Derrière les barreaux

Publié en 1929 dans la revue de social-démocratie autrichienne Kuckuck

Peu importe que les prisons soient faites de bâtiments en murs ou de barreaux de fer, les deux signifient une limitation spatiale, l’esclavage de la volonté, également pour l’animal, qui est né en liberté et lutte pour elle.

Les animaux sont des créatures du moment. Ils ne vivent pas consciemment le futur, ils sont liés au présent. Aux crises de colère lorsque les vœux ne sont pas satisfaits succède une profonde tristesse, que rien ne peut initialement influencer.

Rarement le moment psychique est plus fort que le sentiment de faim physiologique. La volonté de vivre repousse l’absence de liberté corporelle et spirituelle.

La prise de nourriture, c’est-à-dire l’apparition du surveillant, devient le contenu de la vie, ce qui s’est déroulé disparaît dans le subconscient de l’intellect animal.

Des gâteries, comme un morceau de sucre, un pauvre navet ou une banane, doivent aider à dépasser beaucoup de chose.

Derrière les barreaux, ils sont tous logés à la même enseigne. L’hippopotame et l’ours polaire ont oublié leur force, les grands singes leurs forêts, les girafes leurs steppes, l’oiseau merveilleux qu’est le Bec-en-sabot du Nil son pays d’origine, les sources du Nil.

Tous deviennent un concept, un numéro dans le catalogue du zoo – un pauvre prisonnier, à qui on a volé la liberté, qu’on a dénaturé, qui a perdu son moi derrière les barreaux.

Totalement triste au zoo de Schönbrunn
Mères
Les animaux te regardent
« On reconnaît comment les animaux sont si humains
« 

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L’austro-marxiste Otto Bauer et le socialisme intégral

En exil, Otto Bauer tenta de reformuler l’approche de la social-démocratie autrichienne. Il se rapprocha très clairement des positions soviétiques, qu’il ne voyait définitivement plus comme un Etat dominé par une petite clique bureaucratique formant un nouveau capitalisme, mais comme un authentique pays socialiste, une référence incontournable pour tout révolutionnaire.

C’était déjà parfaitement lisible dans la démarche du Parti Ouvrier Social-Démocrate depuis le milieu des années 1920.

Il théorisa alors ce qu’il appela le socialisme intégral, c’est-à-dire la réunification de la social-démocratie et du mouvement communiste, sur une base nouvelle unifiant le meilleur des deux approches.

L’approche d’Otto Bauer tangue entre un véritable saut qualitatif et une approche qu’on a pu voir dans les années 1936-1938 en Espagne ou après 1945 dans les démocraties populaires, et une régression à un dénominateur commun aux contours mal définis et relevant d’un réformisme de gauche.

Voici comment il formule son point de vue, en 1936, dans Entre deux guerres mondiales? La crise de l’économie mondiale, de la démocratie et du socialisme.

« Ce développement du capitalisme à un niveau sans pareil de développement technique, social et culturel a été l’un des résultats les plus importants de la démocratie.

Cela n’a cependant pas été l’œuvre des capitalistes ; c’était le résultat des luttes de classes que la classe ouvrière a mené pour et dans la démocratie.

Mais le résultat de ces luttes a renforcé le capitalisme (…). Le capitalisme a rendu soumis les forces naturelles de l’être humain, il a multiplié les forces productives du travail, il a rendu l’humanité incomparablement plus riche qu’elle ne l’a jamais été.

Avec son développement technique, main dans la main avec le développement des sciences naturelles, de la médecine, de l’hygiène, il a accompli des performances qui seront l’héritage précieux de chaque ordre social futur.

Mais tout ce développement s’est accompli sous la domination du capital (…). De caractère tout aussi ambigu est la démocratie bourgeoisie (…). Tout ce fructueux développement de la démocratie s’est accompli sur le terrain de l’ordre social capitaliste et pour cette raison sous la domination du capital (…).

La démocratie bourgeoise a été le plus grand triomphe du capitalisme (…). La guerre a été le plus grand triomphe de la démocratie bourgeoise (…).

Depuis l’effondrement de la social-démocratie allemande, le Labour Party anglais, le parti bolchevique russe et le parti socialiste de France sont les trois partis les plus puissants du mouvement ouvrier socialiste dans le monde.

Le Labour Party est la plus pure incarnation du réformisme. Le parti bolchevique russe est la direction du communisme révolutionnaire. Le parti socialiste français se situe entre les deux (…).

Dans l’idéologie du parti socialiste français, il y a indubitablement des éléments importants et prometteurs pour le développement d’une conception qui s’élève au-dessus de l’opposition entre réformisme et bolchevisme.

Des éléments semblables se retrouvent dans les partis socialistes des pays fascistes. Les cadres sont issus des partis démocratiques réformistes de masses, vaincus et démantelés. Mais la défaite de ces partis les a rendu révolutionnaires, la terreur fasciste les a contraints à la lutte révolutionnaire.

En eux se rejoignent les traditions de la phase réformiste démocratique et les nouvelles méthodes et perspectives révolutionnaires.

Enfin, il y a entre les deux Internationales de petits groupes résultat les uns de scissions à gauche de la social-démocratie, les autres de scissions à droite de l’Internationale Communiste. Ils cherchent aussi à élaborer une conception dépassant les dogmes figés des grands camps dans le socialisme international.

La tâche, c’est de développer ces multiples éléments unificateurs de la théorie et de la politique socialistes, d’intégrer ce que la guerre mondiale avait divisé.

J’appelle socialisme intégral cette conception unifiée qui doit surmonter la scission du prolétariat mondial (…).

D’un côté, nous avons les grands mouvements ouvriers de masses : le Labour Party anglais, les partis et les syndicats sociaux-démocrates des pays scandinaves, de Belgique, des Pays-Bas, avec leurs succès, les syndicats des États-Unis, les partis ouvriers d’Australie – tous ces grands mouvements de masse sont démocratiques et réformistes.

De l’autre côté, nous avons la lutte consciente pour une société socialiste qui se réalise en URSS, dont l’influence domine les cadres socialistes révolutionnaires des pays fascistes, se fait sentir dans les mouvements socialistes de masses en France et en Espagne et aussi dans le mouvement révolutionnaire d’Extrême-Orient.

Les rapports entre le mouvement réformiste de classe et le socialisme conscient, tel est le problème dont il faut partir pour élaborer un socialisme intégral (…).

La scission de la classe ouvrière, provoquée par la guerre mondiale et par l’évolution opposée de la révolution russe et des révolutions d’Europe centrale [Hongrie, Allemagne], a dressé le mouvement ouvrier réformiste et le socialisme révolutionnaire face à face, comme deux pôles opposés.

La classe ouvrière a fait l’expérience des conséquences catastrophiques de cette scission. Le fascisme et le danger de guerre poussent les deux camps à surmonter cette hostilité (…).

Le réformisme n’est pas une idéologie bourgeoise, ce n’est pas « l’asservissement idéologique des ouvriers à la bourgeoisie ». C’est l’idéologie de la classe ouvrière à une étape déterminée de son développement.

Le marxiste qui a compris que l’idéologie et la tactique réformistes sont la phase nécessaire et inévitable du développement de la classe conscience de classe prolétarienne dans des conditions déterminées, à une étape déterminée de son développement, ne peut pas croire qu’il pourrait surmonter l’idéologie réformiste des masses, la tactique réformiste des partis de masses, tant que les conditions mêmes qui ont donné naissance à cette idéologie et auxquelles répond cette tactique ne sont pas surmontées (…).

Il [Le marxisme] doit faire comprendre aux masses que seule une dictature temporaire du prolétariat peut détruire définitivement la puissance économique et idéologique de la bourgeoisie capitaliste, pour rétablir la démocratie à un plus haut niveau, dans une forme plus accomplie, sur la base d’une nouvel ordre social et garantir ainsi à l’humanité les grandes conquêtes de la civilisation bourgeoise comme des biens inaliénables.

Dans cette conception de l’histoire, il doit unir l’ethos du socialisme démocratique et le pathos du socialisme révolutionnaire (…).

Il faut avant tout mettre le fait le plus important de l’histoire d’après-guerre au centre de la conception de l’histoire qu’il s’agit de transmettre à la classe ouvrière, et ce fait c’est le développement triomphal du socialisme en URSS.

Il faut combattre les préjugés petits-bourgeois et d’un démocratisme vulgaire à l’égard de l’URSS, qui continuent à sévir au sein du socialisme réformiste. Il faut apprendre aux masses ouvrières que dirigent les partis ouvriers réformistes à reconnaître qu’en URSS se développe au rythme le plus puissant et le plus rapide un ordre socialiste prouvant la supériorité du socialisme sur le capitalisme.

Il faut se servir de tous les succès remportés en URSS pour la propagande en faveur de la société socialiste (…).

En un temps où la classe ouvrière des pays capitalistes a subi les plus graves défaites et voit peser sur elle les plus graves menaces, le marxisme révolutionnaire doit insuffler aux masses la foi dans les idées socialistes, la confiance dans leurs propres forces, l’espoir en leur émancipation en leur montrant que là-bas, dans le vaste territoire qui va de la Baltique et de le mer Noire au Pacifique, une société socialiste est en voie de réalisation.

Là-bas se développe une grande puissance socialiste, votre alliée, avec laquelle vous, les travailleurs du monde entier, vous abattrez le capitalisme, vous réaliserez la société socialiste, vous surmonterez les frontières nationales pour édifier la future fédération internationale des Etats socialistes ! (…)

Le processus de transformation de la société capitaliste en société socialiste qui s’accomplit en URSS ne sera achevé que lorsque la dictature, seule capable de mettre et de maintenir en mouvement ce processus, sera éliminée et remplacée par une démocratie socialiste qui rendre les masses populaires elles-mêmes maîtresses de leur travail, de leur vie, de leur civilisation sur la base des droits individuels restaurés, de la liberté intellectuelle totale, de l’autodétermination collective directe. »

Otto Bauer décéda en juillet 1938. Après 1945, le Parti Socialiste d’Autriche ne fut formé que dans un sens résolument pro-américain et liquida entièrement tout ce qui avait un rapport avec lui. Le Parti Communiste d’Autriche ne comprit rien à cela ni au patrimoine ouvrier des années 1920 et 1930 et resta entièrement marginalisé.

La résolution de 44 cadres socialistes prônant une indépendance par rapport aux Etats-Unis et soutenant en pratique la ligne d’Otto Bauer fut écrasée, son existence même passée sous silence. Même la Jeunesse Socialiste, qui avait soutenu la résolution, n’osa jamais la mentionner nulle part.

Le Parti Socialiste ne parla absolument jamais de l’austro-marxisme, ne publia aucun ouvrage à ce sujet. Le secrétaire Adolf Schärf refusa une proposition d’étudiants d’installer un buste de Max Adler dans l’université de Vienne au motif que celui-ci aurait été pour la dictature du prolétariat.

Les œuvres choisies d’Otto Bauer ne furent publiés qu’en 1961, à quoi répondirent en quelque sorte les Souvenirs d’Adolf Schärf qui appelaient à la liquidation complète de tout ce qui avait trait à Otto Bauer, ce que Norbert Leser s’effectua à faire sur le plan théorique.

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Le 12 février 1934 vu par le Secours Rouge

DES POTENCES EN AUTRICHE

L’héroïque Insurrection du prolétariat autrichien

par Herta Müllerpublié par le Secours Rouge en 1934 

«Le Paris des ouvriers de 1871, le Paris de la Commune sera à jamais célébré comme l’avant-coureur glorieux d’une société nouvelle. La mémoire de ses martyres vivra comme en un sanctuaire, dans le grand coeur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l’histoire les a déjà cloués à un pi lori éternel, et toutes les prières de leurs traîtres n’arriveront pas à les racheter.»(MARX: La guerre civile en France.) 

Comme les communards du Paris de 1871, les héros de l’insurrection autrichienne vivent, eux aussi, dans le grand coeur du prolétariat, qui dans tous les pays du capitalisme mène le combat contre le fascisme. Les ouvriers autrichiens ont livré une bataille d’une grandeur gigantesque et ont écrit de leur sang une page glorieuse de l’histoire. La formidable insurrection du mois de février a été la première insurrection armée contre le fascisme. Ces luttes héroïques de la petite Autriche ont tenu pendant six jours et six nuits le monde en haleine.

La bourgeoisie a tremblé devant la force formidable de la classe ouvrière. Elle a tremblé pour son système capitaliste pourri, pour son édifice banqueroutier, qui ne saurait s’appuyer que sur la pointe des baïonnettes. Et elle n’a eu qu’un avant-goût de ce que les ouvriers sont capables lorsqu’ils s’engagent sur la voie de la lutte révolutionnaire !

Les masses travailleuses du monde entier – les ouvriers, les masses travailleuses opprimées, les esclaves coloniaux – ont tourné un regard plein d’espérance vers l’Autriche; elles ont suivi avec la sympathie et l’enthousiasme le plus grand l’héroïque combat des ouvriers autrichiens. Cette insurrection leur a clairement démontré que la victoire finale des masses opprimées sur le fascisme est certaine.

L’arme à la main, des ouvriers social-démocrates ont pris place dans les rangs de la lutte contre les attaques du fascisme. Comment cela est-il arrivé ? Un coup d’oeil en arrière sur le développement des événements en Autriche nous l’expliquera.

En 1918, la monarchie a été renversée en Autriche. Certes, les ouvriers n’entendaient pas seulement renverser la monarchie, mais avec elle tout le régime capitaliste. Ils avaient devant eux, comme un exemple lumineux, la Révolution victorieuse d’Octobre du prolétariat russe.

Le Parti social-démocrate autrichien était grand et puissant. Mais il utilisa sa force pour secourir la bourgeoisie, pour l’aider à édifier sa « République démocratique ».

« Nous ne voulons pas de guerre civile », disaient les « gauches » Friedrich Adler et Otto Bauer. Nous progresserons par la démocratie vers le socialisme, et cela sans sacrifices. » Lorsque des ouvriers exigeaient, malgré cela la lutte révolutionnaire, les chefs social-démocrates s’exclamaient: « L’Entente affamerait une Autriche soviétique. » Comment s’est traduit, en réalité, cette « fuite devant la famine » ?

On compte, chaque année, en Autriche, une moyenne de 3.000 suicides, par suite de la famine et la détresse; ce sont donc environ 45.000 personnes que la famine a poussé à la mort au cours des quinze dernières années.

