Le dualisme du néoplatonisme : l’âme doit abandonner la matière

Le principe du dualisme est que le monde matériel est insuffisant et qu’il faut se tourner vers le spirituel. L’âme des individus, c’est en fait une petite étincelle de l’âme du monde, du Dieu vivant. La matière est un degré inférieur de réalité, la seule réalité authentique étant le monde spirituel.

L’âme est donc ce qui compte réellement et il s’agit d’abandonner les préoccupations matérielles. Plus on est un corps, moins on est une âme. Ce qui fait dire à Timée, dans l’œuvre éponyme de Platon :

« A cause de tous ces accidents, aujourd’hui et depuis les premiers temps, l’âme commence par être sans intelligence, quand elle vient d’être unie à un corps mortel.

Mais quand le courant de nourriture et d’accroissement diminue, et que les cercles de l’âme, prenant de la tranquillité, suivent leur voie propre et se modèrent avec le temps, alors réglant leurs mouvements à l’imitation de celui des cercles qui embrasse toute la nature, ils ne se trompent plus sur le même et sur le divers, et rendent sage l’homme dans lequel ils se trouvent.

Et si en outre on a reçu une bonne éducation, on devient un homme accompli et parfaitement sain, et on évite la plus grande des maladies; tandis que celui qui a négligé son âme, traverse la vie d’un pas chancelant et retourne dans l’autre monde, sans avoir rien gagné dans celui-ci et chargé d’impureté. »

« L’auteur du monde ayant achevé à son gré la composition de l’âme, il construisit au dedans d’elle tout ce qui est corporel, et rapprochant l’un de l’autre le centre du corps et celui de l’âme, il les unit ensemble; et l’âme infuse partout, depuis le milieu jusqu’aux extrémités, et enveloppant le monde circulairement, introduisit, en tournant sur elle-même, le divin commencement d’une vie perpétuelle et bien ordonnée pour toute la suite des temps.

Le corps du monde est visible; l’âme est invisible, elle participe de la raison et de l’harmonie des êtres intelligibles et éternels, et elle est la plus parfaite des choses qu’ait formées l’être parfait. »

Le Dieu vivant possède toutefois une présence traversant toute la réalité, en tant que « temps ». Timée dit ainsi que :

« La nature du modèle était éternelle, et le caractère d’éternité ne pouvait s’adapter entièrement à ce qui a commencé; Dieu résolut donc de faire une image mobile de l’éternité ; et par la disposition qu’il mit entre toutes les parties de l’univers, il fit de l’éternité qui repose dans l’unité cette image éternelle, mais divisible, que nous appelons le temps. »

Tout cela forme la base d’une démarche dualiste authentique. Dieu étant tout puissant, il ne saurait être amené à faire quelque chose. Or, le monde existe. Il faut donc considérer que Dieu n’a aucune envie ni besoin, mais qu’il a produit, de par sa bonté, quelque chose de bon qui serait une conscience de lui-même.

La tentative de la conscience de Dieu de saisir l’infinité de Dieu étant un échec par définition, on a alors une conscience consistant en un Dieu vivant intermédiaire entre Dieu en tant qu’unité totale et le monde matériel.

On a là le cœur de la pensée de Timée, le plus haut développement du platonisme. C’est donc ce platonisme que les néoplatoniciens vont approfondir et adapter aux besoins d’une nouvelle époque, marquée par l’effondrement du système esclavagiste.

La grande figure ouvrant cette période d’élaboration théorique, qui servira de source au christianisme, au judaïsme et à l’Islam pour former leurs théologies, est Ammonios Saccas, qui vécut à Alexandrie au IIIe siècle de notre ère.

Il ne laissa pas d’écrits, dans la tradition du culte du secret propre aux pythagoriciens, et on ne connaît pratiquement rien de lui. Il eut pourtant de nombreux disciples qui diffusèrent ses conceptions, et on connaît également sa vision du monde grâce aux écrits de Némésios, qui vécut au IVe siècle de notre ère et devint évêque d’Émèse en Syrie.

Voici ce que raconte Némésios, montrant que le cœur du néo-platonisme est le suivant : Platon raisonnait en termes de modèle : la vie sur Terre doit se conformer à l’idéal que l’on trouve dans le « ciel ».

Dans le Timée de Platon, il est dit :

« Or ce qu’il y a de divin en nous est de la même nature que les mouvements et les cercles de l’âme du monde. Il faut donc que chacun de nous, à l’exemple de ces cercles, corrige les mouvements qui sont déréglés dans notre tête dès leur origine même., en se pénétrant de l’harmonie et du mouvement de l’univers ; qu’il rende l’esprit qui conçoit conforme à l’objet conçu, comme cela devait être dans l’état primitif, et que par cette conformité il soit en possession de la vie la plus excellente que les dieux aient accordée à l’homme pour le présent et pour l’avenir. »

Or, s’il n’y a plus d’élite aristocratique, on ne peut plus se conformer sur Terre, « en bas », à ce qui relève d’en haut, puisque sur Terre il n’y a plus de niveaux inférieurs, qu’auraient été les esclaves.

Le système théorique et idéologique religieux justifiant l’esclavage chez Platon devient alors l’appel néoplatonicien à rejoindre à tout prix la source divine.

Au lieu de vivre adéquatement sur Terre avec les « modèles » divins, il faut refuser la matière et se concentrer uniquement sur l’âme. Voici comment Némésios, donc, nous présente le point de vue d’Ammonios Saccas :

« Il suffira d’opposer les raisons d’Ammonius, maître de Plotin, et celles de Numenius le Pythagoricien, à tous ceux qui prétendent que l’âme est matérielle. Or, voici ces raisons: « Les corps, n’ayant en eux rien d’immuable, sont naturellement sujets au changement, à la dissolution, et à des divisions infinies; il leur faut nécessairement un principe qui les contienne, qui en lie et en affermisse les parties : c’est ce principe d’unité que nous appelons âme.

Mais si l’âme aussi est matérielle, quelque subtile que soit la matière qui la compose, qui pourra la contenir elle-même, puisque nous venons de voir que toute matière a besoin d’un principe qui la contienne? Il en sera de même à l’infini jusqu’à ce qu’enfin nous arrivions à une substance immatérielle. »

« Ammonius, maître de Plotin, expliquait ainsi la difficulté qui nous occupe [l’union de l’âme et du corps] : L’intelligible est de telle nature qu’il s’unit à ce qui peut le recevoir, aussi intimement que s’unissent les choses qui s’altèrent mutuellement en s’unissant, et qu’en même temps, dans cette union, il demeure pur et incorruptible, comme le font les choses qui ne sont que juxtaposées.

En effet, pour les corps, l’union altère les parties qui se rapprochent, puisqu’elles forment d’autres corps: c’est ainsi que les éléments se changent en corps composés, la nourriture en sang, le sang en chair et en d’autres parties du corps.

Mais, pour l’intelligible, l’union se fait sans qu’il y ait d’altération: car il répugne à la nature de l’intelligible de subir une altération dans son essence. Il disparaît ou il cesse d’être, mais il n’est pas susceptible de changement.

Or l’intelligible ne peut être anéanti: autrement Il ne serait pas immortel; et, comme l’âme est la vie, si elle changeait dans son union avec le corps, elle deviendrait autre chose et elle ne serait plus la vie.

Que procurerait-elle donc au corps si elle ne lui donnait pas la vie? L’âme ne subit donc pas d’altération dans son union.

Puisqu’il est démontré que l’intelligible est immuable dans son essence, il en résulte nécessairement qu’il ne s’altère pas en même temps que les choses auxquelles il est uni. L’âme est donc unie au corps, mais elle ne forme pas un mixte avec lui.

La sympathie qui existe entre eux montre qu’ils sont unis: car l’être animé tout entier est un tout sympathique à lui-même et par conséquent véritablement un.

Ce qui montre que l’âme ne forme pas un mixte avec le corps, c’est qu’elle a le pouvoir de se séparer de lui pendant le sommeil; qu’elle le laisse comme inanimé, en lui conservant seulement un souffle de vie, afin qu’il ne meure pas tout à fait; et qu’elle ne se sert que de son activité propre dans les songes, pour prévoir l’avenir et pour vivre dans le monde intelligible.

Cela paraît encore quand elle se recueille pour se livrer à ses pensées: car, alors, elle se sépare du corps autant qu’elle le peut, et elle se retire en elle-même afin de pouvoir mieux s’appliquer à la considération des choses intelligibles.

En effet, étant incorporelle, elle s’unit au corps aussi étroitement que sont unies les choses qui en se combinant ensemble périssent l’une par l’autre [et donnent ainsi naissance à un mixte]; en même temps, elle demeure sans altération, comme demeurent deux choses qui ne sont que juxtaposées, et elle conserve son unité; enfin, elle modifie selon sa vie propre ce à quoi elle est unie, et elle n’en est pas modifiée.

De même que le soleil, par sa présence, rend tout l’air lumineux sans changer lui-même en rien, et de la sorte s’y mêle pour ainsi dire sans s’y mêler; de même l’âme, tout en étant unie au corps, en demeure tout à fait distincte.

Mais il y a cette différence que le soleil, étant un corps, et par conséquent circonscrit dans un certain espace, n’est pas partout où est sa lumière, de même que le feu demeure dans le bois ou dans la mèche de la lampe, comme renfermé dans un lieu; mais l’âme, étant incorporelle et ne souffrant pas de circonscription locale, est tout entière partout où est sa lumière, et il n’est pas de partie du corps illuminé par elle dans laquelle elle ne soit présente tout entière.

Ce n’est pas le corps qui commande à l’âme; c’est l’âme, au contraire, qui commande au corps. Elle n’est pas dans le corps comme dans un vase ou dans une outre; c’est plutôt le corps qui est en elle.

L’intelligible n’est donc pas emprisonné par le corps; il se répand dans toutes ses parties, il les pénètre, il les parcourt et ne saurait être renfermé dans un lieu: car en vertu de sa nature, il réside dans le monde intelligible; il n’a point de lieu que lui-même ou qu’un intelligible placé encore plus haut.

C’est ainsi que l’âme est en elle-même quand elle raisonne, et dans l’intelligence lorsqu’elle se livre à la contemplation. Lors donc qu’on affirme que l’âme est dans le corps, on ne veut pas dire qu’elle y soit comme dans un lieu on entend seulement qu’elle est en rapport habituel avec lui, et qu’elle s’y trouve présente, comme nous disons que Dieu est en nous.

Car nous pensons que l’âme est unie au corps, non pas d’une manière corporelle et locale, mais par son rapport habituel, son inclination et sa disposition, comme un amant est attaché à celle qu’il aime.

D’ailleurs, l’affection de l’âme n’ayant ni étendue, ni pesanteur, ni parties, ne saurait être circonscrite par des limites locales. Dans quel lieu ce qui n’a point de parties peut-il être renfermé?

Car le lieu et l’étendue corporelle sont inséparables : le lieu est l’espace limité dans lequel le contenant renferme le contenu.

Mais si l’on disait: Mon âme est donc à Alexandrie, à Rome, et partout ailleurs; on parlerait encore de lieu sans y prendre garde, puisque être à Alexandrie, ou, en général, être quelque part, c’est être dans un lieu: or, l’âme n’est absolument en aucun lieu, elle peut seulement être en rapport avec quelque lieu, puisqu’il a été démontré qu’elle ne saurait être renfermée dans un lieu.

Lors donc qu’un intelligible est en rapport avec un lieu, ou avec une chose qui se trouve dans un lieu, nous disons, d’une manière figurée, que cet intelligible est dans ce lieu, parce qu’il y tend par son activité; et nous prenons le lieu pour l’inclination ou pour l’activité qui l’y porte.

Quand il faudrait dire: C’est là que l’âme agit; nous disons: Elle est là. »

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Le dualisme du néoplatonisme : le « Dieu vivant »

Le « Timée » n’aurait pas eu l’effet idéologique qu’il a eu s’il ne consistait qu’en un simple dualisme opposant le matériel et l’immatériel. On y trouve une « explication » particulièrement développée des niveaux d’interaction entre l’immatériel et le spirituel.

Cette explication est la seule qui « tienne debout » sur le plan intellectuel, à défaut d’être juste ; elle sera reprise par toutes les religions. Le néo-platonisme consiste précisément en l’approfondissement de cette explication.

Que dit Timée ? Déjà, et c’est un argument typique des néoplatoniciens, il précise systématiquement qu’il ne peut pas réellement expliquer les choses, en raison de la différence de nature entre matériel et immatériel.

Il ne peut que faire des rapprochements, il ne peut procéder que par analogie, observant des similitudes, des ressemblances ; le matériel n’est qu’une forme en quelque sorte délavée, aplanie, dévitalisée de l’immatériel.

Timée dit ainsi, par exemple :

« Mais, quand il s’agit d’exprimer une copie de ce qui est immuable, comme ce n’est qu’une copie, par analogie avec elle, l’expression aussi ne doit être que vraisemblable. Ce que l’existence est à la génération, la vérité l’est à l’opinion. Tu ne seras donc pas étonné, Socrate, si, après que tant d’autres ont parlé diversement sur le même sujet, j’essaye de parler des dieux et de la formation du monde, sans pouvoir vous rendre mes pensées dans un langage parfaitement exact et sans aucune contradiction. »

« Et si nos paroles n’ont pas plus d’invraisemblance que celles des autres, il faut s’en contenter et bien te rappeler que moi qui parle et vous qui jugez, nous sommes tous des hommes, et qu’il n’est permis d’exiger sur un pareil sujet que des récits vraisemblables. »

« Mais, me renfermant dans la vraisemblance, comme je l’ai fait depuis le commencement de ce discours, je tâcherai d’émettre des opinions qui ne soient pas moins vraisemblables que celles des autres, et de traiter de nouveau mon sujet dans son ensemble et dans ses détails avec plus d’étendue qu’auparavant. »

C’est là un des grands principes du mysticisme. La rationalité est considérée comme insuffisante à exprimer les choses. La raison en est que la réalité dont on peut parler n’est qu’un reflet d’une entité « unique » dont on ne peut, en fait, pas comprendre grand-chose, voire rien du tout, et encore moins, dans tous les cas, en parler.

Étant donné que voir la réalité, c’est « fusionner » avec l’Un, il s’agit d’une expérience personnelle qu’on ne peut pas raconter à un autre, car parler à quelque d’autre relève du « multiple » alors que la fusion relève de « l’Un », de l’unité mystique.

L’idée – à la base de toute religion, quelle que soit sa forme, jusqu’au new age – est que le monde n’est qu’une sorte de sous-niveau d’une super-entité divine. C’est un monisme matérialiste inversé, plus qu’un dualisme « tranquille » comme ce que les religions « sérieuses » préfèrent à mettre en avant, afin de ne pas se présenter comme trop « idéalistes » ou spiritualistes.

Timée présente la réalité matérielle de la manière suivante : c’est un grand tout, une sorte de gigantesque être, composé de parties innombrables, consistant en une sorte de sphère.

« Ainsi, il convient que ce qui doit être propre à recevoir dans toute son étendue des copies de tous les êtres éternels, soit dépourvu de toute forme par soi-même.

En conséquence, cette mère du monde, ce réceptacle de tout ce qui est visible et perceptible par les sens, nous ne l’appellerons ni terre, ni air, ni feu, ni eau, ni rien de ce que ces corps ont formé, ni aucun des éléments dont ils sont sortis; mais nous ne nous tromperons pas en disant que c’est un certain être invisible, informe, contenant toutes choses en son sein, et recevant, d’une manière très obscure pour nous, la participation de l’être intelligible, un être, en un mot, très difficile à comprendre. »

« Il [c’est-à-dire ici Dieu] polit toute la surface de ce globe,avec le plus grand soin par plusieurs raisons;  ce morde n’avait besoin ni d’yeux ni d’oreilles, parce qu’il ne restait en dehors rien à voir ni rien à entendre; il n’y avait pas non plus autour de lui d’air à respirer; il n’avait besoin d’aucun organe pour la nutrition, ni pour rejeter les aliments digérés ; car il n’y avait rien à rejeter ni rien à prendre.

Non ; il est fait pour se nourrir de ses pertes propres, et toutes ses actions, toutes ses affections lui viennent de lui-même et s’y renferment; car l’auteur du monde estima qu’il vaudrait mieux que son ouvrage se suffit à lui-même, que d’avoir besoin de secours étranger.

De même, il ne jugea pas nécessaire de lui faire des mains, parce qu’il n’y avait rien à saisir ni rien à repousser ; et il ne lui fit pas non plus de pieds, ni rien de ce qu’il faut pour la marche; mais il lui donna un mouvement propre à la forme de son corps, et qui, entre les sept mouvements, appartient principalement à l’esprit et à l’intelligence.

Faisant tourner le monde constamment sur lui-même et sur un même point, Dieu lui imprima ainsi le mouvement de rotation, et lui ôta les six autres mouvements, ne voulant pas qu’il fût errant à leur gré. Le monde enfin, n’ayant pas besoin de pieds, pour exécuter ce mouvement de rotation, il le fit sans pieds et sans jambes. »

C’est ici l’un des grands fondamentaux du mysticisme : nous sommes au sein d’une sorte de Dieu vivant. Timée distingue ainsi Dieu de Dieu : il y a le Dieu en tant qu’un suprême, tourné vers lui-même, et il y a le Dieu artisan, créateur, façonnant la réalité. C’est un Dieu vivant, inférieur au Dieu suprême.

C’est le fondement même du néo-platonisme.

Celui qui est en pratique un second « Dieu » pour ainsi dire est en fait ici un « démiurge », un artisan suprême façonnant le monde, et il utilise les mathématiques. Timée explique longuement cette conception pythagoricienne, où Dieu jongle en quelque sorte avec les chiffres.

Voici un exemple, relativement compréhensible, de cette perspective.

« Voici comment il opéra cette division : d’abord il ôta du tout une partie, puis une seconde partie double de la première, une troisième valant une fois et demie la seconde et trois fois la première, une quatrième double de la seconde, une cinquième triple de la troisième, une sixième octuple de la première, une septième valant la première vingt-sept fois.

Cela fait, il remplit les intervalles doubles et triples, en enlevant au tout encore d’autres parties qu’il plaça de manière à ce qu’il y eût dans chaque intervalle deux moyennes, dont la première surpasse un de ses extrêmes et est surpassée par l’autre d’une même partie de chacun d’eux, et dont la seconde surpasse un de ses extrêmes et est surpassée par l’autre d’un nombre égal. »

Cette construction d’un Dieu à deux étages pour ainsi dire était là le prix à payer pour justifier l’existence de la réalité par un Dieu suprême qui, par définition, n’a besoin de rien. Voici comment Timée présente le processus de naissance du Démiurge :

« C’est ainsi que le Dieu, qui existe de tout temps, avait conçu le Dieu qui devait naître; il le polit, l’arrondit de tous côtés, plaça ses extrémités à égale distance du centre, en forma un tout, un corps parfait, composé de tous les corps parfaits ; puis il mit l’âme au milieu, l’épandit partout, en enveloppa le corps ; et ainsi il fit un globe tournant sur lui-même, un monde unique, solitaire, se suffisant par sa propre vertu, n’ayant besoin de rien autre que soi, se connaissant et s’aimant lui-même.

De cette manière il produisit un Dieu bienheureux. »

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Le néoplatonisme et le «Timée» de Platon

Le « Timée » est l’œuvre de Platon dont le succès fut le plus retentissant après l’effondrement d’Athènes ; durant l’obscur Moyen-Âge européen, il sera l’unique œuvre connue réellement qui soit issue de l’antiquité gréco-romaine, et son influence sera énorme.

La raison en est que c’est une œuvre profondément mystique. Normalement, Platon œuvre à régénérer Athènes, et ce sur une base élitiste au possible ; son mysticisme est secondaire, visant à justifier l’élitisme. La disparition de cet élitisme, dû à l’effondrement du mode de production esclavagiste, a amené la récupération de son idéalisme.

Le « Timée » étant l’œuvre la plus mystique de toutes celles connues, il fut à ce titre utilisé massivement par les différents mysticismes, principalement le néo-platonisme. Il faut bien noter ici que, naturellement, le néo-platonisme trouve dans le « Timée » des choses bien différentes de ce que Platon mettait en avant comme principal.

Platon, en effet, fait parler dans le « Timée » la figure éponyme qu’est Timée de Locres : c’est un pythagoricien, croyant que « Dieu » a créé le monde au moyen de nombres, et que par conséquent il existe une harmonie des chiffres dans l’Univers.

Au début de l’œuvre, il est fait un bref rappel de la nécessité d’une société organisée en castes, avec une collectivisation des efforts et une division élitiste du travail. Voici un exemple de comment Platon envisage son ordre social, de type aristocratique-militaire, avec les mariages tirés au sort, etc.

« Puis il a été dit que nos guerriers ainsi élevés devaient s’estimer comme n’ayant en propre ni or ni argent ni aucun autre bien, mais que, recevant de ceux qu’ils défendent un salaire de leur protection suffisant à des hommes tempérants, ils doivent le dépenser en commun, vivre et manger ensemble, tout occupés du soin de la vertu, et libres de tous autres soucis. »

Puis, Timée explique l’origine de l’Univers – le but étant bien sûr de légitimer l’ordre social proposé à l’initial. De manière plus ou moins délirante – au point que les chercheurs universitaires bourgeois affirment parfois que ce serait de « l’humour » afin de masquer cela – Timée explique l’origine du corps humain, de ses parties, du foie, des mains, des pieds, etc.

De manière par contre beaucoup plus intéressante, on trouve aussi une réflexion cosmologique, sur la nature de l’Univers. C’est précisément cela qui va intéresser le néo-platonisme, les élucubrations sur les parties du corps, voire sur les nombres, étant passées à la trappe.

Timée imagine un Dieu qui est totalement indépendant, qui produit indirectement un Dieu qui, lui, va donner naissance au monde.

Voici les mots employés par Timée tout à la fin de l’œuvre :

« Plaçons ici le terme de notre discours sur l’univers. Ainsi a été formé cet univers qui comprend tous les animaux mortels et immortels et en est rempli, animal visible renfermant tous les animaux visibles, Dieu sensible, image du Dieu intelligible, très grand et très bon, d’une beauté et d’une perfection accomplies, monde unique et d’une seule nature. »

Ce que raconte en fait Timée dans l’œuvre de Platon, c’est la théorie idéaliste selon laquelle la « vraie » réalité ne serait pas matérielle. On retrouve ici le principe commun à toutes les religions, mais développée pour ainsi dire de manière « pure », uniquement théorique. Les thèses qu’on a ici sont retrouvables, sous différentes formes, dans toutes les religions.

La conception que l’on trouve dans le Timée est la suivante : c’est en quelque sorte le principe des poupées russes. Dieu est un grand tout, sans limites et sans bornes, qui n’a ni début ni fin, qui est toujours le même. C’est le grand « 1 » , unique, toujours pareil.

Or, nous voyons que sur notre planète tout naît et périt ; le monde est « visible, tangible et corporel ». On saisit notre environnement, par les sens et non par l’intelligence, alors forcément il y a une origine à cela, ce monde né ayant comme source quelque chose qui n’est pas né.

Le monde est alors une sorte de reflet de quelque chose de parfait, ce parfait étant immatériel, le monde matériel étant une copie imparfaite, justement parce que matériel. Timée explique :

« Le monde a donc été formé d’après un modèle intelligible, raisonnable et toujours le même ; d’où il suit, par une conséquence nécessaire, que le monde est une copie. »

« En conséquence il mit l’intelligence dans l’âme, l’âme dans le corps, et il organisa l’univers de manière à ce qu’il fût, par sa constitution même, l’ouvrage le plus beau et le plus parfait. Ainsi, on doit admettre comme vraisemblable que ce monde est un animal véritablement doué d’une âme et d’une intelligence par la Providence divine. »

« Dieu, voulant faire le monde semblable à ce qu’il y a de plus beau et de plus parfait parmi les choses intelligibles, en fit un animal visible, un et renfermant en lui tous les autres animaux, comme étant de la même nature que lui. »

« Dieu donna au monde la forme la plus convenable et la plus appropriée à sa nature ; or la forme la plus convenable à l’animal qui devait renfermer en soi tous les autres animaux ne pouvait être que celle qui renferme en elle toutes les autres formes. C’est pourquoi, jugeant le semblable infiniment plus beau que le dissemblable, il donna au monde la forme sphérique, ayant partout les extrémités également distantes du centre, ce qui est la forme la plus parfaite et la plus semblable à elle-même. »

C’est la même conception que celle, très connue, de l’allégorie de la caverne de Platon, avec une insistance ouverte par contre sur le caractère lié au divin d’une humanité devant retourner à la source, car elle en porterait une certaine pureté.

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Le dualisme du néoplatonisme : introduction

Lorsque Platon et Aristote firent irruption sur la scène de l’Histoire, la cité-État d’Athènes était déjà profondément affaiblie. Sa concurrence avec Sparte avait épuisé les deux protagonistes, permettant à la Macédoine de finalement prendre le dessus. L’échec d’Alexandre le Grand à établir un empire macédonien dans la durée permit alors à Rome de former son propre empire, qui finit par vaciller sous son propre poids, ses propres contradictions.

On est là dans le contexte de l’effondrement du mode de production esclavagiste. Étaient remis en cause des décennies, des siècles, voire un, deux, trois millénaires de traditions, de psychologie, de mentalités.

Dans ce contexte, les mysticismes fleurirent. D’innombrables formes religieuses se développèrent, se mélangèrent, se divisèrent. Elles exprimaient des traditions tribales, pré-nationales, autant que des questions « philosophiques » à prétention scientifiques.

Cependant, elles étaient surtout portées par la naissance d’un nouveau mode de production : elles assumaient la dignité individuelle universelle, ainsi que la reconnaissance de la communauté organisée et solidaire de ses membres.

Plus personne ne doit être esclave, tout comme chaque individu existe en tant que tel, avec des droits élémentaires, avec la reconnaissance de sa personnalité propre. Bien entendu, cela se déroule dans un processus long et douloureux : le monde féodal a mis du temps à s’extirper du mode de production esclavagiste.

Dans ce cadre, le « néo-platonisme » a joué un rôle essentiel, en tant que dispositif théorique, culturel, idéologique, de forme à la fois philosophique et religieuse.

Les mysticismes s’élançant parallèlement à l’effondrement de Rome possédaient le plus souvent un dénominateur commun : ils en appelaient à une figure divine ayant donné naissance au monde et justifiant par là les tentatives d’établir des lois sociales, morales, voire scientifiques pour les situations les plus stables (comme dans le cas du monde arabo-persan avec l’Islam, avec l’apparition de la falsafa).

Le christianisme fut le plus puissant de ces courants. Toutefois, dans le cadre des restes de la culture grecque, le néo-platonisme s’est parallèlement maintenu, s’approfondissant avant de littéralement fusionner avec le christianisme. Comprendre, de fait, le christianisme, tout comme le judaïsme ou encore l’Islam, est absolument impossible sans étudier sa base théorique portée historiquement par le néo-platonisme.

Le projet de Platon était initialement politique ; il s’agissait de régénérer Athènes au moyen d’une idéologie élitiste et purement idéaliste. La cité devait, comme dans l’ouvrage connu en France sous le nom de « République », être organisée en castes, selon un modèle hiérarchique correspondant à ce qui serait divin.

Les néo-platoniciens étaient à mille lieux de cette démarche. Ils étaient des individus dispersés, dans des sociétés en proie à une profonde insécurité : les cités-États avaient failli, le plus puissant empire qu’était Rome se voyait ébranlé par la faillite économique, les révoltes d’esclaves, les agressions barbares.

La fuite dans la quête du divin correspondait à un état désordonné des sociétés ; pour cette raison, l’idéalisme de Platon fut très apprécié, purgé de ses prétentions politiques et résumé en un mysticisme absolu, amenant l’émergence d’un « néo-platonisme » aux conceptions « magiques ».

Mysticisme religieux, le néo-platonisme côtoyait le christianisme qui se répandait parallèlement, portant la négation de l’esclavagisme. Alors, à l’ancienne aristocratie dominant en pratique la philosophie grecque, succédait une aristocratie intellectuelle dominant en théorie, à travers la figure de l’ascète, du mystique, du magicien.

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Brigades Rouges: Les vingt thèses finales

Tiré de L’ape e il comunista – l’abeille et le communiste – qui est le document le plus approfondi des Brigades Rouges, écrit par le Collectif des prisonniers révolutionnaires des Brigades Rouges et publié en décembre 1980. 

DÉSARTICULER L’ETAT !

CONSTRUIRE LE PARTI COMMUNISTE COMBATTANT ET LES ORGANISMES RÉVOLUTIONNAIRES DE MASSE !

CONQUÉRIR LES MASSES À LA LUTTE ARMEE POUR LE COMMUNISME !

Nous sommes les dirigeants et les organisateurs de la guerre révolutionnaire et également les dirigeants et les organisateurs de la vie des masses. Nos deux devoirs sont : organiser la guerre révolutionnaire et améliorer les conditions de vie des masses.

MAO ZEDONG

1. L’actuelle conjoncture politique se trouve entre deux phases : nous ne sommes plus dans la phase de la propagande armée et pas encore dans celle de la guerre civile. Il s’agit ainsi d’une conjoncture de transition.

Nous devons accorder une grande attention aux particularités et aux contradictions caractérisant cette conjoncture et ne pas sous-estimer le fait que la transition de l’une à l’autre peut également être prolongé dans le temps.

Cette conjoncture de transition dépend de fait tant de l’évolution structurelle de la crise capitaliste/impérialiste, que de la capacité subjective du prolétariat métropolitain à se constituer en Parti Combattant et de condenser son antagonisme en un Système du Pouvoir Révolutionnaire, autonome, articulé et diffus dans tous les secteurs de la classe et dans tous les pôles.

Le problème central de l’actuelle conjoncture est la conquête des masses à la lutte armée, et cela pose en premier lieu la question des Organismes Révolutionnaires de masses.

2. Les organismes révolutionnaires de masses sont sortis et sortiront en conséquent du devenir objective de la crise – restructuration – internationalisation du capitalisme, qui modifie la composition de la classe et qui pousse des secteurs spécifiques du prolétariat métropolitain à vivre de manière toujours plus accentuée un rapport antagonique avec le mode de production et avec l’État.

De l’autre côté, à ce mouvement objectif s’est entrelacé l’initiative de la Propagande armée qu’ont incessamment développé dans la dernière décennie les Organisations Communistes Combattantes afin d’enraciner dans le prolétariat la conscience de la nécessité et de la possibilité de la révolution communiste dans la métropole impérialiste.

Aujourd’hui, cette initiative n’est plus adéquate aux nouvelles conditions objectives et suggestives, et l’avant-garde politico-militaire, pour correspondre à la fonction qui est la sienne, doit obtenir la position d’organiser et de diriger d’entiers secteurs et couches de la classe sur le terrain de la lutte armée pour le communisme.

Le saut qualitatif, de l’Organisation Communiste Combattante au Parti, se déroule sur ce plan et pas tant dans la confrontation directe entre organisations. Ou, plus précisément, cette confrontation de lignes politiques doit s’immerger et vivre en premier lieu à l’intérieur des organismes révolutionnaires de masse que se donne le prolétariat métropolitain se donne pour exprimer ses intérêts, ses besoins, ses aspirations qui lui sont propres, son pouvoir.

Il doit être compris que si notre organisation n’a pas jusqu’à aujourd’hui réalisé le saut au Parti, cela ne doit pas être ramené au fait que n’a pas été construite, à travers une confrontation directe, l’unité avec les autres formations de guérilla, confrontation qui dans des formes diverses et contradictoires s’est toujours poursuivie.

La cause profonde est à rechercher dans le développement encore embryonnaire des conditions objectives et subjectives du processus révolutionnaire, qui ne permet pas le « saut » de l’avant-garde politico-militaire, qui stabilise essentiellement un rapport de « propagande » avec les masses, à l’avant-garde politico-militaire organique, qui dirige, organise la lutte politique et militaire des couches de la classe.

Forcer cette situation serait du pur volontarisme. Une telle possibilité se situe dans l’actuelle phase de transition. En fait, la construction du Parti Communiste Combattant procède ensemble, s’interpénètre avec le processus de l’organisation des masses sur le terrain de la lutte armée, et il ne peut pas y avoir l’un sans l’autre.

3. Le Travail de Masse de notre organisation, toutefois, ne doit pas s’épuiser à l’intérieur des organismes révolutionnaires de masse.

La complexité du prolétariat métropolitain requière que notre initiative s’accomplisse dans de multiples formes politiques, organisationnelles, militaires, idéologiques, théoriques, afin d’atteindre et de lier à soi tous les éléments communistes, de consolider sa présence d’avant-garde à tous les niveaux, de renforcer nos structures, d’étendre nos ramifications complexes dans tous les secteurs du prolétariat métropolitain.

4. Ces dernières années, il y a eu l’organisation d’une aire de comportements antagoniques, que nous avons appelé le Mouvement Prolétarien de Résistance Offensive.

Ces comportements, sans les réduire à cela, ont assumé diverses formes d’organisations politico-militaires, et une dialectique incertaine les lie aux Organisations Communistes Combattantes davantage consolidées.

Dans l’actuelle conjoncture, nous ne pouvons nous limiter à constater cette hétérogénéité magmatique, mais nous devons multiplier nos efforts pour saisir quelles sont les tendances destinées à grandir et quelles sont condamnées à périr.

Les critères qui permettent d’effectuer un tel bilan de l’expérience sont ceux que nous avons toujours adopté dans toute notre histoire : tout ce qui exprime le mouvement réel de la classe, même partiellement, tout ce qui est suscité par les profondes causes objectives, est le nouveau qui croît et se renforce ; au contraire, les initiatives des groupes déracinés, quelques formes qu’ils assument, en tant que c’est volontariste et subjectif, ne réussiront en aucun cas à s’alimenter à résister dans les nouvelles conditions.

Le travail de masse de l’Organisation ne doit pas négliger une telle dialectique, si il ne veut pas aplatir le Mouvement Prolétarien de Résistance Offensive à une totalité homogène, privée de contradictions, de vie.

Il doit aider le nouveau à grandir et le vieux à mourir.

5. Comment est-ce que doit être entendu le travail de masse de l’Organisation à l’intérieur des organismes de masse révolutionnaires, qui expriment les mouvements de classe réels, même si partiellement, ou, plus généralement, à l’intérieur des couches prolétariennes qui incubent des niveaux de conscience révolutionnaire ou qui manifestent des comportements antagoniques, même si encore à un stade embryonnaire ?

En premier lieu, il convient de préciser que les organismes de masse révolutionnaires ne doivent pas être compris comme des « organismes du parti » ou des « courroies de transmission », mais comme des instruments du pouvoir des masses à l’intérieur duquel le Parti travaille ensemble avec les militants révolutionnaires et les autres éléments les plus avancés et les plus combatifs de la classe.

On doit toujours avoir en vue que la guerre civile est la guerre que le prolétariat révolutionnaire déchaîne pour conquérir le pouvoir et affirmer sa dictature. Il ne s’agit pas d’une « guerre communiste » ni d’une « dictature communiste ». Les communistes luttent non pas pour pour s’affirmer comme « Parti », mais pour affirmer les intérêts du prolétariat et de sa dictature.

Lénine dit :

« Une des erreurs les plus grandes et les plus dangereuses que commettent les communistes, c’est de se figurer que la révolution peut être accomplie par les mains des seuls révolutionnaires. L’avant-garde ne remplit sa mission que lorsqu’elle sait ne pas se détacher de la masse qu’elle dirige, lorsqu’elle sait véritablement faire progresser toute la masse. »

Les organismes de masse révolutionnaire, autrement dit, sont les organismes politico-militaires de combat que les prolétaires se donnent à partir de leurs besoins réels et immédiats. Le caractère politico-militaire prend son origine du fait que la crise politique et économique de notre formation sociale a rejoint le point que même la lutte pour les objectifs immédiats entrent en contradiction ouverte avec le processus de restructuration que la bourgeoisie impérialiste tente d’importer par tous les moyens.

La lutte avec laquelle les prolétaires tissent leurs besoins immédiats se trouvent immédiatement en contrepoint à la résistance de l’État, qui intervient avec tous ses appareils, syndicaux, politiques, manipulatoires, policiers…, pour neutraliser et écraser.

D’où la nécessité, pour chaque lutte prolétaire qui entend affirmer les besoins vitaux des masses, d’assumer un caractère de pouvoir, et de réaliser une synthèse entre les raisons économiques et les conditions politico-militaires qui ne consentent pas à la satisfaction.

Certes, une telle tendance se manifeste encore de manière contradictoire, mais c’est justement de ce caractère contradictoire du réel que l’Organisation doit partir pour « exister comme Parti », croître et continuer à exercer sa fonction d’avant-garde politico-militaire.

