à peu la production de la vodka. Je pense que, dans un avenir prochain, nous réussirons à supprimer complètement ce monopole, à réduire la production de l’alcool jusqu’au minimum nécessaire pour l’industrie et, ensuite, à liquider complètement la vente de l’eau-de-vie.

Je pense que nous n’aurions affaire ni avec la vodka ni avec beaucoup d’autres choses désagréables si les prolétaires d’Europe occidentale prenaient le pouvoir et nous fournissaient l’aide dont nous avons besoin.

Mais que faire ? Nos frères d’Europe occidentale, pour le moment, ne veulent pas prendre le pouvoir, et nous sommes obligés de nous débrouiller par nos propres moyens. Ce n’est déjà plus notre faute.

Telles sont les circonstances. Mais, comme vous le voyez, une part de la responsabilité du monopole de la vodka retombe sur nos amis de l’Europe occidentale. (Rires, applaudissements.)

Septième question. — Droits judiciaires de la Guépéou, jugements sans témoins et sans défenseurs, arrestations secrètes. Ces mesures étant difficiles à faire admettre par l’opinion publique française, il serait intéressant d’en connaître la raison d’être. Pense-t-on les changer ou les supprimer ?

Réponse. — La Guépéou ou Tchéka est l’organe punitif du pouvoir soviétique. Cet organe est plus ou moins analogue au Comité de Salut public créé pendant la grande Révolution française. Il punit surtout les espions, les conspirateurs, les terroristes, les bandits, les spéculateurs, les faux-monnayeurs.

C’est en quelque sorte un tribunal militaire-politique créé pour protéger les intérêts de la révolution contre les attentats des bourgeois contre-révolutionnaires et de leurs agents.

Cet organe a été créé au lendemain de la révolution d’Octobre, aprèsla découverte de toute sorte d’organisations terroristes, d’espionnage

et de conjuration, financées par les capitalistes russes et étrangers.

Cet organe s’est développé et renforcé après la perpétration de plusieurs attentats terroristes contre les hommes d’État soviétiques ; après l’assassinat du camarade Ouritski, membre du Comité révolutionnaire de Léningrad, qui fut tué par un s.-r.; après l’assassinat du camarade Volodarski, membre du même Comité révolutionnaire de Léningrad et également tué par un s.-r.; après l’attentat contre la vie de Lénine (blessé par un membre du parti des s.-r.).

Il faut reconnaître que la Guépéou, lorsqu’elle portait des coups aux ennemis de la révolution, frappait juste et sans rater. D’ailleurs, elle a conservé cette qualité jusqu’à ce jour. Depuis sa création, la Guépéou, est une terreur pour la bourgeoisie, la sentinelle vigilante de la révolution, le glaive du prolétariat.

Il n’est pas étonnant que les bourgeois de tous les pays nourrissent contre la Guépéou une haine bestiale. On fait courir sur elle les légendes les plus fantastiques, on répand les calomnies les plus monstrueuses sur son action.

Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que la Guépéou défend bien les intérêts de la révolution. Les ennemis jurés de la révolution hurlent contre la Guépéou ; donc la Guépéou travaille bien.

Les ouvriers n’ont pas la même opinion de la Guépéou. Allez dans les quartiers ouvriers et questionnez les ouvriers à ce sujet. Vous verrez l’estime qu’ils ont pour la Guépéou. Pourquoi ? Parce qu’ils voient en elle le défenseur fidèle de la révolution. Je comprends la haine et la méfiance des bourgeois contre la Guépéou.

Je comprends les voyageurs bourgeois qui, venant en U.R.S.S., commencent par demander si la Guépéou subsiste encoreou s’il n’est pas temps de la liquider. Tout cela est compréhensible et nullement étonnant.

Mais je ne peux comprendre certains délégués ouvriers qui, venant en U.R.S.S., demandent anxieusement : Y a-t-il beaucoup de contre-révolutionnaires punis par la Guépéou ? Punira-t-on encore les terroristes et les conjurateurs qui complotent contre le pouvoir soviétique ?

N’est-il pas temps de mettre fin à l’existence de la Guépéou ? D’où vient chez certains délégués ouvriers cette sollicitude pour les ennemis de la révolution prolétarienne ?

Comment l’expliquer ? Comment la justifier ? On prêche la plus grande indulgence, on conseille de supprimer la Guépéou, mais peut-on garantir qu’après la suppression de la Guépéou les capitalistes de tous les pays cesseront d’organiser et de financer les groupes contre-révolutionnaires de conjurateurs, de terroristes, d’incendiaires, de lanceurs de bombes ?

Désarmer la révolution sans avoir la garantie que les ennemis de la révolution seront aussi désarmés, n’est-ce pas une sottise, un crime contre la classe ouvrière ?

Non, camarades, nous ne voulons pas répéter les erreurs des Communards de Paris. Les Communards ont été trop doux pour les Versaillais, et Marx les a autrefois sévèrement critiqués à juste titre.

Ils ont payé cher leur indulgence car, lorsque Thiers est entré à Paris, des dizaines de milliers d’ouvriers ont été fusillés par les Versaillais. Pensez-vous donc, camarades, que les bourgeois et hobereaux russes soient moins sanguinaires que les Versaillais ?

Nous savons en tout cas comment ils châtiaient les ouvriers lorsqu’ils occupaient la Sibérie, l’Ukraine, le nord du Caucase ; lorsqu’ils étaient alliés aux interventionnistes français, anglais, japonais et américains.Je ne veux nullement dire que la situation intérieure du pays nous oblige à avoir des organes révolutionnaires punitifs.

A l’intérieur de l’U.R.S.S., la révolution est si forte, si fermement assise qu’on pourrait peut-être se passer de la Guépéou. Mais les ennemis de l’intérieur ne sont pas solitaires, isolés ; ils sont rattachés par des milliers de liens aux capitalistes de tous les pays, qui les soutiennent de toutes leurs forces, par tous les moyens. Nous sommes un pays entouré d’Etats capitalistes.

Les ennemis intérieurs de notre révolution ne sont que les agents des capitalistes de tous les pays. Les Etats capitalistes sont la base et l’arrière des ennemis de notre révolution. En combattant les ennemis de l’intérieur, nous combattons en même temps les éléments contre-révolutionnaires de tous les pays. Jugez maintenant vous-mêmes si l’on peut, dans ces conditions, se passer d’organes punitifs dans le genre de la Guépéou.

Non, camarades, nous ne voulons pas renouveler les erreurs des Communards de Paris. La Guépéou est indispensable à la révolution et elle vivra, redoutée des ennemis du prolétariat. (Vifs applaudissements.)

Un des délégués. — Permettez-moi, camarade Staline, de vous remercier au nom de tous les délégués ici présents, de nous avoir donné ces explications et d’avoir dissipé les mensonges répandus à l’étranger au sujet de l’U.R.S.S. Ne doutez pas que nous saurons raconter aux ouvriers de chez nous la vérité sur l’U.R.S.S.

Staline. — Ce n’est pas la peine de remercier, camarades, J’estime que mon devoir est de répondre à vos questions et de vous rendre des comptes. Nous, militants soviétiques, nous nous jugeons obligés de rendre des comptes de notre action à nos frères de classe sur tous les points qu’ils désirent éclaircir. Notre Etat est l’enfant du prolétariat mondial.

Nos hommes d’État ne font que leur devoir envers le prolétariat mondial lorsqu’ils rendent des comptes à ses représentants. (Applaudissements.)

=>Oeuvres de Staline

Entretien avec la première délégation ouvrière américaine (Questions)

1927

II ­ Questions du camarade Staline et réponses des délégués Staline. — Si la délégation n’est pas trop fatiguée, je la prierai de m’autoriser à lui poser, à mon tour, quelques questions. (La délégation donne son acquiescement.)

Première question. — Comment expliquer l’infime pourcentage des ouvriers syndiqués en Amérique ? Je crois que l’Amérique compte 17 millions d’ouvriers industriels. (Les délégués indiquent que ce nombre est de 18 à 19 millions.) Les ouvriers syndiqués ne sont qu’au nombre de trois millions. (Les délégués indiquent que la Fédération américaine du travail compte trois millions environ d’ouvriers organisés et que dans les autres syndicats il y a, en outre, près de cinq cent mille ouvriers syndiqués, ce qui porte à trois millions et demi le nombre total des ouvriers syndiqués.

A mon avis c’est là un pourcentage très faible des ouvriers organisés.

Chez nous, en U.R.S.S., 90 % des prolétaires sont syndiqués. Je veux demander aux délégués s’ils considèrent comme favorable ce degré relativement faible d’organisation des ouvriers d’Amérique.

La délégation ne pense-t-elle pas que c’est là un indice de faiblesse du prolétariat américain, de faiblesse de ses moyens de lutte contre les capitalistes dans le domaine économique ?

Brophi. — Les effectifs peu nombreux des syndicats s’expliquent non par la tactique peu réussie des organisations syndicales, mais par la situation économique générale du pays, qui, étant favorable, ne pousse pas toute la masse des ouvriers à s’organiser et rétrécit lalutte de la classe ouvrière contre les capitalistes. Certes, cette situation changera ; parallèlement, les syndicats se renforceront et le mouvement syndical tout entier empruntera une autre voie.

Douglas. — Je partage le point de vue émis par l’orateur précédent.

Je voudrais seulement y ajouter ceci. D’abord, il ne faut pas perdre de vue que depuis quelque temps, les capitalistes des Etats-Unis ont d’eux-mêmes porté les salaires à un niveau très élevé. Ce relèvement des salaires a eu lieu en 1917, 1919 et plus récemment.

En comparant le salaire réel d’aujourd’hui à celui de 1911, on constate que le premier est considérablement plus élevé. Le mouvement syndical, au cours de son développement, était basé, avant comme aujourd’hui, sur le principe de l’organisation par métiers, par professions, et les syndicats étaient formés surtout à l’intention des ouvriers qualifiés.

Ces syndicats étaient dirigés par des chefs représentant une organisation fermée et s’efforçant d’obtenir de bonnes conditions pour leurs membres. Rien n’incitait ces chefs à élargir les cadres des syndicats et à y attirer des ouvriers non qualifiés.

En outre, le mouvement syndical américain doit compter avec un capitalisme admirablement organisé qui dispose de tous les moyens nécessaires pour contrecarrer l’organisation des ouvriers en syndicats.

Si une industrie trustifiée se heurte, dans une des ses entreprises, à la résistance trop vigoureuse du syndicat, elle va jusqu’à fermer cette entreprise, quitte à transférer cette production dans l’une de ses autres entreprises.

Et la résistance du syndicat se trouve ainsi brisée.

Le capitalisme américain relève les salaires de sa propre initiative, mais sans donner aux ouvriers le moindre pouvoir économique ni lapossibilité de lutter pour leur mieux-être.

Un autre facteur très important en Amérique, c’est que les capitalistes attisent la haine nationale entre les ouvriers de différentes nationalités. La plupart du temps, les ouvriers non qualifiés sont des émigrés d’Europe et, depuis quelque temps, des travailleurs noirs. Les capitalistes sèment la discorde entre ouvriers de différentes nationalités.

Cette division des ouvriers par nationalités se pratique parmi les ouvriers aussi bien qualifiés que non qualifiés. Les capitalistes sèment de façon systématique l’antagonisme entre les travailleurs de différentes nationalités, sans égard à la qualification de leur travail.

Depuis dix ans, le capitalisme américain fait une politique plus éclairée, en ce sens qu’il crée des syndicats à lui, dits company-unions. Il recrute des ouvriers, les intéresse aux bénéfices de l’entreprise, etc. Le capitalisme américain manifeste la tendance de substituer la division verticale à la division horizontale, autrement dit, de scinder la classe ouvrière, en l’amadouant et en l’intéressant aux bénéfices de l’entreprise.

Coyle. — J’examinerai la question du point de vue pratique et non du point de vue théorique. J’estime que les ouvriers se laissent plus facilement organiser quand la situation est favorable. Seulement, la statistique des adhérents à la Fédération américaine du travail montre que cette fédération perd de plus en plus ses adhérents non-qualifiés et augmente le nombre de ses membres qualifiés.

