Gottfried Feder a « découvert »
une « clef » pour que le national-socialisme ne soit pas
simplement un nationalisme allemand opposé aux autres pays, mais
également une force capable de mobiliser à l’intérieur du pays
même, dans un sens de « réconciliation » des classes
sociales.
L’ajout de Gottfried Feder, essentiel pour le
national-socialisme, est le proudhonisme, c’est-à-dire
l’affirmation qu’il existe un capital, même petit, dont l’activité
est purement parasitaire. Que le capitalisme, en soi, n’est pas
mauvais, s’il est relié au travail, alors que s’il existe de manière
« autonome », alors il relève de l’usure.
Comme solution, Gottfried Feder propose les
« recettes » traditionnelles du proudhonisme. Tout
d’abord, la banque centrale devait être nationalisée et le paiement
des intérêts des dettes de l’État – pas le remboursement des
dettes en lui-même – stoppé.
Ensuite un système de crédit gratuit pour l’État
devait être proposé. C’est exactement la conception
de Pierre-Joseph Proudhon, sauf qu’elle est adaptée à l’État,
et non plus simplement aux individus.
Est-ce que Gottfried Feder prône le proudhonisme
classique pour les individus ? Non, à ses yeux, la banque
centrale doit accorder des concessions étatiques pour que de
l’argent puisse être prêté, à intérêt, aux individus et aux
entreprises produisant des biens.
Gottfried Feder modernise en pratique le
romantisme économique traditionnel, dont Lénine parle dans « Pour
caractériser le romantisme économique », où il critique
Jean de Sismondi et les populistes russes. En effet, au lieu
d’opposer les campagnes à la ville, le petit producteur paysan au
capitaliste industriel, Gottfried Feder oppose le petit producteur
industriel au grand capitaliste qui ne vit que des intérêts du
crédit.
Le romantisme traditionnel regrette un moyen-âge
idéalisé, où chaque paysan aurait été indépendant ;
Gottfried Feder forme un romantisme plus avancé, où il défend
l’entrepreneur contre le monopoliste, sauf qu’il ne l’appelle pas
monopoliste, mais « capital financier ».
Il ne peut en effet pas l’appeler monopoliste, car
le capitalisme aboutit nécessairement aux monopoles, comme notamment
Lénine l’a expliqué, en 1916, dans « L’impérialisme,
stade suprême du capitalisme ».
Comme tous les romantiques – d’extrême-droite
ou d’« extrême-gauche » – Gottfried Feder ne voit pas
que le capital financier est lié au capital industriel ; comme
Lénine l’a formulé :
« Concentration de la production avec, comme
conséquence, les monopoles ; fusion ou interpénétration des
banques et de l’industrie, voilà l’histoire de la formation du
capital financier et le contenu de cette notion. »
« Le capital financier est le résultat de la
fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le
capital de groupements monopolistes d’industriels. »
Et Lénine, d’expliquer également, préfigurant
la critique de Gottfried Feder :
« Le développement du capitalisme en est arrivé à
un point où la production marchande, bien que continuant de « régner »
et d’être considérée comme la base de toute l’économie, se trouve
en fait ébranlée, et où le gros des bénéfices va aux « génies »
des machinations financières.
A la base de ces machinations et de ces tripotages, il y
a la socialisation de la production ; mais l’immense progrès de
l’humanité, qui s’est haussée jusqu’à cette socialisation,
profite… aux spéculateurs. Nous verrons plus loin comment, « sur
cette base », la critique petite-bourgeoise réactionnaire de
l’impérialisme capitaliste rêve d’un retour en arrière, vers la
concurrence « libre », « pacifique », « honnête ». »
La position de Gottfried Feder est précisément
cette critique petite-bourgeoise prônant un retour en arrière. Le
national-socialisme n’a jamais prôné la socialisation
d’entreprises, à part dans le cas spécifique où celles-ci agissent
contre les intérêts de la nation. Son objectif a toujours été
l’assainissement.
