Un an de Giscard, un an d’aiguisement de la crise politique (1975)

[Publié dans Front Rouge, mai 1975.]

L’anniversaire de l’élection de Giscard a été marqué par une intense campagne pendant laquelle cet aristocrate méprisant a occupé à 100% la télévision, la radio, les journaux.

Les journalistes bourgeois nous abreuvent des  » changements  » à la Giscard : il fait du ski à Courchevel, il descend les Champs Elysées à pied, il reçoit des éboueurs, il dîne chez  » des Français « , il donne à manger aux journalistes dans des assiettes à 1500 F nouveaux pièce, il joue du piano et donne à manger à ses chiens devant les caméras : tout cela, bien évidemment, ce n’est pas le fond de sa politique, mais c’est quand même une insulte permanente aux travailleurs, aux jeunes qui chôment, aux familles qui ne peuvent vivre.

UNE ANNEE DE  » CHANGEMENT  » A LA GISCARD

La publicité volontaire donnée à ces mascarades du premier anniversaire du succès électoral de Giscard, n’est nullement fortuite. Les thèmes sans cesse mis en avant par la nouvelle équipe présidentielle, c’est le  » changement « , et c’est la  » crise « .

Le  » changement « , renvoie à la volonté maintes fois répétée depuis un an de donner aux travailleurs l’illusion qu’ils ne sont pas gouvernés comme avant, comme du temps de Pompidou ; cherchant à se démarquer de ses prédécesseurs, Giscard cherche, y compris dans le style présidentiel, à imposer aux travailleurs l’illusion que les choses sont en train de se modifier, que leurs conditions de vie et de travail sont passibles d’amélioration du fait des initiatives gouvernementales.

C’est pour accréditer cette idée du changement que le nouveau gouvernement a multiplié les réformes, les projets de réformes : sur l’avortement, sur la majorité à 18 ans ,sur l’entreprise (rapport Sudreau), sur l’indemnisation des chômeurs…

A chaque fois le but est le même : tenter de répondre à des luttes précises qui se sont déroulées sur ces questions, tenter de dévoyer les aspirations manifestées par les travailleurs sur ces problèmes. Mais évidemment (ce qu’ont pu constater tous les travailleurs en un an de Giscard) la volonté  » réformatrice  » du gouvernement atteint vite ses limites.

Malgré tout le tapage organisé autour de ces réformes, les travailleurs en ont très vite fait l’expérience : combien de chômeurs peuvent aujourd’hui toucher la fameuse indemnisation à 90% pendant un an ? Officiellement à peine 4% des 1 million 200.000 chômeurs recencés par l’office gouvernemental, l’INSEE !

Combien d’hôpitaux, combien de médecins, acceptent d’accomplir un avortement réclamé par une femme du peuple : les dernières luttes ont montré qu’ils étaient une infime minorité, et que la loi déjà extrêmement restrictive laissait en fait toute possibilité de s’opposer légalement aux avortements. Combien de jeunes ont réellement cru que le vote à 18 ans, la valorisation de la paye de l’appelé allaient réellement modifier les conditions que leur fait le capitalisme à l’école, à l’armée, dans le vie active…

Et en même temps que Giscard parle abondement de  » réforme « , il n’en multiplie pas moins ses appels aux travailleurs à surmonter la  » crise « . Le ressort d’un tel discours est simple : pour faire face à la crise, pour en limiter ses effets en France, pour espérer préserver l’essentiel de ce qui a déjà été acquis dans le niveau de vie, il faut que les travailleurs comprennent qu’ils doivent limiter leurs revendications, renoncer à leurs luttes, serrer les coudes avec leurs exploiteurs.

Cette  » politique de crise  » menée par la bourgeoisie a un but assez clair : masquer les réelles origines de la crise du capitalisme dans notre pays, présenter la crise comme venant de l’extérieur (pays producteurs de pétrole, USA…), et renforcer l’illusion que seule la collaboration de classes peut atténuer les effets de la crise. Aux PTT à Renault, partout où ils ont engagé la lutte, les travailleurs ont dû affronter ce chantage à la crise.