La Fédération américaine du travail tend ainsi à devenir surtout une organisation pour travailleurs qualifiés. Le mouvement syndical en Amérique n’englobe presque pas les travailleurs non qualifiés. Il est des branches d’industrie importantes qui ne sont pas atteintes par le mouvement syndical.

Parmi ces principales branches d’industrie, seuls les mineurs et les cheminots sont organisés jusqu’à un certain point ; il n’en reste pas moins que l’industrie houillère compte 65 % d’ouvriers non syndiqués.

Dans la fonderie d’acier, le caoutchouc et l’automobile, les ouvriers ne sont presque pas du tout organisés. On peut dire que les syndicats n’ont pas de membres non qualifiés.

Il existe en dehors de la Fédération américaine du travail une série de syndicats indépendants qui s’efforcent d’organiser les ouvriers non qualifiés et semi-qualifiés.

Quant à la position des chefs de la Fédération américaine du travail, l’un d’entre eux, le président de l’Union des métaux, a déclaré ouvertement ne pas vouloir recruter pour son union des ouvriers non qualifiés. Les chefs syndicaux forment une caste à part, composée de quelques dizaines de personnes bien rétribuées (jusqu’à dix mille dollars et au-delà par an), et entièrement inaccessible.

Dunne. — La question posée par le camarade Staline n’est pas équitable, car, si les syndicats de son pays groupent plus de 90 % de travailleurs, c’est que le pouvoir est exercé par la classe ouvrière, alors que dans les pays capitalistes les ouvriers sont une classe opprimée et la bourgeoisie y prend toutes les mesures pour les empêcher de s’organiser syndicalement.

En outre, dans les pays capitalistes, il existe des syndicats réactionnaires dirigés par des chefs réactionnaires. Etant donné les conditions actuelles où vivent les ouvriers américains, il est très difficile de faire pénétrer dans l’esprit des ouvriers l’idée syndicale.

Voilà la raison pour laquelle le mouvement syndical a une si faible extension en Amérique.Staline. — Le dernier orateur est-il d’accord avec l’orateur précédent pour affirmer que certains chefs syndicaux américains cherchent à rétrécir le mouvement syndical ?

Dunne. — Oui, je suis d’accord.

Staline. — Je ne voudrais faire affront à personne. Je voulais tout simplement me rendre compte de la différence entre la situation en U.R.S.S. et celle en Amérique. Si j’ai froissé quelqu’un, je le prie de m’excuser. (Rires parmi les délégués.)

Dunne. — Je ne suis nullement froissé.

Staline. — Existe-t-il en Amérique des assurances sociales aux frais de l’État.

Un des délégués. — Il n’en existe pas du tout.

Coyle. — Dans la plupart des Etats on accorde une indemnité en cas d’accident de travail, indemnité qui ne dépasse pas les 30 % de l’invalidité contractée.

Cela se pratique dans la plupart des Etats. Le payement s’effectue par les maisons où l’ouvrier a perdu sa capacité de travail, la loi obligeant le patronat à cette compensation.

Staline. — Y a-t-il en Amérique l’assurance contre le chômage aux frais de l’État?

Un des délégués. — Non, le fonds d’assurance contre le chômage ne peut satisfaire que 80 à 100.000 chômeurs dans tous les Etats.

Coyle. — Il y a l’assurance (non par l’État) contre les accidents de travail industriels, c’est-à-dire accidents survenus sur le chantier ou dans l’atelier.Mais l’invalidité par suite de vieillesse ou de maladie n’est pas assurée. Le fonds d’assurance est alimenté.par les cotisations ouvrières.

A vrai dire, toutes ces sommes sont versées par les ouvriers eux-mêmes, car, si ces derniers n’entretenaient pas ce fonds, ils recevraient un supplément de salaire ; or, la formation de ce fonds étant réglée par un accord commun entre ouvriers et patronat, les ouvriers touchent un supplément de salaire moins grand. Les versements des ouvriers sont presque l’unique source alimentant ce fonds.

Le patronat ne verse, en fait, qu’une partie infime de la somme totale, soit 10 % environ.

Staline. — Je crois que les camarades auront intérêt à apprendre que nous dépensons en U.R.S.S. plus de 800 millions de roubles par an pour les assurances sociales aux frais de l’État.

Vous apprendrez avec non moins d’intérêt que les ouvriers de chez nous touchent, à titre supplémentaire, en dehors de leur salaire en espèces, un tiers environ du salaire pour des assurances, l’amélioration des conditions d’existence, les besoins culturels, etc.

Deuxième question. — Comment expliquer l’absence aux Etats-Unis d’Amérique d’un parti ouvrier de masse ? La bourgeoisie américaine dispose de deux partis, — républicain et démocrate — alors que les ouvriers américains n’ont pas leur propre parti de masse.

Les camarades ne pensent-ils pas que l’absence d’un parti ouvrier de masse comme, par exemple, le Labour Party anglais, affaiblit la classe ouvrière dans sa lutte politique contre les capitalistes ? Et puis, pourquoi les chefs du mouvement ouvrier d’Amérique, Green et d’autres, se prononcent-ils nettement contre la fondation d’un parti ouvrier en Amérique ?Brophi. — En effet, les leaders ont décidé qu’il n’y avait aucune nécessité de fonder en Amérique un parti ouvrier. Cependant, il est une minorité pour laquelle la fondation d’un tel parti s’impose.

La situation objective en Amérique est aujourd’hui telle que, comme on vient de le dire, le mouvement syndical est très faiblement développé aux Etats-Unis.

Cet état de choses s’explique par le fait que la classe ouvrière n’éprouve pas, pour le moment, le besoin de s’organiser et de lutter contre les capitalistes, ceux-ci relevant d’eux-mêmes les salaires des ouvriers auxquels ils assurent une situation matérielle convenable.

Staline. — Oui, mais c’est surtout la situation des ouvriers qualifiés qui est améliorée. Il y a là une contradiction.

D’une part, il semble que l’organisation n’est pas nécessaire, les ouvriers ayant une situation assurée ; de l’autre, on nous dit que les syndicats groupent dans leur sein justement les ouvriers qualifiés, c’est-à-dire les mieux assurés ; et enfin, il ressort des déclarations des délégués que les ouvriers semi-qualifiés, qui auraient le plus besoin d’une organisation syndicale, ne sont pas syndiqués. Je n’arrive pas à comprendre cette contradiction.

Brophi. — Oui, il y a là une contradiction, mais la réalité américaine n’est pas moins contradictoire, au point de vue économique et politique.

Brebner. — Sans être organisés syndicalement, les ouvriers non qualifiés jouissent du droit politique de vote. En sorte que les ouvriers non qualifiés peuvent, au besoin, exprimer leur mécontentement, en usant de leur droit de vote.

D’autre part, les ouvriers syndiqués, s’ils traversent une périodedifficile, ne s’adressent pas au syndicat, mais utilisent leur droit de

vote. De la sorte, le droit politique de vote compense l’absence d’organisation syndicale.

Israels. — L’obstacle le plus important est le système électoral en vigueur aux Etats-Unis d’Amérique. Aux élections présidentielles, n’est pas élu celui qui réunit la majorité des voix de l’ensemble du pays, ou même la majorité des voix d’une classe donnée.

Chacun des Etats possède des collèges électoraux, chacun des Etats bénéficie d’un nombre déterminé de voix qui participent aux élections du président. Pour être élu, ce dernier doit avoir recueilli 51 % des suffrages. S’il y avait trois ou quatre partis, le président ne serait jamais élu, et les élections seraient transférées au congrès.

Tel est l’argument qu’on fait valoir contre la fondation d’un troisième parti. Les adversaires de la création d’un troisième parti raisonnent ainsi : Ne posez pas de troisième candidature, car vous diviserez les voix du parti libéral et empêcherez d’élire le candidat de ce parti.

Staline. — Cependant, le sénateur La Follette a créé en son temps un troisième parti bourgeois. Donc, un troisième parti, s’il est bourgeois, ne saurait provoquer la division des voix, et s’il est ouvrier, il est susceptible de diviser les voix.

Davies. — J’estime que le fait signalé par l’orateur précédent n’est pas essentiel. A mon sens, le fait fondamental consiste en ceci. Je prendrai, à titre d’exemple, la ville où j’habite. Pendant la campagne électorale, le représentant de tel ou tel parti arrive et confie un poste responsable au chef de l’organisation syndicale donnée ; en connexion avec la campagne électorale, il remet au chef syndical des fonds dont celui-ci dispose pour ses fins personnelles ; en outre, le poste confié lui confère un certain prestige.

Ainsi, les chefs syndicaux deviennent partisans de tel ou tel parti bourgeois. On conçoit donc que lorsque la question se pose de

fonder un troisième parti, un parti ouvrier, ces chefs syndicaux ne font rien pour faire aboutir le projet. Ils invoquent l’argument que la fondation d’un troisième parti ne fera qu’apporter la scission dans le mouvement syndical.

Douglas. — Le fait que les syndicats groupent uniquement des travailleurs qualifiés s’explique surtout par le droit d’entrée et les cotisations élevées imposées aux membres des syndicats, cotisations qui exigent une situation matérielle assurée.

Toutes ces conditions faisant défaut chez les ouvriers non qualifiés.

En outre, ces derniers sont menacés de renvoi s’ils essaient de s’organiser syndicalement. Les ouvriers non qualifiés pourraient se syndiquer uniquement avec le concours actif des ouvriers qualifiés.

Or, la plupart du temps, ce concours leur fait défaut.

C’est ce point qui constitue l’un des obstacles les plus importants à l’organisation syndicale des travailleurs non qualifiés. Les ouvriers défendent leurs droits, en faisant valoir surtout les libertés constitutionnelles.

Telle est pour moi la principale raison pour laquelle les ouvriers non qualifiés ne sont pas syndiqués. J’estime que la base économique est la raison essentielle du manque d’organisation des ouvriers non qualifiés dans le domaine syndical et politique.

Je dois signaler une particularité du système électoral américain : ce sont les élections directes permettant à tout citoyen de fréquenter les réunions électorales, de se dire démocrate ou républicain et de voter.

Je crois que Gompers ne pourrait pas garder ses effectifs avec un programme apolitique, s’il ne tirait pas argument des élections directes.

Il a toujours répété aux ouvriers que s’ils veulent de l’action politique, ils n’ont qu’à entrer dans un des deux partis politiques

existants, y conquérir tel ou tel poste et y gagner de l’autorité. C’est avec cet argument que Gompers a pu empêcher les ouvriers d’organiser la classe ouvrière et de fonder un parti ouvrier.

Troisième question. — D’où vient que dans le problème de la reconnaissance de l’U.R.S.S., les chefs de la Fédération américaine du travail se révèlent plus réactionnaires que bien des bourgeois ? Comment se fait-il que des bourgeois tels que M. Borah et d’autres, se prononcent pour la reconnaissance de l’U.R.S.S. tandis que les leaders du mouvement ouvrier américain, depuis Gompers jusqu’à Green, ont fait et continuent à faire une propagande des plus réactionnaire contre la reconnaissance de la première République ouvrière, contre la reconnaissance de l’U.R.S.S.?

Comment se fait-il qu’un réactionnaire aussi avéré que l’ex-président de l’Amérique du Nord, Woodrow Wilson, ait cru possible de « saluer » la Russie soviétique, tandis que Green et les autres chefs de la Fédération américaine du travail veulent être plus réactionnaires que les capitalistes ?

Voici le message de sympathie adressé par Woodrow Wilson en mars 1918 au congrès des Soviets de Russie au moment où les troupes du kaiser marchaient sur le Pétrograd soviétique : « Par l’intermédiaire du congrès des Soviets, je voudrais, au nom des peuples des Etats-Unis, exprimer ma sympathie sincère au peuple russe, surtout à l’heure actuelle où l’Allemagne a expédié des forces armées à l’intérieur du pays afin d’entraver la lutte pour la liberté, d’anéantir toutes ses conquêtes et de réaliser les menées germaniques tendant à asservir le peuple russe.

Bien que, à l’heure actuelle, le gouvernement des Etats-Unis ne soit pas en état, malheureusement, d’apporter à la Russie un secours direct, comme il l’aurait désiré, je voudrais donner l’assurance aupeuple russe, par l’intermédiaire du congrès des Soviets, que le gouvernement des Etats-Unis usera de tous les moyens pour assurer de nouveau à la Russie la souveraineté absolue et l’indépendance complète dans ses affaires intérieures, ainsi que le rétablissement intégral de son grand rôle dans la vie de l’Europe et de l’humanité moderne.

