L’échec final des Croix de Feu et du Parti Social Français

l est très difficile d’établir le panorama du P.S.F. pendant l’Occupation, tellement les contradictions de la situation le firent imploser. Tous les choix possibles ont été faits au P.S.F., avec toutes les nuances.

On a ainsi Bernard Dupérier, pilote de François de La Rocque, qui prendra lors de la Résistance le commandement de l’escadre aérienne de chasse française en Grande-Bretagne, ou encore le député Edmond Barrachin qui rejoint Londres, tandis que le député Jacques Bounin organisa la Résistance à l’intérieur du pays.

Mais on retrouve aussi Paul Touvier, figure même du milicien, Paul Creyssel qui fut un temps secrétaire général à la propagande du régime de Vichy.

On a Pierre Lépine qui continua pendant l’Occupation de diriger le service des virus à l’Institut Pasteur de Paris, tout comme Eugène-Gaston Pébellier continua d’être maire de Puy-en-Velay, accueillant même Philippe Pétain triomphalement en 1941.

De manière plus compliquée, on a Jean Ebstein-Langevin, qui participa à la manifestation patriote du 11 novembre 1940 puis rejoignit la Résistance, avant de défendre ensuite les pétainistes après 1945.

Cette position pro-pétainiste après 1945 sera également celle du joueur de tennis Jean Borotra, passé tant par les Croix de Feu que le P.S.F., responsable des sports du régime de Vichy avant d’être détenu par les Allemands, qui à partir de 1943 mirent un terme définitif à l’existence en France de la mouvance P.S.F., par ailleurs directement bannie dans la zone occupée.

On a également Henri Choisnel et Georges Dompmartin, qui combattirent dans la Résistance dans les rangs du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France généré par le Parti Communiste.

François de La Rocque, de son côté, organisera le « Réseau Klan » fournissant des renseignements aux services secrets britanniques, tout en tentant d’influencer Philippe Pétain dont il devint un conseiller, maintenant toujours un loyalisme général et ce jusque dans l’antisémitisme. Dans le Petit journal, il expliquait par exemple le 5 octobre 1940 :

« L’adoption [de la nationalité] doit être remise en cause dans tous les cas d’espèce où, ayant obtenu la qualité de Français, un Israélite aura contrevenu, dans sa vie publique ou privée, aux lois et principes de l’État, aux préceptes de la civilisation chrétienne (en dehors de toute considération proprement religieuse). »

La presse Croix de Feu et P.S.F. exprimait déjà parfois un antisémitisme virulent, ne reflétant pas la ligne de l’organisation ; sous l’Occupation, le quotidien le Petit journal vivait grâce au régime de Vichy, participant parfois à l’antisémitisme, tout en employant des personnes juives avec de faux papiers, grâce à l’initiative de François de La Rocque.

La Gestapo mit un terme à ces contradictions en décapitant en 1943 les restes du P.S.F., au moyen de 152 arrestations, et François de La Rocque fut déporté en 1943, mourant des suites d’une intervention chirurgicale le 28 avril 1946 à Paris.

Ce n’est que quinze plus tard, à l’occasion du jour consacré à la déportation, que Charles De Gaulle, alors président de la République, lui fit remettre, par l’intermédiaire de sa veuve, la médaille de déporté-résistant à titre posthume, affirmant entre autres « l’ennemi [lui] fit subir une cruelle déportation pour faits de Résistance, dont, je le sais, les épreuves et le sacrifice furent offerts au service de la France ».

Dans son dernier livre, Au service de l’avenir : Réflexions en montagne, paru en 1946, François de La Rocque parlait toujours de l’Armée comme « le sanctuaire ou se monte la garde, se transmet le culte des suprêmes traditions nationales ».

Voici comment Edouard Daladier, figure politique importante des années 1930 et qui en tant que président du Conseil déclara en 1940 la guerre à l’Allemagne, présente dans son Journal de captivité 1940-1945 la manière dont il voyait François de La Rocque.

« Je n’ai aperçu La Rocque qu’une seule fois en octobre 1936, au petit matin, dans le couloir du train qui me ramenait de Biarritz.

Petit, assez gras, pâle, il assistait au lever du soleil adossé à la portière de son sleeping entre deux gardes du corps, puis il était venu prendre un café au lait et fumer sa pipe au wagon-restaurant. J’en avais conclu qu’il ne présentait aucun danger pour la République.

Il aura eu une vie fort mouvementée. Courageux combattant de 1914, il fut volontaire dans l’infanterie. Plusieurs fois blessé. Plusieurs fois cité. Dans cette guerre, un de ses fils a été tué comme aviateur sur la Meuse et un autre grièvement blessé.

Il a été créateur d’un mouvement politique, dont le but me semblait être de créer une République autoritaire, antiparlementaire, hiérarchisée, dont les corporations restaurées auraient été la base sociale. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre. Quelque chose aussi d’un néoboulangisme.

De vieux réactionnaires, épaves attristées ou indignées des luttes électorales, mais surtout des hommes jeunes et des femmes des classes moyennes, victimes de la crise économique, irrités de l’instabilité ministérielle, du désordre des mœurs parlementaires, parfois aussi de scandales trop réels, même lorsqu’ils étaient démesurément grossis et exploités, adhéraient à son mouvement.

La Rocque se préoccupe de rester le chef. Chiappe, Tardieu, Laval, le voudraient comme lieutenant ou comme sergent recruteur. Il ne peut refuser de participer au 6 février, mais il le fait sans enthousiasme, avec une sorte de résignation. Il suffit qu’un adjudant de la garde mobile, posté avec quelques hommes sur la place du Palais-Bourbon, se dresse pour que ces bandes passent leur chemin et renoncent à envahir le Parlement.

Aussi Maurras et Daudet, ainsi que bien d’autres, l’accusent de mollesse sinon de trahison.

Il devient, après le 6 février, le familier de Doumergue [qui fut président de 1924 à 1931], et c’est alors sa grande époque.

Virtuose incontestable de la motorisation, il rassemble dans de vastes prairies des milliers d’automobiles sans un accident ni une panne. Par la somptuosité et l’ordre impeccable de ses défilés, il écrase ses rivaux, Pujo, Doriot et le bonapartiste Taittinger devenu conseiller municipal et enrobé de graisse.

Ses parades groupent peu à peu les gauches divisées. Au congrès de Nantes, malgré les prédictions des augures et le zèle de Marchandeau, le Parti radical rompt avec Doumergue.

Quelques jours après, le sauveur, coiffé d’un béret basque, escorté de policiers, quitte au petit matin, par une porte dérobée, son appartement de l’avenue du Bois, et regagne Tournefeuille.

A partir du 14 juillet 1935, les défilés du Front populaire font pâlir ceux des croix-de-feu. La Rocque a donc été l’un des pères du Front populaire qui en eut d’ailleurs beaucoup et surtout d’involontaires.

Après juin 40, La Rocque deviendra conseiller national et beaucoup plus tard, l’un des conseillers privés de Pétain qui lui emprunte un grand nombre de ses formules.

Il semble que La Rocque était au premier rang des attentistes et que, surtout après l’échec de la grande offensive allemande contre la Russie en 1941, il a cru à la défaite finale de l’Allemagne, d’où la colère de Laval, la méfiance des Allemands, et son arrestation. »

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L’échec du positionnement «civilisationnel» des Croix de Feu et du Parti Social Français

La défaite face à l’Allemagne nazie fut un coup terrible à la stratégie de François de La Rocque, entièrement fondée sur l’indépendance française complète, avec un partenariat proposable uniquement à l’Espagne franquiste et l’Italie fasciste, une opposition franche à l’Allemagne.

Bien entendu, une prise de contact eut lieu ; en septembre 1936, un représentant du P.S.F. alla en Allemagne discuter avec Rudolf Hess, en présence d’un consul espagnol anti-républicain et du fasciste anglais Oswald Mosley. En décembre de la même année, François de La Rocque se rend à Bruxelles, afin de rencontrer Léon Degrelle, le dirigeant belge du mouvement rexiste, ainsi que le banquier allemand Dessler.

Mais la ligne impérialiste française était par définition antagonique de celle de l’Allemagne et le modèle allemand de fascisme apparaissait comme inadapté et intolérable, de par la négation du catholicisme comme idéologie d’arrière-plan. Pour François de La Rocque, la France est née dans le catholicisme :

« La France est une fille de la civilisation chrétienne. Elle aura trouvé la voie de ses destins lorsque, pour le monde entier, elle sera redevenue, non pas le peuple qui se prétend réquisitionné par Dieu pour accomplir ses volontés à travers le monde, mais le grand pays d’exemple. »

Pour autant, François de La Rocque refusait tout rapprochement avec l’URSS pour faire contrepoids. Le 6 décembre 1938, lors du IIIe congrès du P.S.F., Jean Ybarnégaray fit un rapport sur la politique extérieure, où il était affirmé :

« La position du P.S.F. vis-à-vis du pacte franco-soviétique est définie en ces termes : nous réclamons et, s’il le faut, nous saurons exiger la dénonciation, la rupture immédiate du pacte qui nous unit aux soviets. »

Dans ce même rapport, il était également précisé :

« Ma position est connue, c’est celle du P.S.F.. Nous renouvelons au général Franco nos vœux de victoire. »

Et dans le Petit Journal du 25 février 1939, on lisait également :

« Pour ma part, j’ai conscience de n’avoir rien négligé pour faire sentir au général Franco que le coeur de la masse P.S.F. et, avec elle, celui de millions de Français, battait pour sa cause, pour le triomphe de ses armes. »

Le franquisme était le vrai modèle de François de La Rocque, dans la mesure où il s’agissait d’une force conservatrice rétablissant l’ordre face au bloc socialiste et communiste.

Voici une lettre reçue par la Pasionaria, dans le cadre de la guerre d’Espagne, alors qu’elle visitait la France pour appeler à soutenir la République espagnole :

« LES CROIX DE FEU » et « BRISCARDS »

Madame,

Il serait bon que vous compreniez que votre présence est une provocation et que pour éviter tout incident des patriotes français, vous regagniez au plus tôt votre pays.

Car votre propagande est en contradiction avec le respect de l’hospitalité et la ligne de neutralité que s’est sagement imposée la France.

Si cette neutralité doit être violée en votre faveur, des répercussions graves pourraient s’ensuivre pour vous, et sachez que la Légion du feu saura vous le faire comprendre.

Salutations,

Pour le président général :

[signature]

Par contre, François de La Rocque considérait que pour empêcher l’unité du bloc socialiste et communiste, pour ne pas tomber dans une guerre civile complète et sanglante, il ne fallait pas prendre l’initiative mais se présenter comme légitimiste, en attendant le moment où la crise sociale amènerait une puissante agitation communiste.

D’où le raisonnement du P.S.F. comme quoi :

« La recherche d’un ordre civique sous le signe de la durée exclut la conception d’un État révolutionnaire. »

C’est précisément la contradiction que posait la « Révolution nationale » du régime de Vichy. François de La Rocque devait choisir entre le nationalisme coûte que coûte et l’anticommunisme.

Dans l’éditorial du Petit journal du 10 août 1939, François de La Rocque expliquait encore son positionnement :

« Encore une fois la tradition chrétienne, origine de la Patrie, inspiration de la mystique des Croix de Feu, fut et demeure la conseillère des libres activités P.S.F. Suivons la voie droite et large de ses disciplines. Elle nous conduit au but harmonieux de notre labeur: naissance de l’État Social Français. »

Toutefois, la défaite l’amena à un choix cornélien : fallait-il rejoindre Londres, ou bien tenter de pousser le nouveau régime, dont l’anti-marxisme était le socle, dans ce qui était selon lui le bon sens, et en tenant de gagner en autonomie face à l’Allemagne ?

Raisonnant en termes de « civilisation » – à l’opposé de Charles De Gaulle formulant la question stratégiquement – François de La Rocque finit par prendre le partie de Philippe Pétain. L’anticommunisme fut considéré comme le plus important et François de La Rocque salua ainsi l’attaque nazie contre l’URSS :

« Considérons comme le bien le plus urgent pour l’univers civilisé tout ce qui accélère la destruction de la puissance bolchévique. »

Cette ligne ne lui laissait toutefois aucune place politique. François de La Rocque comptait développer un État corporatiste par en bas, et voilà que la ligne putschiste avait triomphé, profitant de la victoire allemande.

Lui qui ne voulait pas de « révolution », mais une contre-révolution par en bas, il lui fallait tenter de travailler avec des gens cherchant à « forcer » la France dans une logique ultra-conservatrice au moyen de la « révolution nationale », avec qui plus est une violente agitation des ultras partisans du national-socialisme, du planisme, etc.

Il formula son dépit ainsi :

« Qu’est-ce qu’une révolution sinon le changement total, prompt, soudain – peut-être brutal – des institutions et des mœurs?

Où percevez-vous quelque changement de ce genre affectant la manière d’être et de penser des hommes investis du rôle de modèle et de direction au sein de notre communauté nationale? »

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Les Croix de Feu, le Parti Social Français, un parti de droite et de masse

A l’opposé des ligues espérant le coup d’État, François de La Rocque comptait phagocyter la République. La question électorale se posa alors inévitablement. Ce n’était pas du tout dans la démarche des ligues, ce qui souligne sa spécificité.

Cela ne veut pas dire que la prise du pouvoir soit conçue comme un simple processus électoral. Le P.S.F. ne se cachait pas sur ce plan, expliquant :

« Pour réaliser son programme, le Parti Social Français réclame LE POUVOIR.

Comment le Parti Social Français entend-il prendre le pouvoir ?

Par les voies légales, en usant des droits civiques et politiques accordés par la Constitution à tous les citoyens.

Par la force, au cas où des partis de révolution chercheraient à employer la violence et à fouler aux pieds nos libertés pour imposer leur dictature. »

Le problème est que la défaite française a empêché une avancée dans cette démarche, masquant la nature du P.S.F. si on regarde les choses abstraitement. La dimension pragmatique de ce choix électoral n’apparaît pas, à moins de saisir la perspective de François de La Rocque.

En 1936, celui-ci justifiait ainsi son positionnement : au nom d’un « grand souffle purificateur », il fallait s’engager pour bouleverser la situation.

Il dit ainsi :

« Si l’intervention du Mouvement Croix de Feu dans la campagne électorale se bornait à y mettre un peu d’honnêteté, d’ordre et de conscience, quel changement ce serait déjà dans l’existence nationale ! »

Dans Les Croix de Feu devant le problème des élections, François de La Rocque posait le problème ainsi :

« L’existence d’un groupe parlementaire Croix de Feu imposerait au Mouvement la nécessité d’avoir un programme détaillé et l’obligation de prendre position sur des problèmes épineux. Les plus redoutables de ces problèmes ne sont peut-être pas les plus importants et les plus généraux, mais bien ceux qui mettent en cause les intérêts particuliers ou corporatifs des électeurs. . . .