Outre le travail de l’organisation des masses dans les organismes de masse révolutionnaires, le Parti effectue également un travail direct « en tant que tel » au sein des masses, avec comme finalité de les radicaliser et de les renforcer à être elles-mêmes.

C’est un travail avec les éléments les plus avancés et les plus combatifs du prolétariat qui partagent le programme pour la construction des organisations « de masse » du Parti, du maillage pour assumer diverses tâches : de la propagande à l’appui logistique, de l’infiltration de l’ennemi au recrutement.

Le « saut » au Parti se définit aujourd’hui dans la capacité pratique de faire émerger le général du particulier et de faire vivre le général du particulier.

Construire le Parti communiste combattant et les organisations permanentes du pouvoir des masses ne sont pas deux processus séparés dans l’espace et le temps, mais deux faces du même problème : la consolidation du Système du Pouvoir Rouge.

6. Cela introduit une autre question : la Ligne de Masses de l’Organisation, à savoir la question du Programme de Transition au Communisme, de ses Formes Conjoncturelles et de ses Formes Immédiates.

Sans un Programme de Transition au Communisme, qui explique les objectifs sociaux de la guerre, il n’est pas possible de localiser toutes les composantes prolétariennes qui y sont objectivement intéressés.

Ce programme, d’autre part, ne naît pas de rien, mais de dix années de luttes prolétariennes, de critique pratique et radicale de l’usine et de la formation sociale capitaliste, il dispose de grandes lignes qui ont été esquissées dans son contenu essentiel, que nous pouvons résumer ainsi :

– réduction du temps de travail : travailler tous, travailler moins ; libération massive du temps social et construction des conditions sociales pour son utilisation évoluée ;

– recomposition du travail manuel et du travail intellectuel, de l’étude et du travail, pour chaque individu et pour tout son temps de vie ;

– renversement de l’exercice du pouvoir et des flux de conception de la finalité collective, à tous les niveaux de la vie sociale :

– restructuration de la production, du rapport homme-nature, sur la base des valeurs d’usage collectivement définis et historiquement possibles ;

– remise à plat de notre formation sociale suivant les principes d’un internationalisme prolétarien effectif.

Les conditions d’un tel programme est le dépassement des rapports capitalistes de production, de la production fondée sur la valeur d’échange.

Il n’y aucun rapport avec l’utopie. Il s’agit ici d’un programme qui, comme le dirait Marx, « ne laissent pas intacts les fondements de la maison », étant déjà entièrement mûri quant à ses fondements.

Il s’agit d’un programme continuellement amené des luttes des sujets prolétaires les plus conscients, qui rompent violemment avec les tendances immanentes et conservatrices du développement capitaliste et se placent de manière antagonique avec l’État.

Il s’agit malgré tout d’un programme incomplet qui recherche dans la lutte révolutionnaire son identité la plus mature. La croissance du pouvoir prolétarien coïncide avec cette recherche et il revient à toutes les organisations révolutionnaires de le faire progresser. C’est la tâche décisive du fait d’agir en tant que Parti dans cette conjoncture !

C’est une tâche difficile, parce qu’il s’agit de recomposer le prolétariat métropolitain en une entité unitaire de transformation sociale, il faut garder les yeux ouverts sur la multiplicité présente des figures le composant et qui historiquement ont construit des parcours séparés, voire même des « identités » séparées.

Cela doit être qui plus est traduit, pas à pas, en un Programme Politique Générale de Conjoncture interne, faisant grandir les conditions subjectives et les niveaux organisationnels nécessaires, dans la prospective du passage à la Guerre Civile Anti-impérialiste de Longe Durée.

La lutte révolutionnaire est fait en même temps contre l’État impérialiste et le mode de production qu’il défend, et pour le communisme.

Un Programme Politique condensant les aspirations fondamentales et s’articulant par rapport aux secteurs variés du prolétariat métropolitain est ainsi un programme de destruction et de construction.

Comme l’affirme Mao Zedong :

« Sans destruction, pas de construction. Détruire signifie critiquer, signifie faire la révolution. Pour la destruction, il est nécessaire de raisonner; raisonner c’est construire. La destruction venant en premier lieu, elle sera tout naturellement accompagnée de la construction. »

La mise au point d’un programme politique général de conjoncture pour la transition à la guerre civile est indispensable afin de consentir à l’initiative « du Parti » dans chaque secteur spécifique du prolétariat métropolitain visant à les articuler de manière homogène dans un programme politique immédiat et par là unir les masses dans un dessein stratégique unitaire, dans un projet commun de construction du Pouvoir Rouge.

Le programme politique général doit synthétiser, avec des mots d’ordre efficaces et clairs, la contradiction principale dans la présente conjoncture, sur laquelle est portée toute la force concentrée du Parti, des organismes révolutionnaires de masse et du mouvement des masses révolutionnaires.

Le programme politique immédiat doit plutôt individuer les aspects spécifiques, particulier, que la contradiction principale assume pour chacun des secteurs du prolétariat métropolitain.

La relation entre le Programme Général et le Programme Immédiat n’est pas celle d’une séparation, mais vit plutôt une dialectique précise. Cela signifie que, conjoncture après conjoncture, le premier vit sa réalisation et sa concrétisation dans le second, aussi bien que dans la pratique directe du Parti, des organismes révolutionnaires de masse et du mouvement des masses révolutionnaires.

Le programme immédiat n’est pas, comme l’imaginent les spontanéistes, la représentation immédiate des intérêts les plus urgents que chaque secteur prolétarien a la nécessité de résoudre. Cela exprime plutôt les intérêts réels, stratégiques, que les rapports de pouvoir conquis consentent à mettre à l’ordre du jour.

Ce n’est pas non plus comme l’imaginent les économiques une plate-forme revendicative. En d’autres termes, le programme immédiat ne privilégie aucunement la lutte économique, la résistance aux capitalistes pour dire comme Engels, à la lutte politique, lutte qui a comme objectif spécifique le pouvoir politique, le pouvoir d’État.

Marx et Lénine se sont exprimés clairement à ce sujet :

« Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour but final la conquête du pouvoir politique pour elle, et pour cela est naturellement nécessaire une organisation préalable de la classe ouvrière, organisation ayant atteint un certain point de son développement et issue directement de ses luttes économiques. » [Karl Marx, Lettre à F. Bolte, 23 novembre 1871]

Et Lénine d’ajouter :

« Il ne suffit pas de dire que la lutte des classes devient réel, conséquente, développée, seulement quand elle embrasse le champ politique… Le marxisme reconnaît que la lutte de classe est complètement mature, « nationale », seulement non seulement elle embrasse la politique, mais de la politique l’élément essentiel : la structure du pouvoir d’État. »

Il est encore un point qu’il est bien d’éclaircir : celui sur le rapport entre la lutte économique et la lutte politique. Tous les économistes ont toujours effectué une grande confusion à ce sujet, dérivant directement de l’économie la politique de la classe. Mais la lutte politique n’est pas, comme l’a dit Lénine, seulement une « forme plus développée, ample et active de la lutte économique.

Elle a un objectif spécifique : l’État.

Il ne s’agit pas non plus de « donner à la lutte économique un caractère politique » mais d’affirmer le primat de la lutte politique sur la lutte économique. Cela veut dire, hier comme aujourd’hui, que « les intérêts essentiels, décisifs, de la classe, ne peuvent seulement solidifiés par la transformation politique radicale ».

Marx encore une fois :

« …tout mouvement dans lequel la classe ouvrière s’oppose aux classes dominantes en tant que classe et cherche à les contraindre par la pression de l’extérieur est un mouvement politique.

Par exemple, la tentative de forcer des capitalistes, au moyen de grèves, etc., dans telle ou telle usine ou branche d’industrie, à réduire le temps de travail, est un mouvement purement économique ; au contraire, le mouvement ayant pour but de faire édicter une loi des huit heures, etc., est un mouvement politique.

Et c’est ainsi que partout les mouvements économiques isolés des ouvriers donnent naissance à un mouvement politique, c’est-à-dire un mouvement de la classe pour réaliser ses intérêts sous une forme générale, une forme qui possède une force générale socialement contraignante.

Si ces mouvements supposent une certaine organisation préalable, ils sont tout autant à leur tour des moyens de développer cette organisation.

Là où la classe ouvrière n’est pas encore allée assez avant dans son organisation pour entreprendre une campagne décisive contre la force collective, c’est-à-dire la force politique des classes dominantes, elle doit en tout cas être éduquée en vue de cela par une agitation continue contre l’attitude hostile à notre égard qu’observent en politique les classes dominantes.

Dans le cas contraire, elle reste aux mains de celles-là une balle à jouer. » [Karl Marx, Lettre à F. Bolte, 23 novembre 1871]

Le programme politique immédiat doit être compris comme Programme de Pouvoir qui exprime un rapport de pouvoir, qui a comme objectif le pouvoir étatique.

Pour cela, elle constitue l’esprit révolutionnaire qui fait vivre l’organisation du pouvoir de la classe, les Organismes Révolutionnaires de Masse, outre la contingence, outre l’immédiat, outre la partialité, se mouvant entre la dialectique décisive entre révolution et contre-révolution.

7. Dans cette conjoncture de transition, la caractéristique dominante du programme politique général est la conquête des masses à la lutte armée et leur organisation sur ce terrain, les deux étant des conditions essentielles pour le passage à la phase de la guerre civile général.

Ce passage n’apparaît pas comme objectivement possible sans que soient patiemment formés tous les instruments organisationnels que la situation requiert. C’est-à-dire tant que le prolétariat métropolitain n’a pas conquis la capacité politico-militaire de manifester sa force dans un mode unitaire, mais également dans ses formes multiples que sa structure complexe revendique.

Le système du Pouvoir Prolétaire est justement la manifestation organisée, autonome et offensive de cette unité du multiple.

La croissance du pouvoir rouge dans la métropole impérialiste s’opère à partir de trois points décisifs, qui définissent par là leur originalité historique respective, par exemple par rapport aux expériences soviétique et chinoise.

A. Il s’est consolidé dans les lieux de condensation maximum du pouvoir ennemi, comme sa négation antagonique organisée. Il n’a pas de territoire libéré particulier, parce qu’il fait face à l’ennemi à l’intérieur de son propre territoire et dans ses propres institutions : dans les usines capitalistes, dans les quartiers, dans les prisons, dans l’école.

Il n’est pas « légal », mais tire sa légitimité du consensus que son action collecte dans les masses prolétaires.

B. Il se manifeste sous la forme de bases rouges invisibles, des réseaux clandestins de masses, qui agissent dans les centres vitaux de la formation sociale capitaliste, assument l’ensemble des devoirs requis d’une révolution prolétaire qui veut être social, et qui investissent tous les rapports sociaux, à partir de celui de la production, qui est fondamental.

Tandis qu’il attaque, use, désarticule et brise l’appareil d’État existant, il construit les institutions stables de la dictature du prolétariat, de l’État prolétarien, et exerce cette dictature dans les formes théorique, politique, coercitive de manière toujours plus décisive et étendue.

C. Le pouvoir rouge est donc processus, rapport, système.

Processus, parce que dans la destruction du pouvoir ennemi il construit et se renforce lui-même.

Rapport, parce qu’il existe seulement en tant que négation/destruction vivante de l’État impérialiste et du mode de production que celui-ci garantit.

Système, parce que de manière interne il se stratifie, dans une dialectique articulée et complexe, de multiples niveaux de conscience et d’organisation, expression des figures multiples qui forme le prolétariat métropolitain ainsi que de leur histoire.

Le système du pouvoir rouge est de fait la manifestation organisée, autonome, articulée et offensive de cette « unité du multiple » et ne soutient pas la réduction unilatérale à l’une ou l’autre de ses composantes essentielles, qui sont : le Parti Communiste Combattant en formation, les organismes révolutionnaires de masse, le mouvement des masses révolutionnaires.

Il ne soutient pas, en outre, la séparation entre le « politique » et le « militaire » de quelque forme que ce soit, parce que le contenu et la forme, dans la guerre de classe prolétarienne de longue durée pour le communisme, coïncident.

La défense de ce principe essentiel, dans chaque phase de la lutte révolutionnaire et dans chaque organe du système du pouvoir rouge, constitue une condition de classe à laquelle on ne peut nullement renoncer pour la victoire.

Encore à critiquer est la thèse qui soutient que le système du pouvoir prolétaire se construit de lui-même et non pas plutôt dans le rapport au pouvoir ennemi, le pouvoir de la bourgeoisie.

En substance, cette thèse nie que le lieu de fondation du pouvoir réside dans le camp de la pratique des classes en lutte. Elle ne comprend pas que le pouvoir est un rapport de force entre les classes, ou dit de manière meilleure, un ensemble de rapports qui sont reliés dialectiquement, à tous les niveaux de la formation sociale capitaliste, les classes sociales dans leurs intérêts antagoniques.

Un pouvoir prolétaire « séparé », « indépendant » du pouvoir de la bourgeoisie n’existe à aucun niveau, ni économique, ni idéologique et encore moins politique. Le pouvoir d’une classe est en fait sa capacité de réaliser ses propres intérêts spécifiques à l’intérieur du rapport de domination et de subordination qui est déterminée et duquel elle est déterminée. Le pouvoir de la classe est donc l’ensemble des pratiques organisées qu’elle sait développer dans le rapport avec les autres classes, pour affirmer et imposer ses intérêts.

Les pratiques organisées pour réaliser les intérêts économiques, politiques, idéologiques.

Les pratiques organisées contre les autres pratiques organisées pour nier ces intérêts et pour en imposer d’autres.

C’est en cela que consiste l’essence de la guerre de classe et c’est pour cela qu’elle définit comme ses sujets d’un côté l’État, qui est le « centre d’exercice du pouvoir » politique, militaire et également toujours plus idéologique et économique, de la bourgeoisie impérialiste ; de l’autre le Système du Pouvoir Rouge.

Construire le pouvoir prolétarien veut dire lutter contre le pouvoir de la classe adverse. Hors de cette relation, dans la société capitaliste métropolitaine, il n’y a pas pour le prolétariat aucune pratique de pouvoir qui peut effectivement aboutir à la libération.

C’est dans l’attaque au cœur de l’État que s’ouvre l’horizon de ses intérêts de classe, fondant toujours plus pleinement son programme politique général, renforçant et étendant son autonomie.

8.Les organismes révolutionnaires de masse, parce qu’ils sont la manifestation du pouvoir prolétarien, expriment une légalité en tant que telle, qui se place directement face à la « légalité démocratique ».

Dans un tel état de choses, la « défense de la légalité bourgeoise » vient à être définitivement exclue de la perspective du prolétariat métropolitain.

En d’autres termes, les organismes révolutionnaires de masse s’auto-légalisent en exerçant et en imposant leur force organisée.

Le concept de « clandestinité de masse » se pose donc en référence aux forces au moyen duquel s’exprime cette légalité prolétaire.

Si d’une part, en fait, les organismes révolutionnaires de masse doivent exister de manière clandestine, afin de se protéger des attaques de l’État et de s’assurer les meilleures conditions d’attaques, de l’autre côté ils imposent, avec leur propre offensive politico-militaire, un rapport de force et par conséquent une légalité révolutionnaire propre, forçant aussi l’ennemi à des niveaux de clandestinité proportionnels à leur force.

9. L’Organisation, dans son travail de masse à l’intérieur des organismes révolutionnaires de masse, doit éviter deux déviations toujours menaçantes, qui sont :

– la non prise en considération du caractère dynamique de ces organismes, à savoir ne pas voir que la direction de leur développement est celle définie dans la phase successive, suivant la guerre civile anti-impérialiste déployée (déviation économiste) ;

– la confusion entre la conjoncture de transition et la phase non encore mature de la guerre civile, ce qui contient une sous-évaluation des caractéristiques dominantes du Programme Politique Générale aujourd’hui (conquête des masses pour la lutte armée) et une interprétation subjective et aventuriste des actuels organismes révolutionnaires de masse comme éléments déjà opérants de l’armée rouge (déviation militariste).

10. La définition de nos tâches actuelles ne peut cependant pas être clivée par la définition des caractéristiques dominantes des phases successives, étant donné que notre conjoncture est celle d’une transition.

Dans la guerre civile anti-impérialiste, la caractéristique dominante du Programme Politique Générale sera l’anéantissement des forces politico-militaires de l’ennemi et la conquête du pouvoir politique.

La fonction dominante des organismes révolutionnaires de masse dans la phase de la guerre civile anti-impérialiste sera de ce fait celle de l’Armée Rouge.

Définir les organismes révolutionnaires de masse, dans l’actuelle conjoncture de transition, comme éléments en formation de l’armée rouge, c’est souligner le caractère dynamique de ces organismes politico-militaires du pouvoir prolétarien et la tendance objective qui caractérise le mouvement politique de la classe dans notre époque, qui est celle de la tendance à la guerre civile.

11. DESARTICULER L’ETAT IMPERIALISTE

Dans la Résolution de la direction stratégique des Brigades Rouges de février 1978, il est déclaré que :

« Le principe tactique de la guérilla dans cette conjoncture est la désarticulation des forces de l’ennemi.

Désarticuler les forces de l’ennemi signifie porter une attaque dont l’objectif principal est encore celui de mener la propagande pour la lutte armée et sa nécessité, mais avec le principe tactique de la phase suivante commençant déjà – la destruction des forces de l’ennemi.

Une telle attaque doit propager la ligne politique de l’avant-garde politico-militaire et en même temps désarticuler la nouvelle forme que l’État impérialiste va assumer ».

Les nouvelles tâches imposent un approfondissement de cette thèse.

Soutenir que l’aspect principale de l’initiative guérillera dans la conjoncture actuelle de transition est encore la propagande armée, ne signifie poser des limites d’intensité et de forme aux attaques armées.

Cela signifie plutôt dire que la cible de ces attaques – pour sa fonction objective dans les appareils de la contre-révolution impérialiste, pour la particularisation et la précision de son choix, pour son contenu symbolique, pour la résonance avec les attentes de larges couches du prolétariat – doit prêter à la clarification, avec le maximum de limpidité, le Programme Politique Général.

Mais cela n’est pas le seul aspect du problème.

Les déterminations essentielles de la propagande armée dans cette conjoncture sont, en fait, au nombre de deux :

* La désarticulation efficace des dispositifs centraux de transmission du pouvoir, c’est-à-dire ces charnières qui sont les centres nerveux qui permettent à la bourgeoisie impérialiste d’élaborer ses projets économiques, politiques, de contrôle social, et de les traduire en pratique contre-révolutionnaire.

* L’agrégation efficace du Mouvement Prolétaire de Résistance Offensive, c’est-à-dire la capacité de favoriser le travail partidaire en direction d’une accumulation toujours plus vaste des forces révolutionnaires organisées et de leur mobilisation autour des mots d’ordre du Programme Politique Général et du Programme Politique Immédiat, avec l’objectif de désarticuler les liaisons plus périphériques de tous les instruments qui transmettent- imposent le pouvoir bourgeois.

12. La désarticulation des « dispositifs centraux » et des « liaisons périphériques » au moyen duquel la bourgeoisie impérialiste élabore, transmet et impose ses projets de domination et de développement et développe ses pratiques contre-révolutionnaires, ce n’est pas une somme d’actions militaires, mais un art très difficile qui exige des stratégies spécifiques pour chaque secteur particulier d’exercice du pouvoir.

Notre expérience a enseigné l’importance d’effectuer chacune de ces stratégies spécifiques de désarticulation par Campagne.

En général, par Campagne, nous entendons une action offensive diversifiée, qui frappe à différents niveaux la chaîne du pouvoir, qui s’étend dans l’espace, qui se prolonge dans le temps, qui est centrée sur une cible principale et est liée à la tension profonde, latente ou manifeste, qui bouillonne dans le prolétariat métropolitain.

Surmonter la phase des actions plus ou moins liées c’est se Mouvoir par Campagne, répondre à la nécessité précise de cette conjoncture particulière, et c’est une acquisition inévitable de la guérilla dans les métropoles.

Se Mouvoir par Campagne veut dire certaines choses précises qui peuvent être résumées de la manière suivante :

– relier l’initiative partidaire en tant que telle à l’intérieur et au point culminant du Mouvement Prolétaire de Résistance Offensive ;

– traduire en pratique de combat offensive, organisée et continue le potentiel révolutionnaire dispersée à l’intérieur de la classe ouvrière et dans les différents secteurs du prolétariat métropolitain ;

– donner la continuité à l’initiative de l’avant-garde, de façon à permettre une accumulation élargie des effets de désarticulation et pousser au niveau maximum le processus d’usure, de scission et de désagrégation du pouvoir ennemi.

Notre expérience a enseigné que la Continuité est le facteur décisif.

Ouvrir un Front de Combat avec quelques actions ou une Campagne signifie, en fait, lancer une directive, susciter une attente, promouvoir dans le tissu moléculaire de la classe des discussion intenses sur la signification stratégique et tactique des coups portés, et donc laisser se perdre le discours déclenché aboutit de manière inévitable au sens d’une autocritique politique. Comme si l’on disait : nous nous sommes déployés sur une ligne de combat erronée et pour cette raison, nous l’avons abandonnée.

La continuité de l’action ne signifie pas pour autant porter « un coup après l’autre ». Il s’agit bien plutôt de donner aux campagnes le rythme des vagues, afin d’accumuler les effets de la propagande, les effets de désarticulations et les effets d’usure par vagues successives.

Nous voulons dire, en bref, qu’une fois ouverte, un front de combat ne doit plus être abandonné et notre action partidaire doit consister en promouvoir, diriger et organiser des Campagnes offensives par vagues successives, de telle sorte que soit concentrée toute la force accumulée aux différents niveaux du système de pouvoir prolétarien et de la projeter, suivant des stratégies adéquates et spécifiques, contre les cibles-hommes, lieux, repaires, structures qui matérialisent la contradiction qu’il nous intéresse de frapper dans la conjoncture.

13. Attaque sélective et anéantissement.

Dans cette conjoncture de transition, toute stratégie spécifique de désarticulation implique nécessairement une Logique Sélective dans les attaques, une « main de chirurgien », et cela pour le simple fait que c’est la voie magistrale pour la maximisation des résultats politiques.

Il est facile de comprendre que tous les personnels ou espaces n’ont pas la même importance stratégique pour l’État impérialiste, que toutes les attaques pensables – possibles n’approfondissent et ‘étendent pas de la même manière les contradictions internes à l’ennemi.

Ouvrir des contradictions au sein de l’ennemi, empêcher leur recomposition, aiguiser cela par une action offensive implacable, continue, écrasante, sont les objectifs inévitables, qui ne peuvent atteints que par des attaques sélectives.

Il faut maintenant supprimer une équivoque qui est apparue au sujet du concept d’Anéantissement.

Le concept d’anéantissement, en soi, dans sa pure détermination militaire, rappelle seulement la forme de l’action et ne qualifie ni la phase de la propagande armée, n celle de la guerre civile, bien que dans ce dernier cas il s’agit du contenu dominant.

Plutôt, nous avons toujours soutenu qu’il n’y a pas de contradictions entre propagande armée et opérations d’anéantissement, comme il n’y a pas de contradiction entre guerre civile ouverte et anéantissement.

Le fait qu’il n’y a pas de contradiction ne signifie toutefois pas que le recours à de telles formes d’action militaire suive les mêmes lois des deux phases.

Dans la phase de la propagande armée, les opérations d’anéantissement s’inscrivent à l’intérieur de la stratégie de désarticulation, dominée par le principe tactique de la Sélectvité.

C’est-à-dire que ceci implique que leur cible concentre le flux maximum de la haine prolétarienne, ou bien que la fonction objective de la cible sur le terrain de la contre-révolution soit tellement évident que cela permette une compréhension immédiate et univoque de la part des masses.

Dans cette phase, les « excès » se configurent comme véritables erreurs politiques en propre, parce qu’ils permettent à la contre-guérilla psychologique de masquer le message principal qu’il était l’intention de lancer et donc de confondre et d’annuler l’objectif qu’on avait l’intention de poursuivre.

Ces propos, dans ses grandes lignes, restent valables également pour l’actuelle conjoncture de transition, qui cependant évolue à pas rapides vers une nouvelle phase.

Les opérations d’anéantissement rentrent parfaitement dans les campagnes de désarticulation qui doivent être menées dans cette conjoncture et qui s’inscrivent également dans la stratégie dominée par le principe tactique de la sélectivité.

A la différence des phases précédentes, cependant, c’est la Fonction Objective qui prévaut sur le Rôle Subjectif (et sa dimension symbolique) porté par tel ou tel fonctionnaire de la contre-révolution impérialiste, parce que la guérilla, bien qu’elle n’ait pas encore rempli ses tâches de propagande, se met déjà à démolir les Jointures Stratégiques qui permettent à l’État impérialiste d’imposer sa domination.

Cela exige que le recours à de telles formes d’actions militaires se conjuguent avec le maximum de rigueur politique dans l’individualisation des cibles, et avec le minimum d’« excès », afin de mettre une pierre dans la bouche de toutes les spéculations intéressées que les opportunistes de tout type ne perdront pas l’occasion de tenter.

Toute action d’anéantissement est un fait-message et pour cela, au sein de la métropole impérialiste, plus l’action d’anéantissement est audacieuse et profonde, plus doit être limpide le message politique qui l’accompagne.

En fait, dans la métropole impérialiste, où les mass-médias et les centres de la contre-guérilla psychologique vivisectionne toutes les opérations révolutionnaires afin d’utiliser à mauvais escient la moindre interstice, la rigueur politique dans la définition des campagnes et une action incessante, prolongée, capillaire, conçue comme instrument, de clarification dans les masses, à travers l’agitation et la propagande combative, sont déterminants.

Le fusil seul ne parle pas un langage suffisamment clair aux masses prolétariennes !

14. La rapidité avec laquelle évolue le processus de crise – restructuration – internationalisation et la résistance offensive et tenace du prolétariat métropolitain oblige la bourgeoisie à lancer dans cette conjoncture une attaque à vaste échelle, à tous les niveaux de vie des masses.

Dans ce contexte, la lutte pour la défense des Intérêts Immédiats devient également toujours plus antagoniste avec les besoins de valorisation du capital et assume de fait toujours plus le caractère d’une confrontation de pouvoir.

Le fil conducteur de l’offensive générale de la bourgeoisie impérialiste est le contenu du Plan Triennal, et plus précisément l’ambitieux dessein de réglementation des mouvements économiques et sociaux qui sont préconisés et les conditions institutionnelles que cela réclame.

C’est autour de cet axe économie – État, et par rapport à celui-ci, que vont du reste se redéfinir, ensemble avec les fonctions de l’État, d’un côté les rapports de force entre les partis, et de l’autre les rapports de force entre les classes.

C’est une expérience désormais diffuse dans tout le prolétariat que l’appareil d’État en entier fait face à toute simple lutte, quand celle-ci franchit les limites tracées par le « Plan ».

L’unanimisme de l’univers politique, de ce lui-ci avec les syndicats, et de ceux-ci avec la police et la gendarmerie, est l’histoire de tous les jours, ne nécessitait pas d’être racontée encore une fois.

Du côté du prolétariat, le sabotage du plan de restructuration, la lutte politico-militaire contre le régime qui veut l’imposer, l’attaque contre les institutions coercitives qui sont en charge de militariser à tous les niveaux l’affrontement entre les classes, se relient de manière toujours plus inextricable.

Cela constitue la base d’une ligne de combat qui se propose d’organiser des couches sociales entières sur le terrain de la guerre civile anti-impérialiste, sans effectuer une séparation mécanique – économiste et/ou militariste avec les soi-disant besoins immédiats et les besoins stratégiques du communisme.

L’articulation de chaque mouvement de classe spécifique sur cette ligne amène à définir le Programme Immédiat, qui recueille les tensions politiques les plus radicales et donc aussi les plus immédiatement antagonistes à l’État.

Il n’est pas difficile de comprendre que la lutte contre les contraintes imposées aux besoins immédiats par le « Plan Triennal », outre le besoin de communisme, rend possible d’articuler une intervention politico-militaire des usines aux services, aux quartiers, aux prisons, remontant finalement au sommet de l’État.

Cela nous permet ainsi de relier l’action de désarticulation des dispositifs centraux à celle de désarticulation des charnières périphériques.

15. Détruire la démocratie-chrétienne, parti – régime, axe portant de la contre-révolution impérialiste dans notre pays

La DC, au pouvoir depuis plus de trente ans, s’est construite comme Système de Pouvoir, capable de régénérer et consolider, au-delà de toute idéologie, sa propre base économique et sociale.

La DC n’est pas que l’expression politique d’une classe, la bourgeoisie et toute ses strates, mais également le Parti – entrepreneur et et le Parti – Etat. Ce sont les caractéristiques qui en font un parti particulier : le Parti Régime.

Il n’existe pas de centres nerveux dans notre formation économico-sociale qui échappent au contrôle et au commandement de l’hydre DC. Ses tentacules pénétrèrent tous les postes clefs de l’économie, de l’administration d’État et de la bureaucratie, des mass-médias.

La désarticulation et la destruction de la DC sont les moments essentiels de la désarticulation et la destruction de l’État

L’initiative des forces révolutionnaires doivent se caractériser comme une véritable et correcte Ligne de Combat, stable, avec une continuité précise. Mais, afin que les attaques soient véritablement efficaces, en mesure de produire des contradictions stratégiques, elles doivent se concentrer sur les hommes et les structures du parti qui :

– est l’expression des factions de la bourgeoisie impérialiste privée et d’État, qui sont la fraction dominante ;

– joue le rôle et la fonction centrale de commandement, gestion et élaboration politique, tant dans le parti que dans l’État.

Le lien entre DC et « Plan Triennal » est évident. La DC est l’âme politique de ce « Plan ». Elle a fourni les cerveaux pour son élaboration, les techniciens pour son dimensionnement, les bureaucrates pour sa mise en œuvre.

Elle a donné carte blanche aux appareils coercitifs pour la répression de quiconque le conteste.

Les interconnexions entre le « Plan », la DC et l’Etat constituent tous les centres de la cible.

Si c’est la ligne directrice fondamentale sur laquelle doit s’articuler l’intervention révolutionnaire, cela ne veut pas dire que notre initiative ne doit pas aller à se mesurer aussi avec les aspects de la contradiction principale qui, si sur le plan général ils ne sont absolument pas dominant, acquièrent un caractère de prédominance dans la réalité spécifique du mouvement.

La capacité à articuler notre intervention à tous les niveaux et en tous lieux où la classe vit son rapport d’exploitation et d’oppression par la bourgeoisie et ses laquais, est en fait le facteur décisif pour la naissance, l’organisation et le développement d’un fort mouvement révolutionnaire de masse.

La construction du Pouvoir Rouge passe aussi par là !

16. Anéantir les appareils de la contre-révolution économique !

Briser les anneaux de la direction patronale !

Démanteler le pouvoir des syndicats néo-corporatistes !

La stratégie anti-prolétarienne condensée dans le « Plan Triennal » est élaboré et dirigé en des espaces bien précis et se transmet à travers une chaîne articulée qui pénètre l’usine et investit chaque aspect de la vie des prolétaires.

Ces espaces, véritables réseaux nerveux du pouvoir exécutif, doivent devenir des objectifs privilégiés de l’initiative révolutionnaire.

En attaquant leurs dirigeants, en balayant la mini-patrouille des « cerveaux » qui mettent au point la ligne anti-ouvrière, décourageant avec dureté les collaborateurs qui se camouflent dans les universités de la péninsule, il est possible d’amplifier au maximum les contradictions internes du front bourgeois et de mettre en échec un des instruments les plus délicats de la domination impérialiste.

Le ministère du trésor et la Banque d’Italie sont, sur le terrain de l’économie ; le coeur battant de l’initiative contre-révolutionnaire contre classe ouvrière et les luttes de tous les secteurs du prolétariat métropolitain.

Faire qu’il ne bat plus est la tâche du moment.

A cul de pierre, coeur de plomb !

C’est le mot de passe de tous les combattants communistes !

Le contenu anti-prolétarien du « Plan Triennal » sont transmis à travers une chaîne articulée jusqu’aux usines. Ses anneaux principaux sont : [le syndicat patronal] Cofindustria – [les syndicats des organes étatiques que sont la holding de Participations et de Financement des Industries Manufacturières et l’Institut de reconstruction industrielle] Intersind – les syndicats.

La Cofindustria – Intersind a comme tâche de mettre en œuvre la médiation entre les intérêts particuliers et la politique économique de l’Exécutif : médiation ensuite imposée dans les usines par les hiérarchies d’entreprise.

Ces endroits d’où partent toutes les directives patronales, tant vers l’Exécutif que contre la classe ouvrière, constituent un point cardinal essentiel de la contre-révolution économique et, par conséquent, doivent être attaqués avec le maximum d’énergie, tant de la part des Organisations Communistes Combattantes que des organismes révolutionnaires de masse.

Cette attaque doit aussi s’étendre aux hiérarchies d’entreprises qui transmettent le diktat du commandement jusqu’aux lignes les plus éloignées, permettant par là de sucer également, ensemble avec la plus-value, également la vie aux prolétaires.

Briser les anneaux du commandement patronal !

Tel est le mot d’ordre de toutes les avant-gardes prolétariennes.

Les syndicats sont appelés à faire ingurgiter à la classe ouvrière le « Plan Triennal » et les lignes de la Confindustria qui y sont relatives.

Les « fumeurs de pipe » [c’est-à-dire les syndicalistes] ont, dans l’immédiat, comme rôle de gérer la restructuration de la force de travail : à savoir la réforme des salaires, la mobilité, les licenciements… Le pacte néo-corporatiste atteint ainsi sa conclusion logique ; les syndicats sont employés et utilisés comme courroie de transmission de l’État.

Cette incorporation est la condition imprescriptible pour l’actualisation des politiques économiques centrales, mais n’est pas sans contradictions réelles, de par les forces accumulées par la classe ouvrière.

En mettant en discussion, en pratique, les« limites de compatibilité du système » et la légitimité des syndicats, les luttes ouvrières autonomes font revêtir à leur antagonisme spontané une dimension politique.

Tout mouvement autonome de la classe assume le caractère d’une attaque contre l’État et doit pour cela être réduit en bouillie.

Abandonnant progressivement les intérêts réels des couches ouvrières les plus opprimées, se reposant sur les dirigeants, techniciens, aristocrates ouvriers, autre que leur propre appareil de Nouvelle bureaucratie, les syndicats assument directement les fonctions de briseurs de grève et de délation, en stricte coordination avec les directions des usines et les forces anti-guérilla.

C’est précisément ici, dans la protection de la production directe de plus-value, des grandes usines urbaines, que se trouve la charnière la plus faible de la domination de la bourgeoisie impérialiste exercée sur la classe ouvrière au moyen de l’État et de son articulation syndicale.

Et c’est ici que les comptes doivent être réglés !

La construction du pouvoir prolétarien passe à travers le démasquage, l’isolement, l’expulsion de ces infâmes sbires !

Démanteler le pouvoir des syndicats néo-corporatistes est la condition pour la construction du pouvoir rouge !

La lutte contre les appareils de commandement et de contrôle signifie – à partir des lignes de combat déjà consolidés dans le patrimoine de la conscience de classe : le sabotage.

Le sabotage, non pas comme forme de lutte existentielle et subjective, mais comme lutte de masse organisée, comme une des articulations de la lutte armée dans l’usine. Le sabotage individuel est une vieille constante quant au travail et à l’exploitation, c’est une forme spontanée de résistance et de défense contre le travail capitaliste.

Mais, tant qu’elle ne vient pas à visée et organisée, elle ne saurait avoir d’incidence dans les rapports de force entre les classes.

Le sabotage des ouvriers guérilleros doivent suivre des tactiques appropriés, aussi sur le plan de l’organisation, pour être en mesure de déployer sa puissance.

Il doit savoir homogénéiser et collecter les éléments les plus avancés de la classe, afin d’impliquer tous ou presque tous les ouvriers d’une usine.

Le sabotage des ouvriers guérilleros doit être scientifique, doit s’appliquer contre tout ce qui signifie l’isolement et qui empêche la lutte, lutte qui doit s’appliquer contre la machine de commandement, contre la structure de contrôle, contre les lieux et les choses où se coagulent et se concrétisent l’activité contre-révolutionnaire.

Le sabotage des ouvriers guérilleros doit construire dans cette attaque l’organisation de masse du Pouvoir Rouge.

Le mot d’ordre est celui que la classe ouvrière la plus mature, celle de la Fiat et d’Alfa-Roméo, a déjà lancé :

Amener et étendre la guérilla dans l’usine !