Les chefs social-démocrates se sont engagés sur le chemin de « l’édification » de la République autrichienne, et le 15 juin 1919 la police du ministre social-démocrate de l’intérieur Eldersch a tué dix-sept ouvriers social-démocrates et communistes, au cours d’une manifestation de sympathie envers la Hongrie soviétique.

Les chefs social-démocrates ont maintes fois répété à la bourgeoisie qu’ils représentaient la seule force capable de sauvegarder l’Autriche du bolchévisme. On peut reconnaître qu’au moins, en cette circonstance, ils ont dit l’exacte vérité.

C’est grâce à cette politique que, petit à petit, la bourgeoisie a pu grouper ses forces, renforcer ses rangs et passer à l’offensive contre la classe ouvrière.

L’offensive contre les salaires s’en est suivie. Le chômage a éclaté et expulsé en quelques années des centaines de millier d’ouvriers du processus de la production. La paupérisation des masses travailleuses a fait des progrès et les gouvernements successifs ont renforcé l’offensive contre les ouvriers, cependant que parallèlement la bourgeoisie créait ses organisations armées et les faisait s’exercer à l’assassinat d’ouvriers.

La justice autrichienne a régulièrement acquitté tous ces assassins d’ouvriers. Les ouvriers autrichiens voulaient venger leurs camarades; ils voulaient lutter et vaincre la réaction. Mais ils se heurtaient, là encore, à la résistance des chefs social-démocrates qui défendaient la bourgeoisie et retenaient les ouvriers de la lutte.

En rappelant leurs grandes victoires aux élections parlementaires, les chefs social-démocrates proclamaient que « personne ne saurait battre cette armée de la classe ouvrière autrichienne ». Jusqu’en 1931, la social-démocratie comptait dans un pays de 6 millions 1/2 d’habitants, 750.000 membres; presque un habitant adulte sur trois était organisé dans la social-démocratie ! Les Syndicats réformistes comptaient 850.000 membres.

Dans les villes industrielles, ils avaient derrière eux presque les deux tiers de la population. Le nombre des voix réunies aux élections parlementaires s’était accru sans cesse, et Otto Bauer affirma, avec beaucoup de pédantisme, que son parti est parvenu à grouper 42,8 % de toutes les voix exprimées, et qu’il ne lui manquait que 8,2 % de voix, au Parlement, pour instaurer le socialisme au pouvoir.

Des phrases semblables, qui ont semé des illusions parlementaires dans les rangs du prolétariat, ont eux aussi le don d’augmenter fortement, au sein de la classe ouvrière autrichienne, la conscience de sa force. Ceci est apparu avec évidence au cours de

L’INSURRECTION DU 15 JUILLET 1927

qui éclata spontanément comme réplique à l’acquittement de quatre assassins d’ouvriers: Tous les efforts des chefs social-démocrates ne parvinrent pas à retenir les ouvriers de la lutte. Bien que Julius Deutsch, en sa qualité de commandant suprême du Schutzbund, ait pris, devant la police, la responsabilité du maintien de l’ordre, les ouvriers le troublèrent de fond en comble. En guise de réponse à la criminelle justice de classe, ils mirent le feu au Palais de Justice et luttèrent héroïquement contre la police qui tira sur les ouvriers. Mais, comme les chefs social-démocrates avaient laissé les ouvriers sans armes, la police put, en deux journées, en fusiller quatre-vingt-dix.

A la grande conférence des hommes de confiance de la social-démocratie viennoise, conférence qui eut lieu trois jours après l’insurrection, Otto Bauer déclara que des larmes lui venaient aux yeux lorsque de vieux camarades s’adressaient à lui, au Parlement, et le prient de leur donner des armes, « car la police était en train de les massacrer ». Otto Bauer dut leur refuser ces armes, car « les armes entre les mains des ouvriers signifient la guerre civile ». Pour lui, l’assassinat de quatre-vingt-dix ouvriers n’était pas la guerre civile, mais le « maintien de l’ordre et de la légalité ».

Le 15 juillet fut un moment décisif dans le développement des événements d’Autriche: après que la bourgeoisie fut parvenue à écraser l’insurrection, elle commença à développer et surtout à armer ses organisations fascistes, les Heimwehren avant tout. Celles-ci commencèrent aussitôt à s’exercer dans les provocations contre la classe ouvrière.

Les ouvriers voulaient aussi combattre contre ces provocations et combattirent effectivement en plusieurs occasions dans un front unique avec les communistes, mais les chefs social-démocrates parvinrent, grâce à de nouvelles phrases révolutionnaires, à empêcher ou à étouffer ces luttes. Ce furent surtout les membres du Schutzbund qui firent sans cesse front aux provocations des Heimwehren.

QU’EST-CE LE SCHUTZBUND ?

Le Schutzbund est une organisation d’auto-défense ouvrière. Des ouvriers communistes et sans parti en firent partie auparavant, mais la direction se trouve toujours entre les mains des social-démocrates. A sa tête étaient placés – Julius Deutsch (qui prit la fuite avec Otto Bauer), l’ancien général Koerner, le major Eifler et d’autres. Les membres du Schutzbund recevaient une instruction militaire.

Une grande partie de ses membres étaient des ouvriers révolutionnaires animés d’un esprit de combat. Au lendemain du 15 juillet 1927, le mécontentement se fit jour dans les rangs du Schutzbund. Les chefs social-démocrates répondirent par l’exclusion des ouvriers révolutionnaires et communistes des rangs du Schutzbund, et par une « réorganisation » destinée à en faire une organisation purement social-democrate.

Toutes les fois que les Heimwehren entreprirent des manifestations provocatrices, on « mobilisa » le Schutzbund, mais les membres étaient consignés aux sièges et dans les clubs, et y attendaient « mobilisés » jusqu’à ce que le dernier fascistes des Heimwehren eût quitté la rue.

Ces éternelles manoeuvres de diversion provoquèrent un mécontentement de plus en plus grand et une radicalisation des ouvriers du Schutzbund. Le mécontentement était devenu si grand qu’aucune phrase de « gauche » et aucune démagogie ne servait plus à rien. Leur radicalisation rapide les mena à l’insurrection armée de février.

Si le Schutzbund était l’orgueil militaire de la social-démocratie,

LES MAISONS D’HABITATION MUNICIPALES

étaient l’orgueil administratif. Les plus grands bâtiments de ce genre se trouvent dans les quartiers prolétariens. Le Karl Marx Hof est une des plus grandes bâtisses. Construction moderne et pratique, d’une présentation très imposante (les logements le sont certes moins !), elle s’étend sur une perspective formidable et compte environ 5.000 logements, ce qui signifie que 10.000 personnes environ y sont logées.

Le Sandleiten, dans le quartier d’Ottakring, est un bâtiment presque aussi grand – une des dernières constructions de la municipalité de Vienne. Un peu moins central, ce bâtiment figure avec son cinéma, ses squares, ses salles de clubs, etc., presque une ville à lui seul.

Les maisons municipales abritaient surtout des ouvriers. des employés, des traminots social-démocrates.

Ce n’était, d’ailleurs, pas très facile d’obtenir un logement dans une maison municipale. Il suffisait d’être connu comme communiste ou comme ouvrier révolutionnaire pour que, bien qu’inscrit régulièrement et depuis plusieurs années à l’Office des logements de la ville de Vienne, l’on n’obtienne pas son logement, un logement pourtant construit avec l’argent des contribuables, qui n’étaient autres que les ouvriers communistes ou social-démocrates, chômeurs ou non-chômeurs.

Les ouvriers qui, il y a plusieurs années, y avaient emménagé comme de braves social-démocrates, ont été cependant amenés sur le chemin de la lutte révolutionnaire par l’aggravation de la crise et par la trahison de leurs chefs. Ces braves social-démocrates sont devenus de plus en plus des ouvriers conscients, lecteurs des nouveaux journaux de maisons que les organisations révolutionnaires éditaient et diffusaient largement dans ces fiefs social-démocrates.

La radicalisation des ouvriers a été la prémice de leur héroïque lutte armée pour la défense de ces maisons.

L’AVENEMENT DE LA DICTATURE DOLLFUSS

La crise économique s’est fortement aggravée; elle s’est emparée de l’Autriche, bien avant que de sévir dans les autres pays, et s’est accrue en 1933. Sur les 1.200.000 ouvriers que compte l’Autriche, l’armée des sans-travail se chiffre à 500.000. Des centaines de milliers d’ouvriers n’ont pas travaillé depuis des années. Le chômage partiel est dans beaucoup de branches de production, un phénomène endémique. Des régions industriels ressemblent à des cimetières. Dans beaucoup de localités ouvrières, la majorité des habitants est sans travail.

Les salaires et les allocations de chômage ont été diminués. Des centaines de milliers de sans-travail ont été volés de leurs allocations; la famine et la détresse sévissaient à travers le pays. Aussi, la révolte et la radicalisation des ouvriers ont-elles augmenté sans cesse, tandis que la bourgeoisie recourait à des attaques incessantes contre le niveau de vie des travailleurs.

Dans cette situation, l’avènement de la dictature sanglante hitlérienne en Allemagne, qui a ranimé la réaction dans tous les pays, a été ressenti avant tout dans l’Autriche voisine. Le chancelier fédéral Dollfuss a profité d’une grève de deux heures des cheminots d’Autriche, le jour du 1er mars 1933, pour écarter le Parlement – cette coquille de la dictature de la bourgeoisie – et pour instaurer la dictature ouverte.

A l’aide de décrets-lois, le droit de grève et de réunion a été supprimé, la presse prolétarienne interdite, les cours d’assises supprimées; le Parti communiste, le Secours Rouge, les Amis de l’U.R.S.S., l’Association des Libres-Penseurs, le Schutzbund et d’autres organisations prolétariennes interdites et leurs biens confisqués. Les prisons se sont remplies d’ouvriers révolutionnaires. Les cours martiales et la peine de mort ont été introduites.

En attendant, la situation politique de l’Autriche, tant intérieure qu’extérieure, s’est aggravée. Vu sa situation géographique, l’Autriche est d’une grande importance pour les intérêts impérialistes de plusieurs pays, et surtout pour ceux de la France, de l’Italie et de l’Allemagne. Elle constitue le pont entre les Balkans et l’Europe centrale. Elle se trouve entre les deux Etats fascistes alliés: l’Italie et la Hongrie.

L’avènement du national-socialisme au pouvoir en Allemagne a fait de l’Autriche le foyer central des contradictions impérialistes. Le programme du national-socialisme allemand, qui prévoyait le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne (Anschluss), a inquiété les puissances de Versailles.

Une lutte acharnée a commencé autour des sphères d’influence en Autriche et en Europe du Sud-Est. Sous le mot d’ordre de « l’indépendance de l’Autriche », Dollfuss a groupé les forces fascistes dans le « front patriotique », qui se trouve, certes, en contradiction avec les nationaux-socialistes autrichiens, mais qui, dès le début, a dirigé son feu contre la classe ouvrière.

L’aggravation des contradictions entre les nationaux-socialistes autrichiens, le Reich allemand et le gouvernement Dollfuss a contraint ce dernier à essayer sans cesse d’obtenir avec l’Allemagne un accord qui permit la concentration de toutes les forces fascistes, y compris celles des nazis autrichiens, contre les masses travailleuses, et qui favorisât l’instauration d’un régime ouvert de terreur sanglante. Mais la radicalisation de la classe ouvrière, les progrès de la paupérisation des masses travailleuses, l’aggravation de la crise économique en Autriche ont augmenté encore l’impatience de la bourgeoisie autrichienne, qui a passé directement à l’attaque décisive contre les masses travailleuses.

Le Parti social-démocrate autrichien s’était mis sous la protection de l’impérialisme français, dont il était le principal agent en Autriche. Le ministre de France rappela à Dollfuss l’accord – devenu public à cette occasion – conclu entre les gouvernements français et autrichien, et en vertu duquel aucune mesure décisive ne devait être prise contre le Parti social-démocrate autrichien sans l’accord préalable du gouvernement français.

Dollfuss répondit qu’il n’est plus à même de tenir cette promesse.Le 30 janvier 1934, les troupes armées des Heimwehren occupèrent Innsbruck (capitale du Tyrol) et s’emparèrent de tous les leviers de commande de l’appareil d’Etat. Au cours du développement ultérieur de cette action des Heimwehren, ceux-ci exigèrent l’interdiction du Parti social-démocrate.

Le 7 février, les Heimwehren répétèrent, dans la Haute Autriche, l’action qu’ils avaient entreprise dans le Tyrol. Les troupes des Heimwehren occupèrent la banlieue de Linz, alors que tous les Heimwehren fascistes étaient mobilisés dans l’ensemble de la Haute-Autriche, ils pénétrèrent dans Linz et mirent les mitrailleuses en batterie contre les ouvriers. Dans la Basse-Autriche, on retira à vingt et un maires social-démrocrates les fonctions de police.

Et, cependant, même au coeur de cette situation tragique, les chefs social-démocrates tâchèrent toujours de faire croire aux ouvriers que tout s’arrangerait sans recours à la violence. Dans un discours prononcé au Conseil municipal de Vienne, le maire social-démocrate Seitz déclarait, en effet:

« Une ville comme notre Vienne, avec son histoire, sa culture, ne peut pas être administrée par la violence.
« C’est un non-sens pour la République autrichienne que de vouloir régler par la violence les divergences d’idées si profondes soient-elles. Cela contredit l’esprit et la mentalité de l’Allemand autrichien. Nous ne pouvons régler nos divergences que par des moyens pacifiques. »

Ainsi donc, c’est jusqu’à la dernière minute que les chefs social-démocrates – comme l’a déclaré Otto Bauer à Prague – entretinrent de telles négociations « pacifiques » avec le chancelier Dollfuss.

Et, pendant que Seitz prononçait ces paroles pacifiques, et que les chefs social-démocrates essayent de négocier, les Heimwehren poursuivaient à fond leurs actions armées contre les ouvriers, et les ouvriers se préparaient à la défense. C’est le même jour, dans une édition spéciale de son organe illégal, la « Rote Fahne », que le Parti communiste autrichien écrivait:

« Il y va de la vie et de l’existence des ouvriers. Ecrasez le fascisme avant qu’il ne vous écrase ! Cessez aussitôt le travail ! Faites grève ! Entraînez les usines voisines ! Elisez des comités d’action pour l’organisation de la lutte dans chaque entreprise ! Descendez dans la rue ! Désarmez les fascistes ! Donnez les armes aux ouvriers !