La difficulté consisterait donc à trouver au groupe Croix de Feu une position parlementaire originale.

Il ne devrait pas se laisser classer dans les rangs de la vieille droite. Il devrait éviter aussi bien une opposition systématique qu’un attitude exclusivement conservatrice.

Il devrait trouver une méthode d’action parlementaire nouvelle et élaborer une doctrine assez forte et assez séduisante pour soutenir la comparaison quotidienne avec la doctrine des autres partis. »

Les Croix de Feu ne participèrent ainsi pas aux élections, tout en distribuant à trois millions d’exemplaires un manifeste publié comme supplément du Flambeau du 11 avril 1936. Il apparaissait comme impossible de rompre avec la tradition anti-parlementaire des ligues, ainsi que de prôner « la réconciliation et la rénovation nationales » en acceptant la division.

Le P.S.F., quant à lui, se lança dans un processus progressif, qui devait aller de pair avec la massification.

Les moyens financiers étaient également là. Les Croix de Feu étaient une organisation de bourgeois et d’entrepreneurs, de commerçants, d’artisans, etc., avec des dirigeants liés aux notables. Armand Causaert, chef en 1931 des Croix de Feu à Lille et dans le Nord, assumant ensuite également dans le Pas-de-Calais et dans la Somme, était par exemple issu d’une grande famille d’industriels catholiques ; il avait eu neuf décorations lors de la Première Guerre mondiale.

Avec le P.S.F, on passe à un autre niveau. Même si tout cela était bien entendu caché, on peut le lire en regardant la nature du quotidien Le Petit Journal que le P.S.F. s’est approprié.

Ce quotidien était dans les mains d’une société fondée le 2 juillet 1937, avec un capital de 6 millions de francs, divisé en 60 000 actions de 100 francs, appartenant en tout à seulement dix actionnaires.

Les cinq principaux souscripteurs en furent :

a) Fernand Javal, liée aux parfums Houbigant, eux-mêmes à la Banque de l’Union parisienne. La famille Javal est aussi liée aux mines d’Ostricourt, et de là au Comité des Houillères, ainsi qu’à l’Union houillère et électrique (Compagnie Générale d’Electricité) ;

b) Philippe Cruse, associé de la Banque Neuflize, membre du conseil se surveillance de Schneider, administrateur de la Banque de l’Union parisienne ;

c) Henri Bandi de Nalèche, par ailleurs principal souscripteur, est le neveu du comte Etienne de Nalèche, qui est le président du syndicat de la presse parisienne, directeur du Journal des débats, administrateur du canal de Suez, et dont la famille est richissime ;

d) Bertolus, lié aux Grands Travaux de Marseille, filiale de la Société marseillaise de Crédit, jouant un rôle central dans la navigation et au comité des armateurs ;

e) Jean Schwob d’Héricourt, allié à la famille Gradis, appartient au même réseau que Bertolus, mais dans les affaires coloniales, étant administrateur de la Société française pour le commerce avec les colonies et l’étranger, ainsi que de la Compagnie agricole et sucrière de Nossi-Bé (Madagascar).

Or, François de La Rocque fut attaché à la direction générale de la Compagnie Générale d’Electricité, pendant plusieurs années. C’est justement cette entreprise qui relie l’ensemble.

La Compagnie Générale d’Electricité est en effet lié par Oppermann à la haute banque, au Crédit Commercial de France, aux armateurs marseillais, par Henri de Peyerimhoff de Fontenelle au Comité des Houillères, par Nicolle à la grande industrie du Nord.

Cette inscription dans la haute bourgeoisie permettait des résultats immédiats, malgré une position illégale en-dehors des élections.

Dès 1936, François de La Rocque revendiquait déjà 12 députés. 6 furent élus en tant que P.S.F. : Jean Ybarnégaray en tant que député de Mauléon (Pyrénées-Atlantiques), François, prince de Polignac, en tant que député du Maine-et-Loire, Paul Creyssel en tant que député de la Loire venu des radicaux, Eugène-Gaston Pébellier en tant que député de la Haute-Loire, François Fourcault de Pavant en tant que député de Seine-et-Oise, Fernand Robbe en tant que député de Seine-et-Oise.

Les rejoignirent Émile Peter député de la Moselle, Stanislas Devaud, député de Constantine, ainsi que trois autres députés élus lors d’élections partielles : Charles Vallin député P.S.F. de la Seine, Jacques Bounin député des Alpes-Maritimes, Marcel Deschaseaux député des Vosges.

47 autres députés rejoignirent le Comité de Sympathie pour le P.S.F. et de défense des libertés républicaines, qui ne se réunit toutefois qu’une fois.

En octobre 1937, lors d’élections locales, le P.S.F. présenta 689 candidats (sur 3390 sièges possibles), seulement 250 sous étiquette P.S.F., les autres se présentant sous l’étiquette « Union Anti-Marxiste », « Union Républicaine », etc. 43 conseillers P.S.F. furent ainsi élus officiellement, François de La Rocque en revendiquant 306.

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le P.S.F. était ainsi en pleine expansion, revendiquant 11 députés, 198 conseillers généraux, 344 conseillers d’arrondissement, 2692 maires, 10 257 conseillers municipaux.

Il s’intégrait dans la politique gouvernementale, en soutenant telle ou telle mesure. Le 4 octobre 1938 et le 18 mars 1939, les députés P.S.F. votent les pleins-pouvoirs pour l’abrogation des 40 heures, les décrets-lois permettant de faire passer la durée du travail dans certaines usines à 60 heures. Cela alors qu’il y a 400 000 ouvriers au chômage, et que le P.S.F. prétendait prôner la réglementation de la durée du travail pour qu’il y ait le plein emploi.

Les députés du P.S.F. votèrent également en février 1938 contre un ajustement des salaires à l’inflation, ou encore en juin 1939 contre une amnistie de travailleurs à la suite d’une grande grève le 30 novembre 1938.

Les députés votèrent également contre la simplification de la procédure en matière de renouvellement du bail des locaux commerciaux, ainsi que contre la limitation légale de l’augmentation de leurs loyers, et contre une indemnité d’éviction dans les cas où le propriétaire reprend les locaux. Les députés du PSF votèrent également contre l’application du bordereau de coupons aux dépôts et comptes en banques.

Bref, il se posait comme un parti de droite dure, tout en disposant d’entre 1,5 et 2 millions d’adhérents, au sens très large, avec 7600 sections. Il pouvait honorablement espérer 15 % des suffrages aux élections, qui n’eurent pas lieu à cause de l’Occupation.

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Les Croix de Feu, le Parti Social Français, l’antifascisme et la question du coup d’État

L’opposition droite-gauche en France est issue, du point de vue du matérialisme dialectique, de l’affrontement entre deux fractions de la bourgeoisie : celle ouvertement réactionnaire, lié au royalisme et au catholicisme, et celle moderniste et laïque. Cette opposition est directement issue du compromis du tout début du XXe siècle. Le Parti Communiste n’a pas réussi à saisir cet arrière-plan, ne saisissant pas les contradictions au sein de la bourgeoisie.

Il n’a donc pas compris le radicalisme, cette forme de républicanisme de centre-gauche, expression de la bourgeoisie modernisatrice, partisane d’un capitalisme libéral et, de ce fait, opposé aux fractions de la bourgeoisie historiquement liées au féodalisme, au catholicisme, au monarchisme, etc.

Or, depuis 1918, la gauche de type radicale a très peur d’un coup d’État de la part de la droite. L’agitation des maréchaux, la puissance de la haute bourgeoisie ouvertement favorable à un coup d’État militaire, voire à une dictature cléricalo-royaliste, posait un grand souci.

C’est pourquoi la gauche de type radicale a accepté de se lier à la gauche socialiste et communiste, afin de faire contre-poids à la droite liée aux ultras-cléricaux, aux milieux royalistes, aux dirigeants de l’armée, etc.

On a ici exactement la même chose que lors de la guerre d’Espagne, à la grande différence qu’il s’agit ici d’une opération démagogique du radicalisme de gauche. La droite putschiste est en effet minoritaire et dépassée, alors qu’en Espagne elle était d’une énorme puissance. Les Croix de Feu et le P.S.F. sont justement l’expression de cette considération, François de La Rocque ayant compris que la République avait définitivement gagné.

Le Parti Communiste, lui, ne l’avait pas compris, aussi tomba-t-il dans le piège des radicaux de gauche. Voici un exemple de la position de ceux-ci, avec les propos de Pierre Cot, député radical de la Savoie, répondant à l’Humanité lui posant la question de la nature du P.S.F.

L’opération des radicaux de gauche visant à faire du Parti Communiste un supplétif de la gauche modernisatrice est ici tout à fait lisible dans sa démagogie, notamment autour du thème de « l’oligarchie financière ».

Historiquement, le Parti Communiste est entièrement tombé dans le piège, Maurice Thorez lui-même ne parlant que d’oligarchie, alors que par la suite des restes de thoréziens développeront le thème du complot d’une petite fraction de la haute bourgeoisie, formant une « synarchie » visant au coup d’État et ayant favorisé la défaite de la France en 1940, etc.

« Personne ne songe plus à nier le danger fasciste.

Le colonel de La Rocque a affirmé sa volonté de déclencher l’attaque à main armée au jour J et à l’heure H. De plus, quand on organise des formations militaires, des exercices de mobilisation, etc., ce n’est pas pour une action… de propagande électorale.

Il n’est pas douteux qu’on se prépare à la guerre civile ou, du moins, qu’on s’y préparait avant le 14 juillet [1935] (…).

Le plus grave, c’est que les ligues sont armées. Leurs adhérents sont tenus en haline et en alerte. Ils risquent d’exiger, une fois, qu’on les lance à l’assaut.

Or, ce qu’il y a d’abominable, c’est que les chefs des ligues n’ont aucun programme positif. Il est tout à fait insuffisant de dire qu’on est pour la propreté et le patriotisme. Je ne pense pas, d’ailleurs, que les ligues armées de M. Léon Bailly aient le monopole de ces vertus (…).

Ces moyens financiers sont puissants. Il suffit de constater l’activité des ligues, le nombre de leurs fonctionnaires, la perfection de l’organisation, la fréquence des exercices de mobilisation, etc.

M. de La Rocque a avoué qu’il recevait de l’argent de MM. Mercier et de Wendel. Il doit y en avoir bien d’autres. C’est normal. Le grand capitalisme se sent touché au vif.

Les marchands de canons, les maîtres des monopoles capitalistes, ceux de la Banque de France, savent qu’il y a contre eux une très grande majorité de Français (…).

Ce qui menace les maîtres de cette oligarchie financière, qui a ravi à l’État son indépendance, c’est la poussée du Front populaire. Le mouvement des ligues, en ce qu’il se dresse contre le Front populaire, est un mouvement de défense de la grande bourgeoisie.

Il trouvera tout l’argent dont il a besoin. Qu’avec cet argent, les ligues se soient armées, c’est l’évidence même ! On ne joue pas au soldat quand on a plus de vingt ou trente ans, pour le plaisir…

Quand des hommes faits consentent à s’entraîner, c’est qu’ils veulent se battre. Et quand on veut se battre et qu’on a de l’argent, on s’arme.

Il est certain que les Croix de Feu et les ligueurs d’Action française ont fait un gros effort de propagande dans l’armée, surtout chez les jeunes officiers… Rien d’étonnant : la plupart des jeunes officiers manquent de formation politique et économique… Et le colonel de La Rocque parle un langage qui leur plaît.

Au fond, je ne crois pas que ce soit très dangereux… Il y a les officiers républicains, les sous-officiers et les hommes. Si des officiers passaient aux ligues pour faire un coup de main, cela provoquerait un mouvement inouï.

La trahison de certaines unités expliquerait et légitimerait le passage au peuple d’autres unités. Ce serait la désagrégation de l’armée.

Et là encore, ceux qui auraient commencé auraient tous les rots. Les grands chefs savent cela, ils ne commettront pas la folie de jeter l’armée dans nos luttes politiques.

Le loyalisme de la garde mobile et de la gendarmerie est certain ! La propagande des Croix de Feu a échoué… Les milieux de la garde et de la gendarmerie sont beaucoup plus « Front populaire » (par origine, tendance, etc.) que Croix de Feu…

La garde s’est fait, paraît-il, siffler en défilant avenue des Champs-Elysées, le 14 juilet, par la clientèle des ligues… Elle gardera ce souvenir (…).

[Au sujet de la police, même s’il faut surveiller certains chefs selon lui] Mais là encore, je vois mal la police allant participer à un putsch (…).

Il faut multiplier les rassemblements du Front populaire… Nous ne faisons pas, nous, des exercices de mobilisation secrète… Nous n’entraînons pas nos troupes à la guerre civile… Nous sommes contre la violence…

Mais nous devons affirmer notre volonté de lutter, au besoin par la force, contre la violence. Des rassemblements comme ceux qui eurent lieu le 14 juillet prouvent que toute la France qui pense et qui travaille se dresse contre le fascisme.

Un putsch ne réussira jamais contre la volonté unanime d’un peuple. Voilà pourquoi notre action doit être large, et que je suis heureux de voir que vos camarades l’ont compris. Ce sont eux qui, dans nos manifestations, entonnent la Marseillaise. C’est très bien !

Car il faut reprendre la Marseillaise à ceux qui nous l’ont volée. De même qu’il faudra, un jour, que nous allions défiler devant le Soldat Inconnu, qui fut notre frère de misère, et qui aurait bien plus de chance d’être au Front populaire que chez les Croix de feu… (…)

En cas de putsch ou de tentative de putsch, c’est la masse des travailleurs qui doit réagir. Il faut prévoir que les chefs politiques, les dirigeants des syndicats seront immédiatement arrêtés. Il faut donc organiser un mécanisme dont l’automatisme soit absolu. C’est ce qui est fait.

A quoi tient ce mécanisme ? A paralyser à la fois l’action militaire motorisée des logues et la vie économique du pays. Les ligues doivent savoir que si elles gagnaient la première manche, elles n’en perdraient pas moins la partie.

Ce n’est pas avec des fusils-mitrailleurs, ni même avec des volontaires, que l’on fait marcher les trains, les aiguillages, les centrales électriques, les postes, bref tout ce dont le pays a besoin pour vivre.

Achevons de mettre au point cette organisation qui, je le répète, doit fonctionner de façon automatique… »

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Les Croix de Feu, le Parti Social Français, l’antifascisme et la question de la démagogie

Si le Parti Communiste a été amené aussi aisément dans les bras du jauressisme, ce n’est pas seulement pour des raisons d’incompréhension du matérialisme dialectique. François de La Rocque est, en fait, peut-être le seul en France à avoir compris ce qu’est le léninisme, et il était contre. Sa dynamique vise clairement, comme le national-socialisme allemand, à siphonner le développement d’un Parti Communiste s’établissant dans l’Histoire de son pays, impulsant des positionnements idéologiques et culturels révolutionnaire.

