Face au révisionnisme : être communiste, c’est arborer, défendre et appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme

Au début du 21e siècle, être communiste signifie s’orienter selon les exigences idéologiques du marxisme-léninisme-maoïsme. Il s’agit en effet de la science de notre époque qui, dans tous les domaines, permet de saisir chaque phénomène suivant le matérialisme dialectique.

Il n’est pas possible d’être simplement « marxiste » ou « marxiste-léniniste », car ce serait se couper du développement théorique et pratique du marxisme, du marxisme-léninisme, et ainsi retomber en arrière par rapport aux exigences de notre époque. Pareillement, il n’y a pas de « maoïsme » qui flotterait au-dessus de l’histoire, séparé du marxisme et du léninisme.

Le marxisme, le léninisme (en tant que marxisme-léninisme), le maoïsme (en tant que marxisme-léninisme-maoïsme) relèvent du même mouvement historique. Ce ne sont pas des sources d’inspiration, des boîtes à outils, des indicateurs, des méthodes. Il n’est pas possible d’y puiser de manière décousue, spontanée, selon les besoins du moment, suivant les envies.

Comme production de l’Histoire, il s’agit d’une science, exigeant une mise en perspective conforme aux attentes de l’époque et un rapport adéquat avec ses concepts ; il faut être sur la bonne longueur d’onde pour en saisir la démarche, il faut se placer comme prolongement d’une tradition réelle portée par des êtres concrets, à travers le temps.

Le PCF(mlm) est ainsi le vecteur du marxisme-léninisme-maoïsme, car il s’inscrit dans la tradition communiste lui ayant donné naissance ; il véhicule cette idéologie, il l’arbore en en affirmant la continuité, il la défend en en développant les thèses essentielles, il l’applique à travers l’activité concrète de ses cadres.

Ce dernier aspect, en raison de la dignité du réel, est l’aspect principal ; les cadres se transforment dialectiquement par le travail révolutionnaire, de la même manière que les masses dans leurs vies quotidiennes, suivant les exigences de transformation correspondant à la maturité d’une époque.

C’est pourquoi le Parti Communiste du Pérou dirigé par Gonzalo a établi le juste mot d’ordre : arborer, défendre et appliquer, principalement appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme !

Le maoïsme est pareillement un aspect principal, en l’occurrence celui du marxisme-léninisme-maoïsme, car il y a eu un développement historique, qu’on lit parfaitement, à moins de nier l’Histoire, les avancées idéologiques, la maturation de la classe ouvrière, le développement des forces productives, le caractère plus aigu des luttes de classes.

Cette négation relève de ce qu’on appelle le révisionnisme. C’est que la contre-révolution, face au marxisme-léninisme-maoïsme, utilise toutes les ressources possibles, afin de le nier, de le diffamer, de le détruire de l’intérieur. Ce révisionnisme peut donc prendre des formes très multiples, qui visent toujours à se renouveler, à muter, afin de mieux tromper.

Parfois, il nie le marxisme-léninisme-maoïsme en amont, en prétendant que ce serait une déviation (comme le fait par exemple le « Parti Communiste Révolutionnaire de France » issu du Parti « Communiste » Français, ou encore « Ligne rouge » récemment issue également du Parti « Communiste » Français).

Parfois, il nie le maoïsme en aval, soit en prétendant le défendre pour tout abandonner du jour au lendemain (tel le « Parti Communiste Maoïste » récemment), soit en le défendant pour finalement le rejeter (telles « Unité Communiste Lyon » ou l’« Organisation Communiste Futur Rouge »).

L’objectif de la contre-révolution est de briser le parcours historique du mouvement communiste, de disperser ses forces, de morceler ses connaissances, de falsifier ses principes, de saboter sa pratique.

C’est pourquoi la contre-révolution fait en sorte que, face aux communistes arborant le marxisme-léninisme-maoïsme, il y ait des révisionnistes expliquant que ce serait du sectarisme et du dogmatisme, que ce serait à rebours des besoins réels des masses.

Face à la défense du marxisme-léninisme-maoïsme, c’est-à-dire son approfondissement et son développement, le révisionnisme joue la carte du « rassemblement », du « dénominateur commun », afin de gommer l’idéologie, de la réduire, de la faire disparaître. Il est prétendu qu’il faudrait placer l’idéologie à un rang secondaire, la réduire à un arrière-plan toujours plus vague, indéfini.

On a ici un excellent exemple avec le Parti Communiste Révolutionnaire du Canada. Fondé en 2007 (en étant très proche des maoïstes népalais), il s’est revendiqué du marxisme-léninisme-maoïsme, mais sans jamais le définir et il a ouvert ses rangs le plus possible. Ce faisant, il a eu un certain succès, avant d’être en 2021 réduit à un petit noyau dur après de très nombreuses scissions. La même chose s’est produite avec le groupe allemand « Jugendwiderstand », qui a existé de 2015 à 2019.

Cela rejoint en fait la question de l’application. L’application du marxisme-léninisme-maoïsme ne consiste pas simplement à véhiculer celle-ci comme idéologie, il s’agit de contribuer au processus révolutionnaire dont la nature est en substance la guerre du peuple pour le renversement de l’État et l’établissement, ce faisant, du nouveau pouvoir, de type démocratique-populaire puis socialiste.

Cela implique une transformation personnelle. Le révisionnisme nie le caractère interne de la contradiction, il considère les processus comme mécaniques. Il ne voit pas que les exigences de transformation de la réalité s’allient avec une transformation de chaque personne afin d’être en phase avec l’affirmation communiste.

Le Nouveau Pouvoir est porté par des communistes affirmant dans les faits la démarche communiste et entendant la généraliser ; le Communisme est porté par des personnes portant une rupture subjective, ce qui est d’autant plus vrai dans les métropoles impérialistes porteuses de tellement de corruption, augmentant le poids de la subjectivité dans le processus révolutionnaire.