GREVE GENERALE

« A BAS LE GOUVERNEMENT DE BOURREAUX ! »

Ces mots d’ordre eurent un accueil enthousiaste. Le 10 février, le maire de Vienne et gouverneur de la province, Karl Seitz, fut à son tour privé des fonctions de police. Bien que les chefs social-démocrates aient tranquillement accueilli ce coup, les ouvriers se décidèrent au combat.

Lorsque cette nouvelle fut connue, les ouvriers de Vienne se mirent en grève. La circulation des tramways fut interrompue, et à midi la grève générale fut proclamée. Des luttes armées se déroulèrent à Steyr, à Graz, à Bruck, à Mur, à Atthang et dans d’autres localités.Le 12 février, à la suite des perquisitions qu’elle avait opérées chez les ouvriers à la recherche d’armes, la police tente de prendre d’assaut la Maison du Peuple de Linz, la capitale de la Haute-Autriche.

Les détachements du Schutzbund qui se trouvaient dans la maison opposèrent une résistance armée. On alerta des régiments de ligne et une lutte acharnée s’engagea, dont le bilan s’est chiffré par vingt ouvriers tués et un policier blessé.

A Vienne, des luttes éclatèrent dans les quartiers prolétariens. La guerre civile était en plein développement. Chaque attaque de la police contre les maisons municipales ou les Maisons du Peuple était repoussée par la lutte armée des ouvriers. 

Le gouvernement répondit par l’état de siège; sa presse déclencha une campagne de mensonges pour désagréger les masses ouvrières et pour semer la confusion dans les rangs de combattants. Le 13 février, la presse bourgeoise du matin lança en grosses lettres la nouvelle mensongère: « Le gouvernement est maître de la situation. » Le 14 février, les journaux de province écrivirent: « L’ordre le plus parfait règne à Vienne », alors qu’à son tour la presse viennoise écrivait: « L’ordre est rétabli dans la province ».

Mais, à la deuxième page de chacun de ces journaux, on pouvait trouver des nouvelles annonçant que les luttes continuaient, ou des appels dans lesquels le gouvernement conseillait aux mères de ne pas laisser leurs enfants dans la rue, ou bien encore des ordonnances annonçant la fermeture des écoles, des théâtres et des cinémas.

Le 14 février, le vice-chancelier Fey, ce bourreau de la classe ouvrière, déclara, au cours d’un discours radiodiffusé:

« Ce matin, on ne pouvait plus rien apercevoir de l’état de dépression que l’on pouvait remarquer dans la ville auparavant. La circulation des tramways est reprise, et il en est de même du travail dans toutes les entreprises. Les magasins ont rouvert leurs portes, et dès le matin des autos de livraison traversaient rapidement la ville en s’efforçant de rattraper ce qui a été raté hier et avant-hier. »

Et plus loin:

« Les mesures de barrage sont maintenues et les cours martiales sont introduites. Des combats continuent dans les quartiers ouvriers. »

Le nombre des cadavres augmentait sans cesse. C’était là l’ordre du gouvernement Dollfuss-Fey. La peur éprouvée par le gouvernement Dollfuss devant la lutte héroïque et la force formidable de la classe ouvrière l’obligea à recourir à d’autres moyens pour désagréger encore les rangs de la classe ouvrière, la démagogie et la fourberie venant à la rescousse des potences et des assassinats:

PAROLES PACIFIQUESLe 13 février, Fey disait dans la radio: 
« Au peuple d’Autriche ! 
« Ouvriers d’Autriche ! 
« Vous, qui aveuglés, vous vous trouvez encore de l’autre côté de la barricade, dites-vous bien que vous ne parviendrez à rien par la violence.(Cette violence dont M. Fey avait une si grande peur lorsqu’elle était celle des ouvriers, mais dont il se servit si férocement contre eux). Mais si vous vous ressaisissez, si vous abandonnez le fantôme marxiste, vous serez accueillis par nous comme des frères que vous étiez et que vous êtes encore, à condition que vous renonciez à votre couleur rouge. » 
Et plus loin:
« Au peuple d’Autriche ! 
« …Le gouvernement fédéral s’adresse, encore une fois, aux éléments trompés, en les avertissant de renoncer à leurs actions folles et de reprendre leur travail en toute tranquillité. » 
Le 14 février, un nouvel appel est adressé par le chancelier fédéral aux femmes pour qu’elles décident leurs maris à rentrer chez eux: 
« On pardonnera à tous ceux qui se soumettront. Celui qui, jusqu’au 15 février, à 11 heures du matin, aura livré les armes et aura cessé la lutte, ne sera pas puni ! 
« Ouvriers, – s’écria hypocritement Dollfuss dans la radio – vous êtes le sang de notre sang; nous ne voulons pas rogner les droits de la classe ouvrière ! » 
Le 15 février: 
« Appel aux ouvriers ! 
« Voulez-vous continuer à détruire les formidables richesses de l’économie nationale ? Vous ne saurez vivre qu’à condition que vive l’économie nationale. Réfléchissez, ouvriers d’Autriche, qui dans votre aveuglement vous trouvez encore de l’autre côté de la barricade. Le gouvernement dispose d’assez de gouvernement dispose d’assez de moyens de violence, et il en a fourni la preuve, – le coeur gros – mais c’était inévitable (!), il sait utiliser ces moyens de violence. Et si vous continuez la lutte nous la continuerons aussi jusqu’au bout si tragique qu’elle soit, et bien qu’elle ne puisse aboutir qu’à votre destruction. »
ACTES SANGLANTSLe 13 février, les journaux annoncent: 
« Cours martiales à Graz, Vingt-quatre membres du Schutzbund sont déférés à cette cour. Dans l’intérêt de l’ordre public, les débats. auront lieu à huis clos.

« La Cour martiale de Loeben (Haute-Styrie) est en pleine organisation et aura à s’occuper des affaires découlant de l’état de siège. »

Cours martiales dans le Burgenland.

Cours martiales à Vienne.

L’ouvrier Munichreiter, condamné à mort, est porté sur une civière à la potence !

L’ingénieur Weissel est pendu à Floridsdorf.

Le 14 février, les journaux annoncent: « La Cour martiale continue à siéger. Dix membres du Schutzbund y sont déférés. Douze membres du Schutzbund sont accusés de rébellion. D’autres ouvriers sont exécutés.
« Les potences sont dressées dans la cour des tribunaux de Vienne, de Saint-Poelten, de Steyr, de Graz, de Bruck et de Linz. »

Le 15 février, trois verdicts de mort sont prononcés contre des ouvriers de Heiligenstadt, qui avaient défendus le Karl-Marx-Hof.

Le procès intenté devant la Cour martiale de Saint-Poelten à l’ouvrier maçon Rauchenberger, âgé de vingt-six ans, et six autres co-inculpés, a dû être déplacé pour des raisons de sécurité d’une salle d’audiences se trouvant du côté rue, dans la grande salle des Cours d’assises.

Les potences sont déjà dressées dans la cour du tribunal. Rauchenberger a été exécuté.
Morauf est condamné à mort.

Un verdict de mort a été prononcé à Graz.

Un verdict de mort a été prononcé à Steyr.

En attendant, la lutte continua de faire rage. Pendant trois jours, les ouvriers restèrent maître du Karl-Marx-Hof. Des salves d’artillerie furent tirées, d’énormes bâtiments furent en maints endroits transformés en décombres. Lorsqu’on chassait les ouvriers d’une aile de la maison, ils se concentraient dans une autre, et ils continuaient la lutte.

A Sandleiten, les ouvriers empêchèrent à coups de mitrailleuse l’avance des troupes. Là encore, l’artillerie fut mise en fonction. Là encore, la lutte fit rage pendant trente-six heures sans interruption, et les ouvriers y défendirent héroïquement leurs maisons.

Plusieurs journées durant, Bruck-sur-Mur a été occupé par les ouvriers, et lorsque les ouvriers qui occupaient la gare, apprirent qu’un train blindé était envoyé contre eux, ils enlevèrent les rails.

Plusieurs ponts sur le Danube furent dynamités en province, et un pont de chemin de fer subit le même sort à Vienne. Le gouvernement employa les gaz et les avions de bombardement contre les ouvriers. Mais tout fut en vain, les ouvriers continuèrent leur lutte héroïque.

Toute l’armée, toute la police, la Gendarmerie et les Heimwehren fascistes était debout.

Les journaux écrivaient: « Les soldats et les agents de police luttent depuis trente-six heures sans un moment de répit. Ils ont leurs traits tirés et leurs figures sont pâles. La dépression règne parmi les hommes de la Heimwehr. »

Le gouvernement avait fait appel à des volontaires, mais cet appel à des assassins d’ouvriers ne fut entendu que par des anciens officiers déclassés de la guerre mondiale et par les gardes blancs habitant l’Autriche. Les masses ouvrières restèrent inébranlables dans leur héroïque défense, malgré la mobilisation par le gouvernement de toutes ses forces militaires. Leur fidélité à la lutte prolétarienne leur donna du courage, de la constance et de la force.

N’est-ce pas là, en effet, un exemple grandiose de fidélité de la classe ouvrière qu’après un bombardement d’artillerie, les soldats prenant d’assaut une maison n’aient pu y trouver que des morts et des blessés ?

Ou encore que les positions défendues à la mitrailleuse par le groupe féminin viennois d’Ottakring n’aient pu être conquises que lorsque toutes les femmes étaient à terre, fauchées par les balles ? Ne s’agit-il pas là de la même lignée de femmes combattantes que celles de la Commune de Paris, avec l’indomptable Louise Michel en tête ?

Et l’ingénieur Weissel ne passera-t-il pas dans l’histoire comme un héros prolétarien ? Lui, le social-démocrate d’opposition, commandant des pompiers, s’est rendu compte que son devoir n’était pas de lutter pour le gouvernement et contre les ouvriers, mais de combattre a coté des ouvriers, l’arme a la main, contre le fascisme assassin. Weissel avait confiance dans la social-démocratie; c’est pourquoi il resta dans leurs rangs. Mais, à la lueur des flammes de insurrection armée, il s’est rendu compte que le seul chemin vers l’affranchissement de l’esclavage capitaliste c’était le chemin révolutionnaire, et il proclama du haut de l’échafaud: « Vive l’Internationale communiste ! Vive l’Union soviétique ! »

L’insurrection de ces héros a été écrasée. La classe ouvrière était trop faible, parce qu’elle manquait d’une direction politique centrale révolutionnaire, parce que chaque maison combattait a son propre compte, parce que l’insurrection était menée dans un esprit défensif et non pas offensif. Les chefs social-démocrates ont laissé tomber les masses ouvrières et tandis qu’ils les livraient à la terreur de Dollfuss, le Parti communiste autrichien était trop faible pour s’emparer de la direction centrale du combat, bien qu’il ait toujours été la force entraînante.

La lutte héroïque a été écrasée et la bourgeoisie autrichienne a déclenché sa terreur sanglante. Comme Thiers et Galliffet s’étaient vengés en 1871 des communards, Dollfuss et Fey se sont vengés des barricadiers de Vienne de Linz, de Graz, de Steyr et des autres villes d’Autriche.

Les Cours martiales ont siégé sans arrêt jour et nuit. Des potences ont été dressées à travers le pays.

« Tous ceux qui ont combattu l’arme à la main seront pendus ! » a proclamé le chrétien M. Dollfuss. Aux milliers d’ouvriers tués pendant l’insurrection, chaque jour se sont ajoutées des victimes des potences. Des dizaines de milliers d’ouvriers languissent dans les prisons, des milliers ont été torturés jusqu’à l’infirmité; des milliers de veuves et d’orphelins sont dans la plus grande détresse.

Tous ces tristes résultats ont été obtenus par le gouvernement Dollfuss-Fey, par la mise en jeu de toutes leurs forces militaires, par la démolition et la dévastation de maisons et de quartiers ouvriers. Les phrases ronflantes de M. Fey, selon lesquelles le gouvernement était préparé à étouffer dans l’oeuf tout mouvement des ouvriers, avaient crevé comme de bulles de savon. Si le fascisme autrichien est parvenu à noyer l’insurrection dans le sang, la classe ouvrière a montré quand même sa force !

Le courage héroïque et la volonté de combat des ouvriers autrichiens ne sont pas brisés. Le fait que, même après l’écrasement de l’insurrection, les luttes armées ont continué dans les différents quartiers de Vienne entre les ouvriers d’une part, les fascistes et la police de l’autre; le fait qu’au cours de ces luttes les ouvriers ont mis debout de nouvelles forces imposantes est presque sans exemple dans l’histoire.

Après l’insurrection, les fascistes des Heimwehren croyaient pouvoir continuer tranquillement leurs attaques contre les logements ouvriers, mais ils se sont trompés dans leurs calculs. Lorsqu’ils ont voulu s’attaquer, dans le 5e et 19e arrondissement, à d’autres maisons ouvrières, ils furent accueillis par les ouvriers à coups de revolver et de grenades à main.

Dans le 5e arrondissement, la lutte continua pendant trois heures; la police et les Heimwehren y perdirent 15 morts et environ 50 blessés, tandis que les ouvriers quittaient leurs positions par des canaux souterrains.

Dans d’autres localités encore, les ouvriers s’opposèrent aux perquisitions pour recherche d’armes une résistance acharnée.

Lorsqu’après la grève les ouvriers retournèrent à leurs entreprises, ils firent des assemblée de protestation contre les arrestations et les verdicts de mort.

L’héroïsme du prolétariat autrichien, qui s’est exprimé avec tant de grandeur dans son soulèvement armé, est encore davantage souligné par ce nouveau combat et montre que la classe ouvrière autrichienne se prépare à de nouvelles luttes. C’est pourquoi la bourgeoisie autrichienne reste toujours sous l’emprise de la peur, même après l’écrasement de l’insurrection.

C’est là la raison de cette démagogie inouïe que mène le gouvernement Dollfuss. Il a organisé un enterrement commun des soldats, des policiers et des ouvriers tombés, afin d’empêcher des manifestations ouvrières. Le cardinal Innitzer, qui a béni les armes assassines des fascistes, – ce même monsieur, qui, au printemps 1933, avait organisé une soi-disante action de secours aux « affamés » de l’Union soviétique, dans le but de renforcer encore la campagne d’excitation contre l’U.R.S.S. – essaie de nouveau par une nouvelle « action de secours » aux familles des assassinés, de tromper les masses travailleuses.

La presse gouvernementale annonce qu’une action de secours est organisée sur l’initiative de ce cardinal, et sous la présidence de Mme la chancelière Dollfuss, « non seulement aux victimes du devoir, mais aussi aux victimes de l’excitation ».

