Les caractéristiques générales du «national-socialisme»

Il y a lieu de préciser, pour conclure, les caractéristiques générales du national-socialisme.

1. Le national-socialisme n’est pas une rencontre du nationalisme et du socialisme, mais une perspective idéaliste de réponse « nationale » aux questions sociales. Pour cette raison, l’anticapitalisme romantique est nécessaire, afin de « compenser » la non-remise en question du capitalisme.

2. La réponse « nationale » à la question sociale présuppose le fait que la nation ne connaîtrait pas de contradictions internes ; la base est ainsi la négation de la lutte des classes et du principe de dialectique en général.

3. Le « socialisme national » ne consiste pas en la nationalisation de secteurs économiques, le national-socialisme n’a jamais remis en cause la notion de propriété privée. Le seules différences idéologiques internes reposent sur le degré de corporatisme « nécessaire » à la société.

4. Les courants « national-révolutionnaire » et « national-bolchevik » etc. ne représentent donc nullement une « gauche » du national-socialisme, mais ses tendances davantage orientés vers le corporatisme. Les tendances « racialistes » représentant les tendances expansionnistes et les plus militaristes.

5. Les secteurs des masses qui passent dans le camp du national-socialisme ont comme moteur idéologique le nationalisme, pas le « socialisme ». Le socialisme exigé par ces masses est happé par le nationalisme comme réponse à la crise – face au « parasite » anti-national – puis seulement par le national-socialisme.

6. La paralysie totale des masses une fois le national-socialisme instauré est précisément le fruit de ce mouvement en trois étapes : l’énergie révolutionnaire des masses est détourné vers le nationalisme prétendant unifier la communauté. L’élan idéologique donné alors est tourné en mobilisation national-socialiste.

7. Les courants de la « révolution conservatrice » sont le pendant intellectuel et grand-bourgeois du nationalisme venant de la « base ». Dans le cas où un régime politique offensif est nécessaire, le courant national-socialiste prime nécessairement sur le courant de la « révolution conservatrice », et inversement pour les phases de réorganisation étatique et de réimpulsion du capitalisme.

8. Le national-socialisme exprime de manière combinée les besoins de la bourgeoisie la plus réactionnaire et de la recherche des masses d’une « sécurité » où la forme nationale se voit privilégiée. Cette combinaison est un processus long, difficile et contradictoire sur les plans idéologique, intellectuel, social et culturel.

9. Le national-socialisme est une tendance « naturelle » de la société capitaliste où s’installe un « froid social » dû à la crise générale du capitalisme. Les courants idéalistes d’ultra-gauche participent à la formation de cette tendance ; la social-démocratie lui donne les moyens matériels d’exister de par ses errements multiples.

10. La seule réponse au national-socialisme est la combinaison de l’exigence de la démocratie populaire avec l’affirmation de la dimension réelle de la bataille pour le communisme, en tant que résolutions de la contradiction entre travail manuel et travail intellectuel, et de celle entre les villes et les campagnes.

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La prétendue «nuit des longs couteaux» en Allemagne nazie

La date du 25 juin 1934 est davantage connue pour la liquidation, en même temps que les putschistes de la « révolution conservatrice », de nombreux dirigeants de la S.A.. Officiellement, du côté nazi, c’est une réponse à la tentative de putsch du dirigeant de la S.A., Ernst Röhm. L’expression la « nuit des longs couteaux » n’a jamais été employée en Allemagne, seulement en France, en Angleterre, etc. comme surnom donnée à une opération qui aurait servi à liquider la « gauche » nazie.

Ce n’est pas le cas. Preuve en est que nulle part le programme du parti nazi ne prévoyait d’expropriations, à part dans le cas d’activités dites anti-nationales, et que de plus le responsable de la S.A. à ce moment-là était Ernst Röhm, placé en réponse aux agissements populistes de Walter Stennes.

Quant à l’arrêt des violences de la S.A. comme prétexte, une telle interprétation n’a pas de sens, alors que l’Allemagne passe sous la coup de bouchers.

En réalité, cette opération contre la direction de la S.A. allait dans le même sens que la liquidation de la ligne de la « révolution conservatrice ». Cette dernière refusait la mobilisation totale ; inversement, les responsables de la S.A. tablaient dessus pour s’imposer.

En raison des traités internationaux d’après-guerre, l’armée allemande ne pouvait pas dépasser 100 000 personnes, alors que les S.A., par l’intégration d’autres structures juste après 1933, principalement nationalistes conservatrices, étaient passés à 4 millions de personnes.

On peut se douter d’ailleurs que cette base ayant quadruplé grosso modo n’est plus du tout celle d’avant 1933, ce qui est un autre argument à l’encontre de la thèse d’une révolte « populaire » de la base de la S.A..

Enfin, citons Gregor Strasser, frère d’Otto Strasser qui lui avait quitté le parti nazi. Gregor Strasser est toujours présenté comme le dirigeant de « l’aile gauche » du nazisme, notamment comme il fut exécuté en 1934. Voici ce qu’il dit on ne peut plus clairement dans une interview au journaliste Hubert Renfro Knickerbocker :

« Nous reconnaissons la propriété privée. Nous reconnaissons l’initiative privée. Nous reconnaissons nos dettes et notre obligation de les payer. Nous sommes contre l’étatisation de l’industrie. Nous sommes contre l’étatisation du commerce. Nous sommes contre l’économie planifiée dans le sens soviétique. »

En réalité, les S.A. étaient portées par l’idéologie du « socialisme national » dans une perspective relativement autarcique ; ce qu’on appelle la « gauche » nazie c’est en réalité la fraction la plus corporatiste.

Par conséquent, mes S.A. poussaient pour être la base de l’armée « nouvelle », dans l’esprit « milicien » du « socialisme » prussien, tandis que l’armée comptait bien entendu conserver ses traditions et son caractère central. De ce côté, ce furent les généraux Walter von Reichenau (1884-1942) et Werner von Blomberg (1878-1946) qui poussèrent à l’intégration de l’armée dans le système nazi.

Le président Paul von Hindenburg décéda alors opportunément le 2 août 1934, permettant à Adolf Hitler de devenir le chef du parti nazi, de l’État, du gouvernement et de l’armée, cette dernière instaurant un serment obligatoire au « Führer » dans ses rangs.

Ce processus passa cependant par la liquidation au préalable tant du bloc de la « révolution conservatrice » ayant la conception d’une armée « prussienne » que des dirigeants de la S.A. ayant une conception plus décentralisée et conforme à leurs envies de carrière.

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Les contradictions au sein de l’Etat nazi

L’Allemagne nazie connut bien entendu des contradictions, en fait elle ne connut que cela : contradictions entre elle et les pays conquis et opprimés, contradictions entre les larges masses et la grande bourgeoisie, contradictions entre l’armée allemande et les nouvelles factions dans l’appareil d’État, contradictions entre les factions nazies elle-même, etc. etc.

La première grande contradiction visible fut celle entre la haute bourgeoisie et l’aristocratie partisanes de la « révolution conservatrice » et le parti nazi. Elle s’exprima par l’intermédiaire de Franz von Papen, qui avait lui-même joué un rôle essentiel pour qu’Adolf Hitler accède au rôle de chancelier.

Franz von Papen tint un discours à l’université de Marbourg, le 17 juin 1934, qui fut ensuite publié malgré l’opposition farouche du parti nazi. Ce qui y est dit est d’une franchise politique impressionnante : Franz von Papen explique ouvertement que le camp de la « révolution conservatrice » a choisi, avec raison selon lui, de soutenir le national-socialisme. Franz von Papen dit ainsi de manière ouverte :

« J’ai fait porté l’attention, le 17 mars 1933 à Breslau, sur le fait que dans les années d’après-guerre, un type de mouvement conservateur-révolutionnaire s’était développé, qui ne se différenciait du national-socialisme essentiellement que sur le plan de la tactique.

Comme la révolution allemande combattait contre la démocratisation et ses conséquences fatales, le nouveau conservatisme refusait de manière conséquente toute démocratisation de plus, et croyait en la possibilité de mettre hors de fonction, par en haut, les forces pluralistes.

Le national-socialisme, à l’opposé, alla sur la voie de la démocratie, jusqu’au bout, pour arriver ensuite devant les questions, de fait pas faciles, de savoir comment étaient à réaliser les idées de direction absolue, de principe de sélection aristocratique et d’ordre populaire organique.

L’histoire a donné raison à la tactique national-socialiste, cette réalité comprise amenèrent les hommes d’État conservateurs à l’alliance avec le mouvement national-socialiste dans ces heures du début de l’année 1933. »

Cependant, les tenants de la ligne de la « révolution conservatrice » étaient en désaccord avec un certain nombre de points, précisés par Franz von Papen dans le discours. Tout d’abord, il était considéré qu’il fallait former une élite issue d’une société corporatiste, et non pas donc sur la base d’un parti dirigeant. Ensuite, la religion chrétienne devait être au centre des valeurs, dans une optique traditionnelle, et non pas la mobilisation « permanente ».

L’idéologie du discours est en fait celui de l’Etat clérical-corporatiste, tel qu’il se formera justement en Autriche. Celui qui l’avait écrit n’était d’ailleurs pas Franz von Papen lui-même, mais Edgar Julius Jung (1894-1934).

On se situe ici – les services secrets nazis publieront tout un dossier à ce sujet – dans la mouvance idéologique de l’autrichien Othmar Spann (1878–1950), justement théoricien de l’État corporatiste dans l’esprit de la « révolution conservatrice », et qui menait une grande lutte d’influence idéologique en Autriche.

Othmar Spann sera à ce titre mis de côté par les nazis ; Edgar Julius Jung sera lui arrêté dès le 25 juin 1934 et assassiné le 30 juin 1934. Les nazis avaient compris que les tenants de la « révolution conservatrice » s’étaient organisés en fraction et comptait s’appuyer sur l’armée pour mener un coup d’Etat militaire.