17. Désarticuler et détruire les appareils du contrôle social total !

Dans la phase de transition, désarticuler et saboter le processus d’intégration dans un système cohérent, totalitaire et totalisant de contrôle entre la direction technico-politique de l’Exécutif et le système afférent différencié des réseaux spéciaux, exige une ligne de mouvement articulé sur quatre points essentiels.

En premier lieu : faire de la politique et compter sur les masses.

Cela veut dire s’unir aux masses pour les unir dans les Organismes Révolutionnaires des Masses, qui assument la lutte contre l’organisation totalitaire du contrôle social, partout.

S’unir aux masses pour sensibiliser l’intégralité du prolétariat métropolitain pour promouvoir la connaissance des transformations qui ont lieu et des stratégies, des techniques, des instruments et des hommes qui en sont les artisans.

En second lieu : « frapper au centre ».

Annihiler le réseau criminel entier qui structure « l’organisme consultatif permanent ». Lobotomiser l’Exécutif avec méthode, sans exception.

En troisième lieu : désarticuler et saboter les réseaux spéciaux de la gendarmerie en premier lieu, de la magistrature, des prisons, des médias.

Contre les hommes et les appareils de ces réseaux, l’action devra être implacable, continue, martelée et se définissant dans les différentes conjonctures en rapport aux questions posées dans la croissance du mouvement révolutionnaire.

Enfin : frapper à tous les niveaux les analystes et les programmateurs des centres d’informations, les « techniciens clefs » dans le jargon militaire.

Bombarder à coups de bazookas les systèmes informatiques, les banques de données et les réseaux de calculateurs… qui constituent la base matérielle « technique » de l’information et du contrôle total.

Quand c’est possible, infiltrer des taupes rouges parmi le personnel spécialisé.

S’il est vrai que l’informatique ne peut pas atteindre les objectifs « impensables » que la bourgeoisie impérialiste affamée et excitée s’assigne (c’est politiquement impossible, en plus que techniquement, sans compter que la « réduction mathématique » du réel que cela comporte amène dans un cul-de-sac le système en entier), il est vrai aussi que cela constitue un puissant instrument de guerre pour ses performances immédiatement répressives.

Au-delà de la machine… Il y a l’homme qui doit devenir objet de l’intérêt le plus précis du mouvement révolutionnaire.

18. Attaquer les révisionnistes

Soulever contre eux les masses prolétariennes

Provoquer une différenciation dans leurs rangs

Les isoler au degré maximum

Dans le devenir de l’État impérialiste, le système des partis est venu à se transformer en articulation particulière de l’Exécutif.

Composante de l’État, les partis ses configurent comme ses innervations, alignés sur les classes sociales, afin de servir de médiation et d’imposer les intérêts de la bourgeoisie impérialiste et de construire, à partir de là, un contrôle efficace des tensions et des luttes.

Dans cette métamorphose, les partis considérés comme « historiques » du Mouvement Ouvrier abandonnent également toute ligne de classe, subissant le même inexorable destin et, quelle que soit leur conscience, les « représentants » de la classe ouvrière se transforment en instrument du capital multinational.

Du parti de la classe ouvrière dans l’État, le PCI devient le parti de l’État dans la classe ouvrière !

La complicité des révisionnistes, cependant, ne peut pas être échangée par une collaboration sans contradictions, à savoir qui met sur le même plan la Démocratie Chrétienne et le PCI.

Dans le système des partis, la DC, en tant que parti-régime, assume un rôle dominant, et il ne reste plus qu’au PCI un rôle de complément, qui sanctionne sa collaboration subordonnée et conflictuelle à l’intérieur de l’État impérialiste.

Cela ne veut toutefois pas dire qu’il ne représente pas un ennemi.

Il est, en fait, une articulation subalterne de l’aspect principal de la contradiction qui oppose la bourgeoisie au prolétariat, il entre de plein droit dans la mire des forces révolutionnaires.

Les révisionnistes contribuent d’une manière fondamentale à ce que s’affermisse l’initiative contre-révolutionnaire, avec une fonction spécifique bien particulière.

Leur tâche est d’organisation la contre-révolution sociale préventive, à savoir la construction d’un bloc social de soutien à l’État impérialiste, l’opposition à l’avancée du processus révolutionnaire.

A cette fin, d’un côté ils assument en nom propre la gestion de la restructuration dans l’usine et se transforment en policiers de la production pour discipliner, contrôler, attaquer toute survenue d’antagonisme prolétarien ; de l’autre, ils se font les paladins de « l’ordre démocratique », à savoir l’organisation de la délation de masse et le fichage, atelier par atelier, logement par logement, de toutes les avant-gardes révolutionnaires.

Pour remplir cette fonction laide, les révisionnistes doivent développer et consolider leur pénétration dans les couches sociales de la petite-bourgeoisie, des techniciens, de l’aristocratie ouvrière, de la bureaucratie des usines… Activer les organismes de liaison entre parti et masse, comme les Conseils d’usine et de quartier.

Mais ce « service », s’il est d’un côté nécessaire à la bourgeoisie impérialiste, est source de contradictions de l’autre, parce que les sycophantes révisionniste visent, en utilisant les fruits de la délation démocratique, à construire leur propres liaisons directs avec des secteurs de l’appareil d’État, afin de pousser leur avantage dans le système des partis et les rapports de force, se rendant toujours plus « indispensables » et érodant ainsi, petit à petit, le pouvoir de la Démocratie Chrétienne.

Du côté prolétarien, la contre-révolution sociale préventive organisée par le PCI doit être neutralisé avec la détermination maximale et attaquée suivant une stratégie politico-militaire opportune.

Cela se fonde sur la distinction entre les charnières entre les institutions d’État et le PCI et les canaux de liaison du PCI dans les masses.

Les premiers ont un caractère stratégique, ils sont les présupposés et l’objectif des seconds. A travers les charnières-hyènes, en fait, les révisionnistes se faufilent dans les caves du palais, s’accrochant à la pathétique espérance d’accéder au banquet des plans supérieurs !

Mais, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un événement de la branche de [Enrico] Berlinguer [le secrétaire général du PCI], et les avant-gardes prolétariennes payant un dur prix pour une telle sordide action, il appartient à la guérilla de frustrer une telle espérance, d’attaquer et d’anéantir de telles charnières-hyènes.

Il s’agit des juges, sbires, hauts fonctionnaires de l’État, managers, « experts », journalistes-consultants, et merdes similaires. Les ennemis reconnus et politiquement indéfendables aux yeux du prolétariat révèlent l’intrigue :

Leur anéantissement militaire
est également immédiatement leur anéantissement politique !

Et on peut être certain qu’aucun prolétaire ne pleurera leurs carcasses !

En ce qui concerne les « canaux de liaison » entre le PCI et les masses, les problèmes sont plus complexes.

Il faut avoir à l’esprit que ces agents révisionnistes vivent au milieu du prolétariat et profitent parfois d’un prestige injustifié. Il est prioritaire de ce fait que la guérilla fasse une claire politique dans les luttes, pour les isoler, les discréditer, les mettre au pilori, démasquer leur complot et leur complicité, c’est-à-dire, en un mot, les défaire politiquement d’abord plutôt que militairement.

Il va de soi que la dialectique entre les deux plans d’action est décisive, dans le sans que le premier terrain d’attaque est l’imprescriptible condition politique du second ; il est ainsi fondamental, même si les deux sont nécessaires.

Battre les révisionnistes et leur projet de contre-révolution sociale préventive est la condition nécessaire pour la conquête des masses sur le terrain de la lutte armée et pour la construction du Pouvoir Rouge.

La bataille ne peut pas être reportée !

19. Frapper au centre !

Encercler les encercleurs !

Il faut affronter le processus de militarisation de l’usine, du territoire et de toute la vie sociale, les reliant aux restructurations anti-prolétariennes de l’économie et de l’État, également afin de démonter l’image perverse diffusée par la propagande du régime qui attribue au « terrorisme » la fonction de cause.

L’attaque des appareils de militarisation n’est en fait pas un problème séparé des luttes sociales, et c’est pourquoi elle regarde sur un mode exclusif les avant-gardes combattantes.

C’est une dimension essentielle de chaque mouvement partiel, des luttes ouvrières et de celles des services, des luttes territoriales à celle des prisons.

La fonction dirigeante du Parti consiste à relier et à organiser l’action systématique de désarticulation des appareils centraux et périphériques avec l’action également systématique des organismes révolutionnaires de masse.

Dans cette phase, où la crise, par le niveau atteint d’acuité, amène le système impérialiste dans une situation extrêmement critique, la tendance à la guerre assume un caractère central, tant dans le devenir des contradictions impérialistes que dans la croissance des contradictions de classe.

Les forces révolutionnaires doivent ici relier à l’intérieur de cette perspective la pratique de désarticulation des appareils centraux contre-révolutionnaires qui est la leur.

Une prémisse est nécessaire : il faut amener de la clarté quant à l’illusion qui existait ou existe à l’intérieur du mouvement révolutionnaire international, qui considère le « camp socialiste » comme une base arrière des armées révolutionnaires qui surgissent dans la métropole impérialiste, et subordonne de fait la stratégie de celles-ci à la stratégie mondiale du « camp socialiste ».

C’est un fait que le « camp socialiste » mythique a perdu depuis de nombreuses années ses racines matérielles, dans une réalité qui n’a plus rien de socialiste : le capitalisme de l’État soviétique et de ses alliés, dans sa phase social-impérialiste.

Nous voulons être le plus explicite concernant ce point : l’impérialisme et le social-impérialisme sont deux variantes spécifiques du mode de production capitaliste dans cette phase – le capitalisme privé et le capitalisme d’État.

Ils forment un système impérialiste où il y a tant unité que contradiction : unité du mode de production capitaliste, contradiction entre ses formes historiquement déterminées.

Si les forces révolutionnaires peuvent et doivent exploiter ici les espaces ouverts par le parcours de la lutte inter-impérialiste, des contradictions entre impérialisme et social-impérialisme, cela ne doit en aucun cas se traduire en une quelconque forme de collusion avec l’un pour combattre l’autre.

La désarticulation des appareils centraux dans cette phase doit atteindre le coeur pulsant de la contre-révolution impérialiste : l’OTAN.

L’OTAN signifie la guerre externe et la guerre interne.

C’est, dans cette dimension qu’ils réorganisent leurs armées, les mettant en adéquation aux nouvelles caractéristiques de la guerre inter-impérialiste et de la guerre de classe. La formation de la task – force à l’intérieur des forces armées italiennes répond à cette double exigence.

Une quantité toujours plus majeure d’unités de l’armée, de la marine de l’aviation et des fincements sont transformées en Unités Spéciales de Contre-guérilla, et constituent l’ossature portant d’une véritable armée de profession en tant que tel, allant aux côtés des Unités Spéciales des Carabiniers, qui en constituent le nerf.

Nous devons initier le sabotage de cette machine de mort qui signifie pour le prolétariat métropolitain, dans cette phase, la contre-révolution préventive. Nous devons désarticuler cela, en attaquer les hommes et les repaires, ses déterminations nationales restructurées en fonctions de contre-guérilla.

L’OTAN, c’est la guerre impérialiste et la contre-révolution préventive !
Guerre à l’OTAN !
Guerre aux corps spéciaux de la contre-guérilla !

Nous devons construire, sur la base de ce mot d’ordre, l’unité internationaliste avec tous les peuples et toutes les forces révolutionnaires qui combattent contre l’impérialisme.

Les organismes révolutionnaires de masse, chacun sur leur terrain de combat, et les structures du Parti, doivent porter en avant une offensive de martèlement visant à encercler les articulations périphériques – les hommes, les repaires, les instruments – des appareils de militarisation et de contrôle social.

C’est dans cette offensive, en fait, que vit le Programme Immédiat dans les masses, contribuant à consolider le Pouvoir Rouge.

Aucune action centrale, disjointe de l’initiative conduite également par l’avant-garde à l’intérieur des organismes révolutionnaires de masse, ne peut avoir comme ambition de construire et d’élargir les espaces de pouvoir que la guerre de classe poursuit.

La militarisation croissante est un point faible de l’ennemi. L’exposition de ses forces, terroriste au moins dans ses intentions, donne aussi la mesure de son embourbement.

En fait, plus la militarisation s’élargit infiltre les anfractuosités de la société, plus l’ennemi se fractionne et se fragilise.

Forcé de contrôler tout et tout le monde, cela crée les conditions plus favorables pour unifier la mobilisation de masse contre le régime.

Dans l’encerclement des unités détachées de l’État et des agents du régime dans chaque quartier, dans chaque usine, dans chaque prison, se construisent les organismes du Pouvoir Rouge.

L’encerclement de l’encercleur doit assumer la forme de milliers de petits encerclements.

Il s’agit de construire partout où il y a des concentrations prolétariennes significatives, à partir des plus grandes et des plus rebelles, une base rouge invisible, un détachement de prolétaires armées, un organisme révolutionnaire de masse, une articulation du Pouvoir Rouge, en mode de « tenir en otage », encerclant dans leurs repaires et leur logement les agents de l’ennemi, qu’ils soit visibles ou masqués.

Il s’agit d’organiser l’encerclement suivent les caractéristiques d’un siège stable. Il s’agit de ne pas laisser l’ennemi respirer, de lui faire ressentir l’hostilité profonde des masses prolétariennes, la haine de classe qui l’entoure.

Il doit se sentir chaque jour plus traqué, attaqué de toutes parts, même de son intérieur. Il doit être systématiquement désarmé. Il doit se sentir épié de la part de ceux qu’il veut épier, prisonnier de ceux qu’il veut emprisonner, attaqué de ceux qu’il veut attaqué, anéanti de ceux qu’il veut anéantir.

Ses communications et ses liaisons doivent être sabotés. Pour lui, cela doit être le couvre-feu. Les pièges les plus mortels doivent être prêt à mis en place à chaque fois qu’il s’aventure hors de ses repaires dans la jungle métropolitaine. Les embuscades les plus terroristes doivent scander ses journées et ses heures.

Conquérir le contrôle des grandes usines, des périphériques prolétariens des grands centres urbains, est une étape nécessaire vers la guerre civile.

C’est un pas indispensable, et qui ne peut pas être remis, sur la voie de la construction du Pouvoir Rouge.

Plus nous saurons renforcer ce contrôle, meilleurs seront les espaces et la capacité de manœuvre.

Meilleurs seront la capacité de manœuvre et les espaces de la guérilla, plus durs et décisifs pourront être ses coups au cœur de l’État !

Frapper au centre, avec des coups plus durs, plus rapides et plus soudains !

Obliger l’ennemi à se fractionner sur tout le territoire !

Encercler, épuiser, démoraliser chacun de ses détachements périphériques et les avaler morceau par morceau !

20. Briser l’anneau-Italie de la chaîne impérialiste !

Assumer la position du non-alignement !

Pratiquer la collaboration de tous les peuples sur une base paritaire !

Développer l’internationalisme prolétarien !

Sur l’aire méditerranéenne se déploie toujours plus entre les grandes puissances un espace vaste et contrasté : l’espace du non-alignement. Il n’est pas intéressant de savoir quelles sont ses facettes politiques complexes et contradictoires, son caractère essentiel se référant à la rupture que les pays émergents opèrent dans la division mondiale du travail sanctionné à Yalta.

C’est également ici que notre pays et doit trouver sa place pour reconstruire, dans le cadre d’un internationalisme prolétarien effectif, une autre qualité dans le processus de croissance des forces productives et une transformation radicale, qu’il n’est désormais plus possible de remettre à plus tard, des rapports de production, dans la direction d’une société communiste.

En fait, la structure même de l’appareil productif italien est autant inconciliable avec le devenir de la crise et de l’impérialisme que compatible avec l’économie des pays émergents.

De nombreux de ses aspects qui représentent un handicap insurmontable pour notre développement dans l’aire « occidentale » sont des caractéristiques précieuses dans la perspective de collaboration avec tous les pays les plus exploités (qu’ils appellent le « tiers-monde »), dans la perspective du non-alignement et de la pratique de l’internationalisme prolétarien.

Nous avons une vaste présence dans les technologies intermédiaires et c’est ce dont ces pays ont tout de suite besoin ; puis, nous avons tout le potentiel et la capacité pour également développer celles qui sont plus avancées, des micro-processeurs aux satellites en tant que tel – un potentiel et une capacité que l’impérialisme castre – et que nous sommes déjà en train de produire.

Cela nous permet aussi de donner une perspective de longue durée au développement.

En outre, nous somme en possession d’une quantité de connaissance générale à mettre à disposition de tous ces peuples, de telle manière à leur assurer une impulsion remarquable dans leur croissance.

Au contraire, aujourd’hui, l’impérialisme (dans ses deux variantes : américain et soviétique) mesure de manière stricte ces flux de connaissance, pour imposer et maintenir sa domination particulière et ses propres privilèges.

Les pays émergents ont quelque chose de tout à fait précieux : les matières premières (énergétiques ou non), qui nous manquent à tous, et qui sont indispensables pour garantir un passage graduel, et non excessivement traumatisant, de notre formation économico-sociale, de la phase ultime du capitalisme, à la transition socialiste.

C’est le maintien même de la base productive, le développement des forces productives, des nouveaux rapports de production qui sont latents, dans la direction de notre sortie du camp impérialiste pour se placer aux côtés des pays émergents, dans un projet commun anti-impérialiste et anti-social-impérialiste.

Pour réaliser cela, il est nécessaire de rompre le nœud coulant qui chaque jour devient plus pesant et plus étroit.

Briser l’anneau-Italie de la chaîne impérialiste !

Assumer la position du non-alignement !

Pratiquer la collaboration de tous les peuples sur une base paritaire !

Développer l’internationalisme prolétarien !

C’est aujourd’hui possible !

C’est notre tâche !

>Sommaire du dossier

Brigades Rouges: Crise, guerre impérialiste et guerre de classe

[Il s’agit du 7e point du chapitre intitulé « Sur la crise » du livre « l’Abeille et le Communiste » écrit par le collectif des prisonniers des BR, en décembre 1980.]

Une des thèses fondamentales soutenues dans la « résolution stratégique » de février 1978 est la suivante : « Le moyen par lequel l’impérialisme a toujours historiquement résolu ses crises périodiques de surproduction est la guerre.

En effet la guerre permet avant tout aux puissances impérialistes victorieuses d’élargir leur base productive aux dépens des vaincus.

Mais surtout, qui dit guerre dit destruction de capitaux, de marchandises, de force de travail et donc la possibilité d’une reprise du cycle économique pour une période de temps assez longue. Dans cette phase, le drame récurrent de la production capitaliste se présente de nouveau à l’impérialisme : étendre sa zone d’influence pour pouvoir élargir sa base productive.

En effet, rester plus longtemps « confiné » dans l’aire occidentale, signifie pour l’impérialisme accumuler des contradictions toujours plus déchirantes : la concentration des capitaux croît de façon accélérée, le taux de profit atteint des valeurs très basses ; la base productive se restreint de plus en plus, le chômage augmente de façon inquiétante.

A de brefs et apparents moments de reprise succèdent immanquablement des phases de récession toujours plus graves et ainsi se détermine, de fait, un processus de crise permanente (ces dernières années le démontrent amplement).

La nécessité toujours plus impérative d’élargir sa zone d’influence se pose donc à l’impérialisme. Mais cet élargissement ne peut se réaliser qu’aux dépens du social-impérialisme (l’URSS et les pays du pacte de Varsovie) et conduit donc de façon inévitable à l’affrontement USA-URSS.

Dans cette phase où la crise, par le niveau de gravité qu’elle a atteint, jette le système impérialiste dans une situation extrêmement critique, la tendance à la guerre revêt un caractère central, aussi bien pour le devenir des contradictions inter- impérialistes que pour l’approfondissement des contradictions de classe.

Les forces révolutionnaires doivent donc être capables de placer leur pratique à l’intérieur de cette perspective.

Il faut avant tout, tirer au clair cette illusion passée et présente au sein du mouvement révolutionnaire international qui considère le « camp socialiste » comme la ligne arrière des armées révolutionnaires surgissant dans la métropole impérialiste et qui subordonne de fait la stratégie de ces dernières à la stratégie mondiale du « camp socialiste ».

C’est un fait que le mythique « camp socialiste » tire (depuis de nombreuses années) ses racines matérielles d’une réalité qui n’a rien de socialiste : le capitalisme d’Etat soviétique et ses alliés, dans leur phase social-impérialiste.

Une position stratégique de ce genre, par ailleurs, est certainement possible et même praticable ; de plus, il ne faut pas négliger le fait que certains secteurs révisionnistes dans notre pays restent, plus ou moins clandestinement, liés à celle-ci.

Mais, ceci dit, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit plus là de révolution communiste.

Nous voulons être très explicites sur ce point : impérialisme et social-impérialisme sont deux variantes spécifiques du mode de production capitaliste dans cette phase : capitalisme privé et capitalisme d’Etat.

Ils forment un système impérialiste, où se trouve à la fois unité et contradiction : unité dans le mode de production capitaliste, contradiction entre ses formes d’existence géographiquement et historiquement déterminées.

Si donc les forces révolutionnaires peuvent et doivent mettre à profit les espaces ouverts par le devenir de la lutte inter- impérialiste et de la contradiction entre impérialisme et social- impérialisme, cela ne doit en aucun cas se traduire par une quelconque forme de collusion avec l’un pour combattre l’autre.

Ces deniers temps, on peut déjà déceler les premiers positionnements pour la troisième guerre mondiale inter- impérialiste.

Qu’est-ce d’autre, en effet, que les aventure africaines de Moscou, de Paris (plus discrètes mais non moins efficaces) et l’appui occidental renouvelé à l’Afrique du Sud raciste ?

Et la concentration massive d’armes et de troupes dans tout le Moyen-Orient ; depuis l’invasion soviétique en Afghanistan, jusqu’au soutien américain croissant au sionisme et au fantoche Sadate et à l’envoi de troupes dans toute la péninsule arabe !?

Et l’accroissement de la tension en Extrême-Orient, depuis l’invasion du Cambodge jusqu’à la suspension du retrait américain en Corée du Sud !?

Et la préparation de corps spéciaux d’invasion, aux USA, en France et ailleurs !?

Et le réarmement vertigineux en Europe, à l’Est comme à l’Ouest !?

Et les menaces d’invasion explicites, proférées par le ministre de la guerre des USA, avec l’incursion ratée en Iran !?

Il n’y a qu’une conclusion : le processus de la troisième guerre mondiale a déjà commencé. La tâche des communistes est donc de se placer dans cette perspective.

La précipitation de la crise accélérant encore cette dynamique, nous devons poser rapidement de problème aussi, au centre de notre attention, de notre analyse, de notre intervention.

Il faut cependant faire très attention de ne pas tomber dans le catastrophisme ni dans l’immédiatisme. Il est nécessaire d’approfondir l’analyse marxiste de la réalité.

Toutes les guerres présentent des caractéristiques fondamentales qui dépendent : – du type de contradictions qui les déterminent ; – du niveau atteint par les forces productives ; – des forces en jeu. Eclaircissons tout de suite un point : ce qui caractérise la phase actuelle par rapport au conflit 39-45 n’est pas tant la puissance des moyens de destruction que l’extension désormais mondiale de la guerre de classe, la présence de la guérilla communiste, et l’existence de conditions favorables à son développement dans toutes les parties du monde et en particulier dans les métropoles.

Ceci a une importance décisive : en effet pendant la seconde Guerre Mondiale aussi, la capacité destructive était énorme. Les gaz toxiques et les armes bactériologiques (diffusion artificielle de maladies très graves) étaient déjà très au point.

Mais à quelques exceptions sporadiques près à la fin du conflit, elle ne furent pratiquement pas utilisées. Même les deux bombes atomiques lâchées par les américains sur le Japon doivent être considérées comme le coup d’envoi, sans risque, de la guerre froide avec l’URSS, plutôt que comme la fin de la seconde Guerre Mondiale.

Et ceci, naturellement, non par la bonté d’âme des diverses bourgeoisies en lutte, mais parce que cela aurait signifié le déplacement des termes de l’affrontement sur le terrain de l’anéantissement généralisé qui les aurait impliqué inévitablement, au lieu de permettre la redéfinition des rapports de force entre elles par la destruction de prolétaires et de moyens de production en quantité, favorisant ainsi la reprise ultérieure du cycle de l’accumulation capitaliste.

Ainsi aujourd’hui, les accords entre grandes puissances sur l’utilisation des armes nucléaires, en particulier les armes orbitales (contre lesquelles pratiquement aucune contre-mesure n’est possible) répondent à cette exigence de maintenir la contradiction dans ses termes réels : une confrontation- affrontement pour la redéfinition permanente des sphères respectives d’influence, en évitant cependant le risque d’anéantissement réciproque et de destruction totale.

Evidemment, par le fait même que de tels moyens de destruction existent, on ne peut exclure absolument ce risque, mais aucune classe n’a de penchant réel pour le suicide.

La bourgeoisie non plus ; même si, pour exorciser ses peurs, il lui arrive de les mettre en scène au cinéma et dans les livres de politique-fiction.

C’est dans ce contexte, qui n’a pas changé de façon substantielle ces quarante dernières années, que s’insère un élément qualitativement nouveau : la guerre de classe à l’échelle mondiale.

L’impérialisme a commencé à s’embourber dans les sables mouvants de la défaite.

Tous ses mouvements, toutes ses expéditions, toutes ses manoeuvres répressives se retournent contre lui, l’enfoncent toujours plus, lui ouvrent de nouvelles contradictions.

Tout cela réduit progressivement sa capacité de mouvement et diminue son pouvoir d’intimidation même sur les pays et les peuples les plus petits, comme le Nicaragua.

Il y a 40 ans, sur le front intérieur, la plupart des pays, en particulier les plus puissants, étaient complètement pacifiés, et dans les autres, les forces prolétariennes se trouvaient sous la direction d’une fraction de la bourgeoisie contre une autre.

Aujourd’hui le font intérieur est l’objet d’inquiétudes dans les congrès internationaux et la guerre de classe enlève à la bourgeoisie impérialiste, jour après jour, son sommeil et sa vie.

Nous sommes arrivés au point où le risque d’une « insurrection du pétrole » est passé si près des USA que Carter a pris le risque de couler l’économie de ses alliés (avec les subventions aux importations de pétrole brut), à seule fin d’éloigner, même un peu, ce spectre.

Mais c’est justement la puissante reprise du mouvement prolétarien dans les métropoles ces dernières années, qui s’est chargé d’enlever de nombreuses illusions de la tête des bourgeois.

La guerre de classe n’avance pas dans la périphérie de leur sphère d’influence, comme en Italie, en Turquie, en Espagne, en Corée du Sud.

Mais c’est désormais en son coeur même qu’explosent les contradictions.

La Grande-Bretagne, la France, les USA, la Suède, la Suisse et même la très militarisée et très informatisée RFA, sont secouées par des mouvements très durs et incontrôlables.

Des sidérurgistes lorrains aux Noirs de Miami et de Bristol ; des sympathisants de la RAF de Brême ou Berlin aux métallurgistes anglais ; des mineurs et des « chicanos » américains jusqu’aux nouvelles figures du prolétariat, fils des métropoles et de la crise à Zurich comme à Stockholm ; ainsi se constitue partout, maillon après maillon, la chaîne prolétarienne qui entravera, immobilisera, étouffera le monstre impérialiste.

La censure préventive et l’inoculation scientifique de mensonges par les mass-média ne parviendra plus à dissimuler la réalité des avant-gardes armées et des grands mouvements de masse qui convergent, se dialectisent et donnent vie toujours plus souvent à de puissants mouvements de masse tendanciellement armés et s’organisent sur le terrain du pouvoir.

Voilà l’élément nouveau qui conditionnera toujours plus la marche vers la troisième guerre inter-impérialiste.

Avec la guerre de classe qui s’étend à l’intérieur de tous les pays, quelle bourgeoisie pourra se permettre d’affronter un conflit prolongé ?

D’engager toutes ses ressources dans une guerre extérieure, d’armer des millions de prolétaires ? Aucune !

Combien d’interventions contre d’autres peuples, sans solution à très court terme et sans la possibilité d’un engagement minimum de forces, pourront résister à l’usure d’une guérilla intérieure et extérieure ? Aucune !

Et en effet, les caractères spécifiques des conflits actuels commencent à se dessiner : escarmouches, incursions limitées ou temporaires, opérations de corps sur-spécialisés, etc…

L’emploi des soldats du contingent est toujours plus limité, alors que se généralise l’utilisation de troupes de carrière : véritables mercenaires de l’époque moderne.

Toutes ces spécificités pourront se modifier avec le temps. Mais ce sera toujours la contradiction principale, celle qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie, qui les déterminera.

L’élément décisif du conflit sera toujours la guerre de classe, la force du prolétariat.

Dans cette situation, la tâche des forces révolutionnaires du monde entier, notre tâche, est de mettre ne pratique une fois de plus le mot d’ordre léniniste : « Transformer la guerre impérialiste en guerre de classe ! »

L’Etat italien est désormais prisonnier de cette inexorable logique de guerre. L’Italie, en tant que partie intégrante du front militaire impérialiste dont l’OTAN est le moteur principal, a une importance fondamentale.

Ceci aussi bien par sa place centrale dans l’échiquier méditerranéen que par son rôle de charnière sur le versant Sud-Est de l’Europe occidentale.

Tout le développement du potentiel guerrier italien, dès les premières années de l’après- guerre, s’est effectué sous l’égide de l’OTAN et de sa composante la plus puissante : les USA.

L’OTAN, avec sa puissance politico-militaire tentaculaire et pénétrante, est le trait d’union de la politique belliciste de l’impérialisme des multinationales dans l’échiquier stratégique de notre pays.

Fondée sur la base d’un traité en 1949, l’OTAN est une organisation supra-nationale de défense militaire des intérêts économiques et politiques de la structure économique et productive multinationale qui s’est développée dans la zone occidentale de l’Europe au cours de ces années précisément.

Elle se propose d’impulser et de favoriser l’intégration économico-socio-culturelle des nations qui en font partie, sous la domination des pays les plus forts bien sûr.

En particulier, cette armée multinationale de la contre- révolution impérialiste tend à construire et à renforcer un système global de défense qui, autrement, serait dispersé en divers échiquiers géographiques séparés et confiés à de simples forces nationales.

Dans la zone méditerranéenne, l’OTAN a entrepris depuis sa naissance l’édification d’une chaîne défensive englobant les points névralgiques, de l’Espagne à la Turquie.

Le rôle joué par l’Italie dans cette chaîne défensive est clair : celui de maillon central et de ligne arrière logistique principale.

Plus le processus de développement vers la troisième guerre impérialiste s’accélère, plus le prolétariat italien se trouve confronté aux implications nationales de l’OTAN.

Celle-ci, prise entre la nécessité de préparer la guerre et de maintenir la paix sur ses lignes arrières, a engagé un vaste processus de transformation des différentes armées nationales en de véritables impérialistes d’occupation.

En réalité, elles ont déjà assimilé depuis longtemps ces aspects qui les transforment toujours davantage en force agissante « sur le front intérieur » et qui, dans le même temps, les mettent dans l’obligation d’assumer les escarmouches avec les armées du social- impérialisme.

Dans ce cadre, l’Italie se trouve directement impliquée dans le processus de concentration du potentiel dissuasif de l’OTAN.

En effet, une série de fonctions intégrées de commandement au niveau européen sont concentrées sur notre territoire (« Afsouth » à Naples, « Comelandeouth » à Vérone) ainsi que d’autres structures directement subordonnées aux USA, comme le « Centre d’Etude et d’Expérimentation » de La Spezia sous le commandement de Norfolk (Virginie, USA).

Sans compter, naturellement, la myriade de bases et de dépôts répartis un peu partout et qui ont une importance stratégique.

Il suffit de penser à l’aéroport de Decimomannu (le plus grand et le mieux équipé de tout le secteur), ou à l’île de La Maddalena, base d’appui vitale des sous-marins nucléaires américains.

Ce n’est pas par hasard si maintenant nous devrons être les premiers, avec la Grande-Bretagne et la RFA à accueillir quelques centaines d’exemplaires des nouveaux missiles américains, devenant ainsi l’objectif privilégié des ripostes, nucléaires ou non, du social-impérialisme.

D’autre part, cette organisation supra-nationale est en train d’uniformiser, de modeler et de diriger les diverses armées nationales selon le projet de construction d’une armée impérialiste unique, capable d’intervenir et d’évoluer dans n’importe quel pays, même éloigné de ses bases naturelles.

En effet, depuis le début des années 70, une restructuration profonde des forces armées italiennes est en cours sur la ligne indiquée et imposée par l’OTAN.

Celle-ci organise d’ailleurs depuis longtemps déjà des opérations combinées inter-armées où, aux côtés du potentiel stratégique nucléaire, interviennent des « task force » directement offensives, avec les tactiques de déploiement rapide d’unités spéciales extrêmement mobiles, afin de concentrer la violence terrorisante maximum sur le point faible de l’ennemi.

C’est la tactique expérimentée à Entebbe et Mogadiscio et développée massivement par Israël.

Ces unités non traditionnelles constituent l’ossature à partir de laquelle s’effectue la restructuration des armées de l’OTAN.

L’armée italienne a récemment démontré sa pleine adhésion à ces exigences bellicistes en commençant à envoyer des hélicoptères au Liban, en tant que contingent de l’ONU chargé de protéger les frontières d’Israël.

Dans le même mouvement, la formation de « task force » à l’intérieur des forces armées italiennes répond à la nécessité de plus en plus urgente pour l’Etat impérialiste de faire face au développement énorme de la guerre de classe dans notre pays.

En effet, un nombre croissant de régiments sont transformés en unités spéciales anti-guérilla, composées en majorité d’officiers et de sous-officiers de carrière et de volontaires.

Ces unités sont la structure portante d’une véritable armée de métier et s’ajoutent aux détachements spéciaux de carabiniers qui en constituent le système nerveux.

Les stratèges des commandements militaires eux-mêmes font la propagande de cette évolution dans leurs revues spécialisées : « Il faut constituer le plus grand nombre possible de centres d’entraînement non traditionnels, où le personnel choisi dans la police et dans l’armée devrait recevoir l’entraînement sur- spécialisé dont il a absolument besoin (…). La formation de petites unités entraînées de façon particulière et jouissant d’un haut niveau d’autonomie et de liberté d’action doit être le premier pas dans la bonne direction.

Une fois constituées ces unités spéciales, comment faut-il les utiliser ? Le principe des actions de guérilla réside dans la brièveté et la puissance du coup porté ; la seule réponse valable est donc dans une action du même genre. »

On ne peut pas dire que les impérialistes, quand ils sentent le poids se la force révolutionnaire qui progresse, ne soient pas clairs !

La conclusion est que les forces révolutionnaires doivent en tirer est claire : l’OTAN est synonyme de guerre extérieure et intérieure.

C’est dans cette perspective qu’elle réorganise ses armées, les adaptant aux nouvelles conditions de la guerre inter- impérialiste et de la guerre de classe.

Nous devons commencer à saboter cette machine de mort, qui signifie pour le prolétariat métropolitain, contre-révolution préventive à l’intérieur et guerre d’agression à l’extérieur.

Nous devons désarticuler, en attaquant ses hommes et ses repaires, les lignes militaires restructurées en fonction de la contre- guérilla.

Nous devons développer la plus grande mobilisation politique possible sur le mot d’ordre : l’OTAN c’est la guerre impérialiste et la contre-révolution préventive.

Guerre à l’OTAN, guerre aux corps spéciaux anti-guérilla !

Il faut, sur ce mot d’ordre, construire l’unité internationaliste de tous les peuples et de toutes les forces révolutionnaires qui combattent l’impérialisme !

>Sommaire du dossier

Brigades Rouges: Seconde réflexion théorique

[Janvier 1973.]

Comment jugez-vous les choix faits par votre organisation, après deux ans de travail ?

Il nous semble que le développement de la situation politique italienne a bien confirmé le choix fondamental qui a été le nôtre dans les premiers mois de 1970.

La crise gouvernementale n’a pas du tout été résolue dans un sens réformiste et elle n’a pas de perspective dans un futur proche.

Au contraire, la formation d’un gouvernement de centre-droit excluant les sociaux-démocrates, la relance des fascistes en tant que « force parallèle », l’attaque frontale contre le mouvement ouvrier et la militarisation de plus en plus arrogante des conflits sociaux et politiques, tout cela démontre que le front politique bourgeois poursuit avec un entêtement accru l’objectif de la restauration totale de sa dictature et donc d’infliger une défaite politique sans réserve à la classe ouvrière.

