Staline : De la politique de liquidation des Koulaks comme classe

Krasnaïa Zvezda, n° 18, 
21 janvier 1930

Dans le n° 16 de la Krasnaïa Zvezda, l’article intitulé « La liquidation des koulaks comme classe », et qui, au fond, est très juste, contient deux formules inexactes. Il me paraît nécessaire de corriger ces inexactitudes.

1. Il est dit dans l’article : « Dans la période de rétablissement, nous avons pratiqué une politique de limitation des éléments capitalistes de la ville et de la campagne. Avec le début de la période de reconstruction, nous avons passé de la politique de limitation à la politique de leur éviction. »

Cette thèse est fausse. La politique de limitation des éléments capitalistes et la politique de leur éviction ne sont pas deux politiques différentes. C’est une seule et même politique.

L’éviction des éléments capitalistes de la campagne est le résultat inévitable et une partie intégrante de la politique de limitation des éléments capitalistes, de la politique délimitation des tendances exploiteuses des koulaks.

On ne saurait identifier l’éviction des éléments capitalistes de la campagne à l’éviction des koulaks comme classe. Évincer les éléments capitalistes de la campagne, c’est évincer et vaincre certains détachements de la classe des koulaks, qui n’ont pu résister à la pression fiscale, qui n’ont pu résister au système de mesures restrictives du pouvoir des Soviets.

On conçoit que la politique de limitation des tendances exploiteuses de la classe des koulaks, la politique de limitation des éléments capitalistes de la campagne, ne peut manquer d’aboutir à l’éviction de certains détachements de la classe des koulaks.

Aussi l’éviction de certains détachements de la classe des koulaks ne peut-elle être considérée autrement que comme résultat inévitable et partie intégrante de la politique de limitation des éléments capitalistes à la campagne.

Cette politique fut pratiquée chez nous, non seulement dans la période de rétablissement, mais aussi dans la période de reconstruction, mais aussi dans la période qui suivit le XVe congrès (décembre 1927), mais aussi dans la période de la XVIe conférence de notre Parti (avril 1929), de même qu’après cette conférence jusqu’à l’été de 1929, lorsque s’ouvrit chez nous la période de collectivisation intégrale, lorsque s’opéra le tournant vers la politique de liquidation des koulaks comme classe.

Si l’on examine les documents les plus importants du Parti, à commencer, par exemple, par le XIVe congrès, décembre 1925 (voir la résolution sur le rapport du Comité central), et en finissant par la XVIe conférence, avril 1929 (voir la résolution « Les voies du relèvement de l’agriculture »), force est de constater que la thèse sur la « limitation des tendances exploiteuses des koulaks » ou sur la « limitation de la croissance du capitalisme à la campagne », va toujours de pair avec la thèse de l’« éviction des éléments capitalistes de la campagne », de la « victoire sur les éléments capitalistes de la campagne ».

Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que le Parti ne sépare pas l’éviction des éléments capitalistes de la campagne d’avec la politique de limitation des tendances exploiteuses des koulaks, d’avec la politique de limitation des éléments capitalistes de la campagne.

Le XVe congrès du Parti ainsi que la XVIe conférence se placent entièrement sur la base de la politique de « limitation des tendances exploiteuses de la bourgeoisie rurale » (résolution du XVe congrès « Sur le travail à la campagne ») ; sur la base de la politique d’« adoption de nouvelles mesures limitant le développement du capitalisme à la campagne » (ibidem) ; sur la base de la politique de « limitation résolue des tendances exploiteuses du koulak » (voir la résolution du XVe congrès à propos du plan quinquennal) ; sur la base de la politique d’« offensive contre le koulak », dans le sens du « passage à une limitation ultérieure, plus systématique et plus énergique du koulak, ainsi que de l’employeur et du commerçant » (ibidem) ; sur la hase d’une politique d’« éviction économique encore plus résolue » des « éléments de l’économie capitaliste privée » à la ville et à la campagne (voir la résolution du XVe congrès sur le rapport du Comité central).

Ainsi donc :

a) l’auteur de l’article mentionné a tort de représenter la politique de limitation des éléments capitalistes et la politique de leur éviction, comme deux politiques différentes. Les faits attestent que nous avons affaire, ici, à une seule politique générale de limitation du capitalisme, politique dont la partie intégrante, dont le résultat est l’éviction de certains détachements de la classe des koulaks.

Ainsi donc :

b) l’auteur de l’article mentionné a tort quand il affirme que l’éviction des éléments capitalistes de la campagne n’a commencé que dans la période de reconstruction, dans la période du XVe congrès. En réalité, l’éviction a eu lieu avant le XVe congrès, dans la période de rétablissement, et après le XVe congrès, dans la période de reconstruction.

A l’époque du XVe congrès, la politique de limitation des tendances exploiteuses des koulaks fut seulement renforcée par de nouvelles mesures complémentaires, ce qui devait aussi accentuer l’éviction de certains détachements de la classe des koulaks.

2. Il est dit dans l’article : « La politique de liquidation des koulaks comme classe découle entièrement de la politique d’éviction des éléments capitalistes, dont elle est la continuation dans la nouvelle étape. »

Cette thèse est imprécise et, partant, fausse. Il est évident que la politique de liquidation des koulaks comme classe n’est pas tombée du ciel. Elle fut préparée par toute la période antérieure de limitation, et donc d’éviction des éléments capitalistes de la campagne.

Mais cela ne veut pas encore dire qu’elle ne diffère pas radicalement de la politique de limitation (et d’éviction) des éléments capitalistes de la campagne ; qu’elle soit, comme on le prétend, la continuation de la politique de limitation.

Parler comme le fait notre auteur, c’est nier l’existence d’un tournant dans le développement de la campagne depuis l’été de 1929.

Parler ainsi, c’est nier que nous ayons opéré, durant cette période, un tournant dans la politique de notre Parti à la campagne.

Parler ainsi, c’est créer en quelque sorte un abri idéologique pour les éléments de droite de notre Parti, qui maintenant se cramponnent aux résolutions du XVe congrès pour s’opposer à la nouvelle politique du Parti, de même qu’en son temps Froumkine se cramponnait aux résolutions du XIVe congrès pour s’opposer à la politique d’établissement des kolkhozes et des sovkhozes.

De quel point de vue est parti le XVe congrès en proclamant l’accentuation de la politique de limitation (et d’éviction) des éléments capitalistes de la campagne ? Du point de vue que, en dépit de cette limitation des koulaks, les koulaks comme classe devaient cependant subsister jusqu’à un certain temps.

C’est en se basant là-dessus que le XVe congrès a laissé en vigueur la loi sur l’affermage de la terre, quoique sachant fort bien que les fermiers sont, dans leur grande masse, des koulaks.

C’est en se basant là-dessus que le XVe congrès a laissé en vigueur la loi sur l’embauche de la main-d’oeuvre à la campagne, en exigeant sa stricte application dans la pratique.

C’est en se basant là-dessus que la dépossession des koulaks fut une fois de plus proclamée inadmissible.

Ces lois et ces décisions contredisent-elles la politique de limitation (et d’éviction) des éléments capitalistes de la campagne ? Non, certes. Ces lois et ces décisions contredisent-elles la politique de liquidation des koulaks comme classe ? Incontestablement oui !

Il faudra donc maintenant mettre de côté ces lois et ces décisions dans les régions de collectivisation. intégrale, dont la sphère d’extension grandit non pas chaque jour, mais à chaque heure. Au reste, elles ont déjà été mises de côté par la marche même du mouvement kolkhozien dans les régions de collectivisation intégrale.

Peut-on affirmer après cela que la politique de liquidation des koulaks comme classe soit la continuation de la politique de limitation (et d’éviction) des éléments capitalistes de la campagne ? Il est évident que non.

L’auteur de l’article mentionné oublie que l’on ne peut évincer la classe des koulaks comme classe, par des mesures de restriction fiscale et toutes autres, en laissant aux mains de cette classe les instruments de production, et le droit de libre jouissance de la terre, et en conservant dans notre pratique la loi sur l’embauche d’ouvriers salariés à la campagne, la loi sur l’affermage, sur l’interdiction de déposséder les koulaks.

L’auteur oublie qu’avec la politique de limitation des tendances exploiteuses des koulaks, on ne peut compter évincer que des détachements isolés de la classe des koulaks, ce qui ne contredit pas, mais au contraire présuppose la conservation des koulaks comme classe, jusqu’à un certain temps.

Pour évincer les koulaks comme classe, la politique de limitation et d’éviction de détachements isolés ne suffit pas.

Pour évincer les koulaks comme classe, il faut briser la résistance de cette classe dans une lutte ouverte et la priver de ses moyens de production assurant son existence et son développement (libre jouissance de la terre, instruments de production, affermage, droit d’embauche, etc.).

C’est bien là un tournant vers la politique de liquidation des koulaks comme classe. Sans cela, les discours tenus sur l’éviction des koulaks comme classe ne sont que vain bavardage, agréable et avantageux aux seuls fauteurs de la déviation de droite. Sans cela, aucune collectivisation sérieuse, et encore moins une collectivisation intégrale de la campagne, n’est concevable.

C’est ce qu’ont bien compris les paysans pauvres et moyens de nos campagnes, qui foncent sur les koulaks et procèdent à la collectivisation intégrale. Et c’est ce que ne comprennent pas encore, apparemment, certains de nos camarades.

Ainsi, la politique actuelle du Parti, à la campagne, n’est pas la continuation de l’ancienne politique, mais un tournant de l’ancienne politique de limitation (et d’éviction) des éléments capitalistes de la campagne, vers la nouvelle politique de liquidation des koulaks comme classe.

=>Oeuvres de Staline

Staline : La bourgeoisie tend un piège

Prolétariatis Brdzola [la Lutte du prolétariat], n°12, 15 octobre 1905.
Article non signé.
Traduit du géorgien.

A la mi-septembre s’est tenu le congrès des « hommes publics des zemstvos [1] et des municipalités ». A ce congrès a été fondé un nouveau « parti » [2], ayant à sa tête un Comité central et des organismes locaux dans les différentes villes.

Le congrès a adopté un « programme », défini sa « tactique » et rédigé un appel spécial, que ce « parti » frais émoulu doit adresser au peuple. En un mot, les « hommes publics des zemstvos et des municipalité » ont fondé leur propre « parti ».

Que sont ces « hommes publics », comment s’appellent-ils ?

Que sont ces bourgeois libéraux ?

Les représentants conscients de la bourgeoisie aisée.

La bourgeoisie aisée est notre ennemi irréductible ; sa richesse repose sur notre pauvreté, sa joie sur nos malheurs. Il est clair que ses représentants conscients seront nos ennemis jurés, qu’ils s’attacheront consciemment à nous écraser.

Ainsi, il s’est formé un « parti » d’ennemis du peuple, qui se propose d’adresser un appel au peuple.

Que veulent ces messieurs, que défendent-ils dans leur appel ?

Ce ne sont pas des socialistes, ils détestent le mouvement socialiste. C’est dire qu’ils consolident l’ordre bourgeois et luttent à mort contre le prolétariat. Aussi jouissent-ils d’une grande sympathie dans les milieux bourgeois.

Ce ne sont pas non plus des démocrates. C’est dire qu’ils consolident le trône du tsar et luttent aussi avec acharnement contre la paysannerie si durement éprouvée. Voilà pourquoi Nicolas II « a daigné »autoriser leurs réunions et leur a permis de convoquer le congrès de leur « parti ».

Ils ne veulent qu’amputer un petit peu les droits du tsar, et encore à la condition que ces droits passent dans les mains de la bourgeoisie. Quant au tsarisme, il doit, selon eux, subsister à tout prix comme un sûr rempart de la bourgeoisie aisée, qu’elle utilisera contre le prolétariat. C’est pourquoi, dans leur « projet de constitution », ils disent que « le trône des Romanov doit rester intangible » ; autrement dit, ils veulent une constitution étriquée et une monarchie tempérée.

Messieurs les bourgeois libéraux « ne voient pas d’inconvénient » à l’octroi du droit de vote au peuple, mais seulement à la condition qu’au-dessus de la Chambre des représentants du peuple siège une Chambre des riches qui s’attachera forcément à en rectifier et à en annuler les décisions. C’est pourquoi ils disent dans leur programme : « Il nous faut deux Chambres ».

Messieurs les bourgeois libéraux seront « très heureux » de voir octroyer la liberté de parole, de la presse et d’association, pourvu que le droit de grève soit limité. C’est pourquoi ils dissertent si longuement « sur les droits de l’homme et du citoyen », alors qu’ils ne disent rien d’explicite sur le droit de grève, en dehors de quelques balbutiements pharisaïques au sujet de vagues « réformes économiques ».

La sollicitude de ces singuliers personnages s’étend aussi à la paysannerie : ils « ne voient pas d’inconvénient » au passage des terres seigneuriales aux paysans, mais à la condition que ceux-ci les rachètent à leurs propriétaires au lieu de les « obtenir gratuitement ». Ils sont vraiment trop bons, ces pseudo-« hommes publics » !

S’ils vivent jusqu’à la réalisation de tous ces voeux, les droits du tsar passeront finalement dans les mains de la bourgeoisie, et l’absolutisme du tsar deviendra peu à peu l’absolutisme de la bourgeoisie. Voilà où entendent nous mener les « hommes publics des zemstvos et des municipalités ». C’est pourquoi ils ont peur, même en rêve, d’une révolution populaire et parlent de la « pacification de la Russie ».

Quoi d’étonnant, après cela, si ces malencontreux « hommes publics » ont placé de grands espoirs dans ce qu’on appelle la Douma d’Etat ? On sait que la Douma tsariste est la négation de la révolution populaire, ce qui fait très bien l’affaire de nos bourgeois libéraux.

On sait que la Doum tsariste offre un « certain » champ d’action à la bourgeoisie aisée, ce dont nos bourgeois libéraux ont tant besoin. Voilà pourquoi ils fondent tout leur « programme », toute leur activité sur l’existence de la Douma : son effondrement ferait infailliblement crouler tous leurs « plans ».

Aussi ont-ils peur d’un boycottage de la Douma et nous conseillent-ils d’y entrer. « Ce serait une grande erreur de ne pas vouloir faire partie de la Douma tsariste », disent-ils par la bouche de leur leader Iakouchkine. Ce serait en effet une « grande erreur », mais pour qui : pour le peuple ou pour ses ennemis ? Là est la question.

Quel rôle est appelée à jouer la Douma tsariste ? Que disent à ce sujet « les hommes publics des zemstvos et des municipalités » ?

« … La première et principale tâche de la Douma, c’est de réorganiser la Douma elle-même », déclarent-ils dans leur appel… « Les électeurs doivent faire un devoir à leurs délégués d’élire des candidats désireux, avant tout, de réorganiser la Douma », ajoutent-ils.

En quoi consiste donc cette « réorganisation » ? En ceci : la Douma doit avoir « voix délibérative lors de l’élaboration des lois… et lors de la discussion des recettes et dépenses de l’Etat… ainsi que le droit de contrôler l’activité des ministres ». Autrement dit, les délégués doivent exiger avant tout l’extension des droits de la Douma.

Qui fera partie de la Douma ? Principalement la grande bourgeoisie. Il est clair que l’extension des droits de la Douma renforce la puissance politique de la grande bourgeoisie. Ainsi les « hommes publics des zemstvos et des municipalités » conseillent au peuple d’envoyer à la Douma des bourgeois libéraux et de les charger, avant tout, d’aider à renforcer la grande bourgeoisie !

Nous devons, paraît-il, avant tout et par-dessus tout, nous préoccuper de renforcer de nos propres mains la puissance de nos ennemis — voilà ce que nous conseillent aujourd’hui messieurs les bourgeois libéraux. C’est un conseil d’« amis », il n’y a pas à dire ! Mais qui donc s’occupera des droits du peuple ? Oh ! N’ayez pas peur, messieurs les bourgeois libéraux n’oublieront pas le peuple.

Ils assurent qu’une fois à la Douma, une fois qu’ils y auront solidement pris pied, ils demanderont aussi des droits pour le peuple. Grâce à ce pharisaïsme, « les hommes publics des zemstvos et des municipalités » espèrent arriver à leurs fins… C’est pourquoi, voyez-vous, ils nous conseillent d’étendre avant tout les droits de la Douma…

Bebel a dit : ce que nous conseille l’ennemi nous est nuisible. L’ennemi nous conseille de participer à la Douma, — donc la participation à la Douma nous est nuisible. L’ennemi nous conseille d’élargir les droits de la Douma, — donc l’extension des droits de la Douma nous est nuisible.

Saper la confiance dans la Douma et la discréditer aux yeux du peuple, telle est notre tâche. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas une extension des droits de la Douma, mais l’extension des droits du peuple.

Et si ce même ennemi nous tient pendant ce temps des propos doucereux et nous promet de vagues « droits », c’est qu’il nous tend un piège et veut que, de nos mains, nous lui érigions une forteresse. Nous n’avons rien à attendre d’autre de la part des bourgeois libéraux.

Mais que dire de certains « social-démocrates », qui nous prêchent la tactique des bourgeois libéraux ? Que dire de la « minorité » du Caucase, qui répète mot pur mot les conseils perfides de nos ennemis ? Voici, par exemple, ce que déclare la « minorité » du Caucase : « Nous estimons nécessaire de participer à la Douma d’Etat ». (Voir la « IIe Conférence », p. 7). Exactement comme messieurs les bourgeois libéraux.

Cette même « minorité » nous donne le conseil suivant : Si la commission Boulyguine… accorde aux seuls possédants le droit d’élire les députés nous devons intervenir dans ces élections et obliger révolutionnairement les électeurs à choisir les candidats avancés et à exiger au « Zemski Sobor » la convocation d’une Assemblée constituante.

Enfin, par tous les moyens possibles… obliger le « Zemski Sobor » à convoquer une Assemblée constituante ou à se proclamer telle (Voir le Social-démocrate, n°1).

Autrement dit, même si les possédants ont seuls le droit de vote, même si les possédants sont seuls à siéger à la Douma, nous devons exiger les droit d’une Constituante pour cette assemblée de possédants !

Même si les droits du peuple sont amputés, nous n’en devons pas moins nous attacher à étendre le plus possible les droits de la Douma ! Inutile de dire que l’élection de « candidats avancés » restera un mot vide de sens si le droit de vote n’est accordé qu’aux possédants.

Comme on l’a déjà vu, c’est aussi ce que nous prêchent les bourgeois libéraux.

De deux choses l’une : ou bien les bourgeois libéraux sont devenus menchéviks, ou bien la « minorité » du Caucase est devenue libérale.

De toute façon, il est hors de doute que le « parti » frais émoulu des bourgeois libéraux tend adroitement son piège…

Briser ce piège, l’exposer au grand jour, lutter sans merci contre les ennemis libéraux du peuple — telle doit être à présent notre tâche.

[1] Au lendemain de « l’affranchissement des serfs » (1861), l’appareil administratif fut réorganisé. On institua en 1864 les zemstvos, sorte de conseils généraux, composés de représentants élus séparément par les paysans (au suffrage universel, mais à plusieurs degrés), les bourgeois des villes et les propriétaires fonciers. Ces zemstvos, aux attributions assez larges, comprenaient des délégués de tous les ordres de la société ; ils se trouvaient en réalité sous le contrôle effectif de la noblesse et le contrôle légal de l’administration.

[2] Le parti constitutionnel-démocrate (K.-D., cadet), principal parti de la bourgeoisie monarchiste libérale se constitua en octobre 1905. Sous le couvert d’un démocratisme mensonger, les cadets, qui se disaient le parti de la « liberté du peuple », s’efforçaient de gagner la paysannerie. Ils voulaient conserver le tsarisme sous la forme d’une monarchie constitutionnelle. par la suite, les cadets devinrent le parti de la bourgeoisie impérialiste. Après la victoire de la Révolution socialiste d’Octobre, ils fomentèrent des complots contre-révolutionnaires et des émeutes contre la République des Soviets.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Ouvriers du Caucase, il est temps de se venger !

Tract édité le 8 janvier 1905 par l’imprimerie clandestine (d’Avlabar, un Quartier populaire de Tiflis) de l’Union caucasienne du Parti ouvrier social-démocrate de Russie.
Signé : le Comité de l’Union.

Les rangs des bataillons du tsar s’éclaircissent, la flotte du tsar est détruite et enfin Port-Arthur s’est honteusement rendu : une fois de plus, la preuve est faite de la décrépitude de l’autocratie tsariste…

La mauvaise nourriture et l’absence de mesures sanitaires favorisent la propagation des maladies contagieuses parmi les soldats. Ces conditions intolérables s’aggravent encore faute d’un logement et d’un équipement plus ou moins passables.

Affaiblis, exténués, les soldats tombent comme des mouches. Et ceci, après que des dizaines de milliers d’entre eux ont été fauchés par les balles. D’où l’effervescence, le mécontentement des soldats. Ils secouent leur torpeur, ils commencent à se sentir des hommes, ils ne se soumettent plus aveuglément aux ordres de leurs supérieurs, et souvent ils accueillent par des sifflets et des menaces les officiers trop zélés…

Voici ce que nous écrit un officier d’Extrême-Orient : « J’ai fait une sottise ! Sur les instances de mon chef, j’ai prononcé dernièrement un discours devant les soldats. A peine avais-je commencé à dire qu’il fallait défendre le tsar et la patrie que les coups de sifflet, les jurons, les menaces ont fusé de toutes parts… Force m’a été de filer loin de la foule déchaînée… ».

Telle est la situation en Extrême-Orient !

Ajoutez à cela l’effervescence parmi les réservistes en Russie, leurs manifestations révolutionnaires à Odessa, Ekaterinoslav, Koursk, Penza et dans d’autres villes, les protestations des recrues en Gourie, Imérétie, Kartalinie, dans le sud et le nord de la Russie ; notez que ni la prison ni les balles n’arrêtent les protestataires (dernièrement, on a fusillé à Penza plusieurs réserviste qui avaient manifesté), et vous comprendrez sans peine ce que pense le soldat russe…

L’autocratie tsariste perd son principal appui : « sa fidèle armée » !

D’autre part, le trésor du tsar se vide de jour en jour. Les défaites se succèdent. Le gouvernement tsariste perd peu à peu la confiance des Etats étrangers.

C’est à grand’peine qu’il se procure l’argent qui lui est nécessaire, et le moment n’est pas loin où il aura perdu tout crédit ! « Qui nous paiera quand on t’aura jeté bas ? Et ta chute sans nul doute, n’est pas très éloignée » : c’est avec cette réponse que l’on renvoie le gouvernement tsariste, en qui personne n’a plus confiance ! Quant au peuple, au peuple déshérité, affamé, que peut-il donner au gouvernement tsariste quand lui-même n’a pas de quoi mangé ?

L’autocratie tsariste perd ainsi son second appui principal : un trésor abondant et le crédit qui l’alimente !

D’autre part, la crise industrielle s’aggrave de jour en jour, les fabriques et les usines ferment, des millions d’ouvriers réclament du travail et du pain.

La famine s’attaque avec une force nouvelle à la masse exténuée des paysans pauvres. Les vagues de l’indignation populaire montent de plus en plus haut et battent avec une violence accrue le trône du tsar ; l’autocratie tsariste décrépite est ébranlée jusque dans ses fondements…

L’autocratie tsariste assiégée se dépouille de sa vieille peau, comme un serpent : tandis que la Russie mécontente se prépare à l’assaut décisif, elle laisse là (ou fait mine de laisser là) sa nagaïka et, affublée d’une peau d’agneau, proclame une politique d’apaisement.

Vous entendez, camarades ? Elle nous demande d’oublier le sifflement des nagaïkas et des balles, les centaines de nos héroïques camarades assassinés, leurs ombres glorieuses qui planent au-dessus de nous et qui murmurent : « Vengez-nous » !