Le même 25 juin 1934 furent ainsi assassinés notamment le représentant majeur du catholicisme politique Erich Klausener, le responsable de la jeunesse sportive catholique Adalbert Probst, le théologien Bernhard Stempfle, le général Ferdinand von Bredow, l’ancien chancelier Kurt von Schleicher, le politicien Herbert von Bose lui-même lié à Franz von Papen ; ce dernier ne dut sa vie qu’à Hermann Göring qui lui conseilla de « rester chez lui ».

Les tenants de la ligne de la « révolution conservatrice » menèrent par la suite une politique clandestine, supervisée par deux comtes : Helmuth James Graf von Moltke (1907-1945) et Peter Graf Yorck von Wartenburg (1904-1944). Le premier sera arrêté, puis condamné à mort en raison de la tentative de coup d’Etat du 20 juillet 1944 à laquelle participa le second.

Ce fut un troisième comte, Claus Schenk Graf von Stauffenberg (1907-1944), qui dirigea la tentative de coup d’État combinant attentat contre Adolf Hitler et prise de contrôle de « l’opération Valkyrie », un état d’urgence prévue par l’État nazi lui-même en cas de soulèvement populaire.

Il s’agit ainsi d’un coup d’Etat au sens strict, pas d’une participation à un soulèvement démocratique. Voici d’ailleurs le programme de ce coup d’Etat, formulé par Claus von Stauffenberg comme dénominateur commun :

« Nous nous sommes engagés en esprit et dans les faits aux grandes transmissions de notre peuple qui ont donné naissance à l’humanité occidentale par la fusion des origines helléniques et chrétiennes dans l’essence germanique.

Nous voulons un nouvel ordre, qui rend porteurs de l’Etat tous les Allemands, et leur garantit le droit et la justice, mais méprisons le mensonge de l’égalité et exigeons la reconnaissance des rangs naturels.

Nous voulons un peuple enraciné dans le sol de la patrie, qui reste proche des forces naturelles, qui trouve dans l’agissement dans ses cercles de vie donnés sa chance et sa satisfaction suffisantes, et dépasse dans la fierté libre les impulsions inférieures de l’envie et de la jalousie. »

Parmi les 200 personnes exécutées pour la tentative de coup d’État, on trouve 20 généraux, 26 colonels, deux ambassadeurs, sept diplomates, un ministre, trois secrétaires d’Etat dont le chef de la police criminelle, etc.

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L’absence de contradictions réelles au sein des S.A.

Les S.A. ne connurent pas de réel bouleversement à partir de 1933. Cela peut sembler paradoxal, et ce problème théorique a été « résolu » de manière totalement idéaliste au moyen d’une interprétation fondamentalement erronée de la « nuit des longs couteaux » en juin 1934.

La liquidation de dirigeants S.A. qui a eu lieu alors ne tient pas spécifiquement à la base de la S.A., et d’ailleurs la répression frappe autant les milieux de la « révolution conservatrice ». La thèse d’une « gauche » de la S.A. se révoltant et exigeant une « seconde révolution » n’a pas de fondements.

La base des S.A. n’était pas unifiée, même si elle provenait de couches populaires. Dans les zones ouvrières les S.A. étaient en bonne partie eux-mêmes d’origine ouvrière, alors que dans les grosses villes du sud comme Munich ou Francfort sur le Main, il n’y avait pratiquement pas de S.A. faisant partie de la classe ouvrière.

Cette base populaire des S.A. n’avait, dans tous les cas, pas du tout la culture des grands centres ouvriers, où la classe ouvrière ne céda jamais aux nazis. Les S.A. se plaçaient donc dans une perspective assez « lumpen » ; par ailleurs au-delà des apparences « strictes », porter l’uniforme n’était pas une nécessité absolue ; en ville on était alors relégué au fond des défilés, et dans les campagnes il ne fut pas généralisé systématiquement.

De la même manière, les S.A., pourtant l’armée d’Adolf Hitler, avaient la moitié de leurs membres n’appartenant pas au parti nazi. Les S.A. fonctionnaient en fait par affinité, formant des rassemblements d’hommes exprimant une idéologie « virile », une culture militariste issue de la première guerre mondiale où ils n’avaient pas combattu en raison de leur jeune âge.

L’idéologie des S.A. tenait ainsi à un style, comme dans le hooliganisme, et pour cette raison, toutes les entreprises idéologiques concernant les S.A. ont échoué.

Ainsi, lorsque la fraction portée par Otto Strasser, quitta les S.A. en lançant un manifeste le 4 juillet 1930, signé « Les national-socialistes révolutionnaires », elle n’eut pratiquement aucun impact.

Cette rupture fut le prolongement d’une discussion houleuse, les 21 et 22 mai 1930, entre Adolf Hitler et les partisans d’Otto Strasser, qui réclamaient davantage de décentralisation dans le parti nazi et surtout qui considéraient que le concept de « communauté populaire » était central, et pas celui de « Führer ».

Otto Strasser opposait en pratique le fascisme italien, avec son principe du dictateur, au national-socialisme compris comme « socialisme national », autarcique avant tout. Pour cette raison, Otto Strasser critiquait le non soutien à Gandhi en Inde, à ses yeux, le nationalisme devait soutenir tous les nationalismes. Par la suite, Otto Strasser soutint ensuite une ligne ethno-différentialiste, considérant « les Juifs » comme une race à part, mais devant être reconnue.

Malgré toutes ces questions débattues et qui purent être prétexte à des batailles de fraction, seulement quelques milliers de personnes quittèrent les S.A. pour rejoindre Otto Strasser qui fonda le National-Sozialistische Kampfgemeinschaft Deutschlands (« Communauté de combat national-socialiste d’Allemagne »), structure tentant de lancer différentes publications (« Le national-socialiste », « La révolution allemande », « Le front noir »).

Très rapidement la moitié des effectifs rejoignirent les communistes ; Otto Strasser se retrouva totalement isolé, quittant l’Allemagne en 1933, pour finalement se retrouver au Canada.

Malgré cet épisode anecdotique dans l’histoire des S.A., et la base corporatiste d’Otto Strasser, cela fut prétexte à un « mythe » d’une « gauche » des S.A..

En réalité, s’il faut chercher un événement d’importance dans les S.A. ayant une certaine dimension sociale, et certainement pas socialiste, ce fut la révolte organisée par Walter Stennes, « héros » de la première guerre mondiale puis corps-franc, ayant rejoint le parti nazi 1927 et immédiatement devenu le responsable pour Berlin.

Walter Stennes avait exigé que des S.A. fassent partie des élus du parti nazi, que les gens du service d’ordre de protection soient payés, etc. Le 30 août 1930 il occupa en rébellion le bâtiment central du parti nazi à Berlin, ainsi que la rédaction du journal nazi berlinois « Der Angriff » (« L’attaque »), bastonnant les S.S. de garde présents.

Adolf Hitler dut intervenir en catastrophe et rechercher un compromis. A cette occasion, il évinça Franz Pfeffer von Salomon du poste de direction des S.A., pour y placer Ernst Röhm avec comme tâche de contrôler Walter Stennes.

Ce dernier réédita les occupations de bâtiment en février 1931, refusant d’accepter l’ordre d’Adolf Hitler de cesser les combats de rue, afin d’obéir à l’état d’urgence prononcé régionalement par le gouvernement. Walter Stennes attaqua à ce moment là idéologiquement violemment les « bonzes » au sein du parti nazi, et il fut alors exclu du parti nazi et des S.A..

Walter Stennes réussit toutefois à gagner un tiers des S.A. berlinois et fonda le Nationalsozialistische Kampfbewegung Deutschlands(« Mouvement de combat national-socialiste d’Allemagne »), s’opposant totalement au parti nazi et exigeant la prédominance complète des S.A.. A ses yeux, l’existence du parti nazi était une concession intolérable au « système » et il visait particulièrement Joseph Goebbels comme représentant du courant « idéologique ».

Selon Walter Stennes, les S.A. devaient s’opposer catégoriquement au « système » et viser le coup d’État. Le mouvement de Walter Stennes échoua cependant totalement ; arrêté en 1933, il dut sa liberté grâce à son ami Hermann Göring et à son oncle qui était cardinal. Il partit en Chine où il devint conseiller militaire de Jiǎng Jièshí (Tchang Kaï-chek).

Enfin, il existait une autre structure indépendante du parti nazi, appelée Gruppe sozialrevolutionärer Nationalisten (« Groupe des Nationalistes sociaux-révolutionnaires  »), autour de Karl Otto Paetel et proche d’Ernst Niekisch. Cette organisation était de type « national-bolchevik », prônant une Allemagne nationaliste s’opposant aux grandes entreprises et s’alliant avec l’URSS.

L’organisation finit par soutenir la lutte du Parti Communiste d’Allemagne contre le mouvement nazi, mais son importance idéologique et culturelle était pratiquement nulle. Il en alla de même avec Gregor Strasser, frère d’Otto Strasser, qui perdit toute responsabilité au sein du parti nazi en décembre 1932.

Les nazis avaient perdu deux millions de voix aux élections un mois auparavant et Otto Strasser prônait une politique de compromis gouvernemental, ligne qui échoua devant celle d’Hermann Göring et Joseph Goebbels prônant qu’Adolf Hitler devienne chancelier.

Dans tous les cas, il n’y eut jamais de scission de masse dans les S.A., ni d’expression politique ; sur le plan idéologique, on en resta toujours au niveau du hooliganisme.

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L’idéologie S.S. comme excroissance et superstructure

Lors de la destruction de la population juive d’Europe par les nazis, seulement la moitié environ des personnes assassinées le furent de manière industrielle, au moyen des camps d’extermination, les sinistres Auschwitz, Treblinka, Bełżec, Sobibor, Chełmno, Majdanek.

Les nazis procédèrent à la « Shoah par balles », sur le tas, parallèlement à leurs conquêtes militaires. Cet aspect est totalement négligé et incompris en France, ce qui fut largement employé par les négationnistes niant qu’il y ait eu un « plan » d’extermination et niant les chambres à gaz, sans jamais parler et pour cause de la « Shoah par balles ».