Mais, est-ce que l’assassinat de Feltrinelli et les attaques contre les Brigades Rouges ne démontrent pas au contraire la faiblesse, ou plutôt l’immaturité d’un tel choix ?

Non, parce qu’on ne peut pas dériver la faiblesse d’une ligne politique à partir de la corrélation de forces relative que l’organisation représentant cette ligne a été à même d’établir dans sa phase initiale.

L’attaque que la bourgeoisie a déchaînée contre nous au mois de mai provenait de leur conviction erronée qu’elle pouvait neutraliser l’impact de la proposition stratégique de lutte armée pour le communisme, simplement en exploitant la faiblesse organisationnelle qui nous caractérisait.

Cette évaluation politique erronée, c’est exactement ce qui a causé l’échec de l’opération policière, et nous nous sommes renforcés.

En fait, en refusant le terrain de « l’affrontement frontal » entre les Brigades et l’appareil d’Etat armé qui nous était proposé, nous gardions tout notre temps pour contre-attaquer « silencieusement » contre des cibles économiques.

Le résultat, ce fut le renforcement de notre infrastructure organisationnelle, qui prouvait en même temps la faiblesse politique de l’Etat policier même s’il est pourvu de fortes structures militaires.

L’accusation de terrorisme a été portée contre vous, de la part de différents secteurs, qu’en pensez-vous ?

Le « terrorisme » dans notre pays et dans cette phase de la lutte est une composante de la politique menée par le front des patrons, qui commence avec la massacre de la Piazza Fontana [à Milan en 1969, cet attentat sanglant et aveugle fut commis par les fascistes et attribué aux révolutionnaires].

Son but est d’acculer à la retraite générale le mouvement ouvrier et d’aboutir à une restauration complète de l’exploitation à ses anciens niveaux. La classe dominante a spécifiquement recherché la réalisation de trois objectifs fondamentaux avec cette politique.

1. encourager la croissance du bloc réactionnaire aujourd’hui au pouvoir, et en particulier de ses composantes les plus fascistes, avec la perspective de reprendre le contrôle de la situation dans les usines et dans le pays.

2. écraser les menées révolutionnaires et canaliser les luttes qui avaient mûri ces années-là dans une direction social-pacifiste, en exhibant le spectre de la lutte armée comme un « saut dans les ténèbres ».

3. discréditer les organisations révolutionnaires et accuser la gauche de provocation fascistes et anti-classe ouvrière, en suivant la formule « les extrêmes se rejoignent » et en rendant équivalentes entre elles toutes les manifestations de violence.

Notre engagement dans les usines et les quartiers a toujours été depuis le début d’organiser l’autonomie ouvrière pour la résistance à la contre-révolution en mouvement aujourd’hui, et de résister à la liquidation des menées révolutionnaires par les opportunistes et les réformistes.

Organiser la résistance et construire le pouvoir prolétarien armé sont les slogans qui ont guidé et qui guident notre travail révolutionnaire. Qu’est-ce que cela a à voir avec du « terrorisme » ?

Par conséquent, dites-nous quel est la ligne directrice de votre intervention dans cette phase ?

Avec l’édification des Brigades Rouges, nous voulions créer un centre stratégique capable de  prendre en main les problèmes les plus urgents soulevés par le mouvement de résistance prolétarienne.

Nous n’avons pas créé un nouveau groupe, mais nous avons travaillé à l’intérieur de chaque manifestation de l’autonomie de classe à unifier sa conscience autour de la proposition stratégique de la lutte armée pour le communisme.

Aujourd’hui nous pouvons dire que la bouteille jetée à la mer a été saisie avec son message : le problème de l’organisation  prolétarienne armée a été pris en main par l’ensemble du camp révolutionnaire.

Donc maintenant il s’agit de faire un pas en avant ; imposer dans la lutte la ligne politique pour la construction du pouvoir prolétaire armé, contre les tendances militaristes et toutes les tendances erronées.

Militariste est la déviation de ceux qui pensent qu’il est possible de mettre en mouvement la classe ouvrière par la vertu de l’action armée, entendue seulement comme action exemplaire.

Groupiste est la déviation qui attribue les fonctions et la tâche de la lutte armée à un noyau de samouraïs.

Ces deux déviations ont un dénominateur commun : l’absence de confiance en la capacité révolutionnaire du prolétariat d’Italie.

Nous croyons que l’action armée est le point culminant d’un vaste travail politique par lequel l’avant-garde prolétarienne, le mouvement de résistance, est organisé directement en vue de ses besoins réels et immédiats.

En d’autres termes, l’action armée pour les Brigades Rouges est le point le plus haut d’un processus profond d’auto-organisation au sein de la classe : sa perspective de pouvoir.

Par conséquent, nous sommes convaincus qu’avancer sur le chemin de la lutte armée est nécessaire aujourd’hui pour mener à bien la tâche d’unification politique de toutes les avant-gardes politico-militaires qui évoluent à l’intérieur de cette perspective.

Est-ce que vous avez l’intention de travailler à l’unité politique entre les groupes révolutionnaires ?

Les groupes sont une réalité du passé, des reliques survivantes qui ne correspondent plus au développement objectif du processus révolutionnaire.

L’unité que nous cherchons à construire, c’est celle de toutes les forces qui se meuvent dans la perspective de la lutte armée pour le communisme.

Pouvez-vous être plus précis ?

A l’intérieur de la gauche non réformiste, il y a en ce moment 3 tendances à l’oeuvre.

La première est une tendance liquidationniste qui prend pour argent comptant l’idée de la défaite politique de la classe ouvrière.

Cette tendance se prépare à faire un travail de « parti » pour mener la « retraite » pendant une longue période de crise.

Ceux qui dirigent cette tendance tournent leurs pensées vers le développement organisationnel en interne, et commettent une lourde simplification des choses en identifiant la croissance du processus révolutionnaire avec la croissance de leur propre groupe.

Alors que les patrons ont choisi le terrain d’une guerre civile rampante, les liquidationnistes s’en accommodent en menant leurs activités sur le terrain de l’agit-prop légale.

De cette erreur découle la re-proposition d’un modèle « troisième- internationaliste », que nous considérons comme une répétition inoffensive d’une expérience historique que la classe ouvrière a déjà épuisé hier et qui n’a pas de sens pour demain.

La deuxième tendance est une déviation centriste qui, même si elle ne voit pas la défaite de la classe ouvrière comme une certitude, formule sa ligne d’action comme une série de batailles successives, qui ne sont jamais envisagées comme parties prenantes d’un plan de guerre unique.

Cette tendance est représentée par les organisations autonomes d’usine et de quartier, qui épuisent leur existence dans de la lutte tactique, s’illusionnant sur leur capacité à construire une alternative politique stratégique autour de politiques « au jour le jour ».

Concrètement, le problème que ces camarades ont encore à résoudre est contenu dans cette question : « organisations autonomes » ou « organisations de l’Etat prolétarien » ?

La troisième tendance c’est la résistance qui ne reconnaît en aucune façon la défaite de la classe ouvrière comme un fait établi.

C’est la tendance qui sait reconnaître les nouvelles formes de l’initiative prolétarienne et travaille à les projeter le long de la piste stratégique de la lutte armée pour le communisme.

Sur le terrain de la guerre révolutionnaire de classe.

La ligne de construction du pouvoir prolétaire armé se base principalement sur cette dernière tendance.

L’unité que nous cherchons à construire c’est donc en premier lieu celle des forces qui forment le camp de la résistance : les forces qui depuis 1945 ont toujours été placées sur les marges des lignes officielles du mouvement ouvrier communiste, et les forces plus jeunes d’une tradition récente qui a enrichi l’héritage de l’autonomie prolétarienne avec les luttes de 1968 et 1969.

Jusqu’à maintenant, vous n’avez pas dit un mot sur le Parti Communiste italien. Pourquoi donc ?

Le Parti Communiste est une grande force démocratique qui poursuit une stratégie exactement opposée à la nôtre.

Il ne nous semble pas justifié ni important de continuer à l’attaquer sous une avalanche de paroles.

Sur le terrain révolutionnaire, la lutte idéologique doit aussi se baser sur la capacité à rendre nos convictions politiques vivantes dans l’histoire.

Donc nous sommes convaincus qu’avec la consolidation politique et organisationnelle dans le mouvement ouvrier de la ligne de résistance, de pouvoir prolétarien et de lutte armée, les éléments communistes qui font encore confiance à ce parti sauront certainement comment se décider.

Lorsque vous parlez de résistance, comment voyez-vous le développement des forces révolutionnaires dans le Sud ?

Un développement révolutionnaire en Italie est impensable sans la participation active des prolétaires du Sud.


Malheureusement, le chemin révolutionnaire des masses méridionales est rendu tortueux aujourd’hui, surtout à cause du ressentiment de masse vis-à-vis de l’échec de la stratégie réformiste.

La bourgeoisie fasciste a temporairement réussi à gagner à sa cause des couches populaires de nombreuses zones du Sud, en organisant leur « colère » autour d’objectifs qui ne sont en rien révolutionnaires.

Aujourd’hui, c’est au tour des forces d’avant-garde de la classe ouvrière du Nord de rouvrir la discussion sur l’unité politique avec le Sud. C’est une tâche urgente.

Nous devons faire très attention à empêcher que l’action de la bourgeoisie dans le Sud ne se tourne contre la classe ouvrière dans le Nord.

Mais comment est-il possible de travailler suivant ces lignes étant donné la fragilité des structures politiques révolutionnaires dans le Sud ?

Dans le Sud les menées révolutionnaires ne manquent pas, bien au contraire ; en fait, d’un certain point de vue, elles expriment un niveau très avancé.

La bourgeoisie sait pertinemment que si les mécanismes de contrôle social se brisaient, le courant révolutionnaire avancerait avec une grande impétuosité.

Pour cette raison, l’Etat, le gouvernement et les capitalistes encouragent tous le « méridionalisme », c’est-à-dire le régionalisme du Sud dirigé par les fascistes, qui se pose comme une tendance subversive/criminelle face à l’Etat.

En fait, ils ne sont subversifs que face aux luttes ouvrières. [Ce passage concerne bien sûr les mafias du Sud et leur rôle contre-révolutionnaire]

Nous voulons dire que les réformistes contribuent à la confusion en défendant « l’Etat démocratique » italien , qui pour le Sud ne signifie que la répression et l’exploitation par le Nord.

Ceci aide la droite à établir son hégémonie sur les forces prolétariennes du Sud qui tendent à se mouvoir contre le système.

Etant donné que les choses se présentent comme cela, qui peut commencer à renverser cette tendance ?

Autant être clairs : certainement pas ces groupes intellectuels de la gauche méridionale qui passent leur temps à étudier « les phases du développement capitaliste dans le Sud » ou « les différences historiques entre le Nord et le Sud », qui pendant ce temps continuent à grandir.

Même ces groupes qui ont tout concentré sur l’agitation et la propagande ont peu de chance de fournir une voie stratégique pour faire avancer l’élan révolutionnaire en cours dans le Sud.

Pour débloquer la situation, il est nécessaire que la consolidation de l’avant-garde armée sache s’y prendre pour unir la nouvelle classe ouvrière, les journaliers, les chômeurs et le sous- prolétariat dans la lutte contre les fascistes, les bourgeoisies locales et les organes répressifs d’Etat.

Dans quels domaines avez-vous l’intention de développer votre activité dans un futur proche ?

Il y a deux types d’activité que nous menons, du même pas et avec continuité et détermination : l’organisation de la clandestinité et l’organisation des masses.

Par travail clandestin, nous entendons la consolidation d’une base matérielle économique, militaire et logistique qui garantisse une pleine autonomie à notre organisation et qui soit une base arrière stratégique pour le travail parmi les masses.

Par travail d’organisation des masses, nous entendons la construction des liaisons de l’Etat prolétarien dans les usines et des quartiers populaires : un Etat souterrain et armé qui se prépare à la guerre.

Pouvez-vous clarifier ce dernier point ?

Le problème que nous devons résoudre, c’est de donner à ces poussées révolutionnaires provenant du mouvement de résistance une dimension de pouvoir.

Ceci demande un développement organisationnel dans toute la classe qui sache respecter les différents niveaux de conscience qui y existent, mais qui sache en même temps les unifier et forcer leur évolution révolutionnaire vers la perspective stratégique de la lutte armée pour le communisme.

Les Brigades Rouges sont le premier noyau de guérilla à travailler dans cette direction.

Pour cette raison, les militants communistes qui se penchent sur la construction du parti armé du prolétariat s’organisent autour d’elles.

Quels critères guident votre pratique dans la lutte des classes en cette période ?

Nous avançons avec une vue sur le long terme ; nous savons que nous ne sommes pas dans la phase de guerre et justement pour cette raison nous travaillons à créer ses fondations subjectives et organisationnelles.

Voilà notre critère. Toutes nos actions visent ce but.

Le mouvement de résistance populaire est en partie caractérisé par un désir généralisé de combattre la bourgeoisie et par une incapacité tout aussi généralisée à mener ce combat sur le terrain qui lui est imposé.

Notre pratique montre la direction à prendre pour résoudre cette contradiction.

Nous ne recherchons pas la publicité d’actions exemplaires, mais à la place, et avec les avant-gardes prolétariennes, nous posons ces problèmes :

–    celui d’une GUERRE CONTRE LE FASCISME, qui n’est pas l’apanage des chemises noires d’Almirante, mais aussi le fascisme en chemise blanche du premier ministre Andreotti et de la Démocratie Chrétienne ;

–    celui d’une RESISTANCE DANS LES USINES, pour frapper les ennemis, saboteurs et liquidateurs de l’unité et du pouvoir ouvrier et combattre du tac au tac l’offensive des patrons cherchant depuis des décennies la défaite politique des ouvriers ;

–    celui de la RESISTANCE A LA MLITARISATION DU GOUVERNEMENT, ce qui ne veut pas dire lutter pour la défense des espaces démocratiques- bourgeois, mais pour la destruction des structures armées de l’Etat et de ses milices fascistes parallèles.

Une dernière question : est-ce que vous vous envisagez le développement du processus révolutionnaire en terme national ou continental ?

Parvenir à une dimension européenne et méditerranéenne de l’initiative révolutionnaire est un objectif très important. Il nous est imposé par les structures supra-nationales du capital et du pouvoir.

Travailler à sa maturité implique avant tout de développer la guerre de classe dans son propre pays, mais aussi d’être prêt à soutenir les initiatives de soutien concret exigées par le mouvement révolutionnaire et le mouvement communiste international.      

>Sommaire du dossier              

Historique des Brigades Rouges

[Article paru dans la revue Front Social n°19, 2001.]

1.L’Italie et la lutte des classes

L’Italie a eu un passage au capitalisme qui fut difficile en raison de la force des structures féodales. Il n’y eut pas de révolution bourgeoise comme en France ; des éléments du féodalisme, comme le Vatican, se conjuguèrent finalement au capitalisme. Un déséquilibre se fit sentir dans l’économie : le nord de l’Italie est ainsi industriel tandis que les régions méridionales sont historiquement marquées par la petite production et l’agriculture.

Après la première guerre mondiale impérialiste de 1914-1918, le mouvement des masses italiennes fut relativement puissant, permettant l’émergence d’un mouvement révolutionnaire fort. Les classes dominantes soutinrent alors le mouvement fasciste de l’ex-socialiste Mussolini, qui écrasa le mouvement ouvrier et pris le pouvoir en 1922.

Le tout jeune Parti Communiste, né en 1921, dut alors s’organiser dans l’illégalité, son principal théoricien Antonio Gramsci croupissant en prison. En le condamnant, le juge dira:  » Il faut empêcher ce cerveau de penser pour au moins vingt ans « .

Aidé dans sa tâche par l’Internationale Communiste, le PC réussit à se développer et à guider le mouvement de masse dans une large résistance armée face au fascisme dès que celui-ci passa sous la coupe allemande (1943-1945).

Mais l’intervention américaine, qui s’alliera à la mafia pour contrecarrer le PCI et aider la bourgeoisie italienne, empêchera grandement une prise de pouvoir par les masses populaires, et cela d’autant plus que la direction du PC était gangrenée par le révisionnisme. Tout comme Thorez en France, Togliatti avait en fait abandonné les principes essentiels du marxisme-léninisme.

Ainsi, alors que les  » brigate d’assalto  » et les travailleurs occupaient les usines et que les patrons s’enfuyaient en Suisse, les dirigeants du P.C.I. enjoignirent ceux-ci à revenir et  » à prendre leurs responsabilités « .

L’Etat bourgeois italien put donc continuer à vivre, s’appuyant sur les acquis structurels des années de fascisme, sur un prolétariat du nord industriel contrôlé par un PCI gagné au partenariat social et sur une paysannerie au sud qui transforma la démocratie-chrétienne en mouvement de masse.

Il va de soi en effet que les modernisations monopolistes effectuées par les fascistes ne furent pas remises en cause. Ni même le fascisme d’ailleurs: de nombreux plans de putsch étaient prévus, et les attentats -massacres fascistes furent nombreux (place Fontane en 1969, gare de Bologne en 1980, train Bologne-Florence en 1984…). C’est ce que les révolutionnaires ont appelé  » la stratégie de la tension  » effectuée par l’Etat.

Le prolétariat combatif ne se laissera pourtant pas abattre par les fascistes et le réformisme de type révisionniste du P.C.I.. Il continua de s’organiser et de lutter, apprenant grandement des expériences internationales.

C’est l’époque de la Chine révolutionnaire, de la lutte de libération au Vietnam…

A cela s’ajoute l’activité d’intellectuels qui, menant des  » enquêtes prolétaires « , redéfinissent la lutte de la classe ouvrière, constatant qu’elle développe des formes de luttes  » différentes « , apparemment  » nouvelles « . De plus en plus en effet se généralisent le sabotage, l’absentéisme, les grèves dures, le refus du travail salarié exploité.

2.Les révoltes des années 60 et le mai rampant

1966 est l’année d’une grande grève des métallos. Des débrayages ont lieu à Rome, Milan, Naples, Gênes et Trieste, avec à chaque fois un débordement des syndicats et des combats de rue.

Les revendications sont également intercatégorielles. La grève se fait à tour de rôle, afin de pouvoir durer, et des consiglia de fabbrica (conseil d’usine) se développent, notamment à Milan chez Siemens.

En 1967 c’est à Cutro et sur l’île de Capo Rizguto que les paysans et les chômeurs se révoltent. Les licenciements dans les usines textiles de Vibo et Catane, la domination de l’administration locale par les clans, l’absence d’électricité et de produits pharmaceutiques, la mauvaise distribution des terres… sont autant de raisons à cette révolte.

Dans la ville de Masse les travailleurs de chez Olivetti réduisent eux-mêmes leur temps de travail, et obtiennent de meilleurs accords, grâce notamment au travail local du noyau toscan de Potere Operaio (Pouvoir Ouvrier), qui va devenir l’un des premiers grands mouvements révolutionnaires de masse.

En 1968, il y a tout d’abord le conflit textile à Veneto (Mazatto / Valdagno). La région dominée par les petites entreprises voit apparaître l’accélération des cadences, la réorganisation capitaliste, le chômage… en février c’est la grève et en avril l’explosion. Voitures incendiées, maisons bourgeoises pillées… Les unités spéciales interviennent.

Dans les facultés c’est l’ébullition, surtout depuis l’arrivée à Rome, Milan et Naples d’étudiantEs d’origine populaire. La liaison étudiantEs – classe ouvrière provient plus d’une situation sociale que d’un présupposé idéologique. Pourtant, même des facs élitistes comme Pise ou la sociologie à Trento sont touchées.

Et les thèmes développés sont de classe, même si la gauche catholique-social tente d’intervenir. On parle du Vietnam, du marxisme-léninisme, de la révolution culturelle en Chine populaire.

Des groupes étudiants révolutionnaires vont ainsi lutter contre l’influence des catholiques et celle des travailleurs sociaux des  » initiatives de citoyens « .

En avril 1968, c’est la grève quasi-permanente chez FIAT. Les revendications : la semaine des 40 heures, la paie immédiate, mais également le refus des heures sup, du contrôle de la vitesse et de la quantité de travail.

Là aussi les grèves ne durent que quelques heures par jour. A Cosenza les paysans se révoltent et sont rejoints par des travailleurs journaliers.

En décembre 1998 les travailleurs journaliers feront grève à Avola/Siracusa. Les routes nationales sont bloquées, des barricades montées, la grève générale suit. Les unités spéciales sont repoussées, puis tirent pendant 25 minutes, faisant deux morts.

Lorsqu’en 1969 le président des USA Nixon vient à Rome, les manifestations anti-impérialistes sont nombreuses, il y a des combats de rue. En avril c’est la révolte à Battipaglia/Salerno (25.000 habitantEs), lorsque la dernière usine ferme. La police tire : 2 morts, plus de 100 blessés, une caserne est brûlée.

Mais c’est également l’ébullition à Caserta et Pescara, dans une moindre mesure à Palerme, Cagliari, Melfi, Naples. Le PCI (en italien prononcer  » pichi « ) s’oppose à ces luttes du Sud, y voyant l’œuvre de brigands et de  » teppisti  » opposés au développement économique. Sa nature révisionniste est claire.

En automne, c’est la grève générale au niveau national, contre les accords passés entre le patronat et les syndicats.  » Lavorare meno – lavorare tutti !  » – Travailler moins, travailler tous, tel est le mot d’ordre.

Les sabotages se font en masse, les hiérarchies sont brisées, les employés et techniciens rejoignent les ouvriers. Des occupations de maison ont lieu ( » Vogliamo tutto ! Prendiamoci la citta !  » – Nous voulons tout ! Prenons la ville !).

L’économisme des syndicats et le réformisme perdent leur hégémonie.

Des CUB ( » Comitati Unitari di Base  » – Comités Unitaires de Base) se forment, ainsi que des groupes d’employés et de techniciens ( » Gruppi di Studio  » – Groupe d’étude) et d’étudiants ( » Movimento Studentesco « ).
Les années 1968-1969 vont amener la naissance de groupes révolutionnaires puissants, dont le principal sera  » Potere Operaio  » (Pot.op.),  » Pouvoir Ouvrier « , dont sortira très vite  » Lotta Continua  » (LC).

3.Potere Operaio

Potere Operaio ne tombe pas du ciel; l’organisation est issue d’un travail profond dans le prolétariat. Les premières connections se sont faites autour des revues  » quaderni rossi  » (cahiers rouges, 1961) et  » la classe  » (sous-entendue ouvrière, 1969).

Il s’agit principalement d’intellectuels et de techniciens analysant le processus de production. Sont étudiées les évolutions techniques et les restructurations. La relation capital/travail n’est plus considérée statiquement et après coup ; il s’agit à la fois de coller à l’ouvrier de base et à l’évolution générale.

En 1961/1962 sont ainsi apparues les  » inchiesta proletaria « , les enquêtes prolétaires, qui questionnent l’ouvrier dans son quotidien, et qui constatent comment les luttes pratiques se développent malgré la pression des révisionnistes.

Les partisans du futur potere operaio prennent le nom d’opéraistes (en français le terme serait  » ouvriériste « , mais il n’est pas tout à fait exact car il n’a pas sa connotation économiste).

Pour eux/elles, la lutte part de la subjectivité ouvrière : volonté de refus du travail et des cadences, volonté qu’il s’agit de transformer en pratique révolutionnaire.

Pour les opéraistes, le niveau politique est moins à lire idéologiquement, qui est tronqué, que dans le niveau d’absentéisme, de sabotages, de grève, d’insubordination, etc.

Dans le document de 1971 intitulé « Che cos’è Potere Operaio » (Qu’est-ce que Potere Operaio), il sera ainsi dit:

 » Le slogan que nous avons propagé durant toutes les années 1960,  » plus d’argent moins de travail « , signifiait justement cela : avec une intention précise et subjective provoquer la crise capitaliste, c’est-à-dire opposer à la stabilité du capital l’irréductibilité des besoins de la classe ouvrière.

Nous avons fait l’expérience suivante : eu égard un capital ayant réduit ses contradictions intérieures à un minimum, nous avons tenté de faire jouer jusqu’au bout la contradiction principale, qui reste insoluble – la contradiction entre travailleur et capital – et d’organiser cela par rapport du rapport de production « .

L’objectif des opéraistes, qui partent de l’ouvrier-masse, c’est-à-dire de l’ouvrier des grandes usines d’alors, est d’unifier la classe avec comme axes principaux le refus du travail, le refus des différents échelons de salaires.

Contre l’inflation, le chômage, il s’agit d’exiger les mêmes augmentations pour tous, et, qui plus est,  » un revenu garanti pour tous, qui travaillent ou pas, ou s’y préparent ; en plus de la semaine des 36 heures, le paiement des heures de transport pour aller au travail et l’abolition de la mobilité « .
L’objectif de Potere Operaio est ainsi d’unifier les classes populaires, de la femme de ménage à l’étudiant, tout en défendant  » l’hégémonie des luttes des ouvriers sur les étudiants et les prolétaires « .

Mais beaucoup d’autres questions se posent, car en définitive Potere Operaio n’était que l’expression d’un besoin des éléments avancés des masses de s’organiser. De plus, l’influence de l’école de Francfort est grand, et Potere Operaio est assez proche de la conception révisionniste comme quoi le capitalisme arrive à  » surmonter  » ses crises en se réorganisant. Il est parlé du groupe des  » professeurs « , puisque les dirigeants sont plus proches du monde universitaire que de la classe ouvrière (Toni Negri, Franco Piperno, Oreste Scalzone).

Une frange est très vite sortie de Potere Operaio, quasiment dès le départ, pour former  » Lotta Continua  » (LC). LC prônait la radicalisation des luttes partielles : lutte dans les villes, les prisons ( » les damnés de la terre « ), l’armée ( » prolétaires en uniformes « ), et développement de la contre-information. Le succès de LC est notable, en raison de son aspect plus politique.

Mais la politique de LC consiste principalement en une contestation révolutionnaire, pas en une politique révolutionnaire. Et c’est ainsi ailleurs au sein de cette nouvelle gauche que les éléments les plus avancés de rassemblent, cherchant des réponses chez Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong.

4.La naissance du CPM (1969)

Le 8 septembre 1969 se forme dans cette mouvance de la « nouvelle gauche » un nouveau groupe, le CPM, c’est-à-dire le Collettivo Politico Metropolitano.

Issu de groupes ouvriers (Sit-Siemens, IBM, Pirelli…), particulièrement dans le  » triangle de fer  » (Turin, Milan, Gênes), le CPM entend amener de nouveaux fondements pour la lutte révolutionnaire.

Leur stratégie consiste en effet à  » enraciner la lutte armée à partir des luttes de l’ouvrier-masse des grandes concentrations industrielles « .

Dans un texte de décembre 69, intitulé  » lutte sociale et organisation dans la métropole « , le CPM prône l’autonomie ouvrière, c’est-à-dire  » le mouvement de libération du prolétariat de l’hégémonie globale de la bourgeoisie « , la rupture totale avec les institutions.

Le CPM ne prône pas, comme en général les mouvements pour l’autonomie, la fédération de groupes de base,  » d’associations spontanées, sporadiques et apolitiques « , mais la construction d’une organisation révolutionnaire, avec des structures illégales selon le principe léniniste, et visant le renversement de l’Etat.

La propagande du CPM diffère donc également des groupes prônant l’organisation de groupes armés pour l’éventualité d’un coup d’Etat, comme les Groupes armés partisans de l’éditeur Feltrinelli, qui se veulent issus de la résistance des années de guerre. Il s’agit ici de mener une guerre populaire, de classe.

En juillet 70, le CPM prend le nom de sa revue,  » sinistra proletaria « , la gauche prolétarienne.

Ce nom est clairement une allusion au groupe révolutionnaire français du même nom, qui développe une lutte à la base dans les usines.

Le 17 septembre 1970 les brigate rosse (brigades rouges) apparaissent en revendiquant l’incendie d’une voiture d’un manager de Siemens – c’est en fait le CPM qui en est à l’origine.

En avril 1971, la revue change de nom et devient  » nuova resistenza « , nouvelle résistance, avec comme symbole un marteau et une faucille entrecroisé d’un fusil.

On peut y lire dans le n°2 que :

 » La révolution moderne n’est plus une révolution propre (…), elle recrute ses éléments en pêchant en eau trouble. Elle avance par des voies détournées et elle se trouve des alliés en tous ceux qui n’ont aucun pouvoir sur leur propre vie et le savent (…).

Dans l’attente de la grande fête révolutionnaire où tous les expropriateurs seront expropriés, le geste criminel isolé, le vol, l’expropriation individuelle, le saccage d’un supermarché ne sont qu’un avant-goût et un signe de l’assaut futur contre la richesse sociale ».

5.La parenthèse semi-révisionniste armée des Groupes d’Action Partisane

Les GAP, ce sont les  » gruppo d’azione partigiana « , terme repris aux groupes d’action partisane opérant en 1944 contre le fascisme.

Ces groupes d’action partisane ont été fondé en 1970 par l’éditeur Giangiacomo Feltrinelli, un très grand éditeur (comme Gallimard, avec en plus une quinzaine de grandes librairies), qui avaient appelé en 1969 à la formation de structures illégales. Ces groupes clandestins naissent à Milan, Turin et Gênes.

La ligne des GAP oscille entre celle de la Fraction Armée Rouge allemande et celle de la résistance armée au fascisme. D’un côté les GAP sont là pour défendre les structures démocratiques le cas où. Il est vrai que l’Italie des années 1960-1970 est marquée par de nombreux attentats-massacres organisés par les fascistes (ainsi ceUX de la Place Fontane, de Brescia, du train Rome-Brenner).

Mais la ligne qui devient dominante considère que l’Italie devient la colonie de l’OTAN, et que cela fait partie d’un processus de fascisation. Il faut donc des  » bases rouges « , tout en considérant le bloc de l’Est comme un arrière-pays passivement  » positif  » même si révisionniste.

Les luttes sociales ne sont pas mises en avant, à l’opposé de l’anti-impérialisme.

La ligne est de fait celle de la RAF : il s’agit de libérer le pays de l’emprise de l’impérialisme, principalement américain. Pour Feltrinelli, puisque l’Italie avait une situation sociale chaude, il fallait s’attendre à ce que l’OTAN impose des transformations brutales. Ce qui se passera de fait en Turquie quelques années plus tard, à ceci près que ce pays était réellement une néo-colonie.
La radio-pirate  » RADIO-GAP  » explique que :

 » La voie de la révolution communiste, la voie de la libération définitive du prolétariat et des travailleurs italiens de la domination et de l’exploitation par le capital italien et étranger nécessite une guerre dure et longue. Mais les brigades de partisans, les camarades travailleurs italiens se sont à présents mis sur cette voie. La voie de la libération, la voie des partisans, marchant en avant-garde de la révolution communiste.

Travailleurs, journaliers et étudiants révolutionnaires ensemble et unis pour la victoire définitive sur le capitalisme et l’impérialisme « .
Il s’agit d’organiser  » une participation toujours plus large et intensive à la guerre anti-impérialiste internationale « .

Feltrinelli dira à ce sujet que :

 » Qui considère la guerre révolutionnaire cubaine comme terminée se trompe sur la réalité, même s’il la voie, et comprend vraiment très peu de la stratégie révolutionnaire. La guerre révolutionnaire, le processus révolutionnaire est continental dans le faits et ne peut que terminer par une victoire définitive sur l’impérialisme en Amérique latine « .

C’est-à-dire qu’il fait la même erreur stratégique que le Che, et qui sera vigoureusement critiqué par les maoïstes, notamment après la catastrophe bolivienne. Cette position est similaire à la RAF, qui considérait également le processus révolutionnaire comme immédiatement totalement international.

Feltrinelli a la même position à ceci près qu’il va encore plus loin puisqu’il fait une transposition de l’analyse de l’Amérique latine de Guevara :

 » La gauche européenne a comme devoir de trouver des solutions tactiques qui correspondent à la réalité de chaque pays européen (pris dans sa particularité).

Dans le déroulement des différents processus révolutionnaires qui – et même si cela est timide – apparaissent au grand jour dans les pays du vieux monde, une stratégie continentale prendra sa forme et sa substance, et aura une fonction décisive dans notre guerre de longue durée « .

Feltrinelli fut à l’origine de la publication de très nombreux documents ; il succomba à l’explosion de sa bombe en 1972 (visant à détruire un grand pylône électrique). Les GAP s’écroulèrent aussitôt. La ligne des GAP aura toujours été très critiqué par les groupes armés d’Italie, qui l’interprétaient comme réformiste armée.

6.1970/1973 : la naissances des BR

Les BR sont donc nées de l’activité théorico-pratique du CPM, et ne forment au départ qu’un petit groupe, avec lequel les membres des plus grandes organisations sympathisent. Le groupe Lotta Continua, alors l’une des plus grandes organisations, ira jusqu’à proposer aux BR de devenir leur bras armé.

Lotta Continua tente en effet d’encadrer ce qu’elle a souhaité théoriquement mais n’assume pas en pratique.

Ainsi, lors de la grande révolte de la ville de Reggio en Calabre (juillet 1970-février 1971) à l’annonce que la ville ne serait pas capitale provinciale (et qu’il n’y aurait ainsi pas d’aides pour résorber le chômage, alors que seulement 30% des emplois étaient  » normaux « ), la lutte armée avait commencé, et Lotta Continua affirmait la soutenir.

Les masses populaires (avec l’aide des ouvriers des usines Omeca et des milliers de paysans pauvres) se retranchent dans les petites rues des quartiers populaires, érigent des barricades en ciment, désarment les carabinieri (les gendarmes italiens), pillent les commissariats, détruisent la mairie, la gare, les sièges des partis politiques et des banques.

La lutte alterne manifestation et dynamite, mais est écrasée au moment de son extension en Sicile et en Calabre par l’intervention de l’armée.

Le journal de Lotta Continua du 30 octobre y consacra 6 pages ( » Reggio proletaria, Reggio rossa « ) :

 » Menons la. Ce qui est nécessaire : ne plus payer de loyers, de tickets, d’impôts, ne plus faire le service militaire, ne plus voter, s’organier en rassemblement de quartier (…). Dans une partie de l’Italie, à Reggio en Calabre, la lutte armée a commencé (…). Contre l’Etat, contre les patrons, contre l’exploitation, contre le chômage, contre l’émigration « .

Lotta Continua mène la même politique que la Gauche Prolétarienne en France, avec le même soutien théorique à la violence populaire qu’elle ne sait ni organiser ni comprendre stratégiquement. Potere Operaio mène également le débat, le congrès de 1971 (le troisième) débat également de l’illégalité. Il a même été créé un éphémère FARO (Fronte Armato Rivoluzionario Operaio) qui mènera quelques attentats à l’explosif.

A l’opposé, les BR mènent ainsi de 1970 à 1973 ce qu’elles appellent la propagande armée. Se concentrant sur les grandes usines, notamment à Milan et Turin (Fiat), les brigadistes distribuent des listes d’indics et de chefs qui doivent être  » frappés de la vengeance prolétaire  » en raison de leurs liens avec les patrons.

Ce fut en 1970 le début d’une série d’actions systématiques consistant en ce que les prolétaires faisaient eux-mêmes de temps en temps: bastonnade des capi (contremaîtres), sabotages, etc. En automne 70 les BR menèrent des actions contre les fascistes et les provocateurs dans les usines, contre les cadences et pour la remise en cause du lien entre hausse de la productivité et hausse des salaires.

Après avoir incendié la voiture du chef de la sécurité de Pirelli (27.11.70) et du chef du personnel (8.12.70), elles incendient huit poids lourds de chez Pirelli, afin de « présenter la facture  » aux patrons pour les licenciements.

Dans leur sixième communiqué les BR affirment que les patrons sont allés trop loin pour qu’un compromis soit encore possible. Des techniques de sabotage furent diffusées, montrant par là que les brigadistes avaient des gens sur place.

En septembre 71 sortit le premier texte programmatique, sous la forme d’une auto-interview (de la même manière donc que les Tupamaros uruguayens). Les BR y expliquent qu’il est nécessaire de choisir la stratégie de la lutte armée pour le communisme, critiquent les politiques  » défensives  » , et affirment ne pas être un  » bras armé  » mais un  » point de rencontre  » des révolutionnaires.

Les actions continuent alors jusqu’à l’enlèvement le 3 mars 72 d’Idalgo Macchiarini, top manager de chez Siemens et responsable de l’organisation du travail. Les br le gardent 20 mn pour un procès symbolique puis le libèrent (sous  » conditions « ).

Dans un tract les BR le traitent de  » fasciste en chemise blanche « . C’est le début des slogans qui marquent:  » Frapper et s’enfuir ! Rien ne restera impuni! En frapper un pour en éduquer cent! « . Cette action fut populaire dans l’extrême-gauche, un peu de la même manière que les actions  » violentes non armées  » de la Gauche Prolétarienne en France.

