L’irruption de la crise de Covid-19 comme test d’économie politique

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[Article du prochain numéro de la revue internationale au format PDF Communisme.]

L’irruption de la crise de Covid-19 a produit une série de réactions et de non-réactions qui en disent long sur l’économie politique des organisations révolutionnaires, ou parfois leur absence, ou même le caractère non révolutionnaire de celles-ci.

Il est bien connu que le principal dilemme révolutionnaire est d’éviter le réformisme tout en étant réaliste et d’éviter la tendance ultra-gauchiste tout en étant révolutionnaire. C’est la principale contradiction expliquant les positions qui ont été prises à travers le monde.

Cette contradiction est bien entendu accentuée par la profondeur de la crise. Il s’agit littéralement d’un crash test.

La négation de la crise

Le plus souvent, il n’y a eu, plus ou moins, aucune réaction. La plupart des organisations révolutionnaires sont en fait de type petit-bourgeois radicalisé, isolées, dans une bulle, n’agissant que sous une forme parasitaire, ayant besoin de « mouvements sociaux » pour faire semblant d’exister. Elles n’ont donc pas pu faire face à l’irruption de la crise. Leur manque d’économie politique les a tout simplement paralysées. Un groupe français comme « Unité Communiste Lyon » est en mesure de publier des articles à la trotskyste lorsque les syndicats sont actifs (« demandons plus », « allons plus loin » etc.), mais n’a tout simplement rien à dire sur la crise lorsque celle-ci arrive, car son identité est purement parasitaire.

Mais ce que nous voyons peut aussi être étonnant. Le média allemand « Dem Volke dienen », qui soutient le maoïsme, n’a pas réagi du tout, continuant comme si rien ne se passait (comme avec la publication de la photo d’un simple graffiti à Berlin en soutien à la libération de l’Irlande), avec très peu d’articles… dénonçant la mesures gouvernementales d’interdiction des groupements (pour bloquer la propagation du virus) ! Il y a même eu un petit groupe « rebelle » se regroupant dans les rues dans la ville de Brême pour soutenir les prisonniers politiques. Dans le même esprit, un appel à la manifestation du 1er mai a été signé par des associations turques de Suisse et d’Autriche liées au TKP/ML.

Il s’agit d’une réaction de négation de la crise. Elle n’a pas été prise au sérieux, elle a simplement été prise comme un « événement » qui ne serait pas directement lié à la lutte des classes, au mode de production capitaliste. Donc, comme cela proviendrait de « l’extérieur », cela ne pourrait pas avoir un vrai sens en soi. Et comme on le voit, avec une telle caricature, la seule critique possible porterait donc sur la quarantaine (dénoncée comme une pratique « du Moyen Âge »), les restrictions de circulation, etc. Tout cela serait un complot impérialiste, une utilisation capitaliste de la crise ! La situation serait dictatoriale. En France, comme disent de façon fantasmée certaines personnes se faisant passer pour des « maoïstes »:

« La police harcèle les passants, et surtout les jeunes qui ont l’air noirs ou arabes. »

Le groupe finlandais Punalippu (Drapeau Rouge) résume de la manière suivante cette interprétation d’ultra-gauche :

« La seule position légitime, marxiste-léniniste-maoïste, est que toutes les actions de la dictature bourgeoise doivent être condamnées, car elles ne servent pas le peuple mais l’impérialisme, et donc il n’y a qu’une seule option pour lui : une révolution (…).

La menace coronaire a mis en évidence un grand nombre de capitulations. La gauche légale et les forces sous le joug de son influence semblent généralement soutenir la capitulation. Certains se sont déjà matérialisées, par exemple le 13 mars avec la grève pour le climat prévue à Tampere – et, semble-t-il, dans d’autres villes également – qui a été annulée sous prétexte d’empêcher la propagation du coronavirus.

Apparemment, cette maladie infectieuse est une menace plus grave que la crise climatique dont on parle beaucoup? Il n’y a pas de coronavirus sur une planète morte ? »

Le « complot » de la crise, « l’alarmisme » et le « suivisme »

Dans certains cas, il y a eu une autre forme de négation de la crise, avec une théorie du complot. La bourgeoisie utiliserait le virus Covid-19 pour masquer la crise du capitalisme. Le média norvégien « Tjen Folket » a par exemple publié le long appel long du Rød Front pour la manifestation du 1er mai, qui ne contient que trois fois le mot corona :

« La crise du capitalisme n’est pas avant tout une « crise corona ». L’économie capitaliste explose dans une nouvelle crise cyclique tous les dix ans environ.

La crise d’aujourd’hui fait suite aux crises et récessions de 1990-93, 1998-2002 et 2008-2009.

Depuis 200 ans, le système capitaliste est en crise tous les 8 à 10 ans. La crise fait partie du capitalisme. Elles sont appelées « crise bancaire », « crise informatique », « crise financière », « crise pétrolière » ou « crise corona », uniquement en fonction des circonstances ou du moment où la crise se manifeste pour la première fois, mais ces noms ne décrivent jamais la véritable cause de la crise (…).

Nous voyons maintenant que partout le virus corona est utilisé comme prétexte pour enfermer les gens et les empêcher d’organiser et de lutter contre le chômage et la pauvreté. Un couvre-feu est instauré et un couvre-feu est imposé avec violence. Pourquoi ? Parce que les dirigeants tremblent parce qu’ils savent que la crise peut provoquer une rage incontrôlable des masses. »

Ce n’est pas du matérialisme dialectique, mais pratiquement une conception magique du monde. Et comme c’est magique, petit-bourgeois, c’est irrationnel. Le comité éditorial d’Incendiary,un média maoïste américain, a dans ce contexte éjecté sa principale figure, qui en réponse a fait une autocritique :

« Les camarades aux États-Unis ont généré deux lignes à ce sujet : que le COVID-19 est un vrai tigre et que le COVID-19 est un tigre de papier.

Malgré les centristes qui joueraient avec les mots pour faire appel au populisme, qui essaient de maintenir les slogans révolutionnaires tout en gobant l’alarmisme de la bourgeoisie, ce sont les deux seules lignes existantes.

Bien que des camarades bien intentionnés peuvent placer sur le même plan les deux lignes opposées, leur centrisme sert en fait la classe dirigeante. Il est urgent qu’ils comprennent cela, le reconnaissent et réalisent des autocritiques pour leur alarmisme et leur suivisme, qui nie l’organisation de la révolution socialiste.

Non seulement le COVID-19 n’est pas le vrai tigre de papier que la bourgeoisie et même certains camarades prétendent qu’il est, mais ce n’est même pas la cause de la crise économique. »

La crise sanitaire n’aurait pas une dimension réelle – nous revenons ici à la conception erronée de la crise de Covid-19 interprétée comme venant de « l’extérieur » du capitalisme.