François de La Rocque a compris qu’il s’agissait d’une guerre de positions et le Parti Communiste s’est aperçu qu’il était en retard dans ce processus. C’est la raison pour laquelle il s’est précipité aussi facilement dans le républicanisme, tentant de lancer un mouvement Croix de Feu inversé.

C’est le sens du fameux propos de Maurice Thorez en août 1936 :

« Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu croix de feu, parce que tu es un fils de notre peuple, que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux, comme nous, éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe.  »

Le Parti Communiste a compris ce qu’a fait François de La Rocque, mais il inverse seulement son positionnement, sans comprendre que François de La Rocque avait déjà en tête, initialement, d’inverser le Parti Communiste. 

De cette erreur de mise en perspective – les Croix de Feu étant compris comme un simple concurrent démagogique, au lieu de voir l’aspect d’opposition en termes de positionnement dans la matrice même du mouvement – découle le discours républicaniste. 

Dans un supplément de quatre pages à l’Humanité du 29 juin 1939, intitulé Le parti de la tête de mort, les Croix de Feu ennemi public n°1, tiré à 724 500 exemplaires, un chiffre énorme, on retrouve résumée de la manière suivante cette approche erronée :

« A l’heure où l’union du peuple français s’impose pour sauvegarder la paix et l’indépendance de la République française, le P.S.F. reste ce qu’il n’a jamais cessé être : une ligue fasciste au service des trusts et du fascisme international, ennemi de la France.

Derrière son nouvel insigne représentant la France, se cache toujours l’insigne Croix de Feu à la tête de mort, symbole de violence et de destruction. »

Voici également, dans son intégralité, un document de novembre 1935, écrit par Marcel Cachin, consistant en une Lettre [de réponse] à un Volontaire National, et intitulé Français ! Ne voulez-vous pas comme nous une France libre, une France fraternelle, une France forte, une France pacifique ?.

On y voit comment le Parti Communiste tente d’attirer les jeunes organisés dans les Croix de Feu, sans comprendre qu’à la base, l’objectif de François de La Rocque était justement déjà de faire un anti-Parti, une anti-révolution, et pas seulement un mouvement contre-révolutionnaire, suivant en quelque sorte l’adage comme quoi pour que rien ne change, tout doit changer.

« Cher Camarade,

J’ai lu votre lettre avec le plus vif intérêt. Je n’ai que trop compris ce qu’il y a de légitime dans le cri d’angoisse que vous poussez, ce qu’il y a de profondément humain dans la soif de justice qui vous dresse contre une société d’oppression et de misère et qui hélas : vous a fait prendre le programme « Croix de Feu » pour un programme de bien-être et de liberté.

Aussi ai-je l’intention de vous parler comme on parle à une personne loyale et sympathique qu’on a le devoir de persuader. J’ajouterai même que mes cheveux blancs m’autorisent à répondre paternellement, si vous me le permettez, aux questions que vous me posez dans votre lettre.

Si je traduis bien votre pensée, il y a, à l’origine de votre enrôlement dans les « Volontaires nationaux », le désir ardent de mettre un terme aux divisions qui déchirent notre pays, qui l’affaiblissent et le diminuent au regard des autres nations.

Vous avez cent fois raison ! Vos préoccupations sont celles des communistes, qui travaillent de leur mieux à réconcilier le peuple avec lui-même.

Mais si l’union tant désirée par vous et par nous ne se réalise point, à qui donc la faute ? C’est la question qui est au centre de tout. Et voici notre réponse, à nous, communistes :

Si la France est divisée, c’est qu’il y a, en France, une poignée de privilégiés qui, hier, bénéficièrent scandaleusement des malheurs publics et de la guerre, qui continuent à en bénéficier encore et qui, par-dessus tout, veulent que cela dure.

Ceux qui, pendant la grande tourmente de 1914 à 1918 encaissèrent d’énormes bénéfices de guerre, tandis que le peuple douloureux luttait, souffrait et mourait dans les tranchées, ont fait de leurs privilèges une sorte de barrière partageant la France en deux camps.

Ces mêmes bénéficiaires des malheurs de la Patrie ont continué à s’enrichir durant la paix, cependant que les hommes qui avaient frôlé la mort pendant la guerre, n’ont eu, le plus souvent hélas, que la gêne ou la misère en partage.

Aujourd’hui, nous vivons dans un monde qui, au milieu de l’abondance de produits de toutes sortes, ne donne que privations et dénuement aux multitudes humaines. Et ceux qui ont été les bénéfi-ciaires de la période de prospérité, veulent aujourd’hui faire payer les frais de la crise à ceux qui furent victimes hier, qui le sont encore aujourd’hui et qui, dans le désarroi des temps présents, se posent la question suivante : Est-ce que ça va finir ?

Deux cents familles de profiteurs rançonnent le Pays

Deux cents familles privilégiées s’enrichissent des malheurs du pays, dressent les Français les uns contre les autres, spéculent avec les oligarchies financières internationales et ne pensent qu’à une seule chose : leur profit.

Ces deux cents familles se rient des lois, les tournent à leur guise et pressurent le citoyen qui reste désarmé devant l’injustice quotidienne dont il est victime.

Ces deux cents familles dominent l’État avec leurs comités secrets de magnats de l’acier, de l’électricité, du charbon, des banques, des assurances, de la terre, etc.

Ces deux cents familles maintiennent des millions d’hommes dans la servitude de la misère, dans l’humiliation du chômage et sous la menace constante d’un congédiement.

Ces deux cents familles maintiennent, au bénéfice d’une oligarchie, la lutte de tous contre tous, l’opposition des intérêts et la guerre des classes.

Les voilà, ceux qui divisent le peuple ! Les voilà ceux dont la néfaste domination est faite de la désunion de la France !

Et ces deux cents familles déchirent le pays, excitent les petites gens pour ne pas laisser toucher à leurs privilèges. Le budget de l’État en déficit, que leur importe ? Que leur importe la misère sans cesse plus grande de millions de Français !

Ce qui compte, pour ces deux cents familles, c’est le profit auquel elles ne veulent pas laisser toucher. Et c’est à cause de cela que les pauvres sont pressurés, que les classes moyennes sont dépouillées et dépossédées.

L’égoïsme des riches, cause des malheurs publics

C’est à cause de l’égoïsme des riches qu’on ne peut pas entreprendre la réalisation d’us vaste programme de grands travaux qui donnerait du travail aux chômeurs et ranimerait l’activité économique du pays.

C’est à cause de l’égoïsme des riches que l’on applique la politique stupide des décrets-lois, laquelle enlève des clients aux commerçants et des acheteurs aux paysans en restreignant le pouvoir d’achat du peuple.

C’est à cause de l’égoïsme des riches que le désordre économique prend des proportions sans cesse plus considérables que la disproportion grandit entre la consommation et la production, que le chômage s’étend, que les faillites et les saisies se multiplient.

C’est à cause de l’égoïsme des riches que la propriété de ceux qui peinent durant toute leur existence est attaquée et menacée de ruine définitive par les monopoles, les trusts, les usiniers et les spéculateurs.

Les riches ne veulent pas payer ; et c’est pour cela qu’il est impossible de mettre un peu d’ordre dans les affaires du puys et de soulager les malheureux.

Les riches d’aujourd’hui constituent une véritable féodalité financière avec ses Rothschild, ses de Wendel, ses Tinardon, ses Mercier, ses Dreyfus, ses Say, ses Lebaudy, ses Darblay, ses Poulenc, ses Voguë, ses Finaly, ses banquiers et ses financiers.

Tout comme les féodaux d’autrefois, ils veulent assujettir le peuple.

Vous êtes contre cette féodalité financière moderne, qui ruine la patrie et spécule avec les for-bans internationaux. Mais peut-être n’avez-vous pas songé aux libéralités distribuées par millions par ces magnats aux rédacteurs de la grande presse et à certains dirigeants des Ligues qui prétendent à reformer l’État.

Convenez avec moi, cher camarade, que ce ne sont pas les bénéficiaires de ces libéralités qui sont qualifiés pour parler de désintéressement, de moralité, de vertu et de lutte au profit des petits.

Et pourtant, certains de ces hommes essayent de jeter la pierre aux partis et de les représenter tous comme un ramassis de coquins.

Sans doute, certains partis ont-ils été plus ou moins atteints par la boue des récents scandales. Mais parmi les personnages les plus compromis dans des affaires plus ou moins troubles, il n’y a pas que des hommes de gauche, comme le prétendent vos chefs, il y en a eu aussi à droite et parmi ceux-ci, a me sera bien permis de citer M. André TARDIEU, dont le nom est, à lui seul, un programme.

Ceux qui peuvent parler de propreté

Nous pouvons, nous, communistes, parler de ces choses, avec une grande sérénité d’esprit parce que ni de loin, ni de près, le Parti n’a été mêlé à de pareilles histoires.

On parle parfois dans vos milieux des politiciens de gauche enrichis qu’on appelle des « damnés de la terre ».

Celui qui vous écrit a été fort souvent présenté comme un homme richissime et pourtant tous ceux qui connaissent ma vie savent qu’elle fut et qu’elle reste modeste et inattaquable.

Et d’ailleurs, s’il m’était possible d’entrer dans le détail, que d’exemples ne pourrais-je pas citer de communistes aussi héroïques et combatifs qu’ils sont pauvres et dont la foi ardente et désintéressée en l’avenir de l’humanité ne peut être comparée qu’à la foi qui animait les premiers chrétiens.

Un nous a beaucoup calomniés, on a déformé à souhait nos conceptions, mais j’espère que ma lettre aura au moins pour résultat de vous inciter à mieux nous connaître et à confronter notre point de vue avec celui de nos adversaires.

Le grand but historique que nous poursuivons est de donner le pouvoir aux travailleurs : de mettre fin à la domination du capital, d’aboutir par là à la disparition des classes et, par conséquent, à la disparition de la lutte des classes. Dès aujourd’hui même, nous faisons tout pour que s’effectue la véritable réconciliation française, celle de tous les hommes et femmes qui travaillent, qui pensent et qui espèrent.

Seules, deux cents grandes familles privilégiées et accapareuses de l’essentiel de la fortune nationale ont intérêt à ce que cette réconciliation ne se réalise pas. Seules ces deux cents familles et ceux qui les suivent, sont responsables des divisions lamentables dont notre pays que nous aimons donne le navrant spectacle.

Seules ces deux cents familles se réjouissent à la pensée que des Français s’arment contre d’autres Français. Et, à ce propos, vous n’êtes pas sans connaître toutes les récentes découvertes d’armes, précisément chez des hommes appartenant aux « Croix de Feu », ce qui semblerait indiquer qu’à des membres ordinaires de son groupement, M. de François de La Rocque a constitué une sorte de société secrète à l’intérieur même des « Croix de Feu ». Tout cela sent la guerre civile. Tout cela montre que délibéré-ment, des hommes songent à répandre le sang français.

Il faut que ça change

Chaque citoyen français pense, au fond de son cœur, que ça ne peul plus durer. Vous dites vous-même : « Il faut que ça change ».

Oui, il le faut. Il faut que tout le peuple s’unisse, pour faire payer les deux cents familles, pour leur faire restituer ce qu’elles ont dérobé à la nation par leurs accaparements.

C’est pour ce but que nous, communistes, nous demandons un prélèvement progressif sur les grosses fortunes au-dessus de 500.000 francs.

C’est pour ce but que nous proposons l’établissement de l’impôt unique et progressif sur le revenu.

Il serait ainsi possible d’assainir la situation financière du pays, de réduire le chômage, de payer des salaires permettant de vivre, de protéger la famille, que les bas salaires, le chômage et la misère disloquent, et d’assurer à notre pays que nous aimons, un magnifique rayonnement.

C’est seulement dans la mesure où nous serons tous unis pour imposer nos volontés aux grandes puissances d’argent que nous épargnerons à la France la guerre civile dont l’Allemagne d’Hitler, avec ses persécutions religieuses et ses contraintes brutales, nous donne le sinistre tableau.

Notre pays a connu des périodes de grandeur. Personne parmi nous ne contestera l’éclat de la France des trois derniers siècles avec sa pléiade de philosophes, d’écrivains, de poètes et d’artistes. Et personne non plus ne saurait oublier la grandeur de la France de la Révolution, qui porta aux peuples la liberté et jeta bas une monarchie gangrenée de compromis et de trahisons.

Comme nous, vous êtes fier, j’en suis sûr, de ces soldats de l’An II dont les drapeaux tricolores furent victorieux q Valmy et dont le courage vint à bout des traîtres de Coblentz, luttant contre la France avec l’ennemi.

Et ne voulez-vous pas, comme nous, UNE FRANCE LIBRE sur qui ne pèsera plus l’esclavage financier ?

Ne voulez-vous pas, comme nous, UNE FRANCE FRATERNELLE où chacun pourra travailler et manger à sa faim ?

Ne voulez-vous pas, comme nous, UNE FRANCE FORTE de la conscience qu’aura le peuple de son union et de la nécessité de la maintenir envers et contre tous?

Ne voulez-vous pas, comme nous, UNE FRANCE PACIFISTE travaillant à l’union des peuples pour la paix ?

Sachez-le bien, nous voulons cela du fond de notre âme, du meilleur de notre énergie tendue et prête au sacrifice.

Nous ne connaissons pas d’ennemis dans le peuple de France

Nous ne combattons que les abus et ceux qui en vivent, ceux qui, obéissant aux ordres des deux cents familles, lancent des mots d’ordre et de haine et de division.

La politique de division des forces populaires de France c’est celle qui fait le jeu d’Hitler et de Mussolini, se préparant à incendier le monde, c’est celle que poursuit un politicien comme Laval, qui a fait subir à notre pays les pires humiliations, c’est celle qui fait le jeu de la monarchie dont M. le comte de François de La Rocque se garde bien de condamner et de combattre les desseins.

Si M. de François de La Rocque voulait le bien du peuple, il condamnerait les grandes puissances d’argent qui pressurent le peuple en même temps qu’elles lui accordent leur appui ; il serait avec les travailleurs contre les décrets-lois ; il serait avec les paysans contre les féodaux modernes et contre un Tardieu qui les insulte. Mais, à la vérité, le chef des « Croix de Feu », dont le frère est au service du prétendant du trône de France, défend les intérêts d’une caste et non ceux du pays.

Quant à nous, voués au service du pays, nous sommes le grand rappel de l’énergie populaire pour la lutte décisive en faveur de ceux qui créent la vie contre ceux qui sèment la ruine et la mort.

Jeune camarade, sachant maintenant ce que nous voulons, puissiez-vous voir au-delà des for-mules mensongères, qu’on lance contre nous, la grande vérité libératrice que le communisme porte en lui.

Puissiez-vous, vous, partisan de l’union, ne pas suivre ceux qui divisent le peuple. Je le souhaite pour Tous et pour des milliers de vos pareils, je le souhaite pour la France, dont les fils doivent rester fidèles aux leçons du passé. Je le souhaite aussi pour l’avenir de l’humanité qui, si les puissances de barbarie triomphaient, pourrait connaître la nuit noire d’un nouveau moyen-Age.