Ce genre d’action est en effet aisément compréhensible par tout travailleur, ne nécessite pas de connaissance idéologique au préalable. D’autant plus que le prolétariat est dans une situation précaire. Chez SIP (télécommunication), 20.000 travailleurs sont en CDD ou au noir!

Néanmoins la gauche  » officielle  » et les patrons attaquent les BR dès le départ, et les diffamations sont nombreuses. De faux attentats signés  » BR  » sont effectués, et la répression fut grande. Cela, et les affrontements entre manifestants et la police à Milan lors de la manifestation du 9 mars 1972, poussent les BR à passer dans la clandestinité totale.

 » Ce fut l’offensive du pouvoir mené le deux mai contre l’organisation qui enleva tout doute au fait que la clandestinité soit une condition sine qua non à la survie d’une organisation politico-militaire opérant à l’intérieur des métropoles impérialistes « . Les brigadistes attaquèrent alors des banques et organisèrent de nouvelles  » colonnes « .

Le 26.11 et le 17.12.1972, ils/elles incendient les voitures des responsables de la sécurité et de la surveillance de chez FIAT à Turin. Le 11 janvier 73 ils/elles pillent un bureau du syndicat fasciste la CISNAL à Turin également, et le 15.1.73 à Milan le bureau d’une union d’entreprises liée à la démocratie-chrétienne.

L’hiver fut rude: affrontements très violents de manifestants contre la police à l’occasion d’une réunion du parti fasciste le  » MSI « , et licenciements massifs à la FIAT de Turin où presque 200 000 travailleurs se sont mis en grève.

Le 12.2.73 les BR enlèvent alors Bruno Labate, secrétaire de la CISNAL de Turin, et l’enchaînent dans l’usine avec un panneau rempli de slogans, ce après l’avoir interrogé pendant quatre heures. Pas un seul ouvrier rentrant dans l’usine ne le libérera.

En mars 73, à la FIAT de Mirafiori, l’usine fut occupée et défendue une semaine par les travailleurs contre la police et les fascistes.

C’est ce qu’on a appelé le  » parti de Mirafiori « , le mouvement offensif et spontané des travailleurs. Mais avec les accords passés par les syndicats la tension retomba. Les BR répondirent à cette dépendance ouvrière par un papier théorique, à nouveau sous la forme d’un auto-interview.

A l’opposé, une frange spontanéiste se développe au sein du mouvement pour l’autonomie ouvrière, et refuse le principe d’une organisation d’avant-garde menant la lutte armée.

7.La multiplication des BR (1973-1974)

Pour les BR les prolétaires veulent mettre à bas la bourgeoisie, mais ne savent pas comment. Il s’agit de résoudre cette contradiction par trois lignes d’offensive:  » guerre au fascisme; résistance dans les usines; résistance contre la militarisation du régime « .

De son côté le système met en avant la  » repubblica conciliare « , la république de la conciliation. Les brigadistes tentent dans cette période de toucher la base du P.C.I. qui, si elle est sincère,  » comprendra certainement quel choix il faudra faire  » pour la prise du pouvoir. La direction du P.C.I., qui développe le compromis historique, est par contre considérée comme ennemie.

Le mouvement de masse est lui énorme : autoréductions massives dans les supermarchés à Naples, Milan, Rome, mais également du téléphone, du gaz, de l’électricité… Occupations de logements vides, sabotages des téléphones des quartiers bourgeois, aides des médecins et des infirmierEs à l’avortement…

Il faut dire qu’en 1973/1974, le loyer prend 50% des salaires ; il y a 10 à 60.000 familles sans logement par ville. Il y a 11.413 cas de typhus, 278 de choléra, 40.000 hépatites, 3.000 méningites, 73.000 mortEs par maladies infectieuses (seulement 12.489 reconnuEs comme tel). 4.000 communes sont sans eau, 2.000 sans canalisation, un million de personnes vivent dans des baraquements, la mortalité infantile est de 50 pour 1.000.

Des boycotts s’organisent, rassemblant de 50 à 100.000 personnes par million de payeurs/payeuses (le prix au Kw est 6 fois plus cher que pour les entreprises).

Le grand mouvement de contestation dura deux années, afin de se ralentir, mais a bouleversé le paysage politique révolutionnaire, d’autant plus que les femmes s’investissent énormément (un référendum autorise d’ailleurs le divorce).

Le groupe d’extrême-gauche  » lotta continua  » disparaît peu à peu, son réformisme n’ayant plus cours.

Potere Operaio, mouvement fondateur du principe d’autonomie de la classe ouvrière, se dissout également, de manière spontanéiste, contribuant à la naissance de l’autonomia operaia., l’autonomie ouvrière dite  » autonomie organisée « , qui coexiste avec l’autonomie en général (revues  » Viola « ,  » Désir « ,  » Neg/azione « ,  » A/traverso « ,  » Zut « …).

Les NAP, noyaux armés prolétaires, se forment dans les prisons, et mènent des actions conjointement avec les BR.

Le 28 juin 73 Michele Mincuzzi, ingénieur de chez Alfa Roméo, est enlevé, interrogé puis libéré. Ici ce sont encore les cadences qui sont attaquées. Le 10.12.73 c’est le chef du personnel de FIAT qui est enlevé.

Ettore Amerio, directeur du personnel de la FIAT, est également enlevé.

La convergence patronat / syndicat / PCI est ici attaquée de plein fouet. Les BR le gardent huit jours et émettent des revendications très précises (réintégrations des licenciés, dévoilement des indics, informations dans la presse quant à l’action, etc.).

Le futur maire de Turin parle alors des BR comme de  » personnes cliniquement malades et droguées « , le journal l’Avanti parle de  » néo-fascistes  » et les trotskystes, toujours à la pointe de l’anticommunisme, affirment qu’il s’agit d’un  » complot des services secrets « .

Après cette phase caractérisée par la propagande armée, considérée par les BR comme un  » début « , la lutte sur le terrain de l’usine cède la place à l’attaque contre l’Etat. L’attaque au cœur de l’Etat doit être au niveau de l’antagonisme prolétaire.

De fait, début 74, les BR se sont élargies aux villes industrielles. Les groupes les plus forts sont:

o la colonne milanaise, avec ses trois brigades (Sit siemens, Alfa Roméo, Pirelli),
o la colonne Vénétie, avec des brigades à Padoue et Porto Maghera,
o la colonne turinoise chez FIAT dans les sections Meccanica, rivalta, presse et lingotto,
o la colonne de Gênes, avec au moins une brigade.

Les BR sont en grande majorité composées d’ouvriers, ce qui ne les empêchent pas de développer des analyses extrêmement poussées des phénomènes modernes (informatisation, militarisation…). Le prestige de l’organisation est très grand.

Le 18 avril 74, le jour où Agnelli est nommé patron des patrons, les BR mettent en pratique le slogan  » Sossi, fasciste, tu es le premier sur la liste ! « . Elles enlèvent à Gênes le procureur Mario Sosssi, et rend public le document intitulé  » Contre le néo-gaullisme, mener l’attaque au coeur de l’Etat! « , où les restructurations étatiques sont considérées comme la cible n°1.

La résistance doit, selon les BR, passer à un niveau stratégique. Sossi est libéré en l’échange de la promesse de libération de prisonniers. Libération qui n’est pas faite, au lieu de cela la police écrase par les forces armées les révoltes dans les prisons (six morts).

Le 28 mai 74 les fascistes font un attentat à une réunion syndicale. Les brigadistes réagissent en attaquant le 17 juin 74 un bureau du MSI. Il y aura deux morts, sans que les BR l’aient initialement voulu.

Cet  » incidente sul lavoro « ,  » accident  » lors du travail effectué, ne pose pas vraiment de problèmes de conscience, même s’il ne s’agissait pas de dirigeants.

Le 1er octobre les Noyaux Armés Prolétaires (NAP) font sauter des mur des prisons de Poggioreali, Rebibbia et S. Vittore, et laissent des magnétophones munis de hauts-parleurs:

 » Attention ! Restez à l’écart, cet équipement et cet endroit sont minés et exploseront à la moindre tentative d’interrompre cette communication.

Camarades prisonnières et prisonniers en taule, cette communications vous est destinée par les Noyaux Armés Prolétaires, qui se sont formés clandestinement en-dehors des prisons, afin de continuer la lutte des prisonniers contre le camp de l’Etat bourgeois et de sa justice. C’est un appel à la reprise des luttes dans les prisons, qui nous ont uni avec le prolétariat de 1969 à aujourd’hui.

Contre le capitalisme violent des entrepreneurs, contre l’Etat des entrepreneurs et son gouvernement.
La réponse de l’Etat bourgeois à 5 ans de dures luttes a été la répression grandissante et une série de mesures fascistes comme le doublement des détentions préventives, et le creusement définitif de la réforme des prisons, qui est tellement prisée la propagande du gouvernement.

Le doublement de la durée est supportée par la peau de notre couche prolétarienne, avec l’active participation des révisionnistes. Maintenant et venu le moment de montrer que nous ne laisserons aucun répit à l’application de cela ; que notre volonté et notre capacité de lutter n’a malgré tout pas disparu, et qu’en-dehors des prisons les noyaux armés prolétaires sont nés pour cela : soutenir et être au côté des luttes des prisonniers, répondre aux meurtres et aux bains de sang et à la répression de l’Etat.

Camarades prisonniers prolétaires, pour nos droits, contre la violence de l’Etat dans les prisons, les usines, les quartiers, les écoles et les casernes, contre le renforcement de la répression, révolte générale dans les taules !

Nous refusons la manière de vivre à laquelle nous force la bourgeoisie au moyen de l’exploitation, de la misère et de l’oppression.

Nous refusons d’être plus longtemps l’alibi pour les structures policières anti-prolétariennes de l’Etat. Camarades, la répression contre nous apporte de l’aide et perfectionne le fascisme des lois de l’Etat, confirme que le pouvoir écrase de ses pieds les droits des prolétaires les plus faibles et se prépare à ainsi à écraser et pulvériser la liberté de tout le prolétariat.

Nous n’avons pas le choix : ou alors se rebeller, et lutter, ou mourir lentement dans les camps, les ghettos, dans les asiles, auxquelles nous force la société bourgeoise, de la manière violente. Contre l’Etat bourgeois, pour son renversement, pour notre contribution au processus révolutionnaire du prolétariat, pour le communisme.

Révolte générale dans les prisons et lutte armée des noyaux à l’extérieur !

Révolte et lutte armée comme refus de tolérer la répression, qui devient un génocide social permanent de notre couche prolétarienne. Révolte et lutte armée contre l’existence des prisons, et comme réponse à des dizaines d’années de torture, à des centaines de meurtres, qui sont faits sans peur de punition par les bourreaux du système dans les prisons, les asiles, les maisons de redressement.

Les Noyaux Armés Prolétaires ont comme centre des camarades qui ont supporté la taule, avec une expérience combattante et politique. Ils l’ont supporté comme nous, camarades, couchés de force dans les quartiers d’isolement, ils ont supporté les mauvais traitements des geôliers et les tortures des prisons psychiatriques, et ils n’ont pas oublié !

Camarades prisonniers, les crimes des larbins de l’Etat qui torturent ne seront plus impunis : aux bourreaux fascistes, aux exécuteurs de la répression des taules et des asiles, nous ferons le procès, ils seront condamnés selon la justice prolétarienne.

Contre toutes les violences qu’endurent les prolétaires emprisonnés, nous devons répondre avec le seul slogan de classe dans toutes les situations d’oppression et d’exploitation du prolétariat : la reprise de notre lutte de masse ! Hors des taules ceux qui luttent pour le communisme, pour les riches les cloaques.

Contre le fascisme de l’Etat, la violence organisée du prolétariat emprisonné !

Camarades, n’oubliez pas que les fascistes sont les mêmes porcs qui réclament avec acharnement le rétablissement de la peine de mort, la revalorisation générale des peines de leur infâme code pénal, des traitements durs dans les taules, et ils font toujours les premières propositions les plus réactionnaires et liberticides.

Camarades, n’oubliez pas cela chez ceux qui sont proches de vous, isolé, et tapez les fascistes, et souvenez-vous que nos bourreaux sont aussi les matons, la police, les vigiles et les capitalistes.

Camarades prisonniers, dans cette phase de la lutte de tout le prolétariat contre le pouvoir bourgeois, qui tente de réaliser sa plus haute tentative réactionnaire et anti-prolétaire, dans la mesure où il entreprend une attaque à la base des conditions de vie et des libertés prolétaires dans les usines et les quartiers d’habitation, dans le cadre d’une crise économique et politique de l’impérialisme mondial, dans la mesure où le chômage s’accroît, où la répression et la police se renforcent, et en conséquence le nombre de prolétaires emprisonnés s’agrandit.

Cela, notre cadre de lutte, signifie l’unité avec la lutte de tout le prolétariat, et propose de chercher une relation avec un pouvoir victorieux et une stratégie qui voit la classe ouvrière à la tête de la confrontation de toutes les couches du prolétariat.

Notre plate-forme vise la poursuite de ces buts :
Lutter contre les lois fascistes comme moment d’unité politique du prolétariat contre un instrument de pouvoir à la base comme conditionnement oppresseur ;

Lutter pour la démocratisation interne des prisons et pour l’application de réformes radicales qui considèrent le système en entier, la possibilité réelle et effective d’user de ses droits politiques et humains inaliènables que la plate-forme a cité.
Autogestion, démocratisation, comme aboutissement capable de développement de notre lutte pour les masses emprisonnées, qui ne peuvent passer que dans une pratique de lutte de masses amorphes et instrumentalisables à des masses conscientes de leur droits et devoirs de classe par rapport au processus révolutionnaire général.
Nos buts immédiats sont :

Abolition des prisons psychiatriques, qui sont de véritables camps nazis et une vengeance terroriste sur les prolétaires emprisonnés ;

Abolition des camps de redressement, lieux d’origine de la violence contre la jeunesse prolétaire, qui par leur programme assure au pouvoir bourgeois la continuité de cette délinquance dont elle a à tout prix besoin pour justifier l’appareil policier et la justice d’Etat ;

Amnistie générale et sans conditions sauf pour la mafia et les bourreaux nazis, comme petit adoucissement des dommages subis avec les lois fascistes ;

Abolition immédiate de la notion de  » récidiviste  » ;

Mise en place d’une commission non-parlementaire par des camarades meneurs de luttes d’usine et de quartier, afin d’enquêter sur les tortures, les mauvais traitements et les meurtres qui ont été commis dans les taules et qui continuent à être commis ;

La vérité sur les camarades exécutés à Florence, et sur le bain de sang que le pouvoir a ordonné à ses bourreaux à Alessandria.

Camarades, pour la poursuite de ces buts, les Noyaux Armés Prolétaires contribuent dehors par des actions, qui sont toujours plus nécessaires. Ces actions de propagande pour les luttes ont été mené par un noyau externe du mouvement des prisonniers.

Vive le communisme !
Vive la lutte des prisonniers ! « .


Le 14 octobre 74 la police procède à des arrestations dans les BR grâce à un infiltré (permis par sa  » publicité  » dans la presse qui l’a fait passé pour un militant internationaliste).

Le 25 octobre les NAP pillent le siège de l’union des employeurs chrétiens-démocrates.

Le 29, Luca Mantini et Sergio Romeo sont tués dans une attaque de banque à Florence. Deux militants sont grièvement blessés et arrêtés, un camarade s’enfuit. La police, au courant de l’opération, avait préparé un piége pour liquider les militantEs.

Le 30 octobre 4 sympathisants sont arrêtés.
Alors que jusqu’en février 75 les BR ne mènent plus que de petites actions, à cause de la répression, les NAP continuent, en pillant par exemple le 20 décembre le siège de la Démocratie-Chrétienne à Naples.

8.1975-1978 : apogée de l’autonomie ouvrière et maturation des BR

Le 6 février les NAP détruisent la voiture du magistrat De Matteo, responsable d’une proposition de loi sur la détention.

Le 18 février 75 les BR lancent un commando, mené par Mara Cagol, une membre du noyau historique, contre la prison de Casale Monferrato. Renate Curcio, autre membre historique, est notamment libéré.

Suit une  » résolution stratégique  » , qui définit l’Etat comme  » Etat impérialiste des multinationales « , et qui montre le rôle central de la DC (démocratie-chrétienne).
La gauche est comprise comme  » gauche du capital « , le système est considéré comme un nouveau fascisme, propre à la période impérialiste.

Pour les BR, le mouvement autonome, qui se développe parallèlement, est insuffisant car seulement légal ou semi-légal. Il est temps selon elles de rompre les liens entre la classe ouvrière et les organisations institutionnelles, d’attaquer la DC comme centre de la réaction, de frapper l’Etat dans ses points faibles. L’Etat réagit vivement.

Les perquisitions sont facilitées par de nouvelles lois et les policiers obtiennent le droit de tuer quasi légalement  » dans l’exercice de leurs fonctions « . Ce qui amena un nombre considérable de tués chez les jeunes  » voleurs « , ou encore des  » passants  » à proximité des manifs.

Le 23 février les NAP attaquent un poste de police. Un militant est arrêté.

Deux camarades s’évadent de la prison de Murate (Florence) mais sont repris deux semaines plus tard (prenant au passage 3 et 4 ans de prison pour évasion).

Le 11 mars, Vitaliano Principe meurt dans l’explosion de sa bombe, Gentile Schiavone est grièvement blessé mais interrogé pendant 14 heures.

En avril c’est une grande répression contre les NAP. En prison un militant est blessé par un fasciste et tous les témoins mis en isolement. Le 22 le magistrat Di Gennaro, membre de la cour de cassation et du service de recherche sur la prévention et les peines au ministère de la justice, est enlevé par les NAP.

Après avoir fait croire pendant quelques jours à une histoire amoureuse, l’Etat accorde les revendications des NAP, à savoir celles de trois militants barricadés dans une prison après une tentative d’évasion, ainsi que le passage d’un communiqué à la télévision, à la radio (cela sera fait à 7H25 du matin) et dans la presse.

Libéré, Di Gennaro ne collabore pas avec les carabinieri, qui font sauter sa voiture devant sa maison (pour  » raisons de sécurité « ).

Il donne des interviews où il explique que la lutte armée a des causes politiques et sociales. Il participera néanmoins par la suite à la répression, notamment lors de l’écrasement de la révolte de la prison de Trani.
Le mois d’avril 1975 est également celui de l’apogée de l’autonomia operaia, qui est présente de manière organisée dans la rue pendant une semaine.

Les affrontements avec les fascistes et les carabinieri font 4 mortEs à gauche.

En avril 1975 paraît également une résolution de la direction stratégique des BR. L’objectif central y est expliqué :

 » Rompre les liens corporatistes entre la classe dirigeante industrielle et les organisations de travailleurs ;

Briser la DC, centre politique d’organisation de la réaction et du terrorisme ;

Frapper l’Etat dans ses maillons les plus faibles « .

Les BR affirment que  » la DC n’est pas seulement un parti, mais aussi l’âme noire d’un régime qui depuis 30 ans opprime les masses ouvrières du pays. Déclarer la nécessité d’abattre le régime et proposer dans les faits un compromis ‘historique’ avec la DC n’a pas de sens. Bavarder sur le moyen de la ‘réformer’ en a encore moins. Il faut liquider, battre et disperser la démocratie-chrétienne « .

Et sur la guérilla urbaine :

 » A notre avis, on doit affronter la question à partir de la couche de classe qui plus que tout autre subit l’intensification de l’exploitation due aux projets de restructuration capitaliste et impérialiste.

La théorie révolutionnaire, c’est la théorie des besoins politico-militaires de  » libération  » de cette couche de classe.

Elle seule en fait exprime en puissance, sinon en conscience (qui signifie  » organisation « ) l’universalité des intérêts de classe.

C’est seulement autour de ses besoins que peuvent être organisés et assumés les besoins des couches sociales marginalisées par le processus de restructuration et que peuvent être battues les résolutions révisionnistes, réformistes ou corporatives de cette partie de la classe ouvrière qui trouve un avantage, même moindre, dans le renforcement du système de domination impérialiste.

La guérilla urbaine joue un rôle décisif dans l’action de désarticulation politique du régime et de l’Etat. Elle atteint directement l’ennemi et fraye un chemin au mouvement de résistance. C’est dans la guérilla que se constitue et s’articule le mouvement de résistance et le terrain de l’autonomie, et non le contraire.

Elargir ce terrain signifie en premier lieu développer l’organisation de la guérilla, sa capacité politique et militaire.
Toutes les positions qui considèrent la croissance de la guérilla comme une conséquence du développement terrain légal ou semi-légal de  » l’autonomie  » sont fausses. Il est nécessaire de faire la lumière sur ce point.

Dans ce qui est défini comme  » terrain de l’autonomie  » s’entassent des positions très diverses. Certains, qui situent leur place dans la lutte des classes par la voie  » subjective « , se reconnaissent comme faisant partie de ce terrain, plus pour lui imposer ses problèmes et ses besoins, c’est-à-dire pour le  » récupérer « , si bien qu’ils expriment, aujourd’hui, une interprétation très partiale et surtout sectorielle de ses besoins.

A leur source, ils ont constitué un facteur décisif dans le processus de dépassement de  » l’esprit de chapelle « , mais aujourd’hui ils risquent de finir eux-mêmes dans le cul-de-sac de ce processus.

C’est le  » fétichisme de la légalité  » qui prédispose à ce danger, c’est-à-dire l’incapacité à sortir de la fausse opposition entre  » légalité et illégalité « . En d’autres termes, les assemblées autonomes ne réussissent pas à poser le problème de l’organisation à partir des besoins politiques, et finissent ainsi par les délimiter dans le type d’organisations légales existantes.

Ce qui correspond à couper le pied pour le faire entrer dans la chaussure !

Certains, plus conscients de la contradiction où ils se débattent, arrivent à admettre un dualisme d’organisation et ainsi à de nouveau proposer l’improposable théorie du  » bras armé « , dans la vieille logique de faillite de la IIIème Internationale.

Mais, dans cette nouvelle situation, sous peine d’extinction de leur fonction révolutionnaire, ils doivent faire un saut dialectique s’ils veulent rester fidèle à l’engagement fondamental d’organiser sur le terrain de la guerre de classe l’opposition de la couche  » objectivement  » révolutionnaire.
En-dehors de cette perspective, il n’y a que conceptions minoritaires ou inféodés au révisionnisme.

La guérilla urbaine organise le  » noyau stratégique  » du mouvement de classe, pas le bras armé. Dans la guérilla urbaine, il n’y a pas contradiction entre penser et agir militairement et donner la première place à la politique. Celle-ci développe son initiative révolutionnaire selon une ligne de masse politico-militaire.

Pour la guérilla, ligne de masse ne veut pas dire, comme quelqu’un l’a mal compris,  » organiser le mouvement de masse sur le terrain de la lutte armée « , tout au moins pas pour le moment.

Dans l’immédiat, l’aspect fondamental du problème reste la construction du  » Parti Combattant  » comme interprète des besoins politiques et militaires de la couche de classe  » objectivement  » révolutionnaire, et l’articulation des organismes de combat au niveau de classe sur les divers front de la guerre révolutionnaire.

La différence n’est pas sans importance, et cela vaut la peine de l’expliquer, car elle cache une divergence sur une question primordiale : l’organisation.

Cette divergence réside dans le fait que la première thèse aplanit jusqu’à la faire disparaître l’organisation du  » mouvement  » qui, dans le même temps, gonfle jusqu’à atteindre des dimensions mythiques ; la seconde conçoit organisation et mouvement en tant que réalités nettement distinctes en perpétuelle discussion.

Le parti combattant est un parti de cadres combattants. C’est donc une unité avancée et armée de la classe ouvrière, par conséquent distincte et en même temps partie intégrante de celle-ci.

Le mouvement est une réalité complexe et hétérogène où de multiples niveaux de conscience coexistent et se combattent. Il est impensable, et impossible d' » organiser  » cette multiplicité de niveaux de conscience  » sur le terrain de la lutte armée « .

Parce que ce terrain, bien qu’étant stratégique, n’est pas encore le principal, parce que le noyau que constitue le parti combattant, c’est-à-dire les BR, n’a certainement pas mûri les capacités politiques, militaires et d’organisation, nécessaires à son objectif.

Il ne s’agit pas d' » organiser le mouvement de masse sur le terrain de la lutte armée « , mais d’enraciner l’organisation de la lutte armée et la conscience politique de sa nécessité historique, dans le mouvement de classe « .

Le 15 mai 75, à Mestre près de Venise, les BR pillent le bureau de la DC; à Turin elles mettent le feu à plusieurs voitures de syndicalistes de la CISNAL; à Milan elles attaquent un bureau de l’iniziativa democratica (organisation de l’aile droite de la DC), où un responsable de ce groupe est jambisé.

Les BR préviennent: elles liquideront la DC et vont  » alzare la tiro « , serrer la vis contre la DC,  » moteur de la contre-révolution « .
En juin 75 c’est l’enlèvement de l’industriel Vittorio Gancia; les policiers découvrent la cache et interviennent, liquidant à bout portant Mara Cagol.

De mai à septembre de nombreuses arrestations ont lieu, dont l’ensemble du noyau historique.

En juillet Anna Maria Mantini des NAP se fait exécuter lors de son  » arrestation « .

Le 17 octobre 75 les BR jambisent Luigi Salera, médecin chez FIAT participant aux licenciements, puis enlèvent des dirigeants de Singer le 21 ainsi que le chef du personnel de Ansaldo Meccanico à Gênes le 22. Les BR attaquent également des banques: le 14 juillet 75 la banca populare de Lonigo, le 8 octobre la filiale de la Cassa di Risparmio à Gênes. Le 21 octobre c’est un dirigeant de l’usine de Singer qui est enlevé.

L’année 1976 est marquée par l’explosion du mouvement de la jeunesse. Des centres de jeunesse apparaissent, ainsi que de grands festivals (comme celui de parco lambro) où les jeunes vont par dizaines de milliers, pratiquant sur place la  » spesa proletaria  » dans les supermarchés.

Des rondes prolétaires, menées par des  » circoli proletari giovanili  » sont menées contre les entreprises.

Les jeunes quittent de plus en plus la campagne au profit de la ville, et s’affrontent à la culture ambiante et aux institutions. C’est également l’explosion des radios libres, l’apparition d’un nouveau langage, opposée à la culture de l’ouvrier-masse.

L’autonomia operaia analyse cela comme  » le besoin de communisme « , et s’éloigne de plus en plus de la lutte révolutionnaire contre l’Etat.

L’affaiblissement de la lutte ouvrière des très grandes usines à cause de la mobilité pousse l’autonomia operaia (aut.op.) à expliquer la situation autrement, et l’un de ses principaux théoriciens, Toni Negri, explique que la  » révolution est déjà faite « , que la  » pluralité des sujets  » révolutionnaires est positive, car les travailleurs sociaux doivent s’exprimer différemment que dans le capitalisme.

C’est la ligne des  » freaks « , c’est-à-dire de la marginalité comme  » espace révolutionnaire « , que les flics s’empressent de casser par la diffusion massive d’héroïne et l’étranglement de l’approvisionnement en drogues douces.

Seule l’autonomia organizatta (Rome, Padoue, Milan…) tente de maintenir les liens au sein du mouvement autonome, mais c’est globalement l’échec, à part pour un temps et dans un sens armé avec les CoCoRi (Comitati Comunisti Rivoluzionari) ou le Movimento Comunista Organizzato (MCO), issu du Colletici Politici del Veneto per il Potere Operaio (CPV), lui-même issu de Potere Operaio, qui eux aussi succombent à la répression en raison de leur caractère semi-légal.

Le mouvement de l’autonomie ouvrière part dans tous les sens, perdant toute cohérence, à l’opposé des BR qui se présentent comme le seul courant réellement révolutionnaire.
Le 14 avril 76 un dirigeant de FIAT Mirafiori est jambisé, le 28 avril un bureau patronal est pillé à Gênes.

Le 8 juin 76, les BR exécutent Francesco Coco, qui dirige le premier procès contre des brigadistes ainsi que la répression dans les prisons. Les brigadistes sont regroupés dans des cages lors des procès qui se veulent une démonstration de force du système. Cette exécution est considéré comme  » un saut dans la guerre de classe « .

Les BR attaquent au cœur de l’Etat. Le 7 octobre 1976 les NAP jambisent un maton de la prison de S. Vittore (Cosimo Ventich,  » ami et protecteur des mafiosi, protégé par le directeur de l’établissement « ). Le 8 une entreprise exploitant les prisonniers est attaquée.

En décembre 76 le brigadiste Walter Alasia est tué à bout portant.

Le 12 janvier 77 les BR enlèvent l’industriel Pietro Costa, qui est libéré au bout de 81 jours. Le 18 le directeur du personnel de FIAT Turin est jambisé. Le 29 ce sont les NAP qui jambisent le juge Pietro Margariti, qui est d’après le Corriere  » l’homme le plus haï des 32.000 prisonniers italiens « , le responsable du placement dans les  » prisons de l’horreur  » et celui qui couvre les attaques contre les prisonniers communistes.

Il y a également le même mois les occupations des facultés de Palermo, Sassari, Salerno et Napoli.

Le 9 février les NAP exécutent le meurtrier d’Anna Maria Mantini. Les flics et les fascistes attaquent la fac de Rome, tirant sur de nombreux étudiantEs. Un mouvement se lance et s’élargit, quasiment toutes les facs sont occupées par des précaires, des étudiants, des chômeurs.

Le chef du syndicat CGIL, Lama, arrive avec 1.000 militantEs du PCI pour tenir un discours à la fac de Rome : ils sont accueillis par 10.000 révolutionnaires qui les chassent manu militari. La fac est vidée le jour même par la police qui occupe de nombreux quartiers. La mobilisation culturelle est énorme à Bologne, Rome et Naples.

En mars 77, des combats de rue ont lieu dans toutes les grandes villes. Le 11, l’étudiant Francesco Bruno se prend des balles dans le dos, la manif nationale tourne à l’émeute, les magasins, les supermarchés et les armureries sont pillés.

Le 12 mars à Rome 100.000 manifestantEs extrêmement bien organiséEs brisent les cordons policiers et défilent une journée (des armes sont distribuées puis reprises).

Mais le soir, la pression retombe, les tanks sont présent dans les manifs suivantes, et l’autonomia operaia s’écroule définitivement à son congrès de Bologne en octobre 1977.

Pour les autonomes, il n’y alors plus le choix et il s’agit d’opérer un saut qualitatif.

Se forme ainsi par exemple le groupe  » Action Révolutionnaire « , influencé par la RAF et le situationnisme, et actif dans diverses régions (Lombardie, Piémont, Toscane, Ligurie), qui ne durera que jusqu’en 1979 où ses restes rejoignent Prima Linea, comme le feront certainEs des Prolétaires Armés pour le Communisme (PAC, 1977-1979) (les autres formant les  » Rapinatori Comunista  » !).

Ou encore les Unités Communistes Combattantes, qui dureront jusqu’en 1979, les Squadre Proletarie di Combattimento per l’Esercito di Liberazione Comunista (Equipes Prolétariennes de Combat pour l’Armée de Libération Communiste) jusqu’en 1978, les Noyaux Communistes Territoriaux et les Reparti Comunisti d’Attaco jusqu’en 1980.

Prima Linea, fondée en 1976, est la véritable guérilla de l’autonomie organisée. Elle s’est formée pour appuyer les luttes.  » Première ligne  » est issue des courants de Lotta Continua qui prônaient l’armement de masse, ainsi que de militantEs de Potere Operaio. Prima Linea (PL) n’est en tant que tel pas réellement un nouveau groupe combattant, mais une sorte d’agglomération de différents groupes.

Le sigle apparaît en tant que tel le 29 avril 1976, lorsque est exécuté Enrico Pedenovi, conseiller provincial du parti fasciste le MSI. Le premier congrès de PL se tient en avril 1977 à San Michele a Torri, avec des représentants des villes de Milan, Bergamo, Florence, Turin et Milan.

Les BR deviennent le point de confluence des groupes les plus avancés ; les rejoignent ainsi la  » Brigate d’Assalto Dante di Nanni « , responsable de nombreuses attaques armées, mais aussi la  » Brigate Proletaria Erminio Ferretto en 1974, beaucoup de membres des Formations Communistes Armés en 1975, ou encore des Noyaux Communistes.

Le 1er mars les NAP et les BR agissent en commun contre des casernes de carabinieri à Milan, Turin, Naples, Florence, Rome, Pise.

Le 5 mars dans la prison de Poggioreale 10 militants des NAP se barricadent après une tentative ratée d’évasion. Ils réclament la diffusion d’un communiqué, et libèrent les otages 12 heures après, leur demande de déplacement ayant été accepté. Leur procès est fait le 12 mars, trois prisonniers dénoncent la torture subie. Les prisonniers prennent deux ans en plus chacun, une voiture piégée explose devant le tribunal.

Le 12 mars toujours, à la suite d’affrontements de manifestants avec la police, un bâtiment de la DC est attaqué à Rome. En avril les BR incendient les voitures de politiciens de la DC et jambisent un chef de FIAT à Turin.

Le 28 avril 77 le président de la chambre des procureurs Croce est exécuté. Le 8 mai les NAP blessent grièvement le juge Dell Annua, notamment responsable du procès de l’exécution d’Anna Maria Mantini. Le 11 mai deux membres des NAP prennent 19 et 15 ans de prison.

Le 1er juin 77 le vice-directeur du journal de Gênes  » il secolo XIX  » est jambisé, le lendemain c’est au tour du fondateur d’il Giornale à Milan, Indro Montanelli, et enfin le 3 juin à Rome d’Emilio Rossi directeur de la rédaction des informations de la RAI.

Il y aura jusqu’en juillet 7 autres jambisations. Le 20 août 11 prisonniers des NAP s’évadent du camp de Lecce.

Il y a 5 jambisations en automne. Le 16 novembre à Turin les BR exécutent Carlo Casalegno, vice-président de la Stampa (qui fait partie de la presse contrôlée par Agnelli).

Le 22 novembre les NAP attaquent le chef antiterroriste Noce et son escorte. Le militant des NAP Zichitella est exécuté après l’action.

Début 78 d’autres jambisations sont menées, contre le chef de section de la FIAT de Turin, contre un responsable de la compagnie des téléphones à Rome, contre un responsable de Siemens à Milan, contre un fonctionnaire de la DC à Gênes.

Le 29 janvier deux militantes des NAP s’enfuient de la prison de Poggioreale de Naples, dont Franca Salerno (arrêté en été 1976 alors qu’elle était enceinte, son compagnon étant exécuté).

Le 16 février 78 un membre de la cour de cassation est exécuté par les BR. Le 10 mars c’est un officier des carabinieri qui est tué par les BR.

Le 16 c’est Aldo Moro qui est enlevé ; un dirigeant de prison et un dirigeant policier sont exécutés le même jour. Le 9 mai le cadavre d’Aldo Moro est retrouvé dans une voiture à mi-chemin des bâtiments centraux de la DC et du PCI. Par cette action les BR frappent au plus haut niveau. Elles visaient le  » compromis historique « , alliant le PCI et la Démocratie-Chrétienne.

La ligne était passé entre le 13ème (début 1972) et le 14ème (début 1974) congrès du PCI, et visait à la rationalisation de l’économie en 5 ans. En attaquant Moro les BR attaquent de front sa réalisation, ébranlent le système politique, et partant de là leurs propres structures.

9.L’attaque au cœur de l’Etat (1978/1979)

Il y a en 1978 au moins 638 actions armées révolutionnaires, dont 106 menées par les BR. Les autres groupes se comptent par centaines .

Il y a également une réorganisation qui se fait ; ainsi, Prima Linea et les Formations Communistes Combattantes créent un commandement national unifié. La lutte contre la répression est quasiment centrale ; est ainsi exécuté le 11 octobre 1978 à Naples Alfredo Paolella, responsable de l’anthropologie criminelle à la prison de Pozzuoli.

On notera également des actions contre des vendeurs d’héroïne, par le Movimento Proletario di Resistenza Offensiva – Nucleo Antieroina, qui prendra par la suite le nom de Guerriglia Comunista.

Mais  » l’attaque au coeur de l’Etat  » a mené les BR à un autre niveau de lutte, ouvrant de nouveaux espaces. Si de 1972 à 1977/78 les BR n’étaient qu’un groupe au sein d’un large mouvement social, l’écroulement du mouvement autonome en 77 faute de débouchés politiques pour les larges masses et l’ampleur de la répression contre toute la sphère légale fait que les BR deviennent centrales dans la lutte pour le communisme.