Cyniquement, l’autocratie nous tend ses mains ensanglantées et prêche la réconciliation ! Elle a publié un « oukase impérial » [1] où elle nous promet une vague « liberté »… Les vieux brigands ! Ils croient pouvoir repaître de mots les millions de prolétaires affamés de Russie ! Ils comptent pouvoir satisfaire avec des mots les millions et les millions de paysans plongés dans la misère et exténués. ils veulent, par des promesses étouffer les sanglots des familles en deuil, victimes de la guerre ! Les misérables ! Ils se noient en se raccrochant à un fétu de paille !…

Oui, camarades, le trône du gouvernement tsariste est ébranlé jusque dans ses fondements !

Ce gouvernement qui, avec le produit des impôts qu’il nous a extorqués, entretient nos bourreaux — ministres, gouverneurs, chefs de district et directeurs de prison, commissaires de police, gendarmes et espions — ; qui oblige les soldats recrutés parmi nous, nos frères et nos fils, à verser notre propre sang ; qui soutient par tous les moyens les propriétaires fonciers et les patrons dans leur lutte quotidienne contre nous ; qui nous a lié bras et jambes et nous a réduits à l’état de parias ; qui a sauvagement foulé aux pieds et tourné en dérision ce que nous avons de plus sacré : notre dignité d’homme, ce gouvernement chancelle aujourd’hui et sent le sol se dérober sous ses pieds !

Le moment est venu de se venger ! Il est temps de venger nos glorieux camarades, sauvagement assassinés par les bachibouzouks du tsar à Iaroslav, à Dombrowa, à Riga, à Pétersbourg, à Moscou, à Batoum, à Tiflis, à Zlatooust, à Tikhoretskaïa, à Mikhaïlov, à Kichinev, à Gomel, à Iakoutsk, en Gourie, à Bakou et ailleurs !

Il est temps de sécher les larmes de leurs femmes et de leurs enfants ! Il est temps d’exiger qu’il réponde des souffrances et des humiliations, des chaînes infamantes dont il nous a chargés depuis longtemps ! Il est temps d’en finir avec le gouvernement du tsar et de déblayer la route du régime socialiste ! Il est temps d’abattre le gouvernement du tsar !

Et nous l’abattrons !

C’est en vain que messieurs les libéraux s’efforcent de sauver le trône croulant du tsar ! En vain qu’ils tendent au tsar une main secourable !

Ils s’appliquent à implorer de lui une aumône, à l’amener à accepter leur « projet de Constitution » [2], pour se frayer, par de menues réformes, un chemin vers la domination politique, faire du tsar leur instrument, substituer à l’autocratie du tsar l’autocratie de la bourgeoisie et étouffer ensuite systématiquement le prolétariat et la paysannerie !

Peine perdue ! Trop tard, messieurs les libéraux ! Regardez autour de vous ce que vous a donné le gouvernement tsariste, voyez l’ « oukase impérial » : une petite « liberté » des « institutions provinciales et municipales », une petite « garantie » contre les « restrictions des droits des particuliers », une petite « liberté » de la « presse » et l’affirmation énergique que les « lois fondamentales de l’Empire resteront intangibles à coup sûr » et que « des mesures efficaces seront prises pour garder pleine force à la loi, soutien principal du trône dans un Etat autocratique » ! Eh bien ?

A peine avait-on eu le temps de digérer l’« ordonnance » ridicule d’un tsar ridicule qu’on vit s’abattre comme grêle les « avertissements » aux journaux, se multiplier les coups de filets des gendarmes et des policiers, et interdire jusqu’à de paisibles banquets !

Le gouvernement du tsar s’est lui-même chargé de faire la preuve que dans ses promesses infimes, il n’irait pas au delà de pitoyables paroles.

D’autre part, les masses populaires indignées se préparent à la révolution, et non à la réconciliation avec le tsar. Elles s’en tiennent obstinément au proverbe : « En sa peau mourra le renard ». Oui, messieurs, vos efforts sont vains ! La révolution russe est inévitable.

Aussi inévitable que le lever du soleil ! Pouvez-vous arrêter le soleil qui se lève ? La force principale de cette révolution est le prolétariat urbain et rural ; son porte-drapeau est le Parti ouvrier social-démocrate, et non pas vous, messieurs les libéraux ! Pourquoi oubliez-vous cette « bagatelle » évidente ?

Déjà se lève la tempête, annonciatrice de l’aurore. Hier et avant-hier encore, le prolétariat caucasien, de Bakou à Batoum, exprimait son mépris unanime pour l’autocratie tsariste. Il est hors de doute que cette glorieuse tentative des prolétaires caucasiens ne restera pas sans écho chez les prolétaires des autres régions de la Russie.

Parcourez, ensuite, les innombrables résolutions des ouvriers exprimant leur profond mépris pour le gouvernement tsariste ; prêtez l’oreille à la rumeur sourde, mais puissante, des campagnes, et vous vous rendrez compte que la Russie est un fusil armé, qui peut partir à la moindre secousse.

Oui, camarades, le moment n’est plus loin où la Révolution russe hissera ses voiles et « balaiera de la surface de la terre » le trône abject d’un tsar méprisable !

Nous avons un devoir sacré : nous tenir prêts pour ce moment-là. Préparons-nous donc, camarades ! semons le bon grain dans les larges masses du prolétariat. Tendons-nous la main et serrons-nous autour des comités du parti ! 

Nous ne devons pas oublier un instant que seuls, les comités du parti peuvent nous diriger dignement : eux seuls sauront nous éclairer la route qui mène à cette « terre promise » : le monde socialiste !

Le parti qui nous a ouvert les yeux et montré l’ennemi, qui nous organisés en une armée redoutable et nous a conduits à la lutte contre l’ennemi ; qui ne nous a abandonnés ni dans la joie ni dans la peine et a toujours marché à notre tête, c’est le Parti ouvrier social-démocrate de Russie ! C’est lui, et lui seul, qui continuera de nous guider à l’avenir.

Une Assemblée constituante, élue au suffrage universel, égal, direct et secret : voilà pour quoi nous devons lutter à présent !

Seule une telle assemblée nous donnera la république démocratique dont nous avons tant besoin dans notre lutte pour le socialisme.

En avant donc, camarades ! Au moment où l’autocratie tsariste chancelle, notre devoir est de nous préparer à l’assaut définitif ! Le temps est venu de se venger !

A bas l’autocratie tsariste !
Vive l’Assemblée nationale constituante !
Vive la République démocratique !
Vive le Parti ouvrier social-démocrate de Russie !

Janvier 1905

Notes

[1] L’« oukase impérial » du tsar Nicolas II, daté du 12 décembre 1904, fut publié en même temps qu’un communiqué spécial du gouvernement dans les journaux le 14 décembre 1904. Tout en promettant quelques « réformes » d’ordre secondaire, l’oukase déclarait intangible le pouvoir autocratique et contenait des menaces à l’adresse non seulement des ouvriers et des paysans révolutionnaires, mais encore des libéraux qui avaient osé présenter au gouvernement de timides revendications constitutionnelles. Selon le mot de Lénine, l’oukase de Nicolas II était « une véritable gifle pour les libéraux ».

[2] Le « Projet de Constitution » avait été élaboré en octobre 1904 par un groupe de libéraux, membres de l’ « Union de la Libération » : il parut, en tirage à part, sous le titre de Loi fondamentale de l’Empire de Russie. Projet de Constitution russe. Moscou, 1904.

=>Oeuvres de Staline

Staline : 24e anniversaire de la Grande Révolution socialiste d’Octobre

Rapport présenté à la séance solennelle du Soviet des députés des travailleurs de Moscou, élargie aux organisations sociales et du Parti de cette ville, le 6 novembre 1941.

Camarades,

Vingt-quatre ans ont passé depuis que la Révolution socialiste d’Octobre a triomphé chez nous et que le régime soviétique a été instauré dans notre pays. Nous voici au seuil de l’année suivante, la 25e année d’existence du régime soviétique.

D’ordinaire, aux séances solennelles consacrées à l’anniversaire de la Révolution d’Octobre, nous établissons le bilan de nos succès dans l’œuvre de construction pacifique pour l’année écoulée.

Nous avons en effet la possibilité d’établir un tel bilan, puisque nos succès dans ce domaine se multiplient non seulement d’année en année, mais encore de mois en mois. Quels sont ces succès et quel est leur degré d’importance, c’est ce qui est connu de tous, de nos amis comme de nos ennemis.

Mais l’année écoulée n’est pas seulement une année de construction pacifique. Elle est en même temps celle de la guerre contre les envahisseurs allemands qui ont perfidement attaqué notre pays attaché à la paix.

Ce n’est qu’au cours des six premiers mois de l’année écoulée qu’il nous a été possible de poursuivre notre oeuvre de paix. La seconde moitié de l’année, – plus de quatre mois, – se passe dans les conditions d’une guerre acharnée contre les impérialistes allemands. C’est ainsi que la guerre marque un tournant dans le développement de notre pays pour l’année écoulée.

Elle a sensiblement réduit et, dans certains domaines, complètement arrêté notre oeuvre de construction pacifique. Elle nous a obligés à réorganiser tout notre travail sur le pied de guerre. Elle a fait de notre pays un vaste, un unique arrière au service du front, au service de notre Armée rouge et notre Marine militaire.

La période de construction pacifique a pris fin. Et voilà que s’est ouverte la période de la guerre libératrice contre les envahisseurs allemands.

Il est donc parfaitement opportun de poser la question du bilan de la guerre pour la seconde moitié de l’année écoulée, plus exactement pour les quatre mois et plus de la seconde moitié de l’année, et d’envisager les tâches que nous nous proposons dans cette guerre libératrice.

LA MARCHE DE LA GUERRE DEPUIS QUATRE MOIS

J’ai déjà dit, dans un de mes discours du début de la guerre, que celle-ci a créé une menace grave pour notre pays, qu’un sérieux danger pèse sur lui, qu’il faut se rendre compte de ce danger, en prendre conscience et réorganiser tout notre travail sur le pied de guerre.

Maintenant, après quatre mois de guerre, je tiens à souligner que ce danger, loin de diminuer, s’est encore aggravé. L’ennemi s’est emparé d’une grande partie de l’Ukraine, de la Biélorussie, de la Moldavie, de la Lituanie, de la Lettonie, de l’Estonie et de différentes autres régions ; il a pénétré dans le bassin du Donetz ; il reste, telle une sombre nuée, suspendu sur Leningrad ; il menace Moscou, notre glorieuse capitale. Les envahisseurs fascistes allemands ravagent notre pays, détruisant les villes et les villages créés par le travail des ouvriers, des paysans et des intellectuels.

Les hordes hitlériennes assassinent et violentent les habitants pacifiques de notre pays, sans épargner femmes, enfants, vieillards. Dans les régions de notre pays envahies par les Allemands, nos frères gémissent sous le joug de l’oppresseur.

Les combattants de notre armée et de notre flotte font couler des flots de sang ennemi en défendant l’honneur et la liberté de la Patrie, en repoussant courageusement les attaques de l’ennemi féroce ; ils offrent des exemples de vaillance et d’héroïsme.

Mais l’ennemi ne recule devant aucun sacrifice, il ne ménage pas le moins du monde le sang de ses soldats ; il jette sur le front des détachements toujours nouveaux à la place de ceux qui sont mis hors de combat, et il tend toutes ses forces pour s’emparer de Leningrad et de Moscou avant la venue des froids, car il sait que l’hiver ne lui promet rien de bon.

En quatre mois de guerre nous avons perdu 350 000 hommes tués, 378 000 disparus ; nous comptons 1 020 000 blessés. Dans le même temps, l’ennemi a perdu plus de 4 millions et demi d’hommes tués, blessés et prisonniers.

Il est hors de doute qu’après quatre mois de guerre l’Allemagne, dont les réserves en hommes s’épuisent déjà, se trouve beaucoup plus affaiblie que l’Union Soviétique, dont les réserves ne font que se déployer maintenant dans toute leur ampleur.

ÉCHEC DE LA « GUERRE-ÉCLAIR »

En attaquant notre pays, les envahisseurs fascistes allemands comptaient pouvoir « en finir » à coup sûr avec l’Union Soviétique en un mois et demi ou deux mois, et pousser, dans ce court espace de temps, jusqu’à l’Oural.

Il faut dire que les Allemands ne dissimulaient pas ce plan de victoire-« éclair ». Au contraire, ils l’exaltaient par tous les moyens. Les faits ont montré cependant toute la légèreté et la fragilité de ce plan-« éclair ».

Maintenant ce plan insensé doit être considéré comme définitivement avorté. (Applaudissements.)

Comment expliquer que la « guerre-éclair », qui a réussi dans l’Ouest européen, n’a pas réussi, a avorté à l’Est ?

Sur quoi comptaient les stratèges fascistes allemands en affirmant qu’ils en auraient fini en deux mois avec l’Union Soviétique et pousseraient, en ce bref délai, jusqu’à l’Oural ?

C’est que, tout d’abord, ils espéraient sérieusement pouvoir créer une coalition générale contre l’URSS, y faire participer la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, après avoir agité devant les milieux dirigeants de ces pays l’épouvantail de la révolution ; ils espéraient ainsi pouvoir isoler entièrement des autres puissances notre pays.

Les Allemands savaient que leur politique consistant à spéculer sur les contradictions entre les classes sociales de certains Etats, et entre ces Etats et le pays des Soviets, avait déjà donné des résultats en France, pays dont les gouvernants, s’étant laissé effrayer par l’épouvantail de la révolution, avaient dans leur frayeur jeté leur patrie aux pieds de Hitler et abandonné la résistance.

Les stratèges fascistes allemands pensaient qu’il en serait de même de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. C’est en somme dans ce but que les fascistes allemands envoyèrent en Angleterre le fameux Hess, lequel devait décider les hommes politiques anglais à se joindre à la croisade générale contre l’URSS [1]. Mais les Allemands se sont cruellement trompés. (Applaudissements.)

Malgré les efforts tentés par Hess, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, loin de se joindre à la croisade des envahisseurs fascistes allemands contre l’URSS, se sont trouvés dans le même camp que l’URSS, contre l’Allemagne hitlérienne. L’URSS, loin de se trouver isolée, a acquis de nouveaux alliés : la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, ainsi que les pays occupés par les Allemands.

Il s’est avéré que la politique allemande consistant à spéculer sur les contradictions et à agiter l’épouvantail de la révolution a fait son temps, et n’est plus de mise dans la nouvelle situation.

Bien plus : cette politique est grosse de graves dangers pour les envahisseurs allemands, car dans les nouvelles conditions créées par la guerre elle aboutit à des résultats diamétralement opposés.

Les Allemands comptaient ensuite sur la fragilité du régime soviétique, sur la fragilité de l’arrière soviétique ; ils présumaient que dès le premier choc sérieux et les premiers insuccès de l’Armée rouge, des conflits éclateraient entre ouvriers et paysans, les peuples de l’URSS en viendraient aux mains, il y aurait des soulèvements, et le pays se décomposerait en ses éléments constituants, ce qui favoriserait la progression des envahisseurs allemands jusqu’à l’Oural. Mais là encore les Allemands se sont cruellement trompés.

Les insuccès de l’Armée rouge, loin d’affaiblir, ont renforcé encore l’union des ouvriers et des paysans, ainsi que l’amitié des peuples de l’URSS. (Applaudissements.)

Bien plus, ils ont fait de la famille des peuples de l’URSS un camp unique, indestructible, qui soutient avec abnégation son Armée et sa Flotte rouges.

Jamais encore l’arrière soviétique n’a été aussi solide qu’à présent. (Vifs applaudissements.) Il est fort probable que tout autre Etat, avec des pertes de territoires comme celles que nous avons subies jusqu’à présent, n’aurait pas résisté à l’épreuve et aurait périclité.

Si le régime soviétique a supporté avec cette facilité l’épreuve et renforcé encore plus son arrière, c’est que le régime soviétique est, à l’heure actuelle, le régime le plus solide. (Vifs applaudissements.)

Les envahisseurs allemands comptaient enfin sur la faiblesse de l’Armée et de la Flotte rouges ; ils présumaient que l’armée et la flotte allemande réussiraient, dès le premier choc, à culbuter et à disperser notre armée et notre flotte, à s’ouvrir la route pour pénétrer sans obstacle dans l’intérieur de notre pays.

Mais là encore les Allemands se sont cruellement trompés, car ils surestimaient leurs forces et sous-estimaient celles de notre armée et de notre flotte. Certes, notre armée et notre flotte sont encore jeunes, elles ne combattent que depuis quatre mois ; elles n’ont pas encore eu le temps de s’aguerrir, alors qu’elles ont devant elles la flotte et l’armée allemande qui, rompues à ce métier, font la guerre depuis deux ans déjà.

Mais d’abord, le moral de notre armée est supérieur à celui de l’armée allemande, car elle défend sa Patrie contre les envahisseurs étrangers et croit en la justice de sa cause, alors que l’armée allemande mène une guerre de conquêtes et met au pillage un pays étranger ; elle ne peut avoir foi, même un instant, en la justice de sa cause ignominieuse.

Il est hors de doute que l’idée de la défense de la Patrie, au nom de laquelle nos hommes combattent, doit donner naissance et donne effectivement naissance dans notre armée à des héros qui cimentent l’Armée rouge, alors que l’idée de conquête et de spoliation d’un pays étranger, au nom de quoi les Allemands font la guerre, doit donner naissance et donne effectivement naissance dans l’armée allemande à des pillards de profession dépourvus de tout principe moral, qui désagrègent l’armée allemande.

En second lieu, en progressant vers l’intérieur de notre pays, l’armée allemande s’éloigne de son arrière allemand, elle est obligée d’opérer dans une ambiance hostile, de se créer en pays étranger un nouvel arrière que désagrègent d’ailleurs nos partisans, ce qui désorganise à fond le ravitaillement de l’armée allemande, lui fait craindre son arrière et tue en elle sa foi en la stabilité de sa situation. Cependant que notre armée opère dans son propre milieu, jouit de l’appui incessant de son arrière, est pourvue régulièrement en hommes, munitions, vivres, et a une ferme confiance dans son arrière.

Voilà pourquoi notre armée s’est trouvée plus forte que ne le pensaient les Allemands, et l’armée allemande plus faible que ne le laissait présumer le battage soulevé par les envahisseurs fascistes. La défense de Leningrad et de Moscou, au cours de laquelle nos divisions ont exterminé récemment une trentaine de divisions régulières allemandes, témoigne que dans le feu de la guerre pour le salut de la Patrie se forgent et se sont déjà forgés de nouveaux combattants et commandants, pilotes, artilleurs, servants de mortiers, hommes de chars, fantassins et marins soviétiques qui, demain, seront la terreur de l’armée allemande. (Vifs applaudissements.)

Nul doute que toutes ces circonstances prises ensemble n’aient déterminé d’avance l’échec inévitable de la « guerre-éclair » à l’Est.

CAUSES DES ÉCHECS TEMPORAIRES DE NOTRE ARMÉE

Tout cela est exact, évidemment. Mais ce qui l’est aussi, c’est qu’à côté de ces conditions favorables il existe encore pour l’Armée rouge des conditions défavorables qui font que notre armée essuie des échecs temporaires, est obligée de reculer, d’abandonner à l’ennemi certaines régions de notre pays.

Quelles sont ces conditions défavorables ? Où chercher les causes des échecs militaires temporaires de l’Armée rouge ?

Une des causes des échecs de l’Armée rouge, c’est l’absence d’un deuxième front en Europe contre les troupes fascistes allemandes. En effet, il n’existe point à l’heure actuelle, sur le continent européen, d’armée de Grande-Bretagne ou des Etats-Unis menant la guerre contre les troupes fascistes allemandes. Ce qui fait que les Allemands n’ont pas besoin de fragmenter leurs forces et de faire la guerre sur deux fronts, à l’ouest et à l’est.

Et c’est ainsi que les Allemands, estimant que leur arrière est assuré à l’ouest, peuvent lancer contre notre pays toutes leurs troupes et celles de leurs alliés en Europe. La situation présente est telle que notre pays mène seul la guerre libératrice sans l’aide militaire de qui que ce soit, contre les forces coalisées des Allemands, Finlandais, Roumains, Italiens et Hongrois.

Les Allemands se prévalent de leurs succès temporaires, et sans mesure ils chantent louange à leur armée en affirmant qu’elle peut toujours venir à bout de l’Armée rouge dans des combats livrés seule à seule. Or ces affirmations des Allemands ne sont que pure vantardise, car on ne comprend plus alors pourquoi les Allemands ont recours à l’aide des Finlandais, des Roumains, des Italiens, des Hongrois, contre l’Armée rouge qui combat exclusivement avec ses propres forces, sans une aide militaire du dehors.

Nul doute que l’absence d’un deuxième front en Europe contre les Allemands n’allège considérablement la situation de l’armée allemande. On ne saurait douter non plus que la formation d’un deuxième front sur le continent européen, − et il doit absolument se former à bref délai (vifs applaudissements), − allégera sensiblement la situation de notre armée au détriment de l’armée allemande.

Une autre cause des échecs temporaires de notre armée, c’est le manque de chars et, en partie, le manque d’avions. Dans la guerre actuelle, il est très difficile à l’infanterie de combattre sans chars et sans être suffisamment appuyée par l’aviation.

Par sa qualité, notre aviation est supérieure à l’aviation allemande, et nos glorieux pilotes ont acquis la renommée de combattants intrépides. (Applaudissements.) Mais pour le moment nous avons moins d’avions que les Allemands. La qualité de nos chars est supérieure à celle des chars allemands, et nos glorieux hommes de chars et artilleurs ont plus d’une fois mis en déroute les troupes allemandes tant vantées, avec leurs nombreux chars de combat. (Applaudissements.)

Cependant la quantité de chars que nous possédons est de beaucoup inférieure à celle des Allemands. Là est le secret des succès temporaires de l’armée allemande. On ne peut pas dire que notre industrie des chars travaille mal et en livre peu à notre front. Non, elle travaille très bien et fabrique quantité de chars excellents.

Mais les Allemands en produisent beaucoup plus, car à l’heure actuelle ils disposent non seulement de leur propre industrie de chars, mais de celle de la Tchécoslovaquie, de la Belgique, de la Hollande, de la France.

Autrement, l’Armée rouge aurait depuis longtemps écrasé l’armée allemande, qui ne va au combat qu’appuyée par des chars et ne résiste pas au choc de nos unités quand elle n’a pas la supériorité en chars. (Applaudissements.)

Il n’est qu’un seul moyen de réduire à néant la supériorité des Allemands en chars et d’améliorer ainsi, foncièrement, la situation de notre armée. Ce moyen consiste à pousser à fond dans notre pays non seulement la production des chars, mais aussi celle des avions antichars, des fusils et canons, des grenades et mortiers antichars ; à creuser le maximum de fossés et à dresser toutes sortes d’autres obstacles antichars.

Là est notre tâche aujourd’hui.

Cette tâche, nous pouvons et devons l’accomplir à tout prix !

CE QUE SONT LES « NATIONAUX-SOCIALISTES »

D’ordinaire on donne chez nous aux envahisseurs allemands, c’est-à-dire aux hitlériens, le nom de fascistes. Les hitlériens, à ce qu’il paraît, estiment que cela n’est pas juste et ils persistent à s’intituler « nationaux-socialistes ».

Ainsi les Allemands veulent nous faire croire que le parti des hitlériens, le parti des envahisseurs allemands, qui pille l’Europe et a organisé une agression scélérate contre notre Etat socialiste, serait un parti socialiste. La chose est-elle possible ?

Que peut-il y avoir de commun entre le socialisme et les féroces envahisseurs hitlériens qui dépouillent et oppriment les peuples d’Europe ?

Les hitlériens peuvent-ils être considérés comme des nationalistes ? Non, bien sûr. En réalité, les hitlériens ne sont pas à présent des nationalistes, mais des impérialistes.

Tant que les hitlériens s’occupaient de rassembler les terres allemandes et de réunir à leur pays la Rhénanie, l’Autriche, etc., on pouvait les regarder avec certaine raison comme des nationalistes. Mais depuis qu’ils se sont emparés des territoires d’autrui et ont asservi des nations européennes : Tchèques, Slovaques, Polonais, Norvégiens, Danois, Hollandais, Belges, Français, Serbes, Grecs, Ukrainiens, Biélorussiens, Baltes et autres, et qu’ils visent à la domination mondiale, le parti hitlérien a cessé d’être un parti nationaliste, car dès ce moment-là il est devenu un parti impérialiste, un parti d’envahisseurs et d’oppresseurs.