Le mouvement en ce domaine se pose concrètement comme suit : idéologie-Parti => activité des cadres => développement de l’autonomie prolétarienne comme espace antagonique. Cela correspond à la division arborer / défendre / appliquer, puisque le Parti arbore, l’activité des cadres défend, la lutte des classes authentique l’applique (d’où le principe rappelé par le Parti Communiste du Pérou de Gonzalo « Les masses font l’Histoire, le Parti les dirige »).

Et ce mouvement, dialectiquement, existe en sens inverse : développement de l’autonomie prolétarienne comme espace antagonique => activité des cadres => idéologie-Parti, car l’avant-garde est constituée et se renforce par la pointe avancée de la lutte des classes, permettant l’amplification du Parti et du marxisme-léninisme-maoïsme.

C’est parce qu’il avait compris cela que Mao Zedong avait su lancer la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, qui a redynamisé la lutte des classes, permettant de reforger le Parti. C’était une parfaite compréhension du processus historique, du rapport entre le Parti, les cadres et les masses.

Et quel a été le mode opératoire du révisionnisme en Chine populaire, justement ?

Lin Piao a feint de soutenir la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, arborant en apparence l’idéologie pour l’écraser de l’intérieur. Il comptait passer par l’aspect « arborer ».

Liu Shao-chi était le Khrouchtchev chinois : il proposait de remettre en cause la défense de l’idéologie, au profit d’une souplesse sur le plan des idées, d’une ouverture aux raisonnements bourgeois, qui seraient plus efficaces. Il visait l’aspect « défendre ».

Deng Xiao Ping remettait en cause l’application, en disant que « peu importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape les souris ». Il comptait changer la substance de la pratique. Il attaquait l’aspect « appliquer ».

Il y a ici une grande leçon historique, qui permet de cerner l’importance d’arborer, de défendre et d’appliquer, principalement appliquer l’idéologie communiste, aujourd’hui le marxisme-léninisme-maoïsme. Et cette leçon, pour être saisie de manière adéquate, nécessite de souligner la continuité du Parti, dans son affirmation idéologique, dans la défense de ses fondamentaux, dans l’application concrète de ses principes.

L’intégration de la religion de la cybernétique en Union Soviétique avec Nikita Khrouchtchev

La cybernétique soviétique allait bien plus loin que la cybernétique occidentale ; cette dernière raisonnait surtout en termes de contrôle, c’est-à-dire d’information et de réaction automatisée. La cybernétique soviétique y ajoutait le principe du système de contrôle : il s’agit clairement de remplacer le marxisme-léninisme par une théorie « systémique » d’une même envergure, multi-domaines.

En un sens, la démarche cybernétique est matérialiste… à l’époque où elle était portée par Spinoza dans son Éthique, à la fin du 17e siècle, ou bien avec le matérialisme des Lumières, notamment le concept d’Homme-machine de Julien Offray de La Mettrie en 1748.

Au milieu du XXe siècle, c’était à la fois un réductionnisme et du mécanicisme, et surtout une idéologie conforme aux intérêts des managers ayant usurpé le pouvoir et dont Nikita Khrouchtchev était le grand représentant.

D’où l’intégration officielle comme idéologie de l’URSS, comme voie pour « les machines du communisme », avec une multiplication des structures, tels l’Institut de cybernétique de l’Académie des sciences d’Ukraine, l’Institut de mathématiques et de technologie informatique de l’Académie des sciences à Moscou, l’Institut de mathématiques de Sibérie, l’Institut de mécanique de précision et d’ingénierie informatique de l’Académie des sciences, etc.

Structures portant la cybernétique196219631964-196519661967-1970
Projets170231374428500
Institutions296196133150
Agences1419222750

La science soviétique était alors divisée en quatre grandes branches : les sciences physico-techniques et mathématiques, les sciences chimico-techniques et biologiques, les sciences sociales et enfin la cybernétique avec au centre du dispositif l’Institut d’automatisation et de contrôle à distance et l’Institut central de mathématiques économiques.

Ce dernier aspect finit par primer ; né sur le terrain d’une réflexion autour de l’automation, le noyau idéologique de la cybernétique, les mathématiques, amena à se focaliser directement sur les questions économiques : en 1967, la moitié des structures portant sur la cybernétique se focalisait sur ce domaine.

Cybernétique attendue et inattendue, Victor Pekelis, 1968, sous la responsabilité d’Aksel Berg et Arnošt Kolman 

C’est une vague qui amènera Leonid Kantorovitch à obtenir le prix Nobel d’économie en 1975. Ce mathématicien avait été l’auteur de Méthode mathématique de planification et d’organisation de la production (1939) et d’Allocation optimale des ressources économiques (1939), c’est-à-dire qu’il était le tenant de la ligne « mathématique » contre la ligne idéologique dans la planification.

D’autres tenants de cette même ligne « mathématique » furent Vasily Sergeevich Nemchinov, qui généralisa les mathématiques dans la « planification » d’après 1953, ainsi que Viktor Valentinovich Novozhilov qui étudia les questions d’« efficacité ».

Mais tous les projets cybernétiques s’avéraient aussi vains que les fantasmagories mathématiques ou les théories du langage qui les appuyaient. Dans les faits, le triomphe des managers dans l’économie soviétique et la mise en place de clans par la décentralisation avaient produit une incroyable passivité ouvrière.

Il y avait ainsi un décrochage se généralisant dans la productivité industrielle par rapport aux investissements effectués. Tigran Khatchatourov, un économiste particulièrement valorisé en URSS dans les années 1960-1970, évalue de manière suivante cette question.