La conception absurde de la crise sanitaire comme masque

Un article important résumant ici cette fausse lecture de la situation est L’économie mondiale se dirige vers la dépression : le coronavirus cache la crise de l’impérialisme, article publié par le média brésilien A nova democracia. Il donne des informations sur la faiblesse de l’économie capitaliste fin 2019 et dit :

« La production industrielle et les bourses des marchés financiers se sont effondrées début mars dans pratiquement le monde entier. Le déclencheur, comme l’annonce le monopole de la presse mondiale, serait l’expansion du coronavirus.

Mais c’est en réalité la crise de surproduction relative de capital.

Le coronavirus à lui seul ne pouvait pas avoir un tel impact sur l’économie mondiale. La raison de l’interruption de la reproduction du capital est le capital lui-même. Le portail Crítica da Economia, citant des journaux de la réaction elle-même, a noté que le coronavirus est désormais moins meurtrier que la grippe (…).

La présence de coronavirus n’est qu’un fait qui aggrave l’économie. Cependant, derrière ce fait, il y a déjà une surproduction relative de capital latente.

La crise de surproduction relative de capital survient lorsque la production de capital dépasse trop la capacité de consommation de la société définie, en définitive, par la contradiction entre le caractère social de la production et l’appropriation capitaliste du produit. »

C’est absolument non dialectique. Ce qui est dit ici :

– ne comprend pas que la crise de Covid-19 ne vient pas de l’extérieur du mode de production capitaliste, mais qu’elle en est une composante ;

– sous-estime de manière mécanique les effets d’une crise sanitaire, en raison de la compréhension du capitalisme non pas comme un mode de production (de la vie quotidienne) mais comme un « système structurel » ;

– a la conception petite-bourgeoise du mode de production capitaliste comme en mesure de « penser » et de « masquer ».

Dire que le Covid-19 ne peut qu’aggraver une crise propre au capitalisme n’est pas le marxisme, mais le structuralisme. C’est parler du capitalisme de manière telle qu’il flotterait au-dessus de la réalité.

Réformistes et révisionnistes sur le front

La crise du Covid-19 a montré la vacuité de l’ultra-gauche. Mais elle a aussi permis aux réformistes et aux révisionnistes d’exprimer leur capacité à s’adapter. En se positionnant comme « planistes » dans le capitalisme, ils peuvent se permettre de développer une démagogie efficace, car ils n’ont pas besoin de donner de contenu. Ils ont juste besoin de prétendre avoir une meilleure forme d’organisation. Ils obtiennent naturellement beaucoup plus d’écho que l’ultra-gauche, car ils reconnaissent la crise sanitaire et ils proposent une « solution ».

En fait, ils ne proposent rien, mais c’est facile : ils disent qu’ils agiraient mieux, grâce à une orientation tournée vers le peuple. Le meilleur exemple en est le Parti du Travail de Belgique. Sa dénonciation de « l’austérité » et sa promotion d’une « médecine pour le peuple » sont absolument formelles. Il n’y a pas de contenu sauf un point de vue, carrément chrétien, du bien contre le mal. C’est d’autant plus frappant lorsqu’on sait que ce parti prétendait, dans les années 90, être le centre névralgique du Mouvement Communiste International.

Un autre bon exemple, parce qu’idéologiquement du même genre, est le Parti communiste révolutionnaire du Canada, une organisation se définissant comme maoïste mais ayant le même rejet complet de la Grande Révolution culturelle prolétarienne que le Parti du Travail de Belgique. Le PCR du Canada présente donc les choses de la même manière mécaniste, sans aucun contenu, dans son article COVID-19 : des événements qui nous révèlent que nous sommes dans l’antichambre du socialisme :

« En fait, la situation actuelle révèle, encore plus clairement qu’à l’habitude, qu’avec un niveau de concentration économique aussi élevé qu’au Canada et qu’avec la somme considérable de connaissances, de techniques et de moyens qui accompagnent nécessairement un tel niveau de concentration, il serait relativement facile de solutionner l’ensemble des problèmes de la société (pauvreté, chômage, crises économiques, corruption, gaspillage, maladies, manque de services, pénuries, etc.) et de répondre à l’ensemble des besoins du peuple en mettant en place une planification centralisée et en mobilisant les masses populaires.

En fait, si cela ne se produit pas, c’est uniquement parce que le processus qu’il faudrait enclencher pour y parvenir – l’abolition de la propriété privée bourgeoise et la collectivisation complète des moyens de production – irait à l’encontre des intérêts et de la volonté de la classe des capitalistes présentement au sommet de la société. »

Le socialisme est ici aussi simple que d’appuyer sur le bouton « centralisation », puis sur celui de « mobiliser les masses ». Il n’est pas possible d’être plus vide. Ce vide est au moins caché sous le romantisme avec l’approche de promouvoir la Chine et Cuba comme combattant avec efficacité la crise de Covid-19. Ces pays seraient « socialistes » et leur sens de l’organisation, tout comme leurs intérêts « socialistes », leur auraient permis de réussir sur le front sanitaire. Le Parti Communiste des Philippines fait l’éloge de Cuba, les éditions prolétariennes françaises qui soutiennent Mao louent la Chine comme appliquant avec succès de nos jours les principes de la révolution culturelle (!), le PRCF français, unissant la «gauche» du PC révisionniste français, vante les deux.

L’Union Ouvrière Communise (MLM) de Colombie le fait aussi, dans son article L’URSS et sa lutte contre les épidémies, d’une manière à la fois cachée et absurde à tous les niveaux. Il est parlé de « capitalisme monopoliste d’État », concept absurde inventé par Eugen Varga et soutenu par le révisionnisme de Khrouchtchev. Et une telle forme monopoliste est considéré comme une meilleure forme sociale, alors qu’en fait elle devrait être considérée comme totalement décadente et réactionnaire!

« Aujourd’hui, il n’y a le socialisme dans aucun pays, bien qu’il y ait des pays qui se présentent comme tels, par exemple en Chine, en Corée du Nord ou au Vietnam, qui étaient socialistes il y a des décennies ; aujourd’hui il n’y a qu’un capitalisme d’État monopoliste.

L’actuelle pandémie de coronavirus (Covid-19) a montré que ces pays étaient mieux lotis que les pays capitalistes où le rôle de l’État est moindre et au service exclusif des monopoles privés, même si, s’ils avaient été vraiment socialistes, ils auraient vaincu l’épidémie plus facilement.