Le parti des hitlériens est un parti d’impérialistes, d’impérialistes les plus rapaces, les plus spoliateurs entre tous les impérialistes du monde.

Peut-on considérer les hitlériens comme des socialistes ?

Non, bien sûr. En réalité, les hitlériens sont les ennemis jurés du socialisme, les pires ultra-réactionnaires, qui ont ravi à la classe ouvrière et aux peuples de l’Europe les libertés démocratiques élémentaires.

Pour masquer leur nature ultra-réactionnaire, les hitlériens traitent le régime intérieur anglo-américain de régime ploutocratique. Mais en Angleterre et aux Etats-Unis, il existe des syndicats d’ouvriers et d’employés, il existe des partis ouvriers, il existe un parlement ; tandis qu’en Allemagne toutes ces institutions ont été supprimées sous le régime hitlérien. Il suffit de mettre en parallèle ces deux séries de faits pour comprendre la nature réactionnaire du régime hitlérien et toute la fausseté des bavardages des fascistes allemands sur le régime ploutocratique anglo-américain.

Dans le fond, le régime hitlérien a été calqué sur le régime réactionnaire de la Russie des tsars. On sait que les hitlériens foulent aux pieds les droits des ouvriers, les droits des intellectuels et les droits des peuples, aussi volontiers que le faisait le régime tsariste ; qu’ils se livrent à des pogroms moyenâgeux contre les Juifs, aussi volontiers que le faisait le régime tsariste.

Le parti des hitlériens est le parti des ennemis des libertés démocratiques, le parti de la réaction moyenâgeuse et des pogroms du plus sombre fanatisme.

Et si ces impérialistes déchaînés et ces pires réactionnaires continuent à se draper dans la toge de « nationalistes » et de « socialistes », ils le font pour tromper le peuple, abuser les naïfs et couvrir du drapeau du « nationalisme » et du « socialisme » leur nature de brigands impérialistes.

Des corbeaux qui se parent des plumes du paon… Mais ces corbeaux peuvent se parer des plumes du paon, ils n’en resteront pas moins des corbeaux. « Il faut tout mettre en oeuvre, dit Hitler, pour que le monde soit conquis par les Allemands. Si nous voulons fonder notre grand empire germanique, nous devons avant tout chasser et exterminer les peuples slaves : Russes, Polonais, Tchèques, Slovaques, Bulgares, Ukrainiens, Biélorussiens. Il n’y a aucune raison de ne pas le faire. » « L’homme, dit Hitler, pèche de naissance, on ne peut le gouverner que par la force. Tous les moyens sont permis avec lui. Lorsque la politique l’exige, il faut mentir, trahir et même tuer. » « Tuez, dit Goering, tous ceux qui sont contre nous ; tuez, tuez, ce n’est pas vous qui en portez la responsabilité, c’est moi, donc tuez ! » « J’affranchis l’homme, dit Hitler, de cette chimère humiliante que l’on nomme conscience. La conscience comme l’instruction estropie l’homme. J’ai cet avantage de n’être retenu par aucune considération d’ordre théorique ou moral. »

Dans un ordre du commandement allemand adressé au 489e régiment d’infanterie, en date du 25 septembre, ordre qui a été trouvé sur un sous-officier allemand tué, il est dit : « J’ordonne d’ouvrir le feu sur tout Russe dès qu’il paraîtra à une distance de 600 mètres. Le Russe doit savoir qu’il a contre lui un ennemi résolu, dont il ne peut attendre aucune indulgence. »

Dans un des appels adressés par le commandement allemand aux soldats et trouvé sur un tué, le lieutenant Gustav Ziegel, de Francfort-sur-le-Main, il est dit : « Tu n’as ni coeur, ni nerfs, − à la guerre ils sont inutiles. Étouffe en toi la pitié et la compassion, tue tout Russe, tout Soviétique, ne t’arrête pas si tu es en présence d’un vieillard ou d’une femme, d’une fillette ou d’un petit garçon, − tue, c’est ainsi que tu auras la vie sauve, que tu assureras l’avenir de ta famille et acquerras une gloire éternelle. »

Tels sont le programme et les directives des leaders du parti hitlérien et du commandement hitlérien, programme et directives d’hommes qui ont perdu toute face humaine et sont tombés au rang des bêtes féroces [2].

Et ces gens sans conscience ni honneur, ces gens à morale de bête fauve, ont l’impudence d’appeler à exterminer la grande nation russe, la nation de Plékhanov [3] et de Lénine, de Bélinski [4] et de Tchernychevski [5] de Pouchkine [6] et de Tolstoï [7], de Glinka [8] et de Tchaïkovski [9], de Gorki [10] et de Tchékhov [11], de Sétchénov [12] et de Pavlov [13], de Répine [14] et de Sourikov [15], de Souvorov [16] et de Koutouzov [17] !…

Les envahisseurs allemands veulent une guerre d’extermination contre les peuples de l’URSS. Qu’à cela ne tienne, si les Allemands veulent une guerre d’extermination, ils l’auront. (Vifs applaudissements prolongés.)

Désormais notre tâche, la tâche des peuples de l’URSS, la tâche des combattants, des commandants et des travailleurs politiques de notre armée et de notre flotte, consistera à exterminer jusqu’au dernier tous les Allemands qui auront pénétré dans le territoire de notre Patrie en qualité d’envahisseurs. (Vifs applaudissements. Cris : « C’est juste ! Hourra ! »)

Pas de quartier pour les envahisseurs allemands !

Mort aux envahisseurs allemands ! (Vifs applaudissements.)

L’ÉCRASEMENT DES IMPÉRIALISTES ALLEMANDS
ET DE LEURS ARMÉES EST CERTAIN

Le fait seul que dans leur dégradation morale les envahisseurs allemands, ayant perdu toute face humaine, sont tombés depuis longtemps au rang de bêtes féroces, − ce fait seul dit qu’ils sont voués à une perte certaine.

Mais la perte certaine des envahisseurs hitlériens et de leurs armées n’est pas déterminée seulement par des facteurs d’ordre moral.

Il existe trois autres facteurs essentiels, dont la force s’accroît de jour en jour et qui doivent amener, dans un proche avenir, l’écrasement inévitable de l’impérialisme de brigandage hitlérien. (Applaudissements.)

C’est d’abord la fragilité de l’arrière européen de l’Allemagne impérialiste, la fragilité de l’« ordre nouveau » en Europe. Les envahisseurs allemands ont asservi les peuples du continent européen, de la France aux Pays baltes soviétiques, de la Norvège, du Danemark, de la Belgique, de la Hollande et de la Biélorussie soviétique aux Balkans et à l’Ukraine soviétique.

Ils leur ont ravi leurs libertés démocratiques élémentaires, le droit de disposer de leur sort ; ils leur ont pris le blé, la viande, les matières premières ; ils en ont fait leurs esclaves ; ils ont crucifié les Polonais, les Tchèques, les Serbes et ont décidé que, ayant conquis la domination en Europe, ils peuvent désormais, sur cette base, asseoir la domination de l’Allemagne dans le monde. Cela s’appelle chez eux l’« ordre nouveau en Europe ».

Mais quelle est cette « base », quel est cet « ordre nouveau » ? Seuls les benêts hitlériens, qui sont en admiration devant eux-mêmes, ne voient pas que cet « ordre nouveau » en Europe et la fameuse « base » de cet ordre sont un volcan prêt à exploser à tout moment et à ensevelir le château de cartes des impérialistes allemands.

On invoque Napoléon, en assurant que Hitler agit comme lui et qu’il ressemble en toutes choses à Napoléon. Mais d’abord il ne faudrait pas oublier quel fut le sort de Napoléon.

En second lieu, Hitler ne ressemble pas plus à Napoléon qu’un petit chat ressemble à un lion (rires, applaudissements) ; car Napoléon combattit les forces de réaction en s’appuyant sur les forces de progrès, tandis que Hitler, au contraire, s’appuie sur les forces de réaction pour combattre les forces de progrès. Seuls les benêts hitlériens de Berlin ne peuvent comprendre que les peuples asservis d’Europe lutteront et se soulèveront contre la tyrannie hitlérienne.

Qui peut douter que l’URSS, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis n’apportent leur appui entier aux peuples d’Europe dans leur lutte libératrice contre la tyrannie hitlérienne ? (Applaudissements.)

C’est ensuite la fragilité de l’arrière des envahisseurs hitlériens en Allemagne. Tant que les hitlériens s’occupaient de rassembler l’Allemagne, brisée en morceaux en vertu du traité de Versailles, ils pouvaient bénéficier de l’appui du peuple allemand qu’inspirait un idéal : le rétablissement de l’Allemagne.

Mais cette tâche une fois accomplie et les hitlériens engagés dans la voie de l’impérialisme, ayant entrepris de conquérir des terres d’autrui et de subjuguer d’autres peuples, − en faisant des peuples de l’Europe et de ceux de l’URSS les ennemis jurés de l’Allemagne actuelle, − un profond revirement s’est opéré dans le peuple allemand contre la continuation de la guerre, pour la liquidation de celle-ci.

Plus de deux années d’une guerre sanglante, dont on ne voit pas encore la fin ; des millions de vies humaines sacrifiées ; la faim ; la misère ; les épidémies ; partout une atmosphère hostile aux Allemands ; la sotte politique de Hitler qui a fait des peuples de l’URSS les ennemis jurés de l’Allemagne actuelle : tout cela ne pouvait manquer de dresser le peuple allemand contre cette guerre inutile et ruineuse.

Seuls les benêts hitlériens ne peuvent comprendre que non seulement l’arrière européen, mais aussi l’arrière allemand des troupes allemandes est un volcan prêt à exploser et à ensevelir les aventuriers hitlériens.

Enfin la coalition de l’URSS, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis d’Amérique contre les impérialistes fascistes allemands. C’est un fait que la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’Union Soviétique ont formé un camp unique, qui s’assigne pour but d’écraser les impérialistes hitlériens et leurs armées d’invasion.

La guerre d’aujourd’hui est une guerre de moteurs. La gagnera qui aura une supériorité écrasante dans la fabrication des moteurs.

Si l’on réunit la fabrication des moteurs aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en URSS, nous aurons par rapport à l’Allemagne au moins trois fois plus de moteurs.

C’est là un des éléments de la débâcle certaine de l’impérialisme de brigandage hitlérien.

La récente conférence des trois Puissances à Moscou, à laquelle participèrent M. Beaverbrook, représentant de la Grande-Bretagne et M. Harriman, représentant les Etats-Unis, a décidé d’aider systématiquement notre pays en chars et en avions [18].

Comme on sait, nous recevons déjà, en vertu de cette décision, des chars et des avions. Un peu avant, la Grande-Bretagne s’est chargée de ravitailler notre pays en matières déficientes comme l’aluminium, le plomb, l’étain, le nickel, le caoutchouc.

Si l’on ajoute à cela que ces jours-ci les Etats-Unis ont décidé de consentir à l’Union Soviétique un emprunt d’un milliard de dollars [19], on peut dire en toute certitude que la coalition des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’URSS est une chose réelle (vifs applaudissements) qui grandit et continuera de grandir au profit de notre oeuvre commune de libération.

Tels sont les facteurs qui déterminent la perte certaine de l’impérialisme fasciste allemand.

NOS TACHES

Lénine distinguait deux genres de guerres : les guerres de conquête et, par conséquent, injustes, et les guerres libératrices, les guerres justes.

Les Allemands mènent à présent une guerre de conquête, une guerre injuste, qui vise à s’emparer de territoires d’autrui et à subjuguer les autres peuples. C’est pourquoi tous les hommes honnêtes doivent se dresser contre ces ennemis que sont les envahisseurs allemands.

A la différence de l’Allemagne hitlérienne, l’Union Soviétique et ses alliés mènent une guerre libératrice, une guerre juste, qui vise à libérer de la tyrannie hitlérienne les peuples asservis de l’Europe et de l’URSS. C’est pourquoi tous les hommes honnêtes doivent soutenir les armées de l’URSS, de la Grande-Bretagne et des autres alliés, en tant qu’armées libératrices.

Nous ne nous proposons ni ne pouvons nous proposer des buts de guerre tels que l’annexion de territoires d’autrui et l’asservisse¬ment de peuples étrangers, – qu’il s’agisse des peuples et territoires en Europe ou des peuples et territoires en Asie, y compris l’Iran [20]. Notre premier but est de libérer notre territoire et nos peuples du joug fasciste allemand.

Nous ne nous proposons ni ne pouvons nous proposer des buts de guerre tels que : imposer notre volonté et notre régime aux peuples slaves et aux autres peuples asservis d’Europe, qui attendent notre aide. Notre but est de venir en aide à ces peuples dans leur lutte libératrice contre la tyrannie hitlérienne, et de leur permettre ensuite de s’organiser sur leur sol en toute liberté, comme bon leur semble. Aucune ingérence dans les affaires intérieures des autres peuples !

Mais pour atteindre ces buts, il faut anéantir la puissance militaire des envahisseurs allemands, il faut exterminer jusqu’au dernier tous les envahisseurs allemands qui ont pénétré dans notre Patrie pour l’asservir. (Vifs applaudissements prolongés.)

Il faut pour cela que notre armée et notre flotte aient l’appui actif et efficace de tout notre pays ; il faut que nos ouvriers et employés, hommes et femmes, travaillent dans les entreprises sans répit et fournissent au front toujours plus de chars, de fusils et pièces antichars, d’avions, de canons, de mortiers, de mitrailleuses, de fusils, de munitions ; il faut que nos kolkhoziens, hommes et femmes, travaillent dans leurs champs sans répit et fournissent au front et au pays toujours plus de blé, de viande, de matières premières pour l’industrie ; il faut que tout notre pays et tous les peuples de l’URSS forment un seul camp militaire, menant de pair avec notre armée et notre flotte la grande guerre libératrice pour l’honneur et la liberté de notre Patrie, pour l’écrasement des armées allemandes. (Vifs applaudissements.)

Là est notre tâche aujourd’hui.

Cette tâche nous pouvons et devons l’accomplir.

Ce n’est qu’après avoir accompli cette tâche et écrasé les envahisseurs allemands que nous pourrons obtenir une paix durable et juste.

Pour l’écrasement total des envahisseurs allemands ! (Vifs applaudissements.)

Pour l’affranchissement de tous les peuples opprimés qui gémissent sous le joug de la tyrannie hitlérienne ! (Vifs applaudissements.)

Vive l’amitié indestructible des peuples de l’Union Soviétique ! (Vifs applaudissements.)

Vive notre Armée et notre Flotte rouges ! (Vifs applaudissements.)

Vive notre glorieuse Patrie ! (Vifs applaudissements.)

Notre cause est juste, – nous vaincrons ! (Applaudissements en rafale. Toute la salle se lève, acclamations : « Au grand Staline, hourra ! Vive le camarade Staline ! » Longue ovation enthousiaste, on chante « l’Internationale ».)

Notes

[1] Rudolph Hess avait gagné l’Angleterre le 10 mai 1941, à bord de l’avion qu’il pilotait. Son objectif était de convaincre le gouvernement anglais de laisser les mains libres à Hitler contre l’Union soviétique.

[2] Un certain nombre de textes nazis, dont le Décret des Commissaires, allaient régir la conduite soit de l’Armée allemande, soit des commandos spécialisés de la SS, les « Einsatzgruppen ». Un chef de l’un de ces commandos pouvait se vanter à la fin de l’année 1941 d’avoir exterminé 90 000 hommes, femmes et enfants. Il y eu d’autre part des « Plans » conçus par les dignitaires nazis : l’un de ceux-ci prévoyait l’extermination de 20 millions de « Grand-Russes ». Selon d’autres estimations nazies le pillage en matières premières et en vivres des zones occupées allaient faire mourir de faim 10 millions de personnes. Les victimes civiles de la guerre se montèrent effectivement à plusieurs millions de Soviétiques.

[3] Plékhanov (G.-V.), 1856-1918. Militant en vue du mouvement socialiste russe et international, philosophe russe éminent et propagandiste du marxisme. Se retrouva dans le camp des ennemis de la révolution socialiste.

[4] Bélinski (V.-G.), 1811-1848. Grand démocrate révolutionnaire russe, critique littéraire et philosophe. Son activité a eu un effet considérable dans la lutte libératrice du peuple russe contre le tsarisme et le servage dans les années 1830-1840.

[5] Tchernichevski (N.-G.), 1828-1889. Grand démocrate révolutionnaire russe, penseur, savant, écrivain et critique littéraire. Auteur du célèbre roman Que faire ?

[6] Pouchkine (A.-S.), 1799-1837. Grand poète russe, fondateur de la nouvelle littérature russe, fixant avec ses oeuvres les normes de la langue russe littéraire.

[7] Tolstoï (L.-N.), 1828-1910. Auteur de Guerre et Paix, Anna Karénine, Résurrection, etc.

[8] Glinka (M.-L), 1804-1857. Grand compositeur russe, créateur de la musique classique russe. Il fut à la musique russe ce que Pouchkine fut à la littérature russe.

[9] Tchaikovski (P.-I.) 1840-1893. Grand compositeur russe.

[10] Gorki (M.), 1868-1936. Grand écrivain russe, fondateur de la littérature de réalisme socialiste, fondateur de la littérature soviétique.

[11] Tchékhov (A.-T.), 1860-1904. Grand écrivain russe, auteur de contes, de nouvelles et de pièces de théâtre.

[12] Sétchénov (I.-M.), 1829-1905. Physiologiste célèbre, un des plus grands naturalistes, savants et penseurs russes.

[13] Pavlov (I.-P.), 1849-1936. Grand savant physiologiste russe, créateur de l’étude matérialiste sur l’activité nerveuse supérieure des animaux et de l’homme.

[14] Répine (I.-E.), 1844-1930. Grand peintre russe, )représentant éminent de l’art russe réaliste démocratique.

[15] Sourikov (V.-L), 1848-1916. Grand peintre russe, représentant du réalisme dans la peinture historique. Membre, comme Répine, des « Ambulants » (société de peinture au XIXe et au début du XXe siècle).

[16] Souvorov (A.-V.), 1730-1800. Stratège russe, général, un des fondateurs de l’art militaire russe d’avant-garde.

[17] Koutouzov (M.-L). Stratège, général, un des fondateurs de l’art militaire russe d’avant-garde. La tactique de Koutouzov se distinguait par la décision, la souplesse et une large utilisation de la manoeuvre pendant les combats. Pendant la campagne de Russie Koutouzov fut obligé de reculer profondément, à cause de la grande puissance de l’armée de Napoléon. Celui-ci espérait une bataille générale, comptant sur ses forces supérieures pour détruire l’armée russe. Koutouzov opposait à ce plan de Napoléon une forme de lutte plus élaborée, unissant le système de batailles séparées, de manoeuvres, de défense active suivie d’une contre-offensive résolue suivant une intention stratégique unique. (1745-1813).

[18] Conférence tenue à Moscou du 29 septembre au 1er octobre 1941

[19] Le projet de loi « prêt-bail » (Lend and Lease Act) avait été déposé par le président Roosevelt devant le Congrès le 10 janvier 1941. La loi, promulguée le 11 mars 1941, autorisait le prêt et la location de matériel de guerre et autre aux nations qui concouraient à la défense des Etats-Unis. La loi, valable pour un an, fut reconduite jusqu’au lendemain de la capitulation de l’Allemagne nazie. Elle fut alors brutalement dénoncée par le successeur de F. Roosevelt à la présidence des Etats-Unis, H. Truman

[20] Les troupes anglaises et soviétiques étaient entrées en Iran le 25 août 1941. L’URSS s’appuyait sur l’article 6 du Traité d’amitié russo-persan du 26 février 1921 qui l’autorisait à protéger le pays dans le cas où ce dernier deviendrait une base pour des forces étrangères. Or, afin de fermer à l’URSS le chemin de la Caspienne, les Allemands faisaient pression sur l’entourage du Shah, et sur le Shah lui-même, pressions qui étaient accueillies favorablement. Il s’agissait également pour les Alliés de préserver les champs de pétrole.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Pour la journée internationale de la femme

8 mars 1925

Aucun grand mouvement d’opprimés, dans l’histoire de l’humanité, ne s’est déroulé sans la participation des femmes travailleuses. Les femmes travailleuses, les plus opprimées de tous les opprimés, ne sont jamais restées et ne pouvaient rester à l’écart de la grande route du mouvement libérateur.

Le mouvement libérateur des esclaves a, comme on le sait, poussé en avant des centaines et des milliers de grandes martyres et d’héroïnes. Dans les rangs des lutteurs pour la libération des serfs, il y avait des dizaines de milliers de femmes travailleuses.

Il n’est pas étonnant que le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, le plus puissant de tous les mouvements libérateurs des masses opprimées, ait attiré sous son étendard des millions de femmes travailleuses.

La Journée internationale des femmes est le témoignage de l’invincibilité et le présage du grand avenir du mouvement libérateur de la classe ouvrière. Les femmes travailleuses, les ouvrières et les paysannes, constituent la grande réserve de la classe ouvrière.

Cette réserve représente une bonne moitié de la population. La réserve féminine sera-t-elle pour la classe ouvrière ou contre elle ? De cela dépendent le destin du mouvement prolétarien, la victoire ou la défaite de la révolution prolétarienne, la victoire ou la défaite du pouvoir prolétarien.

Voilà pourquoi la première tâche du prolétariat et de son détachement le plus avancé, le Parti communiste, consiste à mener une lutte décisive pour libérer les femmes, ouvrières et paysannes, de l’influence de la bourgeoisie, pour éduquer politiquement et organiser les ouvrières et les paysannes sous l’étendard du prolétariat.

La Journée internationale des femmes est un moyen d’attirer la réserve, constituée par les femmes travailleuses, du côté du prolétariat.

Mais les femmes travailleuses ne sont pas seulement une réserve.

Elles peuvent et elles doivent devenir — avec une politique juste de la classe ouvrière — une armée véritable de la classe ouvrière, qui combattra la bourgeoisie. Faire de cette réserve des femmes travailleuses une armée d’ouvrières et de paysannes, combattant aux côtés de la grande armée du prolétariat, voilà la seconde lâche, qui est décisive, de la classe ouvrière.

La Journée internationale des femmes doit servir à faire passer les ouvrières et les paysannes de la réserve de la classe ouvrière dans l’armée active du mouvement libérateur du prolétariat.

Vive la Journée internationale des femmes !

=>Oeuvres de Staline

Staline : Le gouvernement provisoire révolutionnaire et la social-démocratie

La première partie de cet article a été publiée dans la « Prolétariatis Brdzola » [la Lutte du prolétariat], n°11, 15 août 1905.
Article non signé.
Traduit du géorgien.

I

La révolution populaire grandit. le prolétariat s’arme et brandit le drapeau de l’insurrection. La paysannerie redresse l’échine et se rallie autour du prolétariat. Le moment n’est plus loin où l’insurrection générale éclatera et où le trône exécré d’un tsar exécré sera « balayé de la surface de la terre ». Le gouvernement tsariste sera renversé.

Sur ses décombres, on instaurera le gouvernement de la révolution, un gouvernement provisoire révolutionnaire, qui désarmera les forces ténébreuses, armera le peuple et procèdera sur-le-champ à la convocation d’une Assemblée constituante. A la domination du tsar se substituera ainsi la domination du peuple. C’est cette voie que suit actuellement la révolution populaire.

Que doit faire le gouvernement provisoire ?