« Les secours – dit M. Dollfuss – seront accordés individuellement. » Cela signifie que le gouvernement fasciste de Dollfuss entend exercer un contrôle précis sur les familles des assassinés pour pouvoir les poursuivre de sa haine. M. Dollfuss a pris en tutelle des enfants des ouvriers qu’il vient de tuer, afin d’amener ces enfants sous l’influence fasciste.

Mais les ouvriers et les travailleurs se détournent avec dégoût de la démagogie du gouvernement fasciste. Les femmes et les enfants n’acceptent pas les secours des mains des assassins de leurs maris et de leurs pères. Ces secours, ils les obtiendront – ils en ont la certitude de la part des masses travailleuses d’Autriche et du monde entier.

LE SECOURS ROUGE D’AUTRICHE A LA TETE DE L’OEUVRE DE SOLIDARITE

Le Secours Rouge d’Autriche, qui depuis le 20 mai 1933 continue son travail dans l’illégalité, était et reste à son poste. Dans le tract illégal qu’il a fait distribuer le 12 février, il disait:

« Dollfuss-Fey veulent étouffer les masses ouvrières dans le sang ! Des potences sont dressées dans tout le pays ! Répondez en développant la grève jusqu’à la grève générale !  écrasez le fascisme avant qu’il ne vous écrase…

…En attendant, l’état de siège a été décrété à Vienne et dans la Haute-Autriche. Les autres pays fédéraux suivront incessamment ! C’est la première fois depuis les journées sanglantes qui ont suivi l’écrasement de la révolution de 1848…

« …Le gouvernement des potences et des assassins annonce que celui qui n’obéira pas aux ordres de la police fasciste, qui sous un prétexte quelconque participera à des « attroupements », celui qui suscitera à de tels attroupements, etc., sera puni de la peine de mort par la procédure martiale…

« …Luttons pour la libération des héroïques défenseurs des maisons ouvrières de Linz et d’Innsbruck, et des autres prisonniers politiques prolétariens ! Arrêtez le bras des bourreaux, empêchez l’accomplissement des ignobles intentions criminelles du gouvernement ! Organisez la résistance à toute arrestation ! Vengez les journées sanglantes de Linz et d’Innsbruck ! Ne vous laissez intimider par qui que ce soit, même si vous tombez entre les mains de l’ennemi de classe; ne vous laissez intimider ni par les tortures, ni par les potences ! Pensez à l’exemple lumineux que nous a donné Dimitrov ! Rappeles-vous que nous n’oublions personne et que la solidarité prolétarienne vit !

C’est pourquoi nous ne devons oublier aucun de nos héroïques et meilleurs camarades emprisonnés ou destinés aux potences. Prenez aussitôt la défense de leurs familles, et surtout de leurs enfants ! Aucun d’eux ne doit souffrir de faim ! N’hésitez devant aucun moyen pour leur venir au secours !

« Membres du Secours Rouge, rejoignez les premières lignes de combat !« Comité Central du Secours Rouge. »

Dans un second tract illégal en date du 14 février, le Secours Rouge d’Autriche écrivait:

« Le gouvernement Dollfuss a déclaré la guerre au peuple travailleur d’Autriche… Le massacre des masses ouvrières est sans exemple dans l’histoire du monde. Des milliers d’ouvriers, femmes et enfants ont été froidement abattus à coups d’obusier ou de mitrailleuse. Une misère sans nom et une détresse sans bornes ont été semées dans des dizaines de milliers de foyers ouvriers.

Les criminels fascistes ont préparé de longue main ce plan assassin. Ils font croire au peuple que les ouvriers veulent un régime de chaos, alors qu’eux-mêmes sont incapables de mettre un terme à la famine et à la détresse des masses… Les cerbères ruisselant de sang mordent « de par la grâce de Dieu » et font bénir les canons avec lesquels ils massacrent leur propre peuple.

Les prolétaires qui ont défendu leur vie, ils les traînent devant les Cours martiales et essaient d’étrangler le cri du pain, du travail et de la liberté I

« Nous accusons !
« Nous nommons les assassins ! Les mains des Dollfuss, Fey, Starhemberg sont toutes poisseuses du sang des milliers d’honnêtes ouvriers !
« Leur conscience scélérate est chargée des crimes commis contre des femmes travailleuses et leurs enfants.
« Nous vous appelons au combat !
« Manifestez devant les prisons !
« Arrêtez le travail dans les entreprises ! Descendez dans la rue !
« Ouvriers, vous n’êtes pas vaincus !
« Ne vous laissez pas interdire par les fascistes assassins!

« Gloire et honneur aux héros !

« Le Secour Rouge appelle tous les travailleurs à la solidarité de masse. Organisez le Secours ! Au même titre que vous condamnez avec dégoût et révolte les agissements des gouvernants fascistes, au même titre enrôlez-vous au front de la solidarité prolétarienne. Nos combattants héros ont saigné et sont morts pour vous. Protégez leurs familles de la ruine ! Derrière les murs de prisons et des fils de fer barbelés, les emprisonnés tournent leurs regards vers vous ! Secourez leurs femmes et leurs enfants !

« En cette heure historique, le Secours Rouge d’Autriche, organisation de solidarité prolétarienne au-dessus des partis, s’adresse à tous les travailleurs, social-démocrates, communistes et sans parti. Au delà de toute barrière, enrôlez-vous dans le front de solidarité !

Adhérez au Secours Rouge ! Organisez avec lui la lutte et l’aide matérielle. Vous étiez ensemble dans la lutte ! Forgez maintenant et resserrez le lien de la solidarité prolétarienne ! Aidez les victimes ! Rendez visite aux blessés ! Visitez les familles des assassinés, des blessés, des emprisonnés ! Recueillez leurs enfants ! Protégez ceux dont les logements ont été démolis, dont l’avoir a été détruit !

« Serrez les rangs de la lutte ! Vous êtes les plus forts !
« Ne laissez pas étrangler vos frères par les potences !
« Libérez les antifascistes emprisonnés !

« Empêchez les arrestations !

« Dispersez les Cours martiales!

« Transformez l’enterrement de nos héros en des démonstrations de masse !

« Collectez ! Collectez des vêtements, du linge, des vêtements d’enfants, des vivres, de l’argent ! Celui qui peut se priver de quelque chose, qu’il le mette à leur disposition ! Allez de maison en maison, de boutique en boutique, collectez dans les entreprises ! Faites vite ! Adressez-vous aux militants du Secours Rouge, qui organisent l’oeuvre de solidarité !

« Le S.R.I. a déjà déclenché une action de solidarité dans tous les pays.

« Groupez-vous en rangs serrés dans cette oeuvre de solidarité du S.R.I. !

« A bas les assassins fascistes !

« Vive la solidarité prolétarienne !« Le Comité central du S.R. d’Autriche. »

Que les masses travailleuses aient vivement répondu à cet appel du S.R., nous en trouvons la preuve dans la lettre où le S.R. d’Autriche communiquait, le 20 février, au S R. d’Allemagne les mesures de secours déjà entreprises:

« Nous avons collecté de l’argent, des vivres et des vêtements. Certaines entreprises ont déjà pris le parrainage de plusieurs prisons et de nombreux blessés. Un grand nombre d’ouvriers social-démocrates participent à l’oeuvre de secours. Le S.R. d’Autriche fait appel à toutes les organisations soeurs pour qu’elles participent à cette oeuvre de secours, étant donné que le nombre des victimes de cette lutte est très grand… »

Cet appel du S.R. d’Autriche a trouvé un puissant écho non seulement auprès des membres du Secours Rouge du monde entier, mais aussi auprès de tous les travailleurs. Jamais une action de solidarité internationale ne fut déclenchée si rapidement et avec une telle impétuosité que celle en faveur des héros de l’insurrection autrichienne.

En Espagne, en Tchécoslovaquie, en Pologne, et dans d’autres pays encore, des grèves générales ont été faites en signe de protestation contre les potences de Dollfuss. Les sections du S.R. ont accordé les premières grandes sommes en faveur des victimes de l’insurrection autrichienne; à leur tour, les ouvriers ont répondu avec un grand empressement à l’appel de collectage. 

Dès le 16 février 1934, la section française du S.R. a fait parvenir à la section autrichienne les premiers 10.000 francs. Le Bureau européen du S.R.I. a lui aussi transmis 10.000 francs, alors que 5.000 ont été mis à la disposition pour l’envoi d’une délégation d’avocats devant défendre les accusés renvoyés devant les Cours martiales.

En Amérique, au Canada, dans les pays de l’Amérique latine, partout, les plus larges collectes en faveur des victimes de l’insurrection autrichienne sont organisées sous la direction du Secours Rouge.

L’action de solidarité des millions de travailleurs de l’Union Soviétique est un exemple sans précédent. L’usine Staline de Moscou, imitée par d’autres usines, a collecté 10.000 roubles. Des réunions de protestation ont été organisées dans toutes les entreprises de l’U.R.S.S. On y a pris la décision de verser le salaire d’une journée de travail pour les victimes autrichiennes. Comme premier secours, les ouvriers de l’U.R.S.S. ont transmis, par l’intermédiaire du Comité exécutif du S.R.I., la somme de 600.000 francs, à valoir sur une souscription totale de 3 millions de francs !

D’Angleterre, plusieurs milliers de francs ont été expédiés. Il n’est pas jusqu’aux prolétaires d’Allemagne et d’Italie qui, dans leurs usines, aient ramassé des marks et des lires pour leurs frères autrichiens tombés dans le combat, et pour les enfants et les femmes de ces héros.

L’accueil sous leurs toits d’orphelins de barricadiers et d’enfants d’emprisonnés a déjà été prévu et réclamé, sous l’impulsion du Secours Rouge International, par de nombreuses familles de travailleurs. Les P.T.T. d’Espagne, des familles d’émigrés italiens en France, la Maison d’enfants de la section française du S.R.I., etc., attendent déjà les fils des ouvriers autrichiens assassinés ou emprisonnés.

Une vague de protestations a déferlé à travers toutes les régions de la seule patrie des travailleurs. Une action de solidarité si admirable n’est concevable que dans un pays à régime prolétarien. C’est là un exemple lumineux, un signal de la solidarité internationale pour les 14 millions de membres du S.R. et pour les exploités et opprimés du monde entier.

Ce n’est pourtant là que la première réponse des travailleurs du monde entier au gouvernement des bourreaux Dollfuss-Fey. Ce n’est que la première preuve de la solidarité internationale envers les héros de l’insurrection autrichienne du mois de février. Le mouvement doit s’élargir et gagner en puissance. Le S.R.I. appelle tous les exploités et les opprimés du monde à entrer dans le front unique de solidarité envers les victimes d’Autriche.

Des ouvriers social-démocrates, communistes et sans parti ont lutté et sont tombés ensemble; ils languissent ensemble dans les prisons. Ouvriers social-démocrates, communistes et sans parti, vous devez constituer ensemble la force motrice de cette action de solidarité internationale ! Créez des comités d’unité dans les entreprises et dans les syndicats ! Organisez de larges collectes, organisez le parrainage des familles des assassinés !

Renforcez le « Fonds ingénieur Weissel », créé par le Secours Rouge d’Autriche ! Protégez et secourez les émigrés politiques ! Sauvez les condamnés à mort ! Abattez par votre tempête de protestations les potences du fascisme ! Enfoncez par votre lutte internationale les portes des prisons du fascisme autrichien !

Travailleurs ! Ne permettez pas que l’on touche à ce formidable mouvement de solidarité ! Les ennemis de la solidarité – le Fonds Matteoti et les Comités social-démocrates de « secours », qui avaient déjà essayé de briser le mouvement de solidarité envers les victimes du fascisme hitlérien – sont de nouveau à l’oeuvre.

De même que les appels de la IIe Internationale et du Fonds Matteoti, demandent « du secours pour les victimes », devaient dissimuler le fait que les chefs social-démocrates d’Allemagne avaient livré les ouvriers allemands au régime sanglant hitlérien, de même la IIe Internationale essaie maintenant de dissimuler la honte de sa section autrichienne, « la plus à gauche », par des faux appels à la solidarité.

Par cette division de la solidarité, les chefs social-démocrates n’aident pas les victimes, mais leurs ennemis. C’est pourquoi toute tentative de division doit être énergiquement rejetée !

Les héros de l’insurrection autrichienne sont tombés comme des pionniers de la lutte contre le fascisme international. Renforcez la lutte antifasciste ! Portez secours aux emprisonnés et aux familles des assassinés d’Autriche ! Votre action sera le plus beau monument qui puisse être élevé à nos héroïques camarades assassinés !

Les masses travailleuses du monde entier saluent les héros des barricades autrichiennes; elles inclinent leurs drapeaux devant les victimes de la terreur sanglante et des potences. Elles jurent de continuer la lutte contre la bourgeoisie tachée de sang jusqu’à ce que le fascisme et le emprisonnés et aux familles des assassinés d’Autriche ! Votre action sera le plus beau monument qui puisse être élevé à nos héroïques camarades assassinés !

Les masses travailleuses du monde entier saluent les héros des barricades autrichiennes; elles inclinent leurs drapeaux devant les victimes de la terreur sanglante et des potences. Elles jurent de continuer la lutte contre la bourgeoisie tachée de sang jusqu’à ce que le fascisme et le capitalisme écrasés aient mordu la poussière !

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Le 12 février 1934 vu par Ilya Ehrenbourg

L’année 1928, un dirigeant de la social-démocratie autrichiennne me montrait les maisons qui avaient été fait construire par la ville de Vienne. C’était des bâtiments magnifiques, plein de lumière et d’air. Ils étaient entourés de jeunes arbres, de pelouses et de parterres de fleurs.

Je vis tout : également les aires de jeux pour enfants, les établissements de bains et les cafés. Libérés des puantes grottes de misère de la vieille Vienne, les enfants d’ouvriers s’égayaient sur des petites places vert clair.

Les maisons portaient le nom dont le classe ouvrière du monde entier est fière : Karl Marx, Engels, Liebknecht. Il s’agissait de véritables villes, construites par les meilleurs architectes d’Europe. En leur sein vivaient des dizaines de milliers d’ouvriers et d’employés.

Lorsqu’on jetait un œil sur les maisons, on pouvait oublier la réalité : qu’étaient assis des officiers impatients dans les cafés du Ring [boulevard circulaire encerclant le centre-ville], qu’exigeaient la destruction des infidèles des évêques gonflés en soutane pourpre, que signaient des chèques à des pogromistes chrétiens-sociaux acharnés des banquiers juifs se rappelant qu’il n’y avait qu’un seul Dieu, que tout Vienne n’est au fond qu’une carte importante sur un tapis vert, et que bluffent, rient, perdent et gagnent ici des joueurs rusés – Italiens, Allemands, Français, Tchèques.