1950-19551955-19601960-1965
Capital par ouvrier+ 50 %+ 44 %+ 43 %
Productivité par ouvrier+ 49 %+ 37 %+ 26 %
Différence– 1 %– 7 %– 17 %

Cela reflète bien sûr l’absence de participation de la classe ouvrière aux orientations prises par le régime, l’effacement de la démocratie, le cadre « managériale » des entreprises. Un épisode particulièrement marquant fut celui de la petite ville de Novotcherkassk, en juin 1962, à la suite de la hausse du prix des denrées alimentaires décidé le 31 mai (31% pour la viande, de 25 à 35% pour le beurre).

La grève de l’usine de construction de locomotives aboutit à une manifestation réprimée dans le sang, avec au moins 26 morts, 87 blessés – en réalité sans doute bien plus. Les morts furent enterrés secrètement, la ville fut coupée du monde. La seconde manifestation fut elle aussi écrasée à coups d’arrestations, avec plusieurs condamnations à mort.

L’épisode, même passé sous silence, donnait le ton en URSS. Et cette tendance ne pouvait qu’aller en grandissant, alors que le Parti Communiste d’Union Soviétique était devenu celui des militaires, des ingénieurs, des managers et des bureaucrates.

On voit le décalage avec la prétention faite en 1961 de multiplier par six le volume de la production industrielle en vingt ans, doubler la productivité du travail en dix ans !

Mais ce n’était pas tout. Avec la décentralisation, la direction devenue révisionniste du Parti mit en place ce qui devint sa base sociale, alors que le retour des rapports marchands en URSS portait l’ensemble, faisant de l’URSS un État socialiste en paroles, capitaliste en réalité.

Cela ne pouvait qu’avoir une forme par définition monopoliste. Ainsi, la décentralisation se retourna rapidement en son contraire, avec une URSS de type capitaliste monopoliste. Mao Zedong affirma ainsi en 1964 que :

« En URSS aujourd’hui, c’est la dictature de la bourgeoisie, la dictature de la grande bourgeoisie, c’est une dictature de type fasciste allemand, une dictature hitlérienne. »

Ce processus exigea le renversement de celui qui avait porté la décentralisation : Nikita Khrouchtchev fut démis de ses fonctions en octobre 1964, sous prétexte qu’il n’aurait pas respecté les principes de la direction collégiale. Il fut même forcé à démissionner.

La cybernétique fut quant à elle intégrée dans l’arrière-plan idéologique général du régime, pour passer à la trappe. L’URSS passait à autre chose : finie la ligne opportuniste de gauche, avec l’utopie et la décentralisation. Les visées étaient désormais impériales.

À partir de 1964, elle se lance dans une initiative l’amenant, à partir de 1968, à viser l’hégémonie mondiale en tant que superpuissance social-impérialiste.

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dans l’URSS désormais majoritairement urbaine

L’instauration de la religion de la cybernétique en Union Soviétique avec Nikita Khrouchtchev

La cybernétique, avec sa prétention à être « objective », était l’idéologie adéquate pour remettre en cause la primauté de l’idéologie. Elle assurait l’effacement en douceur, sur le plan de l’apparence, de la planification.

Et, de toute façon, les partisans concrets de la cybernétique, sur le plan de la réalisation, étaient des mathématiciens valorisant la théorie des probabilités, ce qui s’associait tout à fait avec une économie décentralisée et des acteurs relativement autonomes.

Au lieu de la planification voyant les choses sur le long terme, on avait des calculs de probabilité sur le court terme, tel qu’élaborés par le libéral Andreï Markov (1856-1922), avec les mathématiciens de très haut niveau Aleksei Andreevich Liapunov (1911–1973) et Anatoly Kitov (1920 – 2005) généralisant la démarche.

Un tournant fut leur publication, avec Sergei Sobolev, dans Voprosy filosofii (Problèmes de philosophie) en 1955, de l’article intitulé « Les principales caractéristiques de la cybernétique ».

Aleksei Andreevich Liapunov parla d’ailleurs de la « cybernétisation de la science », chaque domaine étant censé passer par la cybernétique afin d’acquérir un caractère « objectif ». Lui et ses partisans réalisèrent d’ailleurs plus d’une centaine de conférences à ce sujet en 1956-1957.

« Passeport » de « Cybertonia », un pays virtuel imaginé par les partisans de la cybernétique, avec une propagande active à Kiev et Lviv en Ukraine

En 1956 est mis en place un Ministère de l’automatisation et cinq ingénieurs sont envoyés en tant que délégation au premier Congrès international de cybernétique à Namur. Anatoli Kitov publia également « Machines numériques de calcul » et « Ordinateurs électroniques numériques ».

Aksel Berg (1893–1979), spécialiste de la radio-électronique, prit alors la tête d’un Conseil scientifique sur les problèmes complexes dans la cybernétique, fondé en 1958.

Les partisans de la cybernétique se retrouvaient alors en mathématiques, leur bastion, mais aussi en informatique, en linguistique, dans la génétique, dans l’art, en neurologie, en psychologie, en philosophie, en droit, en chimie.

Ici, tout est considéré comme une évolution qui connaît des tournants à court terme, sous l’effet de transmission d’informations spécifiques ; l’histoire de la vie devient elle-même l’histoire de la circulation d’informations. C’est la liquidation du matérialisme dialectique, du matérialisme historique.

Victor Pekelis, Petite encyclopédie de la grande cybernétique, 1970

La cybernétique fut valorisée à la télévision naissante, à la radio, dans la presse, par des ateliers, des conférences, la publication d’ouvrages y compris la traduction d’œuvres occidentales.

Cette tendance profitait beaucoup de tendances similaires dans d’autres pays, principalement la Pologne et la République Démocratique Allemande. Dès 1954, Stanislaw Boguslawski, Henryk Greniewski et Jerzy Szapiro publièrent ainsi à Varsovie Six dialogues sur la cybernétique.

Anatoli Kitov put alors proposer à Nikita Khrouchtchev, dans une lettre le 7 janvier 1959, d’établir un ordinateur compilant toutes les données économiques et militaires du pays, permettant à celui-ci de gérer toute l’administration étatique.