Il doit désarmer les forces ténébreuses, maîtriser les ennemis de la révolution pour les empêcher de rétablir l’autocratie tsariste. Il doit armer le peuple et contribuer à mener la révolution jusqu’au bout. Il doit assurer la liberté de parole, de presse, de réunion, etc… Il doit abolir les impôts indirects et instituer l’impôt progressif sur les profits et l’héritage. Il doit organiser des comités de paysans, qui règleront les questions agraires à la campagne. Il doit de même séparer l’Eglise de l’Etat et l’école de l’Eglise…

En dehors de ces revendications d’ordre général, le gouvernement provisoire doit aussi satisfaire les revendications de classe des ouvriers : liberté de grève et d’association, journée de huit heures, organisation par l’Etat des assurances ouvrières, conditions hygiéniques de travail, création de « bourses du travail », etc…

En un mot, le gouvernement provisoire doit réaliser entièrement notre programme minimum [1] et procéder à la convocation immédiate de l’Assemblée constituante populaire, qui consacrera « à jamais » les transformations survenues dans la vie publique.

Qui doit faire partie du gouvernement provisoire ?

C’est le peuple qui fera la révolution ; or, le peuple, c’est le prolétariat et la paysannerie. Il est évident qu’ils doivent se charger de faire aboutir la révolution, de juguler la réaction, d’armer le peuple, etc… Il faut pour cela que le prolétariat et la paysannerie aient, au sein du gouvernement provisoire, des défenseurs de leurs intérêts. Le prolétariat et la paysannerie domineront dans la rue, ils verseront leur sang : il va de soi qu’ils doivent aussi dominer dans le gouvernement provisoire.

D’accord, nous dit-on, mais qu’y a-t-il de commun entre le prolétariat et la paysannerie ?

Il y a ceci de commun que l’un et l’autre haïssent les survivances du servage ; que l’un et l’autre luttent à mort contre le gouvernement du tsar ; que l’un et l’autre veulent une république démocratique.

Cela ne doit pas cependant nous faire oublier cette vérité que la différence entre eux est beaucoup plus importante que ce qu’ils ont de commun.

En quoi consiste cette différence ?

En ceci que le prolétariat est l’ennemi de la propriété privée ; il hait le régime bourgeois et n’a besoin de la république démocratique que pour rassembler ses forces et renverser ensuite le régime bourgeois, alors que la paysannerie est attachée à la propriété privée, au régime bourgeois et a besoin de la république démocratique pour consolider les fondements du régime bourgeois.

Inutile de dire que la paysannerie [2] ne marchera contre le prolétariat que dans la mesure où celui-ci voudra abolir la propriété privée.

D’autre part, il est clair également que la paysannerie ne soutiendra le prolétariat que dans la mesure où celui-ci voudra renverser l’autocratie. la révolution actuelle est bourgeoise, c’est-à-dire qu’elle ne touche pas à la propriété privée : la paysannerie n’a donc, à l’heure actuelle, aucune raison de tourner ses armes contre le prolétariat.

En revanche, cette révolution répudie foncièrement le pouvoir du tsar : la paysannerie a donc intérêt à se joindre résolument au prolétariat, force d’avant-garde de la révolution.

Il est clair que le prolétariat, de son côté, a intérêt à soutenir la paysannerie et à marcher avec elle contre l’ennemi commun : le gouvernement tsariste. Le grand Engels dit avec raison que jusqu’à la victoire de la révolution démocratique le prolétariat doit lutter contre le régime existant aux côtés de la petite bourgeoisie [3].

Et si notre victoire ne peut être appelée victoire tant que les ennemis de la révolution ne seront pas entièrement matés ; si le gouvernement provisoire a pour devoir de mater les ennemis et d’armer le peuple ; s’il doit se charger de parachever la victoire, il va de soi que le gouvernement provisoire doit comprendre dans son sein, outre les défenseurs de la petite bourgeoisie, les représentants du prolétariat, chargés de défendre ses intérêts. Il serait absurde que le prolétariat, après avoir assumé la direction de la révolution, confiât à la petite bourgeoisie seule le soin de la mener jusqu’au bout : ce serait se trahir soi-même.

Seulement, il ne faut pas oublier que le prolétariat, ennemi de la propriété privée, doit avoir son propre parti et ne doit pas un instant dévier de sa route.

En d’autres termes, le prolétariat et la paysannerie doivent conjuguer leurs efforts pour en finir avec le gouvernement tsariste ; conjuguer leurs efforts pour mater les ennemis de la révolution ; et c’est pourquoi le prolétariat, au même titre que la paysannerie, doit avoir au gouvernement provisoire des défenseurs de ses intérêts : les social-démocrates.

Cela est si clair, si évident qu’il semble superflu d’en parler.

Mais voilà qu’intervient la « minorité », qui a des doutes et répète obstinément : il ne sied pas à la social-démocratie de participer au gouvernement provisoire, cela est contraire aux principes.

Examinons la question. Quels sont les arguments de la « minorité » ? Elle se réfère, tout d’abord, au congrès d’Amsterdam [4]. Ce congrès, à l’encontre du jauressisme, a décidé que les socialistes ne devaient pas chercher à faire partie d’un gouvernement bourgeois ; or, comme le gouvernement provisoire est un gouvernement bourgeois, il serait inadmissible que nous y participions.

Ainsi raisonne la « minorité » ; elle ne remarque pas qu’une interprétation aussi scolaire de la résolution du congrès implique que nous ne devrions point participer non plus à la révolution.

En effet, nous sommes les ennemis de la bourgeoisie ; or, la révolution actuelle est bourgeoise ; par conséquent, nous ne devons prendre aucune part à cette révolution ! C’est dans cette voie que nous pousse la logique de la « minorité ».

La social-démocratie, en revanche, dit que nous, prolétaires, devons non seulement participer à la révolution actuelle, mais encore nous placer à la tête, la diriger et la mener jusqu’au bout. Or, il est impossible de mener la révolution jusqu’au bout sans faire partie du gouvernement provisoire. Il est incontestable qu’en l’occurrence la logique de la « minorité » boite des deux pieds.

De deux choses l’une : ou bien, à l’instar des libéraux, nous devons renoncer à l’idée que le prolétariat est le dirigeant de la révolution, et alors la question de notre participation à un gouvernement provisoire. La « minorité », elle, ne veut rompre ni avec l’un, ni avec l’autre, elle veut faire figure et de libérale et de social-démocrate ! C’est ainsi qu’elle violente impitoyablement l’innocente logique…

Quant au congrès d’Amsterdam, il avait en vue le gouvernement français permanent, et non un gouvernement provisoire révolutionnaire.

Le gouvernement français est conservateur et réactionnaire ; il défend ce qui est ancien et combat ce qui est nouveau ; il va de soi qu’un social-démocrate véritable n’en fera pas partie. Alors que le gouvernement provisoire est progressiste et révolutionnaire, qu’il lutte contre ce qui est ancien, fraie la voie à ce qui est nouveau, sert les intérêts de la révolution ; il va de soi qu’un social-démocrate véritable en fera partie et prendra une part active au parachèvement de la révolution. Comme on le voit, ce sont là des choses bien différentes. C’est à tort que la « minorité » se cramponne au congrès d’Amsterdam : il ne la sauvera pas de l’échec.

Il faut croire que la « minorité » elle-même l’a senti : elle fait appel à un autre argument : elle invoque à présent les ombres de Marx et d’Engels. Le Social-démocrate, par exemple, répète obstinément que Marx et Engels « rejettent radicalement » la participation à un gouvernement provisoire. Mais où et quand ? Que dit Marx, par exemple ? En réalité, Marx dit que…

les petits bourgeois démocrates… prêchent au prolétariat… de créer un grand parti d’opposition qui engloberait toutes les nuances dans un parti démocratique… [qu’] une pareille union serait sans aucun doute préjudiciable au prolétariat et leur profiterait exclusivement [au gouvernement provisoire] [5], etc… [6].

En un mot, le prolétariat doit avoir un parti de classe distinct. Mais qui donc s’y oppose, « savant critique » ? Pourquoi vous battez-vous contre des moulins à vent ?

Le « critique » n’en continue pas moins à citer Marx.

En cas de lutte contre un ennemi commun, il n’est pas besoin d’une union spéciale. Dans la mesure où une lutte directe contre cet ennemi est nécessaire, les intérêts des deux partis coïncident pour un certain temps, etc… une alliance se réalise alors, qui n’est prévue que pour une période donnée… Pendant et après la lutte, les ouvriers doivent, à chaque occasion, présenter leurs besoins [sans doute : revendications] propres à côté de ceux des démocrates bourgeois… En un mot, il est indispensable, dés le premier moment de la victoire, de se méfier… de ses alliés d’hier, du parti qui veut exploiter la victoire commune exclusivement à ses fins [7].

En d’autres termes, le prolétariat doit suivre son chemin propre et en soutenir la petite bourgeoisie que dans la mesure où cela ne contredit pas ses intérêts.

Mais qui s’y oppose, étonnant « critique » et qu’aviez-vous besoin de vous référer aux paroles de Marx ? Marx parle-t-il du gouvernement provisoire révolutionnaire ? Il n’en dit pas un mot !

Est-ce que, selon Marx, la participation à un gouvernement provisoire pendant une révolution démocratique est contraire à nos principes ? Il n’en dit pas un mot !

Pourquoi donc notre auteur est-il aux anges ? Où a-t-il été dénicher « une contradiction de principe » entre Marx et nous ? Pauvre « critique » ! Il se met en quatre pour découvrir une telle contradiction, mais, à son grand déplaisir, sans aucun résultat.

Et que dit Engels, d’après les menchéviks ?

Dans sa lettre à Turati, il dit, paraît-il, que la révolution future en Italie sera petite-bourgeoise et non socialiste ; que jusqu’à sa victoire le prolétariat doit marcher aux côtés de la petite bourgeoisie contre le régime existant, tout en ayant obligatoirement son propre parti ; mais qu’après la victoire de la révolution il serait extrêmement dangereux pour les socialistes de faire partie du nouveau gouvernement. Ils répéteraient ainsi l’erreur de Louis Blanc et d’autres socialistes français de 1848, etc [8]…

Autrement dit, puisque la révolution italienne sera démocratique, et non socialiste, ce serait une grave erreur de rêver à la domination du prolétariat et de rester dans le gouvernement même après la victoire ; c’est seulement jusqu’à la victoire que le prolétariat pourrait marcher avec les petits bourgeois contre l’ennemi commun.

Mais qui donc le conteste, qui dit que nous devons confondre la révolution démocratique et la révolution socialiste ? Quel besoin avait-on de se référer à Turati, adepte de Bernstein ? Et pourquoi évoquer Louis Blanc ? Louis Blanc était un « socialiste » petit-bourgeois, alors qu’il est question chez nous de social-démocrates.

Il n’existait pas de Parti social-démocrate à l’époque de Louis Blanc : or, ici, il est question de ce parti. Les socialistes français avaient en vue la conquête du pouvoir politique ; ce qui nous intéresse, quant à nous, c’est la question de la participation au gouvernement provisoire…

Est-ce que, selon Engels, participer à un gouvernement provisoire pendant une révolution démocratique est contraire à nos principes ? Il n’en dit pas un mot ! Mais alors pourquoi fallait-il, ô notre menchévik, disserter si longuement ? Ne comprenez-vous pas qu’embrouiller les questions, ce n’est pas les résoudre ? Quel besoin aviez-vous de déranger inutilement les ombres de Marx et d’Engels ?

La « minorité » a sans doute senti elle-même que les noms de Marx et d’Engels ne la sauveront pas, et la voilà qui se cramponne maintenant à un troisième « argument ». Vous voulez mettre une double bride aux ennemis de la révolution, nous dit la « minorité » ; vous voulez que « la pression du prolétariat sur la révolution s’exerce non seulement ‘d’en bas’, non seulement de la rue, mais encore d’en haut, des palais du gouvernement provisoire » [9]. Mais cela est contraire aux principes, nous reproche la « minorité ».

Ainsi, la « minorité » affirme que nous ne devons agir sur la marche de la révolution « que d’en bas ». La « majorité », en revanche, estime que nous devons compléter l’action exercée « d’en bas » par une action exercée « d’en haut », afin que la pression s’exerce de toutes parts.

Mais alors, qui donc entre en contradiction avec le principe de la social-démocratie, la « majorité » ou la « minorité » ?

Adressons-nous à Engels. Dans la période de 1870 à 1880, une insurrection éclata en Espagne. La question d’un gouvernement provisoire révolutionnaire se posa. A cette époque, les bakouninistes (anarchistes) étaient là-bas à l’oeuvre. Ils niaient toute action exercée « d’en haut », d’où une polémique entre eux et Engels. Les bakouninistes prêchaient la même chose que la « minorité » aujourd’hui.

Les bakouninistes, dit Engels, avaient prêché depuis des années que toute action de haut en bas est nuisible, que tout doit être organisé et exécuté de bas en haut [10].

D’après eux,

« toute organisation d’un pouvoir politique, dit provisoire ou révolutionnaire, ne peut-être qu’une nouvelle duperie et serait aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements actuels [11]. »

Engels raille cette façon de voir et dit que la vie a cruellement réfuté cette théorie des bakouninistes. Force a été aux bakouninistes de céder aux exigences de la vie et…

« en dépit de leurs principes anarchistes, ils ont dû former un gouvernement révolutionnaire [12]. »

Ils ont ainsi,

foulé aux pieds le principe qu’ils venaient eux-mêmes de proclamer : à savoir que l’instauration d’un gouvernement révolutionnaire n’est qu’une nouvelle duperie et une nouvelle trahison envers la classe ouvrière. [13]

Ainsi parle Engels.

Il apparaît donc que le principe de la « minorité », — n’agir que « d’en bas », — est un principe anarchiste, qui, en réalité contredit foncièrement la tactique social-démocrate. Le point de vue de la « minorité », selon lequel toute participation à un gouvernement provisoire serait néfaste aux ouvriers, est une phrase anarchiste, dont Engels se moquait déjà. Il apparaît aussi que la vie rejettera les conceptions de la « minorité » et les brisera en se jouant, comme ce fut le cas pour les bakouninistes.

Néanmoins, la « minorité » s’obstine : nous n’irons pas, dit-elle, contre les principes. Ces gens-là ont une étrange conception des principes social-démocrates. Prenons, par exemple, leurs principes concernant le gouvernement provisoire révolutionnaire et la Douma d’Etat. La « minorité » se prononce contre la participation à la Douma d’Etat, suscitée par les intérêts de l’autocratie : cela, paraît-il, ne serait pas contraire aux principes !

La « minorité » se prononce contre la participation à un gouvernement provisoire créé et légitimé par le peuple révolutionnaire : ce serait contraire aux principes. Mais elle est pour une participation à la Douma d’Etat, convoquée et légitimée par le tsar autocrate : cela, paraît-il, ne serait pas contraire aux principes !

La « minorité » est contre une participation à un gouvernement provisoire appelé à enterrer l’autocratie : ce serait contraire aux principes. Mais elle est pour la participation à la Douma d’Etat, appelée à consolider l’autocratie : cela, paraît-il, ne serait pas contraire aux principes !… De quels principes parlez-vous donc, très honorables amis, de ceux des libéraux ou des social-démocrates ? Vous feriez bien de répondre directement à cette question. Nous avons là-dessus quelques doutes.

Mais laissons ces questions.

Le fait est que la « minorité », en quête de principes, a glissé sur la pente de l’anarchisme.

Voilà ce qui est clair aujourd’hui.

II

Nos menchéviks n’ont pas trouvé à leur goût les résolutions prises au IIIe congrès du parti. Leur signification révolutionnaire véritable a troublé le « marais » des menchéviks et éveillé leur appétit de « critique ». Il est à croire que leur mentalité opportuniste a été surtout choquée par la résolution sur le gouvernement provisoire révolutionnaire ; ils ont donc entrepris de la « démolir ». Mais n’y ayant rien trouvé à quoi ils puissent accrocher leur critique, ils ont eu recours à leur moyen habituel et si bon marché : la démagogie !

Cette résolution a été rédigée pour leurrer les ouvriers, pour les mystifier et les aveugler, écrivent ces « critiques ». Et ils semblent très satisfaits de leur manège. Ils imaginent leur adversaire frappé à mort ; et, se croyant en posture de critiques vainqueurs, ils s’exclament : « Et ce sont eux (les auteurs de la résolution) qui ont la prétention de diriger le prolétariat ! ».

A regarder ces « critiques », on croit voir ce personnage de Gogol qui, ayant perdu la raison, se prend pour le roi d’Espagne. tel est le sort de ceux qui sont victimes de la folie des grandeurs !

Examinons de près la « critique » que nous trouvons dans le n°5 du Social-démocrate. Comme on le sait déjà, nos menchéviks ne peuvent songer sans effroi au spectre sanglant du gouvernement provisoire révolutionnaire, et ils font appel à leurs saint — les Martynov et les Akimov — pour les délivrer de ce monstre et le remplacer par le « Zemski Sobor [14] », devenu aujourd’hui la Douma d’Etat.

A cette fin, ils portent aux nues le « Zemski Sobor » et essaient de faire passer pour du bon argent cette création pourrie du tsarisme pourri ! « Nous savons que la grande Révolution française a institué la république sans avoir eu de gouvernement provisoire », écrivent-ils. Et c’est tout ? vous ne savez rien de plus « honorables » critiques ?

Ce n’est pas beaucoup ! Il faudrait en savoir davantage ! Il faudrait savoir, par exemple, que la grande Révolution française a triomphé en tant que mouvement révolutionnaire bourgeois, alors qu’en Russie « le mouvement révolutionnaire triomphera en tant que mouvement des ouvriers, ou ne triomphera pas du tout », comme le dit à juste titre Plékhanov. En France, la bourgeoisie était à la tête de la Révolution ; en Russie, c’est le prolétariat. Là-bas, c’est la bourgeoisie qui présidait au sort de la Révolution ; ici, c’est le prolétariat.

Puisque les forces révolutionnaires dirigeantes sont autres, n’est-il pas évident que les résultats ne sauraient être les mêmes pour l’une et l’autre classes ? Si en France la bourgeoisie, qui se trouvait à la tête de la révolution, en a recueilli les fruits, doit-il en être de même en Russie ?

Oui, disent nos menchéviks, ce qui s’est passé là-bas, en France, doit aussi se produire ici, en Russie. Ces messieurs, pareils à un fabricant de cercueils, prennent les mesures d’un trépassé de longues date et les appliquent aux vivants. Ils ont en outre commis une fraude de taille : ils ont enlevé la tête de l’objet qui nous intéresse et reporté le centre de la polémique sur la queue.

Comme tout social-démocrate révolutionnaire, nous parlons d’instaurer une république démocratique. Eux, ils ont subtilisé le mot « démocratique » et se sont mis à pérorer sur la « république ».

« Nous savons que la grande Révolution française a instauré la république : mais quelle république, — une république vraiment démocratique ? Telle que la veut le Parti ouvrier social-démocrate de Russie ? Cette république a-t-elle donné au peuple le suffrage universel ? Les élections d’alors étaient-elles absolument directes ?

Avait-on établi l’impôt progressif sur le revenu ? Parlait-on d’améliorer les conditions de travail, de diminuer la journée de travail, d’augmenter les salaires etc… ? Non. Il n’y a rien eu de tout cela, et d’ailleurs il n’en pouvait être question, car les ouvriers n’avaient pas alors une éducation social-démocrate.

Aussi leurs intérêts, dans la république française de l’époque, ont-ils été oubliés, négligés par la bourgeoisie. Inclineriez-vous, messieurs, vos têtes « vénérables » devant une telle république ? Est-ce cela votre idéal ? Bon voyage ! Mais souvenez-vous bien, honorables critiques, que s’incliner devant une telle république n’a rien de commun avec la social-démocratie et son programme ; c’est du démocratisme de la pire espèce. Et vous faites passer tout cela en fraude, en vous couvrant du nom de la social-démocratie.

D’autre part, les menchéviks devraient savoir que la bourgeoisie de Russie, avec son « Zemski Sobor », ne nous gratifiera pas même d’une république comme celle de la France ; elle n’a pas du tout l’intention d’abolir la monarchie.

Connaissant parfaitement « l’insolence » des ouvriers là où il n’existe pas de monarchie, elle s’efforce de conserver cette forteresse intacte et de s’en faire une arme contre son ennemi implacable : le prolétariat. C’est dans ce but qu’au nom du « peuple » elle mène des pourparlers avec le tsar-bourreau et lui conseille dans l’intérêt de la « patrie » et du trône, de convoquer un « Zemski Sobor » pour éviter « l’anarchie ». Ignoreriez-vous tout cela, vous autres menchéviks ?

Il nous faut non une république comme celle que la bourgeoisie française a instaurée au XVIIIe siècle, mais une république telle que la veut le Parti ouvrier social-démocrate de Russie, au XXe siècle. or, cette république ne peut naître que d’une insurrection populaire victorieuse ayant à sa tête, le prolétariat et du gouvernement révolutionnaire provisoire qu’elle aura mis en avant.

Ce gouvernement provisoire pourra seul réaliser provisoirement notre programme minimum et soumettre les transformations intervenues à l’approbation d’une Assemblée constituante convoquée par lui.

Nos « critiques » ne croient pas qu’une Assemblée constituante, convoquée conformément à notre programme, puisse exprimer la volonté du peuple (et comment pourraient-ils se l’imaginer, eux qui ne veulent pas aller au delà de la grande révolution française survenue il y a 115 ou 116 ans ?). Ceux qui ont la richesse et l’influence, continuent les « critiques », disposent de tant de moyens de fausser les élections en leur faveur qu’il est parfaitement inutile de parler de la volonté réelle du peuple. Pour que les électeurs pauvres ne deviennent pas les interprètes de la volonté des riches, il faut un grand combat, une longue discipline de parti [celle que les menchéviks ne veulent pas reconnaître !]. Même en Europe [?], malgré une éducation politique déjà ancienne, ce résultat n’est pas atteint. Et nos bolchéviks qui croient que le gouvernement provisoire détient ce talisman !

Voilà le véritable suivisme ! Les voilà, « reposant dans le sein de Dieu », la « tactique-processus » grandeur nature ! Demander pour la Russie ce qui n’a pas encore été réalisé en Europe, il ne saurait en être question, proclament sentencieusement les « critiques » ! Nous savons pourtant que notre programme minimum n’a été complètement réalisé ni en Europe ni même en Amérique ; par conséquent, quiconque l’accepte et lutte pour sa réalisation en Russie après la chute de l’autocratie n’est, selon les menchéviks, qu’un rêveur incorrigible, un pitoyable Don Quichotte ! En un mot, notre programme minimum est faux, utopique, et n’a rien à voir avec la « vie » réelle ! n’est-il pas vrai, messieurs les « critiques » ?

C’est bien ainsi, selon vous. Ayez donc le courage de le dire explicitement, sans détours ! Nous saurons alors qui à nous avons affaire et vous vous affranchirez des formalités de programme que vous abhorrez ! Car vous parlez si timidement, avec tant de pusillanimité, du peu d’importance du programme que beaucoup de gens, en dehors de bolchéviks bien sûr, croient encore que vous reconnaissez le programme de la social-démocratie de Russie, voté au IIe congrès du parti. Mais pourquoi ce pharisaïsme ?

Nous touchons là au fond de nos divergences. vous ne croyez pas à notre programme et vous en contestez la justesse. Alors que nous, au contraire, nous nous en inspirons toujours et y conformons tous nos actes !

Nous voulons croire que « ceux qui ont la richesse et l’influence » ne pourront ni corrompre ni tromper le peuple entier si la propagande électorale est libre. Car, à leur influence et leur or, nous opposerons la parole social-démocrate et sa vérité (dont contrairement à vous, nous ne doutons pas) ; nous atténuerons ainsi l’effet des manœuvres frauduleuses de la bourgeoisie. Mais vous, vous n’y croyez pas, et c’est pourquoi vous tirez la révolution vers le réformisme. En 1848, continuent les « critiques », le gouvernement provisoire de la France [encore la France !], dont faisaient également partie des ouvriers, convoqua une Assemblée nationale où pas un délégué du prolétariat parisien ne fut élu.

C’est là, encore une fois, une incompréhension complète de la théorie social-démocrate et une conception schématique de l’histoire !