Le peuple des Etats-Unis sympathise de tout cœur avec le peuple russe dans son aspiration à se libérer à jamais de l’autocratie et à devenir maître de ses destinées. » (Pravda, n° 50 du 16 mars 1918.) Est-il normal que les chefs de la Fédération américaine du travail cherchent à se montrer plus réactionnaires que le réactionnaire Wilson ?

Brophi. — Je ne saurais préciser la chose, mais j’estime que les raisons pour lesquelles la Fédération américaine du travail n’adhère pas à l’Internationale d’Amsterdam sont celles pour lesquelles les leaders de cette fédération sont contre la reconnaissance de la Russie soviétique.

La différence consiste dans la philosophie spéciale des ouvriers américains ainsi que dans la situation économique de ces ouvriers et des ouvriers européens.

Staline. — Mais, les chefs de la Fédération américaine du travail, que je sache, n’objectent rien à la reconnaissance de l’Italie ou de la Pologne où règnent les fascistes.

Brophi. — En citant, à titre d’exemple, la Pologne et l’Italie, où le pouvoir est exercé par des gouvernements fascistes, vous expliquez par là même la raison de la non-reconnaissance de l’U.R.S.S. par les Etats-Unis. L’attitude d’hostilité envers l’U.R.S.S. s’explique par les ennuis que les chefs syndicaux américains ont à subir dans leurs rapports avec leurs propres communistes.Dunne. — La raison invoquée par l’orateur précédent, — à savoir que les chefs du mouvement syndical américain s’affirment contre la reconnaissance de l’U.R.S.S. par suite de désaccords avec leurs propres communistes — n’est pas convaincante. Les chefs du mouvement syndical américain se livraient à une propagande contre la reconnaissance de l’U.R.S.S. bien avant la fondation du P.C. américain. —

La raison véritable est que les chefs de la Fédération américaine du travail sont contre tout ce qui frise le socialisme. Dans cet ordre d’idées, ils subissent l’influence des capitalistes dont l’organisation dite la National Civic Fédération s’efforce, par tous les moyens, d’inspirer à toute la société américaine la haine de tout ce qui rappelle le socialisme, sous quelque forme que ce soit. Cette organisation avait pris position contre Ivey Lees qui s’était prononcé pour le développement des rapports commerciaux de l’Amérique avec l’U.R.S.S.

Voici ce que disaient les dirigeants de cette organisation : Pourrions-nous mettre de l’ordre dans notre classe ouvrière quand les libéraux se livrent à cette propagande ?

La National Civic Fédération est un groupe de capitalistes qui ont investi des fonds considérables dans cette organisation dont ils sont les maîtres. A noter que le poste de vice-président de cette association réactionnaire, est assuré par le vice-président de la Fédération américaine du travail, Matthew Woll.

Brophi. — Les raisons invoquées par les orateurs précédents pour expliquer la mentalité réactionnaire des dirigeants syndicaux ne sont pas essentielles. Cette question doit être étudiée plus à fond.

La présence d’une délégation américaine en U.R.S.S. est la meilleure réponse et un témoignage de la sympathie d’une fraction des ouvriers américains envers l’U.R.S.S. Je crois que l’opinion des dirigeants de la Fédération américaine du travail, quant à l’U.R.S.S., ne diffère pas de l’opinion de la majorité de la classe ouvrière d’Amérique.

Or, la position de la majorité de la classe ouvrière d’Amérique s’explique par l’éloignement où se trouve l’U.R.S.S. La classe ouvrière américaine se désintéresse des problèmes internationaux ; d’autre part, dans la question de la reconnaissance de l’U.R.S.S., la classe ouvrière subit fortement l’influence de la bourgeoisie.

=>Oeuvres de Staline

Staline : La contre-révolution internationale

Akhali Tskhovréba [la Vie Nouvelle] n°20, 14 juillet 1906.
Signé : Koba. Traduit du géorgien.

La Russie d’aujourd’hui rappelle en bien des points la France du temps de la grande révolution. Cette ressemblance se manifeste, entre autres, en ce que, chez nous comme en France, la contre-révolution s’étend et, à l’étroit dans ses propres frontières, s’allie à la contre-révolution des autres Etats ; elle revêt peu à peu un caractère international.

En France, l’ancien régime avait conclu une alliance avec l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse ; il appela leurs armées à son aide et engagea l’offensive contre la révolution populaire. En Russie, l’ancien régime conclut une alliance avec les empereurs d’Allemagne et d’Autriche ; il entend appeler leurs armées à son aide et noyer dans le sang la révolution populaire.

Il y a à peine un mois, des bruits précis couraient que « la Russie » et « l’Allemagne » menaient des pourparlers secrets. (Voir la Sévernaïa Zemlia [1], n°3).

Par la suite, ces bruits se sont répandus avec une insistance croissante. Maintenant les choses en sont venues au point que le journal ultra-réactionnaire la Rossia [2] déclare explicitement que les fauteurs de l’actuelle situation difficile de « la Russie » (c’est-à-dire de la contre-révolution) sont les éléments révolutionnaires.

« Le gouvernement impérial allemand, déclare le journal, se rend parfaitement compte de cette situation ; aussi a-t-il pris toute une série de mesures appropriées qui ne manqueront pas d’aboutir aux résultats souhaités ». Il s’avère que ces mesures consistent en ceci : « l’Autriche » et « l’Allemagne » se préparent à envoyer des troupes pour venir en aide à « la Russie » au cas où la révolution russe remporterait des succès.

Elles se sont déjà entendues à ce sujet et ont déclaré que « dans certaines conditions l’Intervention active dans les affaires intérieures de la Russie, pour réprimer ou limiter le mouvement révolutionnaire, pourrait être désirable et utile… ». Ainsi parle la Rossia.

Comme on le voit, la contre-révolution internationale fait depuis longtemps de grands préparatifs. On sait que, depuis longtemps déjà, elle apporte une aide financière à la Russie contre-révolutionnaire dans sa lutte contre la révolution. Mais elle ne s’en est pas tenue là. Aujourd’hui, visiblement, elle a décidé de lui venir en aide en envoyant aussi des troupes.

Après cela, même un enfant comprendrait sans peine le sens véritable de la dissolution de la Douma, ainsi que des « nouvelles » dispositions de Stolypine [3] et des « vieux » pogroms de Trépov [4]…

Il est à présumer qu’après cela se dissiperont les espoirs fallacieux de différents libéraux et autres gens naïfs ; ils se convaincront enfin que nous n’avons pas de « constitution », que nous sommes en guerre civile et que la lutte doit être menée militairement.

Mais la Russie d’aujourd’hui ressemble à la France de jadis à un autre point de vue encore. A cette époque, la contre-révolution internationale avait provoqué un élargissement de la révolution ; la révolution déborda des frontières de la France et, tel un torrent puissant, se répandit sur l’Europe. Si les « têtes couronnées » de l’Europe s’unissaient dans une alliance commune, les peuples de l’Europe, eux aussi, se tendaient la main. Aujourd’hui, nous constatons le même phénomène en Russie. « La taupe creuse bien »…

La contre-révolution de Russie, en s’unissant à la contre-révolution européenne, élargit sans cesse la révolution ; elle unit entre eux les prolétaires de tous les pays et pose les fondements d’une révolution internationale.

Le prolétariat de Russie marche à la tête de la révolution démocratique ; il tend une main fraternelle, il s’unit au prolétariat européen qui commencera la révolution socialiste. Comme on le sait, après la manifestation du 9 janvier, de grands meetings se sont déroulés dans toute l’Europe. L’action de décembre a provoqué des manifestations en Allemagne et en France.

Sans aucun doute, la prochaine action de la révolution russe fera se lever, d’une façon plus résolue encore, le prolétariat européen. La contre-révolution internationale ne fera que fortifier et approfondir, renforcer et consolider la révolution internationale. Le mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » trouvera son expression véritable.

Eh bien, messieurs, travaillez, travaillez ! La révolution russe, qui s’élargit sera suivie de la révolution européenne, — et alors… alors sonnera la dernière heure non seulement des survivances du servage, mais aussi de votre capitalisme bien-aimé. Oui, messieurs les contre-révolutionnaires, vous « creusez bien ».

Notes

[1] La Sévernaïa Zemlia [la Terre du Nord], quotidien bolchévik légal ; parut à Pétersbourg du 23 au 28 juin 1906.

[2] La Rossia [la Russie], journal quotidien de caractère policier ultra-réactionnaire, parut de novembre 1905 à avril 1914. Organe du ministère de l’Intérieur.

[3] En juin et juillet 1906, le ministre de l’intérieur P. Stolypine envoya aux autorités locales des instructions en vue de réprimer impitoyablement, par la force armée, le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans et de liquider des organisations révolutionnaires.

[4] D. Trépov, gouverneur général de Pétersbourg, dirigea la répression de la révolution de 1905.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Sur la question actuelle

Discours prononcé à la quinzième séance
du IVe congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie
le 17 (30) avril 1906

Ce n’est un secret pour personne que, dans le développement de la vie sociale et politique de la Russie, deux chemins se dessinent : celui des pseudo-réformes et celui de la révolution.

De même, il est évident que les gros industriels et les grands propriétaires fonciers, avec le gouvernement tsariste à leur tête, prennent le premier chemin, tandis que la paysannerie révolutionnaire et la petite bourgeoisie, avec le prolétariat à leur tête, prennent le second.

La crise qui s’étend dans les villes et la famine dans les campagnes rendent inévitables une nouvelle explosion. Les hésitations sont donc en l’occurrence inadmissibles : ou bien la révolution monte, et nous ne devons la mener à son terme, ou bien elle décroît, et nous ne pouvons ni ne devons nous assigner une pareille tâche.

Roudenko a tort de penser que cette façon de poser le problème n’est pas dialectique. Roudenko cherche une voix médiane ; il veut dire que la révolution monte et ne monte pas, qu’il faut la mener à son terme et qu’il ne le faut pas, car, selon lui, la dialectique oblige précisément à poser ainsi la question !

C’est autrement que nous comprenons la dialectique de Marx…

Ainsi, nous sommes à la veille d’une nouvelle explosion, la révolution monte, et nous devons la mener à son terme.

Nous sommes tous d’accord là-dessus. Mais dans quelles conditions pouvons-nous et devons-nous le faire : dans celles de l’hégémonie du prolétariat ou de l’hégémonie de la démocratie bourgeoise ?

C’est là que commence la divergence fondamentale.

Déjà dans Deux dictatures, le camarade Martynov déclarait que l’hégémonie du prolétariat dans la révolution bourgeoise actuelle est une utopie dangereuse. La même idée perce dans son discours d’hier. Les camarades qui l’ont applaudi sont, sans doute, d’accord avec lui.

S’il en est ainsi, si, d’après les camarades menchéviks, il nous faut non pas l’hégémonie du prolétariat, mais l’hégémonie de la bourgeoisie démocratique, il va de soi que nous ne devons prendre de part active et directe ni à l’organisation de l’insurrection armée, ni à la prise du pouvoir. Tel est le « schéma » des menchéviks.

Au contraire, si les intérêts de classe du prolétariat conduisent à son hégémonie, si le prolétariat doit marcher, non en queue, mais à la tête de la révolution en cours, il va de soi que le prolétariat ne peut renoncer ni à une participation active à l’organisation de l’insurrection armée, ni à la prise du pouvoir.

Tel est le « schéma » des bolchéviks.

Ou bien l’hégémonie du prolétariat, ou bien l’hégémonie de la bourgeoisie démocratique, voilà comment se pose la question dans le parti, voilà sur quoi portent nos divergences.

=>Oeuvres de Staline

Staline : La lutte des classes

L’Akhali Droéba [le Temps nouveau]2 1, 14 novembre 1906.
Signé : K…
Traduit du géorgien.

   « L’union de la bourgeoisie ne peut être ébranlée que par l’union du prolétariat. » Karl Marx.