 » Politique du changement  » et  » politique de crise « , voilà en quoi résident les nouveautés de la politique giscardienne.

LES MASSES CONTESTENT DE PLUS EN PLUS LA DOMINATION DE LA BOURGEOISIE

En fait la mise en œuvre de cette nouvelle politique, si elle rompt effectivement avec le caractère extrêmement conservateur de la politique de Pompidou, est un signe des difficultés importantes de la bourgeoisie à maintenir sa domination en utilisant les mêmes thèmes de collaboration de classes qu’auparavant.

La classe capitaliste ne peut plus aujourd’hui régler ses rapports avec les masses de la même manière ; c’est en cela que ses difficultés sont dans leur fond des difficultés politiques, que la crise qui secoue la bourgeoisie est dans son fond une crise politique.

Parce que ce qu’il y a de nouveau dans la situation aujourd’hui, c’est que les masses rejettent assez massivement le modèle de société capitaliste qui leur est proposé, manifestent aujourd’hui de manière assez claire leurs aspirations à construire une société nouvelle, débarrassée de l’exploitation et de l’oppression quotidienne que leur impose la bourgeoisie.

Par exemple, pendant des années la bourgeoisie a pu fonder la collaboration de classes sur le  » modèle de la société de consommation « , selon la bourgeoisie, le travailleur était intéressé à l’expansion, à l’extension de la production puisqu’il pouvait, à partir de là, étendre sa propre consommation. Un tel modèle de collaboration de classes a pu pendant un temps tromper les travailleurs abusés par le fait qu’ils ont pu acquérir dans les vingt dernières années des produits jusque là peu répandus : mobylette, voiture, télévision, frigidaire…

Mais aujourd’hui les travailleurs mesurent clairement comment cette relative extension de leur consommation, s’est systématiquement accompagnée d’une détérioration constante de leur niveau de vie : temps de transport sans cesse allongé, conditions de logement et de vie familiale de plus en plus difficiles avec les nouveaux logements, le travail posté, conditions de travail de plus en plus exténuantes avec l’intensification du travail forcenée qui est la règle dans les bagnes capitalistes…

En face de cette paupérisation bien réelle de la classe ouvrière, même l’acquisition de quelques nouveaux produits par les travailleurs est loin de leur permettre de reconstituer leur force de travail comme avant.

Et c’est cela dont les travailleurs prennent aujourd’hui de plus en plus conscience et contestent massivement dans leurs luttes : les luttes sur le transport, sur le logement, les luttes où les travailleurs refusent de monnayer contre une prime ou une augmentation de salaire leurs conditions de travail et les risques que veut leur imposer la bourgeoisie. La bourgeoisie en est arrivée à une situation où elle doit substituer à l’ancien  » modèle de la société de consommation  » un autre modèle de collaboration de classes ; c’est la fonction de la politique de crise.

Un autre fait nouveau qui témoigne des difficultés nouvelles de la bourgeoisie à régler ses rapports avec les masses comme auparavant, ce sont les brèches importantes apparues dans la domination du révisionnisme.

Elément décisif pour le maintien de la domination des idées bourgeoises dans la classe ouvrière, le révisionnisme s’est vu dans les dernières années largement contesté par la classe ouvrière.

Des luttes caractéristiques comme celle de Lip ont montré le plus clairement possible comment les travailleurs remettent en cause la tutelle des révisionnistes sur leurs luttes, tiennent à se démarquer du programme commun, affirment leur aspiration à une société bien différente que celle proposée par le P »C »F.

Même aujourd’hui où le P »C »F tente, pour refaire le terrain qu’il a perdu dans la classe ouvrière, de durcir son langage, de ne pas s’opposer de front aux luttes et même dans certains endroits d’en prendre l’initiative, il ne réussit pas à faire adhérer les travailleurs à ses perspectives.