Pourquoi jeter des phrases au vent ? En France, bien que des ouvriers eussent fait partie du gouvernement provisoire, le résultat a été nul ; c’est pourquoi la social-démocratie doit, en Russie refuser sa participation, car là encore le résultat serait nul, concluent les « critiques ». Mais est-ce sur la participation des ouvriers qu’est centré le débat ? Disons-nous que l’ouvrier, quel qu’il soit et quelle que soit sa tendance, doit participer au gouvernement provisoire révolutionnaire ?

Non , nous ne sommes pas encore vos adeptes et nous ne décernons pas à chaque ouvrier un brevet de social-démocrate. Quant à faire des ouvriers qui participent au gouvernement provisoire français de membres du Parti social-démocrate, cette idée ne nous est même pas venue à l’esprit ! A quoi bon cette analogie déplacée ?

Et d’ailleurs peut-on établir une comparaison entre la conscience politique du prolétariat français de 1848 et celle du prolétariat de Russie à l’heure actuelle ? Le prolétariat français de ce temps s’était-il livré, ne fût-ce qu’une seule fois, à une manifestation politique contre le régime existant ? Avait-il jamais fêté le 1er Mai sous le signe de la lutte contre le régime bourgeois ? Etait-il organisé au sein d’un parti ouvrier social-démocrate ?

Avait-il un programme social-démocrate ? Nous savons bien que non. De tout cela, le prolétariat français n’avait pas la moindre idée.

La question se pose : le prolétariat français pouvait-il alors cueillir les fruits de la révolution comme en est en mesure de le faire le prolétariat de Russie, qui est, lui, organisé depuis longtemps au sein d’un parti social-démocrate, a un programme social-démocrate parfaitement défini et se fraie consciemment un chemin vers le but qu’il s’est assigné ?

Quiconque est capable de comprendre tant soit peu la réalité répondra par la négative. Et seuls les hommes capables d’apprendre par coeur les faits historiques sans savoir en expliquer l’origine selon le temps et le lieu, peuvent identifier ces deux ordres de faits très différents. « Il faut, nous enseignent encore et encore les ‘critiques’, que le peuple use de violence, que la révolution soit ininterrompue, et non se contenter d’élections et rentrer ensuite chacun chez soi. »

Nouvelle calomnie ! Qui donc vous a dit, très honorable critique, que nous nous contenterons ensuite chacun chez soi ? Nommez-le donc !

Nos « critiques » s’alarment aussi de ce que nous exigions de notre programme minimum, et ils s’exclament : « C’est ne rien comprendre aux choses : car les revendications politiques et économiques de notre programme ne peuvent être réalisées que par la voie législative ; or, le gouvernement provisoire n’est pas un organe législatif. »

A la lecture de ce réquisitoire contre « les agissements illégaux », un doute se glisse en nous : cet article n’aurait-il pas été adressé au Social-démocrate par quelque bourgeois libéral, adorateur de la légalité ? [15].

Comment expliquer autrement ce sophisme bourgeois selon lequel le gouvernement provisoire révolutionnaire n’aurait pas le droit d’abroger les anciennes lois et d’en établir de nouvelles ! Ce raisonnement ne sent-il pas à plein nez le libéralisme le plus plat ?

Et n’est-il pas étrange dans la bouche d’un révolutionnaire ? Vraiment, cela rappelle le condamné dont on allait couper la tête et qui suppliait le bourreau de ne pas toucher au bouton qu’il avait sur le cou.

Au reste, que ne passerait-on pas à des « critiques » qui ne distinguent pas un gouvernement provisoire révolutionnaire d’un simple cabinet des ministres (ce n’est pas de leur faute : leurs maîtres, les Martynov et les Akimov, les ont amenés là). Qu’est-ce qu’un cabinet des ministres ? Le résultat de l’existence d’un gouvernement permanent.

Et qu’est-ce qu’un gouvernement provisoire révolutionnaire ? Le résultat de la suppression du gouvernement permanent. Le premier applique les lois existantes avec le concours d’une armée permanente. le second abroge les lois existantes et à leur place, avec le concours du peuple insurgé, consacre la volonté de la révolution. Qu’y a-t-il de commun entre eux ?

Admettons que la révolution ait triomphé et que le peuple vainqueur ait formé un gouvernement provisoire révolutionnaire. La question se pose : que doit faire ce gouvernement, s’il ne peut ni abroger ni promulguer des lois ? Attendre l’Assemblée constituante ? Mais la convocation de cette Assemblée exige, elle aussi, la promulgation de lois nouvelles comme : le suffrage universel, direct, etc…, la liberté de parole, de la presse, des réunions, et ainsi de suite. Tout cela fait partie de notre programme minimum.

Et si le gouvernement provisoire révolutionnaire ne peut le réaliser, de quoi s’inspirera-t-il en convoquant l’Assemblée constituante ? Serait-ce du programme élaboré par Boulyguine [16] et approuvé par Nicolas II ?

Admettons encore que le peuple vainqueur, après avoir subi de nombreuses pertes par suite du manque d’armes, exige du gouvernement provisoire révolutionnaire le licenciement de l’armée permanente et l’armement du peuple pour lutter contre la contre-révolution.

C’est alors que les menchéviks se mettent à prêcher : la suppression de l’armée permanente et l’armement du peuple sont du ressort, non du gouvernement provisoire révolutionnaire, mais de l’Assemblée constituante. C’est à elle que vous devez en appeler, ne demandez pas d’actes illégaux, etc… Jolis conseillers, il n’y a pas à dire !

Voyons maintenant de quel droit les menchéviks privent le gouvernement provisoire révolutionnaire de toute « capacité ». D’abord, parce qu’il n’est pas une institution législative, et puis parce que l’Assemblée constituante n’aurait, paraît-il, plus rien à faire. Voilà à quelle honte en arrivent ces béjaunes en politique !

Il se trouve qu’ils ne savent même pas que la révolution triomphante et l’interprète de sa volonté, le gouvernement provisoire révolutionnaire, sont les maîtres de la situation jusqu’à la formation d’un gouvernement permanent, qu’ils peuvent donc abroger et promulguer des lois !

S’il en était autrement, si le gouvernement provisoire ne possédait pas ces droits, son existence n’aurait plus aucun sens et le peuple insurgé n’aurait pas institué un pareil organisme. Il est tout de même étonnant que les menchéviks aient oublié l’a b c de la révolution.

Les menchéviks demandent : ce que doit donc faire l’Assemblée constituante, si le gouvernement provisoire révolutionnaire applique notre programme minimum ? Vous craignez, honorables critiques, qu’elle ne soit réduite au chômage.

Soyez sans crainte, le travail ne lui manquera pas. Elle sanctionnera les transformations que le gouvernement provisoire révolutionnaire aura opérées avec l’aide du peuple insurgé ; elle élaborera la Constitution du pays, dont notre programme minimum ne sera qu’une partie. Voilà ce que nous demanderons à l’Assemblée constituante ! Ils

[les bolchéviks]

ne peuvent se figurer une scission entre la petite bourgeoisie même et les ouvriers, scission qui aura ses répercussions sur les élections ; par suite, le gouvernement provisoire voudra opprimer au profit de sa classe les électeurs ouvriers, écrivent les « critiques ».

Comprenne qui pourra cette sagesse ! Que signifient ces mots : « le gouvernement provisoire voudra opprimer au profit de sa classe les électeurs-ouvriers » !!? De quel gouvernement provisoire parlent-ils, contre quels moulins à vent se battent ces Don Quichotte ? Quelqu’un a-t-il jamais dit que si la petite bourgeoisie s’emparait à elle seule du gouvernement provisoire révolutionnaire, elle n’en défendrait pas moins les intérêts des ouvriers ? Pourquoi prêter aux autres sa propre étourderie ?

Nous disons qu’on peut admettre, dans certaines conditions, la participation de nos délégués social-démocrates au gouvernement provisoire révolutionnaire à côté des représentants de la démocratie. S’il en est ainsi, s’il s’agit d’un gouvernement provisoire révolutionnaire dont font aussi partie les social-démocrates, comment pourrait-il être de composition petite-bourgeoise ?

Nous fondons nos arguments en faveur de la participation au gouvernement provisoire révolutionnaire sur ce fait que la réalisation de notre programme minimum ne contredit pas dans l’essentiel les intérêts de la démocratie : paysannerie et petite bourgeoisie des villes (que vous, menchéviks, invitez à adhérer à votre parti) ; nous estimons donc possible de l’appliquer en commun.

Mais si la démocratie s’oppose à l’application de certains points de notre programme, nos délégués, soutenus dans la rue par leurs électeurs, par le prolétariat, s’efforceront d’appliquer ce programme par la force, si cette force existe (si elle fait défaut, nous n’entrerons pas dans le gouvernement provisoire, et d’ailleurs on ne nous y enverra pas siéger).

Comme on le voit, la social-démocratie doit participer au gouvernement provisoire révolutionnaire précisément pour y défendre le point de vue social-démocrate, c’est-à-dire pour ne pas permettre aux autres classes de léser les intérêts du prolétariat.

Les représentants du Parti ouvrier social-démocrate de Russie au gouvernement provisoire révolutionnaire déclareront la guerre non au prolétariat, comme le croient les menchéviks dans leur aberration, mais, en accord avec le prolétariat, aux ennemis du prolétariat.

Mais que vous importe tout cela, à vous, menchéviks ? Que vous importent la révolution et son gouvernement provisoire ? Votre place est là-bas, à la « [Douma d’Etat] »…

Notes

[1] Voir, pour le programme minimum, le Communiqué sur le IIe congrès du P.O.S.D.R. (J.S.).

[2] C’est-à-dire la petite bourgeoisie. (J.S.).

[3] Voir l’Iskra, n°96. Ce passage a été reproduit dans le n°5 du Social-démocrate. Voir « La démocratie et la social-démocratie ». (J.S.).

[4] Le congrès d’Amsterdam de la IIe Internationale, tenu en août 1904.

[5] Voir le Social-démocrate, n°5. (J.S.).

[6] Karl Marx et Friedrich Engels : Adresse du Comité central à la Ligue des communistes.

[7] Voir le Social-démocrate, n° 5. (J.S.).

[8] Voir le Social-démocrate n°5. Le Social-démocrate cite ces mots entre guillemets. On pourrait croire que ces mots d’Engels sont reproduits textuellement. En réalité, il n’en est rien. Le contenu de la lettre d’Engels y est seulement exposé en d’autres termes. (J.S.).

[9] Voir l’Iskra, n°93. (J.S.).

[10] Voir le n°3 du Proletari, où sont citées ces paroles d’Engels. (J.S.).

[11] Voir le n°3 du Prolétari. (J.S.).

[12] Idem. (J.S.).

[13] Idem. (J.S.).

[14] Le « Zemski Sobor » ou « assemblée des représentants de la terre russe » correspond aux Etats généraux de l’ancien régime en France. Au début du XVIIe siècle, pendant le « temps des troubles », le « Zemski Sobor » exerça un moment le pouvoir.

[15] Cette idée s’impose d’autant plus que, de toute la bourgeoisie de Tiflis, les menchéviks, dans le n°5 du Social-démocrate, ne considèrent comme traîtres à la « cause commune » qu’une dizaine de marchands. On peut en conclure que les autres sont leurs partisans et font « cause commune » avec les menchéviks. Quoi d’étonnant à ce qu’un de ces partisans de la « cause commune » se soit avisé d’envoyer au journal de ses collègues un article « critique contre l’intransigeante « majorité » ? (J.S.).

[16] Il s’agit du projet de loi relatif à l’institution d’une Douma d’Etat consultative et du règlement sur les élections à la Douma, élaborés par une commission que présidait le ministre de l’Intérieur Boulyguine. Le projet de loi et le règlement électoral furent publiés en même temps que le manifeste du tsar, le 6 (19) août 1905. Les bolchéviks boycottèrent activement la Douma de Boulyguine. Celle-ci fut balayée par la révolution avant même d’avoir pu se réunir.

=>Oeuvres de Staline

Staline : La réaction se renforce

Prolétariatis Brdzola [la Lutte du prolétariat], n°12, 15 octobre 1905.
Article non signé.
Traduit du géorgien.

De sombres nuages s’amassent au-dessus de nous. L’autocratie décrépite relève la tête et s’arme « du glaive et du feu ». La réaction est en marche ! Qu’on ne vienne pas nous parler des « réformes » du tsar, appelées à renforcer l’infâme aristocratie : les « réformes » ne servent qu’à masquer les balles et les nagaïkas dont nous régale si généreusement le féroce gouvernement tsariste.

Il fut un temps où le gouvernement s’abstenait de verser le sang à l’intérieur du pays. Il faisait alors la guerre à « l’ennemi du dehors », il lui fallait la « tranquillité intérieure ». Aussi faisait-il preuve d’une certaine « tolérance » à l’égard des « ennemis du dedans », il « fermait les yeux » sur le mouvement qui montait.

Maintenant, les temps sont changés. Épouvanté par le spectre de la révolution, le gouvernement du tsar s’est hâté de conclure la paix avec « l’ennemi du dehors », le Japon, afin de rassembler ses forces et de sévir « à fond » contre « l’ennemi du dedans ». Ce fut alors le début de la réaction. Le gouvernement avait déjà révélé ses « plans » dans les Moskovskié Viédomosti [1].

Le gouvernement… a dû faire deux guerres de front… écrivait ce journal réactionnaire, la guerre à l’extérieur et la guerre à l’intérieur. S’il ne faisait ni l’une ni l’autre avec suffisamment d’énergie… cela peut s’expliquer en partie par le fait que ces deux guerres se contrariaient l’une l’autre… Si la guerre se termine maintenant en Extrême-Orient…, [le gouvernement] aura enfin les coudées franches pour en finir victorieusement avec la guerre de l’intérieur… pour écraser sans aucune négociation… les ennemis du dedans… La guerre terminée, toute l’attention de la Russie [lisez : du gouvernement] se portera sur la vie intérieure et principalement sur la répression des troubles. (Voir les Moskovskié Viédomosti du 18 août).

Tels étaient les « plans » du gouvernement tsariste lorsqu’il concluait la paix avec le Japon.

Puis, la paix conclue, il a de nouveau exposé ces mêmes « plans » par la bouche d’un de ses ministres : « Nous noierons dans le sang, disait cet homme, les partis extrêmes de Russie. »

D’ores et déjà, par l’entremise de ses satrapes et de ses gouverneurs généraux, il applique ces « plans » : ce n’est pas pour rien qu’il a fait de la Russie un camp retranché ; qu’il a inondé les centres du mouvement de ses Cosaques et de ses soldats ; qu’il a tourné ses mitrailleuses contre le prolétariat : c’est à croire que le gouvernement s’apprête à conquérir encore une fois l’immense Russie !

Comme on le voit, le gouvernement déclare la guerre à la révolution et dirige les premiers coups contre son avant-garde, le prolétariat. C’est ainsi qu’il faut comprendre ses menaces à l’adresse des « partis extrêmes ».

Certes, il ne « lésera » pas non plus la paysannerie et la gratifiera généreusement de coups de nagaïkas et de balles, — si elle ne se montre pas « assez raisonnable » et réclame des conditions de vie humaines ; mais pour l’instant, le gouvernement cherche à la tromper : il lui promet la terre et l’invite à la Douma, faisant miroiter à ses yeux « toutes les libertés » pour plus tard.

Quant au « beau monde », le gouvernement, bien entendu, le traitera « avec plus d’égards » et s’efforcera de s’allier avec lui : la Douma d’Etat n’est-elle pas faite pour cela ? Inutile de dire que MM. les bourgeois libéraux ne refuseront pas des « accords ». Dés le 5 août, ils déclaraient par la bouche de leur chef qu’ils étaient ravis des réformes du tsar :

« … Tout doit être fait pour que la Russie… ne suive pas la voie révolutionnaire de la France. » (Voir les Rousskié Viédomosti [2] du 5 août, article de Vinogradov).

Est-il besoin de dire que les astucieux libéraux trahiront plutôt la révolution que Nicolas II ? Leur dernier congrès l’a amplement prouvé…

En un mot, le gouvernement du tsar fait tous ses efforts pour réprimer la révolution populaire.

Des balles pour le prolétariat, des promesses fallacieuses à la paysannerie et des « droits » pour la grande bourgeoisie, tels sont les moyens dont s’arme la réaction.

L’écrasement de la révolution ou la mort : voilà quel est aujourd’hui le mot d’ordre de l’autocratie.

De leurs côté, les forces de la révolution ne dorment pas, elles poursuivent leur grande oeuvre. La crise, aggravée par la guerre, et les grèves politiques de plus en plus fréquentes ont mis en effervescence tout le prolétariat de Russie, le dressant face à l’autocratie tsariste.

La loi martiale, loin de l’intimider, a versé au contraire de l’huile sur le feu et aggravé encore la situation. Quiconque a entendu les cris répétés des prolétaires : « A bas le gouvernement du tsar, à bas la Douma tsariste ! » et a écouté attentivement battre le cœur de la classe ouvrière, ne saurait en douter : l’esprit révolutionnaire du prolétariat, guide de la révolution, ne cesse de s’élever.

Quant aux paysans, la mobilisation les avait déjà dressés contre le régime, car en privant les familles de leurs meilleurs travailleurs, elle a détruit leurs foyers. Et si l’on ajoute que la famine a frappé 26 provinces, on comprendra sans peine dans quelle voie doit s’engager la paysannerie si durement éprouvée.

Enfin, les soldats, à leur tour, commencent à murmurer, ce murmure prend pour l’autocratie un caractère chaque jour plus redoutable. Les Cosaques, soutiens de l’autocratie, se font haïr des soldats : dernièrement, à Novaïa Alexandria, les soldats en ont tué trois cents [3]. Les faits de ce genre deviennent de plus en plus fréquents…

En un mot, la vie prépare une nouvelle vague révolutionnaire, qui monte peu à peu et s’élance contre lé réaction. Les derniers événements de Moscou et de Pétersbourg sont les signes précurseurs de cette vague.

Quelle doit être notre ligne de conduite en face de tous ces évènements ? Que devons-nous faire, nous, social-démocrates ?

Si l’on en croit le menchévik Martov, nous devrions, dés aujourd’hui, élire une Assemblée Constituante pour saper à jamais les bases de l’autocratie tsariste. Selon lui, parallèlement aux élections légales à la Douma, il faut procéder à des élections illégales.

Des comités électoraux doivent être constitués, qui appelleront « la population à élire ses représentants au suffrage universel. Ces représentants doivent, à un moment donné, se réunir dans une ville et se proclamer Assemblée Constituante…

[C’est ainsi que] doit s’opérer la liquidation de l’autocratie » [4]. En d’autres termes, bien que l’autocratie soit encore debout, nous pouvons procéder à des élections générales dans toute la Russie !

L’autocratie a beau sévir, les représentants « illégaux » du peuple peuvent se proclamer Assemblée Constituante et instaurer une république démocratique ! Pas besoin, paraît-il, d’armement, d’insurrection, de gouvernement provisoire : la république démocratique viendra d’elle-même ; il faut seulement que les représentants « illégaux » se donnent le nom d’Assemblée Constituante !

Le bon Martov n’oublie qu’une chose : c’est qu’un beau jour cette fantastique « Assemblée Constituante » se retrouvera à la forteresse Pierre-et-Paul ! Le Martov de Genève ne comprend pas que les praticiens de Russie n’ont guère le loisir de s’amuser aux jonchets de la bourgeoisie.

Non, nous voulons autre chose.

La réaction la plus noire rassemble les forces ténébreuses et cherche à les unir par tous les moyens : notre tâche à nous est de rassembler les forces social-démocrates et de les grouper plus étroitement.

La réaction la plus noire convoque la Douma ; elle veut se faire de nouveaux alliés et renforcer l’armée de la contre-révolution : notre tâche à nous est de boycotter activement la Douma, de montrer à tous son visage contre-révolutionnaire et de grossir les rangs des partisans de la révolution.

La réaction la plus noire déclenche une attaque à mort contre la révolution ; elle veut porter le désarroi dans nos rangs et creuser la tombe de la révolution populaire : notre tâche à nous est de serrer les rangs, de lancer une attaque générale et simultanée contre l’autocratie tsariste et d’en effacer jusqu’au souvenir.

Pas un château de cartes à la Martov, mais l’insurrection générale : voilà ce qu’il nous faut.

Le salut du peuple est dans l’insurrection victorieuse du peuple lui-même.

La victoire de la révolution ou la mort — tel doit être aujourd’hui notre mot d’ordre révolutionnaire.

Notes

[1] Les Moskovskié Viédomosti [les Nouvelles de Moscou], journal paraissant depuis 1756, qui défendait les intérêts des milieux les plus réactionnaires de la noblesse féodale et du clergé. A partir de 1905, organe des Cent-Noirs. Interdit après la Révolution d’Octobre 1917.

[2] Les Rousskié Viédomosti [les Nouvelles de Russie], journal édité à Moscou depuis 1863 par des professeurs libéraux de l’Université de Moscou et des représentants des zemstvos, défendaient les intérêts des grands propriétaires fonciers libéraux et de la bourgeoisie. A partir de 1905, organe des cadets de droite.

[3] Voir le Prolétari *, n°17. (J.S.).

* Le Prolétari [le Prolétaire], hebdomadaire bolchévik illégal. Organe central du P.O.S.D.R., dont la création avait été décidée par le IIIe congrès du parti, était édité à Genève. Il en parut 26 numéros, du 14 (27) mai au 12 (25) novembre 1905. Lénine en était le rédacteur en chef. Le Prolétari, dont la ligne était celle de la vieille Iskra léniniste, succéda au journal bolchévik : le Vpériod. Il cessa de paraître quand Lénine partit pour Pétersbourg.

[4] Voir le Prolétari, n°15 où est exposé le « plan » de Martov. (J.S.).

=>Oeuvres de Staline

Staline : La Douma d’Etat et la tactique de la social-démocratie

Gantiadi [l’Aube], n°3, 8 mars 1906. 
Signé : I. Bessochvili.
Traduit du géorgien.

Vous avez sans doute entendu parler de l’affranchissement des paysans. C’était à l’époque où un double coup avait été porté au gouvernement : au dehors, la défaite de Crimée ; à l’intérieur, le mouvement paysan.

Aussi le gouvernement, pressé de deux côtés, fut-il contraint de céder, et il se mit à parler de l’affranchissement des paysans : « Nous devons nous-mêmes affranchir les paysans d’en haut, sinon le peuple se soulèvera et s’affranchira lui-même d’en bas. » Nous savons ce qu’a été cet « affranchissement d’en haut »…

Et si le peuple s’est alors laissé duper ; si le gouvernement est parvenu à réaliser ses plans pharisaïques ; s’il a pu, par des réformes, raffermir sa situation et retarder ainsi la victoire du peuple, c’est, entre autres, parce qu’à cette époque le peuple n’était pas encore préparé et qu’on pouvait facilement le tromper.

La même histoire se répète aujourd’hui dans la vie de la Russie. On sait qu’aujourd’hui encore un double coup a été porté au gouvernement : au dehors, la défaite en Mandchourie ; à l’intérieur, la révolution populaire.

On sait que le gouvernement, pressé de deux côtés, est contraint de céder une fois encore et, comme naguère, parle de « réformes d’en haut » : « Nous devons , d’en haut, donner au peuple une Douma d’Etat, sinon le peuple se soulèvera et convoquera lui-même, d’en bas, une Assemblée constituante. »

C’est ainsi qu’ils veulent, par la convocation de la Doum, apaiser la révolution populaire, de même qu’ils ont, une fois déjà, apaisé le grand mouvement paysan par « l’affranchissement des paysans ».

De là notre tâche : déjouer avec la dernière énergie les plans de la réaction, balayer la Douma d’Etat et faire ainsi place nette pour la révolution populaire.

Mais qu’est-ce que la Douma, comment est-elle composée ?

La Douma est un parlement bâtard. Elle n’aura qu’en théorie voix délibérative ; en fait, elle aura seulement voix consultative, car il y aura au-dessus d’elle, pour la censurer, une Chambre haute et un gouvernement armé jusqu’aux dents. Le manifeste dit expressément qu’aucune décision de la Douma ne pourra être appliquée si elle n’a obtenu l’assentiment de la Chambre haute et du tsar.