Alors que l’Italie, l’Espagne et maintenant les États-Unis, pays capitalistes où les systèmes de santé privés prédominent, sont dévastés par l’épidémie, avec peu de possibilités de manœuvre et avec tout le fardeau pour les travailleurs de ces pays. »

C’est un incroyable éloge du social-fascisme!

Contre la théorie du complot et contre le planisme

La crise de Covid-19 a prouvé que la plupart de l’économie politique des organisations révolutionnaires n’est pas révolutionnaire ou que ce ne sont pas des organisations. Ce sont des expressions informes de la petite-bourgeoisie visant à peser sur la bourgeoisie. Leur vision du monde est éclectique, avec une forte tendance petite-bourgeoise à considérer le capitalisme comme organisé, l’État bourgeois comme un monstre unilatéral.

Leurs propositions utopiques, lorsqu’elles sont réellement construites, deviennent de manière inévitable du planisme, qui n’a rien à voir avec la planification socialiste, celle-ci n’étant pas une méthode mais une conduite idéologique des forces existantes sur la base de la vision communiste du monde. La théorie du « complot » par en-haut pour masquer la crise du capitalisme est même ici typique des socialistes anticommunistes des années 1920-1930, et même le planisme correspond de manière importante à leur conception mécanique de la « centralisation » comme solution à tous les problèmes.

Le problème à l’arrière-plan est l’incapacité à comprendre le mode de production capitaliste, et leur idéalisme les amenant à considérer que le Covid-19 vient de l’extérieur et ne serait donc qu’un petit paramètre de plus dans la « structure » capitaliste.

La GOULag dans l’après-guerre, jusqu’en 1953

Le GOULag n’a nullement été une exception due aux années 1930 et, pour cette raison, dans l’immédiate après-guerre, il prolonge son existence, en tant que composante marginale de la société soviétique.

Le problème fondamental de cette existence à la marge fut la naissance d’une couche criminelle façonnée culturellement par l’identité des camps et réfutant toute socialisation, faisant de l’anti-soviétisme le noyau dur de leur action criminelle résolument anti-sociale.

Ces éléments criminels, considérés comme non prioritaires par rapport aux contre-révolutionnaires, purent profiter de la situation pour chercher à conquérir l’hégémonie au sein des camps. Il y a là un problème fondamental tenant à la dimension administrative des camps, qui se contentaient de mettre de côté et ne parvenaient pas à tourner les choses favorable culturellement.

Cela fut d’autant plus vrai après 1945, alors qu’il y avait une vague de détenus farouchement anti-communistes liés aux nazis pendant la seconde guerre mondiale ou issue de l’intense lutte des classes suivant 1945.

Pour cette raison, il fut mis en place par la GOULag, en février 1948, des Osobye lagéria, camps spéciaux, pour les éléments contre-révolutionnaires les plus dangereux. Il y avait un peu plus de 100 000 détenus dans ces camps spéciaux en 1949, 257 000 en 1952.

Au premier juillet 1946, il y avait 806 193 prisonniers dépendants de la GOULag, dont 506 289 relevaient du contingent du camp, c’est-à-dire qu’ils étaient condamnés à plus de trois ans et devaient par conséquent purger leur peine dans des unités de camp.

Au premier janvier 1951, le chiffre s’est considérablement agrandi. Alors que l’URSS s’est agrandi territorialement par rapport à avant 1939, il y a 579 918 personnes détenues dans les camps pour avoir mené des activités contre-révolutionnaires et 1 948 228 personnes détenues pour des crimes.

Parmi la première catégorie, on a 334 538 condamnés pour trahison à l’URSS (article 58), 46 582 pour participation à des groupes anti-soviétiques, 18 337 pour espionnage, 7 515 pour terrorisme et 2 329 pour intentions terroristes, 3 250 pour sabotage.

Parmi la seconde catégorie, on a 637 055 personnes condamnées pour vol de la propriété publique, 394 241 pour vol de la propriété personnelle, 65 816 pour banditisme, 93 477 pour hooliganisme, etc.

2,9 % des détenus ont été condamnés à une peine de moins d’un an, 8,8 % à une peine entre 1 et 3 ans, 16,3 % entre 3 et 5 ans, 53,9 % entre 5 et 10 ans, 9,2 % entre 10 et 15 ans, 4,1 % entre 15 et 20 ans, 4,8 % à plus de 20 ans.

La proportion des prisonniers en fonction de leur nationalité correspond grosso modo à l’URSS ; au 1er janvier 1951 on a ainsi parmi les prisonniers 1 405 522 Russes, 506 221 Ukrainiens, 96 741 Biélorusses, 56 928 Tatars, 30 029 Ouzbeks, 25 906 Kazakhs, 23 704 Azéris, 23 583 Géorgiens, 26 764 Arméniens, 25 425 Juifs, etc. avec toutefois une proportion plus forte de personnes issues des nouvelles républiques (43 016 Lituaniens, 28 520 Lettons, 24 618 Estoniens).

Au premier janvier 1953, il y avait 2 472 247 prisonniers dans les camps et colonies (et 152 614 dans les prisons).

Dès la mort de Staline, les départements productifs de la GOULag furent remis aux ministères concernés par leurs activités et la GOULag elle-même passa du ministère de l’intérieur au ministère de la justice.

En apparence, cela semblait une démarche logique, en réalité cela allait dans le sens du démantèlement effectif des camps de travail pour les éléments anti-sociaux. Il y eut une vaste amnistie, d’un million de détenus, provoquant d’importants troubles sociaux dans le pays en raison d’une vague de crimes, et l’URSS devenue révisionniste bascula dans une forme de terrorisme d’État totalement étranger au principe de la répression socialistes des éléments anti-sociaux.

Que ceux-ci terminent dans des camps de travail impliquait la lutte des classes et l’URSS révisionniste allait à rebours d’une telle démarche.

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L’appareil de la GOULag comme administration et le rapport au Parti

La question historique du GOULag du point de vue communiste tient à la nature du projet, c’est-à-dire du rapport dialectique naturel entre une forme juridique-administrative et une fonction économique-politique.

Le souci est qu’il y a eu un décalage est qu’on est passé à un rapport dialectique non forcément évident entre une forme juridique-politique et une fonction économique-administrative. Cela a provoqué d’énormes tensions dans le rapport entre le Parti et le Commissariat aux affaires intérieures.

Du moment en effet que les projets étaient conçus à l’avance, avec un haut niveau technique, on passa à toute une procédure administrative, nécessitant des appels à un haut niveau de conception, de mise en opération, d’ingénierie industrielle pour relier les différents circuits, à quoi s’ajoute un ample support technique.