En romantique économique traditionnel, Gottfried
Feder considère que le capitalisme consiste en la production de
biens et leur consommation et la croissance ne peut provenir que de
marchés extérieurs conquis. C’est cela la base justificative pour
la négation intérieure des luttes de classe et l’affirmation
extérieure des conquêtes territoriales – d’où le fait de porter
objectivement les intérêts du grand capital allemand.
Gottfried Feder ne pouvait pas voir cela.
Défendant le point de vue petit-bourgeois écrasé par les monopoles
et refusant la prolétarisation, il pensait avoir un point de vue
« national ». Il faut se souvenir de ce qu’enseignait
Karl Marx sur ce plan :
« Il ne faudrait pas partager cette conception
bornée que la petite bourgeoisie a pour principe de vouloir faire
triompher un intérêt égoïste de classe. Elle croit au contraire
que les conditions particulières de sa libération sont les
conditions générales en dehors desquelles la société moderne ne
peut être sauvée et la lutte des classes évitée. »
Pour cette raison, Gottfried Feder ne s’est pas
contenté de voir en le « capital financier » simplement
un ennemi extérieur, comme le faisait le nationalisme. Il l’a placé
à l’intérieur du pays lui-même.
Au lieu de dénoncer simplement l’oligarchie
« étrangère » exigeant des intérêts sur les crédits,
il a affirmé l’existence d’une sorte de tendance maléfique existant
dans le pays lui-même. C’est cela qui manquait à Adolf Hitler au
départ.
Gottfried Feder a la même vision qu’Adolf
Hitler : à ses yeux, les forces d’argent anglo-américaines
sont à l’origine du revanchisme français, du panslavisme, de la
guerre de 1914-1918 et également de la défaite « intérieure »
allemande, etc. Mais il en fait une « vision du monde »
et plus seulement des forces ennemies :
« La guerre mondiale est véritablement au fond une
des très grandes décisions dans le processus de développement de
l’humanité dans la bataille décisive de savoir si à l’avenir la
vision du monde mammonististe-matérialiste ou la vision du monde
socialiste-aristocratique déterminera le sort du monde. »
Cette vision du monde n’est évidemment, selon
Gottfried Feder, pas produit par le mode de production capitaliste,
c’est une « idée », un principe meurtrier, une
« malédiction » :
« Nous reconnaissons clairement que le fléau de
l’humanité n’est pas l’ordre économique capitaliste, le capital en
soi en tant que tel. L’insatiable besoin d’intérêts du
grand-capital de prêt est la malédiction de l’ensemble de
l’humanité travailleuse ! »
Le « socialisme » est ici l’attitude
« simple » reconnaissant l’existence de la société, du
peuple, bref s’opposant à la « folie » de la course à
l’argent, à cette « maladie » qui amène « l’envasement
et la contamination de la mentalité de notre époque ».
Le véritable « socialisme »
consisterait ainsi ici, pour Gottfried Feder, en la lutte contre les
« puissances d’argent » :
« Notre législation fiscale toute entière est et
restera, aussi longtemps que nous n’avons pas la libération de
l’esclavage des intérêts, uniquement un tribut obligatoire au grand
capital, mais pas, ce que nous nous imaginons parfois, le sacrifice
volontaire à la réalisation d’un travail collaboratif.
Par conséquent, la libération de l’esclavage des
intérêts de l’argent est le mot d’ordre clair pour la révolution
mondiale pour la libération du travail réalisant des entraves des
puissances financières supra-étatiques. »
Mais au sein même du pays, ces forces ont des
agents, à savoir tous ceux qui vivent pareillement de l’usure.
L’usurier devient ici non seulement une figure générale
internationale, mais une figure particulière locale.
Bien entendu, dans l’anticapitalisme romantique, cette figure est portée par « le juif ». Il y a ici selon cette idéologie une « substance » commune à la « ploutocratie internationale » et à toute personne juive, même pauvre.
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