Les prisonniers brigadistes pourront ainsi dire en 1980 que  » la situation politique présente se trouve entre deux phases : nous ne sommes plus dans la phase de propagande armée, et pas encore dans celle de la guerre civile « .

Pour comprendre ces deux années, il faut comprendre ce qui se révélera en décembre 1980, avec la publication de  » l’Ape e il comunista « ,  » l’abeille et le communiste « , qui rassemble des  » Eléments pour la critique marxiste de l’économie politique et pour la construction du programme de transition au Communisme « .

Ce document, véritable pavé rassemblant les thèses brigadistes, a été écrit par un collectif de prisonniers, qui ne reflète qu’une tendance existante dans les BR alors, une tendance plus mouvementiste, plus guérillera.

Ainsi, les  » XX thèses finales  » mettent en avant les concepts de  » système de pouvoir rouge  » et d' » organismes de masse révolutionnaires  » que l’on retrouvera plus tard au centre du futur projet du Parti-Guérilla du Prolétariat Métropolitain.

Mais quoi qu’il en soit, au niveau stratégique pour les BR il s’agit désormais d’effectuer la tâche de  » destruction des forces politico-militaires de l’ennemi et de la conquête du pouvoir « .

Les BR catalysent à ce moment là l’essentiel de la guérilla. Les autres groupes ont échoué par incapacité théorique et technique. Ainsi les militantEs de Prima Linea -1ère ligne, guérilla issue et membre de l’autonomie- se font exécuter en plein jour par les forces de répression à cause de leur statut de semi-légalité. Quant à la direction arrêtée, elle brade tout ( » il n’est jamais trop tard pour sortir du communisme  » ira jusqu’à dire l’un d’eux).

Rien qu’en 78 les BR mènent 25 exécutions. Il y a également l’appui d’autres groupes pour les campagnes, comme les formations communistes combattantes, qui exécutent le procureur de Frosinone le 8 novembre 1978 et oscillent idéologiquement entre PL et les BR.

L’Etat joue alors intelligemment avec les  » pentiti « , les repentis, qui voient leur peine minimisée s’ils parlent. Patrizio Peci est le plus connu d’entre eux et responsable de nombreuses arrestations ; il est issu des PAIL (Proletari Armati in Lotta, 1973-1975), un groupe ayant rejoint les BR. L’Etat n’hésite pas à payer des opérations de chirurgie esthétique et à dépenser beaucoup d’argent pour défendre sa bourgeoisie.

C’est également en 1978 que les BR développent le thème du MPRO, le Mouvement Prolétaire de Résistance Offensive :  » Nous appelons MPRO l’aire du comportement de classe antagonique suscité par l’aggravation de la crise économique et politique ; l’aire des forces, des groupes et des noyaux révolutionnaires qui donnent un contenu politico-militaire à leur initiative de lutte anticapitaliste, anti-impérialiste, anti-révisionniste et pour le communisme « .

A partir de mars 79 les BR appellent  » à isoler les Berlingueristes [Berlinguer est le secrétaire du PCI] de la classe ouvrière, à les exclure, à les traiter comme les pires ennemis du prolétariat « .

De fait, le 24 janvier 79 les BR avaient exécuté un syndicaliste membre du PCI pour avoir dénoncé à la police un de leurs  » messagers « . Le PCI assume très bien son statut de contre-révolutionnaire et appelle à la défense de la république contre le  » terrorisme « .

Plus tard, une brigatista, Raffaelle Fiore, est arrêtée le 19 mars 79.

Le 18 juillet 1979 Prima Linea exécute le patron du bar Angelo de Turin, qui avait donné à la police des militantEs de PL immédiatement exécutés par la police (Barbara Azzaroni  » Carla  » et Matteo Caggegi  » Charlie « ).
Le 29 janvier 1979 PL avait également exécuté un juge spécialisé dans les structures des organisations révolutionnaires.

Les BR lancent ensuite une campagne contre la DC à l’occasion des élections parlementaires italiennes et européennes. Le 29 mars 79 un commando de la colonne romaine exécute un fonctionnaire de la DC et un haut représentant de FIAT.

Un policier est tué par la suite. Le 3 mai 79 un commando de 15 brigatisti pille à 10 heures du matin un siège de la DC, affrontant au passage quelques carabinieri.

L’Etat italien trouve alors une réponse tactique pour casser la résonance des BR, consistant en l’arrestation du théoricien de l’autonomie, Toni Negri, le plus grand critique des BR, pour l’accuser d’en être le chef.

L’Etat entend ainsi diviser le mouvement de masse, d’autant plus que les BR, n’ayant pas trouvé (ni pratiquement ni théoriquement) les moyens d’agir en terrain ouvert, sont forcément en retrait par rapport à ce nouveau processus.

En effet, pour une fraction de l’autonomie, les brigadistes ne sont pas des  » camarades se trompant tactiquement, mais des prolétaires se trompant stratégiquement « .

Les heurts entre ces autonomes anti-guérilla (et critiquant ainsi plus que non solidairement les autonomes pro-guérilla) et les BR se feront nombreux au fur et à mesure, et encore plus lorsque la répression tombe sur les anti-guérilla (à cause soi-disant des pro-guérilla).

L’arrestation le 7 avril 79 de Toni Negri et de 21 personnes de l’autonomia provoque donc plus que des remous entre partisans de la prise du pouvoir à la Lénine et défenseurs du  » travailleur social  » et des marginaux comme nouveaux sujets révolutionnaires.

Toni Negri ne démordra pas, et sera longtemps prof de fac à Paris VIII. Il trouve régulièrement un nouveau sujet révolutionnaire à chaque mouvement social, en 95 on a ainsi eu droit au « salarié bio-politique » (?!). Reparti en Italie, où ses livres sont disponibles partout depuis longtemps, il est arrêté, puis mis en semi-liberté.

La revue autonome  » Rosso « , issu du Gruppo Gramsci passé dans l’autonomie, explique les différences entre autonomes [anti-guérilla] et les BR:  » les autonomes sont pour le parti de Mirafiori, les br pour l’attaque au cœur de l’Etat « . En 1978 la rupture est consommée.

Après les élections, Prospero Gallinari, un membre important des BR, est arrêté après une fusillade le 24 septembre 79. Les BR sont quasiment les seules à mener des actions armées fin 79; seule existe encore la guerriglia diffusa, la guérilla diffuse des autonomes pro-guérilla mais non-organisés. 5 policiers sont tués ainsi que trois surveillants de prison.

Prima Linea,  » la  » guérilla autonome, développe son action. Entre autres, un gruppi di fuoco occupe une école de gestion de Turin, rassemble toutes les personnes dans une salle, choisit cinq responsables de FIAT et Olivetti et les cinq plus vieux étudiants, les font se mettre à genoux et tirent dans les jambes.

Un ingénieur de FIAT, responsable de la planification et de la logistique, est également exécuté.

Début 80, 5 brigadistes sont exécutés par les unités spéciales. Le 12 février 80 le vice-président de la plus grande association de la justice italienne est exécuté à Rome par les BR.

Le 5 février 1980 Prima Linea exécute un responsable d’Icmesa, une usine de Seveso responsable d’une grave pollution toxique.

Le 16 mars 80 c’est au tour du procureur en chef de Salerno, Nicola Giacumbi, exécuté par un groupe indépendant sous le nom de  » Brigades Rouges colonne Fabrizio Pelli  » (le groupe rejoignant par la suite, en prison, les BR).

Le 18 c’est le cas de Minervini, membre de la cour de cassation et fonctionnaire du ministère de la justice. Le 19 c’est Prima Linea, groupe de feu Valerio Tognini qui exécute le juge Guido Galli, expert de la contre-guérilla. Le 28 mars 80 à Gênes la police exécute les brigadistes Lorenzo Betassa, Piero Panciarelli, Anna Maria Ludmann, Riccardo Dura.

Le 1er avril 80 la colonne milanaise Walter Alasia va à une réunion électorale de la DC, choisit parmi les trente personnes présentes 7 fonctionnaires de la DC et les jambise. Après deux actions similaires à Rome la colonne Vénétie exécute à Mestre le 12 mai 80 un membre de la DIGOS (la police spéciale).

Le 29 avril 80 Roberto Sandolo de Prima Linea était arrêté à cause d’un leader de PL repenti, William Vaccher, qui sera exécuté par PL. Mais Sandolo se repent aussi et le dernier commando de PL est démantelé par le police.

Le 19 mai 1980 la colonne napolitaine exécute Pino Amato, conseiller municipal de la DC.

A Milan se forme un nouveau groupe, la Brigata XXVIII Marzo, du jour de l’exécution par la police de quatre camarades. Ce groupe revendique la jambisation le 7 mai 80 du rédacteur de la Repubblica. Le 29 mai le groupe exécute Tobagi, reporter de la Corriere della Serra, et président de l’association lombarde des journalistes. Les membres du groupe seront arrêtés en septembre.

En octobre 1980 est publié une nouvelle résolution stratégique.

Le  » prolétariat métropolitain  » y est clairement présenté comme le sujet révolutionnaire.

Le 12 décembre le juge Giovanni D’Urso est enlevé, la libération de prisonniers politiques exigée.

Le 28 décembre a lieu une révolte dans la prison spéciale de Trani, en soutien à l’action des BR. Le 30 la police intervient et torture les prisonniers.

Le 31 les BR exécutent en réponse le général carabinieri Galvagli, bras droit de Dalla Chiesa, responsable de la coordination des forces de sécurité et des prisons.

Pour les BR D’Urso est condamné à mort, mais décident de laisser les prisonniers décider. Ceux-ci demandent sa libération, ce qui est fait le 15 janvier 85, après la publication dans les journaux d’une interview des BR, du protocole du jugement fait par les BR et d’articles sur ce qui s’est passé à Trani.

10.1981 : les BR sont seules

1981, c’est l’année de la solitude pour les BR après l’échec définitif de la guerriglia diffusa, la  » guérilla diffuse « . Prima Linea n’a également pas tenu le choc ; des militantEs se sont dissociéEs, et les différents congrès de l’organisation n’arrivent pas à inverser la tendance.

Une partie rejoint les BR , une autre forme un  » pôle organisé « , finalement est formé le groupe des COLP,  » Comunisti Organizzati per la Liberazione Proletaria « .

Ne restent donc plus que les BR, qui s’appuient surtout sur:
o la colonne romaine,
o la colonne napolitaine,
o la colonne Vénétie,
o la colonne Walter Alasia de Milan.

Cette dernière a exécuté en automne 80 deux managers de chez Marelli & Falk, et pratique un  » réformisme armé « . Elle profite de l’arrivée de militants des NAPO (Nuclei Armati per Il Potere Operaio).

De multiples actions sont menées. En Janvier à Milan, la colonne Walter Alasia, qui prend de plus en plus le large avec la direction des BR, exécute le directeur du grand hôpital, la  » Policlinico « . Son mot d’ordre :  » construisons le Parti Communiste Combattant « . A Rome, les BR exécutent le général de gendarmerie Enrico Galvaligi. Le 7 avril, deux policiers sont tués.

Les BR lancent alors une offensive simultanée, qui va montrer les différentes conceptions des colonnes. L’offensive est générale, mais chaque colonne considère les choses selon son point de vue.

o La colonne napolitaine
Le 27 avril la colonne de Naples exécute l’escorte du député Cirillo et enlève celui-ci.

Responsable démocrate-chrétien de la région Campania, Cirillo se voit exiger de nouveaux logements et le paiement d’indemnités pour le tremblement de terre en Italie du sud de novembre 80. La colonne a ici comme stratégie d’élever le niveau de lutte des chômeurs et des sans-logis :  » contre la restructuration du marché du travail, soutenir les luttes du prolétariat marginal et illégal, et construire les organisme de masse révolutionnaire « .

La ligne de la colonne se veut clairement mouvementiste, et un document est même signé :  » Front des Prisons, Colonne de Naples. Pour le Communisme, Brigades Rouges « .

o La colonne Vénitie
Le 20 mai la colonne Vénétie enlève Talierco, directeur de l’usine Montedison de Mestre, par le commando  » Ana Maria Ludmann « . Il est considéré comme responsable des restructurations et des licenciements chez Montedison.

o La colonne milanaise
Le 1er juin la colonne Walter Alasia enlève l’ingénieur et directeur de l’organisation du travail chez Alfa-Roméo, Sandrucci, et exige l’abandon du licenciement prévu de 500 travailleurs de chez Alfa-Roméo.

Les documents publiés par les BR montrent une connaissance parfaite des restructurations, révélant par là même que les BR ont des sympathisants chez les cadres. Y sont analysés la situation de l’entreprise, le développement technologique, et constatés que la rationalisation de la production ne va pas dans le sens d’une humanisation, mais dans celle de l’intensification du travail salarié.

Le 30 octobre est arrêté le chef présumé de la colonne. Il a 25 ans, travaillait chez Alfa-Roméo depuis 1977, était délégué depuis 1979 ainsi que membre de la commission exécutive du Conseil d’Usine, et est passé en 1980 dans la clandestinité.

o La colonne romaine
Le 11 juin c’est la colonne romaine qui donne le ton, en enlevant et exécutant le frère de Patrizio Peci, Roberto, qui est lui-même un repenti (Patrizio Peci, arrêté en février 1980, étant le repenti ayant balancé le plus de noms à la police). Le 19 juin l’avocat de Patrizio Peci est jambisé. La colonne revendique les actions au nom du  » front des prisons ».

La colonne romaine est très proche de la ligne mouvementiste, en raison de son origine : elle provient notamment de deux groupes de la  » guérilla diffuse  » : les « Formations armées communistes « , créées en 1974 et les  » Unités Combattantes Communistes « .

Ce dernier groupe avait tenté en 1976, en enlevant un négociant de viande, de faire vendre 70 tonnes de viande à bas prix dans des quartiers prolétaires de Rome.

Les  » résultats  » diffèrent selon les colonnes.

Cirillo est ainsi libéré après la reconstruction des maisons et la distribution d’allocations chômage.

Le  » porc Talierco  » est par contre exécuté par la colonne Vénétie.

Sandrucci est lui libéré après 51 jours suite à une distribution de tracts brigadistes dans l’usine, la publication de l’interrogatoire de Sandrucci et l’abandon des licenciements.

Les positions au sein des BR commencent donc à devenir sérieusement divergentes. Les multiples activités sur le plan militaire ont amené à une dérive militariste.

En juillet, la colonne Walter Alasia de Milan publie ainsi un document de 21 feuillets où elle critique ce qu’elles considèrent comme des  » déviations  » au sein des BR. En automne c’est la colonne vénitienne qui éclate. La majorité conserve le nom de  » Anna Maria Ludmann  » et prépare l’enlèvement du général américain Dozier, conservant l’orientation générale.

Une partie rejoint elle les positions mouvementistes, qui aboutiront à la constitution du  » Parti-Guérilla  » et se prépare à attaquer la prison de Rovigo, d’où elle fera s’évader Suzanna Ronconi et trois autres militantes.

Une partie prend le nom de Colonne 2 août (en référence à des affrontements sanglants entre ouvriers et policiers à Porto-Marghera le 2 août 1970).

La scission se consomme alors définitivement, avec la publication de deux textes théoriques, représentatives des deux tendances principales existantes dans les BR.

Deux différentes  » Résolutions de la direction stratégique  » paraissent en décembre.

Celle de la minorité tout d’abord. Le document  » Crise, guerre et internationalisme prolétarien « , qui fait à peu près 300 pages, a été écrit par la  » Brigade de Palmi  » des BR, constituée du noyau historique emprisonné, notamment Renato Curcio.

Une nouvelle organisation se forme le 16 décembre 1981, se référant à la ligne de ce document : les Brigate Rosse – Partito Guerriglia del proletariato metropolitano (Brigades Rouges – Parti Guérilla du Prolétariat Métropolitain).

Les BR-PGPM sont principalement issues du fronte carceri (front des prisons) romain et napolitain ; le petit groupe  » potere proletario armato  » appuiera cette ligne.

Leur activiste principal est Giovanni Senzani, qui considère que le système a intégré la classe ouvrière et qu’il faut s’appuyer sur le  » proletariato extralegale « , prolétariat des travaux illégaux et au noir, pour former la guérilla, seule force libératrice dans les métropoles.


Les BR-PGPM considèrent que  » le mode de production capitaliste n’est plus régulé par la loi de la valeur-travail « , et qu’il faut donc  » déclencher la guerre sociale totale « . Le terme de Parti-Guérilla provient d’un communiqué des Brigades rouges du 4 avril 1971, distribué à l’usine Pirelli de Milan et repris dans le journal  » Nouvelle Résistance « , où est parlé de  » l’édification du Parti-Guérilla « .

La ligne majoritaire des BR est refusée et qualifiée de  » néo-révisionniste armée « . 

Le second document est intitulé  » Deux années de lutte politique  » et fait précisément 184 pages. Il sera joint au communiqué numéro 2 de l’enlèvement du général américain Dozier et retrace la lutte pour la ligne au sein des br.

La majorité des brigadistes, qui se reconnaît dans le texte, prend le nom de Brigate Rosse per la costruzione del partito comunista combattente (brigades rouges pour la construction du parti communiste combattant).

Le 17 janvier 1983, les BR-PCC publieront un texte décrivant leur stratégie générale, intitulé  » Replacer l’activité générale des masses au centre de l’Initiative « .

Elles partent du fait que de très graves problèmes internes ont désagrégé les BR :

 » A partir de 1980, chaque colonne de l’Organisation située dans les pôles métropolitains a affronté le problème de l’enracinement dans les situations en assumant certaines contradictions qui s’exprimaient localement, contradictions différentes d’une ville à une autre. Un plus grand enracinement et la désagrégation de la ligne politique sont allés de pair.

Privée d’une ligne politique qui saisisse la contradiction principale (celle entre mouvement de classe et pratiques de la bourgeoisie) et l’aspect principal de cette contradiction, c’est-à-dire le projet politique dominant dans une conjoncture donnée, privée donc d’une identité de ligne, de stratégie générale, mesurée sur la situation concrète, l’Organisation Brigades rouges a fini par assumer autant d’identités qu’il y avait de pôles principaux d’intervention. Les scissions de 1981 sont le couronnement organisationnel d’un processus de fragmentation politique en oeuvre depuis longtemps. »

Un autre document, intitulé  » Politique et révolution  » et écrit par des membres dirigeants des BR-PCC, résume la problématique des années 1979-1980, c’est-à-dire l’incapacité à assumer le dépassement de la phase de propagande armée, dépassement devant être une conséquence de l’offensive du printemps 1978.

L’option était alors de  » Frapper au cœur le projet de la bourgeoisie qui, avec la Démocratie Chrétienne et Moro, se proposait, par le biais du compromis historique avec le PCI, de pacifier le prolétariat et de vider les luttes de celui-ci de leur contenu « .

L’organisation communiste combattante devait alors se transformer en Parti, ce qui fut empêché par l’enracinement foncièrement local de chaque colonne brigadiste et l’absence d’unité conséquente à cela.

Les BR-PCC lancent alors une offensive, pour reprendre l’initiative.

Le 17 décembre la colonne Vénétie enlève à Vérone le chef de l’OTAN pour l’Europe méditerranéenne, le général US James Lee Dozier.

Cette action est dirigée contre le  » projet de guerre réalisée par l’OTAN, le plan économico- politico- militaire de la bourgeoisie impérialiste de préparation d’une troisième guerre mondiale « . La répression est organisée par l’Etat italien, la CIA, l’armée US et des experts de R.F.A.. Les arrestations sont très nombreuses, et pour se protéger les BR-PGPM coupent tous les ponts avec les BR-PCC.

11.La défaite de 1982

Le 3 janvier 82 la colonne deux août libère quatre brigadistes de prison ; les COLP et le Noyau des Communistes libèrent quatre prisonniers de PL.

A Rome Ennio di Roco et Stefane Petrella sont arrêtés et parlent sous la torture. Le 9 janvier 82 Giovanni Senzani, le leader du PGPM, est arrêté; fin janvier tout le centre de l’Italie est contrôlé et les arrestations sont légion.
Le 27 janvier 82 un brigadiste est arrêté, le 28 Dozier est libéré par les unités spéciales, les brigadistes Emanuela Frascella, Antonio Savasta, Cesare Di Leonardo, Emilia Libera et Giovanni Ciucci  » arrêtés « , torturés, puis officiellement arrêtés au bout de quelques jours. Seul Leonardo ne parle pas sous la torture.

Environ 1000 personnes eurent alors maille à partir avec la justice pour  » participation aux activités d’un groupe terroriste « .

A Rome, le vice-directeur de la police anti-terroriste de Rome est grièvement blessé.

A Rome, la colonne napolitaine (BR-PGPM) attaque une caserne dans le sud de la ville, s’emparant de 2 mortiers de 60, 2 lance-roquettes, 4 fusils-mitrailleurs, 20 fusils d’assaut et 6 pistolets-mitrailleurs.

Mais la situation est difficile. En trois mois, il y a eu plus de 200 arrestations de brigadistes ; près de 30 bases ont été découvertes. Et en mars, les BR-PCC annoncent l’ouverture d’une phase de retraite stratégique.

 » L’avant-garde doit apprendre à pratiquer la retraite stratégique, se retirer au sein des masses et construire parmi elles le système de pouvoir prolétaire armé « .  » Dans la retraite stratégique, l’avant-garde, en étroite dialectique avec les masses, prépare l’offensive « .

La défaite de l’action contre Dozier trouve sa source dans un  » écart entre les contenus des luttes « , c’est-à-dire le niveau de conscience de la classe, et le  » subjectivisme  » qui s’est développé dans l’organisation et a éloigné celle-ci de l’affrontement réel.

Le PGPM attaque alors violemment les br-pcc, considérées comme allant vers la reddition. La distance séparant les deux organisations se montrent dans l’attitude des prisonnierEs au procès Moro, en avril.

Les partisanEs du PGPM écrivent un  » communiqué n°1 « , signé:  » des militants du PGPM « , et appellent à  » reprendre l’offensive « , à travailler à la  » recomposition du prolétariat métropolitain dans la construction du système de pouvoir rouge « , à la  » redéfinition pratique d’un authentique internationalisme prolétarien « .

A l’opposé, les  » militants de l’Organisation Communiste Combattante Brigades Rouges pour la Construction du Parti Communiste Combattant  » écrivent un  » communiqué n°1  » qui défend la position de la retraite stratégique.
Dehors, la répression continue. 34 brigadistes du PGPM se font arrêter à Rome.

Francesco Lo Bianco, membre de la direction stratégique et dirigeant de la colonne génoise des BR, est également arrêté.

Cela porte à trois (avec Mario Moretti, Giovanni Senzani) le nombre des membres de la direction stratégique incarcérés.

Le PGPM accentue la pression. Il mitraille un car de police (trois blessé graves) devant le tribunal du procès Moro. La colonne napolitaine du PGPM exécute le conseiller régional démocrate-chrétien Raffaele Del Cogliano, délégué au travail.

A Rome, deux policiers sont exécutés et délestés de leurs armes. En juillet, c’est l’exécution d’Antonio Ammaturato, chef de la brigade mobile de Naples. A la prison de Trani, un repenti est tué, Ennio Di Rocco.

Les derniers groupes autres que les BR-PCC et le PGPM disparaissent au fur et à mesure. En avril c’est la défaite pour les NAC (Nuclei Armati Comunisti), issus des NAPO et qui menaient la lutte armée depuis 1980 ; en prison les prisonnierEs des NAC se rallieront aux BR-PCC.

En mai, la situation continue de se durcir. Le PGPM subit des arrestations : 3 à Rome, 5 à Naples.

Un chef de la colonne Toscane des BR, Umberto Catabiani, est tué au cours d’une fusillade avec la police anti-terroriste. A Rome, Marcello Capuano, dirigeant de la colonne Romaine du PGPM, est arrêté.

A Milan, un noyau armé de la colonne Walter Alasia perd un brigadiste dans un affrontement armé (il y a en plus deux brigadistes blessés et un policier tué).

En août, le groupe  » prima posizione  » exécute un carabinieri. Quelques jours plus tard, le PGPM lance un commando de dix brigadistes, dont trois femmes, attaquer un dépôt d’armes de l’armée de l’air dans la banlieue de Rome ( » volant  » en même temps une dizaine de fusils automatiques).

A Salerne c’est une caserne qui est attaquée. Quinze brigadistes, dont trois femmes, ouvrent le feu sur un convoi militaire : un policier est tué, deux blessés, deux militaires grièvement blessés. Le commando s’enfuit avec plusieurs armes automatiques.
En septembre un commando du PGPM vole quarante revolvers chez un armurier de Reggio de Calabre.

En octobre, un commando du PGPM exécute un carabinier, en blesse grièvement un autre et prennent leurs armes.
Cette dérive se cristallise dans une action discréditant totalement le PGPM : l’expropriation de la banque de Naples, à Turin. Deux vigiles sont exécutés alors qu’ils avaient été désarmés.

Les BR-PCC attaquent violemment le PGPM en raison de cette action dans le texte  » Sur l’action de Turin « . Puis, en décembre, le  » noyau historique  » à l’origine du projet de PGPM se dissocie de l’entreprise. Prenant le nom de  » collectif ce n’est que le début « , il regroupe Renato Curcio et 18 autres brigadistes, à l’origine pour la plupart de  » L’abeille et le communiste  » (décembre 1980) et de la  » Résolution de la direction stratégique  » de décembre 1981, intitulée  » Crise, guerre et internationalisme prolétarien « .

Le PGPM continue à subir la répression : en octobre Vittorio Bolognesi et dix autres membres de la colonne napolitaine sont arrêtés. Cinq importantes caches du Parti-Guérilla sont découvertes dans la banlieue de Naples. Natalia Ligas (24 ans), chef  » militaire  » de la colonne napolitaine du PGPM, est capturée à Turin ; en Novembre c’est une catastrophe : 19 arrestations dont celle d’Antonio Chiocchi, l’un des chefs de la colonne napolitaine du PGPM. Puis c’est l’arrestation de brigadistes à Milan : au total 32 depuis le début de novembre, de 4 membres de la colonne turinoise.

L’année 1982 est en fait celle de la débâcle. 915 militantEs arméEs de divers organisations ont été arrêté. Sur le plan militaire la régression est patente : il y aura 580 attentats, contre 849 en 1981, 1264 en 1980, 2366 en 1979. 26 militantEs ont été tué, comme en 1981. 1523 membres des BR sont en prison, sans compter les membres d’autres groupes et organisations.

12.La tentative de réorganisation (1983)

L’année marque un tournant pour les BR. En janvier tout d’abord, la colonne milanaise Walter Alasia, en cours de reconstitution, est anéantie par la répression. Le noyau des communistes, actif depuis sa sortie de Prima Linea en 1981, est également anéantie.

Les restes des brigadistes publient un texte intitulé  » Encore un pas… « , qui attaque le PGPM pour son action à Turin ( » une provocation contre-révolutionnaire « ) et constitue une autocritique ( » Nous n’avons pas su dépasser la grille des usines »).

Quelques jours plus tard, Adrinao Carnelutti, un historique des BR clandestin à Milan, se fait arrêté, puis en février c’est le tour de Dario Facceo, fils d’un député du parti Radical.
L’activité politico-militaire se réduit au profit de nombreux débats.

Renato Curcio écrit un texte au nom du  » Vatican collectif « , groupe mouvementiste de détenus de Palmi. On peut y lire que  » le cycle de lutte révolutionnaire armée commencé en 1978 est achevé « .
Le PGPM a été une expérience qui a échoué, mais l’objectif reste  » la révolution sociale totale dans la métropole impérialiste « . Il faut s’adapter aux conditions nouvelles.  » La guérilla des années 80 devra rechercher et développer dans sa pratique les langages métropolitains de la transition vers le communisme « .

Renato Curcio effectue alors une série de recherches sur la nature du prolétariat métropolitain, et les moyens de le faire agir.

Avec Franceschini, un autre  » historique « , il publie le très difficile texte  » Gouttes de soleil dans la cité des spectres… « , où la guérilla est considérée comme le dernier espoir de l’humanité noyée dans le capitalisme.
Le document commence ainsi :

 » Les routes que nous avons suivies nous ont fait finalement  » monter de la terre jusqu’au ciel  » et nous aventurer dans le château enchanté de l’idéologie.

Nous en avons dévoilé le jeu perfide des miroirs, inspecté les passages secrets, dessiné la carte.

Maintenant que les monstres sont apprivoisés, nous pouvons revenir sur terre et affronter les labyrinthes fantasmagoriques de la vie : la métropole, désert peuplé de spectres, lieu de l’aliénation totale et de la révolte radicale, produit du capital dans la phase mourante de la domination réelle totale.
Ghost town, justement, comme le titre de l’hymne reggae de la révolte de Brixton. Vivisectionnons la bête « .

Curcio et Franceschini disent en fait que la situation a changé depuis Marx ; celui-ci pouvait dire que  » l’ouvrier travaille pour vivre. Pour lui-même, le travail n’est pas une partie de sa vie, il est plutôt un sacrifice de sa vie. C’est une marchandise qu’il a adjugé à un tiers. C’est pourquoi le produit de son activité n’est pas non plus le but de son activité… La vie commence pour lui où cesse cette activité, à table, à l’auberge, au lit « .

Mais selon Curcio et Franceschini, cela n’est plus vrai aujourd’hui : le prolétaire est désormais également au service du capitalisme même quand il ne travaille pas, par la consommation.

La thèse principale est la suivante :  » Nous appelons domination réelle totale cette phase dans laquelle le capital a occupé tous les interstices de la formation sociale en les pliant à ses besoins.

Aujourd’hui, il a non seulement construit  » un mode de production sui generis « , mais une  » formation sociale sui generis  » : la métropole informatisée (…).

Ce qui signifie une modification qualitative profonde, une révolution capitaliste des besoins, des goûts, de la mentalité, de la morale… en un mot, de la conscience. Et une production des appareils, des instruments nécessaires à cela.
C’est ainsi que naît une nouvelle branche de la production,  » l’usine de la conscience « , avec ses fonctionnaires correspondants ; usines des modèles de consommation, des systèmes idéologiques, des systèmes de signes ayant pour but la réalisation-reproduction de la plus-value relative, du rapport social dominant.

La production n’est plus seulement production indirecte de consommation (dans le sens que toute production présuppose une consommation), mais elle se constitue aussi aujourd’hui comme  » production directe de consommations  » : à côté de la production d’objets marchandises, il y a la production de besoins-consommations-conscience-idéologie ; en même temps que la production de plus-value relative, il y a la production spécifiquement capitaliste de ses conditions de réalisation.

 » Production de marchandises  » et  » production de systèmes idéologiques  » sont aujourd’hui concrètement, visiblement, les deux côtés, les deux aspects du même processus : le travail en tant qu’activité conforme à un but. Elles sont produites et vivent simultanément dans le même espace-temps ; pour se reproduire, le capital doit reproduire simultanément les deux déterminations (…).

La métropole est l’usine totale.

L' » usine à objets-marchandises  » est seulement l’un de ses secteurs, tout comme l’est l' » usine à idéologie « . Il faut alors caractériser la composition de classe, le prolétariat, non seulement en relation avec l' » usine partielle  » mais aussi avec l' » usine totale « , la métropole dans sa globalité. Il doit être vu non seulement comme force de travail, capacité de travail, mais aussi comme consommateur conscientisé, idéologisé.
Toute distinction mécaniste entre force de travail et formes de sa conscience tombe donc d’elle-même : le prolétariat dans la métropole est en même temps force de travail du capital et consommateur-conscience de celui-ci, son produit programmé et finalisé.

Tout réductionnisme à un seul des deux termes, toute séparation plus ou moins rétro-agissante de ceux-ci, mène aujourd’hui inévitablement soit vers les bachotages laborieux de l’empirisme ouvriériste-usiniste, soit vers les envolées du subjectivisme idéaliste, interdisant la compréhension de la complexité des mouvements sociaux actuels « .

La conclusion pratique est la nécessité de la violence révolutionnaire :

 » Dans les conditions de la métropole, détruire les formations fétiches dans tous nos rapports sociaux est un impératif de la vie. C’est une thérapie sociale, la seule solution à la condition schizo-métropolitaine.

Devoir exercer la violence explosive devient une nécessité absolue !

Sans la pratique de la violence révolutionnaire, la simple survivance ne peut même pas être garantie, et surtout il n’y a aucune possibilité de re-fusion unitaire, dans un processus collectif de libération, de sa propre conscience éclatée. Exercer sa violence contre les fétiches du capital est l’acte conscient qui exprime le plus haut niveau d’humanité possible dans la métropole, parce que c’est au travers de cette pratique sociale que le prolétariat, en s’appropriant ainsi le processus productif vital, construit son savoir et sa mémoire, ce qui veut dire son pouvoir social, son identité « .

A l’extérieur, quelques actions ont lieu. Une gardienne de la prison de Rebibbia à Rome est exécutée après un  » procès populaire « , puis une gardienne de la prison de Poggioreale, à Naples. Ce seront les dernières actions du PGPM.

Le 3 mai 83 un  » noyau armé  » des BR jambise Gino Giugni, professeur d’université et cadre de l’Etat (il a notamment plaidé le gel des salaire et est très proche de Craxi). Cette action forme selon les BR-PCC  » le premier moment de reformation de l’initiative révolutionnaire « .

Dans ce premier communiqué depuis la débâcle de 1982 la thèse du parti guérilla est vivement critiquée. Pour le parti guérilla l’antagonisme dans les rapports sociaux est spontané, suinte de lui-même, et amène des mouvements de masse toujours plus grands contre la réalité métropolitaine.

Or, les BR-PCC refusent de  » suivre  » le prolétariat métropolitain, ne se veut ni  » expression  » de lui ni encore son  » représentant « , seulement une  » composante « , un  » élément « .  » Avant-garde dont la direction peut et doit permettre au prolétariat de se former comme classe dominante « .
Il s’agit de  » mener à fond une bataille politique qui soit en mesure de défaire politiquement, dans le prolétariat métropolitain, toutes les influences néfastes de thèses qui visent consciemment à la liquidation de plus d’une décennie de projets révolutionnaires dans notre pays « .

Un groupe d' » irréductibles  » emprisonnés, rassemblant Andréa Coi, Prospero Gallinari, Francesco Piccioni et Bruno Seghetti, publie alors  » politique et révolution « .

Pour ce groupe, l’objectif est de  » Retrouver une mentalité scientifique, politique, gagnante, majoritaire, attentive aux grands nombres, en enterrant la mentalité de ghetto idéal-désirante, existentialiste, sectaire, minoritaire et obnubilée par de micro-conventicules de « sujets d’avant-garde »  » .

13.BR-PCC et UdCC (1984-1987)

C’est l’année de la disparition des COLP, après de nombreuses actions (dont des expropriations en France, où tombera Ciro Rizzato).

En mars, les BR-PCC publient la Résolution stratégique N° 19 ( » Analyse de la situation, la lutte de la classe ouvrière et la situation politique générale italienne « ), un texte de 61 pages.

Au sein des BR-PCC, qui rassemble l’ensemble des derniers brigadistes puisque le PGPM n’existe plus, les débats continuent.

Une grande question est l’attitude vis-à-vis de l’Union Soviétique, alors que les USA de Reagan lancent une grande offensive.

Deux positions existaient, grosso modo. La première était celle de  » l’Ape et il comunista « , qui considérait de manière maoïste l’URSS comme un social-impérialisme, aussi dangereux que les USA.

La seconde, celle du  » groupe d’élaboration – 16 mars du camp de Trani « , disait à l’opposé qu' » on ne peut exclure par principe l’opportunité d’appuyer tactiquement aussi les forces qui font référence à l’URSS ou au soi-disant camp socialiste, bien qu’il soit clair que ce choix tout à fait contingent a lieu sans perdre de vue la tendance générale et stratégique, par rapport à laquelle le social-impérialisme constitue un impérialisme montant et dans la plus absolue et complète autonomie politique et organisationnelle « .

A cette divergence importante va en succéder une autre, qui concerne l’interprétation même du rôle de la guérilla.

Tout d’abord, il y a l’exécution le 15 février 84 du général US et commandant en chef des troupes de l’O.N.U. dans le Sinaï, Ray Leamon Hunt.

Hunt est  » l’un de ces fonctionnaires consciencieux qui, placés dans le monde entier, organise des saloperies innombrables  » au service de l’impérialisme US et au dépens des peuples luttant pour le droit à l’autodétermination et l’indépendance.

Les BR-PCC propose une ligne générale double, se voulant dialectique et interdépendante: l’attaque au cœur de l’Etat, le front anti-impérialiste.

Cette ligne est contestée par une minorité des BR-PCC, qui est exclue en 84. On parlera désormais des deux positions.