Or, c’était là tout à fait différent du rôle de la GOULag comme supervision économique-politique de décisions administratives établies par le droit soviétique. On est passé au mode suivant : le droit punit en assumant d’être politique et le commissariat gère de manière administrative les détenus, en intégrant simplement une dimension économique.

Le droit a quitté le terrain administratif pour se retrouver placé de manière partidaire et inversement le Commissariat aux affaires intérieures s’est articulé comme simple administration, perdant son affirmation politique pour se contenter d’être économique en soi.

Ce déplacement fut grave, car il fit passer la GOULag d’appareil à celui d’administration, la dimension d’appareil étant masqué. La conséquence fut une confrontation entre appareils, entre le droit et la GOULag, par l’intermédiaire au NKVD dont celle-ci dépendait.

Concrètement, cela s’exprima par l’opposition entre la lecture juridique Vyshinsky et celle, de type pragmatique-machiavélique, de Guenrikh Iagoda et Nikolaï Iejov, dirigeants du NKVD. Ces derniers exprimaient un appareil grisé par le succès, emporté par son élan, s’imaginant administration et cherchant par là à agrandir de manière subjectiviste son champ d’activité.

Andreï Vychinski protesta par exemple la chose suivante : il y avait 1 251 501 personnes dans les prisons, camps et colonies en date du 1er octobre 1935, contre 519 501 au 1er janvier 1932. Il fallait donc se demander ce qui était responsable de cette augmentation de 210,9 %. Cela tenait évidemment aux velléités hégémoniques du NKVD. D’ailleurs, le NKVD, disposait désormais de tribunaux spéciaux dans les camps de travail.

Ce qui était critiqué ici, c’était de fait l’autonomisation relative du NKVD, avec une mise de côté du droit de l’État soviétique en tant que tel. Andreï Vychinski développera ainsi des critiques au NKVD par rapport aux camps, tant dans les procédures que dans le mode opératoire.

Guenrikh Iagoda, le responsable du NKVD, fut par conséquent démis en septembre 1936 et arrêté en avril 1937 ; c’est Andreï Vychinski qui fut procureur à son procès où il fut condamné à mort pour aide au factionnalisme en vue de prendre le contrôle du régime, ce qui exprimait à l’arrière-plan un positionnement du NKVD comme une simple administration pouvant pencher indifféremment dans une tendance ou une autre, et non plus un appareil dépendant du Parti.

Le successeur de Guenrikh Iagoda, Nikolaï Iejov, eut la même tendance à profiter de l’importance du NKVD, rentrant à ce sujet notamment en conflit avec Viatcheslav Molotov. La direction du Parti dénonça finalement ouvertement les méthodes du NKVD dans une lettre du 11 novembre 1938, stoppant son pouvoir juridique le 15, stoppant sa campagne de purge le 17, alertant l’ensemble des responsables régionaux du Parti sur les défaillances du NKVD le 25. Nikolaï Iejov fut mis de côté en 1938, arrêté en avril de la même année et exécuté en février 1940.

Il est évident que le reproche fait par le Parti au NKVD – l’abandon du travail de renseignement pour la simplification par les arrestations massives – n’aurait pas eu lieu d’être si le NKVD, par l’administration de la GOULag, n’avait pas eu cette tendance à l’hégémonisme et à l’occupation étendue de différents domaines.

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Les conditions dans les camps de la GOULag

Les camps de travail supervisés par la GOULag se définissaient par une lecture de classe. Il fallait tant briser les éléments sociaux que donner des espaces pour la rééducation par le travail, ainsi que parvenir à l’auto-suffisance des camps eux-mêmes.

Ils semblaient ainsi un enfer pour les éléments anti-sociaux niant le pouvoir soviétique et confrontés à sa toute-puissance. Le moindre aspect de socialisation leur apparaissait comme une terrible agression à leur encontre. C’est là la source des ressorts psychologiques fantasmatiques et extrêmement violents des écrits contre-révolutionnaires à ce sujet.

Des ressorts qui s’appuient également, bien entendu, sur une confrontation violente avec le personnel du NKVD. L’affrontement possédait une dimension physique inéluctable, particulièrement ardue dans des conditions de précarité matérielle marquée.

On a à l’inverse le parcours de Naftaly Frenkel (1880-1960), arrêté pour contrebande en 1923 et envoyé dans un camp de travail. Il participa si bien au travail et proposa des critiques si constructives qu’il deviendra l’une des principales figures de la GULag, se chargeant notamment du chantier de la voie ferrée Baikal Amour Magistral, devenant le chef du directorat pour les réseaux ferroviaires, se voyant attribuer l’Ordre de Lénine en 1933, en 1940, en 1943, ainsi que l’Ordre socialiste du travail.

Il y avait concrètement dans les camps un découpage en trois catégories des détenus.

Il y avait ceux issus de la classe ouvrière et de la paysannerie et qui n’étaient pas condamnés à plus de cinq ans d’emprisonnement. Il y avait une seconde catégorie du même profil social, mais avec plus de cinq ans comme condamnation. Il y avait la troisième catégorie avec tout d’abord les éléments extérieurs à la classe ouvrière et la paysannerie, et ensuite les contre-révolutionnaires en général.

Les premiers disposaient un régime de faveur, pouvant quitter le camp, occuper des positions dans l’administration, diriger des équipes de travail, etc. Les seconds avaient des fonctions comme employés, dans des usines, peuvent quitter temporairement leurs logements, etc. Les derniers étaient consignés et menaient les travaux les plus durs.

La première catégorie voyait deux jours de travail comptés comme trois jours de prison, la seconde trois jours de travail pour quatre de prison, la troisième quatre jours de travail pour cinq jours de prison.

À cela il faut ajouter les détenus aux courtes peines, les femmes, les mineurs, les personnes âgées, les handicapés, qui travaillaient dans des secteurs spécifiques, relevant de l’industrie légère, de l’agriculture, de petits et moyens ateliers (couture, menuiserie, forge, etc.), le travail du bois.

Ces grandes différences au sein des camps modifie résolument la nature du vécu dans ceux-ci. C’est particulièrement vrai pour la période de l’établissement de ceux-ci, dans un contexte extrêmement difficile pour l’URSS en général, qui faisait face parfois à des famines. Obtenir une alimentation correcte impliquait de participer à la bataille de la production et il y avait une proportion entre le travail rendu et l’alimentation donnée.

Les conditions historiques, particulièrement arriérées, de l’URSS d’alors firent ainsi que, malgré l’installation de bases hospitalières, les décès furent à certains moments relativement important en raison de la tuberculose, du typhus, de la malnutrition, ainsi que des auto-mutilations faites afin d’éviter le travail.