Ce qu’il s’agit de comprendre, c’est que les S.A. avaient comme base idéologique un « socialisme national » prônant l’unité de l’Allemagne sur une base pangermaniste et sa « purification » du pouvoir de « l’argent ». Les choses s’arrêtaient là en termes de dynamique idéologique ; il s’agissait d’un anticapitalisme romantique, d’une sorte de « repli sur soi » absolu.

Or, la dynamique avait naturellement servi l’expansionnisme impérialiste des monopoles, qui profitèrent de cet élan. Seulement, une fois conquis de vastes territoires, une idéologie uniquement « allemande » ne suffisait pas : il fallait disposer de leviers pour profiter de mobilisations pro-nazies dans les autres pays, il fallait une idéologie justifiant le rôle « mondial » de l’Allemagne nazie.

Cela, c’est la S.S. qui lui fournira ; le passage de la « Shoah par balles » au génocide industriel reflète la montée en puissance de la S.S. qui, contrairement à la S.A., agissait directement dans une perspective « mondiale ».

A la base, la S.S. est l’escadron de protection (Schutzstaffel) d’Adolf Hitler, qui devint une structure nationale en janvier 1929, dirigée par Heinrich Himmler. Le rôle de la S.S. était à la base de protéger Adolf Hitler ; le recrutement puisait dans les « meilleurs » éléments de la S.A..

Toutefois, la S.S. surveillait par ailleurs la S.A., servant de la « police militaire » de celle-ci le cas échéant, et également de système secret de surveillance au sein du parti nazi ; ici on retrouve le « Service de sécurité » (Sicherheitsdienst) de la SS, qui surveillait également les opposants et soutenait les forces nazies d’autres pays (Autriche, Tchécoslovaquie…).

La S.S. fut ainsi un appareil technique, sur une base élitiste – elle n’a que 4 000 membres en 1931, 52 000 membres en 1933 – et c’est ainsi qu’avec la prise du pouvoir, elle se charge d’organiser la police allemande (Ordnungspolizei – police de l’ordre), ainsi que de gérer les camps de concentration.

Par la suite, la S.S. forma des troupes militaires d’élite, la Waffen-SS, qui organisa ensuite notamment des regroupements militaires internationaux sous sa supervision (Divisions « Charlemagne » composée de Français, « Landstorm Nederland » de Néerlandais, « Hunyadi » de Hongrois, etc.), s’appuyant pour recruter sur le concept de « Volksdeutsche » (« Membres du peuple allemand », sans être allemand de nationalité, avec une définition « raciale »).

La Waffen SS passa de 16 000 personnes en 1937 à 90 000 en 1940, 236 000 en 1942, 500 000 en 1943, 600 000 en 1944 ; son recrutement devint de plus en plus ouvert, et dans tous les cas les troupes étaient connues pour leur brutalité extrême et leurs massacres innombrables.

Ce sont d’ailleurs les « Einsatzgruppen » (groupes d’intervention) de la SS qui menèrent la « Shoah par balles », liquidant par ailleurs des cadres politiques ennemis d’autres pays, des prisonniers de guerre, etc. ; bien entendu, c’est la S.S. qui supervisa le génocide industriel des populations juives, rom et sinti.

La S.S. est ainsi la S.A. de l’époque de la conquête impérialiste ; au « socialisme national » allemand a succédé la bataille pour la suprématie mondiale « aryenne ». L’idéologue nouveau sur ce plan – toujours considéré comme non officiel par le parti nazi – est Alfred Rosenberg (1898-1946), par l’intermédiaire de son ouvrage « Le mythe du XXe siècle ».

Toute la camelote mystique nazie puise son origine ici. Alfred Rosenberg ne s’intéresse pas à l’Allemagne historique, comme le faisaient les théoriciens nationaux-socialistes, Rudolf Jung en premier lieu. Alfred Rosenberg dresse en effet un tableau général de l’histoire du monde comme conflit entre les « Aryens » et les « races » inférieures.

Cette idéologie totalement idéaliste alla de pair avec toute une série de fantasmes occultistes (la terre serait « creuse », l’univers « fermé », le Tibet hébergerait le « roi du monde », etc.)

Alfred Rosenberg, à côté donc de son rôle essentiel de propagandiste antisémite, a ici synthétisé une idéologie prônant un retour au folklore païen, une « âme » aryenne traversant les époques et resurgissant – ce qui ici sert bien entendu de justificatif aux conquêtes nazies.

Le fascisme tournait ici en roue libre, l’idéologie S.S. était une excroissance liée à l’organisation du pouvoir de manière adaptée à la guerre impérialiste, comme nouvelle superstructure historique.

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La remise du pouvoir au parti nazi

Adolf Hitler fut nommé chancelier d’Allemagne par le président Paul von Hindenburg, le 30 janvier 1933, à la suite d’un long processus de tractations. Le parti nazi était alors financièrement exsangue et la base des S.A. toujours plus pressée d’obtenir des résultats concrets.

En pratique, il s’agit donc d’une alliance entre le parti nazi et la fraction ultra-conservatrice, regroupant notamment le DNVP (Deutschnationale Volkspartei – Parti national-allemand du Peuple) et la « Stahlhelm, Bund der Frontsoldaten » (« Casque d’acier », ligue des soldats du front).

Affiche anti-républicaine du DNVP aux élections de 1920 : un sous-marin aux couleurs impériales cherche à couler un navire aux couleurs républicaines. « Électeur! Il doit toucher juste! »

Le DNVP faisait grosso modo entre 9 et 15 % des voix aux élections, quant au Stalhelm, c’était une milice d’un million de personnes. Ces structures, avec d’autres, s’étaient déjà alliées aux nazis dans le « Front de Harzburg » en 1931.

En arrière-plan de cela, on trouve la « Industrielleneingabe », pétition en novembre 1932 de vingt représentants de l’industrie, de la finance, et de l’agriculture au président Paul von Hindenburg, appelant à la nomination de Adolf Hitler en tant que chancelier. D’autres clubs industriels firent de même en automne 1932, comme le Hamburger Nationalklub, ainsi que des clubs aristocratiques, comme le Berliner Nationalklub von 1919.

Cela se déroulait alors que la guerre civile larvée propagée par les S.A. faisait des centaines de mort. La justice bourgeoise allemande était d’ailleurs ici « aveugle de l’oeil droit » comme il était dit en Allemagne.

Adolf Hitler en 1932

C’était le prolongement de l’esprit qui avait régné lors de l’effondrement de la monarchie et la révolution de 1918. Alors, 90% des meurtres par des corps-francs n’amenèrent pas à des enquêtes. Sur 314 condamnations pour meurtres, la moyenne était de deux mois de prison. Pour 15 révolutionnaires, surtout communistes, emprisonnés pour les mêmes faits, il y eut huit condamnations à mort et sept à en moyenne 14 années de prison.

En ce qui concerne les années 1930, la situation était similaire. Par exemple, pour la période du 7 août au 7 décembre 1932, la justice allemande prononça 2297 condamnations à mort contre les antifascistes, aucune contre les nationaux-socialistes.

Durant la même période, les condamnations d’antifascistes au pénitencier, en termes d’années, s’élevaient à 405 années, contre 21 aux nationaux-socialistes ; pour les années de prison, le total était de 827 années pour les antifascistes, de 108 ans pour les nationaux-socialistes. Enfin, pour les condamnations à une prison consistant en une sorte de résidence surveillée (« festunghaft »), les condamnations furent de 32 années au total pour les antifascistes, et rien pour les nationaux-socialistes.

Défilé de SA, sous le mot d’ordre « Mort au marxisme »

Cela concernait les tribunaux réguliers ; pour les tribunaux spéciaux, les condamnations au pénitencier formaient 457 années pour les antifascistes, 99 pour les nationaux-socialistes, et 498 années de prison pour les antifascistes, 149 pour les nationaux-socialistes.

Après la nomination d’Adolf Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933, le parlement fut dissous le premier février, et le 4 février les droits de presse et de réunion furent supprimées. Le 20 février, Adolf Hitler rencontra de manière secrète 25 industriels lui fournissant plusieurs millions pour les prochaines élections.

Alors, le 22 février, la S.A., ainsi que la S.S., furent nommés comme auxiliaires de police. C’est le début d’une terrible vague de terreur, principalement « justifiée » par l’incendie du parlement, le Reichstag, le 27 février par un militant d’ultra-gauche.

A partir de cette date, les activités politiques progressistes publiques sont impossibles, mais ce n’est pas tout. Non seulement la police et les services secrets procédèrent à l’arrestation de milliers d’activistes – au moins 10 000 communistes -, mais les S.A. firent de même.

Les nazis défilent devant la centrale du KPD,
où on reconnaît une grande affiche avec Rosa Luxembourg

Des milliers de personnes furent enlevées et amenées dans les bases des S.A., ainsi que dans les locaux socialistes et communistes pris d’assaut par les nazis. Elles furent placées dans les caves ou des cellules improvisées, torturées de manière terrifiante, avec par exemple les cheveux arrachés et des croix gammées gravées dans la tête, toutes les dents brisées une par une, etc., voire violées.

Malgré cela, les élections du 5 mars 1933 n’apportent pas la majorité absolue aux nazis. Le Parti Communiste d’Allemagne obtint 12,3 % des voix, la social-démocratie 18,3 % des voix, dans des conditions pourtant terrifiantes.

Dans le prolongement de cet élan, le 22 mars 1933, le camp de concentration de Dachau fut ouvert ; 49 autres suivront durant l’année.

En avril, 30 000 personnes étaient déjà en camp. 300 personnes au moins ont été assassinées, chiffre très faible mais les chiffres sont ici difficile à connaître bien entendu, particulièrement concernant la vague menée par les S.A..

150 000 personnes ont subi la torture à différents degrés, 350 000 perquisitions ont eu lieu, 600 journaux ont été interdits. En février 1934, le nombre de gens en camp passe déjà à 170 000, le nombre de personnes tuées est au moins de plusieurs milliers. La terreur nazie était instaurée.

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Le parti nazi et le grand capital

Le parti nazi disposait en réponse à cette tendance à la guerre et à la réaction de pas moins de trois organisations concernant l’économie, tissant des liens avec les grands capitalistes.