Mais le vieux que je suis espère, pour vous qui vivrez cela, un tout autre destin. Car c’est par-ce que j’ai foi dans la libération humaine que, depuis 45 ans, je me suis donné à la cause immortelle des travailleurs. Recevez mes salutations.

Marcel Cachin »

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Les Croix de Feu, le Parti Social Français, l’antifascisme et la question de la guerre civile

A la mi-septembre 1937, la police mène une opération contre des dépôts d’armes dans tout le pays, mettant la main sur des centaines de fusils-mitrailleurs, des dizaines de mitrailleuses, ainsi que 10 000 grenades de provenance italienne et allemande. Fin janvier 1938, un de ces dépôts saute accidentellement, tuant 14 personnes ; il cachait 6 000 grenades et 200 kilos d’explosifs.

Telle était l’atmosphère lourdement pesante où l’extrême-droite s’organisait et s’armait. Dans ce cadre, le Parti Communiste, par l’intermédiaire de L’Humanité a très régulièrement parlé de François de La Rocque, des Croix de Feu et du P.S.F., tout à fait conscient de son importance dans le dispositif d’extrême-droite.

Pour donner un exemple de la profondeur de l’antagonisme, lorsque les Croix de Feu tinrent un meeting à Limoges en novembre 1935, la manifestation antifasciste déborda la police et fut accueilli à coups de feu. Les échanges de tirs qui s’ensuivirent firent une dizaine de personnes blessés de part et d’autres.

Le point culminant de cette dynamique antifasciste consista en ce qui se passa à Clichy, où le 16 mars 1937, le P.S.F. avait décidé d’organiser une réunion, avec la projection d’un film familial dans un cinéma. Refusant la ligne passive à ce sujet du gouvernement du Front populaire, les forces locales de ceui-ci, notamment le maire SFIO et le député communiste, organisèrent un contre-rassemblement.

Après évacuation des membres du P.S.F., les antifascistes sont alors réprimés par la police au moyen d’armes à feu, tuant 5 personnes et en blessant 48 par armes à feu, en blessant 59 autres. Du côté de la police, 257 personnes étaient blessées, dont 4 par des coups de feu.

Les Croix de Feu et le P.S.F. était ainsi considérés comme des forces d’intervention de type fasciste. Dans la presse communiste, l’article De La Rocque copie Hitler explique à ce sujet :

« De La Rocque utilise divers moyens pour gagner la masse :

1. Il s’efforce de créer une « mystique ». Dans les premiers temps il s’appuya en particulier sur les anciens combattants ; en 1934, après les scandales qui illustrèrent cette période, il parla de propreté, d’honneur, essayant d’exploiter le dégoût qu’avaient provoqué dans les masses ces scandales ;

2. Aidé par les trusts et la presse à leur dévotion, il s’efforce d’auréoler sa personne, il développe le culte du chef sublime, nanti de toutes les qualités.

En cela, il copie servilement les méthodes de Mussolini et d’Hitler, de qui le grand capitalisme a fait des « héros » pour mieux leur permettre de tromper les masses et les convaincre d’accepter leurs plans de misère, d’esclavage et de guerre. »

Toutefois, le Parti Communiste en reste là. Il considère que François de La Rocque est un démagogue comme Adolf Hitler et Benito Mussolini ; il ne voit pas en quoi il tente, comme eux, de faire un mouvement qui est un contre-feu au mouvement communiste dans son ensemble.

La tendance à considérer François de La Rocque comme une sorte d’opportuniste réactionnaire fut très forte, et même trop forte, au point qu’il fut en fin de compte considéré comme une simple marionnette sans projet réel. 

Pour cette raison, l’antifascisme se considéra lui-même comme un contre-feu. L’urgence était de répondre à la démagogie de François de La Rocque, mais cela fut fait dans une démarche tactique seulement. Cela ouvrit la voie à la démarche de Maurice Thorez, qui fit passer le Parti Communiste d’une reconnaissance tactique du Front républicain à la soumission stratégique.

Voici ce qu’on lit par exemple dans le communiqué Le sang a coulé du Parti Communiste, au lendemain de la fusillade de Clichy, en mars 1937 :

« Le Parti communiste n’a cessé de dénoncer les agissements du colonel-comte de La Rocque et de Doriot qui provoquent à la lutte entre Français et veulent créer une atmosphère de guerre civile dans le pays.

En provoquant les travailleurs, les chefs fascistes visent à compromettre l’œuvre sociale du Front populaire, à empêcher que les légitimes revendications du peuple soient satisfaites.

Derrière les fauteurs de troubles aux mains rouges du sang des travailleurs, il, y a les trusts, les puissances d’argent qui organisent la vie chère, refusent le rajustement des salaires, traitements, pensions, ne veulent pas que les vieux travailleurs bénéficient d’une retraite bien gagnée pas plus qu’ils ne veulent faire droit aux justes revendications des commerçants et des paysans de France.

A bas la guerre civile ! que cherchent les factieux. Il faut en finir avec ces groupements de désordre ; il faut en finir avec les chefs de la police qui favorisent leurs menées. Il faut faire passer le souffle républicain dans les cadres de la police et de l’administration. Les responsables du sang versé à Clichy doivent être frappés. Le peuple de France veut l’ordre et la tranquillité, il veut vivre en paix dans le travail et le respect de l’ordre républicain. »

Cette ligne d’unité populaire de la gauche socialiste et communiste est considérée comme pouvant peser dans l’État.

Dans La terrible nuit de clichy dicte au front populaire son devoir immédiat, on lit pareillement :

« Avec le Parti radical dont le prestige provient de sa lutte pour les libertés républicaines, avec ses chefs tant injuriés par ceux qui ont fait couler le sang ouvrier, avec nos frères socialistes qui, hier, à la réunion du Comité d’entente parisien, proclamaient avec nous la nécessité de désarmer et dissoudre les ligues factieuses, avec la grande C.G.T.

Dirigée par notre camarade Léon Jouhaux, avec tous les démocrates, tous les républicains, tous les hommes de bonne volonté, le Front populaire ira de l’avant vers le progrès social pour le triomphe de la démocratie et de la République.Mais la terrible nuit de Clichy dicte au Front populaire son devoir immédiat.

Il faut, comme le souligne le Programme adopté par tous, désarmer et dissoudre effectivement les ligues factieuses.

Il faut, selon la parole de notre camarade Léon Blum, président du Conseil, que passe enfin le souffle républicain dans la police, dans l’armée, dans les administrations de l’État. »

De la même manière, voici ce qui est dit dans Un appel du Parti Communiste pour les funérailles des victimes de Clichy :

« Toi, peuple de Paris, tu ne veux pas cela !

Tu veux vivre dans l’ordre, dans la paix et la liberté par ton travail. Tu veux que soient mis hors d’état de nuire ceux dont l’intérêt est d’empêcher le relèvement économique du pays.

Tu veux qu’en dissolvant les ligues, Paris retrouve le calme et puisse recevoir dignement les étrangers qui se préparent à visiter l’Exposition.

Tu veux qu’on en finisse avec les provocations d’un François de La Rocque qui menace de fomenter des troubles et fait appel à la guerre civile.

Dans le document Pour la paix ! Pour la dissolution des ligues ! Pour la retraite aux «vieux», toujours de mars 1937, on lit :

« Le débat parlementaire qui s’est institué à la suite des douloureux événements de Clichy a établi les responsabilités et le caractère de préparation à la guerre civile du Parti Social Français et du Parti Populaire Français. »

L’origine de ce positionnement est expliqué par Jacques Duclos dans Pour réaliser le programme. L’union du Front populaire doit être sauvegardée. Pour le Parti Communiste, le Front populaire était nécessaire pour contrer le fascisme de manière urgente. Cependant, de manière dialectique, il y a un autre aspect : celui de l’unité avec des forces non révolutionnaires, du type réformiste, républicaine, laïque, etc.

La question du rapport avec ces forces a été considérée comme centrale et le point de vue qui a prédominé, celui de Maurice Thorez, est que rien ne doit être fait pour troubler les liens formés avec ces forces.

Pour cette raison, Maurice Thorez impose une ligne de légalisme forcené et d’opposition à tout discours antagonique, lié à un esprit de guerre civile. Il rejette ouvertement le principe de groupes armés, combat tout esprit de subversion, au nom du fait d’apparaître comme le meilleur élève républicain. En agissant ainsi, il ramène directement le Parti Communiste dans les bras du jauressisme.

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La stratégie impérialiste autonome des Croix de Feu et du Parti Social Français

La position de François de La Rocque devint de plus en plus antagonique avec l’extrême-droite traditionnelle qui, fin 1937, met en place le plan d’un coup d’État. Le gouvernement devait avoir à sa tête le maréchal Louis Franchet d’Esperey, le maréchal Maxime Weygand ayant refusé, le maréchal Philippe Pétain ayant « réservé son avenir » même si son chef de cabinet, le commandant Loustanau-Lacau, assurait la liaison entre les putschistes.

Philippe Pétain considérait que le Front populaire s’effondrerait de lui-même et qu’il pourrait alors prendre les commandes des institutions.

François de La Rocque, comme en 1934, refusa de participer en mettant ses troupes à la disposition du coup d’État. Ce qu’il refusait, c’était l’unité au sein d’un « comité national » d’un « front de la liberté » où il serait mis sur un pied d’égalité avec ses concurrents, notamment le Parti Populaire Français de Jacques Doriot, et l’Action française de Charles Maurras.

Mais ce qu’il refusait surtout, c’est l’orientation de ce coup d’État, lié à toute une série de banques (Worms, Pucheu, Baudouin, Bouthillier, Barnaud) favorables à une alliance avec l’Angleterre.

Il fut alors accusé de toucher des fonds secrets, ce à quoi François de La Rocque répondit en mettant en avant sa probité par l’intermédiaire d’un message de Philippe Pétain affirmant notamment que « les citations de François de La Rocque à l’Ordre de l’Armée sont une réponse suffisante et décisive ».

Le message est lu par Jean Ybarnegarray lors d’un meeting au vélodrome d’hiver. Et Maxime Weygand refuse de son côté d’incriminer François de La Rocque. Mais les conjurés font pression sur Philippe Pétain qui déclare alors subitement ne pas connaître François de La Rocque. Ce dernier répond à cela en rendant public une photo dédicacée de Philippe Pétain le saluant chaleureusement.

C’est un avatar de la lutte de lignes à l’extrême-droite, le P.S.F. se posant en alternative au sein de la République, forme refusée par les autres formations. Voici comment, en janvier 1938, le P.S.F. exprime sa stratégie, dans une déclaration :

« Le Groupe Parlementaire et le Bureau Politique du PARTI SOCIAL FRANÇAIS, réunis hier après-Midi sous la présidence du lieutenant-colonel de François de La Rocque, ont procédé à un échange de vues sur la situation.

Ils ont été unanimes à constater :

1) qu’il est impossible de rétablir l’économie, les finances du pays et de défendre la monnaie nationale par des procédés de dictature étatiste, dans une atmosphère de lutte civique et sous la menace perpétuelle de violations ‘des droits du travail et de la propriété.

2) que nulle formation gouvernementale ne sera viable, que nulle majorité ne sera cohérente si on prétend y associer les tendances antagonistes du patriotisme républicain et du marxisme aux ordres de Moscou.

3) que la paix intérieure doit être énergiquement protégée contre la perpétuelle conspiration communiste et la propagande révolutionnaire, de même que contre toutes les campagnes terroristes et alarmistes d’où qu’elles viennent.

4) que la politique extérieure de la France, étayée sur l’ordre intérieur, doit assurer souverainement la sécurité de nos frontières, le maintien de nos alliances et de nos amitiés ainsi que l’indépendance d’une diplomatie vigilante et sage.

5) qu’un terme doit être mis à la dangereuse agitation développée à travers les territoires d’Outre-mer, non point par des réformes politiques improvisées mais par des réformes sociales et économiques appropriées à chacune de nos possessions lointaines.

6) que les améliorations sociales obtenues par le monde agricole et ouvrier ne sauraient être mises en cause mais doivent, au contraire, être aménagées, développées, et que les études preparatoires à l’élaboration d’une charte du travail doivent être entreprises d’urgence par les représentants qualifiés, des intérêts professionnels et régionaux, en dehors de toute spécialisation de classe ou d’appartenance politique.

7) que l’alliance contre nature dénommée « Rassemblement populaire » [c’est-à-dire le Front populaire], ayant fait ses preuves de nocivité, ne répond plus à la volonté de la Nation, et que le suffrage universel doit donc être appelé, dans le plus bref délai, à une nouvelle consultation.

Exhortant, au nom de la masse immense du P. S. F. le pays tout entier au calme, à la maîtrise de soi, à la vigilance patriotique et républicaine, le Groupe Parlementaire et le Bureau Politique ont décidé de suivre l’évolution des événements en liaison permanente avec le Comité Exécutif et le Président du Parti. »

C’était là exprimer une véritable orientation stratégique au capitalisme français. Le problème fut que la défaite française empêcha le capitalisme français de pouvoir suivre une ligne autonome de ce type, alors qu’en même temps elle donnait des ailes à l’extrême-droite traditionnelle profitant de la situation et considérant que le coup d’Etat avait été réalisé par un heureux coup du sort.

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Croix de Feu et P.S.F. «en face des partis marxistes»

La ligne du P.S.F. est orientée vers les masses, car il s’agit, ce que les autres organisations de l’extrême-droite n’avaient pas compris, de faire nombre, comme le dit l’article « Le nombre » :

« En face des partis marxistes, il n’y a qu’un parti de masse : le P.S.F. Cela n’est plus contesté par personne. Et pourtant, cette constatation a le droit d’irriter certains qui, pour marquer leur dépit, répètent que le nombre n’est rien.

Or, il en est du nombre comme de la force. C’est une chose odieuse et méprisable, si elle est au service du mal – mais combien précieuse lorsqu’un noble idéal peut s’appuyer sur elle.

Pour la plus simple des causes, celle du Peuple et de la Patrie, François de La Rocque a suscité une innombrable levée de dévouements. Qu’importent l’envie, la jalousie, la haine de tous ceux pour qui le succès est une remord. Nous sommes les plus forts… »

Ce processus de massification a toujours été accompagné politiquement. François de La Rocque avait par exemple formé un Comité permanent de vigilance et d’action des anciens combattants afin de s’opposer à toute capitulation diplomatique. Ce projet fut éphémère, mais annonçait la vision générale de François de La Rocque concernant les rapports internationaux.

500 membres de ce comité accueillirent de ce fait le Premier ministre Pierre Laval de retour des États-Unis, où il avait obtenu un délai d’une nouvelle année pour payer les dettes françaises. Et en 1931, 1500 membres attaquèrent la réunion du Congrès international du désarmement, présidé par Édouard Herriot, François de La Rocque parvenant même à prendre la parole par la force, alors que la Police faisait évacuer les ambassadeurs et les personnalités politiques venus de nombreux pays.