En 1932, 4,8 % des 275 861 prisonniers moururent, ce qui était grosso modo le chiffre traditionnel de mortalité des camps dans les années 1930, à l’exception de 1933 avec 15,2 % des 440 008 prisonniers et des 101 000 prisonniers décédés en 1941, année de l’attaque de l’Allemagne nazie où 420 000 détenus furent également envoyés au front à la fin de l’année.

Pendant la guerre, la GOULag fut également dans l’obligation de bloquer la libération de 50 000 détenus condamnés pour « agitation antisoviétique, crimes de guerre graves, vol à main armée et vol qualifié, récidivistes, élément socialement dangereux, membres de la famille de traîtres et autres criminels particulièrement dangereux ». Ceux-ci furent obligés de rester dans le camp, mais en obtenant le statut de travailleur, avec une rémunération normale donc et avec un logement séparé des détenus.

Entre 1934 et 1940, 288 300 prisonniers moururent ; après 1945, le chiffre baissa encore, tombant à 1-3 % des détenus chaque année. Il y eut au total un peu plus d’un million de morts entre 1930 et 1953.

Ces chiffres font ressortir l’ampleur de la bataille contre les éléments anti-sociaux et la tentative de les encadrer de manière adéquate. Il y a initialement peu de gardes et les évasions étaient très nombreuses, entre 58 000 et 83 000 chaque année entre 1934 et 1937, 32 000 en 1938. Il y avait encore 18 342 évasions en 1947, alors que 10 % des détenus n’étaient pas surveillés la même année.

Ce n’est qu’avec la mise en place d’une structuration à tous les niveaux que les inévitables prisonniers de la lutte des classes furent administrés de manière adéquate. Pour cette raison, l’instauration d’un salaire devint également la norme.

Il y a eu dès le départ des récompenses monétaire pour les détenus travaillant de manière satisfaisante, accomplissant ou dépassant ce qui était attendu d’eux. L’initiative fut généralisée à partir de 1950. Les détenus recevaient un salaire dont était retiré une part pour l’alimentation et les habits, part ne tombant pas en-dessous de 10 % du salaire.

La moitié environ des prisonniers touchaient plus de la moitié de ce salaire, qui est grosso modo à 50-70 % du salaire normal pour un travail équivalent.

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La contribution économique de la GOULag

Les camps avaient différentes tailles, des activités très différentes, se situaient dans des zones très différentes qu’on peut distinguer en quatre catégories (chaud, tempéré, froid, septentrionales), qui elles-mêmes étaient administrativement sub-divisées en trois (I, II, III).

Le camp d’Aktiubinsk, au Kazakhstan, a existé de 1940 à 1946 avec environ 8000 prisonniers ; celui d’Arkhangelsk, au nord de la Russie européenne avait le même nombre et a existé de 1938 à 1940. Le premier s’occupait d’extraire des métaux, le second de produire de la pâte à papier.

Le Sazlag, camp d’Asie centrale à Tachkent, en Ouzbékistan, exista de 1930 à 1943, avec un peu plus de 12 000 prisonniers à la fin, produisant du coton avec également des activités dans des manufactures de coton. Le camp de Jezkazgan, au Kazakhstan au tout début des années 1940, disposait à peu près du même nombre de détenus pour construire l’industrie liée au cuivre.

Le camp d’Ivdel, dans la région de Sverdlovsk, dans la plaine occidentale de la Sibérie, fondé en 1937, avait environ 16 000 prisonniers pour la coupe du bois ; c’était un nombre typique de détenus pour les camps ayant cette activité.

Le Siblag, à Novossibirsk, fondé en 1929, avait 45 000 détenus pour l’agriculture, la coupe de bois, la construction de route ; le Dallag, en extrême-Orient, existant de 1929 à 1939 pour notamment l’extraction de charbon et d’or, rassemblait pratiquement 65 000 détenus à son apogée.

Le Volgolag de Rybinsk, au cœur de la Russie européenne, qui exista de 1935 à 1942, avait 90 000 détenus pour la construction de systèmes hydrauliques ; il en va de même pour le camp de Pechora, dans la zone Arctique, pour la construction d’une voie ferrée entre Kotlas et Vorkuta.

Au-delà de ces différences quantitatives, il était qualitativement clair que dans tous les cas, les conditions de travail étaient élémentaires, le travail très basique, les détenus peu qualifiés, si l’on omet les OKB, Opytnoye Konstruktorskoye Buro, Bureaux expérimentaux de conception, organisés pour accueillir le personnel scientifique condamné (y passèrent notamment le concepteur aéronautique Andreï Tupolev et l’ingénieur des missiles et des voyages spatiaux Sergueï Korolev).

Il s’agissait simplement de défricher et de mettre en place ou d’aider à la mise en place de projets ; la GOULag supervisait une contribution à l’économie, elle était un appui. Cela ne constituait nullement le « cœur » de la production soviétique, comme la contre-révolution l’a prétendu.

Le budget consacré à la GOULag fut pour cette raison toujours restreint, concernant 6,2 % du budget national en 1935 pour atteindre 14,9 % pour la période particulière de 1941-1944. La GOULag ne parvenait par ailleurs pas à réaliser ses plans ; en 1937, son plan général ne fut complété qu’à 71,6 % (80,5 % pour l’hydrotechnique, 62,7 % pour les voies ferres, 63,2 % pour la construction industrielle).

Tous les détenus ne travaillaient pas non plus. En janvier 1939, sur 1 130 955 détenus, 789 534 avaient une activité productive, 117 353 étaient affectés aux services des camps, 117 896 ne travaillaient pas en raison de leur âge, de leur maladie, etc. 106 172 personnes étaient en route entre des camps ou relevaient d’une production momentanément bloquée, 10 % composant ceux refusant de travailler.

Agissant comme contribution économique, les camps étaient pour cette raison souvent placées près de grandes villes : Arkhangelsk et Mourmansk dans le nord, Tcheliabinsk et Sverdlovsk dans l’Oural, Omsk, Novossibirsk, Tomsk, Kemerovo, Krasnoyarsk en Sibérie, Moscou, Leningrad et Yaroslavl dans la partie européenne de la Russie.

On peut découper relativement en blocs à peu près équivalent les principaux types de projet, suivant les domaines :

– la construction d’entreprises industrielles ;

– la construction de logements, de bâtiments culturels ;

– les voies ferrées, les routes et les ponts, les égouts et les conduites d’eau, les centres électriques, la construction hydro-technique (barrages, écluses, centrales hydro-électriques, etc.), la construction de centrales thermiques ;

– le travail en usine et la maintenance, la fabrication de meubles, la couture et la production de chaussures, le chargement et le déchargement, les travaux agricoles, la mise en place d’une ferme d’État, la pêche ;

– les mines, le forage et l’excavation, la production de matériaux de construction, la production de pièces détachés et de béton, la construction d’entrepôts et de filiales, la reconstruction d’entreprises.