La vie actuelle est bien compliquée ! Ce n’est, partout que classes et groupes divers : grande, moyenne et petite bourgeoisie ; grands, moyens et petits féodaux ; apprentis, manoeuvres et ouvriers d’usines qualifiés ; haut, moyen et bas clergé ; haute, moyenne et petite bureaucratie ; intellectuels de toute sorte, et d’autres groupes encore, tel est le tableau bigarré que présente notre vie !

Mais ce qui est non moins évident, c’est que plus la vie se développe, et plus clairement s’affirment dans cette vie compliquée deux tendances fondamentales, plus nettement cette vie compliquée se divise en deux camps opposés : celui des capitalistes et celui des prolétaires. Les grèves économiques de janvier (1905) ont montré clairement que la Russie se divise effectivement en deux camps. Les grèves de novembre à Pétersbourg (1905) et les grèves de juin-juillet dans toute la Russie (1906) ont mis aux prises les chefs de l’un et de l’autre camp ; ce faisant, elles ont mis à nu les contradictions de classes actuelles. Depuis lors, le camps des capitalistes veille jour et nuit ; il se livre à une préparation fiévreuse et incessante : des unions locales de capitalistes se créent, les unions locales se groupent en unions régionales, les unions régionales en unions panrusses ; on fonde des caisses et des journaux ; on convoque des conférences et des congrès panrusses de capitalistes…

C’est ainsi que les capitalistes s’organisent en une classe distincte pour mater le prolétariat.

D’un autre côté le camp des prolétaires veille, lui aussi. Ici également on se prépare fiévreusement à la bataille qui vient.

Malgré les poursuites de la réaction, ici également on fonde des syndicats locaux ; les syndicats locaux se groupent en syndicats régionaux ; on fonde des caisses syndicales ; la presse syndicale se développe ; on convoque des congrès et des conférences de syndicats ouvriers pour toute la Russie…

Comme on le voit, les prolétaires s’organisent, eux aussi, en une classe distincte pour mater l’exploitation.

Il fut un temps où « le calme et la tranquillité » régnaient dans la vie.

Alors, on ignorait ces classes et leurs organisations. Bien entendu, il y avait également lutte à l’époque, mais cette lutte présentait un caractère local, et non un caractère de classe généralisé : les capitalistes n’avaient pas d’union à eux, et chacun d’eux était obligé de venir à bout de « ses » ouvriers par ses propres forces.

Les ouvriers non plus n’avaient pas de syndicats ; en conséquence, ceux de chaque usine ne pouvaient compter que sur leurs propres forces. Les organisations social-démocrates locales dirigeaient, il est vrai, la lutte économique des ouvriers, mais chacun conviendra que cette direction était faible et occasionnelle : les organisations social-démocrates n’arrivaient pas même à régler les affaires du parti.

Les grèves économiques de janvier ont marqué un tournant. Les capitalistes se sont inquiétés et ont commencé à organiser des unions locales.

Des unions de capitalistes de Pétersbourg, de Moscou, de Varsovie, de Riga et d’autres villes ont vu le jour à la suite des grèves de janvier. Quant aux capitalistes des industries du pétrole, du manganèse, du charbon et du sucre, ils ont transformé leurs anciennes unions « pacifiques » en unions « de lutte » et se sont mis à fortifier leurs positions.

Mais les capitalistes ne s’en sont pas tenus là. Ils ont décidé de constituer une union pour toute la Russie ; et voilà qu’en mars 1905, sur l’initiative de Morozov, ils se sont réunis en un congrès général à Moscou.

Ce fut le premier congrès panrusse des capitalistes. Ils y ont conclu un accord, par lequel ils s’engagent à ne faire aucune concession aux ouvriers sans s’être concertés au préalable et, « dans les cas extrêmes », à déclarer le lock-out (1).

Dès lors commence une lutte acharnée des capitalistes contre les prolétaires. Dès lors commence en Russie une série de grands lock-outs. Pour lutter sérieusement, il faut une union sérieuse, et les capitalistes décidèrent de s’assembler encore une fois pour fonder une union plus étroite.

C’est ainsi que trois mois après le premier congrès était convoqué à Moscou un second congrès panrusse des capitalistes (juillet 1905). Ils y ont confirmé les résolutions de leur premier congrès ; ils ont reconnu la nécessité des lock-outs et nommé un bureau qui devait élaborer leurs statuts et s’occuper de la convocation d’un nouveau congrès.

Entre temps, les résolutions des congrès étaient mises en application. Les faits ont montré que les capitalistes appliquaient exactement leurs résolutions. Si l’on se rappelle les lock-outs déclarés par les capitalistes à Riga, Varsovie, Odessa, Moscou et dans d’autres grandes villes ; si l’on se rappelle les journées de novembre où 72 capitalistes menacèrent d’un lock-out impitoyable 200.000 ouvriers pétersbourgeois, on comprendra facilement quelle force importante représente l’union panrusse des capitalistes et avec quelle exactitude ils appliquent les résolutions de leur union.

Puis, après le deuxième congrès, les capitalistes en ont convoqué encore un autre (janvier 1906) ; enfin, en avril de cette année, a eu lieu le congrès constituant des capitalistes de Russie, qui a adopté un statut unique et élu le Bureau central. D’après les journaux, ce statut est déjà approuvé par le gouvernement.

Ainsi, il est hors de doute que la grande bourgeoisie de Russie s’est désormais organisée en une classe distincte ; elle possède ses organisations à l’échelle locale, régionale et centrale et elle peut mobiliser les capitalistes de toute la Russie d’après un plan d’ensemble.

Baisse des salaires, prolongation de la journée de travail, affaiblissement du prolétariat et destruction de ses organisations : tels sont les but que s’assigne l’union générale des capitalistes.

En même temps grandissait et se développait le mouvement syndical des ouvriers. Les grèves économiques de janvier 1905 ont eu, ici aussi, leur effet.

Le mouvement a pris un caractère de masse, ses revendications se sont élargies et, avec le temps, il est devenu clair que les organisations social-démocrates ne pouvaient simultanément conduire les affaires du parti et les affaires syndicales.

Une sorte de division du travail entre le parti et les syndicats s’imposait. Il devenait nécessaire que les affaires du parti fussent réglées par les organisations du parti, et les affaires syndicales par les syndicats. C’est alors qu’a commencé l’organisation des syndicats.

A Moscou, Pétersbourg, Varsovie, Odessa, Riga, Kharkov, Tiflis, partout se sont créés des syndicats. Il est vrai que la réaction y faisait obstacle, mais les nécessités du mouvement l’ont emporté et les syndicats se sont multipliés. Peu après les syndicats locaux, ont apparu des syndicats régionaux et enfin, en septembre de l’année dernière, on a convoqué jusqu’à une conférence des syndicats de toute la Russie.

Ce fut la première conférence des syndicats ouvriers. Elle a eu pour résultat, entre autres, de rapprocher les syndicats des différentes villes ; enfin, elle a élu un Bureau central qui devait préparer la convocation d’un congrès général des syndicats. Vinrent les journées d’octobre, et les forces des syndicats doublèrent.

Les syndicats locaux et, enfin, les syndicats régionaux, grandissaient chaque jour. Il est vrai que la « défaite de décembre » a freiné sensiblement la création de syndicats ; mais, par la suite, le mouvement syndical s’est remis à flot et a si bien progressé qu’en février de cette année, une deuxième conférence des syndicats a été convoquée avec une représentation beaucoup plus large et plus complète qu’à la première conférence.

La conférence a reconnu la nécessité de créer des centres locaux et régionaux, de même qu’un centre pour toute la Russie; elle a élu une « commission d’organisation », chargée de convoquer le prochain congrès de Russie, et adopté des résolutions sur les questions urgentes du mouvement.

Ainsi, malgré le déchaînement de la réaction, les prolétaires s’organisent sans aucun doute, eux aussi, en une classe distincte ; ils fortifient inlassablement leurs organisations syndicales à l’échelle locale, régionale et centrale ; ils s’attachent avec la même énergie à grouper contre les capitalistes leurs innombrables frères.

Augmenter les salaires, diminuer la journée de travail, améliorer les conditions de travail, mettre un frein à l’exploitation et faire échec aux unions des capitalistes, tels sont les buts que s’assignent les syndicats ouvriers.

Ainsi, la société moderne se trouve scindée en deux vastes camps ; chacun de ces camps s’organise un une classe distincte ; la lutte des classes allumée entre eux s’approfondit et se renforce chaque jour, et autour de ces deux camps se rassemblent tous les autres groupes.

Marx disait que toute la lutte des classes est une lutte politique. Cela signifie que si, aujourd’hui, les prolétaires et les capitalistes soutiennent les uns contre les autres une lutte économique, demain ils seront obligés de soutenir également une lutte politique et de défendre ainsi leurs intérêts de classe sur un double front de lutte.

Les capitalistes ont leurs intérêts professionnels particuliers. Et c’est pour sauvegarder ces intérêts que leurs organisations économiques existent.

Mais en plus de leurs intérêts professionnels particuliers, ils ont encore des intérêts de classe généraux, qui visent à renforcer le capitalisme. C’est pour défendre ces intérêts généraux qu’ils ont besoin d’une lutte politique et d’un parti politique.

Les capitalistes de Russie  ont tranché cette question très simplement : ils ont vu que le seul parti défende « ouvertement et sans peur » leurs intérêts est le parti des octobristes ; aussi ont-ils décidé de se grouper autour de ce parti et de se soumettre à sa direction idéologique.

Depuis lors, les capitalistes mènent leur lutte politique sous la direction idéologique de ce parti ; avec son appui, ils exercent une influence sur le gouvernement actuel (qui interdit les associations ouvrières, mais se hâte, en revanche,de sanctionner les unions des capitalistes), ils font élire ses candidats à la Douma, etc…

Ainsi, lutte économique à l’aide des unions, lutte politique générale sous la direction idéologique du parti octobriste : telle est la forme que revêt aujourd’hui la lutte de classe de la grande bourgeoisie.

De l’autre côté, dans le mouvement de classe du prolétariat, des phénomènes analogues s’observent à l’heure actuelle. Pour défendre les intérêts professionnels des prolétaires, on fonde des syndicats qui luttent pour l’augmentation des salaires, la diminution de la journée de travail, etc…

Cependant, en plus de leurs intérêts professionnels, les prolétaires ont encore des intérêts de classe généraux qui tendent à la révolution socialiste et à l’instauration du socialisme.

Or, il est impossible d’instaurer la révolution socialiste tant que le prolétariat n’aura pas conquis le pouvoir politique, en tant que classe une et indivisible. C’est pour cette raison que le prolétariat a besoin d’une lutte politique et d’un parti politique, qui assume la direction idéologique de son mouvement politique.

Sans doute, les syndicats ouvriers sont, pour la plupart, sans-parti et neutres. Mais cela signifie simplement qu’ils ne sont indépendants du parti qu’en ce qui concerne les finances et l’organisation, c’est-à-dire qu’ils ont leurs propres caisses, leurs propres dirigeants, qu’ils tiennent leurs propres congrès et ne sont pas obligés, officiellement, de se soumettre aux décisions des partis politiques.

Quant à la dépendance idéologique des syndicats à l’égard de tel ou tel parti politique, elle doit absolument exister, et elle ne peut pas ne pas exister pour la raison, entre autres, que les syndicats comprennent des membres de différents partis, et ceux-ci ne manqueront pas d’y apporter leurs convictions politiques.

Il est clair que si le prolétariat ne peut se passer de lutte politique, il ne peut pas davantage se passer de la direction idéologique de tel ou tel parti politique. Bien plus, il doit lui-même rechercher un parti capable de conduire dignement ses syndicats jusqu’à la « terre promise », jusqu’au socialisme.

Mais là, le prolétariat doit se tenir sur ses gardes et agir avec circonspection. Il doit étudier attentivement le bagage idéologique des partis politiques et accepter librement la direction idéologique du parti qui défendra ses intérêts de classe avec courage et esprit de suite, qui tiendra plus haut le drapeau rouge du prolétariat et le conduira hardiment à la domination politique, à la révolution socialiste.

Jusqu’à présent, ce rôle est rempli par le Parti ouvrier social-démocrate de Russie ; par conséquent, le devoir des syndicats est d’accepter sa direction idéologique.