Car pour François de La Rocque, la question vitale, c’est le réarmement de l’Allemagne. Il se pose de plus en plus en grand dirigeant national et non plus simplement nationaliste, considérant qu’il y aura une crise et qu’inévitablement, la densité du P.S.F. le portera au pouvoir.

Pour François de La Rocque, la ligne doit être double : antimarxisme par principe, opposition à l’Allemagne par nécessité. Dans Le Petit Journal, un quotidien connu tombé entre les mains du P.S.F., François de La Rocque formule cela ainsi, le 15 juillet 1937 :

« Le danger allemand est, aujourd’hui, au premier plan visible. Le danger russe est surtout d’ordre moral. Mais l’un est complémentaire de l’autre : l’un et l’autre peuvent momentanément s’associer contre nous. »

La résolution finale du premier Congrès du P.S.F. témoigne tout à fait de cette dynamique :

« A l’issue du Congrès, au milieu d’une salle comble, après lecture de la déclaration du Parti et le discours du Colonel de François de La Rocque, M. Jean Tbarnégaray, Président du Groupe Parlementaire, a salué, au cours d’une magnifique et impressionnante improvisation, le Chef du Parti Social Français et fait approuver, dans un enthousiasme délirant, l’ordre du jour suivant :

Les 1500 délégués des 1500 délégués des Fédérations départementales et régionales de la métropole et des colonies, les membres du groupe parlementaire, du comité directeur et du comité exécutif du Parti Social Français, réunis en Congrès National, à Paris, les 18, 19 et 20 décembre, après avoir approuvé les rapports des différentes commissions et acclamé chaleureusement le discours de clôture du Président et la déclaration du Parti :

félicitent le Colonel de François de La Rocque du magnifique effort accompli en cinq mois,

déclarent exceptionnelle l’organisation rapide et puissante du Parti Social Français, dont le rayonnement sans cesse grandissant répond aux vœux d’une opinion ardente, éprise de légalité, d’ordre, de justice,

qualifient de scandaleuses et de déshonorantes les persécutions dont le Colonel de François de La Rocque est victime,

le suivent avec fierté dans sa défense du travail, de la famille, de la cité, des frontières, contre le marxisme sacrilège et dévastateur,

le désignent, en dépit campagnes de haine, comme l’apôtre rayonnant de la réconciliation française, comme le défenseur incontesté des trois couleurs pour lesquels il sacrifia, dédaigneux du danger, son repos et sa vie familiale,

jurent solennellement de le suivre dans la discipline et l’affection, de le défendre inébranlablement si l’on attentait à liberté comme à celle du Parti. »

Les Statuts du Parti Social Français donnent d’ailleurs les objectifs, tout à fait conformes au fascisme :

«Le Parti Social Français est une association régulièrement constituée, déclarée conformément à la loi de 1901.

Ses buts, son organisation, son action sont légaux. Ses statuts sont publics.

Buts. ARTICLE PREMIER.

– Le Parti Social Français est un parti autonome fondé sur les principes suivants : Réconciliation et collaboration fraternelle de tous les Français, quelle que soit la classe à laquelle provisoirement ils appartiennent, en vue d’assurer la grandeur et la prospérité de la patrie ;

prééminence reconnue dans la vie sociale et dans la vie politique, non à la fortune, mais à l’intelligence et au mérite ; reconstitution de la famille, cellule vitale de la nation ;

organisation des métiers et de la profession dans le cadre régional et national, d’après les principes coopérateurs, sous le contrôle de l’État et dans le but de garantir au travail sa rémunération équitable ; révision profonde et courageuse de toutes les administrations, dont le seul objet doit être de servir le pays ;

adaptation aux nécessités nouvelles d’un régime parlementaire mis à l’abri des corruptions, apte à discuter les intérêts généraux sur le plan technique, à ménager aux différentes catégories de travailleurs une représentation correspondant à leur utilité nationale ; réforme courageuse du régime capitaliste; élaboration d’une Charte du travail.

– Dénomination. le titre du parti est : Parti Social Français. Devise. La devise du parti est : « L’Ordre par la Famille et le Travail pour la Patrie »

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La stratégie «sociale» chez les Croix de Feu et le Parti Social Français

Pour rendre crédible la théorie de la profession organisée, François de La Rocque mit en place de vastes campagnes se voulant sociales, visant à contribuer à l’apolitisme d’orientation nationaliste, afin de produire une atmosphère rendant crédible sa proposition corporatiste. Il résumera sa stratégie ainsi, en juin 1936 dans une note aux chefs de sections :

« Qu’il s’agisse de l’ascension de nos idées vers le pouvoir, de la pénétration des milieux ouvriers et paysans ou, dans un champ d’action moins élevé, de la période électorale, cette action sociale est la condition sine qua non de nos succès. »

Le mouvement de François de La Rocque soutenait par exemple le vote des femmes – bien qu’à cela s’ajoute la revendication d’un vote « bonus » pour le chef de famille. Mais cela relevait d’un dispositif précis.

Une section féminine fut formée ainsi en mars 1934, obtenant environ 60 000 membres à son plus haut point, avant la Guerre ; elle était supervisée par Antoinette de Préval qui fut secrétaire de François de La Rocque et une figure de l’orientation « sociale » du mouvement.

800 femmes étaient tombées dans les combats durant la Guerre, 1500 étant médaillées et on en retrouve ainsi aux Croix de Feu. François de La Rocque fit l’éloge d’Isabelle Carlier, professeure au lycée à Moscou et infirmière durant la Guerre, qui lui avait envoyé une lettre où elle présentait Jeanne d’Arc, depuis son emprisonnement pour son opposition à la révolution russe, comme le modèle des valeurs françaises. Il fit même publier la lettre ; Le Flambeau mit également en couverture la photographie d’Octavie Delacour, qui pendant la première guerre mondiale avait permis de repérer des soldats allemands.

Lorsque les Croix de Feu devinrent le P.S.F., chaque section devait avoir sa section féminine, divisée en une Action Civique et une Action Sociale.

Dès 1937, l’organisation disposait déjà de 523 sections « sociales », avec 550 assistantes sociales et 1350 auxiliaires, fournissant une aide en termes d’infirmeries, d’aides sociales, visant explicitement la jeunesse populaire.

Antoinette de Préval fut au cœur de la formulation théorique et pratique de ce dispositif. Elle fut au centre de l’initiative des soupes populaires destinées à des milliers de personnes, de multiples colonies de vacances (cent durant l’été 1937), des projections familiales de films de guerre et des fêtes de Noël organisées par les Croix de Feu et le P.S.F. pour galvaniser la jeunesse des membres.

François de La Rocque, lors d’une visite en Normandie en 1935 dans un camp de vacances, expliqua à son jeune auditoire la chose suivante, donnant le ton idéologique et culturel :

« Toutes les classes sont représentées ici, elles n’en forment qu’une… Celle de la fraternité Croix de Feu…

Jeunes ou vieux, nous devons tous obéissance à notre « maman », la France, elle nous donne l’ordre impérieux de réunir la Famille Nationale dans les plis de sa robe tricolore. »

Le P.S.F. tenta fortement d’organiser la jeunesse, divisée en trois catégories : 7 à 12 ans, 13 à 16 ans, 16 à 21 ans, garçons et filles étant séparés. Le béret bleu était le signe de reconnaissance, à quoi s’ajouta une chemise bleue avec l’insigne de l’organisation.

A cela s’ajoute l’initiative de camps de vacances pour des enfants nécessiteux, avec comme objectif de connaître ensuite leurs parents, car comme elle l’affirme, à ses yeux :

« N’oubliez ceci : l’enfant est le seul chemin menant au Cœur de l’ouvrier français » 

Voici le style et l’impact de ce qu’elle préconise, dans un Discours aux militants masculins expliquant l’initiative « Travail et loisirs » cherchant à encadrer les jeunes d’origine populaire :

« Que sont devenus ces cadres depuis les mois de vacances ? Dès qu’ils ont un instant de liberté, ils viennent régulièrement dans nos Centres, ils y ont des amis, des communistes redevenus français, grâce à eux.

On ne parle pas politique, cela ne regarde pas les petits enfants, mais on change l’atmosphère, on crée un climat, on se réconcilie dans l’amitié et la gaîté, la pensée de La Rocque pénètre les âmes.

Je peux vous donner ma parole d’honneur que Trois commissariats des environs de Paris m’ont remercié officieusement de l‘installation de mes centres sociaux ; Il n’y a plus de coups de couteaux dans certaines zones où nous travaillons. »

À cela s’ajouta l’initiative de l’Association Médico-sociale Jeanne d’Arc, visant à utiliser la médecine pour capter une base populaire, ainsi que les Sociétés de préparation et d’éducation sportives, utilisant le sport. La jeunesse est utilisée pour la fête de la Saint-Jean au Parc des Princes en 1938, utilisant les flambeaux dans une démonstration sportive et « artistique ».

Des écoles de « rythmique » – l’apprentissage des sons par le mouvement – avaient quant à elles conquis 60 000 personnes. Une ouverture sociale fut faite également aux étudiants, avec un Centre Universitaire qui réussit à capter l’attention de 12 % environ des étudiants (soit environ 8000).

Il faut ici souligner l’importance de la mise en avant de Jean Mermoz, comme symbole du « progrès » au sens nationaliste, donnant au « social » une perspective de « dépassement ».

Pilote de la compagnie générale aéropostale et éminente figure du mouvement de François de La Rocque, Jean Mermoz décéda lors d’une traversée de l’Atlantique et devint un « mythe » de l’idéologie de l’aviation.

François de La Rocque fonda des aéro-clubs Mermoz, regroupant environ 2 000 aviateurs, tant civils que militaires et notamment d’Air France, revendiquant 4500 membres à ses cours techniques.

Voici comment François de La Rocque stylisait, par exemple, la figure de Jean Mermoz, lors d’un discours :

« Les premiers mots que je prononce doivent aller à l’Archange du P.S.F. Ils doivent marquer l’élan de nos coeurs vers Mermoz, mon ami fraternel, notre frère à tous, le Guynemer de la paix, celui qui a ajouté à la France une gloire aussi pure, aussi belle, aussi haute, aussi complète que la plus pure, la plus belle, la plus complète des gloires acquises dans notre pays.

Mermoz est vraiment la représentation même de tout ce que nous souhaitons, de tout ce que nous aimons (…). Mermoz, c’est une bénédiction. Le passage à la tête d’un mouvement de rénovation nationale d’un homme comme Mermoz, c’est un signe de victoire.

Sachez et croyez avec moi que Mermoz est la plus belle étoile, l’étoile qui nous conduit vers le salut de la France, l’étoile qui, à elle seule, illumine tous nos efforts, l’étoile de pureté derrière laquelle nous marchons que bientôt la France redevienne la France. »

Le Flambeau présentait également la chose ainsi :

« Mermoz voulait une France grande et digne, balayée de ses politiciens corrompus, de ses affairistes égoïstes.

Mermoz voulait un gouvernement fiançais travaillant pour les Français.

Mermoz voulait une aviation puissante et propre, sans arrivistes et sans parvenus. »

La réconciliation nationale passait par le social, mais sa perspective était celle d’un « nettoyage » de la situation. Aux aides sociales s’ajoutait la formation d’un idéal nationaliste. Cette dynamique apolitique permettait d’affirmer la mise en place d’un nouvel État, s’appuyant sur des chefs « honnêtes » et « patriotes », ce que François de La Rocque formulait ainsi :

« Les faux dieux du capitalisme de gouvernement, de l’affairisme de couloir, du socialisme international seront anéantis. Le rêve vigoureux de l’honnêteté française commencera, au service du peuple. Le peuple aura des chefs dignes de lui. »

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L’idée de «réconciliation» chez les Croix de Feu et le Parti Social Français

Les Croix de Feu étaient nés comme structure d’anciens combattants, mais le glissement vers une ligne ouverte à tous avait donc été impulsée par François de La Rocque. En 1935, on lit d’ailleurs dans le Programme du Mouvement Social Français des Croix-de-Feu que :

« Nous ne pratiquerons jamais la religion de l’État, mais nous voulons un État tuteur, un État qui serve, contrôle, sanctionne.

Le Mouvement Croix-de-Feu est aussi loin de la conception totalitaire, à la mode italienne, allemande, où l’enfant dès sa naissance est voué à l’État, que de la conception marxiste où l’individu devient un numéro anonyme, écrasé sous la tyrannie collective d’une poignée de dictateurs. L’épithète fasciste convient à d’autres. Pas à nous.

Nous ne travaillons ni pour des partis, ni pour un parti, ni pour des hommes, ni pour un homme, mais pour le peuple de France.

Le Mouvement Croix-de-Feu ne met pas en cause le régime républicain. »

Avec le P.S.F., cela devient officiel en tant que tel :

« La mystique Croix de Feu est née de 1914 à 1918, aux premières lignes. La guerre a réalisé, dans une France de plus en plus divisée socialement, intellectuellement, spirituellement, un véritable « brassage » des classes, des conditions et des opinions.

La profonde unité de notre peuple est ainsi apparue une fois de plus. Elle s’est manifestée par le sentiment d’une fraternité retrouvée. La France s’est découverte elle-même et ses enfants se sont reconnus entre eux.

Les vainqueurs ont voulu préserver, transmettre et perpétuer dans le pays cette révélation. Ils ont commencé par en apporter le bénéfice éblouissant aux hommes des générations d’après-guerre : ce fut la levée massive des Volontaires Nationaux.

Et maintenant, la création, le succès du Parti Social Français, ouvert à tous les Français et Françaises, prouve que le serment de vie a été tenu. L’esprit du feu est assuré de ne pas mourir. »

Le P.S.F. n’est donc pas un parti qui prétend représenter une tradition nationaliste, de type royaliste et catholique, mais qui entend rassembler sur une base modernisatrice, au-delà des classes sociales et des religions.

Le P.S.F. est un parti nationaliste républicain, entend unifier et non pas revenir à une unité organique ayant prétendument existé dans le passé, comme dans le romantisme royaliste. Le positionnement est ouvertement laïc et chez les Croix de Feu, des célébrations pour les anciens combattants étaient faites indifféremment dans des églises, des synagogues, des temples protestants. Voici ce qu’on lit, par exemple, dans l’article Pourquoi j’adhère au Regroupement National du Croix de Feu publié en novembre 1935 dans le Flambeau :

« Les Croix de Feu ne sont enfermées dans aucun compartiment. Libre-penseurs, israélites, catholiques, protestants, ils se tiennent par les sommets de toutes les nobles convictions, qu’ils viennent de gauche ou de droite, ils ont un but commun qui est l’intérêt de la France. »

Lors d’une interview de décembre 1934 au journal dominicain Sept, François de La Rocque formula ainsi son approche laïque-catholique :

« Je suis heureux de savoir que, dans mon action publique, laquelle est extérieure au plan religieux, je n’ai fait rien qui soit contraire à orthodoxie de ma religion personnelle. »

Le P.S.F. conserve cette perspective :

« Il faut, dans le respect de toutes les croyances et incroyances, protéger le culte de toutes les forces spirituelles.