La Douma n’est pas un parlement populaire ; c’est le parlement des ennemis du peuple, car les élections à la Douma ne seront ni générales, ni égales, ni directes, ni faites au scrutin secret. Les droits électoraux infimes accordés aux ouvriers n’existent que sur le papier.

Des 98 délégués qui doivent élire les députés à la Douma pour le gouvernement de Tiflis, deux seulement peuvent être élus par les ouvriers, les 96 autres doivent appartenir aux autres classes : ainsi le veut le manifeste.

Des 32 délégués qui doivent envoyer des députés à la Douma au nom des circonscriptions de Batoum et de Soukhoum, un seul peut être élu par les ouvriers, les 31 autres doivent être désignés par les autres classes : ainsi le veut le manifeste.

Il en est de même dans les autres régions. Est-il besoin de dire que seuls des représentants d’autres classes pourront être élus députés ? Pas un député des ouvriers, pas une voix aux ouvriers : tels sont les principes sur lesquels s’organise la Douma. Si l’on ajoute à tout cela la loi martiale ; si l’on tient compte que la liberté de parole, de la presse, de réunion et d’association n’existe pas, on comprendra sans peine ce que seront ceux qui vont se réunir à la Douma tsariste.

Raison de plus, il est inutile de le dire, pour que nous nous appliquions résolument à balayer cette Douma et à lever le drapeau de la révolution.

Comment pouvons-nous balayer la Douma ? En participant aux élections ou en les boycottant ? Là est maintenant la question.

Les uns disent : nous devons absolument prendre part aux élections pour empêtrer la réaction dans ses propres filets et faire ainsi définitivement échec à la Douma d’Etat.

Les autres leur répondent : en prenant part aux élections, vous aidez sans le vouloir la réaction à créer une Douma et vous sautez ainsi à pieds joints dans les filets qu’elle vous a tendus.

Cela signifie que vous allez d’abord, de concert avec la réaction, aider à instituer une Douma tsariste, pour essayer ensuite, sous la pression de la vie, de détruire cette Douma que vous aurez vous-mêmes créée, chose incompatible avec les exigences de notre politique, qui est une politique de principe.

De deux choses l’une : ou bien renoncez à participer aux élections et travaillez à mettre la Douma en échec, ou bien renoncez à faire échec à la Douma et allez voter sans vous proposer de détruire ensuite ce que vous avez vous-mêmes créé.

Il est évident que la seule voie juste, c’est le boycottage actif qui nous permettra d’isoler du peuple la réaction, de faire échec à la Douma et de priver ainsi de tout appui ce parlement bâtard.

Tels sont les arguments des partisans du boycottage.

Qui a raison ?

Deux conditions sont nécessaires pour une tactique social-démocrate véritable : d’abord ne pas être en contradiction avec la marche de la vie sociale ; ensuite, élever sans cesse l’esprit révolutionnaire des masses.

La tactique de la participation aux élections contredit la marche de la vie sociale, car la vie sape les assises de la Doum, alors que la participation aux élections les consolide et, par conséquent, va à l’encontre de la vie.

La tactique du boycottage, elle, découle de la marche de la révolution, car, de concert avec la révolution, elle discrédite et sape dés le début les assises de la Douma policière.

La tactique de la participation aux élections affaiblit l’esprit révolutionnaire du peuple, car les partisans de cette tactique invitent le peuple à prendre part à des élections policières, et non à des actes révolutionnaires ; ils voient le salut dans des bulletins de vote, et non dans l’action du peuple.

Les élections policières donneront au peuple une idée fausse de la Doum d’Etat, elles éveilleront en lui des espoirs fallacieux et le pousseront à penser involontairement : il faut croire que la Doum n’est pas une chose si mauvaise ; sinon les social-démocrates ne nous conseilleraient pas d’y participer. Qui sait si la chance ne nous sourira pas et si la Douma ne nous sera pas profitable ?

La tactique du boycottage, elle, ne sème point d’espoirs fallacieux dans la Douma ; elle dit franchement et sans équivoque que le salut réside uniquement dans l’action victorieuse du peuple, que l’affranchissement du peuple ne peut être que l’œuvre du peuple lui-même ; et que la Douma y faisant obstacle, il faut dés maintenant s’efforcer de la supprimer.

Ici, le peuple ne compte que sur lui-même ; il est, dés la début, hostile à la Douma, citadelle de la réaction ; tout cela ne manquera pas d’élever de plus en plus son esprit révolutionnaire, de préparer le terrain pour une action générale victorieuse.

La tactique révolutionnaire doit être claire, nette et précise ; la tactique du boycottage possède justement ces qualités.

On dit : la propagande orale ne suffit pas ; c’est par des faits qu’il faut convaincre la masse de l’incapacité de la Douma, et contribuer ainsi à son échec ; on doit, pour cela, participer aux élections, et non les boycotter activement.

Voici notre réponse. Il va sans dire que la propagande par les faits a beaucoup plus de portée qu’une explication verbale. Si nous allons aux réunions électorales populaires, c’est justement pour que dans la lutte contre les autres partis, dans les conflits qui nous opposent à eux, le peuple voie de ses propres yeux la perfidie de la réaction et de la bourgeoisie, et pour que nous fassions ainsi « de la propagande par les faits » parmi les électeurs.

Et si cela ne suffit pas à nos camarades, s’ils veulent avec tout cela que nous participions aux élections, il faut leur faire remarquer que par elle-même l’élection, — le fait de déposer ou non son bulletin dans l’urne, — n’ajoute absolument rien ni à la propagande « par les faits », ni à la propagande « verbale ».

Mais le préjudice est grand, puisque, par cette « propagande par les faits », les partisans de la participation, sans le vouloir, approuvent l’existence de la Douma et en consolident ainsi les assises. Comment ces camarades entendent-ils compenser ce grave préjudice ? En déposant des bulletins ? Ce n’est même pas la peine d’en discuter.

D’autre part, la « propagande par les faits » doit également avoir des bornes. Quand Gapone [2] marchait avec la croix et les icônes à la tête des ouvriers de Pétersbourg, il disait aussi : le peuple croit à la bonté du tsar ; il ne s’est pas encore convaincu de la volonté criminelle de l’administration, et il ne nous reste qu’à le conduire au palais du tsar. Assurément Gapone se trompait.

Sa tactique était néfaste, ce qui fut confirmé le 9 janvier. Cela signifie que nous devons rejeter la tactique de Gapone. Or la tactique du boycottage est la seule qui écarte radicalement les expédients à la Gapone.

On dit : le boycottage coupera la masse de son avant-garde, car celle-ci seule vous suivra, tandis que la masse restera avec les réactionnaires et les libéraux, qui la gagneront à leur cause.

A cela nous répondrons que partout où des faits de ce genre se produiront, c’est que la masse sympathise évidemment avec d’autres partis et nous aurions beau prendre part aux élections, elle n’élirait pas de délégués social-démocrates. Car ce ne sont pas les élections qui peuvent, par elles-mêmes, rendre la masse révolutionnaire !

Quant à la propagande électorale, elle est faite par les deux tendances, avec cette différence toutefois que les partisans du boycottage font contre la Douma une propagande plus intransigeante et plus énergique que les partisans de la participation aux élections, car une violente critique de la Douma peut inciter les masses à refuser de voter, ce qui n’entre pas dans les plans des partisans de la participation.

Si cette propagande est efficace, le peuple se ralliera autour des social-démocrates, et quand ceux-ci appelleront à boycotter la Douma, le peuple les suivra aussitôt, tandis que les réactionnaires resteront avec leurs fieffées crapules.

Si, en revanche, la propagande « ne porte pas », les élections ne peuvent que nous être préjudiciables, car avec la tactique de la participation à la Douma, nous serons obligés d’approuver l’activité de réactionnaires. Le boycottage, on le voit, est le meilleur moyen de rallier le peuple autour de la social-démocratie, bien entendu là où ce ralliement est possible ; là où il ne l’est pas, les élections ne peuvent que nous faire du tort.

D’autre part, la tactique de la participation à la Douma obscurcit la conscience révolutionnaire du peuple. En effet, tous les partis révolutionnaires et libéraux prennent part aux élections. Quelle différence y a-t-il entre eux et les révolutionnaires ?

A cette question, la tactique de la participation ne fournit pas de réponse explicite aux masses. Celles-ci peuvent facilement confondre les cadets non révolutionnaires.

La tactique du boycottage, elle, trace une frontière très nette entre les révolutionnaires et les non-révolutionnaires qui veulent se servir de la Douma pour sauver les assises de l’ancien régime. Or il importe éminemment, pour l’éducation révolutionnaire du peuple, que cette frontière soit tracée.

On nous dit, enfin, que grâce aux élections nous créerons des Soviets de députés ouvriers et unirons ainsi sur le plan de l’organisation les masses révolutionnaires.

A cela nous répondrons que, dans les conditions actuelles, alors que les participants aux réunions les plus anodines sont arrêtés, l’activité de Soviets de députés ouvriers est absolument impossible et que, par conséquent, se fixer pareille tâche, c’est se leurrer soi-même.

Ainsi la tactique de la participation sert sans le vouloir à fortifier la Douma tsariste ; elle affaiblit l’esprit révolutionnaire des masses, obscurcit la conscience révolutionnaire du peuple ; elle n’est en mesure de créer aucune organisation révolutionnaire ; elle va à l’encontre du développement de la vie sociale et, comme telle, elle doit être rejetée par la social-démocratie.

Quant à la tactique du boycottage, c’est dans cette direction que va maintenant le développement de la révolution. C’est aussi cette direction que doit suivre la social-démocratie.

Notes

[1] Cet article a été publié le 8 mars 1906 dans la Gantiadi [l’Aube], organe quotidien du comité unifié de Tiflis du P.O.S.D.R, qui parut du 5 au 10 mars 1906. L’article exprimait le point de vue officiel des bolchéviks sur la tactique à suivre à l’égard des élections à la Douma.

Dans le numéro précédent de la Gantiadi, un article intitulé « Les élections à la Douma d’Etat et notre tactique » et signé X, exposait la position des menchéviks dans cette question.

L’article de Staline était accompagné de cette note de la rédaction : « Dans le numéro d’hier, nous avons publié un article qui traduisait l’opinion d’une partie de nos camarades sur la participation à la Douma d’Etat. Aujourd’hui, nous faisons paraître, ainsi que nous l’avons promis, un second article exprimant le point de vue d’une autre partie de nos camarades sur cette même question. Comme le lecteur s’en rendra compte, ces articles se distinguent foncièrement l’un de l’autre : l’auteur du premier article est pour la participation aux élections à la Douma ; l’auteur du second article est contre. Ces deux points de vue ne traduisent pas seulement une opinion personnelle. Ils expriment les conceptions tactiques des deux tendances qui existent dans le parti. Et il en est ainsi non seulement chez nous, mais dans toute la Russie ».

[2] Gapone (1872-1906) : pope et agent provocateur qui avait créé à Pétersbourg, en 1904, une organisation ouvrière contrôlée par la police. Lors de la grève de l’usine Poutilov, il conduisit, le 9 (22) janvier 1905, devant le Palais d’Hiver les ouvriers qui devaient remettre au tsar une pétition : Gapone entendait aider l’Okhrana à provoquer le massacre. La troupe tira : plus de mille ouvriers furent tués en ce « dimanche sanglant ». Gapone s’échappa, se réfugia en France, revint en décembre 1905 à Pétersbourg où il fut exécuté par les socialistes-révolutionnaires.

=>Oeuvres de Staline

Staline : À propos de la question agraire

Elva [l’Eclair], n°14 du 29 mars 1906.
Signé : I. Bessochvili.
Traduit du géorgien.

 L’Elva [l’Eclair] fut un quotidien géorgien, organe du Comité unifié de Tiflis du P.O.S.D.R. ; il commença à paraître après l’interdiction de la Gantiadi. Le premier numéro de l’Elva parut le 12 mars, le dernier, le 15 avril 1906. Les articles leaders publiés dans le journal au nom des bolchéviks furent écrits par Staline. En tout parurent 27 numéros.

On se souvient sans doute du dernier article sur la « municipalisation » (voir l’Elva, n°12). Nous ne voulons pas examiner toutes les questions soulevées par l’auteur : ce n’est ni intéressant, ni nécessaire.

Nous n’aborderons que les deux questions principales : la municipalisation est-elle en contradiction avec la suppression des vestiges du servage et le partage des terres est-il une mesure réactionnaire ?

C’est ainsi que notre camarade pose la question. Sans doute la municipalisation, le partage des terres et autres questions analogues lui apparaissent-elles comme des questions de principe, alors que le parti pose la question agraire sur un tout autre terrain.

La vérité est que la social-démocratie ne considère ni la nationalisation, ni la municipalisation, ni le partage des terres, comme des questions de principe ; elle ne soulève à leur égard aucune objection de principe.

Voyez le Manifeste de Marx, la Question agraire de Kautsky, les Procès-verbaux du IIe congrès, la Question agraire en Russie du même Kautsky, et vous constaterez qu’il en est bien ainsi. Le parti envisage toutes ces questions d’un point de vue pratique et pose la question agraire sur un terrain pratique : où notre principe trouve-t-il son application la plus complète, dans la municipalisation, la nationalisation ou le partage des terres ?

Voilà sur quel terrain le parti pose le problème.

On conçoit que le principe du programme agraire, — suppression des vestiges du servage et libre développement de la lutte des classes, — demeure invariable ; seuls ont changé les moyens de le réaliser.

C’est ainsi que l’auteur aurait dû poser la question : qu’est-ce qui est préférable pour faire disparaître les vestiges du servage et développer la lutte des classes, la municipalisation ou le partage des terres ?

Or, lui s’élance inopinément dans les domaines de principes ; il fait passer les questions pratiques pour des questions de principe et nous demande : ce que l’on appelle la municipalisation « est-il en contradiction avec la suppression des vestiges du servage et le développement du capitalisme ? »

Ni la nationalisation, ni le partage des terres ne sont en contradiction avec la suppression des vestiges du servage et le développement du capitalisme ; mais cela ne signifie pas encore qu’il n’y ait pas entre eux de différence, que le partisan de la municipalisation doive être en même temps partisan de la nationalisation et du partage des terres ! Il y a évidemment entre eux une certaine différence d’ordre pratique.

Toute l’affaire est là, et c’est pourquoi le Parti a posé la question sur un terrain pratique. Mais l’auteur, comme nous l’avons signalé plus haut, a porté la question sur un tout autre terrain ; il a confondu le principe avec les moyens de le réaliser et, ce faisant, il a, sans le vouloir, éludé la question posée par le Parti.

Ensuite, l’auteur nous assure que le partage des terres est réactionnaire, autrement dit il nous adresse le reproche que nous avons maintes fois entendu dans la bouche des socialistes-révolutionnaires.

Quand ces métaphysiciens de socialistes-révolutionnaires nous disent que du point de vue du marxisme le partage des terres est une mesure réactionnaire, ce reproche ne nous étonne nullement, car nous savons fort bien qu’ils n’envisagent pas la chose du point de vue de la dialectique : ils ne veulent pas comprendre que tout vient en son temps et lieu, que ce qui demaindeviendra réactionnaire, peut être révolutionnaire aujourd’hui.

Mais lorsque des adeptes de la dialectique matérialiste nous adressent le même reproche, nous ne pouvons nous empêcher de demander : en quoi donc dialecticiens et métaphysiciens se distinguent-ils les uns des autres ?

Certes, le partage des terres serait une mesure réactionnaire s’il était dirigé contre le développement du capitalisme ; mais s’il est dirigé contre les vestiges du servage, il est évidemment une mesure révolutionnaire, que la social-démocratie doit soutenir.

Contre quoi est dirigé aujourd’hui le partage des terres : contre le capitalisme ou contre les vestiges du servage ? Il est dirigé contre les vestiges du servage, cela ne fait pas de doute. Ainsi, la question se résout d’elle-même.

Bien entendu, une fois le capitalisme suffisamment consolidé à la campagne, le partage des terres deviendra une mesure réactionnaire, car il sera dirigé contre le développement du capitalisme ; mais alors la social-démocratie ne le soutiendra plus.

A l’heure actuelle, la social-démocratie défend ardemment la revendication d’une république démocratique en tant que mesure révolutionnaire ; mais, par la suite, quand la question de la dictature du prolétariat se posera pratiquement, la république démocratique sera réactionnaire et la social-démocratie s’efforcera de la détruire.

Il faut en dire autant du partage des terres. Le partage des terres et, en général, l’économie petite-bourgeoise sont révolutionnaires quand il y a lutte contre les vestiges du servage ; mais ce même partage des terres est réactionnaire quand il est dirigé contre le développement du capitalisme. Tel est le point de vue dialectique sur le développement social.

C’est de ce point de vue dialectique que Karl Marx envisage l’économie rurale petite-bourgeoise quand, dans le livre III du Capital, il la déclare progressiste en comparaison de l’économie féodale.

Et voici, entre autres, ce que Karl Kautsky dit du partage :

« Le partage du fonds de terres, c’est-à-dire de la grande propriété terrienne, ce partage que la paysannerie russe réclame et qu’elle commence déjà à réaliser pratiquement… n’est pas seulement inévitable et nécessaire, il est utile au plus haut point. Et la social-démocratie a toutes les raisons de soutenir cette opération » [Voir la Question agraire en Russie, p. 11. (J.S.)].

Pour trancher une question, il est très important de la poser correctement. Toute question doit être posée dialectiquement, c’est-à-dire que nous ne devons jamais oublier que tout change, que toute chose vient en son temps et lieu, et que, par conséquent, les questions aussi, nous devons les poser en accord avec les conditions concrètes.

Telle est la première condition pour résoudre la question agraire. En second lieu, nous ne devons pas oublier non plus que les social-démocrates de Russie posent aujourd’hui la question agraire sur un terrain pratique ; quiconque veut résoudre ce problème doit se placer sur ce terrain précis. Telle est la deuxième condition pour résoudre la question agraire. Or, notre camarade n’a tenu compte d’aucune de ces conditions.

Bon, répondra le camarade, admettons que le partage des terres soit révolutionnaire. Il est évident que nous nous appliquerons à soutenir ce mouvement révolutionnaire, mais cela ne signifie pas du tout que nous devions inscrire dans notre programme les revendications de ce mouvement ; des revendications de ce genre seraient tout à fait déplacées dans le programme, etc… L’auteur, apparemment, confond le programme minimum et le programme maximum.

Il sait que le programme socialiste (c’est-à-dire le programme maximum) ne doit contenir que des revendications prolétariennes ; mais il oublie que le programme démocratique (c’est-à-dire le programme minimum) et, à plus forte raison, le programme agraire n’est pas socialiste ; par conséquent, on y trouvera nécessairement des revendications démocratiques bourgeoises que nous soutenons. La liberté politique est une revendication bourgeoise ; néanmoins elle occupe dans notre programme minimum une place d’honneur.

Au reste, inutile d’aller bien loin ; voyez le deuxième point du programme agraire et lisez : le parti réclame « … l’abrogation de toutes les lois qui gênent le paysan dans la libre disposition de sa terre » ,— lisez tout cela et répondez : qu’y a-t-il de socialiste dans cet article ? Rien, direz-vous, car cet article réclame la liberté de la propriété bourgeoise, et non sa suppression. Néanmoins, cet article figure dans notre programme minimum.

Qu’en conclure ? Seulement ceci : le programme maximum et le programme minimum sont deux choses différentes qu’il ne faut pas confondre. Il est vrai que les anarchistes ne seront pas contents, mais que voulez-vous ? Nous ne sommes pas des anarchistes !…

Quant à l’aspiration des paysans au partage des terres, nous avons déjà dit qu’il faut l’apprécier en fonction de la tendance du développement économique ; or, comme cette aspiration des paysans « découle directement » de cette tendance, notre parti doit la soutenir et non s’y opposer.

=>Oeuvres de Staline

Staline : La «législation du travail» et la lutte prolétarienne

A Propos de deux lois du 15 novembre

L’Akhali Droéba [le Temps nouveau], n°4, 4 décembre 1906.
Signé : Ko…
Traduit du géorgien.

Il fut un temps où notre mouvement ouvrier se trouvait à son stade initial. Le prolétariat était alors divisé en groupes séparés et ne songeait pas à une lutte commune.

Cheminots, mineurs, ouvrier d’usine, artisans, commis employés de bureau, voilà quels étaient les divers groupes du prolétariat de Russie. En outre, chacun de ces groupes se partageai à son tour en ouvriers de différentes villes et localités, entre lesquels n’existait aucun lien ni de parti, ni syndical. Ainsi le prolétariat n’apparaissait pas comme une classe une et indivisible. Par conséquent, il n’y avait pas de lutte prolétarienne en tant qu’offensive de toute une classe.

Voilà pourquoi le gouvernement tsariste pouvait, le plus tranquillement du monde, continuer d’appliquer sa politique « ancestrale ». Voilà pourquoi, lorsqu’en 1893, le Conseil d’Etat fut saisi d’un « projet d’assurances ouvrières », l’inspirateur de la réaction Pobiédonostsev accueillit les auteurs du projet par des sarcasmes et déclara avec aplomb : « Messieurs, vous vous êtes inutilement donné du mal ; rassurez-vous : chez nous, la question ouvrière n’existe pas… »

Mais le temps passait, la crise économique approchait, les grèves se faisaient plus fréquentes, et le prolétariat dispersé s’organisait peu à peu en une classe unique. Déjà les grèves de 1903 ont montré que « la question ouvrière existe » depuis longtemps « chez nous ».

Les grèves de janvier-février 1905 ont, pour la première fois, annoncé au monde qu’en Russie, le prolétariat, en tant que classe unique mûrit et atteint l’âge viril.

Enfin, les grèves générales d’octobre-décembre 1905 et les grèves « courantes » de juin-juillet 1906 ont rapproché en fait les prolétaires des différentes villes ; elles ont, en fait, soudé en une classe unique les commis, les employés de bureau, les artisans et les ouvriers de l’industrie ; ce faisant, elles ont hautement annoncé au monde que les forces d’un prolétariat, autrefois éparpillé, s’étaient d’ores et déjà engagées dans la voie de l’union et s’organisaient en une classe unique.

Ici s’est affirmé également la force de la grève politique générale comme méthode de lutte de l’ensemble du prolétariat contre l’ordre actuel… Désormais, il n’était plus possible de nier l’existence de la « question ouvrière » : le gouvernement tsariste se vit obligé de compter avec le mouvement.

Et voilà que dans les ministères réactionnaires on commence à former diverses commissions, à préparer des projets de « lois pour les ouvriers de l’industrie » : la commission Chidlovski [1], la commission Kokovtsev [2], la loi sur les associations [3] (voir le « manifeste » du 17 octobre), les circulaires de Witte-Dournovo [4], divers projets et plans et, enfin, les eux lois du 15 novembre concernant les artisans et les employés de commerce.

Tant que le mouvement demeurait sans force, tant qu’il n’avait pas pris un caractère de masse, la réaction ne connaissait qu’un moyen contre le prolétariat : ce moyen, c’était la prison , la Sibérie, la nagaïka et la potence.

La réaction vise partout et toujours un seul but : diviser le prolétariat en petits groupes, briser son détachement d’avant-garde, intimider et attirer de son côté la masse neutre, pour provoquer ainsi le désarroi dans le camp du prolétariat. Nous avons vu qu’elle atteignait parfaitement ce but par les nagaïkas et les prisons.

Mais la situation se présenta tout différemment quand le mouvement eut pris un caractère de masse. Maintenant, la réaction n’avait plus seulement affaire aux « meneurs » ; devant elle se dressait la masse innombrable, dans toute sa grandeur révolutionnaire.

Et c’est avec cette masse qu’il fallait compter. Or, on ne peut prendre toute la masse, la déporter toute en Sibérie, l’entasser toute dans les prisons. Quant à lui distribuer des coups de nagaïkas, cela n’est pas toujours avantageux pour la réaction qui sent depuis longtemps le terrain se dérober sous ses pieds.

Il est évident qu’à côté des vieux moyens, il fallait en trouver un nouveau, « plus civilisé », qui pût, d’après la réaction, approfondir les divergences dans le camp du prolétariat, éveiller de faux espoirs chez les ouvriers arriérés, les déterminer à abandonner la lutte et à se rallier au gouvernement.