Oui, si l’on jetait un œil sur les fontaines jaillissantes de la cité Karl Marx, sur les salles de lecture et les terrains sportifs, alors on pouvait oublier toute la dure vérité. Et pourtant cette vérité se présentait derrière chaque recoin.

A côté des festives fontaines jaillissantes, un chômeur tiraillé par la faim s’effondrait par terre. Beaucoup de façades de la ville rappelaient au tempétueux mois de juillet de l’année 1927. Lorsque les fils des grands propriétaires terriens du Tyrol maudissaient les façades des bâtiments des villes, ils disaient : « Cela fait assez longtemps que la canaille nous a sucé notre sang ».

Je disais alors à mon accompagnateur : « De fait, vous avez construit de belles maisons. Encore une fois avez-vous montré au monde, que les travailleurs expriment davantage de goût, de sens pour la simplicité et la joie de vivre que les douteux esthètes des rues du Ring.

Mais ne trouvez-vous pas vous-mêmes que ces maisons soient construites sur un sol étranger? D’après l’expérience de notre pays, nous savons que les travailleurs doivent payer par le sang cjaque pied de terre conquise.

Nous avons dû au départ détruire et pas qu’un peu. Détruire, pour construire après les victoires. Vous n’avez pas commencé avec les fusils, mais avec le compas et la règle. Comment cela terminera-t-il chez vous ? »

Mon accompagnateur ria : « La fin sera une victoire pacifique du socialisme. N’oubliez pas, que lors des dernières élections soixante pour cent de la population de Vienne a voté pour nous. »

Maintenant, je voyais de nouveau ces merveilleuses maisons, en un lourd jour de février.

En denses flocons de neige tombait la neige pleine de pitié, comme pour cacher le bas travail.

Des flocons denses de neige pitié, comme si elle désirait cacher le misérable travail des hommes.

Mais même sous la neige baillaient les trous formés par les grenades, encore sentaient la poudre les maisons brûlés de Floridsdorf et sur les parcs étaient répandus d’horribles décombres.

Ici et là, depuis les fenêtres pendouillaient des chutes de linges ou des mouchoirs – les drapeaux blancs de la capitulation, derrière lesquelles on sentait le rire brun, le sang coagulé.

Les gens se chuchotaient que derrière les ruines il y aurait encore des cadavres pas encore ramassés.

Sur les toits des maisons sur lesquelles on avait tiré flottaient les drapeaux vert et blanc de la Heimwehr [les forces paramilitaires fascistes], et en bas, dans la neige, dans la saleté, dans la détresse et la défaite, se pressaient des femmes inquiètes, des enfants et des vieillards.

Ils n’avaient pasl e droit de retourner dans les appartements démolis, fracassés. Les policiers casqués arrêtaient les passants, et comme des chacals, les lâches héros de la Heimwehr patrouillaient dans les cités. Le prince [et chef de la Heimwehr Ernst Rüdiger] Starhemberg lança, levant son verre à la victoire, « A nous », puis bientôt « Eviva ».

La Vienne des ouvriers se taisait. C’était la « victoire pacifique du socialisme ».

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L’austro-marxisme face à l’Etat corporatiste et l’annexion par l’Allemagne

A l’été 1931, Ignaz Seipel avait proposé à la social-démocratie de participer au gouvernement. C’était un terrible piège : accepter aurait signifié perdre toute crédibilité, dans la mesure où il s’agissait de mettre en place des mesures sociales terriblement dures, afin de sauver le capitalisme en crise complète depuis 1929.

Mais refuser signifier perdre tout lien avec les institutions et donc permettre une fascisation générale, sans aucun frein. La social-démocratie se crut assez forte pour refuser, mais le souci fut qu’en plus de l’important soutien italien et hongrois à l’austro-fascisme, l’apparition de l’Allemagne national-socialiste allait changer la donne.

Les années 1932-1934 furent pour cette raison très complexes. Le chancelier Engelbert Dollfuss, successeur d’Ignaz Seipel, commença rapidement un tournant autoritaire.

Engelbert Dollfuss

Le major Emil Fey, chef des milices catholiques à Vienne, fut nommé secrétaire d’État à la sécurité intérieure, puis Engelbert Dollfuss instaura le régime de l’économie de guerre.

En mars 1933, il mit de côté le parlement pour gouverner par ordonnance et en avril procéda à l’interdiction de l’Union de protection de la République, les milices du Parti Ouvrier Social-démocrate.

« 50 jours d’activité gouvernementale »
« Vive la République libre! Vivre la social-démocratie! Vive le premier mai! »

Il interdit le premier mai, puis le Parti Communiste d’Autriche le 26 mai 1933, ainsi que l’union des libres-penseurs, tout en formant parallèlement le même mois un « front patriotique » comme parti unifiant la réaction.

C’était là quelque chose d’une énorme brutalité, mais qui exprimait une tendance autoritaire n’osant pas nécessairement d’elle-même aller jusqu’au bout. C’était aussi une tentative de chercher l’épreuve de forces au moins symboliquement, mais sans nécessairement risquer le tout pour le tout.

Pour cette raison, conscient de cet aspect, lors du congrès du Parti Ouvrier Social-démocrate en octobre 1933, Otto Bauer proféra des menaces envers la réaction, formulant des limites infranchissables.

Celles-ci étaient, à ses yeux, une attaque contre la mairie de Vienne (qui ne devait pas être remplacée par une commission gouvernementale), une attaque contre les syndicats, la dissolution du Parti lui-même.

Et il menaça alors:

« Si l’ennemi veut vraiment faire de l’Autriche un État fasciste, s’il veut vraiment détruire et anéantir cette social-démocratie autrichienne, qui a tant d’importance pour ce pays depuis des décennies et, j’ai le droit de le dire, tant d’importance dans le monde : alors, pas de sentimentalisme, plus de faiblesse.

Alors, allez au combat, mais avec la connaissance de ce que ce combat signifie. Alors il faut savoir que c’est une lutte différente de toutes les luttes précédentes, qu’il n’y a plus de pardon et de considération, qu’il n’y a pas d’autre choix que de vaincre ou de périr et de disparaître pendant longtemps! (Tempête d’applaudissements) »

Otto Bauer fit cependant une série d’erreurs. Tout d’abord, il ne vit pas que l’Italie faisait une pression énorme sur l’austro-fascisme pour aller jusqu’au bout, en raison de l’affirmation de l’Allemagne nazie ayant elle-même une visée expansionniste sur l’Autriche.

Ensuite, il surestima la capacité des cadres du Parti Ouvrier Social-démocrate à passer d’une action légale, associative, syndicale, à une action armée qui pourtant disposait d’une réelle base, tant sur le terrain de la mobilisation des masses que sur celui de l’organisation, ainsi que des caches d’armes.

Engelbert Dollfuss prolongea ainsi son action. Après avoir été régulièrement censuré, l’organe social-démocrate la Arbeiter Zeitung se vit interdire toute vente publique le 20 janvier 1934.

Le 12 février 1934, la résistance d’une milice social-démocrate à une perquisition à Linz fut pris comme prétexte pour lancer l’écrasement de la social-démocratie, l’armée tirant à coups de canon contre le Karl Marx Hof.

Seulement 5 ou 6 000 miliciens avaient participé à la résistance, ainsi que le Parti Communiste d’Autriche : les cadres du Parti Ouvrier Social-démocrate n’avaient pas osé se lancer dans la bataille, refusant même de divulguer les caches d’armes aux ouvriers se mobilisant.

La répression de 1934 amena la mort d’au moins mille sociaux-démocrates rien qu’à Vienne ; dans tout le pays, 124 membres des forces gouvernementales furent tués.

Toutes les structures social-démocrates furent interdites, tous les contrats collectifs dissous, ainsi que les comités d’entreprises ; c’était là l’objectif central de l’austro-fascisme et le chef de la garde patriotique et ministre pour les affaires sociales Odo Neustdäter-Stürmer, pouvait affirmer devant un rassemblement de ses troupes à Saint Pölten le 21 avril 1934 :

« Notre idée est aujourd’hui devenue l’idée de l’État. »

Le premier mai 1934, « l’État corporatiste » fut instauré, sur une base catholique, avec un aigle à deux têtes comme symbole. Le grand document servant d’arrière-plan fut l’enyclique de 1931 du pape Pie XI, Quadragesimo anno, c’est-à-dire Dans la quarantième année par rapport à l’encyclique Rerum Novarum qui fixait la doctrine sociale de l’Eglise. 

Le drapeau austro-fasciste

Le Parti Ouvrier Social-démocrate implosa alors, rejoignant en partie le Parti Communiste d’Autriche qui avait lui prévu l’illégalité, et qui passa alors de 3000 à 16 000 membre en quelques mois.

Des groupes se montèrent (la Funke, le Schattenkomitee) cependant, s’unissant rapidement pour former là la fin de l’année 1934 les Socialistes Révolutionnnaires, rejoint par Otto Bauer qui fit son autocritique et avait formé le bureau à l’étranger de la social-démocratie autrichienne.

La question de la ligne antifasciste divisa cependant rapidement les Socialistes Révolutionnaires. Otto Bauer soutenait la ligne de Front populaire proposée par l’Internationale Communiste, tandis que Joseph Buttinger et Karl Czernetz proposaient la mise en avant de la révolution socialiste, sans étapes.

Mais c’est sur la question nationale que les restes de la social-démocratie allait définitivement se briser. En effet, dès juillet 1934, Engelbert Dollfuss fut tué par les nationaux-socialistes lors d’une tentative de coup d’État.

L’austrofascisme continua de s’appuyer sur l’Italie fasciste, mais cette dernière se tournait vers l’Allemagne nationale-socialiste en raison de ses propres faiblesses. Le nouveau dirigeant austro-fasciste Kurt Schuschnigg fut obligé de réaliser des compromis avec l’Allemagne de Hitler.

En mars 1938, il accepta même la tenue d’un référendum sur l’indépendance nationale de l’Autriche. Or, la social-démocratie avait toujours été pangermaniste et lors d’une conférence clandestine, la majorité des structures restantes se décida à voter oui au référendum.

Celui-ci se tint alors que l’armée nazie avait déjà envahi l’Autriche, obtenant 99 % de oui.  

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La vision du monde de l’austro-marxisme : face à la réaction et au fascisme

La social-démocratie autrichienne affrontait d’un côté le cléricalisme et le monarchisme, de l’autre les nazis, avec l’arrière-plan le militarisme et des forces féodales puissantes.

Les morts appellent
Sommes-nous morts pour rien ?
Votez pour les sociaux-démocrates qui mènent à la liberté !
Mères !
Pensez à vos fils morts
Si vous ne voulez plus de guerre, alors votez social-démocrate !
Contre le fascisme !
Bombes nazies à Vienne
Les bêtes meurtrières du IIIe Reich
Le fascisme
A l’ombre de la réaction
Notre drapeau rouge flotte
Malgré tout !
Bombes et bandits bruns à Vienne
Les nazis viennois
Ils luttent pour la monarchie
nous pour la république !
Assassinés par l’austro-fascisme
La croix gammée c’est le meurtre !
Aucune voix pour les nationaux-socialistes !
Les valets du capital
La réforme de la constitution comme le voudrait la garde patriotique!
Le visage de la garde patriotique
Un spectre hante l’Autriche
Guerre civile !
Le dimanche sanglant de la garde patriotique
Le « prince » de la garde patriotique
Coup d’Etat, guerre civile, putsch
Les victimes du putsch de la garde patriotique
Ils veulent avoir ça
Les Habsburg devraient être indemnisés
ça ça et ça c’est ce qu’ils nous ont laissés!
Ne pas oublier ! Les fils tombés, les petits-fils morts de faim, telle a été la guerre pour nous !
Femmes empêchez que la misère revienne mille fois pire ! Votez contre la guerre civile, pour la paix, le travail, le pain !

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L’austro-marxisme face à l’austro-fascisme

Le Parti Ouvrier Social-Démocrate représentait une force puisant dans le passé, mais avec une base nouvelle ; si le SPD était en Allemagne largement composé de membres ayant 30 et 60 ans, tandis que le Parti Ouvrier Social-Démocrate était largement composé de gens de moins de 40 ans.

Cela, la bourgeoisie l’avait bien compris et, dès le départ, elle se mit à la remorque de la réaction la plus dure, abandonnant ses objectifs démocratiques anti-monarchistes initiaux. 

La naissance d’un petit pays, à la base économique faible dans le cadre d’une défaite ayant abouti à l’effondrement de l’empire, traumatisait les classes dominantes, alors que parallèlement la monnaie autrichienne s’effondra, l’argent en circulation passant en quelques années de 12 000 millions à 400 millions de millions. En 1924, la bourse s’était elle-même effondrée, 380 grèves ayant lieu la même année, avec 265 000 travailleurs impliqués. 

Une milice ouvrière en 1923

Dans ce contexte, en 1922, le gouvernement conservateur vota des lois sociales très dures, afin de se procurer des emprunts à l’international, dans un contexte de crise intense : il y avait 12 000 personnes au chômage en 1921, 178 000 en 1926, le salaire réel de 1924 étant un quart moins grande que celle de 1914.

Tout empira avec la crise de 1929 : la production industrielle était d’un tiers moins importante qu’en 1914, le salaire chuta de 22 % entre 1929 et 1933, le nombre de chômeurs atteignant 500 000.

La réaction s’était évidemment toujours plus renforcée pour faire face à la classe ouvrière, et dès le départ elle avait appuyé des corps-francs afin de s’appuyer sur la lutte armée. 

Des « gardes patriotiques » s’étaient fondées à partir de 1920. La première naquit dans le Tirol, sur une base prétendument apolitique mais rassemblant surtout des partisans du pangermanisme unis dans la défense de la propriété, des personnes, du travail, de l’ordre et de la paix sociale en épaulant l’État s’il le fallait, en étant prêt pour des « événements élémentaires ».

La réaction frappait alors souvent, comme avec les meurtres des cadres sociaux-démocrates Birnecker, Kovarrik et Still en 1923, l’attaque contre les gymnnastes de Korneubourg en 1924, le meurtre du conseiller municipal de Mödling Müller en 1925, etc., le tout en restant impuni.