Comme on le sait, c’est aussi ce qui se passe en fait.

Donc, batailles économiques à l’aide des syndicats, attaques politiques sous la direction idéologique de la social-démocratie : telle est la forme que revêt aujourd’hui la lutte de classe du prolétariat.

Il est hors de doute que la lutte de classe s’intensifiera sans cesse. Le devoir du prolétariat est d’introduire dans sa lutte un plan systématique et l’esprit d’organisation.

Pour cela, il est indispensable de renforcer les syndicats et de les unir : sous ce rapport, un congrès général des syndicats de Russie pourrait être d’une grande utilité.

Non pas « un congrès ouvrier sans-parti », mais un congrès des syndicats ouvriers, voilà ce qu’il nous faut aujourd’hui pour que le prolétariat s’organise en une classe une et indivisible.

D’autre part, le prolétariat doit s’appliquer par tous les moyens à consolider et à renforcer le parti qui assumera la direction idéologique et politique de sa lutte de classe.

Notes

1 Le lock-out est une grève des patrons qui ferment intentionnellement leurs usines pour briser la résistance des ouvriers et enterrer leurs revendications. (J.S.).

2 L’Akhali Droéba [le Temps nouveau], hebdomadaire syndical légal, parut en géorgien, à Tiflis, du 14 novembre 1906 au 8 janvier 1907, sous la direction de J. Staline, M.. Tskhakaïa et M. Davitachvili. Il fut interdit par ordre du gouverneur de Tiflis.

=>Oeuvres de Staline

Staline : La situation actuelle et le Congrès d’unification du parti ouvrier

Conforme au texte de la brochure publiée par les éditions « Prolétariat », en 1906.
Signé : Camarade K.
Traduit du géorgien.

I

   Ce que nous attendions avec tant d’impatience s’est réalisé : le Congrès d’unification a paisiblement terminé ses travaux, le parti a évité la scission, la fusion des fractions a été officiellement consacrée, et par cela même se trouvent posés les fondements de la puissance politique du parti.

   Il faut maintenant se rendre compte, prendre une connaissance plus précise de ce qu’a été la physionomie du congrès, et apprécier sainement ses bons et ses mauvais côtés.

   Qu’a fait le congrès ?

   Que devait-il faire ?

   Les résolutions du congrès fournissent une réponse à la première question. En ce qui concerne la seconde, il faut, pour y répondre, savoir dans quelle ambiance le congrès s’est ouvert et quelles étaient les tâches que lui imposait la situation actuelle.

   Commençons par la deuxième question.

   Il est clair à présent que la révolution populaire n’est pas morte ; que malgré la « défaite de décembre », elle grandit et s’élève vers son point culminant. Nous disons qu’il doit d’ailleurs en être ainsi : les forces motrices de la révolution continuent à vivre et à agir ; la crise industrielle qui a éclaté ne cesse de croître ; la famine qui ruine définitivement les campagnes, s’aggrave de jour en jour.

Tout cela signifie que l’heure est proche où déferlera, pareil à un torrent redoutable, le courroux révolutionnaire du peuple. Les faits attestent qu’un nouveau mouvement, plus résolu et plus puissant que celui de décembre, mûrit dans la vie sociale russe. Nous nous trouvons à la veille de l’insurrection.

   D’autre part, la contre-révolution, que le peuple exècre, prend des forces et se consolide progressivement. Elle est déjà parvenue à organiser une camarilla, elle enrôle sous son drapeau toutes les forces ténébreuses, elle se place à la tête du « mouvement » des Cent-Noirs, elle prépare une nouvelle agression contre la révolution populaire, elle rallie autour d’elle grands propriétaires fonciers et industriels sanguinaires : elle se prépare donc à écraser la révolution populaire.

   Et au fur et à mesure que les choses avancent, le pays se divise nettement en deux camps ennemis, celui de la révolution et celui de la contre-révolution ; l’opposition des deux camps — le prolétariat et le gouvernement du tsar, — devient de plus en plus redoutable, et on voit clairement que tous les ponts ont été coupés entre eux.

De deux choses l’une : ou bien la victoire de la révolution et le pouvoir absolu du peuple, ou bien la victoire de la contre-révolution et le pouvoir absolu du tsar. Qui s’assied entre deux chaises trahit la révolution. Qui n’est pas avec nous est contre nous ! La pitoyable Douma, avec ses pitoyables cadets, s’est assise justement entre ces deux chaises.

Elle veut réconcilier la révolution et la contre-révolution, pour que loups et brebis paissent ensemble — et mater ainsi « d’un seul coup » la révolution. C’est pourquoi la Douma n’a fait jusqu’à présent que perdre son temps, c’est pourquoi elle n’a pu rallier le peuple autour d’elle et, n’ayant aucune base sous ses pieds, elle reste suspendue dans le vide.

   Comme auparavant, c’est la rue qui demeure l’arène principale de la lutte. Ainsi parlent les faits. Les faits l’attestent : c’est dans la lutte actuelle, dans les combats de rue, et non au sein de la bavarde Douma, que les forces de la contre-révolution s’affaiblissent et se désagrègent chaque jour, tandis que les forces de la révolution grandissent et se mobilisent ; ils attestent que le rassemblement et l’organisation des forces révolutionnaires se font sous l’égide des ouvriers d’avant-garde et non de la bourgeoisie.

Cela signifie qu’il est parfaitement possible d’assurer la victoire de la révolution actuelle et de la conduire à son terme. Mais possible seulement si les ouvriers d’avant-garde continuent de marcher à sa tête, si le prolétariat conscient s’acquitte dignement de sa mission de dirigeant de la révolution.

   Dés lors on voit clairement quelles tâches la situation actuelle imposait au congrès et ce que ce dernier devait faire.

   Engels a dit que le parti ouvrier « est l’interprète conscient d’un processus inconscient », c’est-à-dire que le parti doit s’engager consciemment sur le chemin que suit inconsciemment la vie elle-même ; qu’il doit exprimer consciemment les idées que la vie bouillonnante met en avant inconsciemment.

   Les faits attestent que le tsarisme n’a pas réussi ) écraser la révolution populaire, qu’au contraire, celle-ci grandit de jour en jour, qu’elle monte toujours plus haut et qu’on va vers une nouvelle action. En conséquence, la tâche du parti est de se préparer consciemment à cette action et de conduire la révolution populaire à son terme.

   Il est clair que le congrès devait indiquer cette tâche et engager les membres du parti à la remplir honnêtement.

   Les faits attestent qu’il est impossible de concilier la révolution et la contre-révolution ; que la Douma qui, dés le début, a prétendu les concilier, ne pourra rien faire ; qu’une telle Douma ne sera jamais le centre politique du pays, qu’elle ne ralliera pas le peuple autour d’elle et qu’elle deviendra forcément un appendice de la réaction.

En conséquence, la tâche du parti est de dissiper espoirs fallacieux que l’on fonde sur la Douma ; de combattre les illusions politiques du peuple et de proclamer à la face du monde entier que l’arène principale de la révolution est la rue et non la Douma ; que la victoire du peuple viendra principalement de la rue, des combats de rue, et non de la Douma, ni du bavardage auquel on s’y livre.

   Il est clair que dans ses résolutions, le Congrès d’unification devait indiquer notamment cette tâche, pour déterminer nettement l’orientation de l’activité du parti.

   Les faits attestent que la révolution peut vaincre et être conduite à son terme, que le pouvoir absolu du peuple peut être instauré seulement au cas où les ouvriers conscients se placent à la tête de la révolution, où la social-démocratie, et non pas la bourgeoisie, prend la direction de la révolution.

En conséquence, la tâche du parti consiste à être le fossoyeur de l’hégémonie de la bourgeoisie, à rallier autour de lui les éléments révolutionnaires de la ville et de la campagne, à diriger leur lutte révolutionnaire, à prendre la tête de leur action et à consolider ainsi le terrain pour l’hégémonie du prolétariat.

   Il est clair que le Congrès d’unification devait consacrer une attention particulière à cette troisième tâche, qui est fondamentale, afin de montrer au parti son énorme importance.

   Voilà ce que la situation actuelle imposait au Congrès d’unification et ce qu’il devait faire.

   A-t-il rempli ces tâches ?

II

   Pour élucider cette question, il est nécessaire de connaître la physionomie du congrès lui-même.

   Au cours de ses séances, le congrès a abordé de nombreuses questions : mais la question principale, autour de laquelle gravitaient toutes les autres, était celle de la situation actuelle. La situation actuelle de la révolution démocratique et les objectifs de classe du prolétariat, tel était le nœud de la question, le problème où venaient s’entremêler toutes nos divergences tactiques.

   La crise s’aggrave dans les villes, disaient les bolchéviks ; la famine augmente dans les campagnes, le gouvernement se désagrège complètement et le courroux populaire monte chaque jour davantage ; donc, la révolution, loin de décliner, grandit au contraire de jour en jour et se prépare à une nouvelle attaque. D’où notre tâche : aider la révolution montante, la mener jusqu’au bout et la couronner par le pouvoir absolu du peuple. (Voir la résolution des bolchéviks : « La situation actuelle… »).

   Les menchéviks disaient à peu près la même chose.

   Mais comment mener jusqu’au bout la révolution actuelle ? Quelles sont les conditions nécessaires pour cela ?

   Selon les bolchéviks, mener jusqu’au bout la révolution actuelle et la couronner par le pouvoir absolu du peuple n’est possible que si les ouvriers conscients se mettent à la tête de cette révolution, que si le prolétariat socialiste, et non des démocrates bourgeois, en prend la direction.

« Mener jusqu’au bout la révolution démocratique, disaient les bolchéviks, seul le prolétariat en est capable à la condition qu’il… entraîne derrière lui la masse des paysans en conférant une conscience politique à leur lutte spontanée… »

Sinon le prolétariat sera contraint de renoncer au rôle de « chef de la révolution populaire » et se trouvera « à la remorque de la bourgeoisie monarchiste libérale », qui ne s’efforcera jamais de mener la révolution jusqu’au bout. (Voir la résolution : « Les objectifs de classe du prolétariat… »).

Certes, notre révolution est une révolution bourgeoise et, à cet égard, elle rappelle la grande révolution française, dont la bourgeoisie a récolté les fruits. Mais il est clair, d’autre part, qu’il y a une grande différence entre ces deux révolutions.

A l’époque de la révolution française, la grande production mécanique que nous voyons chez nous aujourd’hui n’existait pas ; les antagonismes de classe n’étaient pas aussi nettement accusés que chez nous : aussi le prolétariat français était-il faible, tandis que le nôtre est plus fort, plus uni. Il faut également considérer que le prolétariat, là-bas, n’avait pas un parti à lui, tandis qu’il en a un ici, avec son programme et sa tactique propres.

Il n’est pas étonnant que les démocrates bourgeois aient dirigé la révolution française et que les ouvriers se soient mis à la remorque de ces messieurs : « Les ouvriers se battaient, et les bourgeois s’emparaient du pouvoir ». D’autre part, on conçoit parfaitement que le prolétariat de Russie ne se contente pas de se mettre à la remorque des libéraux, qu’il soit la force dominante de la révolution et appelle sous son drapeau tous les « opprimés et les déshérités ».

Voilà en quoi notre révolution l’emporte sur la révolution française, et voilà pourquoi nous pensons que notre révolution peut être conduite à son terme et aboutir au pouvoir absolu du peuple. Il faut seulement favoriser consciemment l’hégémonie du prolétariat et rassembler autour de lui le peuple en lutte, pour qu’il soit possible ainsi de conduire à son terme la révolution actuelle.

Or, il est nécessaire de conduire la révolution à son terme pour que la bourgeoisie ne soit pas seule à en récolter les fruits, pour que la classe ouvrière, outre la liberté politique obtienne la journée de huit heures, un allègement des conditions de travail, pour qu’elle réalise entièrement son programme minimum et s’ouvre ainsi un chemin vers le socialisme.

Voilà pourquoi celui qui défend les intérêts du prolétariat; qui ne veut pas que le prolétariat devienne un appendice de la bourgeoisie et tire pour elle les marrons du feu, celui qui lutte afin que le prolétariat devienne une force indépendante et utilise à ses propres fins la révolution actuelle, doit condamner ouvertement l’hégémonie des démocrates bourgeois; doit consolider le terrain pour l’hégémonie du prolétariat socialiste dans la révolution actuelle.