En 1961 il publia « Ordinateurs électroniques numériques et programmation », le principal manuel d’informatique en URSS, alors qu’en 1960 Norbert Wiener, le fondateur de la cybernétique, fut officiellement accueilli pour une visite en URSS, à Moscou, Leningrad et Kiev.

Lors du XXIIe congrès du PCUS, en 1961, Nikita Khrouchtchev déclara que :

« Il est impératif d’organiser une application plus large de la cybernétique, du calcul électronique, et des installations de contrôle dans la production, le travail de recherche, la rédaction et la conception, la planification, la comptabilité, les statistiques et la gestion. »

L’année 1961 fut de ce fait marquée par une intense vague de propagande pro-cybernétique, avec notamment la série de publications (« La cybernétique – au service du communisme »), une série d’émissions de radio (« La cybernétique dans nos vies » sur Radio Moscou), de télévision (« Plus vite que la pensée », sur la chaîne de télévision moscovite), plus de deux cents conférences pour les couches supérieures de la société (Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique, managers, ingénieurs, scientifiques…).

En 1962 eut lieu une retentissante conférence, avec mille scientifiques, sous l’égide du Conseil scientifique de la cybernétique de l’académie des sciences de l’URSS, son dirigeant Aksel Berg se voyant accorder une interview dans la Pravda pour la présenter.

Dans son article « La cybernétique et l’éducation », datant de cette époque, Aksel Berg résume de la manière suivante sa vision du monde :

« Dans ses mémoires, Lafargue cite l’idée suivante de Karl Marx : la science n’achève sa perfection seulement quand elle parvient à utiliser les mathématiques. Aucune preuve particulière n’est nécessaire quant au rôle des mathématiques et de l’équipement électronique dans les sciences, qui par leur nature même comportent des calculs de toutes sortes.

La conquête de l’espace, par exemple, aurait été pratiquement inconcevable sans l’utilisation des mathématiques et des dispositifs cybernétiques (…).

La chimie et la physique ont démontré que certains problèmes de biologie sont capables de solution avec virtuellement la même précision que pour les problèmes de la thermodynamique ou de la physique quantique.

Sechenov dit que toutes les manifestations vers l’extérieur de l’activité cérébrale pourraient être réduites à un mouvement musculaire. La main du musicien produit un son plein de vie et de passion à partir d’un instrument sans esprit. Sous la main du sculpteur, la pierre devient vivante.

Les mains tant du musicien que du sculpteur, créant la vie, sont capables de réaliser des mouvements seulement purement mécaniques qui, au sens strict, peuvent être sujets à l’analyse mathématique et exprimée par une formule. »

La même année, le Journal de référence – mathématiques ouvrit une section consacrée à la cybernétique.

Et l’article « Stratégie et cybernétique » du colonel Larionov et du colonel-ingénieur Vaneev, publié le 30 juin 1962 dans la revue militaire Krasnaya Zezda (L’étoile rouge), expliquait que la cybernétique devait être utilisée à tous les niveaux pour calculer les conflits.

En 1963 le bulletin de l’Académie des sciences fonda un nouveau journal : La cybernétique de l’ingénierie ; la Grande Encyclopédie Soviétique définit alors la cybernétique, sous la plume de Andreï Kolmogorov, comme la science

« des méthodes de réception, de stockage, du traitement et de l’utilisation de l’information par les machines, les êtres vivants, et leurs associations. »

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dans l’URSS désormais majoritairement urbaine

L’irruption de la religion de la cybernétique en Union Soviétique avec Nikita Khrouchtchev

La contradiction entre la décélération économique de l’URSS produite par le dégel, en raison de la décentralisation et de la désorganisation, et inversement les prétentions idéalistes à arriver au communisme en 1980, devait produire l’avènement d’une nouvelle idéologie, avec une portée religieuse.

Ce fut la cybernétique, directement reprise aux pays impérialistes, qui remplaça la planification élaborée selon des critères idéologiques.

La cybernétique est une approche se définissant comme scientifique et affirmant qu’une machine, si on lui fournit suffisamment d’informations, peut s’appuyer sur celles-ci pour trouver la meilleure forme d’organisation qui soit.

C’est ce qu’on appelle plus couramment l’intelligence artificielle, même si alors l’expression consacrée strictement équivalente au terme cybernétique est « théorie mathématique de l’information ».

Le principe a été conceptualisé par l’Américain Norbert Wiener (1894-1964) dans son ouvrage de 1948 Cybernetics: Or Control and Communication in the Animal and the Machine (La cybernétique ou théorie de la commande et de la communication dans l’animal et la machine).

Il s’agit là d’un aboutissement d’une démarche développée pendant la guerre par des scientifiques au service de l’armée américaine, avec notamment Norbert Wiener et Julian Bigelow travaillant sur un système statistique de prédiction des tirs, ou encore le logicien Walter Pitts et le neuropsychologue Warren McCulloch visant à modéliser le cerveau humain, avec un article faisant date en 1943.

Après la guerre, ce furent les conférences de la Fondation Macy qui jusqu’en 1953 accompagneront cette tendance à considérer que tout est information et que partant de là avec suffisamment d’informations et de puissance de calcul on peut gérer au mieux ce qui se passe.

La cybernétique est ainsi la prétention à fabriquer un cerveau de type humain de manière artificielle, ou quelque chose qui s’y ressemble ; toute la littérature scientifique américaine des années 1950-1960 est obnubilée par cette question et s’imagine même que les succès sur ce plan se réaliseront à court terme.

Caricature anti-cybernétique soviétique de 1952, dans la revue Technologie Jeunesse

L’étymologie du terme cybernétique est d’ailleurs révélatrice de cette quête. Norbert Wiener le construit en effet à la fin des années 1940 à partir du grec « kybernêtikê » : art de piloter, art de gouverner.