Le 31 janvier 1931 avait été fondé le « département de politique économique du NSDAP » (Wirtschaftspolitische Abteilung der NSDAP), où l’on retrouvera à la fois le directeur général de la Deutsche Bank Emil Georg von Stauß et le théoricien nazi de l’usure Gottfried Feder…

De cette structure sortit, d’octobre 1930 à octobre 1931, un « service de presse de politique économique » du NSDAP, à destination de 60 grands industriels, dont Fritz Thyssen, Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, Peter Klöckner, ou encore le responsable d’IG Farben Carl Duisberg par ailleurs chef de l’association nationale des industriels de 1925 à 1931.

Gustav Krupp von Bohlen und Halbach en 1931

Ce fut d’ailleurs Fritz Thyssen qui permit au parti nazi d’acheter son siège central à Munich, quant à l’association nationale des industriels – chapeautant 1000 unions industrielles, elle avait publié en décembre 1929 un manifeste intitulé pas moins que « Élévation ou effondrement ? » (Aufstieg oder Niedergang ?). En 1933, elle fera une grand donation financière à Adolf Hitler, instaurant le soutien officiel au régime dans ses rangs, avec y compris le salut nazi.

Fritz Thyssen en 1928

La seconde organisation touchant l’économie était le « Bureau du travail » (« Arbeitsstelle ») gérée par Hjalmar Schacht (1877-1970). Ce dernier avait été notamment le responsable de la banque centrale allemande et avait refusé de céder aux exigences lors de la conférence parisienne sur le plan Young. Obligé de le faire par le gouvernement social-démocrate, il démissionna et soutint le bloc national conservateur / nazi, puis le mouvement nazi lui-même.

Hjalmar Schacht en 1931

Il jouera un rôle central en redevenant responsable de la banque centrale allemande, avec les bons « Mefo », des bons de paiement garantis par l’Etat mais indirectement, servant à relancer l’industrie de l’armement sans exister officiellement dans les données monétaires et financières.

En concurrence avec Hjalmar Schacht à l’initial existait également le « cercle d’études des questions d’économie » (« Studienkreis für Wirtschaftsfragen ») autour de Wilhelm Keppler (1882-1960), qui rassemblait des industriels le plus souvent de second rang.

Wilhelm Keppler en 1943 à Berlin saluant la formation d’un pseudo-gouvernement
provisoire indien pro-allemand pro-japonais

C’est de là que vint la lettre du 19 novembre 1932 signé par des industriels et appelant à ce qu’Adolf Hitler soit nommé chancelier. Le cercle jouera un rôle essentiel, sous le nom de « Cercle d’amis du Reichsführer-SS [Himmler] », dans la déportation de masses et l’intégration à l’économie allemande des entreprises conquises par les nazis. Heinrich Himmler était ici aussi « arrosé » par des comptes secrets.

On rejoint ici un aspect particulier, celui où une sorte d’oligarchie nazie construisait des empires économiques à côté des grands capitalistes. Le cas le plus connu est celui de Hermann Göring (1893-1946). Dépendant aux drogues, vivant de manière luxueuse et décadente, au point de posséder sept lionceaux comme « animaux de compagnie », Hermann Göring était souvent ridiculisé pour son goût pour le faste et tout ce qui était brillant.

Hermann Göring

A partir de 1942, il ne joue plus aucun rôle en Allemagne nazie, dépensant une fortune en biens luxueux, pillant massivement des tableaux, passant son temps à la chasse, etc. tout en profitant de multiples entreprises, dont le monopole des préservatifs pour toute l’Allemagne nazie, notamment l’armée.

Enfin, parmi les soutiens à Adolf Hitler, il faut noter le monopole anglais des machines-outils et de l’armement Vickers, le richissime fondateur néerlandais de Shell Henri Deterding, le richissime suédois Ivar Kreuger qui obtint le monopole des allumettes (cela fut valable en RFA jusqu’en 1983), le plus grand marchand d’armes d’Europe et ultra-richissime Basil Zaharoff, l’association industrielle française le « Comité des Forges », etc.

De manière intéressante, le dirigeant politique du centre catholique, Heinrich Brüning qui fut également chancelier, écrivit ainsi le 28 août 1937 à Winston Churchill :

« La véritable ascension de Hitler commença seulement en 1929, lorsque les grands industriels allemands et d’autres refusèrent de continuer à distribuer de l’argent à une foule d’organisations patriotiques qui avaient jusque-là mené tout le travail pour le « Risorgimento » [« résurrection », allusion à l’Italie du 19e siècle s’unifiant] allemand.

Leur point de vue était que ces organisations étaient trop progressistes dans leur point de vue social. Ils étaient contents que Hitler voulait radicalement priver de droit les travailleurs. Les donations d’argent retenues aux autres organisations s’en allèrent à l’organisation de Hitler. C’est naturellement tout à fait le traditionnel début du fascisme. »

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L’appui logique du grand capital au national-socialisme

« L’ennemi est à gauche ! », tel était le titre du « journal des employeurs allemands » du 17 octobre 1929. Si en 1918 le régime monarchique s’était effondré, l’appareil d’État était lui resté le même et les généraux pesaient de tout leur poids sur le régime républicain, dans une sorte d’alliance contre-nature avec la social-démocratie qui avait été aux premières loges pour écraser la révolution de 1918 dirigée par Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.

Les dirigeants de la social-démocratie étaient aux premières loges de la répression contre les communistes, avec notamment le ministre national de l’intérieur Carl Severering, le ministre prussien de l’intérieur Albert Grzesinski, le chef de la police berlinoise Karl Zörgiebel.

Interdictions, répressions sanglantes de rassemblement furent la règle, dont le fameux « mai sanglant » à Berlin, ville sous hégémonie ouvrière (en mai 1928, la social-démocratie y faisait un score électoral de 32,9 %, les communistes de 24,7%).

Les manifestations du premier mai 1929 avaient été interdites, et la marche du Parti Communiste d’Allemagne fut réprimée dans le sang (au moins 32 personnes tuées et 200 blessées), puis le Rote Frontkämpferbund (Union des combattants du front rouge) interdit dans la foulée.

Le Rote Frontkämpferbund

Cette dynamique de soutien au régime par la social-démocratie divisa bien entendu totalement la classe ouvrière, dont une partie soutenait historiquement la social-démocratie et une autre le Parti Communiste d’Allemagne ; aux élections de mai 1928, la social-démocratie avait obtenu 9,1 millions de voix soit 29,8 %, le Parti Communiste d’Allemagne 3,3 millions de voix soit 10,6 %.

De l’autre côté, la bourgeoisie restait sur des positions particulièrement dures ; lors du conflit ouvrier de novembre 1928, la Ruhreisenstreit, 240 000 travailleurs furent licenciés pendant le mois de lutte ; par la suite un accord fut trouvé mais leurs revendications ne furent pratiquement pas satisfaites.

Cette situation conflictuelle devint d’une complexité totale avec le plan Young, fruit d’une conférence parisienne du 5 février au 11 juin 1929 et décidant de l’organisation du paiement des « réparations » allemandes pour la guerre de 1914-1918, qui avait été décidé lors du Traité de Versailles de 1919. Le paiement devait aller jusqu’en 1988 ; l’État allemand s’endetta de son côté jusqu’en 1965 à 5,5 % d’intérêts.

Les forces nationalistes et nazies menèrent une très vaste campagne à ce sujet, alors que la social-démocratie dans un esprit gouvernemental soutenait le plan Young, ce qui s’avéra catastrophique sur tous les plans avec l’irruption de la crise de 1929 et le recul qui a suivi de la production industrielle de 41,8 %.

La population allemande prit la crise de plein fouet, dans le prolongement de la crise de l’après-guerre : 1 mark de juillet 1914 en valait 100 en juillet 1922, 1000 en octobre 1922, 10 000 en janvier 1923, 100 000 en juillet 1923, un million en août 1923 10 millions en septembre 1923, un milliard puis 10 milliards en octobre 1923, mille milliards en novembre 1923.

En 1932, la crise se refait général, il y a six millions de personnes au chômage, pour 12 millions qui travaillent.

Les communistes d’Allemagne, mais aussi de France, s’opposèrent au plan Young, mais avec retard, et n’eurent pas l’initiative, malgré une position très franche. De manière juste, on lit dans l’Humanité du 23 avril 1931, dans l’article « Un 1er Mai sous le drapeau de l’Internationale » (signé Maurice Thorez) :

« C’est aussi plus particulièrement la solidarité active avec les prolétaires d’Allemagne écrasés sous les charges du plan Young et du système de Versailles, et soumis à la double exploitation des capitalistes allemands et des impérialistes français. »

C’est cette mise en perspective qui permet de comprendre l’adhésion et le soutien au parti nazi de la part des grands capitalistes, oscillant souvent entre celui-ci et le parti nationaliste conservateur appelé DNVP (parti national-allemand du peuple). C’est le cas du « vieux monsieur » Emil Kirdorf, figure éminente des industriels du bassin de la Ruhr, qui aida à la diffusion dans le milieu industriel de la brochure de 1927 de la brochure d’Adolf Hitler « La voie au renouveau » (« Der Weg zum Wiederaufstieg »).

Emil Kirdorf aura droit par la suite aux plus hauts honneurs nazis, à la plus haute décoration civile, et même au deuil national à sa mort en 1938, Adolf Hitler étant lui-même présent officiellement à l’enterrement.

Emil Kirdorf et Adolf Hitler

Emil Kirdorf faisait également partie d’un des nombreux « clubs » nationalistes conservateurs, en l’occurrence l’« Association économique pour le soutien aux forces morales de la reconstruction » (Wirtschaftsvereinigung zur Förderung der geistigen Wiederaufbaukräfte).

On trouve également parmi ces clubs le « Gäa », une association de grands bourgeois et d’aristocrates, de capitaines d’industrie et d’intellectuels ; on retrouve ici tant Oswald Spengler qu’Alfred Hugenberg, le chef du parti nationaliste conservateur DNVP.