Il faut, dans la liberté de toutes les confessions, comprendre que la civilisation occidentale, la nôtre, est une civilisation chrétienne (…). Le P.S.F. n’est pas un parti confessionnel. Il respecte toutes les convictions religieuses. Mais le principe de son activité est la civilisation chrétienne. »

François de La Rocque a dans ce cadre toujours réfuté l’antisémitisme, bien que bien entendu sa défense des personnes juives s’appuyait uniquement sur le nationalisme français. Voici à ce sujet un extrait du Congrès de Strasbourg du P.S.F., le 13 décembre 1936 :

« Nous sommes et nous resterons des hommes de la réconciliation,

mais aussi nous sommes des hommes qui lorsque le pays est en danger, lorsque le pays est menacé, ne reculent devant aucun devoir.

Devant le péril qui menace, il n’a pas existé de meilleure défensive que l’offensive.

Mes chers amis, le gouvernement de M. Léon Blum a décidé… (Cris : « A bas les Juifs »…). Je ne veux pas entendre de « A bas ». J’ai à dire ce que j’ai à dire, et ceux qui n’approuvent pas la pensée chrétienne qui anime le P. S. F., n’ont qu’à foutre le camp !

Le gouvernement de M. Léon Blum a décidé que ce Congrès, avec l’ordonnance magnifique qu’on lui avait préparé, n’aurait pas lieu.

M. Blum, un jour, à la Chambre, se tournant vers ses adversaires, leur a dit : « Je vous hais. » Eh bien ! moi qui ne prononce jamais ce mot-là, j’ai à lui dire quelque chose d’infiniment plus grave :

«M. Blum, je vous méprise!»

Quelqu’un a crié tout à l’heure « A bas les Juifs ! » Non. Malgré M. Blum, je salue les Juifs — il y en a qui ont été de vrais combattants. J’en appelle aux Juifs patriotes qui sont dans le Parti Social Français, j’en appelle à tous les Israëlites, qui acceptent notre civilisation chrétienne, et je leur dis : « Cet homme qui est votre coreligionnaire a trahi, il vous a trahis, il est cause que l’on vous confond parfois avec d’autres

qui sont venus de l’autre côté de notre frontière,

avec cette racaille qui vient de partout, avec les parasites de toutes les civilisations. Vous n’en êtes pas. Alors, retournez-vous contre M. Blum qui, faisant tant de mal à son pays, vous fait aussi tant de tort à vous mêmes, retournez-vous contre la séquelle, et mettez-les en accusation non seulement pour avoir trahi la France, mais aussi pour vous-avoir trahis vous-mêmes.

le danger extérieur

Mon ami Ybarnegaray vous définissait tout à l’heure, comme toujours en parfaite communion de pensée avec moi, qui menace notre pays, là, tout près : Moscou faisant le jeu de Berlin. L’histoire prouve que, si leurs vues sont divergentes et contradictoires, leurs efforts convergent souvent.

En laissant se développer le désordre à l’intérieur de notre pays, M. Blum nous conduit à la révolution et à la guerre, l’une préparant l’autre, l’autre entraînant l’une. De toutes façons, ce serait la mort pour un pays dont M. Blum ne sait même pas ce qu’il est… M. Blum, vous avez prétendu aujourd’hui, refoulé que vous êtes sans doute vous-même, vous avez prétendu aujourd’hui refouler la grande vague de salut public qui, en ce moment, déferle à travers toute la France.

M. Blum a voulu vous refouler. Élargissez votre front de défense. Plus que jamais, qu’à chaque foyer un homme veille et, comme lorsque nous étions en première ligne, et que nous grimpions à l’attaque, que le voisin de droite ou de gauche s’apprête à voler au secours de celui qui sera menacé. Et ainsi grâce à vous, grâce à nous, grâce au P. S. F., l’Alsace restant alsacienne, la France restera française. »

François de La Rocque entretenait, dans ce cadre, de bons rapports avec le rabbin Jacob Kaplan, mais l’antisémitisme présent chez des Croix de Feu en Algérie amena des tensions, culminant des échauffourées lors d’un service dans une synagogue parisienne entre les partisans de François de La Rocque et les membres de la Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme, en juin 1936. A partir de ce moment, les rapports officiels entre la communauté juive organisée et les Croix de Feu se terminèrent.

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La mystique des Croix de Feu et du Parti Social Français

Il faut bien être conscient que si le principe de « profession organisée » est une aberration technocratique, un corporatisme relevant du fascisme, ce principe sert avant tout une mystique que François de La Rocque a réussi à développer puissamment en profitant du fait que les ligues ont dû cesser d’exister. Le processus a été accompagné d’une de maître, avec une grande finesse politique.

Depuis 1935, les Croix de Feu s’appuient sur un Mouvement Social Français des Croix-de-Feu, avec une base idéologique ayant largement quitté l’approche unilatérale du nationalisme du type « anciens combattants ». Le 22 juin 1936, François de La Rocque faisait passer une circulaire indiquant aux adhérents qu’ils doivent rester en contact avec leur chef de « dizaine », expliquant le 24 juin dans une communication interne :

« Le gouvernement… a prononcé dans l’arbitraire un nouveau décret de dissolution des Croix de Feu et des Volontaires Nationaux. Nous nous y attendions… Nous créons le « Parti Social Français ». »

Voici comment il réagit officiellement à la dissolution par le Front Populaire, tout en mettant en avant la fondation directe d’une nouvelle organisation, le Parti Social Français :

« Le mouvement Croix de Feu est dissous. Une loi imbécile votée, comme de bien entendu, sous un gouvernement modéré, a donné à un gouvernement de sectarisme et de haine des armes empoisonnées contre les serviteurs de la patrie.

Ces armes, on les utilise à l’heure même où l’émeute gronde aux lisières de la capitale (…).

Si le gouvernement s’oppose au libre essor de pareilles bonnes volontés, alors il devra la dictature du socialisme et du communisme.

Alors le chef de l’État devra reconnaître l’abrogation solennelle du droit pour les citoyens de penser et de se réunir : il prendra ses responsabilités.

Nous saurons aussi dégager les nôtres et envisager sans faiblir toutes les conséquences. »

Ce qui signifie qu’en clair l’organisation de François de La Rocque a une telle surface, une telle masse critique, que l’interdiction ne peut la démanteler sans aller jusqu’à une répression sévère, passant inévitablement par la guerre civile. L’interdiction n’était d’ailleurs pas totale : le ministre de l’Intérieur socialiste, Roger Salengro, avait exclu de la répression les œuvres sociales.

En pratique, les responsables du P.S.F. passèrent donc en procès devant la 14e chambre correctionnelle, le 13 décembre 1937, pour « reconstitution illégale de ligue dissoute », mais cela traîna en longueur. Cela aboutit, le 22 décembre, à une condamnation de François de La Rocque à 3000 francs d’amende, et 1000 francs d’amende pour Jean Ybarnégaray (futur membre du gouvernement de Vichy), Georges Riché, Charles Vallin, Noël Ottavi et Philippe Verdier. Le PSF fit appel et le 7 juin 1938, la Cour d’appel de Paris réduisit les amendes.

Et finalement le 7 juin 1939, le tribunal civil de la Seine, sur requête du procureur de la République, nommait un administrateur pour la liquidation des biens du P.S.F., qui de toutes manières avait déjà généré une « association des volontaires de la défense passive », dont le siège était dans le même immeuble sur le secrétaire particulier de François de La Rocque, disposant d’un accès depuis une rue parallèle… et servant de base juridique pour contourner une nouvelle interdiction.

François de La Rocque avait parfaitement joué, avec un grand talent politique. Il voulait le dépassement des Croix de Feu, il a profité du tournant de 1936. Tout le discours de rupture organisationnelle avec le passé lui permettait de proposer un nouveau cadre politique neuf et plus accueillant. Cela rendait le tout bien plus dangereux.

Tactiquement et politiquement, il y avait tout à gagner à se prétendre neuf politiquement, tout en se réclamant de manière « spirituelle » des Croix de Feu. Tout un discours en ce sens fut produit par le P.S.F. ; Jean Ybarnégaray déclarai ainsit au parlement, le 23 mars 1937 :

« Je déclare que l’organisation du Parti Social Français n’a absolument rien de commun avec celle des Croix de Feu. Je déclare que le Parti Social Français a été régulièrement constitué avec l’autorisation, l’agrément du ministre de l’Intérieur, avec votre autorisation, votre agrément monsieur le Président du Conseil. »

Naturellement, c’était de la poudre aux yeux, de manière souvent très bien organisée pour masquer la continuité sur le plan de l’organisation, parfois même pas : Varin, commissaire général des « dispos » formant les activistes, devint simplement responsable des « Équipes Volantes de Propagande ».

Dans le document du P.S.F., Une mystique, un programme, on a la base idéologique de cette organisation qui est formulée et le P.S.F. continue de se vouloir un mouvement et non un « parti ». C’est une constante fasciste : le parti est un « anti-parti », d’ailleurs sa mission, une fois le pouvoir pris, est de fusionner avec les institutions. Ce fut le cas en Italie, comme en Allemagne. Et ce « parti anti-parti » qu’est le P.S.F.… se veut la réalisation concrète des « Croix-de-Feu », son aboutissement :

« Encore un parti ? Non. La liste est déjà trop longue de ces partis qui contribuent à l’émiettement de l’opinion française, entretiennent la division des citoyens et s’opposent à l’union de toutes les bonnes volontés éparses.

Le Parti Social Français n’est pas un parti nouveau. Il ne vient pas, après tant d’autres, revendique une place éphémère sur l’échiquier de la politique française.

Trop souvent, la création d’un parti n’a correspondu à d’autre besoin que de permettre à certaines ambitions de jouer leur chance dans le Sweepstake de la course aux portefeuilles ; on constitue un état-major, on rédige un programme et on sollicite les électeurs, mais ce sont surtout les « places » que l’on cherche.

Le Parti Social Français est né dans des conditions exactement contraires. Il existait pour ainsi dire en puissance, avant d’être officiellement constitué : dès sa création, les adhérents s’y inscrivaient par centaines de mille.

Quelle commune mesure y a-t-il entre ce vaste rassemblement et les cadres squelettiques des vieux partis chevronnés ?

Qu’on ne parle donc pas d’une force nouvelle, mais bien plutôt d’une force ressuscitée, exaltée. C’est le grand courant spirituel issu de la guerre qui continue de passer : aucun obstacle ne l’arrêtera.

On peut dissoudre un organisation, on ne peut rien contre les âmes. La persécution agit sur elles comme le vent sur la flamme : elle la rend plus ardente et plus rayonnante encore.

La mystique Croix de Feu éclaire, dirige, anime l’action du Parti Social Français. »

On remarque, bien sûr, la nature religieuse du vocabulaire (ressuscitée, âme, ardente, etc.). C’est que le P.S.F. se place ouvertement dans une logique catholique. L’Action française avait tenté de s’approprier l’idéologie catholique pour son projet monarchiste, ce qui amena une rupture brutale entre les deux.

Le P.S.F. s’interdisait quant à lui de vendre son journal à la sortie des églises, prônant une sorte de laïcité qui, en réalité, accordait toute son autonomie à l’Église catholique, tout en poursuivant lui-même un style mystique, ouvertement assumé. On lit par conséquent :

« Sans la mystique animatrice, un programme se dessèche et reste stérile comme une plante privée d’air.

Qu’est-ce qu’une mystique ?

C’est une foi. Elle est issue du cœur autant que de la raison, elle commande l’action.

La mystique ne peut être mieux comparée qu’au courant électrique ; elle échappe à toute définition matérielle, mais constate qu’elle illumine et réchauffe.

La doctrine et les théories sont inertes, comme des conducteurs sans courant, si une mystique ne les vivifie point. »

L’allusion à l’électricité a ceci de cocasse que François de La Rocque a été membre du comité directeur de l’Union d’électricité…

Dont le directeur était Ernest Mercier, figure capitaliste de l’électricité et du pétrole, administrateur alors de 19 entreprises et qui avait nommé Jean Goy pour fonder un mouvement d’anciens combattants qui donnera par la suite justement les Croix de Feu.

François de La Rocque pouvait d’ailleurs employer une partie de son temps de travail pour les Croix de Feu, avant que, devenu médiatique, il cessa de travailler pour s’y consacrer à plein temps.

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Croix de Feu et P.S.F. : la «profession organisée»

Dans son ouvrage publié en 1934, Service public, François de La Rocque formulait sa théorie corporatiste sous le nom de « profession organisée ». Cela donnait la définition suivante, tout à fait contradictoire par ailleurs :

« Organiser la profession, explique-t-il ailleurs, c’est, dans le plan local, régional, national, réunir entre elles les différentes catégories de travailleurs, depuis l’ouvrier manuel jusqu’au patron, pour une même branche de production.

C’est associer entre elles les catégories de productions similaires et complémentaires. C’est juxtaposer, combiner sur l’initiative concertée des intéressés eux-mêmes, les différents éléments humains, techniques, industriels de cette production.

C’est provoquer, protéger leur rencontre suivant des modalités une fois établies.

Et, au sommet, c’est doter le pays, l’État, leurs gouvernements d’un organe de conseil économique dont les avis seront à la fois obligatoires et librement émis. »

Que signifie « obligatoire et librement émis », comme il est dit dans la dernière phrase? C’est que le style de François de La Rocque, outre qu’il s’appuie sur la démagogie du catholicisme social, est à la fois efficace au sens où il formule un fascisme à la française, mais également souvent totalement cryptique.

François de La Rocque tente, en fait, de ne pas s’assimiler au fascisme, alors qu’il sait pertinemment que c’est son but. Voici comment il tente de se dédouaner, avec lyrisme :

« L’hérédité raisonnable des Latins, la prudence innée des Gaulois immunisent la grande majorité française contre ce virus éclos sous les brumes de Germanie, cultivé dans les steppes asiatiques. »

« Le fascisme pourrait difficilement exercer sur l’esprit du Français ses puissances de vertige. »

« Quant au corporatisme, nous ne le concevons pas comme la corporation d’autrefois, ni comme celui de M. Mussolini. Nous avons adopté le terme de “profession organisée” auquel nous ajoutons le sens et de la corporation et du régionalisme et de la coopération. »

Cette dernière citation révèle tout : ce que veut François de La Rocque, c’est un corporatisme adapté à la France, et non pas une copie de la version italienne, ce qui serait à la fois non faisable et non souhaitable car aidant le nationalisme italien et non la France.