Or, l’allégorie du pilote et du navire pour parler du rapport de l’esprit au corps se retrouve justement chez Aristote et à sa suite tous les philosophes reprenant sa thèse matérialiste comme quoi l’être humain ne pense pas, mais reflète la réalité.

Autrement dit, pour les idéalistes, l’être humain a une âme, un esprit indépendant du corps ; il dispose du libre-arbitre. C’est le pilote qui guide le navire comme il l’entend. Pour les matérialistes, le pilote n’est qu’un aspect du navire et lorsque le navire a coulé, il n’y a plus de pilote non plus.

L’URSS de l’époque de Staline avait tiré à boulets rouges sur cette conception « cybernétique » considérée comme une combinaison d’idéalisme et de contribution au militarisme américain, puisqu’il s’agit ici avant tout de faire progresser les ordinateurs de l’armée américaine notamment pour les missiles.

On lit en 1953 dans l’article « Qui sert la cybernétique ? », publié dans Voprosy Filosofii (Problèmes de philosophie) et signé « matérialiste » :

« La théorie de la cybernétique, essayant d’étendre les principes de l’opération des ordinateurs les plus récents à des phénomènes naturels et sociaux distincts, sans regard pour leur caractère unique qualitatif, est un mécanicisme transformé en idéalisme.

C’est une fleur stérile sur l’arbre de la connaissance, généré comme résultat d’une exagération unilatérale et sans fondement par un des démons de la connaissance. »

Avec Nikita Khrouchtchev, c’est un renversement total et la cybernétique n’est plus considérée comme une « pseudo-science », une « arme idéologique de la réaction impérialiste » ; elle intègre au début des années 1960 le programme du Parti Communiste d’Union Soviétique et relèverait de la « science au service du communisme ».

Un ordinateur MIR à l’Institut de Cybernétique de l’Académie des Sciences d’Ukraine

Le mathématicien Andreï Kolmogorov, aux travaux de portée mondiale, joua ici un rôle important, car aux côtés d’Alexandre Khintchine il s’était grandement tourné vers la question des probabilités, cherchant à apporter des contributions pratiques.

Andreï Kolmogorov définissait la cybernétique comme :

« La science concernant l’étude de systèmes de toute nature en mesure de recevoir, d’emmagasiner et de traiter l’information dans une perspective de contrôle. »

Cependant, sur le plan idéologique, la substitution du matérialisme dialectique par la cybernétique s’appuie surtout sur Arnošt Kolman (1892–1979). Tchèque juif, Arnošt Kolman fut emprisonné pendant la première guerre mondiale par les forces russes, en septembre 1915. Il participa ensuite à la révolution russe, comme membre de la Tchéka puis dans l’armée rouge.

Il fut envoyé en Allemagne à la fin de l’année 1920 comme activiste clandestin à Düsseldorf, Chemnitz, et Breslau. Arrêté, il retourna en Russie soviétique en 1923 à la faveur d’un échange de prisonnier, pour immédiatement retourner en Allemagne clandestinement. Puis, à partir de 1924 et jusqu’en 1930, il œuvre pour les programmes de formation du Parti de la région de Moscou.

Il joua un rôle très important sur le plan idéologique : en 1931 il rejoint la direction de l’Institut Marx-Engels qui publiait les œuvres des fondateurs du marxisme ; en 1932 il fut conférencier à l’Institut des Professeurs Rouges.

Il fut ensuite membre en 1934 du présidium de l’Académie Communiste (qui précéda l’Académie des Sciences), alors qu’il obtint un doctorat sur la philosophie des mathématiques, devenant enseignant de mathématiques ainsi que de matérialisme dialectique.

De 1939 à 1945 il fut d’ailleurs le directeur du département de matérialisme dialectique de l’Institut de philosophie de l’Académie des Sciences, tout en participant de 1929 à 1943 à la revue théorique du Parti, Sous la bannière du marxisme.

Il fut ensuite, de 1945 à 1948, responsable du département de la propagande du Comité Central du Parti Communiste de Tchécoslovaquie. En 1948, le NKVD procéda cependant à son arrestation et il fut emprisonné jusqu’en 1952. Il devint alors enseignant de mathématiques à l’Institut de mécanique automobile à Moscou.

Avec l’accession de Nikita Khrouchtchev au poste de secrétaire général, il fut nommé à un poste à l’Institut pour l’Histoire des sciences naturelles et de la technologie. Il joua alors le rôle de passeur de la cybernétique en URSS.

En novembre 1954, il tint une conférence à l’Académie des sciences sociales, intitulée Qu’est-ce que la cybernétique ?, publiant en 1956 un écrit sur les machines exécutant certaines fonctions mentales humaines, où celle-ci était présentée comme suit :

« La technologie cybernétique est la technologie de la société communiste en construction.

Elle rend possible la transformation du travailleur en ingénieur-bricoleur, elle permettra l’anéantissement de la différence existante entre le travail intellectuel et le travail manuel, le raccourcissement de la journée de travail, la création (conjointement à l’énergie atomique) d’innombrables biens matériels et des possibilités de croissance culturelle du peuple. »

Ce faisant, Arnošt Kolman prenait le contre-pied de la position historique de l’URSS quant à la cybernétique. Et il systématisa son travail, publiant de nombreux ouvrages sur la question, dédiés à des scientifiques ou à la population en général et même aux enfants.

En 1959, il retourna en Tchécoslovaquie, comme directeur de l’Institut de philosophie de l’Académie des sciences, puis dirigeant du Bureau scientifique de l’Académie et responsable éditorial de la Revue philosophique.

Il était devenu la tête de proue de la cybernétique dont l’idéologie était adoptée dans les pays de l’Est européen, tout comme en URSS, en remplacement de la planification décidée selon des critères idéologiques. La cybernétique devait amener au communisme à court terme.