Ce moyen nouveau, c’est la « législation du travail ».

Ainsi le gouvernement tsariste, sans abandonner le vieux moyen, entend en même temps utiliser la « législation du travail »et, par conséquent, résoudre la « brûlante question ouvrière » par la nagaïka et par la loi. Il veut, par diverses promesses — réduction de la journée de travail, protection du travail des enfants et des femmes, améliorations des conditions d’hygiène, assurances ouvrières, suppression des amendes, et autres bienfaits analogues, — gagner la confiance des ouvriers arriérés et enterrer ainsi l’unité de classe du prolétariat.

Le gouvernement tsariste sait fort bien que pareille « activité » ne lui a jamais été plus nécessaire qu’au moment présent, où la grève générale d’octobre a uni les prolétaires des diverses corporations et sapé les bases de la réaction ; où la prochaine grève générale peut se transformer en une lutte armée et jeter bas le vieil ordre de choses ; où, par conséquent, la réaction a besoin, comme de l’air pour vivre, de semer le désarroi dans le camp ouvrier, de gagner la confiance des ouvriers arriérés et de les attirer de son côté.

A cet égard, il est très intéressant de noter que par les lois du 15 novembre, la réaction a daigné exercer sa bienveillance uniquement envers les commis et les artisans, et cela au moment même où elle emprisonne et fait pendre les meilleurs fils du prolétariat de l’industrie. Si l’on y réfléchit bien, il n’y a là rien d’étonnant.

D’abord, les commis, les artisans et les employés de commerces ne sont pas concentrées, comme les ouvriers de l’industrie, dans de grandes fabriques et usines ; ils sont disséminés dans toutes sortes de petites entreprises ; ils sont relativement plus arriérés sous le rapport de la conscience et, par conséquent, plus faciles à tromper que les autres.

En second lieu, les commis, les employés de bureau et les artisans forment une grande partie du prolétariat de la Russie actuelle et, par conséquent, s’ils abandonnaient les prolétaires en lutte, les forces du prolétariat s’en trouveraient considérablement affaiblies aussi bien pour les élections actuelles que pour l’action à venir.

Enfin, tout le monde sait que, dans la révolution actuelle, la petite bourgeoisie citadine a une grande importance ; tout le monde sait que son passage à la révolution, sous l’hégémonie du prolétariat, est une nécessité pour la social-démocratie ; on n’ignore pas non plus que personne ne saura gagner la petite bourgeoisie aussi bien que le feront les artisans, les commis et les employés de bureau, qui sont plus proches d’elle que les autres prolétaires.

Il est clair que l’abandon du prolétariat par les commis et les artisans éloignera aussi de lui la petite bourgeoisie et le vouera à l’isolement dans les villes, ce que le gouvernement tsariste désire tant.

Dès lors, on conçoit aisément pourquoi la réaction a fabriqué les lois du 15 novembre, qui concernent uniquement les artisans, les commis et les employés de bureau. Quant au prolétariat de l’industrie, de toute façon il n’a pas confiance dans le gouvernement ; la « législation du travail »est pour lui inutile, seules les balles peuvent le mettre à la raison. Ce que ne fera pas loi, la balle y suppléera !…

Ainsi pense le gouvernement du tsar.

Et c’est ce que pense non seulement notre gouvernement, mais tout autre gouvernement anti-prolétarien, que ce soit un gouvernement féodal et autocratique, et monarchiste ou bourgeois et républicain. Partout on lutte contre le prolétariat par les balles et la loi, cela durera tant que n’éclatera pas la révolution socialiste, tant que ne sera pas instauré le socialisme.

Rappelez-vous la France républicaine des années 1840-1850, époque où l’on parlait d’une « législation du travail », et où, en même temps, le sang des ouvriers rougissait les pavés de Paris. Rappelez-vous tout cela et beaucoup d’autres faits semblables, et vous verrez que les choses sont bien ainsi.

Cela ne signifie pas, toutefois que le prolétariat ne puisse tirer parti des lois en question.

La réaction, en promulguant une « législation du travail », a ses plans ; elle entend mater le prolétariat, mais la vie, pas à pas, déjoue ses plans et, dans ces cas-là, il se glisse toujours dans la loi des articles utiles au prolétariat.

Cela se produit parce qu’aucune « législation du travail » ne vient au monde sans causes, sans lutte, parce qu’aucune « législation du travail n’est promulguée par le gouvernement tant que les ouvriers n’ont pas engagé la lutte, tant que le gouvernement ne se voit pas contraint de satisfaire leurs revendications.

L’histoire montre que chaque « législation du travail » est précédée par une grève partielle ou générale. La loi de juin 1882 (sur l’embauche des enfants, leur journée de travail et la création d’une inspection du travail) a été précédée la même année par les grèves de Narva, Perm, Pétersbourg et Girardov.

Les lois de juin-octobre 1886(sur les amendes, les livrets de paie, etc…) ont été le résultat direct des grèves de 1885-1886 dans le centre de la Russie. La loi de juin 1897 (sur la réduction de la journée de travail) a été précédée par les grèves de 1895-1896 à Pétersbourg.

Les lois de 1903 (sur « la responsabilité des employeurs » et sur les « syndics de fabrique ») ont été le résultat direct de des « grèves du Midi » cette même année. Enfin, les lois du 15 novembre 1906 (sur la réduction de la journée de travail et le repos dominical des commis, employés de bureau et artisans) sont le résultat direct des grèves qui ont éclaté en juin-juillet de cette année dans toute la Russie.

Comme on le voit, chaque « législation du travail » a été précédée par un mouvement des masses, qui, d’une manière ou d’une autre, faisaient aboutir leurs revendications, sinon entièrement, du moins partiellement. Il s’ensuit clairement qu’une « législation du travail », si mauvaise soit-elle, contient quand même quelques articles dont le prolétariat tirera parti pour intensifier sa lutte.

Inutile de démontrer qu’il doit se saisir de ces articles et les utiliser comme armes pour consolider encore ses organisations et attiser de plus en plus la lutte prolétarienne, la lutte pour la révolution socialiste. Ce n’est pas à tort que Bebel disait : « Il faut trancher la tête du diable avec son propre glaive… »

Sous ce rapport, les deux lois du 15 novembre sont fort intéressantes. Certes, elles contiennent beaucoup de mauvais articles, mais on y trouve aussi des articles que la réaction a introduits inconsciemment et dont le prolétariat doit consciemment tirer parti.

Voici un exemple. Bien que ces deux lois se nomment lois « sur la protection du travail », on y a introduit des articles scandaleux, qui sont absolument contraires à toute « protection du travail » et que même certains patrons répugneront à appliquer. Les deux lois instituent dans les entreprises commerciales et artisanales la journée de 12 heures, bien qu’en maint endroits la journée de 12 heures aient été abolie et ait fait place à la journée de 10 ou de 8 heures.

Les deux lois autorisent deux heures supplémentaires par jour (journée de 14 heures) pendant 40 jours dans les entreprises commerciales et 60 jours dans les ateliers, bien que presque partout le travail supplémentaire soit aboli. En même temps, les patrons ont le droit, après « accord avec les ouvriers », c’est-à-dire en les y obligeant, d’augmenter le nombre des heures supplémentaires, de prolonger la journée de travail jusqu’à 17 heures, etc., etc…

Sans aucun doute, le prolétariat ne cédera pas aux patrons une once des droits qu’il a conquis, et les élucubrations qu renferment ces eux lois resteront des élucubrations ridicules.

D’autre part, on y trouve des articles que le prolétariat saura utiliser à merveille pour consolide ses positions. Les deux lois disent que là où le travail ne dure pas moins de 8 heures par jour, le travailleur a droit à 2 heures pour son repas ; or, on sait qu’aujourd’hui les artisans, les commis et les employés de bureau ne bénéficient pas partout d’une pause de 2 heures.

Les deux lois disent aussi que les personnes âgées de moins de dix-sept ans ont le droit, en plus de ces 2 heures, de quitter le magasin ou l’atelier encore pendant 3 heures par jour pour fréquenter l’école, ce qui évidemment sera d’un grand secours pour nos jeunes camarades…

Il ne fait pas de doute que le prolétariat saura utiliser au mieux ces articles des lois du 15 novembre ; il intensifiera comme il se doit sa lutte prolétarienne et, une fois encore, prouvera au monde qu’il faut trancher la tête du diable avec son propre glaive.

[1] La commission du sénateur Chidlovski fut instituée par un oukase du tsar en date du 29 janvier 1905, pour, prétendait-on « élucider sans retard les causes du mécontentement des ouvriers de la ville de Saint-Pétersbourg et de ses environs ».

On se proposait d’introduire dans cette commission des délégués ouvriers. Les bolchéviks virent dans cette manœuvre du tsarisme une tentative de détourner les ouvriers de la lutte révolutionnaire ; aussi proposèrent-ils d’utiliser les élections à cette commission pour présenter au gouvernement tsariste des revendications politiques. Le gouvernement ayant repoussé leurs revendications, les électeurs refusèrent d’élire leurs représentants à la commission et appelèrent les ouvriers de Pétersbourg à faire grève.

Dès le lendemain, commencèrent des grèves politiques de masse, et le 20 février 1905, le gouvernement tsariste se voyait obligé de dissoudre la commission Chidlovski. (N.R.).

[2] La commission présidée par le ministre des Finances V. Kokovtsev fut instituée en février 1905. De même que la commission Chidlovski, elle devait étudier la question ouvrière, mais, cette fois, sans la participation des ouvriers. Cette commission fonctionna jusqu’en été 1905. (N.R.).

[3] La loi du 4 mars 1906 sur les associations autorisait l’existence légale des sociétés et associations, sous réserve d’en faire officiellement enregistrer les statuts. Malgré les nombreuses restrictions apportées à l’activité des associations et les pénalités prévues pour toute infraction à la loi, les ouvriers utilisèrent largement les droits qui leur étaient accordés pour créer des organisations syndicales prolétariennes.

Pendant la période de 1905 à 1907, pour la première fois en Russie commencent à se constituer des syndicats de masse, qui mènent la lutte économique et politique sous la direction de la social-démocratie révolutionnaire. (N.R.).

[4] Après la promulgation du manifeste du tsar du 17 octobre 1905, le président du conseil des ministres Witte et le ministre de l’Intérieur Dournovo, dans une série de circulaires et de télégrammes adressés aux gouverneurs des provinces et des villes, leur enjoignirent, malgré les « libertés »officiellement proclamées, de disperser par la force les meetings et les réunions, d’interdire les journaux, de prendre des mesures énergiques contre les syndicats, de déporter par voie administrative toutes les personnes suspectes d’activité révolutionnaire, etc… (N.R.).

=>Oeuvres de Staline

Staline : Sur la révision du programme agraire

Discours prononcé à la septième séance du IVe congrès du P.O.S.D.R., le 13 (26) avril 1906.

Tout d’abord, quelques mots au sujet des méthodes d’argumentation de certains camarades. Le camarade Plékhanov s’est longuement étendu sur les « allures anarchistes » du camarade Lénine, sur le caractère dangereux du « léninisme », etc…, etc…, mais sur la question agraire, il nous dit, en somme, bien peu de choses. Pourtant il est l’un des rapporteurs de la question agraire.

J’estime que ce procédé d’argumentation, qui crée une atmosphère de nervosité, outre qu’il est contraire à l’esprit de notre congrès, appelé Congrès d’unification, n’apporte aucun éclaircissement quant à la façon de poser la question agraire.

Nous pourrions, nous aussi, dire quelques mots sur les allures de cadet du camarade Plékhanov, mais cela ne nous ferait pas avancer d’un pas dans la solution du problème agraire.

Ensuite, John [1] s’est appuyé sur certaines données tirées de la vie en Gourie, en Lettonie, etc…, pour conclure en faveur de la municipalisation dans toute la Russie.

Je dois dire que, d’une façon générale, ce n’est pas ainsi qu’on établit un programme. pour établir un programme, il faut se baser non sur les particularités que présentent certains coins de certaines régions périphériques, mais sur les caractères généraux, propres à la majeure partie de la Russie : un programme sans une ligne directrice n’est pas un programme, mais un amalgame mécanique de thèses diverses.

Il en est précisément ainsi du projet de John. En outre, John s’appuie sur des données fausses. D’après lui, le développement même du mouvement paysan plaide en faveur de son projet, parce qu’en Gourie, par exemple, au cours du mouvement, il s’est formé une administration autonome régionale qui gérait les forêts, etc…

Mais, d’abord, la Gourie n’est pas une région, c’est un simple district du gouvernement de Koutaïs ; en second lieu, il n’y a jamais eu en Gourie une administration autonome révolutionnaire, unique pour toute la Gourie : il n’y avait que de petites administrations locales qui, par conséquent, n’ont jamais eu l’importance d’une administration régionale autonome ; troisièmement, gérer est une chose, posséder en est une autre.

En général, il court bien des légendes sur la Gourie, et les camarades de Russie ont bien tort de les prendre pour des vérités…

En ce qui concerne le fond du problème, je dois dire que notre programme doit avoir pour tout point de départ la thèse suivante : étant donné que nous concluons une alliance révolutionnaire provisoire avec la paysannerie en lutte, étant donné que nous ne pouvons, en conséquence, négliger les revendications de cette paysannerie, nous devons les soutenir si, dans l’ensemble, elles ne contredisent pas la tendance du développement économique et la marche de la révolution.

Les paysans réclament le partage ; celui-ci ne contredit pas les conditions indiquées ; donc nous devons soutenir la confiscation totale et le partage. De ce point de vue, la nationalisation et la municipalisation sont au même titre inacceptables.

En formulant le mot d’ordre de municipalisation ou de nationalisation, nous rendons impossible, sans rien y gagner, l’alliance de la paysannerie révolutionnaire avec le prolétariat. Ceux qui parlent du caractère réactionnaire du partage confondent deux stades du développement : le stade capitaliste et le stade précapitaliste.

Le partage est réactionnaire au stade du capitalisme, cela n’est pas douteux, mais dans les conditions précapitalistes (par exemple dans les conditions de la campagne russe), le partage est, dans l’ensemble, révolutionnaire. Certes, on ne peut partager les forêts, les eaux, etc…, mais on ne peut les nationaliser, ce qui ne contredit nullement les revendications révolutionnaires des paysans.

Quant au mot d’ordre proposé par John : des comités révolutionnaires, au lieu du mot d’ordre : des comités révolutionnaires paysans, il est foncièrement contraire à l’esprit de la révolution agraire. La révolution agraire a pour but, avant tout et principalement, d’affranchir les paysans ; par conséquent, le mot d’ordre : des comités paysans, est le seul qui réponde à l’esprit de la révolution agraire.

Si l’affranchissement du prolétariat peut être l’oeuvre du prolétariat lui-même, l’affranchissement des paysans peut être, lui aussi, l’oeuvre des paysans eux-mêmes.

[1] John, pseudonyme de P. Maslov

=>Oeuvres de Staline

Staline : Tiflis, le 20 novembre −1905

20 Novembre 1905, dans la Kavkazski Rabotchi Listok [2], [la Feuille ouvrière du Caucase], n°1.
Article non signé.

La Grande Révolution Russe a commencé ! Nous avons vu s’accomplir le redoutable premier acte de cette révolution ; qui s’est terminé officiellement par le manifeste du 17 octobre. Le tsar autocrate « par la grâce de Dieu » a incliné « sa tête couronnée » devant le peuple révolutionnaire et lui a promis « les bases immuables de la liberté civile »…

Mais ce n’est là que le premier acte. Ce n’est que le commencement de la fin. Nous sommes à la veille de grands événements, dignes de la Grande Révolution Russe. Ces événements se rapprochent avec la rigueur inexorable de l’histoire, avec une nécessité impérieuse.

Le tsar et le peuple, le pouvoir absolu du tsar et celui du peuple sont deux principes hostiles, diamétralement opposés. La défaite de l’un et la victoire de l’autre ne peuvent être que le résultat d’une bataille décisive, le résultat d’une lutte désespérée, d’une lutte à mort. Ce choc ne s’est pas encore produit. Il viendra.

Et le vigoureux titan de la révolution russe, le prolétariat de Russie, s’y prépare de toutes ses forces, par tous les moyens.

La bourgeoisie libérale cherche à conjurer ce choc fatal. Elle estime qu’il est temps désormais de mettre fin à « l’anarchie » et de s’atteler à un paisible travail « constructif », au travail d’ « organisation de l’Etat ». Elle a raison. Elle est satisfaite par ce que le prolétariat a déjà arraché au tsarisme lors de sa première action révolutionnaire.

Maintenant, elle peut sans aucune crainte conclure avec le gouvernement tsariste une alliance, — à des conditions qui lui soient avantageuses, — et marcher, toutes forces unies, contre l’ennemi commun, contre son « fossoyeur », le prolétariat révolutionnaire. La liberté bourgeoise, la liberté d’exploiter est d’ores et déjà garantie, et cela lui suffit amplement.

La bourgeoisie russe, qui pas un seul instant n’a été révolutionnaire, se range déjà ouvertement aux côtés de la réaction. A la bonne heure !

Nous n’allons pas nous en affliger outre mesure. Le sort de la révolution n’a jamais été entre les mains du libéralisme. La marche et l’issue de la révolution russe dépendent entièrement de l’attitude du prolétariat révolutionnaire et de la paysannerie révolutionnaire.

Guidé par la social-démocratie, le prolétariat révolutionnaire des villes et, à sa suite, la paysannerie révolutionnaire, en dépit de toutes les manoeuvres des libéraux poursuivront la lutte sans défaillance jusqu’à ce qu’ils aient réussi à renverser entièrement l’autocratie et aient instauré sur ses ruines une république démocratique.

Telle est la mission politique immédiate du prolétariat socialiste, tel est son but dans la révolution actuelle ; et, soutenu par la paysannerie, il atteindra ce but coût e que coûte.

Le chemin qui doit le conduire à la république démocratique, a été également tracé par lui avec netteté et précision :

1. La bataille décisive, désespérée, dont nous avons parlé plus haut ;

2. Une armée révolutionnaire au cours de cette « bataille » ;

3. La dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie sous la forme d’un gouvernement provisoire révolutionnaire instauré à l’issue de cette « bataille » victorieuse ;

4. Une Assemblée constituante, convoquée par ce gouvernement, élue au suffrage universel, direct, égal et secret : telles sont les étapes que doit franchir la Grande Révolution Russe avant d’aboutir au terme souhaité.

Aucune menace du gouvernement, aucun manifeste grandiloquent du tsar ; aucun gouvernement provisoire comme celui de Witte [1], que l’autocratie met en avant pour assurer sa sauvegarde ; aucune Douma d’Etat, même élue au suffrage universel, etc…, mais convoquée par le gouvernement du tsar, ne peuvent détourner le prolétariat de la seule voie juste, la voie révolutionnaire, qu le conduira à la république démocratique.

Le prolétariat sera-t-il assez fort pour suivre cette voie jusqu’au bout ? Sera-t-il assez fort sortir avec honneur de la lutte gigantesque et sanglante qui l’attend sur ce chemin ?

Oui, il sera assez fort pour cela ! C’est ce que pense le prolétariat lui-même qui, avec hardiesse et résolution, se prépare au combat.

Notes

[1] Witte Serge (1849-1915), ministre d’Alexandre III et de Nicolas II, contribua au développement du capitalisme en Russie par les mesures qu’il prit dans le domaine des finances et de la construction ferroviaire. Partisan de certaines concessions pour briser le mouvement révolutionnaire, il rédigea le manifeste du 17 octobre 1905 et quitta la scène politique après la défaite de la révolution.

[2] Kavkazski Rabotchi Listok [la Feuille ouvrière du Caucase], premier quotidien bolchévik légal au Caucase, parut en russe à Tiflis du 20 novembre au 14 décembre 1905, sous la direction de J. Staline et de S. Chaoumian. La IVe conférence de l’Union caucasienne du P.O.S.D.R. reconnut le Kavkazski Rabotchi Listok comme organe officiel de l’Union. Il en parut 17 numéros, les deux derniers sous le nom de l’Elissavetpolski Viestnik [le Messager d’Elissavetpol].

=>Oeuvres de Staline

Staline : Deux batailles

7 Janvier 1906

Vous vous rappelez sans doute le 9 janvier de l’an dernier… Ce jour là, le prolétariat de Pétersbourg s’est heurté de front au gouvernement du tsar et, sans le vouloir, s’est trouvé aux prises avec lui. Oui, sans le vouloir, car étant allé pacifiquement demander au tsar « du pain et la justice », il avait été accueilli en ennemi et criblé de balles.

Il plaçait ses espoirs dans les portraits du tsar et les bannières religieuses ; mais on mit en lambeaux les uns et les autres et on les lui jeta à la face ; il put ainsi se convaincre par expérience qu’aux armes, on ne peut opposer que les armes. Il prit donc les armes, — là où il en avait sous la main, — afin d’affronter l’ennemi en ennemi et de se venger. Mais après avoir laissé des milliers de victimes sur le champ de bataille et essuyé des pertes sévères, il dut reculer, la rage au coeur.

Voilà à quoi nous fait penser le 9 janvier de l’an dernier.

En ce jour où le prolétariat de Russie célèbre l’anniversaire du 9 janvier, il n’est pas superflu de se demander pourquoi, l’an dernier, le prolétariat de Pétersbourg a reculé dans la bataille, et en quoi cette bataille diffère de la bataille générale de décembre.

Tout d’abord, il a reculé parce qu’il ne possédait pas encore le minimum de conscience révolutionnaire absolument indispensable pour que l’insurrection triomphât. Un prolétariat qui s’en va, la prière aux lèvres et l’espoir au coeur, trouver le tsar sanglant dont toute l’existence repose sur l’oppression du peuple ; un prolétariat qui s’en va, confiant, demander à son ennemi juré « un grain de charité », peut-il vaincre dans les combats de rue ?…

Il est vrai qu’ensuite, peu de temps après, les fusillades ont ouvert les yeux au prolétariat trompé, lui ont clairement montré la face hideuse de l’autocratie ; il est vrai que, dés ce moment, il s’est écrié avec colère : « Le tsar a cogné sur nous, à nous de cogner sur le tsar ! » Mais on est bien avancé si l’on n’a pas d’armes : que peut-on faire dans un combat de rue lorsqu’on a les mains vides, même si l’on est conscient ? La balle de l’ennemi ne fracasse-t-elle pas aussi bien la tête consciente que celle qui ne l’est pas ?

Oui, le manque d’armes a été la seconde cause du recul du prolétariat de Pétersbourg.

Mais que pouvait Pétersbourg seul, à supposer qu’il eût des armes ? Tandis qu’à Pétersbourg le sang coulait et qu’on dressait des barricades, dans les autres villes personne n’a bougé le petit doigt ; voilà pourquoi le gouvernement a pu faire venir des troupes d’ailleurs et inonder les rues de sang. ce n’est qu’après, quand le prolétariat de Pétersbourg eut enterré les camarades tués et repris ses occupations quotidiennes, que retentit dans d’autres villes le cri des ouvriers en grève : Salut aux héros de Pétersbourg !

Mais ce salut tardif pouvait-il donner quelque chose à qui que ce soit ? C’est pourquoi le gouvernement ne prit pas au sérieux ces actions isolées et inorganisées, et dispersa sans beaucoup de peine un prolétariat divisé en différents groupes.

Donc, absence d’une insurrection générale organisée, caractère inorganisé des actions du prolétariat : telle fut la troisième cause du recul du prolétariat de Pétersbourg.

Et puis, qui aurait pu organiser une insurrection générale ? Ce n’est pas le peuple, pris dans son ensemble, qui pouvait s’en charger, et l’avant-garde du prolétariat, — le parti du prolétariat, — était elle-même désorganisée, déchirée par des divergences : la lutte intérieure, la scission l’affaiblissaient de jour en jour. Rien d’étonnant à ce que le jeune parti, coupé en deux, n’ait pu réussir à organiser une insurrection générale.