La première, dont les partisans gardent le nom de BR-PCC, s’orientent selon une option guérillera.

L’utilisation des armes ne se décide pas selon le jour J de l’insurrection,  » il s’agit d’une stratégie politico-militaire conduisant le processus révolutionnaire du début à la fin « . Le parti ne se construit pas parallèlement aux mouvements de masses, mais consiste en un  » parti communiste combattant  » montrant l’alternative, unifiant la classe par ses actions contre les stratégies de l’impérialisme.

Les partisanEs de cette position défendent l’héritage des BR-PCC. Ils/Elles critiquent la déviation du PGPM, influencé par  » Prima Linea  » (la guérilla semi-légale des autonomes pro-guérilla) et par les élucubrations du professeur de Padoue [Toni Negri],  » abandonnant le prolétariat métropolitain dans sa globalité comme sujet révolutionnaire et s’obnubilant sur ses franges extra-légales et sur les prisonniers « .

L’année 1982 est vu comme une année importante, nécessitant la  » retraite stratégique « .


En mars, les BR-PCC publient la Résolution stratégique N° 19 ( » Analyse de la situation, la lutte de la classe ouvrière et la situation politique générale italienne « ), un texte de 61 pages.
Au sein des BR-PCC, qui rassemble l’ensemble des dernierEs brigadistes puisque le PGPM n’existe plus, les débats continuent.
Une grande question est l’attitude vis-à-vis de l’Union Soviétique, alors que les USA de Reagan lancent une grande offensive.

Deux positions existaient, grosso modo. La première était celle de  » l’Ape et il comunista « , qui considérait de manière maoïste l’URSS comme un social-impérialisme, aussi dangereux que les USA.

La seconde, celle du  » groupe d’élaboration – 16 mars du camp de Trani « , disait à l’opposé qu' » on ne peut exclure par principe l’opportunité d’appuyer tactiquement aussi les forces qui font référence à l’URSS ou au soi-disant camp socialiste, bien qu’il soit clair que ce choix tout à fait contingent a lieu sans perdre de vue la tendance générale et stratégique, par rapport à laquelle le social-impérialisme constitue un impérialisme montant et dans la plus absolue et complète autonomie politique et organisationnelle « .

A cette divergence importante va en succéder une autre, qui concerne l’interprétation même du rôle de la guérilla.
Tout d’abord, il y a l’exécution le 15 février 84 du général US et commandant en chef des troupes de l’O.N.U. dans le Sinaï, Ray Leamon Hunt.
Hunt est  » l’un de ces fonctionnaires consciencieux qui, placés dans le monde entier, organise des saloperies innombrables  » au service de l’impérialisme US et au dépens des peuples luttant pour le droit à l’autodétermination et l’indépendance.
Les BR-PCC propose une ligne générale double, se voulant dialectique et interdépendante: l’attaque au cœur de l’Etat, le front anti-impérialiste.

Cette ligne est contestée par une minorité des BR-PCC, qui est exclue en 84. On parlera désormais des deux positions.
La première, dont les partisans gardent le nom de BR-PCC, s’orientent selon une option guérillera.

L’utilisation des armes ne se décide pas selon le jour J de l’insurrection,  » il s’agit d’une stratégie politico-militaire conduisant le processus révolutionnaire du début à la fin « . Le parti ne se construit pas parallèlement aux mouvements de masses, mais consiste en un  » parti communiste combattant  » montrant l’alternative, unifiant la classe par ses actions contre les stratégies de l’impérialisme.

Les partisanEs de cette position défendent l’héritage des BR-PCC. Ils/Elles critiquent la déviation du PGPM, influencé par  » Prima Linea  » (la guérilla semi-légale des autonomes pro-guérilla) et par les élucubrations du professeur de Padoue [Toni Negri],  » abandonnant le prolétariat métropolitain dans sa globalité comme sujet révolutionnaire et s’obnubilant sur ses franges extra-légales et sur les prisonniers « .

L’année 1982 est vu comme une année importante, nécessitant la  » retraite stratégique « .

 » La campagne de répression les déchaînée par l’Etat contre le mouvement révolutionnaire a, pour ainsi dire, seulement révélé et mis en évidence dans toutes leurs implications les symptômes d’une profonde crise politique qui existait avant cette période de tortures, des trahisons et des arrestations en masses « . Il faut donc  » relancer l’activité révolutionnaire dans notre pays sur des bases théoriques, politiques et organisationnelles plus solides et plus pures que par le passé « .

Mais, en tout cas  » en Italie ce n’est pas la lutte armée pour le communisme qui a été défaite, mais ses conceptions idéalistes et immédiatistes ont prévalu dans le mouvement révolutionnaire et dans les Brigades rouges même « .
Par rapport à la seconde position s’étant développé dans les BR-PCC, la Résolution stratégique N° 20 dit que  » les brigades rouges n’ont rien exclu d’autre qu’une tentative révisionniste de liquider les conquêtes politiques de 15 années de lutte révolutionnaire « .

Que nous dit la seconde position ?

Elle refuse le  » subjectivisme  » et  » l’aventurisme  » de la première position, son  » éclectisme théorique « . Elle met en avant le léninisme, rejette les thèses sur la  » guerre populaire prolongée « , et forme un nouveau groupe : l’Unione dei Communisti Combattente.

Pour l’UdCC il s’agit de faire de la propagande semi-légale; la lutte armée n’est pas une stratégie mais juste une  » méthode décisive « . Il n’y a pas de  » guerre populaire prolongée « , seulement une connexion tactique avec les masses à organiser, et ce dans le but de la révolution. Tout le discours sur le prolétariat métropolitain disparaît. A la guérilla des BR-PCC l’UdCC oppose la  » ligne de masse « , reliée à l’utilisation tactique de la lutte armée.

Au niveau international cette coupure fera grand bruit. Les BR-PCC travailleront avec la RAF pour un  » front anti-impérialiste  » en gardant leur spécificité (alors que la RAF et Action Directe adoptent une position totalement commune).

L’UdCC aura elle un bon écho chez les Cellules Communistes Combattantes (CCC) de Belgique, elles-mêmes proches du PC d’Espagne [reconstitué] dans leurs analyses.

En décembre, les BR-PCC attaquent un fourgon de transport de fonds. Un brigadiste est tué, sont blesséEs une brigadiste, deux gardiens et un passant. Les membres du commando disparaissent dans les HLM de la banlieue de Rome.
Début 1985, quelques actions sont menés pour se procurer des fonds, coûtant la vie à deux jeunes brigadistes. Un responsable anti-terroriste est exécuté.

Le 27 mars 1985 les BR-PCC exécutent le fonctionnaire dirigeant du syndicat CISL, Tarantelli. Ce dernier avait été conseiller de la banque centrale italienne, expert économique de la CISL, bras droit de Craxi, et avait travaillé à l’attaque contre la scala mobile (l’échelle mobile indexant les salaires sur l’inflation).

Après l’opération est diffusé le communiqué commun RAF/Action Directe, avec le communiqué de l’action des BR-PCC, où l’on peut lire que  » les Brigades Rouges ont l’intention de travailler au renforcement et à la consolidation du Front de lutte contre l’impérialisme occidental qui a trouvé ces derniers temps une vigueur renouvelée (…) par une campagne unitaire contre l’OTAN de la guérilla européenne en liaison dialectique avec l’exceptionnelle mobilisation de masse contre les missiles américains dans les métropoles européennes « .

En été 85 c’est l’apparition officielle de l’UdCC, qui rend public en octobre le  » manifeste et thèses de fondation de l’Union des communistes combattants « .

Les BR sont critiquées comme n’ayant pas su, après 78, construire une forte direction interne, pour ne pas être assez marxistes, pour avoir de graves manquements idéologiques et pratiques. Il s’agit pour l’UdCC, suivant le marxisme-léninisme,  » de se placer à la pointe du prolétariat et de mener la lutte jusqu’à la prise du pouvoir « .

Mais il faut attendre l’année 1986 pour que l’activité des deux organisations soient d’un niveau fort. Deux documents marquent cette année : la reparution de  » politique et révolution « , et la parution du livre  » Le prolétariat ne s’est pas repenti « , rassemblant 214 documents sur le problème des repentis.

Le ministre de l’intérieur reparle lui du  » retour de l’état d’urgence « .

En effet, les BR-PCC et l’UdCC vont effectuer un retour en force, et ce alors que la RAF, Action Directe et les CCC belges agissent et remplissent l’actualité.

Le 10 février 86 à Florence les BR-PCC exécutent Lando Conti, ancien ministre de la défense, proche du chef du parti républicain et ancien maire de la ville.
Conti est accusé d’être  » membre de la direction politico-entreprenante chargée de relier les intérêts économiques du secteur militaire aux intérêts généraux de l’impérialisme occidental « .

Les BR-PCC opèrent, comme dans les années 70, sur la relation entre crise et guerre.
Le 21 février un commando de l’UdCC jambise Antonio Da Empoli, membre du cabinet du premier ministre, chargé des affaires économiques et sociales. La militante Wilma Monaco (27 ans) est tuée dans l’opération.

En octobre l’UdCC publie un texte, où l’objectif annoncé est d’être  » l’avant garde consciente de la classe ouvrière « ,  » le détachement d’assaut de l’insurrection armée « .

En 1979, il y avait eu 2513 attentats en Italie; 1502 en 1980. Il y en a 30 en 1986. En 1980, le  » terrorisme  » fait 125 morts, 236 blessés. En 1986, 1 mort, 2 blessés. Il y a eu, en 1979 et 1980, entre 1500 et 1800 attentats par an, et 30 en 1986.

De 1969 à 1986, il y aura eu plus de 14600 attentats, 415 morts, 1180 blessés.

En janvier 1987 a lieu une fusillade à Rome, et trois militantEs de l’UdCC (dont deux jeunes sont totalement inconnuEs de la police) sont arrêtéEs : Paolo Casseta, Fabrizio Melario, et Geraldina Colotti.

Début février est publié un auto-interview des prisonniers Prospero Gallinari, Francesco Lo Bianco, Francesco Piccioni et Bruno Seghetti, militants des br-pcc.

 » Le fondement de toutes nos estimations est l’expérience concrète des br. Leurs résultats pratiques,  » historiques « , avant et au-delà du  » projet « , c’est-à-dire de la ligne politique par laquelle les résultats ont été matériels. C’est une découverte parce que la lutte armée n’avait jamais auparavant été pratiqué ou théorisé avec ces concepts, ni avec les mouvements de guérilla, ni par les partis communistes de la IIIème Internationale.

C’est de plus une découverte au sens que la véritable pratique et les dynamiques objectives, qui ont été mené par elle, indique selon nous une stratégie politico-militaire victorieuse qui va au-delà de la fixation théorique sur les buts qui ont été à l’origine ou ont orienté cette pratique « .

Le document met en valeur le principe découvert par les BR : l’attaque au cœur de l’Etat, et appelle à une réflexion sur le parcours mené jusque là.  » Seul un bilan politico-historique du rôle que la lutte armée des BR a joué dans l’histoire de l’affrontement de classe de ce pays peut contribuer à ce que soit défini scientifiquement une stratégie politico-militaire contemporaine « .

 » La ‘découverte’ stratégique essentielle qui a été faite par les BR est sans aucun doute ‘l’attaque au cœur de l’Etat’. L’expérience et la réflexion à ce niveau forment le véritable axe stratégique à partir de laquelle s’est produite l’identité politique et historique des br. En un certain sens les br ‘sont’ l’attaque au cœur de l’Etat. Sans ce centre de gravité de l’activité politico-militaire, la lutte armée en Italie n’aurait été qu’une apparition passagère, avec une signification politique beaucoup plus réduite.

Nous pensons par exemple à l’absence de signification historique de l’activité de Prima Linea, malgré qu’elle ait trouvé une certaine résonance et qu’elle ait mené de très nombreuses actions « .
Le 14 février 87 les BR-PCC attaquent un convoi et récoltent un milliard de lire.

Le 17 février, des prisonnierEs des BR-PCC diffusent un document au procès Moro-ter, où il est notamment dit que  » La stratégie de la lutte armée, la pratique de la guérilla, leur rôle historique est irremplaçable pour le prolétariat révolutionnaire, dans le cadre d’une lutte de classes prolongées pour écraser l’Etat et fonder la société socialiste « .
 » Cela unit chaque jour davantage les intérêts de notre révolution à ceux de tous le peuples et forces révolutionnaires qui combattent dans l’espace méditerranéen et au Proche-Orient contre un même ennemi, l’impérialisme occidental aux ordres des Etats-Unis.

Aux côtés de la guérilla européenne (…) les BR-PCC ont l’intention de développer leur processus révolutionnaire, avec la conviction que leur victoire dépend étroitement du renversement du rapport des forces, et de la défaite de l’impérialisme dans cette région (…)
– Renforçons le front anti-impérialiste en Europe Occidentale et autour de la Méditerranée !
– Solidarité avec le combat du peuple Palestinien !
– Guerre à la guerre ! Guerre à l’OTAN !
– Contre la guerre impérialiste, guerre de classes pour affirmer le pouvoir et la dictature du prolétariat ! « .

Le 21 février 87 l’UdCC exécute le général Licio Giorgeri, responsable des armements aéronautiques et spatiaux de l’armée de l’air.

Puis publie un document de 14 pages, distribué simultanément à Rome, Milan et Gènes, et un texte de 149 pages :  » Comment sortir de la situation d’urgence « . L’UdCC y donne comme mots d’ordre :  » Non à l’adhésion italienne à la guerre des étoiles !  » ;  » L’Italie hors de l’Otan  » ;  » Non à la politique de gendarme de l’Italie en Méditerranée ! Unité à la base de toutes les forces opposées aux néo-dictatures des gouvernements bourgeois !  » ;  » Hommage à la Camarade Wilma Monaco « Roberta » « .

Mais l’UdCC doit faire face à une répression dure. Elle a perdu beaucoup de membres jusqu’en juin, où est arrêtée à Rome l’ensemble de sa direction : Claudia Gioia, Massimiliano Bravi, Francisco Maïetta (leader de la colonne romaine, déjà arrêté en France dans le cadre d’une enquête sur Action Directe), Danielle Menella (archiviste du ministère de l’Intérieur), Paolo Persichetti, qui sera étudiant à Saint-Denis en France.

Des bases sont découvertes, 14 militantEs sont arrêtéEs en tout, puis 4 autres, puis finalement à Paris Maurizio Locusta (37 ans, en possession de faux papiers et de 70.000F.), un des leaders de l’UdCC, avec 3 autres militants.
Arrestation ensuite de 6 autres militantEs à Rome dont Aldo Balducci, 30 ans, employé au ministère des Travaux Publics, et Maurizio Falcone, chauffeur d’un Préfet au Ministère de l’Intérieur !

D’autres arrestations suivent, portant fin août à 30 le nombre de militantEs arrêtéEs. 11 autres sont arrêtés en septembre, 3 en novembre.

L’UdCC est définitivement démantelée.
Seules restent les BR-PCC, d’autant plus que certains de leurs leaders historiques emprisonnés abandonnent la lutte armée, et que le noyau historique des BR originelles s’est lui-même dissocié de la lutte armée : Renato Curcio, Mario Moretti, Maurizio Janelli et Piero Bertolazzi écrivent une  » lettre ouverte  » au quotidien  » Il Manifesto  » où est expliqué que  » les conditions internationales qui avaient favorisé cette lutte sont désormais dépassées  » et qu’une amnistie était nécessaire.

En octobre est publié un document de Barbara Balzerani, Luigi Novelli, Giuseppe Scirocco, Piero Vanzi, où est dit que  » Les transformations politiques et sociales à l’intérieur du pays, tout comme l’évolution des relations internationales, rendent caduques notre projet révolutionnaire et la stratégie qui l’appuyait « .

Qui plus est,  » Là où la révolution ne triomphe pas, c’est la bourgeoisie qui résout en sa faveur les contradictions de la société et ce d’autant plus aisément quand il en découle un quelconque développement social « .

13.Le front anti-impérialiste combattant (1988)

Le 16 avril 88, le sénateur de la DC Roberto Ruffili, grand ami du nouveau chef du gouvernement De Mita nommé trois jours auparavant, est exécuté par les BR-PCC, qui attaquent le  » projet de réforme néo-autoritaire des organes étatiques « .

Mais le mois d’avril est également marqué par un texte très important, qui va permettre la fermentation de tout un nouveau courant politique qui culminera avec l’exigence de construction d’un  » (nouveau)Parti communiste italien.
Le texte, écrit par un groupe de révolutionnaires, s’intitule  » Cristoforo Colomba  » ; pour ces camarades, les BR ont été comme Christophe Colomb : croyant aller quelque part, arrivant ailleurs mais ne le sachant pas.

Le groupe critique d’abord très fortement les multiples déviations subjectivistes, pour mettre en avant la question du Parti. D’une certaine manière on peut dire qu’il s’agit d’une critique contre l’éclectisme des références (Marighella, les Tupamaros, Cuba, l’OLP, IRA, ETA, les Black Panthers etc.) qu’aurait le mouvement révolutionnaire, pour un retour à une politique tel qu’un parti peut la mener. Il s’agit d’une remise en cause des aspects criants du gauchisme ayant dominé les BR avec la ligne voulant élever les masses au niveau de la lutte armée, considérant l’Etat comme  » Etat impérialiste des multinationales « , etc.

On peut dire que la ligne des partisanEs du (nouveau)Parti Communiste italien provient historiquement de cette position, pour qui les BR n’ont été en fin de compte que le meilleur produit du mouvement des masses dans les années 1970, et pour qui la question de la construction du Parti doit être au centre des préoccupations.

En septembre, c’est l’écriture du document unitaire RAF/BR-PCC, qui est diffusé en mars 89 sous la forme de tract à Rome et Naples à l’occasion de l’attaque de la RAF contre Tietmeyer, responsable économique allemand.
Voici le document :


 » Le saut à la politique du front est possible et nécessaire pour les forces révolutionnaires, afin d’amener la confrontation à l’acuité adéquate.

Pour cela, toutes les positions idéologiques-dogmatiques existantes encore à l’intérieur des forces combattantes et du mouvement révolutionnaire doivent être combattues et dépassées, parce qu’elles divisent les combattants, et parce que ces positions ne peuvent pas atteindre le niveau dont on a besoin pour amener les luttes et les attaques à leur acuité politique nécessaire.

Les différences historiques dans le développement et la définition politique de chaque organisation, les différences (secondaires) dans l’analyse, etc., ne peuvent et ne doivent pas être un obstacle à l’unification nécessaire des multiples luttes et activités anti-impérialistes dans une attaque consciente et ciblée contre la puissance de l’impérialisme.

Il ne s’agit pas d’une fusion de chaque organisation en une seule ; le front se développe en Europe de l’Ouest dans un processus de reconnaissance direct et organisé, sur la base de l’offensive pratique, dans la mesure où les prochains moments rendent mûre l’unité entre les forces combattantes.
L’organisation du front révolutionnaire combattant signifie l’organisation de l’offensive.

Il ne s’agit ni d’une catégorie idéologique ni d’un modèle de révolution.
Il s’agit au contraire du développement de la force politique et pratique qui combat la puissance de l’impérialisme de manière adéquate, qui approfondit la rupture dans la métropole impérialiste et en arrive au saut qualitatif de la lutte prolétarienne.

Notre expérience commune montre comment, sur la base de la décision subjective de chaque organisation, malgré l’existence de différences et de contradictions, il est possible de développer le front ; nous n’avons dans la discussion commune jamais perdu des yeux l’élément unitaire de l’offensive contre l’impérialisme.

L’Europe de l’Ouest est le pivot du conflit entre le prolétariat international et la bourgeoisie impérialiste.
L’Europe de l’Ouest est, par son caractère historique, politique et géographique, la coupure où se dessinent les trois lignes de démarcation : Etat/société, Nord/Sud, Est/Ouest.

L’aggravation de la crise du système impérialiste et le déclin de la puissance économique des USA sont les fondements principaux qui amènent, ensemble avec d’autres facteurs politiques, à une perte relative du poids politique des USA, et qui mettent en avant le développement des processus d’intégration économique, politique et militaire.
Dans ce rapport la fonction de l’Europe de l’Ouest croît pour le management impérialiste de la crise.
Au niveau économique, l’Europe de l’Ouest développe un plan synchronisé de politiques économiques à l’intérieur des managements impérialistes de la crise, comme soutien et tampon des contradictions économiques.

Au niveau militaire, il y a l’obligation de l’intégration politico-militaire à l’intérieur de l’OTAN avec les projets politico-économiques de réarmement dans la nouvelle stratégie militaire impérialiste pour la confrontation avec l’Est, avec l’intervention politico-militaire intégrée contre les conflits s’envenimant dans le tiers-monde, en premier lieu les régions de crise au Proche-Orient.

Au niveau contre-révolutionnaire, il y a le réarmement et l’intégration des appareils de police et de renseignements contre le développement du front révolutionnaire, contre les luttes révolutionnaires en général et contre l’élargissement et l’aggravation des antagonismes de masse.

Il y a la réorganisation et l’intégration pour une intervention politique ciblée contre la guérilla, comme par exemple les projets de « solution politique  » dans différents pays ouest-européens.
Au niveau politico-diplomatique, il y a les projets de  » dialogue politique  » pour désamorcer les conflits et consolider les positions de force impérialistes.

Ces initiatives ont aussi comme fonction de renforcer les processus de formation de l’Europe de l’Ouest à l’intérieur du système global.
Ces différents niveaux sont mutuellement liés et poussent en avant la formation politique de l’Europe de l’Ouest, un mouvement dont aucun pays n’est exclu.

Aucune force révolutionnaire combattante ne peut, dans son activité révolutionnaire, mettre cela de côté.
Ces éléments politiques forment le cadre où le front est, en Europe de l’Ouest, possible et nécessaire.

Le niveau historiquement atteint par la contre-révolution impérialiste a fondamentalement modifié le conflit entre l’impérialisme et les forces révolutionnaires. Cela signifie devenir conscient du poids croissant de la subjectivité dans la confrontation des classes et du fait que le terrain révolutionnaire ne peut pas être un simple réflexe aux conditions objectives.

L’attaque du front ouest-européen contre les projets stratégiques actuels de formation politique, économique et militaire de l’Europe de l’Ouest vise l’affaiblissement du système impérialiste, afin d’entraîner la crise politique globale.
Notre offensive commune se dirige :

Contre :
La formation des politiques économiques et monétaires ouest-européennes, qui sont conçues dans le système impérialiste global comme soutien et tampon vis-à-vis des érosions économiques pointues, et qui en coordination avec les politiques des USA et du Japon, veulent imposer les intérêts (en terme de profits et de puissance) des banques et des multinationales, sur le dos du tiers-monde, et empêcher l’écroulement du système financier international.

Contre :
Les politiques de formation ouest-européenne qui visent au renforcement des positions impérialistes ; actuellement elles interviennent au Proche-Orient, sur le dos des peuples palestinien et libanais, afin de stabiliser cette région.
L’attaque unitaire des lignes stratégiques de la formation de l’Europe de l’Ouest ébranle le pouvoir impérialiste.

Organiser la lutte armée en Europe de l’Ouest.
Construire dans l’attaque l’unité des forces révolutionnaires combattantes : organiser le front.
Lutter ensemble « .


6 bases et 20 membres des BR-PCC sont découverts et arrêtés en septembre 88. C’est un coup très dur pour l’organisation, que beaucoup considèrent alors comme démantelée.

13.BR-PCC, NCC-PCC, NTA, NIPR (1989-2001)

L’année 1988 a été une année charnière ; la destruction par l’Etat italien des structures des BR-PCC joue un rôle psychologique très fort. La propagande étatique et révisionniste affirme que les derniers Mohicans ont été arrêté, que l’histoire de la guérilla est désormais close non seulement théoriquement mais également pratiquement.

Les faits prouvent pourtant le contraire, ce qui semble donner raison aux BR-PCC qui parlent de  » processus révolutionnaire non-linéaire « . Le 29 mars 1989 le mur extérieur de la prison spéciale de Novara est attaquée, l’action est revendiquée par téléphone par les BR.

En 1991 sont diffusés des documents écrits par les prisonnierEs; en 1992 apparaît un groupe reconnaissant l’activité centrale des BR-PCC et se nommant Nuclei Comunisti Combattenti per la costruzione del Partito Comunista Combattente. Ces noyaux communistes combattants attaquent le 17 octobre 1992 la Cofindustria (rassemblement patronal) à Rome.
Des militantEs des BR-PCC sont arrêtéEs pendant quelques années en France.

Début 1993 c’est la Cofindustria d’Udine qui est attaquée à l’occasion de la visite du ministre de l’industrie par des  » militanti rivoluzionari per la costruzione del PCC « .

Le 2 septembre de la même année les BR-PCC attaquent la base américaine d’Aviano, et le 28 octobre des tracts de soutien aux membres des BR-PCC arrêtéEs quelques jours auparavant sont distribuées durant des manifestations ouvrières à Monfalcone, Trieste, Udine et Pordenone par des  » militants révolutionnaires pour la construction du PCC « .

Le 10 janvier 1994 les NCC-PCC attaquent le NATO defense college à Rome (il s’agit d’une école de formation des cadres de l’OTAN) au moment d’une réunion de l’OTAN à Bruxelles. Dans les différents procès des militantEs des BR-PCC, une scission est visible suite à l’action contre la base d’Aviano, une partie critiquant la vision seulement anti-impérialiste du communiqué de l’action.

On notera également la publication de différents textes, notamment par la Cellule pour la constitution du PCC, défendant la construction d’une organisation de lutte armée. La cellule, qui produit de nombreux textes (production allant jusqu’à aujourd’hui) et qui n’a jamais revendiqué d’actions, oscille perpétuellement entre les BR-PCC néanmoins considérées comme subjectivistes et l’UdCC défunte, de qui elle est au final sans doute plus proche.

En 1995 apparaissent les Nuclei Territoriali Antimperialisti (NTA) qui mènent des actions contre l’OTAN ; par la suite des actions seront menées à Rome, Bologne et Milan, et un premier long texte sort en 1997.

Le 20 mai 1999, un commando des BR-PCC exécutent Massimo D’Antona, conseiller du ministre du travail. La revue française  » L’express  » dit que  » le choix de la victime constitue également une signature : spécialiste du droit du travail, D’Antona, homme de gauche, peu connu du grand public, jouait cependant – et les Brigades Rouges en étaient parfaitement conscientes – un rôle de premier plan dans la politique de réformes sociales du gouvernement, notamment en matière de flexiblité de l’emploi et de réglementation des grèves « .

Ces  » nouvelles  » brigades rouges sont en fait issues des NCC-PCC, et le communiqué des BR-PCC est très long et possède le caractère d’une résolution stratégique.

 » Le 20 mai 1999, à Rome, les Brigades Rouges pour la Construction du Parti Communiste Combattant ont frappé Massimo D’Antona, conseiller législatif du Ministre du Travail Bassolino et représentant du bureau à la table permanente du « Pacte pour l’occupation et le développement ».

Avec cette offensive les Brigades Rouges pour la Construction du Parti Communiste Combattant reprennent l’initiative combattante, en intervenant dans les nœuds centraux de l’affrontement pour le développement de la guerre de classe de longue durée, pour la conquête du pouvoir politique et l’instauration de la dictature du prolétariat, en portant l’attaque au projet politique néo-corporatif du « Pacte pour l’occupation et le développement » « .

Les BR-PCC frappent au moment où l’impérialisme intervient militairement en Yougoslavie ; cela et la réorganisation du rapport entre les classes par l’impérialisme en Italie nécessitent d’intervenir :

 » Un cadre politique général qui impose au prolétariat et à ses avant-gardes révolutionnaires d’assumer la responsabilité politique de construire l’alternative de pouvoir historiquement proportionnée à ces projets, à travers la reprise de l’attaque révolutionnaire, soit au cœur des politiques qui permettent à cet État de jouer son rôle impérialiste « 


 » La proposition politique des BR-PCC se concrétise donc en deux aspects: d’un côté en organisant les avant-gardes les plus conscientes autour de la stratégie politique de l’organisation; de l’autre en représentant l’élément de référence d’avancée et de fixation pour les instances les plus mûres de la lutte de classe en se rapportant à elles avec le programme politique.
Finalement, l’autre axe sur lequel les BR-PCC entendent développer leur propre programme politique est sur le plan de la contradiction impérialisme/anti-impérialisme, afin d’affaiblir et de réduire la domination impérialiste, en construisant l’offensive commune contre ses politiques centrales, avec les forces révolutionnaires et anti-impérialistes qui opèrent dans la zone Europe – Méditerranée – Moyen-Orient.

Les BR-PCC mettent donc au centre de leur propre projet politique la promotion et construction du Front Combattant Anti-impérialiste, dans lequel la recherche de l’unité politique-militaire entre forces anti-impérialiste de la zone permette de construire les alliances politiques nécessaires à affaiblir la domination impérialiste, à partir de les différences historique-structurelles de la lutte de classe des formations économique-sociales uniques dans lesquelles existent et mûrissent les expériences et les forces révolutionnaires et anti-impérialiste, mais aussi à partir du rôle unique et unitaire que déroulent les État dominants de la chaîne impérialiste.

Concevoir la nécessité politique de construire un Front Combattant Anti-impérialiste ne signifie pas exclure la reconstruction d’une Internationale Communiste, mais signifie ne pas négliger d’activer toutes les forces disponibles contre l’ennemi impérialiste, au-delà des différences entre les étapes révolutionnaires et les conceptions que soutiennent les forces anti-impérialistes, et construire aussi une condition favorable à la poursuite de l’objectif de l’International Communiste qui présuppose une unité supérieure dans les caractères de classe, dans les buts et dans les conceptions des forces y appartenant « .

Les  » nouvelles  » BR-PCC ont la même idéologie que les « anciennes  » BR-PCC :
· il s’agit de suivre la guerre de classe de longue durée, dans le cadre de la retraite stratégique ;
· la guérilla agit en tant que Parti pour construire le Parti, nécessairement combattant ;
· dans le processus de guerre de classe de longue durée il y a discontinuité dans le processus révolutionnaire (en raison de l’ampleur de la contre-révolution préventive ;
· il est nécessaire d’organiser un front anti-impérialiste combattant dans la zone Europe – Méditerranée – Moyen-Orient.

Comme d’habitude le flou est de rigueur au niveau des références. Il faut attendre de très nombreuses pages avant de voir une référence positive aux révolutions russe et chinoise et la revendication du marxisme-léninisme comme idéologie.

Une thèse néanmoins cette fois explicitement mise en avant est celle voulant que la fin de l’URSS soit quelque chose de négatif.

Il est parlé de  » pays socialistes  » ou  » en transition « , trahis par les révisionnistes et attaqués par l’impérialisme. La fin de l’URSS fermerait un cycle ouvert avec la révolution de 1917, ce qui est grosso modo la même position que la RAF. A l’opposé des Brigades Rouges initiales, les BR-PCC ne considèrent donc pas l’URSS comme social-impérialiste .
L’action des BR-PCC a un grand écho, mais suscite également de vigoureuses critiques.

De nombreuses  » personnalités  » historiques, et non des moindres comme Gallinari, rejettent l’utilisation du terme  » BR-PCC  » par le groupe ; à l’opposé les prisonnierEs des BR-PCC saluent l’initiative.

Le Parti Communiste d’Espagne (reconstitué), qui appuie la guérilla des GRAPO, attaque également violemment les BR-PCC, accusées de ne faire l’action qu’en raison de la construction du  » (nouveau)Parti Communiste Italien « .

Le (n)PCI se construit à partir de l’illégalité, et critiquera vigoureusement les BR-PCC comme subjectiviste, dans le texte  » Martin Lutero « . Pour les partisanEs du (n)PCI, la tâche prioritaire est la reconstruction du Parti.
Si les BR-PCC n’ont rien revendiqué depuis, de nombreuses actions armées ont tout de même eu lieu.

Il y a ainsi notamment l’attaque à l’explosif à la mi-mai 2000 contre le siège de la Commission d’étude et de surveillance des normes anti-grèves, et le 10 avril 2001 l’action contre l’institut de recherche sur l’économie mondiale et une association pour les relations italo-US à Rome, revendiquées par les NIPR (Nuclei di Iniziativa Proletaria Rivoluzionaria ; noyaux d’initiative prolétaire révolutionnaire). En septembre 2001 c’est la cellule Barbara Kistler qui avait attaqué l’Institut du Commerce Extérieure de Trieste.

Par la suite, les NTA sortiront un communiqué saluant l’action des NIPR ; les NIPR comme les NTA considèrent les BR-PCC comme l’avant-garde. Des documents des NIPR et des BR-PCC seront expédiés à de nombreux représentants syndicaux et dans des usines.

 » Voici, les graffitis, théâtre de la vie. Egratignures, griffures, lacérations, qui gravent sur les territoires de la mort, sur les surfaces claires et nettes de la métropole, des signes de révolte et de libération. Gouttes colorées d’un désir souterrain qui cherche ses volumes dans l’univers hyper-réel saturé de vide.
Qui déploie un discours de poésie dans la rude culture de la rue.

Qui émerge dans le monde hétéroclite de l’a-communication totale, avec une voix limpide, vierge, sans histoire.

Qui nomme l’innommable et par cette transgression se porte à la vie sociale, violant le contexte programmé pour sa négation. Poésie de multiples poètes, voix sans visage qui regarde ses interlocuteurs sans en avoir aucun, mais qui parle intensément à tous ceux qui lui offrent leur regard. Et à chaque nouveau regard renouvelle les inépuisables scènes du théâtre de la vie « .

 » Chacun écrit dans sa propre zone de rencontre : mur, banc, cabine téléphonique, banquette de métro ; on marque son propre territoire. De cette façon celui-ci est délimité, indiquant aux autres la présence d’un groupe, son nom, sa musique préférée ou son style de vie. Un style de vie qui a dans la transgression, dans la rupture de la normalité de communication, son propre signifiant : projet de modification suivant son goût propre, son esthétique personnelle, quasiment d’aménagement de la ville où l’on habite, sur un autre mode « .

 » Pas toujours. Parfois les graffitis sportifs, érotiques, politiques, rock, nous regardent avec l’oeil poussif d’une solitude féroce. Ils implorent une quelconque identification, quelle qu’elle soit, une appartenance quelconque.

Hard Rock, Juventus, Punk, peut importe.
Ils gueulent à l’autre – ennemi immédiat – CREVE-CREVE-CREVE, et semblent en jouir. Mais ce sont les angoisses, les peurs, les phantasmes qui prennent ici la forme de signes et lacèrent les murs. SOS désespérés de naufragés important à la dérive. Pissotières comme bouteille à qui est confiée une solitude folle, « seuls les emmerdes me tiennent compagnie / je n’ai pas d’amis / je n’ai jamais fait l’amour / je n’arrive pas à trouver un cul / je veux quelqu’un pour m’aimer ».

Paroles de latrines. Hululées dans la pénombre d’un sexe castré. Epanchements délirants qui cherchent un oeil lubrique. Excréments sémiotiques qui, dans l’odeur des ghettos, planent sur les excréments des corps. Ecriture de décharge des mille tensions frustrées. Langage vomit par le besoin. Non par désir.

Le désir parle des signes chaudes d’un peuple invisible qui se reproduit et se multiplie hors des réseaux canalisés par les flux déments des rythmes métropolitains. Signes de création qui brûlent l’indifférence de l’espace froid, saturé de mots, boueux, pollué, des lieux frigorifiques de l’acom-……… des lieux frigorifiques où l’a-communication multi-médiatique génère comme effet délirant des corps qui aboient seuls dans les rues et sombrent toujours plus dans l’affabulation désespérée de paroles sans écho. Corps sans visage ni voix, aphasiques, indifférents, étrangers, aliénés.

Débris incapables d’exprimer d’une façon ou d’une autre leur propre dévastation « .

Texte de Renato Curcio, l’un des fondateurs historiques des BR

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Les Brigades Rouges et la politique

L’Italie des années 1970 et du début des années 1980 est une très grande référence pour les communistes, en raison du très haut niveau de « conflictualité » qui s’est développé, pour reprendre justement un concept italien.

Les luttes de classes ont été particulièrement fortes, et une multitude de groupes armés est apparue ; l’organisation la plus connue consistait naturellement en les Brigades Rouges.

La question du pouvoir était ouvertement posée, à la différence d’avec les extrêmes-gauches légalistes, syndicalistes, associatives, populistes, etc. existant alors dans toute l’Europe de l’Ouest, et particulièrement en France.

Initialement, le processus ayant donné naissance aux Brigades Rouges ressemble fortement à celui ayant amené en France l’existence de l’UJCML puis de la Gauche Prolétarienne.