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dans l’URSS désormais majoritairement urbaine

La décentralisation dans la logique managériale en Union Soviétique avec Nikita Khrouchtchev

L’échec du passage à une population soviétique majoritairement urbaine avait provoqué une restauration du capitalisme se généralisant à l’ensemble de la société, de manière silencieuse.

Le « dégel » orchestré par Nikita Khrouchtchev est le produit de l’échec à dépasser la contradiction villes/campagnes, fournissant un espace invisible aux forces capitalistes.

Il reflète en fait la tentative de développer l’économie sans passer par la planification, en s’appuyant sur les initiatives individuelles en rétablissant le profit par l’intermédiaire de la décentralisation et de l’autonomie.

Le point culminant de cette tendance fut la publication par la Pravda, le 9 septembre 1962, de l’article d’Evseï Liberman intitulé « Le Plan, le profit, la prime ». Il y prône l’intéressement des entreprises aux résultats de la production.

Cet intéressement doit être calculé de manière spécifique pour chaque entreprise, en étudiant sa réalité et non pas en se fondant sur ses résultats jusque-là ; chaque cas serait spécifique et la démarche resterait socialiste puisque les entreprises, mêmes prises en compte individuellement, doivent tout de même produire ce qu’on leur demande, même s’il y a intéressement.

« Il est nécessaire de trouver une solution assez simple et en même temps justifiée à l’une des tâches les plus importantes définies dans le programme du PCUS : construire un système de planification et d’évaluation du travail des entreprises afin qu’elles s’intéressent de manière vitale à la plus haute objectifs, dans l’introduction de nouvelles technologies et l’amélioration de la qualité des produits, en un mot, dans la plus grande efficacité de production (…).

Comment confier aux entreprises la tâche de faire des plans, si maintenant tous leurs plans sont en règle générale bien inférieurs à leurs capacités réelles? 

Cela peut être fait si les entreprises sont le plus moralement et financièrement intéressées par la pleine utilisation des réserves, non seulement dans la mise en œuvre, mais aussi dans l’élaboration même des plans (…).

Le principe est, premièrement, que plus la rentabilité est élevée, plus l’incitation est grande.

Par exemple, avec une augmentation de la rentabilité de 5,1% jusqu’à 61%, soit 12 fois, l’incitation pour l’entreprise passe de 2,1 kopecks à 5,3 kopecks, soit 2,5 fois.

Cela garantit aux entreprises une forte incitation matérielle à accroître leur rentabilité.

Mais dans le même temps, le montant des revenus allant au budget de l’État augmente beaucoup plus rapidement : de 3 kopecks à 54,7 kopecks, respectivement, pour chaque rouble des fonds, soit 18 fois.

Cela garantit une croissance encore plus rapide de la richesse sociale et en même temps une protection contre des contributions trop élevées à l’entreprise.

Il n’y a pas de danger pour les recettes budgétaires: au contraire, il y a lieu de s’attendre à une augmentation significative des recettes publiques sous l’influence d’un fort intérêt matériel des entreprises pour l’augmentation générale des bénéfices. »

Et la rédaction de la Pravda d’ajouter après l’article :

« Des questions importantes et fondamentales sont soulevées dans l’article publié aujourd’hui par le docteur en économie E. Lieberman.

Le comité de rédaction de la Pravda, attachant une grande importance à ces questions, invite les économistes, les travailleurs de l’industrie, les organismes de planification et économiques à se prononcer sur les propositions concrètes de l’auteur de l’article. »

Cette logique managériale impliquait la mise en place d’une nouvelle idéologie, qui au lieu de la centralisation et de la planification, s’appuie sur la décentralisation et la gestion.

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La décentralisation économique au niveau soviétique avec Nikita Khrouchtchev

L’arrivée de Nikita Khrouchtchev à la tête du Parti, après la mort de Staline le 5 mars 1953, se caractérise par un profond ébranlement de la structure soviétique. Cela se lit avec une décision rapide et unilatérale.

Le Comité Central, lors d’une session plénière, fit de lui son secrétaire le 14 mars 1953, avant que le 7 septembre il ne devienne premier secrétaire du Comité Central. Et dès février 1954, le Présidium du Soviet suprême de l’URSS transfère la région de la Crimée à l’Ukraine.

C’est historiquement une aberration, la Crimée étant russe et n’ayant pas de liens avec l’Ukraine. Il s’agissait cependant d’un renforcement du poids de l’Ukraine et, par-là, de l’appareil du Parti ukrainien.

De fait, Nikita Khrouchtchev avait été à partir de 1934 le responsable du Parti pour la région de Moscou, puis responsable du Parti en Ukraine en 1938. En 1939, il fut alors nommé membre du Bureau Politique.

En apparence, le « don » de la Crimée à l’Ukraine par la Russie visait à célébrer le tricentenaire du choix des cosaques ukrainiens de se tourner vers la Moscovie après la prise de Kiev. Le traité de Pereïaslav faisait en sorte que les cosaques disposent d’une large autonomie en échange d’une soumission au tsar Ivan IV dit le terrible. Le décret du transfert de la Crimée à l’Ukraine parle également de proximité territoriale, de liens culturels et économiques entre la Crimée et l’Ukraine.

En réalité, c’était un basculement dans le Parti avec la fraction « ukrainienne » portée par Nikita Khrouchtchev et prenant certaines commandes. L’Ukrainien Rodion Malinovski, une figure très importante de la seconde guerre mondiale, devint d’ailleurs en 1956 commandant en chef des forces terrestres soviétiques et premier adjoint du ministre de la Défense, puis ministre de la Défense l’année suivante.

Place Pouchkine, Moscou, 1967

Mais ce fractionnisme national fut même généralisé. En lieu et place d’un lieu central de décisions économiques au niveau soviétique, le pays fut en 1957 découpé en 105 puis 47 zones supervisées par les sovnarkhozes, les conseils de l’économie nationale, alors que 25 des 37 ministères existant furent tout simplement supprimés.