Il y a aussi le « Hamburger Nationalklub » (Club National Hambourgeois), pareillement nationaliste conservateur et militariste, qui invitait de nombreux représentants ultra-nationalistes et nazis à ses colloques, mais également le « Deutscher Herrenklub », le « Club allemand des Messieurs », qui continua même à exister jusqu’en 1944 sous le nom de « Club allemand ».

C’est précisément à ce club que, dix jours après avoir été nommé lui-même chancelier, Franz von Papen (1879-1969) prononça le 10 juin 1932 une conférence. Parmi les personnes présentes, on trouvait 100 des principaux industriels et banquiers, 62 grands propriétaires terriens, 94 anciens minitres, mais également des dirigeants nazis, dont l’ancien militaire Hermann Göring, le propagandiste Joseph Goebbels et le responsable des S.A. Ernst Röhm.

Franz von Papen en 1933

Franz von Papen prôna comme mot d’ordre franco-allemand « Mort au bolchevisme », appelant à une coalition pour une intervention militaire. Le 20 juillet il supprima l’existence du gouvernement social-démocrate en Prusse ; en novembre il comptait modifier la constitution.

En ce sens, le 4 janvier 1933, Franz von Papen et Adolf Hitler eurent une discussion secrète chez le banquier Kurt Freiherr von Schröder, lui-même membre du « Club » et dont la banque J. H. Stein était largement présente dans IG Farben et le monopole industriel Vereinigte Stahlwerke.

C’est cette discussion qui servit de base à la nomination de Adolf Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933, Franz von Papen devenant vice-chancelier.

Le 20 février, une réunion d’Adolf Hitler, Hermann Göring et 27 industriels permit le financement des prochaines élections du côté nazi, asseyant la vague instaurant la terreur et la mise en place du nouveau régime.

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Gottfried Feder et l’usurier comme figure générale internationale et particulière locale


Gottfried Feder a « découvert » une « clef » pour que le national-socialisme ne soit pas simplement un nationalisme allemand opposé aux autres pays, mais également une force capable de mobiliser à l’intérieur du pays même, dans un sens de « réconciliation » des classes sociales.

L’ajout de Gottfried Feder, essentiel pour le national-socialisme, est le proudhonisme, c’est-à-dire l’affirmation qu’il existe un capital, même petit, dont l’activité est purement parasitaire. Que le capitalisme, en soi, n’est pas mauvais, s’il est relié au travail, alors que s’il existe de manière « autonome », alors il relève de l’usure.

Comme solution, Gottfried Feder propose les « recettes » traditionnelles du proudhonisme. Tout d’abord, la banque centrale devait être nationalisée et le paiement des intérêts des dettes de l’État – pas le remboursement des dettes en lui-même – stoppé.

Ensuite un système de crédit gratuit pour l’État devait être proposé. C’est exactement la conception de Pierre-Joseph Proudhon, sauf qu’elle est adaptée à l’État, et non plus simplement aux individus.

Est-ce que Gottfried Feder prône le proudhonisme classique pour les individus ? Non, à ses yeux, la banque centrale doit accorder des concessions étatiques pour que de l’argent puisse être prêté, à intérêt, aux individus et aux entreprises produisant des biens.

Gottfried Feder modernise en pratique le romantisme économique traditionnel, dont Lénine parle dans « Pour caractériser le romantisme économique », où il critique Jean de Sismondi et les populistes russes. En effet, au lieu d’opposer les campagnes à la ville, le petit producteur paysan au capitaliste industriel, Gottfried Feder oppose le petit producteur industriel au grand capitaliste qui ne vit que des intérêts du crédit.

Le romantisme traditionnel regrette un moyen-âge idéalisé, où chaque paysan aurait été indépendant ; Gottfried Feder forme un romantisme plus avancé, où il défend l’entrepreneur contre le monopoliste, sauf qu’il ne l’appelle pas monopoliste, mais « capital financier ».

Il ne peut en effet pas l’appeler monopoliste, car le capitalisme aboutit nécessairement aux monopoles, comme notamment Lénine l’a expliqué, en 1916, dans « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ».

Comme tous les romantiques – d’extrême-droite ou d’« extrême-gauche » – Gottfried Feder ne voit pas que le capital financier est lié au capital industriel ; comme Lénine l’a formulé :

« Concentration de la production avec, comme conséquence, les monopoles ; fusion ou interpénétration des banques et de l’industrie, voilà l’histoire de la formation du capital financier et le contenu de cette notion. »

« Le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d’industriels. »

Et Lénine, d’expliquer également, préfigurant la critique de Gottfried Feder :

« Le développement du capitalisme en est arrivé à un point où la production marchande, bien que continuant de « régner » et d’être considérée comme la base de toute l’économie, se trouve en fait ébranlée, et où le gros des bénéfices va aux « génies » des machinations financières.

A la base de ces machinations et de ces tripotages, il y a la socialisation de la production ; mais l’immense progrès de l’humanité, qui s’est haussée jusqu’à cette socialisation, profite… aux spéculateurs. Nous verrons plus loin comment, « sur cette base », la critique petite-bourgeoise réactionnaire de l’impérialisme capitaliste rêve d’un retour en arrière, vers la concurrence « libre », « pacifique », « honnête ». »

La position de Gottfried Feder est précisément cette critique petite-bourgeoise prônant un retour en arrière. Le national-socialisme n’a jamais prôné la socialisation d’entreprises, à part dans le cas spécifique où celles-ci agissent contre les intérêts de la nation. Son objectif a toujours été l’assainissement.

En romantique économique traditionnel, Gottfried Feder considère que le capitalisme consiste en la production de biens et leur consommation et la croissance ne peut provenir que de marchés extérieurs conquis. C’est cela la base justificative pour la négation intérieure des luttes de classe et l’affirmation extérieure des conquêtes territoriales – d’où le fait de porter objectivement les intérêts du grand capital allemand.

Gottfried Feder ne pouvait pas voir cela. Défendant le point de vue petit-bourgeois écrasé par les monopoles et refusant la prolétarisation, il pensait avoir un point de vue « national ». Il faut se souvenir de ce qu’enseignait Karl Marx sur ce plan :

« Il ne faudrait pas partager cette conception bornée que la petite bourgeoisie a pour principe de vouloir faire triompher un intérêt égoïste de classe. Elle croit au contraire que les conditions particulières de sa libération sont les conditions générales en dehors desquelles la société moderne ne peut être sauvée et la lutte des classes évitée. »

Pour cette raison, Gottfried Feder ne s’est pas contenté de voir en le « capital financier » simplement un ennemi extérieur, comme le faisait le nationalisme. Il l’a placé à l’intérieur du pays lui-même.

Au lieu de dénoncer simplement l’oligarchie « étrangère » exigeant des intérêts sur les crédits, il a affirmé l’existence d’une sorte de tendance maléfique existant dans le pays lui-même. C’est cela qui manquait à Adolf Hitler au départ.

Gottfried Feder a la même vision qu’Adolf Hitler : à ses yeux, les forces d’argent anglo-américaines sont à l’origine du revanchisme français, du panslavisme, de la guerre de 1914-1918 et également de la défaite « intérieure » allemande, etc. Mais il en fait une « vision du monde » et plus seulement des forces ennemies :

« La guerre mondiale est véritablement au fond une des très grandes décisions dans le processus de développement de l’humanité dans la bataille décisive de savoir si à l’avenir la vision du monde mammonististe-matérialiste ou la vision du monde socialiste-aristocratique déterminera le sort du monde. »

Cette vision du monde n’est évidemment, selon Gottfried Feder, pas produit par le mode de production capitaliste, c’est une « idée », un principe meurtrier, une « malédiction » :

« Nous reconnaissons clairement que le fléau de l’humanité n’est pas l’ordre économique capitaliste, le capital en soi en tant que tel. L’insatiable besoin d’intérêts du grand-capital de prêt est la malédiction de l’ensemble de l’humanité travailleuse ! »

Le « socialisme » est ici l’attitude « simple » reconnaissant l’existence de la société, du peuple, bref s’opposant à la « folie » de la course à l’argent, à cette « maladie » qui amène « l’envasement et la contamination de la mentalité de notre époque ».

Le véritable « socialisme » consisterait ainsi ici, pour Gottfried Feder, en la lutte contre les « puissances d’argent » :

« Notre législation fiscale toute entière est et restera, aussi longtemps que nous n’avons pas la libération de l’esclavage des intérêts, uniquement un tribut obligatoire au grand capital, mais pas, ce que nous nous imaginons parfois, le sacrifice volontaire à la réalisation d’un travail collaboratif.

Par conséquent, la libération de l’esclavage des intérêts de l’argent est le mot d’ordre clair pour la révolution mondiale pour la libération du travail réalisant des entraves des puissances financières supra-étatiques. »

Mais au sein même du pays, ces forces ont des agents, à savoir tous ceux qui vivent pareillement de l’usure. L’usurier devient ici non seulement une figure générale internationale, mais une figure particulière locale.

Bien entendu, dans l’anticapitalisme romantique, cette figure est portée par « le juif ». Il y a ici selon cette idéologie une « substance » commune à la « ploutocratie internationale » et à toute personne juive, même pauvre.

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Le «national-socialisme» et le proudhonisme de Gottfried Feder

L’anticapitalisme romantique des S.A. et du parti nazi s’appuie sur la conception de l’oppression et de l’exploitation comme venant de « l’extérieur ». C’est la conception de Eugen Dühring, critiquée par Friedrich Engels dans l’Anti-Dühring, ou encore de Pierre-Joseph Proudhon et du proudhonisme qui a suivi.

Cependant, il a bien fallu que cette conception soit adaptée aux conditions allemandes, et elle a été formulée par Gottfried Feder (1883-1941), principalement dans une oeuvre intitulée « Manifeste pour briser l’asservissement aux intérêts de l’argent », publiée en 1919.

Gottfried Feder en 1930

Pour bien comprendre le rôle de Gottfried Feder, il faut voir qu’il fait partie dès le départ du « Deutsche Arbeiterpartei » (Parti Allemand des Travailleurs), fondé par Anton Drexler en janvier 1919. Il prononça notamment en septembre 1919 à Munich une conférence intitulée « Comment et par quels moyens éliminer le capitalisme ? ».