Voici la perspective national-républicaine de François de La Rocque, tout à fait bien résumée par lui en quatre phrases : 

« Les caractéristiques majeures du génie français sont l’intelligence et la bonne foi. »

« Le tempérament français est un tempérament de cadres et non de masses. »

« Nous formons une collectivité-cadre. »

« Voyez net. Pensez simple. Soyez des réalisateurs, non des rhéteurs. »

C’est cette approche technique qu’il entend lorsqu’il dit de lui que :

« Je me suis obstiné à ouvrir une seule porte, celle de la mystique française. »

Voici ce que cela donne concrètement, en langage de François de La Rocque :

« Les institutions sont choisies d’après un certain nombre de principes généraux. Elles sont assignées au peuple comme règle et comme sauvegarde. Simultanément, elles lui sont ajustées. Le tissu est choisi d’après une série de règles morales. Le modelé est flexible, seyant, façonné, consistant, à la mesure du corps social qu’il doit revêtir. »

« L’automatisme de nos gestes a pour explication l’homogénéité de notre ensemble groupant des citoyens de toute appartenance, associant leurs apports complémentaires en une mystique indivise, spontanée. »

Voici un exemple de ce langage nationaliste mystique pétri de logique technocratique. En janvier 1938, François de La Rocque donne son avis sur la « Crise sociale », dans Le Petit Journal, le quotidien devenu une composante du P.S.F. (avec comme sous-titre « Travail, Famille, Patrie ») : on y retrouve la formulation du corporatisme qui est souhaité et qui a ici le nom de « profession organisée ».

« L’arbitrage apporté par M. Chautemps dans l’affaire des établissements Goodrich n’a pas suffi. La crise continue. Mais elle dépasse de beaucoup le cadre de ces usines.

Le président du Conseil l’a compris.Il appelle à l’hôtel Matignon les représentants des différentes catégories du travail afin de rechercher, dans un échange courtois et objectif, les éléments d’un apaisement général.

Partisans da la coopération, nous ne pouvons qu’adhérer au principe. Mais pour la mise en oeuvre, des conditions préalables s’imposent ; hélas ! elles sont loin d’être réunies.

Tout d’abord, la « Confédération générale du Patronat », la C.G.T., la « Confédération des Classes moyennes », les syndicats chrétiens semblent seuls invités.

En ce qui concerne la C. G. T., nos ré-serves sont connues si un grand nombre de ses membres, do ses dirigeants peuvent être considérés comme des syndicalistes sincères, l’infiltration par les communistes y est devenue telle que l’influence prédominante appartient à Moscou. Son intervention, dans l’état présent des choses, sera, finalement, révolutionnaire.

La « Confédération générale du Patronat » nous est assez peu connue ; ses dirigeants ne paraissent pas intéressés par le P.S.F. ; il ne nous est jamais revenu que, dans ses conseils, elle ait manifesté le souci d’appuyer, sous quelque forme que ce soit, l’action sociale, réconciliatrice de notre Mouvement.

J’écris cela très objectivement ; je me borne à constater sans malveillance. Mais la Confédération générale du Patronat recommencera-t-elle l’erreur commise sous le gouvernement Blum ?

Au cas où ses représentants appartiendraient exclusivement, comme en 1936, aux plus puissantes firmes, ces nouvelles conférences Matignon seraient frappées de stérilité. La grande industrie, compétente pour défendre légitimement ses propres intérêts, ne peut valablement engager la petite industrie dont les conditions d’existence sont si particulières.

Quant aux classes moyennes, je leur souhaite d’être valablement, impartialement défendues par le Confédération du même nom, dont, à franchement parler, j’ignore le rayonnement pratique à travers le pays.

Au bref, je crains que la réunion des personnages mandatés par ces trois organismes privés n’apporte pas à la discussion l’ampleur, l’autorité, la sagesse qu’elle devrait revêtir. La protestation des Syndicats professionnels français, évincés malgré leurs centaines de milliers d’adhérents, malgré le différence considérable entre le nombre de leurs inscrits, de leurs délégués élus et ceux des syndicats chrétiens s’explique donc pleinement.

Tant que chaque facteur de la vie nationale ne sera pas remisa sa place politique, économique, sociale, tant que les données régionales ne seront pas introduites dans le débat, celui-ci limitera ses oracles à des communiqués alternés de bataille et de parlote.

Le véritable remède est la profession organisée. Elle sera l’aboutissement d’une besogne, d’expériences patiemment échelonnées : j’ai pris soin d’y insister lors de noire Congrès de Lyon.

C’est eu sein des Chambres de commerce, d’agriculture, des syndicats locaux que, à l’abri do toute intrusion politiquez on pourrait trouve, dès aujourd’hui, les premiers artisans d’une construction utile.

La juxtaposition de ces derniers par catégories de la production formera, seule, une base raisonnable et solide.

Enfin, et là est le point crucial, rien ne sera obtenu si le Gouvernement n’a pas l’énergie d’appliquer la loi, si l’état d’esprit des ouvriers, des patrons, ne finit point par évoluer.

Les occupations d’usines, les attentats à la liberté ne sauraient demeurer impunis ; mieux vaudrait le mutisme des autorités officielles plutôt que leurs menaces non suivies d’effet. Les travailleurs manuels marquent une lassitude croissante à l’égard de la dictature dont ils sont l’objet de la part dos extrémistes; tant que cette lassitude ne les aura pas décidés à secouer le joug des « fonctionnaires de leur mécontentement », aucun accord, aucun engagement ne sauraient valoir.

Quant aux patrons, il en est trop encore pour qui toute trêve est ure occasion de revenir à l’antique sommeil ; il on est trop encore aux yeux de qui l’ouvrier patriote est, par essence, un agent, sinon un indicateur de la direction ; il en est trop encore pour qui le personnel non révolutionnaire peut s’accommoder de traitements de ménagements inférieurs à ceux dont on use, par prudence, vis-à-vis des « rouges ».

Ce grave avertissement devait être donné. S’il n’en est pas tenu compte, ou la subversion triomphera et les mauvais riches seront balayés avec les autres, ou le P.S.F. triomphera et sanctionnera lui-même leurs fautes impardonnables.

Va pour les nouvelles conférences Matignon. Mais que chacun, gouvernement, travailleur, patron, retrouve, d’abord, le sentiment de sa responsabilité, de sa fonction, de son devoir national et humain. »

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Croix de Feu et P.S.F. : le corporatisme contre le communisme

Quelle est la différence entre les Croix de Feu et le Parti Social Français? Elle est très simple à comprendre.

Les Croix de Feu étaient une structure anti-marxiste : le P.S.F. se voulait la structure anti-marxiste par excellence. Toute sa forme tendait à ce but.

En janvier 1938, il devint une « union interfédérale », avec chaque fédération existant de manière officiellement autonome. Le comité exécutif, de son côté, se centralisait davantage, se réunissant quatre fois par ans seulement, alors qu’une commission administrative permanente s’occupait des activités au jour le jour.

Celle-ci était composée de François de La Rocque, des vice-présidents Jean Ybarnégaray, Noël Ottavi et, à partir de décembre 1938, Charles Vallin, ainsi que d’un secrétaire général et de cinq commissaires choisis dans le comité exécutif. Un groupe restreint de ce groupe, sorte de bureau politique, s’occupait de la transmission aux fédérations des tâches financières et administratives.

C’était un simple décalque de la structure de la SFIO et une manière se de parer de toute accusation d’organisation hiérarchisée et paramilitaire. Ce n’était évidemment qu’une façade.

Dans les faits, le P.S.F. devait fonctionner de manière très efficace, telle une grande entreprise : François de La Rocque avait demandé de l’aide à Robert Désobliaux, petit-fils de Henri Fayol qui fut ingénieur civil des mines et théoricien du « management », auteur de L’administration industrielle et générale publié en 1916.

Le but était d’engloutir la société, suivant le modèle fasciste italien repris par les franquistes. C’était là le but de François de La Rocque.

En pratique, il y avait un peu plus de 2 millions de personnes citées par l’Armée, le nombre de décorés étant d’environ 1,2 million. Les possibilités des Croix de Feu étaient restreintes, ne pouvant former qu’une fraction nationaliste des anciens combattants décorés.

Le P.S.F. avait une possibilité de croissance bien plus étendue et de fait, en 1937, le P.S.F. revendique 2,5 millions de personnes. Il s’agissait de happer toujours plus de structures, afin de composer une base organique qui formerait le noyau du nouvel Etat.

Cela ne veut nullement dire que la dimension militaire avait disparu : une organisation parallèle existait bien entendu. Contrairement au P.S.F. qui était une formation de masse dont les statuts et la forme étaient empruntés à la SFIO ainsi qu’au Parti radical, existait également une organisation interne dépendant directement du Comité directeur et consistant en les Groupes mobiles de propagande, qui prirent par la suite le nom d’Équipes volantes de propagande.

Toutefois, cette structure militaire devait épauler l’orientation « sociale » du P.S.F., permettre son succès.

Non seulement en son sein le P.S.F. faisait en sorte de pratiquer un clientélisme massif, notamment vis-à-vis des ouvriers et employés isolés ou non organisés, surtout dans les petites entreprises donc, devant se soumettre au parti pour trouver un emploi lorsque leur patron en était membre, mais il fut mis en place des Syndicats Professionnels Français, organisés en « confédération ».

Ces « syndicats » œuvraient à la « réconciliation nationale » prônée par le P.S.F. : il s’agissait non pas de réclamer de manière unilatérale l’écrasement de la gauche, mais en quelque sorte son dépassement, sa liquidation dans le système de la « profession organisée ».

Dans le Cahier du militant de ces « syndicats », on lit en 1939 :

« Le libéralisme a compromis la dignité du travailleur, rétribué ses services sous l’emprise de la loi de l’offre et de la demande, n’a tenu que peu compte de sa valeur professionnelle et aucunement de ses charges de famille (…). Le libéralisme mène à la lutte des classes. »

La ligne de François de La Rocque était qu’il ne fallait pas nier la lutte des classes, mais la dépasser. Aristocrate catholique et donc considérant inévitablement le communisme comme absurde, François de La Rocque pense de manière « sincère » que les rapports employeurs-employés peuvent être pacifiés, à condition de valoriser les employés individuels de valeurs, d’organiser un système de participation économique à l’entreprise des employés, de se préoccuper de la vie quotidienne de ceux-ci.

Ce dernier point profite de la critique idéaliste de la société, très puissante dans les années 1930 en France. On sait à quel point le fascisme a fait toute une critique de la technique, de la machine, au nom d’un être humain devant être en quelque sorte « sauvage ». C’est Pierre Drieu La Rochelle et Jacques Doriot qui, en France, ont largement diffusé cette conception. On la retrouve cependant aussi au P.S.F., comme ici :

« Le développement sans frein du machinisme engendre un odieux servage, un écrasement barbare de la personnalité. Discipliné, orienté, le machinisme peut conduire à la limitation, à l’adoucissement de la besogne humaine. »

Toutes ces préoccupations du « haut » pour le « bas », c’est là ni plus ni moins que les principes du catholicisme social, qui ont comme objectif la neutralisation idéologique, culturelle et organisationnelle de la lutte des classes.

Au niveau de l’emploi, le P.S.F. propose donc non seulement des congés payés, mais également, « l’association, pour l’ouvrier fidèle, à la vie de son entreprise », ainsi que « la mise en application, pour les ouvriers fidèles, d’un système équitable de participation aux bénéfices de l’exploitation ».

On lisait déjà dans le Flambeau, en octobre 1932 :

« Le concours du travailleur, dès qu’il cesse d’être occasionnel, est assimilable à celui des actionnaires. »

C’est là une logique corporatiste, qui va jusqu’au bout de sa logique, puisque est exigé également un « droit au travail ». Car, s’il n’y a pas de « travail pour tout le monde », cela est dû à « l’imprévoyance des hommes ». On retrouve là une dimension qui n’est réellement « planiste », comme chez les néo-socialistes de Marcel Déat, mais catholique sociale.

L’économie serait… ce qu’elle est et son équilibre naturel, à condition non pas que tout le monde s’en mêle, mais justement personne. Le P.S.F. ne veut pas d’intervention du syndicat ouvrier ni du syndicat patronal, ni même de l’État, seulement de la « Profession organisée ».

C’est l’absence de cela – donc, du corporatisme – qui aurait amené le mouvement du Front populaire a réussir à s’implanter et à triompher : le P.S.F. se veut une réponse en quelque sorte moderne, non rétrograde, au service de la bourgeoisie.

Le résultat est clairement un succès : en 1938, l’élection des délégués d’entreprises place ces « syndicats » à 41 %, face à la CGT qui est 51 %. Il n’y a en fait pratiquement pas d’ouvriers au P.S.F., mais sa démarche de socialisation « par en haut » était efficace pour attirer le patronat et l’Église, tout à fait heureuse de cette démarche de pacification œuvrant comme marche à travers les institutions.

Même si les « syndicats » revendiquèrent rapidement 1,7 million de personne, les succès étaient très inégaux. Les succès étaient surtout réels en région parisienne, où les réunions étaient six fois plus nombreuses que dans le reste du pays. Une forte activité existait dans le Nord et en Algérie, ainsi qu’à Blois, Clermont-Ferrand, Chateauroux, Dijon, Lyon.

Il est frappant qu’à Paris, le magasin La Samaritaine en devienne le bastion, à Alger les dockers musulmans, à Tourcoing le secteur de l’hôtellerie, du commerce et des banques, à Lyon les banques, les petites entreprises métallurgiques, les travaux publics.

Le clientélisme et le népotisme, le patriarcat patronal, la « familiarité » catholique, tout cela jouait en faveur du P.S.F., qui se permit même de former un Centres d’Information et de Propagande P.S.F. dans les milieux patronaux, intellectuels et bourgeois, avant de renforcer cette tendance « sociale » dans la bourgeoisie.

Il est significatif sur ce plan qu’en ce qui concerne la classe ouvrière, François de La Rocque a pu dire que :

« L’ouvrier français aime à cultiver son jardin ; c’est, de tradition, le délassement le plus conforme à ses goûts. »

L’objectif était de détruire tout le terreau idéologique, culturel, organisationnel de la classe ouvrière, la base même du communisme.

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Croix de Feu et P.S.F. : la transformation comme prolongement

Historiquement, le Front populaire a procédé à la dissolution des ligues. Les Croix de Feu devinrent le Parti Social Français, les autres ligues tentant de former des partis, sans grand succès, et en tout cas sans aucun rapport avec l’expansion numérique gigantesque du Parti Social Français.

Les historiens bourgeois se fondent dessus pour nier l’existence d’un fascisme français, en disant que le Parti Social Français – historiquement le parti qui en France a eu le plus d’adhérents – était un parti de droite dure, ayant même été finalement un obstacle à l’extrême-droite. François de La Rocque aurait fait basculer la ligue des Croix de Feu vers les institutions. En faisant cela, il aurait empêché le fascisme d’avoir une base populaire.