Cette décentralisation fut considérée comme une correspondance correcte avec la base économique et le 21e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, considéra en janvier 1959 que la victoire du socialisme était « complète et définitive ».

En 1960, de tels conseils existaient également au niveau des différentes républiques et de l’État afin d’essayer de coordonner l’ensemble, puis en 1963 fut formé un Conseil suprême de l’économie nationale du Conseil des ministres de l’URSS, comme expression des nouvelles forces localistes s’étant mises en place.

C’était un « dégel » au niveau de l’URSS comme structure auparavant centralisée et, naturellement, cela s’accompagnait d’un renouvellement général des cadres selon les besoins de la fraction devenue dominante.

Un gâteau dit de Kiev, à l’usine de confiserie Karl Marx de Kiev en 1965, où il fut inventé en 1956, obtenant un succès à l’échelle soviétique

En pratique, la mise en place des sovnarkhozes s’accompagne d’une vague très importante de pillage des ressources centrales au profit de forces locales désormais soumises aux responsables régionaux formant de véritables clans se concurrençant les uns les autres.

En septembre 1962, un redécoupage régional fut imposé par le pouvoir central afin de former une contre-tendance, toutes les mesures administratives lancées en mai 1958 ayant entre-temps échoué.

Mais il était trop tard : le processus de dissolution était déjà engagé à grande échelle.

D’ailleurs, à la toute fin de 1962, le Parti Communiste d’Union Soviétique se réorganisa en séparant au niveau régional ses structures liées à l’agriculture et celles liées à l’industrie, même si furent formés en même temps des comités d’État pour la production, ainsi qu’une centralisation de la construction.

La cassure en deux de l’appareil du Parti Communiste d’Union Soviétique, avec d’un côté l’aspect agricole, de l’autre l’aspect industriel, consistait en l’inévitable reconnaissance historique d’une séparation villes/campagnes dans le sens capitaliste de la division et c’était l’expression de la transition ratée de l’URSS à une population urbaine.

Ce fut ainsi une contre-révolution silencieuse à grande échelle, par la contradiction villes/campagnes, comme en témoigne le changement de personnel du Parti.

« Les chiffres montrent qu’à l’issue des XXe et XXIIe Congrès du P.C.U.S. réunis respectivement en 1956 et 1961, près de 70 pour cent de ses membres élus par le XIXe Congrès du P.C.U.S. en 1952 ont été éliminés.

Et près de 50 pour cent de ses membres élus par le XXe Congrès ont été épurés au XXIIe Congrès.

Autre exemple : les organisations locales des divers échelons.

Selon les chiffres incomplets, à la veille du XXIIe Congrès du P.C.U.S., la clique révisionniste de Khrouchtchev tira prétexte du « renouvellement des cadres » pour révoquer et remplacer 45 pour cent des membres des comités centraux des républiques fédérées, des comités du Parti des territoires et régions, et 40 pour cent des membres des comités municipaux et des comités d’arrondissements.

En 1963, sous prétexte de constituer des « comités du parti pour l’industrie » et des « comités du parti pour l’agriculture », la clique de Khrouchtchev a révoqué et remplacé plus de la moitié des membres des comités centraux des républiques fédérées et des comités du Parti des régions.

Toutes ces mutations ont permis à la couche privilégiée de contrôler le Parti, le gouvernement et les autres secteurs importants. »

Rédactions du Renmin Ribao – Quotidien du peuple et du Hongqi – Drapeau Rouge : Le pseudo-communisme de Khrouchtchev et les leçons historiques qu’il donne au monde, 14 juillet 1964

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La décentralisation économique dans l’agriculture en Union Soviétique dans les années 1950

Le « dégel » initié par Nikita Khrouchtchev avait cependant un énorme problème : le retard dans le domaine agricole. La production était en retrait niveau qualité et quantité. C’était déjà une question brûlante au moment de la mort de Staline.

Nikita Khrouchtchev en fit l’alpha et l’oméga de sa politique, ce fut son obsession, au point qu’il obtint même le surnom de « kukuruznik », l’homme-maïs.

C’est qu’au début des années 1960, moins de cinq millions d’agriculteurs américains produisaient davantage que 39 millions de paysans russes avec seulement les 3/4 du territoire de ces derniers.

L’URSS devait s’approvisionner à l’étranger, ce qui donne par exemple 12,1 millions de tonnes de blé importés en 1963, 50 000 tonnes de riz en 1964, 90 000 tonnes de soja en 1965, etc.

Boulangerie, Moscou, 1965

Le blé devait résoudre le problème : produit en 1953 sur seulement 3,5 millions d’hectares (3,3 % des 106 millions d’hectares agricoles), il l’est en 1962 sur 37,2 millions d’hectares.

L’agriculture soviétique était alors passée à 220 millions d’hectares cultivés, doublant sa surface en moins de dix ans, cette option étant considérée comme essentielle par Nikita Khrouchtchev.

En septembre 1953, les prix des achats d’État auprès des fermes collectives augmentèrent de manière significative pour les produits agricoles, doublant pour les grains, faisant plus que doubler pour le lait et les patates, étant multipliées par cinq pour la viande.

Les sommes d’argent obtenues par les fermes collectives et les paysans augmentèrent ainsi tant par l’élargissement de leurs activités que par une valorisation assumée par l’État.

195219531955195619571959
31,341,46488,597,1144,9

Il est à noter que Nikita Khrouchtchev fit le choix de démanteler les 9000 Stations de Machines et de Tracteurs ; en 1957-1958, leur matériel est vendu aux fermes collectives. On retrouve ce principe de la décentralisation, de la tentative d’abaisser le niveau d’obstacles, dans l’esprit du « dégel », mais également bien sûr de renforcer le principe de la commercialisation au lieu de l’intervention d’État.