Or, Adolf Hitler y fut présent et Gottfried Feder le convainquit alors de rejoindre le parti. Adolf Hitler en deviendra alors rapidement le « Führer », le parti prenant par la suite le nom de « Parti des travailleurs allemand national-socialiste » (NSDAP – Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei).

Adolf Hitler explique directement dans Mein Kampf  le rôle essentiel de Gottfried Feder :

« Quelque approfondie qu’ait été jusque-là mon attention sur le problème économique, elle s’était plus ou moins maintenue dans les limites de l’examen des questions sociales.

Plus tard seulement, mon horizon s’élargit en raison de mon étude de la politique allemande à l’égard de ses alliés. Elle était en très grande partie le résultat d’une fausse appréciation de la vie économique et du manque de clarté dans la conception des principes de l’alimentation du peuple allemand dans l’avenir.

Toute ces idées reposaient dans l’idée que, dans tous les cas, le capital était uniquement le produit du travail et, par conséquent, était, comme ce dernier, modifiable par les facteurs susceptibles de favoriser ou d’entraver l’activité humaine.

Donc l’importance nationale du capital résultait de ce que ce dernier dépendait de la grandeur, de la liberté et de la puissance de l’État, c’est-à-dire de la nation ; et cela si exclusivement que cette dépendance devait uniquement conduire le capital à favoriser l’État et la nation par simple instinct de conservation ou par désir de se développer.

Cette orientation favorable du capital à l’égard de la liberté et de l’indépendance de l’État devait le conduire à intervenir de son côté en faveur de la liberté, de la puissance et de la force, etc., de la nation.

Dans ces conditions, le devoir de l’État à l’égard du capital devait être relativement simple et clair : il devait simplement veiller à ce que ce dernier restât au service de l’État et ne se figurât point être le maître de la nation.

Cette position pouvait donc se maintenir entre les deux limites suivantes : d’une part, soutenir une économie nationale viable et indépendante ; d’autre part, assurer les droits sociaux du travailleur.

Précédemment, je n’étais pas. à même de reconnaître, avec la clarté désirable, la distinction entre ce capital proprement dit, dernier aboutissement du travail producteur, et le capital dont l’existence et la nature reposent uniquement sur la spéculation.

J’en étais capable dorénavant grâce à un des professeurs du cours dont j’ai parlé, Gottfried Feder. Pour la première fois de ma vie, je conçus la distinction fondamentale entre le capital international de bourse et celui de prêt.

Après avoir écouté le premier cours de Gottfried Feder, l’idée me vint aussitôt que j’avais trouvé le chemin d’une condition essentielle pour la fondation d’un nouveau parti.

A mes yeux, le mérite de Gottfried Feder consistait en ceci, qu’avec une tranchante brutalité il précisait le double caractère du capital : spéculatif, et lié à l’économie populaire ; et qu’il mettait à nu sa condition éternelle : l’intérêt.

Ses déductions, dans toutes les questions fondamentales, étaient tellement justes que ceux qui, a priori, voulaient le critiquer, en contestaient moins l’exactitude théorique qu’ils ne mettaient en doute la possibilité pratique de leur mise à exécution. Ainsi, ce qui, aux yeux des autres, était un point faible dans l’enseignement de Gottfried Feder, représentait à mes yeux sa force. »

Ce que dit Adolf Hitler est simple : à la base, c’est un nationaliste, il veut exalter la nation et s’aperçoit que le capitalisme national a par définition intérêt à exister dans un pays puissant.

Or, dans la situation de l’Allemagne – entre les réparations exorbitantes à la France et la crise économique – le pays est rendu en quelque sorte dépendant en raison des emprunts effectués.

Gottfried Feder, La lutte contre la haute finance

Adolf Hitler aboutit par conséquent à une séparation de « nature » entre les deux capitalismes, l’un national, l’autre étranger. Cela n’a rien d’original et c’est précisément là où l’Action française en était restée, malgré la tentative du « Cercle Proudhon » de trouver une « clef » concernant les contradictions internes au pays lui-même.

C’est là que Gottfried Feder intervient : c’est lui qui participa à la rédaction du Programme en 25 pointsau tout début du parti nazi, qui rédigea en 1927 le « Programme du NSDAP et les bases de sa vision du monde », en 1931 le « Programme du NSDAP » ainsi que « Que veut Adolf Hitler ? ».

Sa « clef » était une théorie de « l’usure », relevant du proudhonisme, où la « finance » devient une « maladie » qui « contaminerait » la rationalité industrielle.

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Clausewitz et les milices «nationales» par en haut

C’est Carl von Clausewitz (1780-1831) qui théorisa toute la conception militaire prussienne, dans son ouvrage De la guerre, écrit surtout pendant les guerres napoléoniennes. Lorsque Carl von Clausewitz y affirme que « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », il souligne l’importance de la fusion de l’armée et de la direction politique, de l’offensive militaire et de la société toute entière.

Lorsqu’il explique que « La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté », il exprime la vision aristocratique du principe hiérarchique.

C’est une conception directement pré-fasciste, directement issue de la Prusse où l’aristocratie s’est octroyée l’ensemble des postes de direction de l’armée, formant une sorte de caste, alors que pareillement le capitalisme était imposé par le haut.

Carl von Clausewitz (1780–1831),
Copie d’un tableau de
Karl Wilhelm Wach  (1787–1845)

De la guerre de Carl von Clausewitz fut d’ailleurs historiquement popularisé par Helmuth von Moltke, chef d’Etat-major de l’armée prussienne notamment lors des guerres victorieuses face à l’Autriche (1866) et la France (1870-1871).

L’ouvrage de Carl von Clausewitz est une sorte de manuel pour général, rempli d’indications techniques, avec en perspective la gestion absolument totale du pays, sur la base de la fusion du pays et de l’armée, sous direction bien entendu de l’aristocratie.

Selon Carl von Clausewitz, la guerre s’est élargie au XIXe siècle, elle touche des domaines qu’elle n’atteignait pas auparavant, elle concerne désormais, de par son ampleur, toute la population, et plus seulement des armées composées par l’Etat, de manière nettement séparée du peuple. Carl von Clausewitz considère ainsi que :

« C’est ainsi que depuis Bonaparte, tout d’abord chez les Français, puis partout en Europe la guerre est devenue une cause nationale, a pris une autre nature ou plus exactement est revenue à sa vraie nature, s’est approchée de son absolue perfection.

Les moyens à y mettre en œuvre n’eurent désormais plus de limites visibles et ne dépendirent plus que de l’énergie et de l’enthousiasme des gouvernements et de leurs sujets. »

Bien entendu, la différence fondamentale que Carl von Clausewitz feint d’oublier est que la révolution française était une révolution populaire. Il considère que ce serait simplement un nouveau principe militaire : il « oublie » la dimension sociale.

Il en tire une théorie de la mobilisation par en haut, une mobilisation prétendument nationale, mais en fait au service de l’aristocratie, qui par ailleurs s’appropria ainsi le contrôle de l’Allemagne qu’elle unifiera.

Carl von Clausewitz considère ainsi, dans De la guerre, que la guerre concerne désormais également l’armement de parties de la population. La guerre atteint une dimension complète au point que Carl von Clausewitz traite même directement de la « guerre populaire », c’est-à-dire de l’imbrication des masses dans la guerre elle-même.

Le peuple en armes doit être utilisé pour agir tel un « brouillard » insaisissable afin d’agir sur les périphéries des forces ennemies, un « nuage » qui peut se former à n’importe quel moment, par surprise.

De la guerre

Carl von Clausewitz ne conçoit l’action des masses armées que dans une situation où c’est l’armée classique qui prime : le peuple ne sert que de force d’appoint. Il a une perspective totalement « utilitaire » et le peuple en action a ici une fonction d’outil. Les masses en action sont d’ailleurs forcément paysannes : c’est le point de vue aristocratique qui s’exprime ici.

Lénine notera l’aspect intéressant de la démarche de Carl von Clausewitz, qui « trahit » la dimension éminemment politique de la guerre. Avec sa mobilisation complète, totale, par en haut, Carl von Clausewitz comprend que la guerre est forcément politique, en cela il démontre la totale validité de la thèse matérialiste dialectique sur la nature de l’Etat, de la bourgeoisie.

L’Allemagne nazie reprendra logiquement, de manière la plus franche, la plus cynique, la conception de Carl von Clausewitz de mobilisation populaire, par en haut, de mobilisation générale, totale.

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De la «landsturm» à la «volkssturm»

Lors de la révolution française, la Prusse pensait profiter de son armée très organisée pour écraser ce qu’elle considérait comme des troupes éparpillées. La marche sur Paris fut cependant écrasée lors de la fameuse bataille de Valmy en 1792 : la levée en masse avait permis une gigantesque progression qualitative et quantitative.

Ce traumatisme fut suivi des guerres napoléoniennes, qui profitaient de l’élan républicain initial pour disposer d’armées puissantes. L’armée prussienne devait absolument se moderniser si elle voulait se maintenir, et elle le fit en organisant, par en haut, dans un esprit anti-démocratique, la levée en masse.

Ce fut la formation d’un appareil d’État ultra militarisé, procédant à un service militaire obligatoire. L’armée passa de 54 000 membres en 1719 à 70 000 en 1728 et enfin plus de 80 000 en 1739 (pour 2,5 millions de personnes vivant en Prusse), pour atteindre en pleine guerre napoléonienne, base du saut qualitatif et numérique, 300 000 personnes en 1813, soit 6 % de la population en fait largement mobilisée.

Une citation connue, attribuée à Mirabeau et à l’officier prussien Friedrich von Schrötter, explique que

« La Prusse n’est pas un État qui possède une armée, c’est une armée ayant conquis la nation. »

Friedrich Engels raconte ainsi :

« Après 1807, les réorganisateurs de l’administration et de l’armée firent tout ce qui était en leur pouvoir pour refaire vivre cet esprit [de la résistance nationale]. A cette époque, l’Espagnole montrait avec son exemple glorieux qu’une nation pouvait faire face à une armée menant une invasion. Tous les dirigeants militaires de Prusse montrèrent à leurs compatriotes cet exemple valant le coup d’être suivi.