L’année 1927 marqua cependant un tournant. Dans l’est du pays, à Schattendorf, les milices catholiques tirèrent depuis une brasserie sur une marche de la milice social-démocrate, tuant un invalide et un enfant de huit ans. Lors du procès, les meurtriers furent innocentés par le juge.

Si le Parti Ouvrier Social-Démocrate n’appela pas à une manifestation, ses membres se rassemblèrent spontanément le 15 juillet dans le centre-ville de Vienne et incendièrent le palais de justice et empêchèrent les pompiers d’intervenir. La police réagit en tirant, faisant 85 morts et 1500 blessés, avec les gardes patriotiques actives dans tout le pays pour écraser toute protestation ouvrière.

Elles décidèdent d’aller plus loin et de former une union générale. Le dirigeant fut le fondateur de la première garde, le tirolien Richard Steidle ; l’idéologue fut Othmar Spann, qui théorisa un Etat corporatiste, notamment dans son ouvrage Le véritable Etat en 1921. Othmar Spann fut lié, entre 1928 et 1931, au Kampfbund für deutsche Kultur (Union de lutte pour la culture allemande), une structure national-socialiste fondée par Alfred Rosenberg en Allemagne.

Il adhéra lui-même au parti nazi, mais avec une numéro de membre secret, tout en organisant la section étudiante en Autriche et, lorsque le parti nazi fut interdit par l’austro-fascisme, cacha des imprimeries dans son château.

Il se fit cependant mettre de côté par le national-socialisme une fois l’Autriche envahie, en raison de sa vision corporatiste très profondément inspiré du versant réactionnaire du romantisme allemand, voyant le mouvement historique comme une « contre-Renaissance » contre l’individualisme et non pas surtout comme une affirmation raciale.

On est ici dans une conception de l’État total avec un rapport dynamique Etat-Individu à travers les corporations qui est tout à fait similaire à la vision de l’italien Giovanni Gentile. Il y a néanmoins une dimension profondément romantique le rapprochant bien plus du français Pierre Drieu La Rochelle.

Selon Othmar Spann :

« Toutes les époques historiques individualistes de l’histoire mondiale sont des époques historiques capitalistes.

Partout où passant des vagues individualistes dans l’histoire, à Babylone, en Egypte, à Athènes, à Rome, dans la Renaissance, l’humanisme et la Réforme (le capitalisme des débuts), on trouve par la suite comme conséquence de l’individualisme la libération des forces les plus extrêmes et ensuite le développement terrifiant des forces productives et l’intégration dans l’économie de l’ensemble de la vie, qui caractérise le capitalisme (…).

L’individualisme est hostile à la culture, parce qu’il réduit la spiritualité et promeut la civilisation. L’individualiste qui se définit à partir de lui-même, veut être quelque chose, mais ne l’est pas encore ; et comme il n’est rien, de là le fait de se tourner et d’agir vers l’extérieur.

Il en reste toujours en l’état de vouloir et n’arrive jamais à son but ; de là, l’expansion sans fin d’énergie dans l’époque historique individualiste, de là toujours davantage de destruction de l’intériorité, des bases les plus intérieurs de tout ce qui est spirituel.

Dans l’individualisme repose la force de l’acte et la ferme volonté, mais rien sur le plan du génie, il y a le fait de vouloir faire du grand, mais pour être par-là d’autant moins. »

Le libéralisme et la démocratie sont donc des détours historiques ; le capitalisme n’est qu’un « machiavélisme économique ». Le marxisme est erroné, car il ne comprend pas la force motrice des idées (on retombe ici chez Giovanni Gentile).

Il faut donc « l’égalité parmi les égaux », mais en même temps reconnaître une hiérarchie spirituelle. L’ouvrage Le véritable Etat se conclut de ce fait en expliquant que :

« La corporation droite et la vie droite se produisent de nous, quand nous élevons ce qui est plus haut par rapport à ce qui est plus bas, que nous apportons le bonheur à ce qui est plus bas en le faisant partager à ce qui est plus haut. Ce qui est plus bas pose le socle de ce qui est plus haut, ce qui est plus haut apporte l’esprit et élève ce qui est plus bas.

C’est l’essence des choses, c’est la vérité divine. »

C’est le principe de l’État corporatiste, avec une prétention à l’égalité dans la production (la décentralisation des corporations), une soumission à la « création » (la centralisation étatique), ce qui est alors très proche de la conception de Charles Maurras.

C’était précisément là correspondre aux intérêts de l’Église catholique, qui avait pris les commandes de la bourgeoisie autrichienne à la suite de 1918, étant la seule force encore puissante après l’effondrement monarchiste et la faiblesse bourgeoise en tant que telle.

Richard Steidle se chargea de cimenter les gardes patriotiques sur cette base avec le serment de Korneubourg en 1930, qui affirme notamment :

« Nous voulons renouveler l’Autriche de fond en comble ! Nous voulons l’État populaire de la protection patriotique. »

Les gardes patriotiques se posaient désormais comme parti politique exigeant le pouvoir d’État, en rejetant « le parlementarisme démocratique occidental et l’État des partis », s’opposant tant à « la lutte des classes marxiste » qu’à « la disposition libérale-capitaliste de l’économie ».

Mais elles n’avaient pas la densité politique pour prendre les commandes de la réaction et Richard Steidle fut mis de côté (il mourra dans un camp de concentration nazi en 1940), pour être remplacé par le prince Ernst Rüdiger Starhemberg.

Les gardes patriotiques n’existaient, en effet, que comme outil du parti catholique, le parti social-chrétien dirigé par un religieux, Ignaz Seipel, même si en Carinthie et en Styrie, ce sont les nationaux-socialistes qui prédominaient.

Ignaz Seipel

Ignaz Seipel avait été chancelier d’Autriche de 1922 à 1924, puis de 1926 à 1929, menant une politique libérale d’une très grande dureté, tout comme d’ailleurs l’ensemble des chanceliers depuis 1920, tous liés au parti catholique.

Ignaz Seipel décédant en en 1932, c’est son second, Engelbert Dollfuss, qui prit le relais, devenant chancelier en 1932. Eut alors lieu le grand tournant.

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L’austro-marxisme et la question nationale autrichienne

Une question culturelle essentielle en Autriche était la question de l’identité nationale. En effet, les Habsbourg avait construit une entité supra-nationale pour diriger l’empire, tout en s’appuyant clairement sur les germanophones.

Voici comment, dans une brochure de 1924, Otto Bauer présente la nature de l’Autriche, avec la question des Habsbourg en arrière-plan.

« Après l’écrasement de la révolution de 1848, l’Autriche fut dominée par l’absolutisme. L’empereur, ses généraux et ses bureaucrates régnaient sur toutes les classes des peuples autrichiens.

Cet absolutisme s’effondra sur les champs de bataille de Magenta et de Solférino (1859), de Königgrätz (1866). Affaibli par ces défaites, l’empereur dut partager le pouvoir avec deux classes économiquement les plus fortes, la noblesse féodale et la grande bourgeoisie.

La noblesse féodale était la classe des grands propriétaires terriens. Son noyau était constitué de l’ancienne grande noblesse. Les princes de l’Église, les évêques et les abbés étaient intimement liés à la grande noblesse.

La grande bourgeoisie est la classe des capitalistes. Elle est constituée par la haute finance, les magnats de la banque et de la bourse, les grands industriels et les grands négociants. La noblesse administrative, la haute bureaucratie d’origine bourgeoise, mais aussi les couches dirigeantes de l’intelligentsia : les professeurs et les avocats étaient intimement liés à elle.

La noblesse féodale et la grande bourgeoisie, les anciens seigneurs de la terre et les nouveaux seigneurs de l’industrie, les privilégiés du sang et les privilégiés de l’or purent grâce à l’effondrement de l’absolutisme prendre part à l’exercice de la puissance étatique.

L’ancienne constitution autrichienne (patente de février 1861, constitution de décembre 1867) était un compromis entre l’empereur, ses généraux et sa bureaucratie d’une part, la noblesse féodale et la grande bourgeoisie d’autre part.

La constitution conservait à l’empereur, à sa bureaucratie et à ses généraux la souveraineté effective ; ils étaient seuls à régir l’administration.

Mais grâce au Parlement, les deux classes qui le dirigeaient, la noblesse féodale et la bourgeoisie purent partager cette souveraineté.

Mais au Parlement, noblesse féodale et grande bourgeoisie, comtes et fabricants, évêques et professeurs se faisaient face en ennemis, luttaient les uns contre les autres pour obtenir une part de ce pouvoir.

L’histoire de l’Autriche dans les années soixante, soixante-dix et quatre-vint du XIXe siècle est l’histoire de la lutte des classes entre la noblesse féodale et la grande bourgeoisie.

La grande bourgeoisie cherchait ses soutiens dans la moyenne et dans la petite bourgeoisie des villes allemandes. Elle jouait ainsi le rôle d’avant-garde de toute la bourgeoisie allemande aussi bien contre l’État policier et contre l’Église que contre les nations slaves ascendantes.

Le parti libéral rassemblait sous l’hégémonie de la grande bourgeoisie les masses de la bourgeoisie allemande.

Dans sa lutte contre la grande bourgeoisie, la noblesse féodale s’appuyait d’une part sur la masse des paysans alpins allemands que l’influence de l’Église conservait sous sa coupe [allusion aux régions du Tirol et du Vorarlberg], d’autre part sur les nations slaves, les Tchèques, les Slaves du Sud et les Polonais dont elle constituait l’avant-garde contre la domination de la bourgeoisie. »

Otto Bauer reprend ici surtout le point de vue de Friedrich Engels, alors que la situation avait entièrement changé depuis. A l’agonie alors des peuples slaves d’Europe centrale et leur effacement devant d’autres nations avait succédé un élan national très profond chez certains peuples, notamment chez les Tchèques où le capitalisme avait connu une croissance très significative.

L’affirmation nationale démocratique prenait donc clairement le dessus chez eux, ce qui provoqua même une rupture au sein de la social-démocratie autrichienne, les Tchèques en sortant devant l’incompréhension de cela par les Autrichiens.

De fait, la social-démocratie autrichienne était passé à côté de cet événement historique et Otto Bauer défendait le point de vue comme quoi l’affirmation slave ne faisait que pousser la bourgeoisie allemande dans les bras du régime impérial.

C’était là un point de vue qui en était resté dans le passé et qui signifiait que l’Autriche n’était qu’un appendice de l’Allemagne. Historiquement, c’est le communiste Alfred Klahr qui se fera inversement le théoricien de l’affirmation de l’existence en formation d’une nation autrichienne, aux contours clairement définis et différents de la nation allemande dont elle s’est séparée.

Tel n’était donc pas du tout le point de vue dans la social-démocratie allemande. Otto Bauer lui-même considérait que le processus révolutionnaire aboutirait inéluctablement au retour de l’Autriche dans la nation allemande. En 1907, alors que l’Autriche est déjà une réalité bien distincte de l’Allemagne, la Sécession viennoise émergeant comme affirmation nationale, il affirme que :

« La lutte des classes de la classe ouvrière allemande, le grand combat de la social-démocratie a tout d’abord comme tache de parvenir à obtenir aux ouvriers allemands leur part de la culture nationale, d’unifier dans une grande communauté culturelle nationale tous ceux qui se nomment Allemands, et par là de faire des hommes et femmes ouvriers du peuple allemand enfin vraiment des bons Allemands. »

La social-démocratie ne dérogera jamais à ce principe. Son but, à partir de 1918, est le « rattachement avec des moyens pacifiques à la république allemande ». Alors que le pays avait abandonné le nom de « Autriche allemande » pour « Autriche », le Parti Ouvrier Social-démocrate continuait d’utiliser cette expression.

Le programme de Linz de 1926 prévoit toujours que l’Autriche rejoigne l’Allemagne et si cela fut mis de côté par la direction en 1933 à la suite de l’arrivée des nazis au pouvoir, il n’était en aucun cas pour autant question de nation autrichienne.

Otto Bauer affirma par ailleurs même alors que l’Autriche deviendrait, en raison de l’obscurantisme nazi en Allemagne, le véritable bastion de la « liberté allemande », la presse social-démocrate imaginant l’Autriche comme « le Piémont de l’esprit allemand, de l’art et de la science allemands » en accueillant l’émigration démocratique.

Même en 1938, année de sa mort, Otto Bauer considéra que l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne était un événement sans retour, ce que penseront également l’ensemble des dirigeants sociaux-démocrates jusqu’en 1945.

Cela signifie concrètement que durant toute son existence, l’austro-marxisme a assumé un pangermanisme voilé par son affirmation de la révolution démocratique de 1848, célébrée à la moindre occasion, avec notamment les figures de Georg Herwegh, Ferdinand Freiligrath et August Heinrich Hoffmann von Fallersleben (l’auteur de la chanson « Deutschland über alles »).

L’affirmation de la classe ouvrière passait pour la social-démocratie par la négation de l’Autriche, comprise comme une construction fantasmagorique des Habsbourg et du clergé. Démonter les légendes monarchistes était un devoir de la social-démocratie pour élever le niveau culturel.

Otto Bauer considérait de toutes manières qu’il ne fallait porter d’attention qu’aux plans d’ensemble. L’Autriche était vue dans tous les cas comme un petit pays insignifiant, sans influence historique, à l’écart des grands événements.

En 1925, il note de manière assez élaboré :

« Dans un espace étroit, notre sens se rétrécit. Exclu de la vie de la grande nation, loin des luttes où se décident le destin de l’humanité, nous Autrichiens allemands risquons de faire face au danger de devenir petits et adeptes de la petitesse.

L’étatisation réductrice culturelle qui nous menace n’est pas le moindre des dangers de ce douloureux processus de réorganisation (…).

Il y en a beaucoup qui croient pouvoir échapper dans le passé au problème de nos jours-ci, qui trouvent consolation en prenant soin des « traditions » du bon vieux temps où l’Autriche était grande.

Une bien maigre consolation! Car ne reviendra pas l’empire, devenu insupportable, dès que ses peuples sont devenus majeurs, honorables nécessités liés au développement historique!

Non, non pas le rêve d’un passé qui ne reviendra jamais, mais seulement des taches séduisantes de l’avenir sont en mesure de donner un sens à la vie à notre jeunesse, un sens qui nous préserve du danger de l’étatisation réductrice culturelle.

C’est une tache particulière à satisfaire, et c’en est une que seul le socialisme peut satisfaire. »

Si était louable le souhait d’éviter l’esprit borné propre aux espaces restreints – indéniablement un malheur de l’Autriche -, Otto Bauer avait raté la question nationale autrichienne, et avec lui toute la social-démocratie.