C’est là accepter la thèse de l’extrême-droite putschiste, qui n’a eu de cesse, comme on l’a vu, de dénoncer François de La Rocque. Et de ce fait, c’est totalement erroné.

La thèse correcte du point de vue du matérialisme dialectique est que l’extrême-droite des Ligues ne consistait qu’en des groupements liés au royalisme et favorables au putsch, incapables de comprendre la dimension essentielle au fascisme : le principe de la mobilisation de masses.

François de La Rocque a été le théoricien de cet aspect nouveau et pour cette raison, lorsqu’on parle de cette organisation, il faudrait employer aujourd’hui, même si elle est lourde, l’expression « Parti Social Français (PSF) issu des Croix de Feu ». Deux raisons sont ici essentielles : la première est que ce PSF est moins connu que les Croix de Feu, alors que sur le plan de l’importance historique, le PSF a été un parti de masse bien plus important que les Croix de Feu, proposant un modèle historique.

Ensuite, les historiens bourgeois ont tenté de gommer la continuité des deux mouvements ; le PSF est présenté comme une sorte de parti de droite dure, abandonnant à leur sort les cadres historiques des « Croix de Feu » et quittant tout lien, même indirect, avec l’anti-parlementarisme d’extrême-droite. Ils nient le fait que le PSF formule la conception d’un fascisme français, et non plus d’une simple ligne pro-coup d’État catholique et militaire.

Il suffit pourtant de voir ce que dit et fait le PSF pour s’apercevoir que la continuité est non seulement réelle, mais qui plus est ouvertement assumée. Le PSF est le prolongement naturel des Croix de Feu, son aboutissement réel. En comparaison avec ce mouvement fasciste authentique, l’Action française, les Jeunesses Patriotes, etc. ne sont que des nationalistes pro-coup d’État.

Le 12 juillet 1936, lors de la « réunion inaugurale » dans les salles Wagram à Paris, le lieutenant-colonel de François de La Rocque exprime de manière directe la continuité entre les Croix de Feu et le PSF :

« Après avoir accompli l’acte réparateur par lequel les anciens combattants du feu ont été rétablis à leur place, la première.

Après avoir accompli, par ce reclassement des valeurs, par la transmission des consignes de vie, venues des grands morts, le miracle de l’union des générations de la guerre avec les générations suivantes.

Après avoir attiré autour d’elles l’élite française.

Après avoir, par une œuvre sociale à base de justice et de réparation, et non d’aumône, démontré la possibilité de réconcilier les hommes et les classes, les Croix de Feu ont été dissous !

On n’a pas pu dissoudre l’esprit Croix de Feu qui anime, dès maintenant, le Parti Social Français. Qu’on ne parle pas de reconstitution, c’est un épanouissement… »

Cet épanouissement, espéré depuis le départ par François de La Rocque, c’est celui qui consiste à devenir un parti de masse, dans le cadre des institutions modernes, en rompant avec toute perspective royaliste. Authentiquement fasciste dans sa proposition d’unification des classes sociales dans un régime centralisé autour du nationalisme, cela fait du PSF un parti de droite, qui ne se veut pourtant pas de droite, et évidemment pas de gauche non plus.

En fait, comme on le sait, le fascisme nie les classes sociales, au nom de l’unité nationale unilatérale. Il se veut de droite, mais méprise la droite.

Souvent, en France, les historiens conservateurs prétendent que le national-socialisme allemand vient de la gauche : en réalité, il a toujours assumé être de droite, faisant alliance ouvertement à droite lors des élections. Cependant, et c’est la caractéristique du fascisme, on a là un mouvement de droite rejetant la droite comme étant dépassée, pas assez rassembleuse, etc.

Les Croix de Feu et le PSF ont précisément cette approche ; ils se proposent de réconcilier la Nation, d’unifier les Français, etc. Ce serait même leur raison d’être :

« La mystique Croix de Feu repose sur le sentiment d’une égalité foncière entre tous les Français, dominant les inégalités de condition, de moyens ou de culture. « Les âmes sont égales. »

La mystique Croix de Feu réconcilie ainsi deux sentiments que l’on a trop longtemps, par une aberration criminelle, opposés l’un à l’autre : l’esprit social et le patriotisme, qui s’éclairent, s’expliquent, se complètent réciproquement.

Social et Français : ce ne sont point étiquettes destinées à maintenir habilement la balance entre aspirations de droite et celles de gauche. Le patriotisme n’est pas le monopole de la droite et l’aspiration sociale n’est pas davantage monopole de gauche.

Nous méprisons la droite autant que la gauche.

Ces classifications bornées et désuètes ont fait trop de mal au pays, ont causé trop de déceptions et de justes colères ! »

Pour cette raison, les Croix de Feu et le PSF se posent comme un parti anti-parti, comme un mouvement qui ne fait que rétablir ce qui serait sain et naturel dans la Nation. Cela est défini comme suit :

« L’ordre français a toujours reposé sur trois éléments : TRAVAIL, FAMILLE, PATRIE.

Trois mots qui à nos yeux résument tout.

Trois éléments indissolubles qui se tiennent, se soutiennent et sans quoi rien ne tient plus.

Nous sommes des réalistes. Réhabiliter le Travail, défendre la Famille, sauver la Patrie : telle est la devise du Parti Social Français. »

De fait, dans les statuts du Parti Social Français, on a ainsi une devise qui sera reprise, plus tard, par le régime de Vichy :

« La devise du parti est : « L’Ordre par la Famille et le Travail pour la Patrie. »

Un parti anti-parti et un programme anti-programme, aboutissant à une participation électorale anti-parlementaire : on a là un parti dit de l’Ordre, c’est-à-dire  un parti de droite de type « ni droite ni gauche ». Il n’y a aucune rupture dans le passage des Croix de Feu au PSF, simplement une réorganisation, un agencement nouveau. L’identité reste la même.

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Croix de Feu et P.S.F. : une rupture à l’extrême-droite

Le Parti Communiste français n’avait pas compris le caractère spécifique des Croix de Feu et du P.S.F., les assimilant avec François de La Rocque à l’extrême-droite ayant existé jusque-là sous la forme de groupes de pression nationalistes, favorables à un coup d’État. Il le paiera cher, car la conséquence sera l’incompréhension du gaullisme, qui est dans la continuité directe de la position de François de La Rocque.

Pourtant, les événements de 1934 auraient dû l’amener à comprendre cela. On sait que le 6 février 1934 a été un événement capital de l’Histoire de notre pays, avec plusieurs dizaines de milliers de manifestants des « ligues » d’extrême-droite tentant de marcher en direction du parlement, pour le prendre d’assaut.

Dans le climat d’instabilité politique – c’était le cinquième gouvernement en un an et demi –, de scandales de corruption telle « l’affaire Stavisky », les ligues tentaient le coup de force. Il s’agissait de taper fort, pour former un climat d’instabilité permettant à l’Armée de prendre le pouvoir. Il ne s’agissait pas simplement d’occuper le parlement et d’en prendre le contrôle : cela n’avait aucun sens et à part à Paris, les ligues étaient bien trop faibles, bien incapables de prendre le contrôle de l’administration nationale. 

Il s’agissait de précipiter le chaos en bousculant l’ordre dominant, en ciblant le Parlement comme symbole républicain. Cependant, la police défendit avec succès le Parlement, utilisant notamment des armes à feu, tirant deux fois et tuant 14 personnes, le nombre de blessés lors des affrontements montant à 1500 personnes. Une coupure historique eut alors lieu au sein de l’extrême-droite.

On trouvait déjà d’un côté : les Jeunesses Patriotes de Pierre Taittinger, fondées en 1924 ; le Faisceau de Georges Valois, fondé en 1925, et qui n’avait quant à lui pas pu se maintenir ; l’Action française de Charles Maurras qui disposait par contre d’une solide tradition ; à quoi s’ajoutent la Solidarité Française de Jean Renaud, fondé en 1933, ainsi que le « francisme » de Marcel Bucard.

Mais la plus importante de ces ligues étaient les Croix de Feu. On peut considérer qu’au milieu des années 1930, François de La Rocque disposait de 15 000 personnes à Paris et de 20 000 en province, alors que les Jeunesses Patriotes et la Solidarité française avaient dans leurs rangs chacun autour de 5 000 personnes, l’Action française de 4 000 personnes, le Parti français national-communiste de 2500 personnes, le Parti franciste de 1000 personnes.

François de La Rocque

Or, ce qui se passa, c’est que, justement, le 6 février 1934, François de La Rocque décida de ne pas s’associer au coup de force. Cela ne fut jamais pardonné par le reste des ligues, à qui s’ajoutèrent bientôt le mouvement de type nazi de Jacques Doriot, le Parti Populaire Français.

L’Action française, placée dans l’ombre des Croix de Feu, se plaça comme son principal concurrent, avec des harcèlements, des tentatives d’infiltration, des campagnes de dénigrement, n’hésitant pas à attaquer François de La Rocque en 1937 dans une grande campagne, l’accusant de toucher des fonds secrets de la part du gouvernement.

L’accusation provint du duc Joseph Pozzo di Borgo, hostile à l’option de François de La Rocque aboutissant à la naissance du Parti Social Français à la suite de 1934. Il se rapprochera alors de l’Action française, avant de basculer dans le terrorisme avec l’Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale, connu dans la presse sous le nom de la « Cagoule ».

Le duc Joseph Pozzo di Borgo

Toute une série de procès eurent lieu entre François de La Rocque, Joseph Pozzo di Borgo et Charles Maurras de l’Action française, en 1937-1938, en raison de cette accusation d’émargement auprès du régime. Il s’agissait pour eux de gagner la légitimité de celui qui serait le plus en « rupture ».

La question était celle de la stratégie ; Charles Maurras expliquait ainsi, en 1937, comment il concevait comme erronée la perspective de François de La Rocque, dans l’article « Plus que jamais… Politique d’abord ! » :

« L’œuvre du fameux colonel a consisté, pendant trois ans : 1° à retirer de la rue, de la politique active et militante, du « politique d’abord », quelques centaines de milliers de bons Français ; 2° à les jeter dans le social ; pour les noyer (bientôt) dans l’électoral. »

Une œuvre fameuse du côté de l’Action française fut celle de Maurice Pujo, Comment François de La Rocque a trahi, tandis que Joseph Pozzo di Borgo donna comme titre à sa dénonciation de son ancien chef François de La Rocque fantôme à vendre. 

Voici également comment Jean Renaud, au nom de la Solidarité française qu’il dirigeait, formule sa critique dans J’accuse François de La Rocque :

« Aujourd’hui, il n’est plus possible de se taire, de cacher.

De partout, j’écris de partout, tous les nationaux de partis insultés, moqués ou dindonnés par François de La Rocque, crient : “Assez, allez devant, cet homme est plus dangereux pour la cause nationale que les maçons ou que les juifs profiteurs dont d’ailleurs son nouveau parti est farci ! Il est plus notre ennemi que le communiste lui-même ! Il faut en finir : c’est lui qui a torpillé et torpillera les élections ; c’est lui qui crée la division”… »

Henri Coston, un antisémite forcené, terminait sa brochure François de La Rocque et les Juifsun nouveau scandale ! de la manière suivante :

« Le 21 mai 1937, à la salle des Ambassadeurs, M. Barrachin, directeur du Bureau politique du PSF, exposa la position du PSF et sa doctrine politique en présence des événements actuels. 

Il rappela notamment que son parti reconnaissait l’égalité de toutes les croyances et déclara “que sans François de La Rocque, la France aurait peut-être connu l’inutile développement de l’Antisémitisme”. 

M. de François de La Rocque, confirmerez-vous les déclarations de votre lieutenant ? Les Juifs ont-ils raison de se réjouir de votre attitude ? »

Voici également comment Lucien Rebatet, dans un ouvrage qui est le grand classique de la collaboration, Les Décombres, publié en 1942 (une édition avec une « critique » universitaire a été publiée en 2015 et les 5000 exemplaires imprimés vendus en une seule journée), présente les Croix de Feu.

Lié initialement à l’Action française, Lucien Rebatet sera un soutien fanatique d’une ligne plébéienne national-socialiste. A ce titre, il attaquera de manière virulente également Charles Maurras, qui en retour le qualifiera de « nabot impulsif et malsain ».

« Le colonel de François de La Rocque, cependant, inculquait à ses troupes les principes de la discipline militaire : interdiction de lever le petit doigt de la couture du pantalon avant l’heure H de l’assaut dont le chef seul déciderait, magnifique alibi pour masquer une inertie honteuse et peut-être complice, les talons en équerre, le béret à la diable bleu, le regard digne et résolu à quinze pas, mais sans bouger d’une ligne, ah ! surtout sans bouger.

Les citoyens de la France moyenne adhéraient en foules toujours plus denses à ce programme si bien fait pour eux.

Les nationaux à biceps qu’indignait ce remisage de la révolution, qui se répandaient en calembours sur Casimir de La Locque et les Froides queues, montaient leur contre-attaque. Mais c’était la contre-attaque à la cocarde (…).

La droite comptait quelques hommes d’action – pas beaucoup – dépourvus de toute doctrine, quelques excellents doctrinaires incapables d’imaginer une ombre d’action, des dilettantes que la canaille ennuyait, des hommes lucides mais sans argent, des riches assez effrayés mais qui lâchaient avec regret une infime aumône à leurs défenseurs, enfin une foule de bourgeois moutonniers, incultes, froussards et cupides, où le sieur de François de La Rocque n’avait pas eu grandpeine à recruter sa fameuse armée de Peuseufeux (…).

Durant les vingt mois de Front Populaire, il s’était dépensé en fonds politiques parmi la droite assez de millions pour financer plusieurs révolutions. Mais cette manne se répandait d’abord sur des torchons illisibles, des groupuscules de conspirateurs funambulesques.

Les prédilections des nantis, des personnages de poids allaient sans hésiter aux falots, aux farceurs, aux maîtres chanteurs, aux trembleurs, aux mollusques de la modération, des distinctions nécessaires, des nuances, béant dans la vase tiède de leur juste milieu, et par dessus tout à l’innombrable armée de la révolution selon les pantoufles et les fesses de Joseph Prud’homme, levée par le colonel Casimir, comte de François de La Rocque (…).

Pour le sieur de François de La Rocque, il fallait se féliciter qu’il s’en fût tenu à des vasouillages qui ne pouvaient être ni pour ni contre, puisqu’ils ne signifiaient exactement rien, genre où le Colonel était du reste imbattable.

La gauche aryenne en somme, se tenait beaucoup mieux. Nous avions trouvé chez elle plus de nerfs, de bon sens, d’esprit politique et de franchise. Son vieux fonds pacifiste et antimilitariste offrait dans ce danger des ressources autrement solides que le conformisme des familles où l’on fait les jésuites et les Saint-Cyriens. »

Avec François de La Rocque, c’est une nouvelle extrême-droite qui naît, qui n’est ni putschiste pro-royaliste, ni plébéiens pro-nazi.

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