Parmi les constructions majeures, on peut mentionner l’usine métallurgique de Tcheliabinsk, l’usine métallurgique et de coke de Novo-Tagil, l’usine d’aluminium Bogoslovsky, l’usine métallurgique transcaucasienne.

Les installations industrielles mises en place furent légèrement plus nombreuses dans la partie non-européenne de l’URSS ; ce qui était déterminant, c’est en fait l’existence de main d’œuvre ou non dans la zone concernée. La mise en place d’usines, de moissonneuses-batteuses… est faite par la GOULag lorsque les forces locales sont trop faibles.

En ce qui concerne la coupe de bois, une activité majeure de la GOULag, cela comptait pour autour de 9 % de la production soviétique de bois. C’est seulement pour l’or, l’étain, le nickel que le GOULag menait une action économique essentielle, ainsi que pour l’établissement des premiers centres atomiques après 1945.

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Les structures de la GOULag

Au printemps 1938, les départements de production se généralisèrent ; en juin 1939, on avait 42 regroupements administratifs (départements, divisions, archives). Neuf étaient consacrés à la production :

– département des forêts ;

– colonies pénitentiaires et agriculture ;

– construction ferroviaire (premier département) ;

– construction ferroviaire (second département) ;

– construction hydrotechnique ;

– industrie des combustibles

– industrie des pâtes et papiers

– construction maritime

– métallurgie non ferreuse.

Il faut attendre 1941 pour trouver un découpage encore plus approfondi. Il y avait alors d’un côté l’administration des camps (UL), et les directorats centraux des camps (GUL). Ces GUL consistaient en des spécialisations :

– le GULGTS pour les installations hydro-techniques ;

– le GULGMP pour les mines et l’extraction de métaux ;

– le GULPS pour la construction industrielle ;

– le GULZhDS pour les réseaux ferroviaires ;

– le GUSHOSDOR pour les routes ;

– l’ULLP pour la production forestière ;

– le GUSDS (ou Dalstroy) pour les constructions dans le grand Nord ;

– l’UTP pour la production de carburant et d’énergie ;

– le GUAS pour la construction d’aérodromes ;

– l’ULSPZhM pour la construction d’usines sidérurgiques ;

– l’Osobstroy pour la construction des usines de Kuybyshevsky.

En 1944 fut fondée une structure centrale, la Glavpromstroy, l’Administration centrale pour la construction industrielle. C’est elle qui supervisait la mise en place d’usines métallurgiques, de chantiers navals, d’industries des pâtes et papiers, etc.

Cette administration se déclinait elle-même en la Glavalyuminpromstroy pour l’aluminium, la Glavsredazpromstroy pour l’Asie centrale, la Glavyugstroy pour le Sud, la Promstroyproyekt pour l’établissement de projets, etc., ainsi qu’avec de nombreux trusts à un niveau en-dessous : Bazstroy (pour l’aluminium à Bogolovsky), Denprotyazhstroy (pour la région du Dnepr), Kazmed’stroy (pour le Kazakhstan), Magnitostroy (pour Magnitogorsk), Nikopolstroy (pour Nikopol), etc.

Fut en même temps fondé la Glavgidrostroy qui s’occupait de l’industrie hydro-technique.

On a ainsi des structures qui avaient été revues, corrigées, réorganisées et ce n’est qu’après la fin de la guerre qu’elles acquerront un caractère définitif.

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La question de la structuration de la GOULag

La GOULag s’inscrit dans une logique mêlant un aspect pénitentiaire à un aspect éducatif-politique, puisque le travail forcé à la fois brise et rééduque les éléments anti-sociaux. C’est une démarche bien particulière, à la marge de la société, comme pour tout système pénal.

Pour la période 1930-1936, seulement 12 millions de personnes ont eu à faire avec la justice, le chiffre est de 8,6 millions de personnes pour la période 1937-1940. Il faut ici noter par contre que, dans le contexte de l’immédiate avant-guerre, l’année 1940 fut marquée par la condamnations de 2 millions de personnes pour violations de la discipline de travail et absentéisme.

La plupart de ces inculpés ont été condamnés à des travaux d’intérêt général ou bien à du sursis. Les camps de travail, concernent quant à eux autour d’un million de personnes au départ, grosso modo deux millions de personnes ensuite, sur 160-170 millions d’habitants.

Rien ne correspond aux thèses farfelues développées tout au long des années 1960-1970 multipliant ce chiffre par 4, 10, 15, 20, etc.

Personnel du NKVD

Cela étant la question relève davantage du qualitatif ; quand la thématique des camps de travail soviétiques arrive par exemple en France dans les années 1950, elle est un moyen de dénoncer la dictature du prolétariat et son prolongement inévitable : la soumission par la force des éléments anti-sociaux.

Cela passe notamment par une démarche « philosophique » de type existentialiste, avec principalement la revue Les Temps modernes de Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty (« A mesure que nous sommes mieux renseignés sur l’importance relative du travail forcé et du travail libre en URSS, sur le volume du travail concentrationnaire, sur la quasi-autonomie du système policier, il devient toujours plus difficile de voir l’URSS comme transition vers le socialisme ou même comme État ouvrier dégénéré »).

Cette dimension qualitative fut difficile à cerner lors de la mise en place de la GOULag. Il n’y avait pas seulement le passage d’une mobilisation de prisonniers en soutien à un grand projet à celle de l’organisation de tels grands projets eux-mêmes. Toute la définition de l’activité de la GOULag fut source de multiples remaniements, de restructurations.

L’administration en tant que telle fut d’ailleurs longue à se mettre en place de manière définitive.

C’est seulement à partir de 1935 que le NKVD dispose en tant que tel d’un département entièrement consacré à la production. Et les changements furent rapidement nombreux ; ainsi, la même année, en octobre, l’Administration centrale des autoroutes et des chemins par terre et des transports routiers (TsUDORTRANS) fut confiée au NKVD et devint ainsi l’Administration de la construction des routes pavées (GUSHOSDOR).

Toutes les années 1930 furent elles-mêmes marquées par des ajustements, des transferts de compétence, des réorganisations, des restructurations de différentes branches, etc. Le GOULAG était en perpétuelle réorganisation et l’ampleur de ses tâches, leur complexité, multipliaient leurs structures et leurs exigences.