On a une même démarche « thorézienne » de gauche, un refus de l’abandon de la ligne « dure ».

Seulement, en Italie la ligne du Parti Communiste devenu révisionniste suivait celle de Palmiro Togliatti et était ouvertement droitière. Il y avait donc un espace formidable pour qu’une ligne thorézienne de gauche puisse s’imposer au sein même de la classe ouvrière.

Les Brigades Rouges apparaissent donc comme une organisation réformiste armée, prolongeant la Résistance et dépassant la « trahison » du Parti Communiste en Italie, mais s’imaginant découvrir un terrain totalement nouveau (la lutte armée) et former une « rupture » avec les erreurs du passé.

Aux luttes revendicatives succédèrent une montée en puissance face à qui s’oppose à ces luttes : l’État, l’OTAN, le tout étant considéré comme formant un « système » s’opposant aux luttes pour le communisme.

Les Brigades Rouges étaient ainsi à la fois une organisation se revendiquant de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong, et de l’autre une structure totalement nouvelle, par l’union immédiate et systématique du politique et du militaire.

Le point culminant fut bien sûr en 1978 l’enlèvement et l’exécution d’Aldo Moro, chef de file de la démocratie chrétienne devant réaliser un « compromis historique » avec le Parti Communiste italien.

Les Brigades Rouges auraient pourtant dû profiter du fait que le Parti Communiste italien se démasque, pour se poser comme véritable ligne rouge.

Au lieu de cela, les Brigades Rouges ont voulu l’empêcher d’aller jusqu’au bout de sa démarche d’ouverture et de liquidation.

Cela rappelle bien sûr l’UJCML et sa position en mai 1968, avec la peur de son dirigeant que le PCF soit pris au piège d’une répression étatique par l’intermédiaire de la social-démocratie organisant une fausse révolte.

En France, comme en Italie, , les « thoréziens » de gauche voulaient « sauver » le Parti, en posant la question du pouvoir. Ni l’UJCML ni les Brigades Rouge n’ont refondé le Parti, justement, à la différence d’en Inde, d’au Bangladesh, d’au Chili, d’au Pérou, d’en Turquie, etc.

Ainsi, malgré les analyses de la situation dans leur propre pays, les Brigades Rouges ont contourné la question du dépassement du révisionnisme du Parti Communiste italien en plaçant la bataille sur le plan européen, sur le plan mondial, en raisonnant en termes d’affrontement, etc. ; il était ainsi parlé de « l’État impérialiste des multinationales ».

Cela a amené un subjectivisme en mode guérilla, provoquant l’apparition de courants ouvertement réformistes armés (comme la colonne Walter Alasia), ouvertement subjectiviste (la tendance fondant le Parti Guérilla du Prolétariat Métropolitain), ou encore liquidateur en mode « marxiste-léniniste » (la tendance fondant l’Union des Communistes Combattants).

A cela s’ajoute une vague très importante de liquidation, de dissociation et de repentir, démolissant rapidement et pratiquement intégralement l’organisation, dans un processus allant de 1977 au tout début des années 1980.

Pour cette raison, et paradoxalement, la plus haute avancée idéologique et pratique consiste en les Brigades Rouges au lendemain de la défaite de 1978 avec l’enlèvement d’Aldo Moro, lorsqu’elles se sont libérées de tous les courants réformistes d’un côté, subjectivistes de l’autre.

Le problème est que ces restes des Brigades Rouges, se définissant comme étant « pour la construction du Parti Communiste Combattant », ne l’ont pas compris ; elles n’ont pas saisi qu’elles portaient directement le « politique », s’imaginant avoir trouvé le « politico-militaire ».

Les « Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant » ont en fait redécouvert la politique révolutionnaire – ce qui n’est guère étonnant puisque c’est en Italie qu’est née la science politique moderne, avec Machiavel comme expression de l’averroïsme politique, comme analyse matérialiste de la réalité, même si soumis aux princes afin de contrer l’Église.

La politique révolutionnaire, ce n’est pas le syndicalisme et le suivisme des luttes économiques, mais le positionnement politique dans la société, la prise d’initiative dans la guerre de positions face à la bourgeoisie.

C’était la prise de conscience de l’importance des choix politiques, reposant sur l’idéologie.

Toutefois, les BR-PCC se trouvaient dans une situation où elles devaient synthétiser, en pratique, la pensée-guide, sans avoir les moyens de le faire, de par la désagrégation de l’organisation et de par une compréhension insuffisante du matérialisme dialectique (la dialectique de la nature n’a ainsi jamais été saisie en Italie, pareillement qu’en France donc).

Aussi, les BR-PCC ont-elles théorisé la « retraite stratégique ».

Cette « retraite stratégique » signifiait concrètement la construction de la matrice de la révolution, avec toute une série de considérations tactiques et stratégiques, comme on en a un exemple dans la déclaration de 1990 de Simonetta Giorgeri.

Cependant, le concept de pensée-guide n’a pas été compris et cette matrice n’a pas été constituée de manière suffisante ; les BR-PCC ont alors tenté de combler ce manque en multipliant les attaques au cœur de l’État.

Le principe était de désarticuler l’État bourgeois dans ses modes d’existence, à des moments précis selon les situations politiques, afin de laisser l’espace libre aux révolutionnaires pour se développer.

Seulement, en pratique ce qui relevait de la politique révolutionnaire synthétisée s’est transformé en méthode pragmatique-machiavélique portée par une démarche subjectiviste, et les BR-PCC se sont transformées en leur contraire, basculant dans un idéalisme guérillera du même type que celui que cette organisation avait rejeté au début des années 1980.

Au lieu de situations politiques auxquelles les révolutionnaires répondaient politiquement face à l’État, tout cela a été finalement interprété comme démarche « politico-militaire » sabotant un « plan » de la bourgeoisie.

Au lieu de la pensée-guide, des initiatives comprises comme étant dans le cadre d’une guerre des positions face à un État réactionnaire et décadent, les BR-PCC se sont transformées en forces guévaristes imaginant que la bourgeoisie « pense », que l’unique aspect est qu’elles sont en affrontement direct avec l’État, dans une sorte de tourbillon politique où la balance peut pencher immédiatement soit d’un côté, soit de l’autre.

Au lieu d’établir la pensée du côté révolutionnaire, comme compréhension synthétique et reflet de la réalité, les BR-PCC ont, tout comme la Fraction Armée Rouge en Allemagne, inversé la démarche et imaginé que l’ennemi pensait et que saboter ses plans amènerait son effondrement.

C’était une soumission au subjectivisme, au social-impérialisme soviétique (considéré comme utile de manière passive, à l’opposé de la ligne historique des Brigades Rouges), aux conceptions « anti-impérialistes » stratégiques (le « Front Combattant Anti-impérialiste » comme processus unitaire dans la « zone géopolitique Méditerranée Moyen-Orient »).

Cela amena la décadence des BR-PCC, puis leur effondrement au fur et à mesure.

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Lénine et la notion d’impérialisme : corruption politique et oligarchie

Il s’agit donc d’être absolument clair : pour Lénine, on ne peut pas rétrograder et faire cesser l’impérialisme pour en revenir au stade du capitalisme concurrentiel.

Ce qui se passe pourtant – et c’est dialectiquement relié à cela – est qu’une partie des responsables ouvriers pratiquent le social-impérialisme, prétextant pouvoir « réformer » l’impérialisme, mais en réalité le modernisant, l’aménageant, etc.

Leur réalité tient à la corruption d’une partie de la classe ouvrière grâce à la puissance de l’impérialisme. Une aristocratie ouvrière se forme, alors que même une large partie de la classe ouvrière elle-même peut être paralysée longtemps, comme ce fut le cas en Angleterre.

C’est ce qui fera que, par la suite, Mao Zedong parlera de la zone des tempêtes pour caractériser l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie, zones victimes de l’impérialisme et se révoltant contre lui.

Lénine nous enseigne que :

« Ce qui distingue la situation actuelle, c’est l’existence de conditions économiques et politiques qui ne pouvaient manquer de rendre l’opportunisme encore plus incompatible avec les intérêts généraux et vitaux du mouvement ouvrier : d’embryon, l’impérialisme est devenu le système prédominant; les monopoles capitalistes ont pris la première place dans l’économie et la politique; le partage du monde a été mené à son terme; d’autre part, au lieu du monopole sans partage de l’Angleterre, nous assistons maintenant à la lutte d’un petit nombre de puissances impérialistes pour la participation au monopole, lutte qui caractérise tout le début du XXe siècle.

L’opportunisme ne peut plus triompher aujourd’hui complètement au sein du mouvement ouvrier d’un seul pays pour des dizaines et des dizaines d’années, comme il l’a fait en Angleterre dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Mais, dans toute une série de pays, il a atteint sa pleine maturité, il l’a dépassée et s’est décomposé en fusionnant complètement, sous la forme du social-chauvinisme, avec la politique bourgeoise (…).

L’idéologie impérialiste pénètre également dans la classe ouvrière, qui n’est pas séparée des autres classes par une muraille de Chine.

Si les chefs de l’actuel parti dit « social-démocrate » d’Allemagne sont traités à juste titre de « social-impérialistes », c’est-à-dire de socialistes en paroles et d’impérialistes en fait, il convient de dire que, déjà en 1902, Hobson signalait l’existence en Angleterre des « impérialistes fabiens », appartenant à l’opportuniste « Société des fabiens ».

Les savants et les publicistes bourgeois défendent généralement l’impérialisme sous une forme quelque peu voilée; ils en dissimulent l’entière domination et les racines profondes; ils s’efforcent de faire passer au premier plan des particularités, des détails secondaires, s’attachant à détourner l’attention de l’essentiel par de futiles projets de « réformes » tels que la surveillance policière des trusts et des banques, etc.

Plus rares sont les impérialistes avérés, cyniques, qui ont le courage d’avouer combien il est absurde de vouloir réformer les traits essentiels de l’impérialisme. »

Naturellement, avec le pourrissement de l’impérialisme, pourrissement totalement inévitable, la corruption s’effondre elle-même, faisant réémerger au premier plan les contradictions profondes du mode de production capitaliste lui-même.

L’apparition du stade impérialiste du capitalisme est marquée par la domination des monopoles, la génération d’une oligarchie tendant à ressortir au sein de la bourgeoisie elle-même, avec les libertés s’effaçant au profit d’un autoritarisme reflétant les rapports de force au sein du mode de production capitaliste, et bien sûr une tendance militarisée à l’expansion.

Le fascisme, en tant que système politique, est le fruit direct, l’accompagnateur de l’avènement complet du stade impérialiste et du succès politique de la nouvelle oligarchie, issue d’une partie de la bourgeoisie, au sein de l’État lui-même.

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Lénine, l’impérialisme et le parasitisme

Ce qui est à la base de la compréhension léniniste de l’impérialisme, c’est que celui-ci a deux aspects. Le monopole est un progrès par rapport au capitalisme libéral concurrentiel ; en même temps, il porte en lui son propre dépassement.

Une fois qu’il a, en effet, atteint son développement, le monopole issu du capitalisme devient simplement parasitaire. Il a été l’expression de l’accroissement des forces productives ; il en devient un frein, un obstacle, une frontière.

Étant en effet en position de force, le monopole empêche tout ce qui risque de nuire au statu quo, à son existence. Vu depuis le début du XXIe siècle, c’est l’opposition entre les start-ups et les monopoles, où par ailleurs les premières se font toujours phagocyter par les seconds.

Lénine explique en ce qui concerne cette question :

« Nous l’avons vu, la principale base économique de l’impérialisme est le monopole. Ce monopole est capitaliste, c’est-à-dire né du capitalisme; et, dans les conditions générales du capitalisme, de la production marchande, de la concurrence, il est en contradiction permanente et sans issue avec ces conditions générales.

Néanmoins, comme tout monopole, il engendre inéluctablement une tendance à la stagnation et à la putréfaction.

Dans la mesure où l’on établit, fût-ce momentanément, des prix de monopole, cela fait disparaître jusqu’à un certain point les stimulants du progrès technique et, par suite, de tout autre progrès; et il devient alors possible, sur le plan économique, de freiner artificiellement le progrès technique.

Un exemple : en Amérique, un certain Owens invente une machine qui doit révolutionner la fabrication des bouteilles. Le cartel allemand des fabricants de bouteilles rafle les brevets d’Owens et les garde dans ses tiroirs, retardant leur utilisation.

Certes, un monopole, en régime capitaliste, ne peut jamais supprimer complètement et pour très longtemps la concurrence sur le marché mondial (c’est là, entre autres choses, une des raisons qui fait apparaître l’absurdité de la théorie de l’ultra-impérialisme).

Il est évident que la possibilité de réduire les frais de production et d’augmenter les bénéfices en introduisant des améliorations techniques pousse aux transformations. Mais la tendance à la stagnation et à la putréfaction, propre au monopole, continue à agir de son côté et, dans certaines branches d’industrie, dans certains pays, il lui arrive de prendre pour un temps le dessus.

Le monopole de la possession de colonies particulièrement vastes, riches ou avantageusement situées, agit dans le même sens. »

Lénine et Staline

Un autre aspect du parasitisme est la naissance d’une couche sociale vivant uniquement des exportations de capitaux. On a alors tendanciellement la formation de sortes d’États-rentiers, d’États-usuriers.

Ce n’est, toutefois qu’une tendance. Lénine fait ici une précision d’une très grande importance à propos de cette question qu’il s’agit de comprendre de manière dialectique.

Voici ce que dit Lénine en étudiant la position de l’anglais John Atkinson Hobson quant à l’impérialisme, lui-même ayant publié en 1903 L’impérialisme. Une étude :

« La perspective du partage de la Chine provoque chez Hobson l’appréciation économique que voici : « Une grande partie de l’Europe occidentale pourrait alors prendre l’apparence et le caractère qu’ont maintenant certaines parties des pays qui la composent : le Sud de l’Angleterre, la Riviera, les régions d’Italie et de Suisse les plus fréquentées des touristes et peuplées de gens riches – à savoir : de petits groupes de riches aristocrates recevant des dividendes et des pensions du lointain Orient, avec un groupe un peu plus nombreux d’employés professionnels et de commerçants et un nombre plus important de domestiques et d’ouvriers occupés dans les transports et dans l’industrie travaillant à la finition des produits manufacturés.

Quant aux principales branches d’industrie, elles disparaîtraient, et la grande masse des produits alimentaires et semi-ouvrés affluerait d’Asie et d’Afrique comme un tribut. »

« Telles sont les possibilités que nous offre une plus large alliance des États d’Occident, une fédération européenne des grandes puissances : loin de faire avancer la civilisation universelle, elle pourrait signifier un immense danger de parasitisme occidental aboutissant à constituer un groupe à part de nations industrielles avancées, dont les classes supérieures recevraient un énorme tribut de l’Asie et de l’Afrique et entretiendraient, à l’aide de ce tribut, de grandes masses domestiquées d’employés et de serviteurs, non plus occupées à produire en grandes quantités des produits agricoles et industriels, mais rendant des services privés ou accomplissant, sous le contrôle de la nouvelle aristocratie financière, des travaux industriels de second ordre.

Que ceux qui sont prêts à tourner le dos à cette théorie » (il aurait fallu dire : à cette perspective)« comme ne méritant pas d’être examinée, méditent sur les conditions économiques et sociales des régions de l’Angleterre méridionale actuelle, qui en sont déjà arrivées à cette situation.

Qu’ils réfléchissent à l’extension considérable que pourrait prendre ce système si la Chine était soumise au contrôle économique de semblables groupes de financiers, de « placeurs de capitaux » (les rentiers), de leurs fonctionnaires politiques et de leurs employés de commerce et d’industrie, qui drainent les profits du plus grand réservoir potentiel que le monde ait jamais connu, afin de les consommer en Europe.

Certes, la situation est trop complexe et le jeu des forces mondiales trop difficile à escompter pour que ladite ou quelque autre prévision de l’avenir dans une seule direction puisse être considérée comme la plus probable.

Mais les influences qui régissent à l’heure actuelle l’impérialisme de l’Europe occidentale s’orientent dans cette direction, et si elles ne rencontrent pas de résistance, si elles ne sont pas détournées d’un autre côté, c’est dans ce sens qu’elles joueront. »

L’auteur a parfaitement raison : si les forces de l’impérialisme ne rencontraient pas de résistance, elles aboutiraient précisément à ce résultat.

La signification des « États-Unis d’Europe » dans la situation actuelle, impérialiste, a été ici très justement caractérisée. Il eût fallu seulement ajouter que, à l’intérieur du mouvement ouvrier également, les opportunistes momentanément vainqueurs dans la plupart des pays, « jouent » avec système et continuité, précisément dans ce sens.

L’impérialisme, qui signifie le partage du monde et une exploitation ne s’étendant pas uniquement à la Chine, et qui procure des profits de monopole élevés à une poignée de pays très riches, crée la possibilité économique de corrompre les couches supérieures du prolétariat; par là même il alimente l’opportunisme, lui donne corps et le consolide.

Mais ce qu’il ne faut pas oublier, ce sont les forces dressées contre l’impérialisme en général et l’opportunisme en particulier, forces que le social-libéral Hobson n’est évidemment pas en mesure de discerner. »

L’impérialisme a une tendance à l’universel mais celle-ci ne saurait triompher de par les contradictions internes qui existent et qui sont propres au mode de production capitaliste que l’impérialisme ne fait que prolonger.

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Lénine et la notion d’impérialisme : une question de définition

Le matérialisme dialectique étant la science du réel, Lénine a tenté de donner la définition la plus précise du phénomène impérialiste. Naturellement, cette définition constate le développement de ce phénomène par des contradictions.

Voici ce que dit Lénine :

« Il nous faut maintenant essayer de dresser un bilan, de faire la synthèse de ce qui a été dit plus haut de l’impérialisme.

L’impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général.

Mais le capitalisme n’est devenu l’impérialisme capitaliste qu’à un degré défini, très élevé, de son développement, quand certaines des caractéristiques fondamentales du capitalisme ont commencé à se transformer en leurs contraires, quand se sont formés et pleinement révélés les traits d’une époque de transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur.

Ce qu’il y a d’essentiel au point de vue économique dans ce processus, c’est la substitution des monopoles capitalistes à la libre concurrence capitaliste.

La libre concurrence est le trait essentiel du capitalisme et de la production marchande en général; le monopole est exactement le contraire de la libre concurrence; mais nous avons vu cette dernière se convertir sous nos yeux en monopole, en créant la grande production, en éliminant la petite, en remplaçant la grande par une plus grande encore, en poussant la concentration de la production et du capital à un point tel qu’elle a fait et qu’elle fait surgir le monopole : les cartels, les syndicats patronaux, les trusts et, fusionnant avec eux, les capitaux d’une dizaine de banques brassant des milliards.

En même temps, les monopoles n’éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus; ils existent au-dessus et à côté d’elle, engendrant ainsi des contradictions, des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents.

Le monopole est le passage du capitalisme à un régime supérieur.

Si l’on devait définir l’impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu’il est le stade monopoliste du capitalisme.

Cette définition embrasserait l’essentiel, car, d’une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d’industriels; et, d’autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s’étendant sans obstacle aux régions que ne s’est encore appropriée aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d’un globe entièrement partagé. »

Lénine s’empresse d’ajouter, immédiatement après :

« Mais les définitions trop courtes, bien que commodes parce que résumant l’essentiel, sont cependant insuffisantes, si l’on veut en dégager des traits fort importants de ce phénomène que nous voulons définir.

Aussi, sans oublier ce qu’il y a de conventionnel et de relatif dans toutes les définitions en général, qui ne peuvent jamais embrasser les liens multiples d’un phénomène dans l’intégralité de son développement, devons-nous donner de l’impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants :

1) concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu’elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique;

2) fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création, sur la base de ce « capital financier », d’une oligarchie financière;

3) l’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une importance toute particulière;

4) formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde, et

5) fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes.

L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. »

Voilà la thèse élémentaire de Lénine sur l’impérialisme. Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, on trouve toutefois encore des analyses présentant certains aspects, dont le parasitisme propre à la nature de l’impérialisme.

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Lénine, l’impérialisme et la politique coloniale

Ainsi, il y a d’un côté des regroupements capitalistes de type monopoliste menant une bataille à l’échelle planétaire, de l’autre les États eux-mêmes, en tant qu’outils toujours davantage dans les mains des monopoles, participant à la bataille pour le contrôle de territoires.

Ce qui détermine notamment la première guerre mondiale impérialiste, c’est que la période la précédant avait été marquée par la fin du partage. L’Afrique et la Polynésie colonisées, il ne restait plus de territoires disponibles. Les contradictions inter-impérialistes ne pouvaient que s’amplifier.

En fait, le colonialisme lui-même est un phénomène lié à l’impérialisme, au capitalisme monopoliste. Lénine constate cela de la manière suivante :

« Pour l’Angleterre, la période d’accentuation prodigieuse des conquêtes coloniales se situe entre 1860 et 1890, et elle est très intense encore dans les vingt dernières années du XIXe siècle. Pour la France et l’Allemagne, c’est surtout ces vingt années qui comptent.

On a vu plus haut que le capitalisme prémonopoliste, le capitalisme où prédomine la libre concurrence, atteint la limite de son développement entre 1860 et 1880; or, l’on voit maintenant que c’est précisément au lendemain de cette période que commence l' »essor » prodigieux des conquêtes coloniales, que la lutte pour le partage territorial du monde devient infiniment âpre.

Il est donc hors de doute que le passage du capitalisme à son stade monopoliste, au capital financier, est lié à l’aggravation de la lutte pour le partage du monde. »

La France, par exemple, disposait en 1876 de colonies sur un territoire de 0,9 millions de kilomètres carrés, avec 6 millions de personnes, contre 10,6 millions de kilomètres carrés et 55,5 millions de personnes en 1914. Il y a toutefois un développement inégal ; les différents impérialismes n’avancent pas aussi vite, ce qui fait dire à Lénine :

« Trois puissances n’avaient en 1876 aucune colonie, et une quatrième, la France, n’en possédait presque pas. Vers 1914, ces quatre puissances ont acquis 14,1 millions de kilomètres carrés de colonies, soit une superficie près d’une fois et demie plus grande que celle de l’Europe, avec une population d’environ 100 millions d’habitants.

L’inégalité de l’expansion coloniale est très grande. Si l’on compare, par exemple, la France, l’Allemagne et le Japon, pays dont la superficie et la population ne diffèrent pas très sensiblement, on constate que le premier de ces pays a acquis presque trois fois plus de colonies (quant à la superficie) que les deux autres pris ensemble.

Mais par son capital financier, la France était peut-être aussi, au début de la période envisagée, plusieurs fois plus riche que l’Allemagne et le Japon réunis. »

Le léninisme présuppose par conséquent que les pays sont de différentes natures. L’existence de l’impérialisme fait que les indépendances formelles sont fictives : ce qui compte réellement, c’est la base sociale de chaque pays.

Il y a, de manière dialectique, d’un côté les pays impérialistes, de l’autre les pays dépendants.

Lénine

Lénine donne ici une explication très utile :

« Dès l’instant qu’il est question de politique coloniale à l’époque de l’impérialisme capitaliste, il faut noter que le capital financier et la politique internationale qui lui est conforme, et qui se réduit à la lutte des grandes puissances pour le partage économique et politique du monde, créent pour les Etats diverses formes transitoires de dépendance.

Cette époque n’est pas seulement caractérisée par les deux groupes principaux de pays : possesseurs de colonies et pays coloniaux, mais encore par des formes variées de pays dépendants qui, nominalement, jouissent de l’indépendance politique, mais qui, en réalité, sont pris dans les filets d’une dépendance financière et diplomatique.

Nous avons déjà indiqué une de ces formes : les semi-colonies. En voici une autre, dont l’Argentine, par exemple, nous offre le modèle.

« L’Amérique du Sud et, notamment l’Argentine, écrit Schulze-Gaevernitz dans son ouvrage sur l’impérialisme britannique, est dans une telle dépendance financière vis-à-vis de Londres qu’on pourrait presque l’appeler une colonie commerciale de l’Angleterre. »

Les capitaux placés par la Grande-Bretagne en Argentine étaient évalués par Schilder, d’après les informations du consul austro-hongrois à Buenos-Aires pour 1909, à 8 milliards 750 millions de francs. Ou se représente sans peine quelles solides relations cela assure au capital financier – et à sa fidèle « amie » la diplomatie – de l’Angleterre avec la bourgeoisie d’Argentine, avec les milieux dirigeants de toute la vie économique et politique de ces pays.

Le Portugal nous offre l’exemple d’une forme quelque peu différente, associée à l’indépendance politique, de la dépendance financière et diplomatique. Le Portugal est un Etat souverain, indépendant, mais il est en fait, depuis plus de deux cents ans, depuis la guerre de la Succession d’Espagne (1701-1714), sous protectorat britannique.

L’Angleterre a défendu le Portugal et ses possessions coloniales pour fortifier ses propres positions dans la lutte contre ses adversaires, l’Espagne et la France. Elle a reçu, en échange, des avantages commerciaux, des privilèges pour ses exportations de marchandises et surtout de capitaux vers le Portugal et ses colonies, le droit d’user des ports et des îles du Portugal, de ses câbles télégraphiques, etc., etc.

De tels rapports ont toujours existé entre petits et grands États, mais à l’époque de l’impérialisme capitaliste, ils deviennent un système général, ils font partie intégrante de l’ensemble des rapports régissant le « partage du monde », ils forment les maillons de la chaîne des opérations du capital financier mondial. »

Contradictions inter-impérialistes, développement inégal, différenciation dialectique des pays dépendants eux-mêmes en pays semi-colonisés et pays formellement indépendants… Lénine fournit le panorama complet de la situation amenée par la naissance de l’impérialisme.

C’est la raison pour laquelle il rejette catégoriquement la notion d’ultra-impérialisme que Karl Kautsky considère comme possible, c’est-à-dire la fusion de tous les monopoles en un superimpérialisme.

Concevoir cela comme possible, c’est nier la loi de la contradiction et nier le développement de l’impérialisme par l’intermédiaire du capital financier, qui réorganise la base capitaliste dans un sens monopoliste et par conséquent agressif tout azimut.

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Lénine, l’impérialisme et l’exportation des capitaux

On a vu que dans l’impérialisme, le capital jouait un rôle encore plus grand, car il était centralisé, avec les banques. Or, s’il est centralisé, il est dialectiquement encore plus dispersé, les capitalistes investissant partout de par le monde.

Lénine formule donc la définition scientifique suivante :

« Ce qui caractérisait l’ancien capitalisme, où régnait la libre concurrence, c’était l’exportation des marchandises. Ce qui caractérise le capitalisme actuel, où règnent les monopoles, c’est l’exportation des capitaux. »

Que signifie l’exportation des capitaux ? Cela signifie qu’en lieu et place d’investir dans leur propre pays, les capitalistes investissent dans d’autres pays, car tel est leur intérêt le plus pertinent de leur point de vue.

Le thème de la « mondialisation », des « délocalisations », n’est pas du tout propre au début du XXIe siècle : chaque cycle impérialiste du capitalisme se caractérise par cette même logique. Voici comment Lénine décrit cela, à son époque :

« Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l’excédent de capitaux est consacré, non pas à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné, car il en résulterait une diminution des profits pour les capitalistes, mais à augmenter ces profits par l’exportation de capitaux à l’étranger, dans les pays sous-développés.

Les profits y sont habituellement élevés, car les capitaux y sont peu nombreux, le prix de la terre relativement bas, les salaires de même, les matières premières à bon marché. »

Selon les situations, l’exportation des capitaux se produit de manière différente. Voici la différence entre l’Angleterre, la France et l’Allemagne :

« Pour l’Angleterre, ce sont en premier lieu ses possessions coloniales, très grandes en Amérique également (le Canada, par exemple), sans parler de l’Asie, etc. Les immenses exportations de capitaux sont étroitement liées ici, avant tout, aux immenses colonies, dont nous dirons plus loin l’importance pour l’impérialisme.

Il en va autrement pour la France. Ici les capitaux placés à l’étranger le sont surtout en Europe et notamment en Russie (10 milliards de francs au moins). Il s’agit principalement de capitaux de prêt, d’emprunts d’Etat, et non de capitaux investis dans les entreprises industrielles. A la différence de l’impérialisme anglais, colonialiste, l’impérialisme français peut être qualifié d’usuraire.

L’Allemagne offre une troisième variante : ses colonies sont peu considérables, et ses capitaux placés à l’étranger sont ceux qui se répartissent le plus également entre l’Europe et l’Amérique. »

Bien entendu, il existe de manière dialectique un double rapport entre ces processus d’exportation de capitaux : on a d’un côté la concurrence, de l’autre l’entente. C’est là qu’interviennent les contradictions inter-impérialistes opposant non plus simplement les entreprises monopolistiques, mais les États eux-mêmes.

Voyons d’abord comment Lénine décrit ce processus de « partage » au sein de cette « mondialisation » :

« Les pays exportateurs de capitaux se sont, au sens figuré du mot, partagé le monde. Mais le capital financier a conduit aussi au partage direct du globe.

Les groupements de monopoles capitalistes – cartels, syndicats, trusts – se partagent tout d’abord le marché intérieur en s’assurant la possession, plus ou moins absolue, de toute la production de leur pays. Mais, en régime capitaliste, le marché intérieur est nécessairement lié au marché extérieur.

Il y a longtemps que le capitalisme a créé le marché mondial.

Et, au fur et à mesure que croissait l’exportation des capitaux et que s’étendaient, sous toutes les formes, les relations avec l’étranger et les colonies, ainsi que les « zones d’influence » des plus grands groupements monopolistes, les choses allaient « naturellement » vers une entente universelle de ces derniers, vers la formation de cartels internationaux. »

Lénine documente longuement le développement des monopoles à l’échelle mondiale, leurs relations de concurrence, d’alliance, etc. Il souligne bien que la tendance qui l’emporte, c’est celle de la concurrence, et non de la collusion.

Il dénonce par conséquent de la manière suivante ceux qui ont des illusions à ce sujet :

« Certains auteurs bourgeois (auxquels vient de se joindre K. Kautsky, qui a complètement renié sa position marxiste, celle de 1909 par exemple) ont exprimé l’opinion que les cartels internationaux, une des expressions les plus accusées de l’internationalisation du capital, permettaient d’espérer que la paix régnerait entre les peuples en régime capitaliste.

Du point de vue de la théorie, cette opinion est tout à fait absurde; et du point de vue pratique, c’est un sophisme et un mode de défense malhonnête du pire opportunisme.

Les cartels internationaux montrent à quel point se sont développés aujourd’hui les monopoles capitalistes, et quel est l’objet de la lutte entre les groupements capitalistes.

Ce dernier point est essentiel; lui seul nous révèle le sens historique et économique des événements, car les formes de la lutte peuvent changer et changent constamment pour des raisons diverses, relativement temporaires et particulières, alors que l’essence de la lutte, son contenu de classe, ne saurait vraiment changer tant que les classes existent (…).

Il ne s’agit évidemment pas de la bourgeoisie allemande, mais de la bourgeoisie universelle.

Si les capitalistes se partagent le monde, ce n’est pas en raison de leur scélératesse particulière, mais parce que le degré de concentration déjà atteint les oblige à s’engager dans cette voie afin de réaliser des bénéfices; et ils le partagent « proportionnellement aux capitaux », « selon les forces de chacun », car il ne saurait y avoir d’autre mode de partage en régime de production marchande et de capitalisme.

Or, les forces changent avec le développement économique et politique; pour l’intelligence des événements, ils faut savoir quels problèmes sont résolus par le changement du rapport des forces; quant à savoir si ces changements sont « purement » économiques ou extra-économiques (par exemple, militaires), c’est là une question secondaire qui ne peut modifier en rien le point de vue fondamental sur l’époque moderne du capitalisme.

Substituer à la question du contenu des luttes et des transactions entre les groupements capitalistes la question de la forme de ces luttes et de ces transactions (aujourd’hui pacifique, demain non pacifique, après-demain de nouveau non pacifique), c’est s’abaisser au rôle de sophiste. »

La concurrence est l’aspect principal, elle est inévitable et est la tendance dominante, c’est cela qu’il faut voir ; cette concurrence a des formes économiques, des formes militaires, et les unes ne vont pas sans les autres, car leur existence a la même base, ce sont les deux faces de la même pièce.

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Lénine, l’impérialisme et la domination du capital financier

« Concentration de la production avec, comme conséquence, les monopoles ; fusion ou interpénétration des banques et de l’industrie, voilà l’histoire de la formation du capital financier et le contenu de cette notion. »

C’est ainsi que Lénine synthétise les deux premiers chapitres de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ; cependant, il considère comme nécessaire d’expliciter de manière scientifique deux notions étroitement liées : celles de capital financier et d’oligarchie financière.

Lénine constate habilement qu’il n’est pas nécessaire de posséder entièrement une société pour avoir le contrôle de la direction ; le grand capital utilise d’autres sections du capital pour se renforcer lui-même. Lénine explique à ce sujet :

« En fait, l’expérience montre qu’il suffit de posséder 40% des actions pour gérer les affaires d’une société anonyme, car un certain nombre de petits actionnaires disséminés n’ont pratiquement aucune possibilité de participer aux assemblées générales, etc.

La « démocratisation » de la possession des actions, dont les sophistes bourgeois et les opportunistes pseudo-social démocrates attendent (ou assurent qu’ils attendent) la « démocratisation du capital », l’accentuation du rôle et de l’importance de la petite production, etc., n’est en réalité qu’un des moyens d’accroître la puissance de l’oligarchie financière. »

Le grand capital construit tout un système opaque de relations hiérarchiques, de maisons-mères, de filiales, pour masquer son jeu, diluer ses responsabilités en cas de souci d’une branche particulière.

Cela ne va pas sans contradictions et Lénine, lors de son étude de la situation, note bien qu’il existe une critique petite-bourgeoise de l’impérialisme.

Elle n’a aucun sens, car elle ne remet pas en cause le mode de production capitaliste, simplement le rapport de force au sein du capitalisme. Lénine dresse le constat suivant :

« Les faits monstrueux touchant la monstrueuse domination de l’oligarchie financière sont tellement patents que, dans tous les pays capitalistes, aussi bien en Amérique qu’en France et en Allemagne, est apparue une littérature qui, tout en professant le point de vue bourgeois, brosse néanmoins un tableau à peu près véridique, et apporte une critique – évidemment petite-bourgeoise – de l’oligarchie financière (…).

Toutes les règles de contrôle et de surveillance, de publication des bilans, d’établissement de schémas précis pour ces derniers, etc., ce par quoi les professeurs et les fonctionnaires bien intentionnés – c’est-à-dire ayant la bonne intention de défendre et de farder le capitalisme – occupent l’attention du public, sont ici dépourvues de toute valeur.

Car la propriété privée est sacrée, et l’on ne peut empêcher personne d’acheter, de vendre, d’échanger des actions, de les hypothéquer, etc. (…).

Le monopole, quand il s’est formé et brasse des milliards, pénètre impérieusement dans tous les domaines de la vie sociale, indépendamment du régime politique et de toutes autres « contingences ». »

L’ensemble de la société est façonnée par les besoins des monopoles, qui naissent sur le terrain de la propriété privée et par conséquent n’ont qu’à prolonger leur activité pour engloutir toujours plus la société fondée justement sur la propriété privée.

Le capitalisme devenu monopoliste est tellement puissant qu’il assure un contrôle toujours plus grand sur la société, de par sa force toujours plus grande, la vigueur de sa croissance. Il donne naissance à une fine couche sociale parasitaire, de personnes vivant de leurs rentes, de leurs placements financiers.

Cette couche n’entre même plus en rapport avec la production ; elle est entièrement séparée du travail. C’est déjà le cas dans le capitalisme – ce que ne voient pas les partisans du capitalisme libéral – et c’est cela qui fait que l’impérialisme est l’évolution logique du capitalisme, le stade suprême du capitalisme, son aboutissement ultime.

Lénine nous enseigne :

« Le propre du capitalisme est, en règle générale, de séparer la propriété du capital de son application à la production; de séparer le capital-argent du capital industriel ou productif; de séparer le rentier, qui ne vit que du revenu qu’il tire du capital-argent, de l’industriel, ainsi que de tous ceux qui participent directement à la gestion des capitaux.

L’impérialisme, ou la domination du capital financier, est ce stade suprême du capitalisme où cette séparation atteint de vastes proportions.

La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l’hégémonie du rentier et de l’oligarchie financière; elle signifie une situation privilégiée pour un petit nombre d’Etats financièrement « puissants », par rapport a tous les autres. »

Cet aspect financier, Lénine l’aborde en traitant de la question de l’exportation des capitaux.

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