Les luttes d’Usinor ou de Chausson sont révélatrices à ce sujet : malgré les extrêmes précautions prises par les révisionnistes qui participent à ces luttes pour ne pas se couper des travailleurs, ils ne réussissent pas à éviter que les problèmes sur le rôle qu’ils jouent dans les syndicats, la vraie nature de leurs propositions politiques soient posés.

Et les propositions du P »C »F sur le programme commun ont d’autant mois d’écho aujourd’hui que les travailleurs peuvent constater directement que nombre des réformes prévues par le programme commun sont déjà mise en œuvre par Giscard avec le succès que l’on sait.

UNE POLITIQUE IMPUISSANTE A MASQUER L’AIGUISEMENT DE LA CRISE POLITIQUE

 Mais dans ses tentatives de mettre en œuvre une nouvelle politique pour répondre à cette situation nouvelle dans les masses, Giscard en une année n’est guère arrivé à résoudre les problèmes qu’affronte la bourgeoisie. Loin de masquer la situation de faiblesse de l’impérialisme français aux yeux des masses, la politique giscardienne n’a fait que renforcer les questions que se posent les travailleurs.

– Comment par exemple, les travailleurs pourraient ne pas mettre en doute toutes les affirmations néolibérales de Giscard, alors que ces affirmations se doublent du renforcement de la répression des travailleurs en lutte (PTT, Usinor…), du renforcement de l’appareil répressif de la bourgeoisie. Les opérations coup de poing, la publicité élogieuse faite en toute circonstance de la brigade anti-gang y compris quand elle agresse de simples passants, tout cela permet de prendre la mesure exacte du  » néolibéralisme du gouvernement « .

La division du travail entre Giscard et Ponatowski, recouvre en fait l’unité de la politique giscardienne : une politique résolument anti-ouvrière.

– Comment par exemple les travailleurs ne s’interrogeraient-ils pas sur la faiblesse de la bourgeoisie alors que, toutes les initiatives internationales de l’impérialisme français révèlent sa situation d’impérialisme secondaire, soumis à une double pression, celle des deux super-puissances, et celle d’une nature différente des pays du Tiers-Monde.

Aujourd’hui dans leurs voyages dans les pays du Tiers-Monde les dirigeants français apparaissent comme de simples commis voyageurs des capitalistes français, chargés d’arracher des contrats. On est très éloigné de l’image que l’impérialisme français tentait de se donner auprès des travailleurs, celui d’une grande puissance qui noue des relations sur un pied d’égalité avec les autres puissances impérialistes, qui exerce sa tutelle dans toute une série de régions…

– Comment par exemple, les travailleurs ne mesureraient-ils pas la faiblesse et l’instabilité de l’actuelle majorité présidentielle, alors que la première année Giscard est émaillée d’incidents entre l’UDR et les autres composantes de cette majorité, émaillée de projets de lois votés avec l’opposition contre une partie de cette majorité (avortement par exemple). Les réajustements nécessaires entre l’UDR et ses alliés gouvernementaux ne sont visiblement pas terminés, et empêchent l’impérialisme français de définir clairement ses projets sur des problèmes comme l’Europe, les relations avec l’impérialisme US…

POLITIQUE DEGRISE, POLITIQUE DE FAIBLESSE

Tous ces éléments montrent à l’évidence que  » notre  » impérialisme est en position de faiblesse et qu’on est loin, dans l’année Giscard, de la domination relativement stable des années 60. Les mots d’ordre de notre Parti  » à la bourgeoisie de payer la crise « ,  » oui, la révolution est possible  » rencontrent chaque jour un écho de plus en plus grand.

Non, quoi qu’en dise Giscard, les travailleurs manuels ne sont pas  » isolés dans la société  » aujourd’hui, ils en constituent au contraire le cœur, la force vive et ils montrent la voie à Chausson, à Usinor, à Renault, à Besancon, partout dans le pays !

=>Retour au dossier PCMLF, PCR(ml), VLR, UCF-ML,
Nouvelle Cause du Peuple, NAPAP, Action Directe