Scharnhorst, Gneisenau, Clausewitz étaient tous d’accord sur ce point. Gneisenau alla même en Espagne afin de participer lui-même à la lutte contre Napoléon. Tout le système militaire qui fut instauré ensuite en Prusse fut la tentative d’organiser une résistance populaire contre l’ennemi, dans la mesure où cela est possible de la part d’une monarchie absolue.

Non seulement chaque homme en mesure d’aller au service militaire était dans l’obligation d’y aller et de servir jusqu’à quarante ans dans la Landwehr [défense territoriale sous la forme d’une armée non régulière], mais les jeunes hommes entre 17 et 20 ans et les hommes entre 40 et 60 ans devaient participer à la levée en masse, dans le Landsturm [unités irrégulières avec armement organisé sur le tas] se soulevant dans le dos et sur les flancs de l’ennemi, dérangeant ses mouvements, le coupant de son approvisionnement et de ses courriers, devant pour cela utiliser toute arme qui pouvait être trouvée afin d’inquiéter les envahisseurs – « plus ce moyen est efficace, mieux c’est » – en plus de cela « sans porter aucun uniforme que ce soit », afin que les membres du Landsturm puissant à n’importe quel moment reprendre leur caractère en tant que civils et rester inconnus de l’ennemi. »

Cet esprit de défense militaire à la base, de « Wehr », deviendra alors essentiel à la Prusse, et ainsi à l’Allemagne, car cette dernière ne s’unifiera justement qu’en réaction aux conquêtes napoléoniennes, et sous hégémonie prussienne (la Prusse ayant battu l’Autriche, celle-ci se tournant alors vers les Balkans et devenant une nation en tant que telle).

La peur allemande face à l’invasion française fut telle que la bourgeoisie, dont le romantisme était le fer de lance (avec Goethe et Schiller ou encore Hegel), décida d’accepter tous les compromis avec la bourgeoisie. C’est le sens du romantisme qui passa du rejet du formalisme académique français qu’il était à la nostalgie du moyen-âge et de sa société « pacifique », organisée de manière corporatiste, etc.

Pour cette raison, et c’est un point essentiel bien entendu, les S.A. n’appréciaient pas que les chansons des corps-francs : ils possédaient également dans leur répertoire celles des guerres face aux armées napoléoniennes. La dimension martiale et brutale de ces chansons reflète logiquement l’idéologie des S.A.

De la même manière, lors de la grande réunion des S.A. en octobre 1931 à Braunschweig – exigeant 5 000 camions, 40 trains spéciaux, avec plus de 100 000 S.A. -, la référence fut la « bataille de Lepizig » d’octobre 1813, la plus grande confrontation de forces lors des guerres napoléoniennes (plus de 500 000 personnes s’affrontant).

L’esprit de la « Wehr », de la défense « par en bas » fut également celui de la « Volkssturm » (tempête populaire), la mobilisation populaire faite par l’Etat nazi tout à la fin de la seconde guerre mondiale, utilisant en masse notamment des adolescents pour « protéger » Berlin face à l’armée rouge. Le principe d’unités « civils » agissant sur les arrières de l’ennemi fut également appliqué avec la « Werwolf », les unités nazies agissant dans les zones où les alliés avaient vaincu les armées nazies.

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Le «socialisme national» de Rudolf Jung

Les thèses de Rudolf Jung dans « Le socialisme national. Ses fondements, son devenir et ses buts » posent les bases de l’idéologie national-socialiste telle qu’elle a existé au départ.

Tout le début de l’œuvre consiste en une histoire idéalisée du moyen-âge depuis Charlemagne. Rudolf Jung utilise ici en fait de manière démagogique le très haut niveau culturel des pays allemands et de la Bohème qui leur sont reliés durant la fin du moyen-âge, avec le formidable développement des villes et le grand élan humaniste.

Cette dimension culturelle, extrêmement appréciée par les masses allemandes et par ailleurs base de la formation de la nation allemande avec le capitalisme naissant, est prétexte pour Rudolf Jung à l’éloge de la paysannerie médiévale et du petit commerce. De là il prolonge sur une critique des « Juifs » et de l’usure au moyen-âge, pour dénoncer le capitalisme qui a déraciné les paysans.

C’est ici la vision traditionnelle de Jean de Sismondi et des populistes russes, analysée en détail par Lénine dans « Pour caractériser le romantisme économique ». Rudolf Jung considère pareillement que le capitalisme appauvrit, divise les masses, etc. Dans l’optique du proudhonisme, il critique également la perte de l’activité créative du travailleur individuel.

Rudolf Jung présente les choses toutefois de manière très « neutre », de manière prétendument scientifique : il est obligé en raison de l’influence de la social-démocratie. Rudolf Jung raconte ainsi le rôle des machines à vapeur, il affirme que les banques jouent un rôle dans la formation des monopoles en agissant sur les entreprises, etc.

Cependant, il attribue cela non pas à une évolution propre au capitalisme, mais à « l’esprit juif » qui influence les masses par « l’argent, la presse, l’art et la science juives ». Rudolf Jung insiste par conséquent lourdement sur l’antisémitisme médiéval, qu’il tente de réactualiser en s’appuyant sur l’évolution récente de l’Autriche-Hongrie.

L’empereur tentait en effet d’appuyer les forces libérales face au féodalisme ; en ce sens, il prônait l’émancipation des personnes juives, à contre-courant des valeurs dominantes. Des figures historiques sont ici l’impératrice Marie-Thérèse et l’empereur Joseph II.

Rudolf Jung attribue donc l’existence du capitalisme bouleversant l’économie arriérée austro-hongroise aux « juifs »: le capitalisme serait une sorte d’excroissance de l’usure. Tout cela formerait une sorte de complot historique et mondial ; Rudolf Jung utilise bien entendu le fameux faux tsariste des « Protocoles des sages de Sion ».

Les « marxistes » sont alors des traîtres agissant en agent des « juifs » :

« Les sociaux-démocrates ne combattent en fait que le capital national, qui agit pourtant en tout et pour tout de manière créatrice, mais pas celui véritablement international, le capital juif de prêt, vivant du travail des autres. »

Rudolf Jung fait, en pratique, en fait l’apologie d’une forme de « socialisme prussien », mais comme il fait partie des communautés liées à l’Allemagne mais existant en-dehors de celle-ci, il est obligé d’« expliquer » de manière idéaliste ce qui a bloqué l’avènement du grand empire allemand. Puisque l’histoire a amené à la non unité de tous les peuples d’origine allemande, alors, pour Rudolf Jung, l’histoire a tort.

L’ouvrage de Rudolf Jung, Le socialisme national. Ses fondements, son devenir et ses buts

Rudolf Jung exprime donc une position très proche d’Oswald Spengler (qu’il soutient par ailleurs), mais bien plus agressive, qui l’amène justement à la rupture avec la conception nationaliste traditionnellement conservatrice.

Oswald Spengler a en effet une position qui est celle de la « révolution conservatrice », une position administrative : seule une aristocratie peut gérer les affaires et instaurer le « socialisme ».

Ici, Rudolf Jung a un rôle historique sur le plan idéologique : il fait passer le « socialisme prussien » d’une conception administrative à une vision du monde. Le « socialisme national » est une « vision du monde » et d’ailleurs, selon lui, elle peut exister et elle a existé « sans parti national-socialiste ».

C’est un point important, car Rudolf Jung a ici une conception « basiste » et même son parti fonctionnera de manière relativement démocratique, en tout cas absolument sans principe de « Führer » absolu comme avec Adolf Hitler, pour qui par ailleurs le parti nazi était une obligation absolue.

Rudolf Jung rejetait le centralisme comme le fruit de Rome, de l’Église catholique, des Habsbourg alliés à l’Église catholique. S’il défend Jésus comme figure « aryenne », il rejette le centralisme catholique comme une influence « juive ».

Lorsque Rudolf Jung considère que les grandes entreprises industrielles en situation de monopole doivent revenir à l’Etat, la région ou la commune, il n’est pas pour leur socialisation, mais pour leur « prussianisation », leur gestion directe par l’aristocratie, de manière pratiquement locale, sauf qu’il élargit cette élite « aristocratique » à un « esprit ».

L’aristocratie échouant historiquement, Rudolf Jung prône en fait leur régénération, en faisant vivre « l’esprit » allemand naturel, qui va reformer une élite. C’est le principe d’une « communauté populaire réconciliée ». Rudolf Jung va jusqu’à considérer que l’armée pourrait être reconstituée à partir des clubs de sport, dont la base fut par ailleurs donnée par le racialiste Friedrich Ludwig Jahn (1778-1852).

Ce principe d’une armée « populaire » tient en fait à une « découverte » faite par l’armée prussienne, et synthétisée par Carl von Clausewitz. Le socialisme « national » puise sur ce point directement dans l’idéologie de la Prusse.

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Rudolf Jung, le premier national-socialiste, modèle pour Hitler et le parti nazi

Les positions de la « révolution conservatrice » n’ont pas directement influencé le national-socialisme, du moins pas avant la prise du pouvoir, puisque là l’intégration des forces ultra-conservatrices à ses propres forces a amené une synthèse aristocratique – national-socialiste.

Avant cette arrivée au cœur de l’État, et de la société allemande, le national-socialisme est une idéologie de la périphérie. L’Allemagne ne rassemblait en effet à la fin du XIXe siècle, ainsi qu’au début du XXe siècle, pas du tout l’ensemble du peuple allemand. Des parties importantes existaient en dehors, commençant tendanciellement ou franchement à vivre une destinée nationale différente, au sein de la Bohême et de l’Autriche notamment.

C’est ainsi dans ces zones qu’on trouve les forces pangermanistes les plus virulentes, à l’idéologie littéralement d’apartheid par rapport aux peuples slaves. La première grande figure est l’autrichien Georg von Schönerer (1842-1921), activiste essentiel au pangermanisme rejetant l’existence de l’Autriche et de l’Autriche-Hongrie, prônant un rattachement des zones « allemandes » à l’Allemagne.