   Ainsi raisonnaient les bolchéviks.

   Les menchéviks disaient tout autre chose. Certes, la révolution se renforce et il faut la mener à son terme, mais point n’est besoin pour cela de l’hégémonie du prolétariat socialiste. Que ces mêmes démocrates bourgeois soient les dirigeants de la révolution ! disaient-ils. pourquoi, qu’est-ce à dire ?

Parce que la révolution actuelle est bourgeoise et que la bourgeoisie doit en être le chef, répondaient les menchéviks. Mais alors, que doit faire le prolétariat ? Il doit suivre les démocrates bourgeois, « les pousser » et, de cette façon, « faire progresser la révolution bourgeoise ». Ainsi parlait le chef des menchéviks, Martynov, qu’ils avaient désigné comme « rapporteur ».

La même pensée se trouve exprimée, bien que moins nettement, dans la résolution des menchéviks : « Sur la situation actuelle ».

Déjà dans Deux dictatures, Martynov avait dit que « l’hégémonie du prolétariat est une utopie dangereuse », une fantaisie, que la révolution bourgeoise « doit être dirigée par l’extrême opposition démocratique », et non par le prolétariat socialiste ; que le prolétariat en lutte « doit marcher derrière la démocratie bourgeoise » et la pousser sur le chemin de la liberté (Voir la brochure connue de Martynov : Deux dictatures).

Il a développé la même pensée au Congrès d’unification. D’après lui, la grande révolution française est l’original, et notre révolution une pâle copie ; et de même qu’en France la révolution avait à sa tête à ses débuts « l’Assemblée nationale » et ensuite la « Convention nationale », dans lesquelles prédominait la bourgeoisie, de même chez nous le dirigeant de la révolution, qui rassemblera autour de lui le peuple, doit être d’abord la Douma d’Etat et ensuite quelque autre assemblée représentative, plus révolutionnaire que la Douma.

A la Douma, comme au sein de cette future assemblée représentative, les démocrates bourgeois prédomineront. En conséquence, il nous faut l’hégémonie de la démocratie bourgeoise et non celle du prolétariat socialiste.

Il faut seulement suivre pas à pas la bourgeoisie et la pousser en avant toujours plus loin, vers la liberté véritable. A noter que les menchéviks ont salué le discours de Martynov par de vifs applaudissements.

A noter aussi que pas une de leurs résolutions ne mentionne la nécessité de l’hégémonie du prolétariat ; l’expression « hégémonie du prolétariat » est complètement bannie de leurs résolutions de même que des résolutions du congrès. (Voir les résolutions du congrès.)

   Telle a été, au congrès, la position des menchéviks.

   Comme on le voit, il y a là deux positions qui s’excluent et c’est de là que partent toutes les autres divergences.

   Si le prolétariat conscient est le guide de la révolution actuelle, tandis que dans la Douma actuelle dominent les cadets bourgeois, il est évident que l’actuelle Douma ne pourra se transformer en un « centre politique du pays » ; elle ne pourra rallier autour d’elle le peuple révolutionnaire, ni devenir, quels que soient ses efforts, le guide de la révolution montante.

Ensuite, si le prolétariat conscient est le chef de la révolution alors qu’il est impossible de diriger la révolution du sein de la Douma, il apparaît clairement que l’arène principale de notre activité, à l’heure actuelle, doit être la rue et non la salle de la Douma.

Ensuite, si le prolétariat conscient est le chef de la révolution et la rue la principale arène de la lutte, il va de soi que notre tâche est de participer activement à l’organisation de la lutte de rue, de porter une attention accrue à l’armement, de multiplier les détachements rouges et de diffuser les connaissances militaires parmi les éléments d’avant-garde.

Enfin, si le prolétariat d’avant-garde est le chef de la révolution et s’il doit participer activement à l’organisation de l’insurrection, il va de soi que nous ne pouvons pas nous tenir à l’écart du gouvernement provisoire révolutionnaire en nous en lavant les mains ; nous devrons, en commun avec la paysannerie, conquérir le pouvoir politique et faire partie du gouvernement provisoire (2) : le chef de la rue révolutionnaire doit être également le chef du gouvernement de la révolution.

   Telle était la position des bolchéviks.

   Si au contraire, comme le pensent les menchéviks, la direction de la révolution appartient aux démocrates bourgeois — et les cadets de la Douma « se rapprochent de ce genre de démocrates », — il va de soi que la Douma actuelle peut se transformer en « centre politique du pays » ; la Douma actuelle peut rassembler autour d’elle le peuple révolutionnaire, en devenir le guide et se transformer en arène principale de la lutte, il est inutile de porter une attention accrue à l’armement et à l’organisation de détachements rouges ; ce n’est pas notre affaire de porter une attention particulière à l’organisation de la lutte de rue, et moins encore de conquérir, en commun avec la paysannerie, le pouvoir politique et de faire partie du gouvernement provisoire. Que les démocrates bourgeois s’en occupent, eux qui seront les dirigeants de la révolution ! Sans doute ne serait-il pas mauvais d’avoir des armes et des détachements rouges ; c’est même, au contraire indispensable, mais cela n’a pas la grande importance que les bolchéviks y attachent.

   Telle était la position des menchéviks.

   Le congrès a choisi la seconde voie, c’est-à-dire qu’il a repoussé l’hégémonie du prolétariat socialiste et approuvé la position des menchéviks.

   Ce faisant, le congrès a montré clairement qu’il n’avait pas compris les exigences essentielles du moment présent.

   Là est l’erreur fondamentale du congrès, erreur qui devait fatalement entraîner toutes les autres.

III

   Après que le congrès eut écarté l’idée de l’hégémonie du prolétariat, on comprit clairement comment il allait résoudre les autres questions : « Sur l’attitude envers la Douma d’Etat », « Sur l’insurrection armée », etc..

   Passons à ces questions.

   Commençons par la Douma d’Etat.

   Nous n’allons pas examiner laquelle des deux tactiques était la plus juste, boycottage ou participation aux élections. Notons seulement ce point : si aujourd’hui la Douma ne s’occupe que de bavardages, si elle est restée suspendue entre la révolution et la contre-révolution, cela signifie que les partisans de la participation aux élections se trompaient quand ils appelaient le peuple à voter, en le leurrant d’espoirs mensongers.

Mais laissons cela. c’est un fait qu’au moment du congrès, les élections étaient déjà terminées (sauf au Caucase et en Sibérie) ; nous connaissions déjà les résultats des élections et, par conséquent, il ne pouvait être question que de la Douma elle-même, appelée à se réunir quelques jours plus tard.

Il est évident que le congrès ne pouvait revenir sur le passé ; il devait porter son attention principalement sur le caractère de la Douma et sur l’attitude que nous devions adopter à son égard.

   Qu’est-ce donc que la Douma actuelle et quelle doit être notre attitude à son égard ?

   On savait déjà, par le manifeste du 17 octobre, que la Douma n’avait pas de pouvoirs particulièrement importants ; c’est une assemblée de députés qui « a le droit » de délibérer, mais « n’a pas le droit » de passer outre aux « lois fondamentales » existantes.

Elle est placée sous la surveillance du Conseil d’Etat qui « a le droit » de casser toute décision de la Douma. Cependant que veille le gouvernement tsariste, armé de pied en cap, qui « a le droit » de dissoudre la Douma si elle outrepasse son rôle consultatif.

   Quant à la physionomie de la Douma, nous savions, dés avant l’ouverture du congrès, quelle en serait la composition, nous savions déjà que la Douma serait composée en majorité de cadets.

Nous ne voulons pas dire par là que les cadets eux-mêmes allaient constituer la majorité de la Douma ; nous disons simplement que sur les cinq cents membres — à peu près — de la Douma, un tiers serait composé de cadets, un autre tiers de groupes intermédiaires et de la droite (« parti des réformes démocratiques (3) », éléments modérés parmi les députés sans parti, octobristes (4), etc…) qui, au moment de la lutte contre l’extrême gauche (groupe ouvrier et groupes des paysans révolutionnaires), s’uniraient aux cadets et voteraient pour eux : ainsi les cadets seraient les maîtres de la situation à la Douma.

   Et que sont les cadets ? Peut-on les qualifier de révolutionnaires ? Non, certes ! Alors, que sont-ils donc ?

Les cadets, c’est le parti des conciliateurs : s’ils veulent limiter les droits du tsar, ce n’est pas qu’ils soient partisans de la victoire du peuple, — les cadets entendent remplacer le pouvoir absolu du tsar par le pouvoir absolu de la bourgeoisie, et non par celui du peuple (voir leur programme), — c’est pour que, de son côté, le peuple modère son esprit révolutionnaire, renonce à ses revendications révolutionnaires et s’entende d’une façon ou d’une autre avec le tsar. Les cadets, veulent un accord entre le tsar et le peuple.

   Comme on le voit, la majorité de la Douma devait être composée de conciliateurs, et non de révolutionnaires. Cela était évident dés la première quinzaine d’avril.

   Ainsi, boycottée et impuissante, dotée de droits insignifiants, d’une part, non révolutionnaire et conciliatrice dans sa majorité, d’autre part, telle était la Douma. Généralement, les faibles sont déjà portés à la conciliation, mais si, en outre, leur orientation n’est pas révolutionnaire, ils y glissent d’autant plus vite. C’est ce qui devait arriver à la Douma d’Etat.

Elle ne pouvait prendre entièrement parti pour le tsar, puisqu’elle désire limiter les pouvoirs du tsar, mais elle ne pouvait non plus passer du côté du peuple, puisque le peuple présente des revendications révolutionnaires. C’est pourquoi elle devait se placer entre le tsar et le peuple, s’attacher à les réconcilier, c’est-à-dire perdre son temps.

D’une part, il lui fallait persuader le peuple de renoncer à ses « revendications excessives » et de s’entendre d’une façon ou d’une autre avec le tsar ; d’autre part, il lui fallait servir de courtier auprès du tsar, afin qu’il cédât quelque chose au peuple et mit ainsi fin aux « troubles révolutionnaires ».

   C’est à cette Douma que le Congrès d’unification du parti avait affaire.

   Quelle devait être l’attitude du parti à son égard ? Inutile de dire qu’il ne pouvait prendre sur lui de soutenir cette Douma, car soutenir la Douma, c’était soutenir la politique de conciliation; or, la politique de conciliation est en contradiction radicale avec notre objectif d’approfondissement de la révolution.

Certes, le parti devait utiliser aussi bien la Douma elle-même que les conflits entre elle et le gouvernement ; mais cela ne signifie pas encore qu’il doive soutenir la tactique non révolutionnaire de la Douma. Au contraire, révéler la duplicité de la Douma, la critiquer impitoyablement, dévoiler au grand jour sa tactique de trahison, telle doit être l’attitude du parti à son égard.

   Dans ces conditions, il est clair que la Douma des cadets n’exprime pas la volonté du peuple, qu’elle ne peut remplir le rôle de représentant du peuple, qu’elle ne peut devenir le centre politique du pays ni rallier le peuple autour d’elle.

   Le devoir du parti était donc de dissiper les espoirs mensongers que l’on fondait sur la Douma et de proclamer hautement qu’elle n’exprime pas la volonté du peuple, que, par conséquent, elle ne peut devenir l’instrument de la révolution et que, maintenant, la principale arène de la lutte est la rue et non la Douma.

   En même temps, il était clair que le groupe paysan « du travail » (5) qui existait à la Douma, groupe peu nombreux par rapport aux cadets, ne pouvait suivre jusqu’au bout la tactique conciliatrice des cadets ; il devait, un jour ou l’autre, engager la lutte contre les cadets, traîtres au peuple, et prendre le chemin de la révolution.

Le devoir du parti était de soutenir le « groupe du travail » dans sa lutte contre les cadets, de développer à fond ses tendances révolutionnaires, d’opposer sa tactique révolutionnaire à la tactique non révolutionnaire des cadets et de mettre ainsi en pleine lumière les tendances de trahison des cadets.

   Qu’a fait le congrès ? Qu’a-t-il déclaré dans sa résolution sur la Douma d’Etat ?