Donc, absence d’un parti unique et cohérent : telle fut la quatrième cause du recul du prolétariat.

Enfin, si la paysannerie et les troupes ne se sont pas jointes à l’insurrection et ne lui ont pas apporté des forces nouvelles, c’est qu’elles ne pouvaient voir une force dans cette faible et courte insurrection, et, comme on le sait, on ne se joint pas aux faibles.

Voilà pourquoi l’héroïque prolétariat de Pétersbourg a reculé en janvier de l’an dernier.

Le temps passait. Le prolétariat, poussé à bout par la crise et l’arbitraire, se préparait à une nouvelle bataille. Ils se trompaient, ceux qui s’imaginaient que les victimes du 9 janvier tueraient dans le prolétariat toute volonté de combat ; lui se préparait au contraire, avec plus de fièvre et d’abnégation encore, à la lutte « finale » ; il se battait avec encore plus de courage et de ténacité contre les troupes et les cosaques.

La révolte des marins de la mer Noire et de la Baltique, le soulèvement ouvrier à Odessa, à Lodz et ailleurs, les bagarres incessantes entre les paysans et la police montraient quelle flamme révolutionnaire inextinguible brûlait dans la poitrine du peuple.

La conscience révolutionnaire, qui avait manqué au prolétariat le 9 janvier, il l’acquérait à présent avec une surprenante rapidité. On a dit que dix années de propagande n’auraient pu faire autant pour les progrès de la conscience du prolétariat que les journées d’insurrection. Cela ne pouvait manquer, car le processus des batailles de classe est la grande école où mûrit, chaque jour et à chaque heure, la conscience révolutionnaire du peuple.

L’insurrection armée générale, préconisée d’abord uniquement par un petit groupe du prolétariat ; l’insurrection armée que certains camarades envisageaient même avec scepticisme, gagnait peu à peu les sympathies du prolétariat ; il organisait fiévreusement des détachements rouges, se procurait des armes, etc…

La grève générale d’octobre a prouvé la possibilité d’une action simultanée du prolétariat. Il était ainsi démontré qu’une insurrection organisée était possible, et le prolétariat s’engagea résolument dans cette voie.

Il fallait seulement un parti cohérent, un parti social-démocrate un et indivisible, qui dirigeât l’organisation de l’insurrection générale, qui coordonnât la préparation révolutionnaire accomplie isolément dans les différentes villes, et prît l’initiative de l’offensive.

D’autant plus que la vie elle-même préparait un nouvel essor : la crise dans les villes, la famine dans les campagnes et d’autres causes analogues rendaient chaque jour de plus en plus inévitable une nouvelle explosion révolutionnaire. Le malheur, c’était que ce parti se constituait alors seulement ; affaibli par la scission, il ne faisait que reprendre des forces et travaillait à son unification.

C’est alors que le prolétariat de Russie livra sa seconde bataille, la glorieuse bataille de décembre.

Disons maintenant quelques mots sur cette bataille.

Si, quand nous parlions de la bataille de janvier, nous disions que la conscience révolutionnaire avait fait défaut, nous devons dire que cette conscience existait lors de la bataille de décembre. Onze mois de tempête révolutionnaire avaient suffisamment ouvert les yeux au prolétariat de Russie en lutte, et les mots d’ordre : « A bas l’autocratie ! Vive la république démocratique ! » étaient devenus les mots d’ordre du jour, les mots d’ordre des masses.

Ici, plus de bannières religieuses, ni d’icônes, ni de portraits du tsar, mais des drapeaux rouges flottant au vent, des portraits de Marx et d’Engels. Ici, plus de psaumes, ne de « Dieu protège le tsar ! mais les accents de la Marseillaise et de la Varsovienne, qui déchiraient les oreilles des oppresseurs.

Donc, en ce qui concerne la conscience révolutionnaire, la bataille de décembre différait foncièrement de celle de janvier.

Lors de la bataille de janvier, on manquait d’armes, le peuple allait au combat désarmé. La bataille décembre a marqué un pas en avant ; tous les combattants brûlaient de se procurer des armes, avaient en mains des revolvers, des fusils, des bombes et même, en certains endroits, des mitrailleuses. Se procurer des armes par les armes : tel était le mot d’ordre du jour.

Tous cherchaient des armes, tous éprouvaient le besoin d’en avoir ; le malheur, c’était qu’il y en avait très peu et que seul un nombre infime de prolétaires pouvait se battre les armes à la main.

L’insurrection de janvier était toute sporadique et inorganisée ; chacun agissait au petit bonheur. là encore, l’insurrection de décembre a marqué un pas en avant.

Les Soviets des députés ouvriers de Pétersbourg et de Moscou, ainsi que les centres de la « majorité » et de la « minorité », ont, autant que possible, « pris des mesures » pour que l’action révolutionnaire fût simultanée : ils ont appelé le prolétariat de Russie à prendre partout l’offensive en même temps. Rien de semblable lors de l’insurrection de janvier.

Mais comme cet appel n’avait pas été précédé d’un long et patient travail du parti pour préparer l’insurrection, il fut un appel, rien de plus, et pratiquement l’action resta sporadique, inorganisée. Il n’y eut que tendance à une insurrection simultanée et organisée.

L’insurrection de janvier était « dirigée » surtout par des Gapone [1]. L’insurrection de décembre présentait sous ce rapport l’avantage d’avoir à sa tête des social-démocrates. Malheureusement, ces derniers étaient divisés en plusieurs groupes, ne formaient pas un parti unique et cohérent ; aussi ne pouvaient-ils coordonner leur action.

Une fois de plus, l’insurrection trouva le Parti ouvrier social-démocrate de Russie non préparé et divisé…

La bataille de janvier ne comportait aucun plan, ne s’inspirait d’aucune politique définie. La question : attaque ou défense, n’existait pas pour elle. La bataille de décembre a eu le seul avantage de poser clairement cette question, mais au cours de la lutte seulement, et non à ses débuts. Quant à la réponse qu’il convenait d’y apporter, l’insurrection de décembre a témoigné de la même faiblesse que celle de janvier.

Si les révolutionnaires de Moscou avaient, dés le début, appliqué une politique d’offensive, si dés le début, ils avaient, par exemple, attaqué la gare Nikolaevski et s’en étaient emparés, il va sans dire que l’insurrection aurait duré plus longtemps et qu’elle aurait pris une tournure plus favorable.

Ou bien si les révolutionnaires lettons, par exemple, avaient appliqué une énergique politique d’offensive et n’avaient pas hésité, ils auraient sans aucun doute commencé par s’emparer des batteries de canons, privant ainsi de tout appui l’administration, qui a d’abord laissé les révolutionnaires s’emparer des villes, puis, reprenant l’offensive, a reconquis grâce à ses canons les localités qu’elle avait perdues [2].

On peut en dire autant des autres villes. Marx déclarait avec raison : dans une insurrection, c’est l’audace qui triomphe, et ne peut être audacieux jusqu’au bout que celui qui applique la politique de l’offensive.

Voilà à quoi on peut imputer le recul du prolétariat à la mi-décembre.

Si la paysannerie et les troupes, dans leur grande masse, ne se sont pas jointes à la bataille de décembre ; si cette dernière a même provoqué le mécontentement de certains milieux « démocratiques », c’est qu’elle n’a eu ni la force ni la durée, si nécessaires à l’extension de l’insurrection et à sa victoire.

Ce que nous devons faire aujourd’hui, nous, social-démocrates de Russie, ressort clairement de ce qui précède.

Premièrement, notre tâche est d’achever l’oeuvre que nous avons commencée : créer un parti un et indivisible. Les conférences de la « majorité » et de la « minorité »pour toute la Russie ont déjà élaboré les principes d’organisation pour cette unification. Elles ont adopté la formule de Lénine sur les conditions d’admission au parti et le principe du centralisme démocratique.

Les centres idéologiques et pratiques ont déjà fusionné, la fusion des organisations locales est à peu près achevée. Il ne faut plus qu’un congrès d’unification qui consacrera officiellement cette unification de fait et nous donnera de la sorte un Parti ouvrier social-démocrate de Russie, un et indivisible. Notre tâche est de contribuer à cette oeuvre qui nous est si chère, et de préparer avec soin le congrès d’unification qui, on le sait, va se tenir prochainement.

Notre tâche consiste, deuxièmement, à aider le parti à organiser l’insurrection armée et à participer activement à cette oeuvre sacrée, à y travailler sans relâche.

Notre tâche consiste à multiplier les détachements rouges, à les instruire et à les souder les uns aux autres ; notre tâche consiste à nous procurer des armes par les armes, à étudier la disposition des édifices publics, à dénombrer les forces de l’ennemi, à en reconnaître les points forts et les points faibles, et à dresser en conséquence le plan de l’insurrection.

Notre tâche consiste à faire une propagande systématique en faveur de l’insurrection dans l’armée et à la campagne, notamment dans les villages situés près de villes, à armer les éléments sûrs de ces villages, etc…, etc…

Notre tâche, en troisième lieu, consiste à rejeter toute hésitation, à condamner toute indécision, à pratiquer résolument une politique d’offensive…

En un mot, un parti cohérent, une insurrection organisée par le parti et une politique d’offensive, voilà ce qu’il nous faut aujourd’hui pour que triomphe l’insurrection.

Et cette tâche devient d’autant plus pressante, d’autant plus impérieuse, que la famine dans les campagnes et la crise industrielle dans les villes s’aggravent et s’étendent.

Un doute s’est glissé, à ce qu’il paraît, dans quelques esprits quant à la justesse de cette vérité élémentaire, et ces camarades répètent, découragés : que peut faire le parti, si uni soit-il, s’il est incapable de rassembler autour de lui le prolétariat ?

Or, le prolétariat est écrasé, il a perdu l’espoir et n’est nullement disposé à faire preuve d’initiative ; nous devons donc, disent-ils, attendre maintenant le salut de la campagne, c’est de là que doit venir l’initiative, etc…

Force est de constater que les camarades qui raisonnent ainsi se trompent lourdement. Le prolétariat n’est nullement écrasé, car son écrasement signifierait sa mort ; au contraire, il vit toujours et se renforce de jour en jour. Il n’a reculé que pour mieux rassembler ses forces et engager ensuite la lutte finale contre le gouvernement tsariste.

Quand, le 15 décembre, le Soviet des députés ouvriers de Moscou, — de ce Moscou qui a dirigé en fait l’insurrection de décembre, — déclarait publiquement : nous suspendons la lutte pour nous préparer sérieusement et brandir à nouveau le drapeau de l’insurrection, il traduisait la pensée profonde de l’ensemble du prolétariat de Russie.

Si néanmoins certains camarades contestent les faits, s’ils ne fondent plus leurs espoirs sur le prolétariat et se raccrochent maintenant à la bourgeoisie rurale, il est permis de se demander : à qui avons-nous à faire, à des socialistes-révolutionnaires ou à des social-démocrates, car pas un social-démocrate ne mettrait en doute cette vérité que le prolétariat des villes est le dirigeant effectif (et non seulement idéologique) de la campagne.

On nous a assuré à un moment donné, qu’après le 17 octobre l’autocratie était écrasée, mais nous ne l’avons pas cru non plus, car l’écrasement de l’autocratie aurait signifié sa mort ; or, loin d’être morte, elle a rassemblé de nouvelles forces pour une nouvelle attaque. Nous disions que l’autocratie n’avait fait que reculer. Il s’est trouvé que c’est nous qui avions raison…

Non, camarades ! Le prolétariat de Russie n’est pas écrasé ; il a simplement reculé, et il se prépare maintenant à de nouvelles et glorieuses batailles. Il n’abaissera pas son drapeau rougi de sang, il ne cèdera à personne la direction de l’insurrection ; il sera le seul guide qualifié de la Révolution russe.

Publié d’après le texte de la brochure éditée par le Comité de l’Union caucasienne du P.O.S.D.R.
Traduit du géorgien.

[1] Gapone (1872-1906) : pope et agent provocateur qui avait créé à Pétersbourg, en 1904, une organisation ouvrière contrôlée par la police. Lors de la grève de l’usine Poutilov, il conduisit, le 9 (22) janvier 1905, devant le Palais d’Hiver les ouvriers qui devaient remettre au tsar une pétition : Gapone entendait aider l’Okhrana à provoquer le massacre. La troupe tira : plus de mille ouvriers furent tués en ce « dimanche sanglant ». Gapone s’échappa, se réfugia en France, revint en décembre 1905 à Pétersbourg où il fut exécuté par les socialistes-révolutionnaires.

[2] En décembre 1905, des détachements armés d’ouvriers, de salariés agricoles et de paysans insurgés s’emparèrent de Tukums, Talsi, Rujene, Friedrichstadt et d’autres villes de Lettonie. Une guerre de partisans commença contre les troupes du tsar. En janvier 1906, les soulèvements de Lettonie furent écrasés par les expéditions punitives que dirigeaient notamment les généraux tsaristes Orlov et Sologoub.

=>Oeuvres de Staline

Mao Zedong : La grande amitié

1953

Hommage écrit par Mao Zedong à la mort de Staline

   Joseph Staline, le plus grand génie de notre temps, le grand éducateur du mouvement communiste international, le compagnon d’armes de l’immortel Lénine, nous a quittés pour toujours.

   L’apport du camarade Staline à notre époque en ce qui concerne son oeuvre aussi bien théorique que pratique est inestimable. Le camarade Staline est le représentant de toute une époque nouvelle. Son œuvre a permis au peuple soviétique et aux travailleurs de tous les pays de modifier toute la situation internationale.

Cela signifie que la cause de la justice, de la démocratie populaire et du socialisme a remporté la victoire sur un secteur immense du monde, un secteur comprenant le tiers de la population du globe, soit plus de 800 millions d’habitants. L’influence de cette victoire s’étend de jour en jour en tous les points du monde.

   Le décès du camarade Staline a provoqué un deuil sans exemple parmi les travailleurs du monde entier. Il a profondément affecté tous les honnêtes gens. Ce qui prouve que la cause et les idées du camarade Staline ont pénétré les larges masses populaires du monde entier, et qu’elles sont déjà devenues une force invincible.

Cette force permet aux peuples qui ont déjà triomphé de remporter coup sur coup de nouvelles victoires, et, en même temps, elle permettra à tous ceux qui souffrent encore sous le joug du vieux monde capitaliste pourri de vices de livrer hardiment assaut aux ennemis du peuple.

   Après la mort de Lénine, le peuple soviétique a édifié sous la direction du camarade Staline une société socialise claire, radieuse, dans le premier Etat socialiste du monde que celui-ci a créé avec le grand Lénine lors de la Révolution d’Octobre.

   La victoire de l’édification socialiste en Union Soviétique n’est pas seulement une victoire pour le peuple soviétique mais aussi la victoire commune des peuples du monde entier.

Tout d’abord, cette victoire a inscrit dans la vie elle-même la preuve de la justesse absolue du marxisme-léninisme ; elle a enseigné concrètement aux ouvriers du monde entier la marche à suivre pour arriver à une vie heureuse. Cette victoire a également permis à l’humanité d’écraser la bête fasciste pendant la deuxième guerre mondiale. On ne peut imaginer qu’il ait été possible de remporter la victoire sur le fascisme sans la victoire de l’édification socialiste en URSS. La victoire de l’édification socialiste en URSS et la victoire dans la guerre anti-fasciste sont directement en rapport avec le sort de l’humanité, et la gloire de ces victoires revient à juste titre au grand camarade Staline.

   On doit au camarade Staline un développement classique de la théorie marxiste-léniniste dans tous les domaines ; il a ouvert une nouvelle période dans le développement du marxisme.

Le camarade Staline a enrichi la théorie de Lénine sur le développement inégal du capitalisme, et la théorie sur la possibilité de victoire du socialisme dans un seul pays ; le camarade Staline a enrichi la théorie de la crise générale du système capitaliste ; la théorie de l’édification du communisme en URSS. Il a découvert et défini scientifiquement la loi économique fondamentale du capitalisme actuel et la loi économique fondamentale du socialisme ; il a enrichi la théorie de la révolution dans les pays coloniaux et semi-coloniaux.

Le camarade Staline a aussi développé d’une façon créatrice la théorie léniniste sur l’édification du Parti. Tout cela a rassemblé encore plus étroitement les ouvriers du monde entier ainsi que toutes les classes opprimées et tous les peuples opprimés, ce qui a conféré une intensité sans précédent à la lutte de la classe ouvrière et de tous les peuples opprimés pour leur libération et leur bonheur, et a assuré à cette lutte des succès d’une ampleur inouïe.

   Tous les ouvrages du camarade Staline sont autant d’apports immortels au marxisme. Ses œuvres : Les principes du Léninisme, L’Histoire du Parti Communiste (bolchévik) de l’URSS et son dernier grand ouvrage : Les problèmes économiques du socialisme en URSS sont une encyclopédie du marxisme-léninisme, une somme de l’expérience du mouvement communiste international au cours des cent dernières années.

Son discours au XIXe Congrès du Parti communiste de l’Union Soviétique est un précieux testament laissé aux communistes de tous les pays du monde. Nous autres, communistes chinois, comme d’ailleurs les communistes de tous les pays du monde, nous trouvons dans les grandes œuvres du camarade Staline les voies de nos victoires.

   Depuis la mort de Lénine, le camarade Staline n’a jamais cessé d’être la figure centrale du mouvement communiste international.

Groupés autour de lui, nous avons constamment reçu de lui des indications et puisé dans ses œuvres la force idéologique. Le camarade Staline nourrissait une chaleureuse amitié pour les peuples opprimés de l’Orient. « N’oubliez pas l’Orient », tel fut le grand appel lancé par le camarade Staline après la Révolution d’Octobre.

   Chacun sait que le camarade Staline était animé d’un amour ardent pour le peuple chinois et qu’il estimait immenses les forces de la révolution chinoise. Dans les problèmes de la révolution chinoise, il a fait preuve de la plus grande sagacité.

S’inspirant de la doctrine de Lénine et de Staline et aidé par le grand Etat Soviétique et par toutes les forces révolutionnaires de tous les pays, le Parti communiste chinois et le peuple chinois ont remporté il y a quelques années leur victoire historique.

Maintenant nous avons perdu notre grand éducateur et notre plus sincère ami, le camarade Staline. C’est un grand malheur. Aucune parole ne pourrait exprimer la douleur que nous en éprouvons.

   Notre tâche est de transformer cette douleur en force. Conservant pieusement le souvenir de notre grand éducateur Staline, le Parti communiste chinois ainsi que le peuple chinois, ainsi que le Parti communiste de l’Union Soviétique et le peuple Soviétique renforceront sans cesse leur grande amitié que symbolise le nom de Staline.

Les communistes chinois et le peuple chinois apporteront encore plus de ténacité à l’étude des enseignements de Staline, à l’étude de la science et de la technique soviétiques, pour édifier leur Etat.

   Le Parti communiste de l’Union Soviétique a été formé par Lénine et par Staline, c’est le Parti le plus avancé, le plus expérimenté et le plus éduqué théoriquement qui soit au monde. Ce Parti a été notre modèle dans le passé, il le demeure dans le présent et il le sera aussi dans l’avenir.

Nous sommes profondément persuadés que le Comité central du Parti communiste de l’Union Soviétique et le Gouvernement soviétique, dirigés par le camarade Malenkov sauront parfaitement poursuivre l’œuvre du camarade Staline, faire progresser et développer brillamment la grande cause du communisme.

   Il n’y a pas le moindre doute que le camp mondial de la paix, de la démocratie et du socialisme, qui a à sa tête l’Union Soviétique, renforcera encore sa cohésion et deviendra encore plus puissant.

   Pendant plus de trente ans, l’enseignement du camarade Staline et l’exemple de l’édification socialiste en Union Soviétique ont contribué à faire avancer l’humanité à pas de géants.

Maintenant l’Union Soviétique est devenue si puissante, la Révolution populaire chinoise a remporté une si grande victoire, l’édification dans les pays de démocratie populaire a enregistré de si grands succès, le mouvement des peuples à travers le monde contre l’oppression et l’agression s’est développé à un tel point et notre front de l’amitié et de l’unité s’est tellement consolidée que nous avons toutes les raisons d’affirmer que nous ne redoutons aucune agression impérialiste.

Toute agression impérialiste se heurtera à une riposte foudroyante de notre part, toutes les viles provocations aboutiront à un échec.

   La grande amitié entre les peuples de la Chine et de l’Union Soviétique est indestructible parce qu’elle repose sur les grands principes de l’internationalisme de Marx, Engels, Lénine et Staline.

L’amitié des peuples de la Chine et de l’Union Soviétique ainsi que des peuples des pays de démocratie populaire, l’amitié de tous les peuples épris de paix, de démocratie et de justice dans le monde entier repose également sur les grands principes de l’internationalisme, et c’est pourquoi elle est également indestructible.

   Il est compréhensible que les forces engagées par cette amitié soient immenses, inépuisables et véritablement invincibles.

   Que tous les agresseurs impérialistes et tous les fauteurs de guerre tremblent devant notre grande amitié !

   Vive la doctrine de Marx, Engels, Lénine et Staline !

   Gloire au long des siècles au nom immortel du grand Staline !

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : Staline l’ami du peuple chinois

1939

Ce 20 décembre, le camarade Staline aura soixante ans. Il est facile de s’imaginer quels vœux sincères et chaleureux cet anniversaire va susciter dans les cœurs de tous les révolutionnaires du monde qui connaissent cette date.

   Fêter Staline, ce n’est pas une formalité. Fêter Staline, c’est prendre parti pour lui, pour son œuvre, pour la victoire du socialisme, pour la voie qu’il indique à l’humanité, c’est se déclarer pour lui comme pour un ami très cher.

   Car l’immense majorité des hommes vit aujourd’hui dans les souffrances, et elle ne peut s’en affranchir qu’en suivant la voie indiquée par Staline et avec son aide.

   Le peuple chinois, qui éprouve actuellement les plus grands malheurs de son histoire, a plus que jamais besoin d’aide.

   Comme il est dit dans Le Livre des Odes, « L’oiseau appelle et quête la réponse d’un ami » ; ce vers évoque bien la situation où nous sommes.

   Mais quels sont nos amis ?

   Il y a les soi-disant amis, gens qui se parent du titre d’amis du peuple chinois et que, d’ailleurs, certains Chinois eux-mêmes appellent sans réfléchir leurs amis.

   Mais on ne peut ranger ces amis-là que dans la catégorie de Li Linfu, ce premier ministre à la cour des Tang, connu pour avoir « du miel sur les lèvres et un poignard caché dans son sein ».

   Tels sont en effet ces « amis » : ils ont « du miel sur les lèvres et un poignard caché dans leur sein ».

   Qui sont-ils donc ?

   Ce sont les impérialistes, qui prétendent éprouver de la sympathie pour la Chine.

   Il y a aussi des amis d’un tout autre genre, ceux qui nous portent une sympathie réelle et qui nous considèrent comme des frères.

   Qui sont-ils ?

   C’est le peuple soviétique, c’est Staline.

   Aucun pays n’a renoncé à ses privilèges en Chine, sinon l’Union soviétique.

   Au cours de notre Première Grande Révolution, alors que tous les impérialistes étaient contre nous, seule l’Union soviétique nous a apporté son aide.

   Depuis le début de la Guerre de Résistance contre le Japon, aucun gouvernement de pays impérialiste ne nous a véritablement soutenus ; seule l’Union soviétique nous a aidés de son aviation et de son matériel.

   N’est-ce pas suffisamment clair ?

   Seuls le pays du socialisme, son dirigeant et son peuple, les penseurs, hommes politiques et travailleurs socialistes peuvent apporter une aide réelle à la cause de la libération de la nation chinoise et du peuple chinois; sans leur aide, notre cause ne saurait remporter la victoire finale.

   Staline est le fidèle ami du peuple chinois en lutte pour sa libération. L’amour et le respect du peuple chinois pour Staline, ses sentiments d’amitié pour l’Union soviétique sont profondément sincères, et aucune tentative de semer la discorde, aucun mensonge, aucune calomnie ne saurait les altérer.

=>Oeuvres de Mao Zedong