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Le programme de Linz de 1926 de l’austro-marxisme

Ses victoire viennoises firent qu’au congrès de Linz, où fut mis en avant un nouveau programme, la social-démocratie était d’un optimisme inébranlable, Otto Bauer affirmant alors devant les congressistes que la prise du pouvoir serait l’affaire pour la génération d’alors de la classe ouvrière.

Le programme du Parti Ouvrier Social-Démocrate décidé au congrès de Linz le 3 novembre 1926 est la synthèse de l’approche austro-marxiste. Le Parti se définit comme s’appuyant sur le socialisme scientifique et sur l’expérience des luttes de classe, avec comme objectif « le dépassement de l’ordre social capitaliste, la construction de l’ordre social socialiste ».

La domination toujours plus grande des grandes entreprises, aboutissant aux cartels, aux trusts, à l’hégémonie du grand capital, rend intenable la vie des masses ; la fuite dans l’artisanat et le petit commerce n’est qu’un pis-aller qui, de toutes façons, renforce la concurrence et la précarité de la vie sociale.

De par la concurrence internationale, la conquête de zones à contrôler, « le capitalisme menace de détruire toute la civilisation, par des guerres toujours plus terribles ».

La social-démocratie a permis des conquêtes sociales, qu’elle doit d’ailleurs élargir en défendant également la petite-bourgeoisie, élargissant sa cause, unifiant les masses contre la bourgeoisie. Qui plus est :

« Cette lutte de classes n’est pas seulement une lutte entre des intérêts de classe s’opposant, mais en même temps une lutte entre des idéaux de classe s’opposant.

La lutte entre capital et travail, c’est la lutte entre le sort de la tradition et la quête des masses populaires pour un renversement de la vie sociale, culturelle et étatique.

C’est la lutte entre la domination de l’autorité et la quête des masses populaires pour la liberté et l’autodétermination.

C’est la lutte entre la classe qui fait reposer sa domination sur l’oppression et l’exploitation et la classe qui, en luttant contre son oppression et son exploitation, lutte contre toute oppression et toute exploitation, qu’elle soit dirigée contre une classe ou un sexe, une nation ou une race.

C’est une lutte entre un ordre social qui sacrifie sur l’autel des profits la santé populaire et le bonheur de l’être humain, et un ordre social qui transforme l’économie populaire en un moyen au service de la santé populaire et du bonheur de l’être humain.

C’est la lutte entre un ordre social qui fait se reposer la culture de peu de gens sur l’absence de culture des masses exploitées, et un ordre social qui attribue l’héritage culturel à tout le peuple, qui relie tout le peuple en une communauté culturelle.

C’est la lutte entre un ordre social qui place le travail intellectuel comme le travail intellectuel au service du capital, et un ordre social qui élève le travail manuel comme le travail intellectuel au service de l’ensemble du peuple. »

La République autrichienne est présentée comme une sorte de terrain neutre, mais la bourgeoisie profite de sa force économique, des traditions, de la presse, de l’école, de l’Église, ayant ainsi une main-mise spirituelle sur la majorité des masses. Aussi :

« Si le Parti Ouvrier Social-Démocrate parvient à dépasser cette influence, à unifier les travailleurs manuels et les travailleurs intellectuels dans la ville et dans la campagne, et de faire gagner comme camarades d’union au prolétariat les couches qui lui sont proches de la petite paysannerie, de la petite-bourgeoisie, des intellectuels, alors le Parti Ouvrier Social-Démocrate gagne la majorité du peuple.

Elle conquiert le pouvoir d’État par la décision du droit de vote général. C’est ainsi que dans la république démocratique, les luttes de classe entre la bourgeoisie et la classe ouvrière est décidée dans la bataille des deux classes pour l’esprit de la majorité du peuple.

Au cours de ces luttes de classe, il peut se produire le cas que la bourgeoisie n’est plus assez forte et la classe ouvrière pas encore assez forte pour dominer seule la république. Mais la coopération de classes ennemies l’une pour l’autre, qui sont obligées à cela par la situation, se brise après un temps relativement court en raison des contradictions de classes insurmontables dans la société capitaliste.

La classe ouvrière, après chacun d’un tel épisode, retombera sous la domination de la bourgeoisie, si elle ne parvient pas elle-même à conquérir la domination dans la république. »

La question qui se pose alors est inévitablement celle de la dictature du prolétariat. Si le Parti Ouvrier Social-Démocrate refuse le principe de l’insurrection et s’en tient aux élections, que faire de ce concept clef du marxisme qu’est la dictature du prolérariat ? Le programme de Linz affirme la chose suivante :

« La bourgeoisie ne cédera pas sa place de pouvoir de manière volontaire. Si elle se parvient à s’y retrouver avec la république démocratique que la classe ouvrière lui a imposé, du moment qu’elle était en mesure de dominer la république, elle sera tentée de renverser la république démocratique, d’instaurer une dictature monarchiste ou fasciste, dès que le suffrage universel fait passer ou a fait passer le pouvoir d’État à la classe ouvrière. »

La classe ouvrière doit donc faire en sorte que les appareils d’État – l’armée, la police – assument un légalisme républicain, elle doit être organisée au plus haut niveau, tant intellectuellement que physiquement, pour contribuer à cette pression générale qui fait capituler la bourgeoisie.

Il y a un risque, en ce cas où ce processus échoue, une guerre civile. C’est pourquoi :

« Si la bourgeoisie devait s’opposer au renversement social qui sera la tache du pouvoir d’État de la classe ouvrière, en minant de manière planifiée la vie économique, par un soulèvement violent, par un complot avec des puissances contre-révolutionnaires étrangères, alors la classe ouvrière serait obligée de briser la résistance de la bourgeoisie avec les moyens de la dictature. »

La ligne du Parti Ouvrier Social-Démocrate était ainsi une sorte d’intermédiaire entre réformisme et révolution. Par la suite, il adoptera le symbole des trois flèches.

Faites de l’Autriche une île de liberté !
Un anneau de la réaction entoure l’Autriche. (l’Allemagne l’Italie la Hongrie)
Protégez la liberté !

Celui-ci fut élaboré par le social-démocrate russe Serge Tchakhotine, qui s’était opposé à la révolution russe en rejoignant l’armée blanche, et le social-démocrate allemand Carlo Mierendorff. L’idée est mettre en avant un symbole jouant sur la « psychologie des foules », l’idée étant venu à Serge Tchakhotine en voyant une croix gammée barrée.

Le symbole fut accepté par la social-démocratie allemande en 1932, et immédiatement dans la foulée par le Parti Ouvrier Social-Démocrate en Autriche, sous l’impulsion du psychologue Otto Felix Kanitz, qui joua un rôle important dans la très puissante structure social-démocrate « Les amis des enfants ».

Par contre, si pour la social-démocratie allemande il visait les nazis, les monarchistes et les communistes, pour la social-démocratie autrichienne, il visait le fascisme, la monarchie et le cléricalisme.

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Les faiblesses de l’austro-marxisme

Le grand souci de la social-démocratie autrichienne, c’était le décalage entre Vienne massivement acquise à sa cause et le reste du pays empêtré dans le catholicisme.

La centrale d’éducation du Parti disposait ainsi de 1500 thèmes prêts pour des conférences, voire des cycles de conférences. Rien qu’à Vienne en 1931 de manière quotidienne, elle mettait à la disposition trois séries de photos et douze films, organisait sept excursions et vingt-cinq conférences.

Ces chiffres énormes témoignent de l’importance énorme de la social-démocratie à Vienne, où 400 « écoles du socialisme » existaient également. Mais en Haute-Autriche, région avec autant d’habitants que Vienne, il n’y avait eu la même année que 67 cours et écoles, et 95 conférences, soit ce que Vienne réalisait en moins d’une semaine.

Fête du sport et de la gymnastique ouvriers

De la même manière, le nombre total de conférences en-dehors de Vienne était de 348, surtout en Basse-Autriche et en Styrie, soit ce que Vienne réalisait en moins de deux semaines. Même si des professeurs itinérants étaient à la disposition de l’organisation, le Parti ne réussissait pas à gagner l’ensemble des masses du pays.

Le problème était également patent avec la presse. En 1930, la social-démocratie autrichienne disposait de sept quotidiens, 68 revues, 52 journaux syndicaux, pour un tirage de 3 161 000 exemplaires au total.

En 1929, le Parti employait 1330 personnes, comme employés techniques ou dans les imprimeries. Ces dernières disposaient de 322 personnes dans les régions et de 425 personnes pour les imprimeries nationales, les secrétariats régionaux de 131 personnes, les journaux régionaux de 76 personnes et ceux nationaux de 391 personnes, la direction du Parti de 9 personnes, la milice de 20 personnes

Seulement, la Arbeiter Zeitung quotidienne n’était publiée qu’à entre 60 et 90 000 exemplaires. Le Kleine Blatt, servant à concurrencer les journaux de boulevard, fut alors publié, d’abord à 106 000 exemplaires en 1927, déjà à 182 000 en 1929. Cela montre une tournure populiste pour contourner la question du niveau idéologique ; les membres du Parti ne lisaient pas leur organe de presse.

Avec nous les masses!
Avec nous la jeunesse !

D’ailleurs, la revue théorique Der Kampf (La lutte), mensuelle, ne paraissait qu’à entre 4 et 6000 exemplaires. La revue théorique de la social-démocratie allemande, la Neue Zeit (dont Karl Kautsky avait été exclu en 1917), n’avait que 170 abonnements à Vienne, la revue social-démocrate de droite Sozialistische Monatshefte en avait 50.

Ces chiffres très faibles n’étaient pas différent pour les ouvrages. C’était déjà très faible avant 1918. Le programme Ce que veut la social-démocratie de 1912 ne fut tiré qu’à 134 000 exemplaires, l’année d’avant les protocoles du congrès du parti n’avait été tiré qu’à 4 400 exemplaires. L’histoire du mouvement syndical autrichien par Julius Deutsch fut tiré à 5500 exemplaires, Le Capital financier de Rudolf Hilferding ne se vendit qu’à 888 exemplaires en deux éditions (puis 1500 exemplaires après 1918).

Toutes les roues s’arrêtent
Si mon bras fort le décide

Ce fut encore pire par la suite. Les protocoles du congrès du Parti de 1920 n’eurent un tirage que de 600 exemplaires, ceux de 1921 de 500, ceux de 1925 à 1930 1000 chacun, celui de 1931 de 2000. Pour un parti de masse, c’était là un signe de faillite terrible.

Les écrits de Victor Adler furent tirés à 4500 exemplaires pour le premier tome, à entre 2 et 3 000 pour les neuf autres. Les deux brochures les plus marquantes furent Bolchevisme ou social-démocratie d’Otto Bauer, à 10 000 exemplaires, ainsi que Plus-travail et plus-value de Karl Renner, à 21 000 exemplaires.

Il est vrai que chaque membre du Parti Ouvrier Social-Démocrate d’Autriche recevait bien le mensuel « Le social-démocrate », chaque femme recevant en plus le mensuel « La femme » ; en 1930, le nombre de ces revues imprimées et diffusées fut de 4 994 086. Il y avait aussi l’hebdomadaire Der Unzufriedene (« Le mécontent ») et une revue illustrée Der Kuckuck (« Le coucou »), témoignant d’une véritable vie intellectuelle. Mais c’était sans atteindre le coeur des masses.

L’homme rouge dit : j’ai promis cela j’ai réalisé cela je promets cela aujourd’hui aussi votez social-démocrate !

Pire encore, tout cela était considéré comme somme toute très secondaire. L’influence du pragmatisme dans l’austro-marxisme se devine bien dans cet extrait de lettre de Victor Adler à August Bebel :

« Les gens qui écrivent entendent avoir raison pour l’éternité, tandis que les gens qui agissent savent qu’un peu trop ou un peu moins, un peu trop à droite ou à gauuche ne gâche rien, du moment quon y va quand il faut. Mais les lettrés craignent davantage les théoriciens futurs que les conséquences de leurs actes. Ils veulent à tout prix être seulement logique, et sont par là prisonniers des choses celles-ci une fois écrites.

Alors que les politiciens – tu sais cela mieux que quiconque – n’ont que faire de la logique, du moment que cela fonctionne et est efficace !

Mais ne dis rien de ces secrets d’affaires à K.K. [Karl Kautsky], il me jetterait tout de suite sur un bûcher! »

Ce qui ne l’empêcha pas d’avouer dans une lettre à Karl Kautsky :

« Je ne comprends rien à cette histoire de plus-value et je m’en fous ! »


Cette perspective produisit une blague dans la social-démocratie autrichienne, faisant allusion à l’aigle à deux têtes impérial :

« Le docteur Adler est la fierté des marxistes et l’exemple des révisionnistes. Comment cela est possible ? C’est parce qu’il est un oiseau autrichien, qui a deux têtes ».

Ce rejet de la théorie avait également été imposé par le régime. Jusqu’en 1897, les ouvriers n’avaient aucun droit de vote, puis celui-ci fut jusqu’en 1907 réduit à une curie sans importance. Victor Adler fut condamné jusqu’en 1900 pas moins de 17 fois, à en tout neuf mois de prison, à quoi s’ajoutent des amendes.

Des 406 numéros de la Gleichheit (« Egalité ») puis de la Arbeiter Zeitung entre 1886 et 1894, 210 furent confisqués.

La jeunesse en avant !
Le sport le savoir la joie de vivre sont menacés !
Défendez votre droit !
Votez social-démocrate !

Mais il y avait pire peut-être que la répression : l’ambiance décadente d’une société largement paysanne, avec une vieille aristocratie bornée aux commandes de la moitié de la haute administration, le tout produisant un grand relâchement dans la bureaucratie faisant des Autrichiens des gens désormais suspects aux Allemands concernant la question de l’efficacité.

La social-démocratie voyait ainsi dans le régime un despotisme, mais un despotisme relativisé par le laisser-aller général. La classe ouvrière était la pointe de la modernité dans un pays extrêmement arriéré économiquement, au développement industriel d’une faiblesse inouïe.

La social-démocratie pensait pour cette raison pouvoir alors se cantonner dans l’affirmation du progrès, sans chercher à le délimiter.

Robert Musil, le romancier auteur de L’homme sans qualité (190-1932), constatait ainsi avec justesse que :

« La bourgeoisie s’est depuis la révolution [mettant fin à l’empire austro-hongrois] fermé à tout ce qui a un lien avec la montée politique de la classe ouvrière.