   La résolution proclame que la Douma est une institution issue « du sein de la nation ». C’est-à-dire que la Douma, malgré ses défauts, n’en est pas moins, paraît-il, l’interprète de la volonté du peuple.

   Il est clair que le congrès n’a pas su donner une appréciation juste sur la Douma des cadets ; il a oublié que la majorité de la Douma est composée de conciliateurs, qui rejettent la révolution, ne peuvent exprimer la volonté du peuple et que, par conséquent, nous n’avons pas le droit d’affirmer que la Douma est sortie « du sein de la nation ».

   Qu’ont dit les bolchéviks à ce propos au congrès ?

   Ils ont dit que

   la Douma d’Etat, telle qu’elle apparaît dés maintenant, avec sa composition (essentiellement) cadette, ne peut en aucun cas remplir le rôle de véritable représentant du peuple.

   C’est-à-dire que la Douma actuelle n’est pas sortie du sein du peuple, qu’elle est antipopulaire et ne peut donc exprimer la volonté du peuple. (Voir la résolution des bolchéviks).

   Le congrès s’est, sur ce point, prononcé contre les bolchéviks.

   La résolution du congrès proclame que, malgré son caractère « pseudo-constitutionnel, la Douma », néanmoins, « se transformera en un instrument de la révolution »…, que ses conflits avec le gouvernement peuvent s’étendre « jusqu’à permettre d’en faire le point de départ de larges mouvements de masses, ayant pour but de renverser l’ordre politique existant ».

C’est-à-dire que la Douma peut, paraît-il, se transformer en un centre politique, rallier autour d’elle le peuple révolutionnaire et brandir l’étendard de la révolution.

   Ouvrier, vous entendez : la Douma conciliatrice des cadets peut, paraît-il, se transformer en un centre de la révolution et se trouver à sa tête, — autant dire qu’une chienne peut mettre bas un agneau ! A quoi bon vous tourmenter ?

Dorénavant, il n’est plus besoin d’hégémonie du prolétariat, ni que le peuple se rassemble précisément autour du prolétariat : la Douma non révolutionnaire ralliera elle-même autour d’elle le peuple révolutionnaire, et tout ira bien ! Voilà comment il faut, paraît-il, mener jusqu’au bout la révolution actuelle !

   Le congrès n’a évidemment pas compris que l’hypocrite Douma, avec ses hypocrites cadets, se trouvera inévitablement placée entre deux chaises : qu’elle cherchera à réconcilier le tsar et le peuple ; et puis qu’elle sera amenée, comme tous ceux qui font preuve de duplicité, à pencher du côté de celui qui promettra le plus !

   Qu’ont dit les bolchéviks à ce propos au congrès ?

   Ils ont déclaré que

   les conditions n’étaient pas encore réunies pour que notre parti s’engageât dans la voie parlementaire,

   c’est-à-dire que nous ne pouvons pas encore jouir d’une vie parlementaire tranquille, que la principale arène de la lutte demeure la rue et non la Douma. (Voir la résolution des bolchéviks.)

   Sur ce point également, le congrès a repoussé la résolution des bolchéviks.

   La résolution du congrès ne dit rien de précis sur la présence au sein de la Douma, d’une minorité de représentants de la paysannerie révolutionnaire (« groupe du travail »), qui seront obligés de rejeter la politique conciliatrice des cadets et de prendre le chemin de la révolution; rien sur la nécessité de les encourager, de les soutenir dans leur lutte contre les cadets et de les aider à s’engager, avec plus d’assurance encore, dans la voie révolutionnaire.

   Le congrès n’a évidemment pas compris que le prolétariat et la paysannerie sont les deux forces principales de la révolution actuelle ; qu’au moment présent, le prolétariat, en tant que chef de la révolution, doit soutenir les paysans révolutionnaires dans la rue comme à la Douma, si seulement ils engagent la lutte contre les ennemis de la révolution.

   Qu’ont dit les bolchéviks à ce propos au congrès ?

   Ils ont déclaré que la social-démocratie doit dénoncer impitoyablement

   l’inconséquence et l’inconstance des cadets, observer avec une attention particulière les éléments de la démocratie révolutionnaire paysanne, les unir, les opposer aux cadets, soutenir celles de leurs actions qui répondent aux intérêts du prolétariat. (Voir la résolution.)

   Le congrès n’a pas accepté non plus cette proposition des bolchéviks. Sans doute parce que le rôle d’avant-garde du prolétariat dans la lutte actuelle y est trop clairement exprimé ; or, le congrès, comme on l’a vu plus haut, avait marqué sa défiance à l’égard de l’hégémonie du prolétariat, — la paysannerie devant, selon lui, se grouper autour de la Douma, et non autour du prolétariat !

   Voilà pourquoi le journal bourgeois Nacha Jizn (6) loue la résolution du congrès, voilà pourquoi les cadets de Nacha Jizn se sont écriés à l’unisson : enfin les social-démocrates se sont ravisés et ont abandonné le blanquisme ! (Voir Nacha Jizn, n°432.)

   Certes, ce n’est pas sans raison que les ennemis du peuple — les cadets — louent la résolution du congrès ! Ce n’est pas sans raison que Bebel disait : ce qui plaît à nos ennemis nous est nuisible !

IV

   Passons à la question de l’insurrection armée.

   Aujourd’hui, ce n’est plus un mystère pour personne qu’une action populaire est inévitable. Si la crise et la famine s’aggravent dans les villes et les campagnes ; si l’effervescence grandit de jour en jour dans le prolétariat et la paysannerie, si le gouvernement tsariste se décompose ; si, par conséquent, la révolution monte, il est évident que la vie prépare une nouvelle action populaire, plus vaste et plus vigoureuse que celles d’octobre et de décembre.

Que cette nouvelle action soit désirable ou non, qu’elle soit un bien ou un mal, il est inutile d’en parler aujourd’hui : car il ne s’agit pas nos désirs, mais du fait que l’action populaire mûrit d’elle-même, qu’elle est inévitable.

   Mais il y a action et action. Incontestablement, la grève générale de janvier à Pétersbourg (1905) a été une action populaire. La grève politique générale d’octobre a été, elle aussi, une action populaire. La « bataille de décembre » à Moscou et chez les Lettons a été également une action populaire. Il est clair qu’il existait aussi entre elles une différence.

Alors qu’en janvier (1905) la grève jouait le rôle principal, en décembre elle n’a servi que de prologue et s’est transformée par la suite en insurrection armée, à laquelle elle a cédé le rôle principal.

Les actions de janvier, octobre et décembre ont montré que si « pacifique » que soit le début d’une grève générale, si « délicate » que soit la façon dont on formule les revendications, si désarmé qu’on se présente sur le champ de bataille, les choses se termineront quand même par un combat (souvenez-vous du 9 janvier à Pétersbourg lorsque le peuple s’avançait avec des croix et le portrait du tsar), le gouvernement recourra quand même aux canons et aux fusils, le peuple prendra quand même les armes, et c’est ainsi que la grève générale se transformera quand même en une insurrection armée.

Qu’est-ce que cela signifie ? Ceci seulement : la future action populaire ne sera pas une simple action ; elle prendra nécessairement le caractère d’un conflit armé et, ainsi, l’insurrection armée jouera le rôle décisif.

L’effusion de sang est-elle désirable ou non, est-ce un bien ou un mal, il n’y a pas à en parler. Nous le répétons : il ne s’agit pas de nos désirs, mais du fait que l’insurrection armée aura certainement lieu et qu’il n’est pas possible de l’éviter.

   Notre objectif aujourd’hui est d’instaurer le pouvoir absolu du peuple. Nous voulons que les rênes du gouvernement soient remises entre les mains du prolétariat et de la paysannerie. Peut-on atteindre ce but par une grève générale ?

Les faits attestent que non (rappelez-vous ce qui a été dit plus haut). Mais peut-être que la Douma nous aidera avec ses cadets emphatiques, peut-être que le pouvoir absolu du peuple (rappelez-vous ce qui a été dit plus haut).

   Il est clair que la seule voie sûre, c’est l’insurrection armée du prolétariat et de la paysannerie. Seule une insurrection armée peut renverser la domination du tsar et instaurer la domination du peuple, si, bien entendu, cette insurrection se termine par la victoire.

Dès lors, si la victoire du peuple est aujourd’hui impossible sans la victoire de l’insurrection et si, d’un autre côté, la vie elle-même prépare une action populaire armée, si cette action est inévitable, il va de soi que la tâche de la social-démocratie est de se préparer consciemment à cette action, de préparer consciemment sa victoire.

De deux choses l’une : ou bien nous devons renoncer au pouvoir absolu du peuple (à la république démocratique) et nous contenter d’une monarchie constitutionnelle — et nous serons alors en droit de dire que ce n’est pas notre affaire d’organiser l’insurrection armée ; ou bien nous devons, aujourd’hui comme auparavant, nous assigner pour but d’établir le pouvoir absolu du peuple (la république démocratique) et rejeter résolument la monarchie constitutionnelle, — mais alors nous ne serons pas en droit de dire que ce n’est pas notre affaire d’organiser consciemment l’action qui mûrit spontanément.

   Mais comment nous préparer à l’insurrection armée, comment contribuer à sa victoire ?

   L’action de décembre a montré que nous, social-démocrates, en plus de tous nos autres péchés, sommes coupables devant le prolétariat encore d’un gros péché : nous ne nous sommes pas souciés, ou guère souciés, de l’armement des ouvriers et de l’organisation de détachements rouges.

Souvenez-vous de décembre !

Qui ne se rappelle le peuple enfiévré, prêt à se battre à Tiflis, dans le Caucase occidental, dans le sud de la Russie, en Sibérie, à Moscou, à Pétersbourg, à Bakou ? Pourquoi l’autocratie a-t-elle pu si facilement disperser ce peuple déchaîné ? Est-ce vraiment parce que le peuple n’était pas encore convaincu de l’indignité du gouvernement tsariste ? Non, certes ! Alors pourquoi ?

   Tout d’abord, parce que le peuple n’avait pas ou n’avait guère d’armes : si conscient qu’on soit, il est impossible de résister aux balles, les mains nues ! Oui, on avait raison de nous prendre à partie en disant  : vous vous faites donner de l’argent, mais les armes, on ne les voit pas.

   En second lieu, parce que nous ne possédions pas de détachements rouges bien entraînés, capables de mener les autres, de se procurer des armes par les armes et d’armer le peuple : dans les combats de rue, le peuple est un héros, mais s’il n’est pas conduit par des frères en armes qui lui donnent l’exemple, il peut devenir une simple foule.

   Troisièmement, parce que l’insurrection était sporadique et inorganisée. Quand Moscou se battait sur les barricades, Pétersbourg restait coi. Tiflis et Koutaïs se préparaient à L’assaut quand Moscou était déjà « soumise ».

La Sibérie a pris les armes quand le Sud et les Lettons étaient déjà « vaincus ». Cela signifie que le prolétariat en lutte s’est trouvé, lors de l’insurrection, fractionné en groupes séparés, de sorte qu’il a été relativement facile au gouvernement  de lui infliger une « défaite« .

   Quatrièmement, parce que notre insurrection s’en est tenue à une politique de défensive et non d’offensive. L’insurrection de décembre a été provoquée par le gouvernement lui-même qui nous a attaqués ; il avait son plan, tandis que son attaque nous a pris au dépourvu ; nous n’avions pas de plan bien arrêté, nous nous sommes vus contraints de nous tenir à une politique d’autodéfense et donc de nous mettre à la remorque des événements.

Si les Moscovites avaient, dés le début, opté pour la politique d’offensive, ils se seraient immédiatement emparés de la gare Nikolaevski, le gouvernement n’aurait pu lancer ses troupes de Pétersbourg à Moscou, et l’insurrection de Moscou aurait ainsi duré plus longtemps, ce qui aurait exercé une heureuse influence sur les autres villes.

Il faut en dire autant des Lettons : si, dés le début, ils avaient choisi l’offensive, ils se seraient d’emblée emparés des canons et auraient porté un coup sensible aux forces du gouvernement.