Georg von Schönerer diffusait une idéologie pangermaniste, qui synthétisa un programme à la conférence de Linz en 1882, prônant le rattachement à l’empire allemand. Mais la ligne de Georg von Schönerer était également violemment anti-catholique – l’Allemagne était en grande majorité protestante. L’antisémitisme était au cœur de sa démarche, en tant que reflet du refus de l’absolutisme éclairé de l’empire austro-hongrois s’ouvrant au libéralisme et réfutant l’antisémitisme.

Adolf Hitler a été profondément influencé par Georg von Schönerer ; sa famille venait par ailleurs de la même zone géographique en Autriche. Mais c’est à un Allemand de Bohême qu’Adolf Hitler a repris le principe de « national-socialisme » et la croix gammée comme symbole : Rudolf Jung (1882 – 1945).

Rudolf Jung, vers 1921

A la base, Rudolf Jung est un pangermaniste classique, membre du Deutsche Arbeiterpartei (Parti allemand des travailleurs), fondé en 1903 en Bohème. Mais justement sous l’influence de Rudolf Jung, ce parti évolue, modifie son programme en 1913 et finalement même son nom en 1918, devenant le « Parti national-socialiste allemand des travailleurs » (DNSAP -Deutsche Nationalsozialistische Arbeiterpartei).

Rappelons ici que le parti nazi d’Adolf Hitler s’appelait « Parti allemand national-socialiste des travailleurs », il y a juste deux mots d’intervertis. La croix gammée fut également utilisée d’abord par le parti en Bohème, sur une idée de Walter Riehl, et Rudolf Jung fut celui qui convainquit Adolf Hitler d’utiliser le terme de « national-socialiste ».

Rudolf Jung fut d’ailleurs le premier théoricien « national-socialiste », par l’intermédiaire de son ouvrage publié en 1919 intitulé « Le socialisme national. Ses fondements, son devenir et ses buts ».

Rudolf Jung, Le socialisme national

Si Rudolf Jung est totalement inconnu, c’est pour deux raisons. Tout d’abord, on a de façon tout à fait incorrecte assimilé le parti nazi et les S.A. à l’idéologie mystique S.S. qui s’est développée en système après la prise du pouvoir et au cours de la guerre mondiale impérialiste.

Ensuite, le parti actif en Bohème n’eut qu’un succès très relatif. Rudolf Jung s’enfuira même en Allemagne nazie, mais n’obtiendra que des postes honorifiques dans le parti nazi et dans la S.S., ainsi que des emplois de fonctionnaires comme responsable de la banque à Prague, responsable des demandeurs d’emploi de l’Allemagne centrale, puis finalement responsable de l’emploi dans le protectorat nazi de Bohème-Moravie.

Arrêté en 1945, Rudolf Jung se suicidera avant d’être jugé. Son parcours n’aura nullement marqué les esprits, puisque dès sa prise du contrôle du parti nazi en Allemagne, Adolf Hitler a immédiatement contrôlé totalement le parti nazi et exclu ceux qui n’acceptaient pas sa domination complète.

Un événement important fut par exemple, les 7 et 8 août 1920, un rassemblement à Salzbourg en Autriche des différentes forces national-socialistes, avec 235 délégués et 100 invités :

– le Parti national-socialiste allemand des travailleurs (d’Autriche) ;

– le Parti national-socialiste allemand des travailleurs (de Tchécoslovaquie) ;

– le Parti national-socialiste (de Silésie orientale) ;

– le Parti allemand national-socialiste des travailleurs (d’Allemagne et basé à Munich) ;

– le Parti social-allemand (d’Allemagne et basé à Hanovre).

Ces forces devaient s’unir, sous le nom de « parti national-socialiste du peuple allemand », mais Adolf Hitler – par ailleurs présent à Salzbourg mais sans rôle important – écrasa toutes les autres forces une fois le parti nazi devenu puissant en Allemagne, et ce donc après avoir puisé chez Rudolf Jung le « style » de son idéologie.

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Le socialisme prussien et révolution conservatrice

Ce qui est notable dans les S.A. était la division hiérarchique selon l’origine sociale. La base des S.A. était peuplée des classes les plus basses socialement, les cadres intermédiaires provenaient plutôt de la petite-bourgeoisie. Mais les dirigeants provenaient souvent de l’armée, à laquelle ils avaient appartenu avant même la guerre impérialiste de 1914-1918, et étaient d’origine aristocratique.

Cela n’est pas étonnant, car l’aristocratie, avec l’effondrement de la monarchie, s’est élancée dans une grande campagne idéologique anticapitaliste romantique, prônant une société « organisée » face au chaos capitaliste. Le terme employé pour désigner pour cette organisation sociale fut celui de « socialisme », désignant par là en réalité une société divisée en corporations avec l’armée comme colonne vertébrale.

L’idée de l’aristocratie était d’opposer au socialisme de la social-démocratie et du mouvement communiste naissant un « socialisme » consistant en une vague romantique. Ce « socialisme » serait fondé sur la « solidarité nationale » face aux « ennemis » de l’Allemagne, ainsi que fondé sur les valeurs féodales de l’Allemagne d’avant 1914, tout cela face au chaos capitaliste, aux crises économiques, etc.

Cette idéologie consiste très précisément en ce qui a été appelé la « révolution conservatrice », portée historiquement par l’écrivain Ernst Jünger (1895-1998), le philosophe Oswald Spengler (1880-1936), le juriste Carl Schmitt (1888-1985), ainsi que l’écrivain Arthur Moeller van den Bruck (1876-1925), exprimant un ultra-élitisme refusant toute participation à la société ou à de quelconques responsabilités sociales, cultivant un esthétisme aristocratique, etc.

La lutte comme expérience intérieure, une oeuvre d’Ernst Jünger, 1922

En France, on retrouvera cette idéologie, ce style, cette approche, de manière la plus précise chez l’écrivain Julien Gracq, notamment dans les romans Au château d’Argol et Le rivage des syrtes, ce dernier roman étant par ailleurs influencé par le roman d’Ernst Jünger Sur les falaises de marbre.

Les principes de la « révolution conservatrice » ont été théorisés de manière la plus nette par Oswald Spengler, tout d’abord dans Le Déclin de l’Occident puis dans Prussianité et socialisme, publiés juste après 1918.

 Prussianité et socialisme, 1919

Le principe est extrêmement simple : le raisonnement se fonde sur le concept de civilisation, chaque civilisation étant considérée comme autonome et relevant d’un certain « esprit ». Il n’y a historiquement pas de « progrès », simplement une réalité conflictuelle où vivent des civilisations, qui peuvent donc périr. Pour Oswald Spengler, « la vie n’a pas de système, pas de programme, pas de raison ».

C’est l’idéologie ultra-libérale et ultra-individualiste appliquée à une nation, sauf que la nation est ici masquée derrière le concept de « civilisation ». Il n’y a pas de dimension racialiste, même si l’antisémitisme est présent de manière diffuse au nom d’une sorte de différentialisme civilisationnel.

Ce qu’on appelle « peuple » relève donc ici d’une « civilisation », et non pas simplement d’une nation. D’où la nécessité de l’union la plus grande du « peuple », et Oswald Spengler prend comme contre-modèle le « libéralisme » anglais où règne l’individualisme appuyé par sa situation d’île, ainsi que « l’égalitarisme » français uniquement empêché par le despotisme de généraux ou de présidents.

A ce chaos libéral et ces pulsions égalitaires niant l’Etat au profit du césarisme, Oswald Spengler oppose la conception d’un État central puissant, reprenant en fait le modèle de la Prusse féodale contrôlée par les junkers, les grands propriétaires terriens, qui introduisirent le capitalisme par en haut.

« Le trait caractéristique du premier [type d’évolution de l’agriculture, ici la « voie prussienne »] est que les rapports médiévaux dans la propriété de la terre ne sont pas liquidés d’un coup, mais adaptés graduellement au capitalisme, qui pour cette raison conserve pour une longue période des traits semi-féodaux.

Les grandes propriétés terriennes prussiennes n’ont pas été détruites par la révolution bourgeoise; elles ont survécu et sont devenus la base de l’économie « Junker », qui est essentiellement capitaliste, mais implique un certain degré de dépendance de la population rurale, comme la Gesindelordnung [Régulation des serfs, 1854, une des nombreuses lois de Prusse supprimant tout droit civil aux travailleurs agricoles; la moindre tentative de grève était punissable par exemple d’emprisonnement.]

Comme conséquence, la domination sociale et politique des Junkers a été consolidé pour de nombreuses décennies après 1848, et les forces productives de l’agriculture allemande se sont développées bien plus lentement qu’en Amérique. »
(Lénine, La question agraire en Russie vers la fin du XIXe siècle, 1908)

La voie prussienne, cela signifie ainsi une large présence de l’aristocratie dans l’armée et l’administration, et l’habitude de décider par en haut. C’est précisément la conception de la fraction « national-révolutionnaire » du nazisme, avec notamment Otto Strasser et son « socialisme national », ou encore Ernst Niekisch avec sa thèse dite « national-bolchevik » de la « mobilisation totale ».

Pour Oswald Spengler, la social-démocratie a abandonné l’idée de révolution du marxisme, et doit donc revenir à la nation, apportant son socialisme à la vieille tradition prussienne, permettant une véritable organisation « socialiste » à l’échelle de tout le pays, c’est-à-dire une économie ayant en son cœur non pas l’intérêt « individuel », mais « national ».

Au « succès », Oswald Spengler oppose le métier, à la « dictature de l’argent », celle de l’organisation. Au travailleur qui veut éviter le travail et au libéral voulant manipuler celui-ci, Oswald Spengler oppose la figure du « travailleur » honnête, moral, travaillant par devoir. C’est précisément la notion de « travailleur » utilisé par le national-socialisme.

Travailleur, fonctionnaire, militaire, tout cela relève d’une même fonction non pas individuelle, mais directement à l’échelle de la société toute entière.

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