La GOULag devait en effet s’occuper d’établir des plans, de trouver du personnel qualifié pour la gestion de leur réalisation, de mobiliser des prisonniers, d’assurer la logistique, de mettre en place l’approvisionnement, de s’occuper de la surveillance des camps et des convois, de maintenir une comptabilité, de prévoir un réseau sanitaire, de gérer les aspects juridiques sur place, de disposer d’un réseau vétérinaire, d’avoir des initiatives culturelles-éducatives, d’avoir un département politique bien sûr pour superviser l’ensemble, etc.

Dans certains cas, l’ampleur qualitative ou quantitative approfondit les difficultés. Les trois camps les plus importants, au milieu des années 1930, les Dmitlag, Belbaltlag et Bamlag, rassemblaient 221 039 détenus, pratiquement la moitié des prisonniers. En 1937, en raison de la vague de répression menée contre la contre-révolution, la GOULag dut ouvrir, au mois d’août, en catastrophe, sept camps pour des activités de bûcherons (Ivdelsky, Kargopolsky, Kuloysky, Lokchimsky, Taishetsky, Tomsk-Asinsky et Ustvymesky).

Le bâitment central du Dmitlag du NKVD de l’URSS, établi dans un ancien monastère

Cela impliquait de former un camp à partir de rien, ce qui était une tâche très ardue et la GOULag connut différents échecs sur ce plan. Au sens strict, à part ceux pour les bûcherons, en 1937-1938 il n’y eut d’ailleurs que neuf camps formés sur le tas : ceux d’Arkhangelsk, d’Ust-Borovsky, de Yagrinsky (pour la construction industrielle), de Luga (pour construction d’une base navale), de Podolsky (pour la construction d’aérodrome), de Samara (pour construction d’une centrale hydroélectrique), de Soroksky (dans le cadre de la construction ferroviaire), ainsi que deux autres destinés à la construction de routes.

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Premières opération concrète de la GOULag et systématisation

La première réalisation de la GOULag, qui marqua la définition même de son activité, fut la mise en œuvre du canal entre la mer blanche et la mer baltique, par une décision du 5 mai 1930. Cela exigeait toutefois une capacité d’organisation énorme, puisque, entre les prisonniers et le personnel les encadrant, 276 000 personnes étaient concernées.

Ce choix d’un appel aux prisonniers avait été fait en raison de l’absence de main d’œuvre dans la zone du canal. Initialement, la GOULag ne faisait ainsi que superviser l’envoi d’une main d’œuvre au service d’un grand projet – dénommé Belomorstroy – du Commissariat au peuple aux chemins de fer (NKPS).

Mais le projet Belomorstroy passa en 1931 au main de la GOULag elle-même, qui s’occupa donc tant du camp – la Belbaltlag – que des travaux eux-mêmes. En avril 1932, 26 % des 287 500 prisonniers soviétiques y étaient rassemblés et à l’été 1933 les travaux furent terminés. 72 000 prisonniers furent libérés dans la foulée.

Cette initiative fut considérée relativement rapidement comme un succès et dès septembre 1932, le Bureau Politique du PCUS(b) décida de la réalisation du canal Dmitrovsky reliant la vaste rivière de la Moskowa à la Volga, reliant par là la ville de Moscou à la mer Blanche, la mer Baltique, la mer Caspienne, la mer d’Azov et la mer Noire.

En octobre, le Bureau Politique décida qu’il serait procédé pareillement pour la mise en place de la voie ferrée Baikal–Amur déjà commencée. Furent ajoutées à cela plusieurs mines – à Kolyma, Pechora, et Ukhta -, ainsi que la production de bois de chauffage pour les villes de Moscou et Leningrad.

Puis fut décidée la construction sous la supervision de la GOULag d’une station hydro-électrique à Murmansk, celle d’un complexe agro-industriel au niveau du canal mer blanche – mer baltique, celle d’une autoroute reliant Khabarovsk à Komsomolsk, celle d’une seconde ligne de chemins de fer reliant Karymskaya à Bochkarevo.

En 1933, ces camps concernaient 334 300 prisonniers, un chiffre qui grandit en raison de l’intensification de la lutte des classes en URSS.

La GOULag gérait en janvier 1935 les activités de 741 599 prisonniers – un chiffre cependant relativement restreint pour un pays peuplé alors de pratiquement 170 millions d’habitants – avec la répartition suivante :

– construction d’une seconde ligne de chemin de fer pour les lignes trans-baikal et Ussuriisk, ainsi que construction de la ligne Baikal – Amour, avec 153 547 personnes ;

– construction du canal Moscou – Volga, avec 192 649 personnes ;

– mise en place du complexe agro-industriel mer blanche – mer baltique, avec 66 444 personnes ;

– mines d’Ukhta-Pechora (charbon, pétrole, radium, etc.), avec 20 656 personnes ;

– Svirlag produisant du bois de chauffe pour Leningrad, avec 40 032 personnes ;

– Temlag produisant du bois de chauffe pour Moscou, avec 33 048 personnes ;

– camp du ministère de la sécurité intérieure en extrême-orient, avec la construction de la ligne de chemins de fer Volochaevka – Komsomolsk, la mise en place de la mine de charbon d’Artem, des mines de Raichika, des conduites d’eau potable de Sedansk, des dépôts de pétrole de Benzostroi, de constructions de la zone de Dalpromstroi, du côté des réserves, de la base de construction d’avions 126, ainsi que dans l’industrie de la pêche, avec 60 417 personnes ;

– camp du ministère de la sécurité intérieure en Sibérie, avec la mise en place de la ligne de chemins de fer du mont Shorskaya, de mines de charbon dans le bassin de Kuznetsk, de routes à Usinovski et Chuiski, de soutien au complexe sidérurgique de Kuznetsk et à l’industrie forestière de Novosibirsk, avec 61 251 personnes ;

– camp du ministère de la sécurité intérieure en Asie centrale, avec le soutien à l’industrie textile, aux zones de Chirschikstroi et Shakhtrdskoi, à la construction du canal de Khazarbak, à la ferme d’État de Pakhta – Aral, à des fermes de coton, au Chuisk Novlubtrest, avec 26 829 personnes ;

– camp du ministère de la sécurité intérieure de la ville de Karaganda au Kazakhstan dans le secteur de l’élevage, avec 25 109 personnes ;

– camp du ministère de la sécurité intérieure de Prorvinsk, pour l’industie de la pêche, avec 10 583 personnes ;

– camp du ministère de la sécurité intérieure de Sarovski, pour l’industrie du bois, avec 3 337 personnes ;

– camp de l’île de Vaigach (plomb, fluor, zinc), avec 1209 personnes ;

– Sevvostlag dans la région de la Kolyma, pour principalement des gisements miniers, avec 722 personnes.