Pour autant qu’elle n’ait pas sombré dans le désordre des rêveries nationalistes, elle s’est cependant relativement confiée sans limites à la direction déterminée du capitalisme et du cléricalisme.

S’est ainsi produite la situation paradoxale sur le terrain culturel que la défense et la continuation du cercle d’idées libre-penseur, humain, originellement bourgeois, sont aujourd’hui largement fournies par la social-démocratie contre la résistance des bourgeois. »

Il fallait cependant voir plus en profondeur et cela ne fut pas le cas : on a la même chose que chez Karl Kautsky qui, bien qu’orthodoxe dans son marxisme, avait une lecture évolutionniste du matérialisme.

Karl Kautsky, le grand penseur socialiste, pour son 75e anniversaire

Le parallèle avec le Parti soviétique est ici évident. Sur le fond, la question de l’opportunité de l’insurrection mis à part, il ne semble pas y avoir de différence d’approche entre le Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche et la ligne appliquée au même moment par le Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik).

Une différence existait cependant et devait avoir des conséquences immenses. Si le PCUS(b), grâce à Staline, s’appuyait sur le matérialisme dialectique comme noyau scientifique pour tous les aspects naturels et sociaux, scientifiques et culturels, le Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche avait une conception erronée du marxisme, par incompréhension du léninisme.

Tant qu’il s’agissait de prolonger l’élan social-démocrate, ce Parti agissait de manière fondamentalement correct. Mais dès qu’il fallait approfondir les efforts effectués, les faiblesses émergeaient inéluctablement.

Karl Marx pour le 50e anniversaire de sa mort
Prolétaires de tous les pays unissez-vous

Les éducateurs du Parti baignaient ainsi dans l’idéologie de Mach, du positivisme du « Cercle de Vienne », c’est-à-dire que le rationalisme était opposé à la réaction, sans compréhension des principes dialectiques, de sa valeur pour la nature.

La psychologie était comprise au moyen des travaux d’Alfred Adler, qui entendait combattre les complexes d’infériorité individuels, et de ceux de Karl Bühler, qui portait son attention sur les enfants. Sur le plan de l’architecture, le Parti se tournait vers le courant de la « nouvelle objectivité », notamment les disciples d’Otto Wagner Josef Frank et Oskar Strnad.

Victor Adler, qui avait écrit le grand classique social-démocrate qu’est le programme de Hainfeld, relu et corrigé par Karl Kautsky, considérait qu’il comprenait juste assez de la philosophie pour ne rien en dire.

Les plus jeunes, accompagnaient les découvertes bourgeoises du moment dans le domaine des sciences. Son fils Friedrich Adler se tournait vers Kant, Max Adler vers Mach, Otto Bauer initialement vers Kant, puis vers Mach. Quant à Karl Renner, le représentant de l’aile droite, il ne s’embarassait pas de philosophe, sa démarche étant purement pragmatique.

Mais tous étaient d’accord pour dire que la philosophie n’était qu’une superstructure, une construction relevant d’un choix personnel laissant de toutes façons, s’imaginaient-ils, intouché la base qui était la vision matérialiste de l’histoire. Otto Bauer, en 1924, dans La vision du monde du capitalisme, résume bien cette approche en affirmant :

« Ainsi toute la conception mécaniste de la nature avec tous les systèmes philosophiques fondés sur elle est dissoute dans le positivisme moderne et le relativisme.

Mais quand l’auto-dissolution des visions du monde classiques du capitalisme se complète, elle le fait d’abord encore dans les limites de la pensée bourgeoise. Est encore à résoudre la tâche de libérer la critique moderne de la connaissance de ces limites. »

Ce sera, dans les années 1960-1980, la position exactement similaire du Parti Communiste français, refus de l’insurrection y compris.

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La vision du monde de l’austro-marxisme : le classicisme

Tout comme en URSS, la social-démocratie autrichienne assumait le classicisme et le réalisme, l’accent étant par contre mis sur le premier, comme prolongement de l’humanisme.

Les Flamants à Vienne
Anton Hanak
Sculpteur – Socialiste – Être humain
est décédé
Un sculpteur de notre temps (Anton Hanak)
La grande exposition artistique à Moscou
Goethe
Nexö à Vienne
Splendeur viennoise fait du travail viennois
Raphael pour son anniversaire
Ernst Neuschul, un peintre du travail et des travailleurs
L’ermitage à Léningrad

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La vision du monde de l’austro-marxisme : les femmes

On ne peut pas comprendre l’intense réflexion culturelle de la social-démocratie autrichienne sans voir son insistance sur l’émancipation socialiste de la femme. Celle-ci doit réaliser un vrai saut qualitatif et rompre dans ses mentalités avec la bourgeoisie, afin de développer sa personnalité.

Cela accompagne l’exigence social-démocrate historique de rationalité, d’élévation du niveau de conscience.

La barre à gauche !
Sur les élections tchécoslovaques
Femmes policières (en URSS)
Notre calendrier 1933
Journée de la femme
La période de la floraison
La femme comme marchandise
A l’Ouest et à l’Est, au Sud comme au Nord,
partout sur la terre
la femme travailleuse s’est réveillée !
Une page de roman dans la revue Kuckuck
En trois longs millénaires, l’esclave de la femme est devenue la belle et égale camarade, au niveau de l’homme
Journée des femmes !
La journée des femmes et celles qui ont été ses combattantes d’avant-garde
Un roman soviétique dans la revue Kuckuck
On ne nous a pas demandé !
Notre calendrier 1934
Les femmes dans le sport
Deux cent ans d’art de la femme en Autriche
Les femmes indiennes dans la lutte
La nouvelle femme
Nouvelles femmes
La nouvelle paysanne du Turkménistan
L’aviatrice Elli Beinhorn
Une ingénieure électrique russe
La « Jeanne d’Arc’ polonaise qui a commandé en 1920 un bataillon contre la Russie et qui fait en Amérique de la propagande pour la Pologne militariste, le « gendarme du capitalisme ». L’image dit tout.
La journée des femmes 1931 à Vienne
Journée des femmes 1931
Elle y parvient aussi
De belles femmes dansent
Les plus belles femmes d’Europe?
Un article dénonçant les concours de beauté, qui promeuvent la médiocrité et non la personnalité
Elle, elle va bien !

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L’austro-marxisme et les problèmes de la culture

La vision de la défense de la culture comme avancée unilatérale au socialisme vit ses soucis réels s’exprimer dans la question du contenu culturel à valoriser dans le domaine de la production.

La commission artistique du Parti Ouvrier Social-démocrate avait comme bulletin interne Art et peuple ; son dirigeant David Josef Bach soulignait que le capitalisme séparant toujours davantage l’art du peuple, cette contradiction présentait une charge révolutionnaire.

Lui-même était actif dans la musique, défendant tant l’héritage de Beethoven et Wagner que les oeuvres nouvelles de Gustav Malher et Anton Bruckner, étant par ailleurs proche d’Arnold Schönberg, Anton Weber et Alban Berg, contribuant aussi à mettre en scène Hanns Eisler, Max Reger, Kurt Weill.

Cela signifie que David Bach faisait au départ jouer l’orchestre ouvrier dans une optique de récupération de l’héritage culturel historique, mais qu’il s’ouvrait d’un côté aux modernistes expérimentateurs et de l’autre aux modernistes « avant-gardistes », c’est-à-dire dans les deux cas à des expressions d’intellectuels bourgeois de gauche et engagés.

Le siège du quotidien (la Arbeiter Zeitung – le Journal Ouvrier) et de la maison d’édition (Vorwärts – En avant)

En URSS, le réalisme socialiste répondit à cette problématique ; le Parti Ouvrier Social-Démocrate ne fut pas en mesure d’y faire face. Il y eut donc beaucoup d’énergie, mais allant de pair avec une certaine dispersion, ainsi que de l’éclectisme.

Il en alla de même dans le domaine théâtral, en raison paradoxalement des grands succès acquis à Vienne.

En 1908 avait déjà été fondée la Scène populaire libre viennoise, sur le modèle berlinois fondé quant à lui en 1890. Elle publia une revue à partir de 1908, Der Strom (« Le courant »), ses principales figures étant Engelbert Pernerstorfer, Stefan Grossmann, Arthur Rundt, Josef Luitpold Stern.

En 1922, cet organisme généré par le Parti Ouvrier Social-Démocrate avait déjà 40 000 membres. Mieux encore, dans une période où l’effondrement du régime impérial austro-hongrois avait paralysé les structures bourgeoises, l’initiative permit de conquérir l’hégémonie dans les théâtres. Entre novembre 1919 et février 1923, un million de sociaux-démocrates allèrent au théâtre par l’intermédiaire de la commission artistique s’occupant de la distribution des places.

« Restructurations »
Votez social-démocrate !

Cela signifiait cependant l’absence de choix esthétique approfondi, en raison du besoin de gérer l’ensemble des œuvres dans un contexte de domination du capitalisme.

Dans la lignée de Schiller et Kant, Josef Bach attribuait bien à l’initial à l’art une fonction révolutionnaire et populaire en soi, ce qui est juste seulement si l’on a une définition de l’art qui corresponde à ce que le matérialisme dialectique appelle le réalisme socialiste.

Mais il devait assumer, dans le contexte historique, tout un ensemble de productions, y compris de basse qualité, voire n’allant pas dans un sens révolutionnaire.

Pensez à la loi sur les céréales et votre faim !
Aucune voix à ceux qui haussent le prix du pain !
Votez social-démocrate !

Le polémiste Karl Kraus attaqua pour cette raison vigoureusement le fait que la commission proposa des opérettes et des pièces triviales ; il reprocha également toutes les grandes mises en scènes faites dans les manifestations et cérémonies d’être une « institution concédée par l’État pour la consommation des énergies révolutionnaires ».

Oscar Pollak, avant de devenir le rédacteur en chef du quotidien du Parti, la Arbeiter Zeitung, dénonça quant à lui la politique de Josef David Bach, plus proche selon lui des intellectuels des fameux cafés viennois que des ouvriers.

A cela s’ajoutaient les rapports conflictuels : le théâre populaire allemand et le théâtre Raimund eurent de bons rapports avec la commission culturelle du Parti Ouvrier Social-Démocrate d’Autriche, à l’opposé de l’opéra et du théâtre du Burg.

Parmi les oeuvres ayant le plus de succès dans les oeuvres modernes, il faut notamment citer Ernst Toller avec « Hoppla, wir leben! » (12 000 tickets vendus), Brecht et Weill avec « L’opéra de quat sous » (presque 20 000 tickets), ainsi que Tretiakov avec « Brülle, China! ».

Il faut ajouter « Gequälte Menschen » de Credé, ainsi que des oeuvres de Leo Lania, Alphons Paquet, Franz Theodor Csokor, Heinrich Mann, Ferdinand Bruckner, Stefan Zweig, Jules Romains, Jaroslav Hasek, Erwin Piscator,

Votez social-démocrate !

Mais les oeuvres les plus fréquentées étaient bien entendu celles étant classiques : Gerhart Hauptmann (77 000 tickets vendus), Shakespeare (65 000 tickets), Schiller (54 000), Ibsen (53 000), Anzengruber (51 000), Georg Kaiser (44 000), Bernhard Shaw (38 000), Schnizler (34 000), Nestroy (33 000), Wedekind (33 000), Goethe (27 000), Grillprzer (25 000).

On notera également que la pièce de théâtre du communiste allemand Friedrich Wolf, Les marins de Cattaro, fut joué à Vienne, mais pas à Berlin, en raison de l’anti-communisme de la social-démocratie allemande.

Il faut noter aussi l’existence d’un groupe socialiste de spectacle, avec notamment Robert Ehrenzweig, Jura Soyfer, Karl Bittmann, Viktor Grünbaum, Fritz Jahoda, Viktor Weiskopf, Ludwig Wagner, Paul Lazarsfeld.

« Bilan »
Votez social-démocrate !

Il s’agissait de spectacles publics puis surtout d’un cabaret politique, sorte de petit spectacle dénonciateur, ayant tenu plus de 400 représentations, avec des thèmes comme la guerre des paysans en Allemagne, « Guerre à la guerre! », « La lutte du travail », « La fête de l’action de la femme ».

Lors de la cérémonie d’ouverture du grand stade à Vienne en juillet 1931, le spectacle mit ainsi en scène côte à côte des citations de la Bible et des rapports de la bourse, devant 260 000 spectateurs.

La chose se reproduisit les 21 et 22 mai 1932, alors que 70 000 personnes se rassemblèrent au stade le 1er mai 1933 pour célébrer culturellement la fête du prolétariat interdite politiquement par le gouvernement.

Pensez à l’aide hivernale !
Ne le maissez pas avoir faim et froid

La problématique culturelle se posa également dans le très vaste système de bibliothèques organisés par la social-démocratie à Vienne. Cette dernière profita de la social-démocratie allemande pour se procurer des romans à faible prix, ce qui fut bien entendu stopper en 1933.

L’organisation des bibliothèques ouvrières était telle qu’en 1932, trois millions d’ouvrages y avaient été empruntés ; parmi les auteurs les plus lus, on trouve Jack London, Erich Maria Remarque, Émile Zola (surtout pour Nana), Friedrich Gerstäcker, Maxime Gorki, Peter Rosegger, Upton Sinclair, Léon Tolstoï, Ludwig Anzengruber, Ludwig Ganghofer, Arthur Schnitzler, Jules Verne.

Cela signifie qu’à côté de vrais auteurs, on en trouve à la source de romans d’aventure, divertissants mais sans fonds voire emplis de préjugés, même si les bibliothèques sociales-démocrates refusèrent d’avoir des ouvrages de Karl May, la grande figure du genre du monde germanophone.

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La vision du monde de l’austro-marxisme : le corps

Conformément au soutien à l’URSS et à la mise en valeur de la jeunesse, on a une valorisation du corps, qu’il faut arracher au carcan capitaliste. Cela se situe dans la perspective du soleil et de la natation, mais va au-delà d’une spécificité viennoise, c’est un vrai programme.

L’idéal corporel d’aujourd’hui
La danse dans l’air
Relli fait le poirier
Rythme – Rythmique
(un défilé de l’armée rouge, une construction de silos à grains, des instruments joués simultanément)
La beauté du corps par le sport
Le mouvement dans le sport
Une danseuse : Gertrud Kraus
La Viennoise Gertrud Kraus partit pour la Palestine en 1933
Le travail sur soi-même
10 mn de gymnastique quotidienne
Rester svelte et jeune

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