   Ce n’est pas sans raison que Marx a dit :

   « Une fois l’insurrection commencée, il faut agir avec une extrême résolution et passer à l’offensive. La défensive est la mort de toute insurrection armée… Il faut attaquer l’ennemi à l’improviste tant que ses forces sont encore dispersées ; il faut obtenir chaque jour des succès nouveaux, fussent-ils minimes ; il faut conserver l’ascendant moral acquis par le premier mouvement victorieux des insurgés ; il faut entraîner les éléments hésitants qui vont toujours ver ceux qui sont les plus forts et se mettent toujours du côté le plus sûr ; il faut contraindre l’ennemi à reculer avant qu’il ait pu rassembler ses forces contre vous. En un mot, agissez comme le dit Danton, le plus grand maître de la tactique révolutionnaire que l’on connaisse jusqu’ici : De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. » (Voir Karl Marx : Esquisses historiques, p. 95).

   C’est cette « audace », cette politique d’offensive qui ont manqué à l’insurrection de décembre.

   On nous dira : ce ne sont pas là toute les causes de la « défaite » de décembre ; vous oubliez qu’en décembre la paysannerie n’a pas su s’unir au prolétariat, et c’est là aussi une des causes principales du recul de décembre. C’est la vérité même, et nous n’avons garde de l’oublier. Mais pourquoi la paysannerie n’a-t-elle pas su s’unir au prolétariat, quelle en a été la cause ?

On nous dira : le manque de conscience. Bon, mais comment devons-nous rendre les paysans conscients ? par la diffusion de brochures ?

Evidemment, cela ne suffit pas ! Alors comment ? Par la lutte, en les entraînant dans la lutte et en les guidant pendant la lutte. Aujourd’hui, la ville est appelée à diriger la campagne, et l’ouvrier à diriger le paysan ; si le travail n’est pas organisé dans les villes en vue de l’insurrection, jamais la paysannerie n’ira à la bataille aux côtés du prolétariat d’avant-garde.

   Tels sont les faits.

   Dés lors, on voit clairement l’attitude que le congrès devait prendre à l’égard de l’insurrection armée, les mots d’ordre qu’il devait donner aux camarades du parti.

   L’armement laissait à désirer dans le parti, on l’avait négligé jusque-là. Donc, le congrès devait dire au parti : armez-vous, portez une attention accrue aux choses de l’armement, pour que l’action révolutionnaire à venir nous trouve tant soit peu préparés.

   Poursuivons. L’organisation par le parti, de détachements armés laissait à désirer. Il ne se préoccupait pas suffisamment de multiplier les détachements rouges.

Donc, le congrès devait dire au parti : Formez des détachements rouges, diffusez dans le peuple les connaissances militaires, portez une attention accrue à l’organisation de détachements rouges, pour que nous puissions plus tard nous procurer des armes par les armes et étendre l’insurrection.

   Poursuivons. L’insurrection de décembre avait trouvé le prolétariat divisé, personne ne pensait sérieusement à organiser l’insurrection.

Donc, le congrès devait donner au parti le mot d’ordre de procéder énergiquement au rassemblement des éléments de combat, à leur mise en action suivant un plan unique, à l’organisation active de l’insurrection armée.

   Poursuivons. Jusqu’à présent, le prolétariat, dans l’insurrection armée, s’en est tenu à la politique de la défensive, jamais il n’a pris l’offensive, et c’est ce qui a empêché l’insurrection de triompher. Donc, le congrès se devait de signaler aux camarades du parti que le montant de la victoire de l’insurrection approchait et qu’il fallait passer à la politique d’offensive.

   Qu’a fait le congrès, et quels mots d’ordre a-t-il donnés au parti ?

   Le congrès déclare que

   « …la tâche essentielle du parti, à l’heure actuelle, est de développer la révolution en élargissant et en renforçant la propagande dans les larges couches du prolétariat, de la paysannerie, de la petite bourgeoisie des villes et parmi les troupes : de les entraîner à la lutte active contre le gouvernement par l’intervention constante de la social-démocratie et du prolétariat qu’elle dirige, dans toutes les manifestations de la vie politique du pays… [Le parti] ne peut assumer l’engagement d’armer le peuple, ce qui susciterait des espoirs mensongers ; il doit se limiter à aider la population à d’armer par elle-même, à organiser et à armer des groupes de combat… Le parti a le devoir de s’opposer à toutes les tentatives d’entraîner le prolétariat à une collision armée quand les conditions sont défavorables…, etc…, etc… » (Voir la résolution du congrès.)

   Il s’ensuit qu’aujourd’hui, en ce moment précis, où nous sommes à la veille d’une nouvelle action populaire, le plus important pour la victoire de l’insurrection, c’est la propagande, tandis que l’armement et l’organisation de détachements rouges sont choses accessoires ; il ne faut pas nous laisser fasciner par elles, et nous devons, à cet égard, « limiter » notre action à une « aide ».

Quant à la nécessité d’organiser l’insurrection au lieu de la faire en ordre dispersé, quant à la nécessité d’avoir une politique d’offensive (rappelez-vous les paroles de Marx), le congrès n’en souffle mot. Il est clair que, pour lui, ces questions sont sans importance.

   Les faits disent : armez-vous et renforcez par tous les moyens les détachements rouges. Le congrès répond : ne vous laissez pas trop fasciner par l’armement et l’organisation de détachements rouges ; « limitez » votre action dans ce domaine, car le principal est la propagande.

   C’est à croire que nous nous sommes beaucoup occupés d’armement jusqu’ici, que nous avons armé une foule de camarades, organisé de nombreux détachements, mais négligé la propagande ! Et ce congrès de nous faire la leçon : cessez de vous armer, cessez de vous occuper de cela ; la tâche principale, voyez-vous, c’est la propagande !

   Certes, la propagande demeure en tout temps et en tout lieu une des armes principales du parti; mais est-ce la propagande qui va décide de la victoire de l’insurrection prochaine ?

Si le congrès avait dit cela il y a quatre ans, quand l’insurrection ne figurait pas chez nous à l’ordre du jour, c’eût été encore concevable. mais aujourd’hui nous sommes à la veille d’une insurrection armée, que l’insurrection figure à l’ordre du jour; qu’elle peut éclater sans notre volonté ou contre elle, que peut-on faire « principalement » par la propagande, à quoi peut-on arriver par cette « propagande » ?

   Ou encore : admettons que nous ayons élargi la propagande, admettons que le peuple se soit soulevé, et après ? Comment peut-il lutter sans armes ?

N’a-t-on pas fait assez couler le sang du peuple désarmé ? D’autre part, à quoi bon des armes au peuple s’il ne sait pas s’en servir, s’il ne possède pas un nombre suffisant de détachements rouges ? On nous dira : nous ne renonçons ni à l’armement, ni aux détachements rouges. Soit, mais si vous ne prêtez pas une attention suffisante à l’armement, si vous le négligez, cela signifie qu’en fait vous y renoncez.

   Est-il besoin de dire que le congrès n’a soufflé mot de l’organisation de l’insurrection ni de la politique d’offensive ? Il ne pouvait en être autrement, puisque la résolution du congrès retarde de quatre ou cinq ans sur la vie et que l’insurrection est restée pour le congrès une question théorique.

   Qu’est-ce que les bolchéviks ont dit au congrès à ce propos ?

   Ils on dit :

   « …Dans le travail de propagande et d’agitation du parti, une attention accrue doit être accordée à l’étude de l’expérience pratique de l’insurrection de décembre, à sa critique au point de vue militaire et aux enseignements immédiats à en tirer pour l’avenir ; il convient de mener une action encore plus énergique pour augmenter le nombre des groupes de combat, améliorer leur organisation et les pourvoir en armes de toute espèce ; au surplus, ainsi que l’expérience nous le suggère, il faut organiser non seulement des groupes de combat du parti, mais aussi des groupes touchant de près au parti ou sans-parti… ; devant le progrès du mouvement paysan qui peut, dans un avenir très prochain, conduire à une explosion, à une véritable insurrection, il est désirable d’orienter nos efforts vers la coordination des actions des ouvriers et des paysans, afin d’organiser, si possible, des opérations de combat combinées et simultanées ; [par conséquent], étant données la croissance et l’aggravation d’une nouvelle crise politique, la possibilité s’offre de passer des formes défensives de la lutte armée à ses formes offensives … ; [il est nécessaire d’entreprendre en commun avec les soldats] les actions offensives les plus résolues contre le gouvernement…, etc… » (Voir la résolution des bolchéviks.)

   Voilà ce qu’ont dit les bolchéviks.

   Mais leur position n’a pas été approuvée par le congrès.

   Après cela, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les résolutions du congrès ont été accueillies avec tant d’enthousiasme par es cadets libéraux (voir Nacha Jizn, n°432) : ils ont compris que ces résolutions retardaient de plusieurs années sur la révolution actuelle ; qu’elles ne reflétaient nullement les objectifs de classe du prolétariat ; que ces résolutions-là tendaient à faire du prolétariat un appendice des libéraux plutôt qu’une force indépendante. Ils ont compris tout cela, et voilà pourquoi ils les couvrent d’éloges.

   La tâche des camarades du parti est de juger ces résolutions du congrès avec esprit critique et, l’heure venue, d’y introduire les rectifications nécessaires

   C’est précisément cette tâche que nous avions en vue en commençant à écrire cette brochure.

   Il est vrai que nous n’avons examiné ici que deux résolutions : « Sur l’attitude à l’égard de la Douma d’Etat » et « Sur l’insurrection armée », mais elles sont certainement toutes deux les résolutions fondamentales, celles qui expriment le plus nettement la position tactique du congrès.

   Nous voilà arrivés à notre conclusion principale ; nous constatons que, dans le parti, le problème se pose de la façon suivante : le prolétariat conscient doit-il exercer l’hégémonie dans la révolution actuelle, ou bien doit-il se mettre à la remorque des démocrates bourgeois?

   Nous avons vu que la solution de ce problème commande la solution de tous les autres.

   Nos camarades mettront d’autant plus de soin à peser ce qui constitue le fond des deux thèses en présence.

Notes

Cette étude parut en 1906, à Tiflis, en géorgien, aux éditions du Prolétariat. A la brochure étaient annexés trois projets de résolutions des bolchéviks pour le IVe congrès (« Congrès d’unification ») : 1. « La situation actuelle de la révolution démocratique » (Voir V. Lénine : Oeuvres, 4e éd. russe, t. X, p. 130-131) ; 2. « Les objectifs de classe du prolétariat dans la situation actuelle de la révolution démocratique » (voir Les résolutions et décisions des congrès, conférences et assemblées plénières du Comité central du P.C. (b) de l’U.R.S.S., 1re partie, 6e éd. russe, 1940, p.65) ; 3. « L’insurrection armée » (voir V. Lénine : Oeuvres, 4e éd. russe, t. X, p. 131-133) ; puis le projet de résolution sur la Douma d’Etat, présenté au congrès par Lénine au nom des bolchéviks (voir V. Lénine : Oeuvres, 4e éd. russe, t. X, p. 266-267). Enfin la résolution du congrès sur l’insurrection armée et le projet de résolution des menchéviks : « Sur la situation actuelle de la révolution et les objectifs du prolétariat ».

2. Nous n’envisageons pas ici l’aspect de principe de la question. (J.S.).

3. Le « parti des réformes démocratiques », parti de la bourgeoisie monarchiste libérale, s’était constitué lors des élections à la 1re Douma d’Etat, en 1906.

4. Octobristes, ou « Union du 17 octobre » : parti contre-révolutionnaire de la grosse bourgeoisie industrielle et commerçante et des grands propriétaires fonciers, qui fondé en novembre 1905, soutenait à fond le régime de Stolypine, la politique intérieure et étrangère du tsarisme.

5. Troudoviks, ou « groupe du travail » : groupe de démocrates petits-bourgeois, fondé en avril 1906 et composé de députés paysans de la Ire Douma d’Etat. Les troudoviks réclamaient l’abolition de toutes les restrictions découlant de la nationalité ou de l’ordre, la démocratisation de l’administration autonome des villes et des zemstvos, le suffrage universel pour les élections à la Douma d’Etat et, avant tout, une solution de la question agraire.

6. Nacha Jizn [Notre Vie], journal bourgeois libéral, parut à Pétersbourg, avec des interruptions, de novembre 1904 à décembre 1906.

=>Oeuvres de Staline