Il manque dans la liste 90 000 prisonniers non comptabilisés, en fait inemployés car malades, mais socialement trop dangereux pour être libérés.

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La mise en place de la GOULag face aux éléments anti-sociaux

La mise en place d’un régime est marquée par deux étapes et c’est cela qui définit le caractère pénal qui prime.

On a, tout d’abord, la période de la prise du pouvoir, avec un affrontement entre révolution et contre-révolution. On a ensuite un régime installé, toujours plus solidement structuré, mais faisant face à des éléments anti-sociaux, consistant en d’anciens irréductibles ou bien en des formes nouvelles issues de la lutte des classes dans le cadre de la construction du socialisme.

Initialement, il y eut à la suite de la révolution de Février 1917 une Direction générale des lieux de détention (GUMZ), avec des inspections pénitentiaires locales.

Cet organisme fut ensuite remplacé en 1918 par le Département pénal central (TsKO), dans le prolongement de la révolution d’Octobre 1917.

La terrible situation économique amena ces prisons à tenter de se diriger vers des activités économiques afin de parvenir à l’auto-suffisance, l’État central n’étant pas encore en mesure de fournir un soutien matériel suffisant à cette administration.

Les évasions étaient nombreuses, il y avait un manque de fonds de roulement, de distribution de ce qui était nécessaire en alimentation et d’équipement, etc.

Pour cette raison, ce fut un échec et il n’était nullement possible de faire confiance à de telles prisons. Avec la guerre civile, des camps naquirent également pour regrouper les éléments anti-sociaux liés directement ou indirectement à la contre-révolution. Il faut ajouter à cela les prisonniers de guerre, au nombre de 2,2 millions de personnes en 1918.

Tout ce système passa sous le contrôle du Commissariat au peuple à la justice, alors qu’en automne 1918, la Commission extraordinaire du gouvernement s’occupa d’un nouveau type de prisons et de camps, d’un niveau de sécurité plus élevée.

On trouve dans ce cadre une nouvelle administration spécifique se surajoutant, du nom d’OPR puis de GUPR – la section puis administration centrale pour les travaux forcés, département du NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures).

En 1920, le Commissariat au peuple à la justice s’occupait de 47 863 détenus, la GUPR de 25 336 ; en 1921 les chiffres étaient de respectivement 55 122 et 51 158 (dont 24 400 prisonniers de guerre).

Le travail devint une norme, afin de parvenir à faire face aux besoins économiques dans une situation de crise totale. Dans les prisons dont s’occupait la GUPR, le taux de détenus travaillant fut de 2 % en 1920, 55 % en 1921, 70% en 1922 (et au même moment de 35 % pour les prisons dépendant du Commissariat au peuple à la justice).

Il y avait le choix de faire basculer l’ensemble vers l’une des deux structures, mais le Commissariat au peuple à la justice ne parvenait pas à gérer ; rien que pour l’été 1922, un dixième des détenus parvint à s’évader. Début juillet, il fut décidé de forcer les choses et de lui faire endosser l’ensemble des responsabilités pénitentiaires, mais à la fin du mois la tendance fut renversée.

La Direction principale des lieux de détention (GUMZ) en tant que département du NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures) s’occupa alors de l’ensemble des prisons et des camps, qui rassemblaient à ce moment-là 80 000 détenus.

Dans la foulée furent démantelés en 1923 les camps de travaux forcés et les camps de concentration formés durant la guerre civile, mais l’OGPU – la Direction politique unifiée d’État – conservait ses propres lieux de détention, concernant environ 10 % des prisonniers.

Il y eut ainsi deux systèmes pénitentiaires : celui des affaires intérieures, celui de l’OGPU chargé de liquider la contre-révolution. Il y avait dans ce cadre notamment le SLON, Severnye lagueria ossobovo naznatchenia, camp du Nord à destination spéciale, dans les Îles Solovki, qui fut la première expérience réelle d’un camp organisé avec en vue l’autosuffisance et la rééducation des prisonniers.

Du côté de l’OGPU, le nombre de prisonniers était d’un peu plus de 20 000, alors que la GUMZ du NKVD, pour la Russie soviétique qui regroupe 60 % de la population, s’occupait de 77 784 personnes en 1924, 122 665 en 1926, 51 000 personnes étant libérées à l’occasion de l’amnistie pour les dix ans d’Octobre 1917.

Les lieux de détention étaient relativement de petite taille, couramment entre 100 et 600 personnes, au grand maximum 2000 personnes. Il y a également des lieux pour des petits groupes, telles les maisons de correction, des colonies pour le travail, etc.

Le travail forcé concernait alors 15 % des prisonniers, s’appuyant principalement sur la résolution Sur l’utilisation des prisonniers dans l’exploitation forestière, prise en 1926 pris par le Conseil économique suprême de la Russie soviétique.

Cela signifiait cependant qu’il y avait un double système, une séparation entre d’un côté ce qui relevait des éléments anti-sociaux propres à la société connaissant une modification radicale de ses fondements et de l’autre des activistes politiques contre-révolutionnaires au sens strict.

Or, une telle perspective n’a plus de sens une fois que le régime est mis en place. Les éléments contre-révolutionnaires sont, par définition, des éléments anti-sociaux, et inversement.

La distinction existe bien entendu, mais elle devient secondaire par rapport à la réalité principale qu’est la société soviétique. Il y a cette dernière, et un secteur tout à fait à l’écart, marginal, portant des comportements, attitudes, activités anti-sociales.

Pour cette raison, la manière de gérer les détenus se modifia et la stricte séparation tomba d’elle-même. À partir de 1928 il fut considéré que les prisons devaient aller à l’autosuffisance, avec à l’arrière-plan la question de la rééducation par le travail, et il y a une montée en puissance du travail forcé, qui concernait à partir de la fin 1929 la majorité des prisonniers, alors qu’on passa en 1930 à un nombre de 179 000 détenus.

Cette perspective fut formulée par le Conseil des commissaires du peuple dans sa résolution au milieu de l’année 1929 Sur l’utilisation du travail des détenus criminels. La GUMZ du NKVD devait s’occuper des prisonniers avec au maximum une condamnation à trois ans de prison et former des Camp de travail pénitentiaire (ITL).

Le reste des détenus passait sous la responsabilité de l’OGPU pour aider à la mise en œuvre de projets contribuant au plan quinquennal. L’organisme de l’OGPU s’occupant de ces grands projets, en 1930, ce fut la Glavnoïé oupravlénié laguéreï, Administration principale des camps, dont l’acronyme est en russe GOULag.

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