Staline s’était d’ailleurs opposé fermement à cela, peu avant sa mort, dans ses Problèmes économiques du socialisme, en 1952. Il y constatait :

« Les camarades Sanina et Venger proposent, comme mesure essentielle, de vendre en propre aux kolkhozes les principaux instruments de production concentrés dans les stations de machines et de tracteurs ; de décharger par ce moyen l’État de ses investissements de capitaux dans l’agriculture et de faire assumer aux kolkhozes la responsabilité de l’entretien et du développement des stations de machines et de tracteurs (…).

Certes, l’Etat vend aux kolkhozes le petit outillage, comme cela se doit d’après les Statuts de l’artel agricole et la Constitution.

Mais peut-on mettre sur le même plan le petit outillage et ces moyens essentiels de la production agricole que sont les machines des S.M.T. ou, mettons, la terre qui, elle aussi, est un des moyens essentiels de la production dans l’agriculture. Il est clair que non.

On ne peut pas le faire, le petit outillage ne décidant en aucune mesure du sort de la production kolkhozienne, tandis que les moyens de production tels que les machines des S.M.T. et la terre décident pleinement du sort de l’agriculture dans nos conditions actuelles (…).

L’État seul peut se charger de ces dépenses, lui seul étant capable de supporter les pertes entraînées par la mise hors de service des vieilles machines et leur remplacement par de nouvelles, lui seul étant capable de supporter ces pertes pendant six ou huit ans, et d’attendre l’expiration de ce délai pour récupérer ses dépenses (…).

Admettons un instant que nous ayons accepté la proposition des camarades Sanina et Venger, et commencé à vendre en propre aux kolkhozes les principaux instruments de production, les stations de machines et de tracteurs.

Qu’en résulterait-il ?

Il en résulterait, premièrement, que les kolkhozes deviendraient propriétaires des principaux instruments de production, c’est-à-dire qu’ils se trouveraient placés dans une situation exceptionnelle qui n’est celle d’aucune entreprise dans notre pays, car, on le sait, les entreprises nationalisées elles-mêmes ne sont pas chez nous propriétaires des instruments de production.

Comment pourrait-on justifier cette situation exceptionnelle des kolkhozes, par quelles considérations de progrès, de marche en avant ?

Peut-on dire que cette situation contribuerait à élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale, qu’elle hâterait, le passage de notre société du socialisme au communisme ?

Ne serait-il pas plus juste de dire que cette situation ne pourrait qu’éloigner la propriété kolkhozienne de la propriété nationale et aboutirait à nous éloigner du communisme, au lieu de nous en rapprocher.

Il en résulterait, deuxièmement, un élargissement de la sphère d’action de la circulation des marchandises qui entraînerait dans son orbite une quantité énorme d’instruments de production agricole.

Qu’en pensent les camarades Sanina et Venger ? L’élargissement de la sphère de la circulation des marchandises peut-il contribuer à notre avance vers le communisme ?

Ne sera-t-il pas plus juste de dire qu’il ne peut que freiner notre avance vers le communisme ? »

Staline décrit ici précisément ce qui s’est déroulé après sa mort, avec des kolkhozes obtenant une certaine autonomie, tout comme les entreprises industrielles l’ont eu. C’est un très net recul vers le capitalisme au travers d’une multiplication des échanges marchands.

D’ailleurs, l’utilisation des lopins de terre privés a vu les livraisons obligatoires supprimées, les redevances pour vendre sur les marchés ont été abaissées de moitié, etc. Le régime soutint la systématisation de la construction de petites maisons de campagnes estivales de taille modeste (60 m² au maximum d’habitation) agrémentés d’un petit jardin, les datchas, relevant de la propriété privée.

C’était une libéralisation généralisée et en pratique, le ministère de l’agriculture s’est très vite retrouvé avec moins du 1/5 de son personnel, alors que le secteur privé l’emporta en termes d’initiatives.

En 1966, la production privée, qui n’occupait que 3 % de la surface agricole totale, produisait 60 % des pommes de terre, 40% de la viande, 40 % des légumes, 39 % du lait, 68 % des œufs. Il existait 7 500 marchés libres, où 17 millions de personnes intervenaient comme vendeurs.

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La décentralisation économique dans l’industrie en Union Soviétique dans les années 1950

Le dégel suit en économie la même logique que dans la culture et la politique. Les appareils et l’idéologie sont considérés comme des verrous à faire sauter.

Les Izvestia publièrent en octobre 1954 un long article « Sur le formalisme et le caractère dommageable d’une centralisation excessive », puis une semaine après la Pravda annonça que le centralisme devrait reculer et que les organes de planification devaient perdre en importance.

Le processus avait en fait déjà commencé. Entre 1952 et 1954, les organes de planification avaient perdu 20,6 % de leur personnel, 200 bureaux et 4500 départements avaient été liquidés. Plusieurs milliers d’entreprises passèrent sous la main des différentes républiques et les spécialistes furent attribués aux entreprises au lieu de dépendre de l’administration.

Moscou, 1956

Le Conseil des ministres fit en ce sens passer une résolution, en juillet 1954, sur « la réduction des indicateurs du plan économique national, du plan d’approvisionnement et du plan de mécanisation globale et de l’introduction de nouvelles technologies dans la construction pour 1955 ».

La résolution souligne la systématisation de la formation des spécialistes liés non plus à l’administration, mais directement à la production. On est tout à fait dans l’esprit du « dégel » et en avril 1955 eut lieu une conférence de la plus haute importance, avec les plus hauts membres du Parti et de l’État avec les directeurs d’usine, les ingénieurs les plus qualifiés, etc. Il fut très clairement souligné que désormais ce qui comptait c’était la dimension gestionnaire locale.

Il existe une anecdote sur ce que Nikita Khrouchtchev aurait raconté lors d’une conférence à Sofia, en Bulgarie, en 1955 ; elle est à la fois vraie et romancée, de manière typique d’un Nikita Khrouchtchev toujours très imagé dans ses propos :

« Selon Khrouchtchev, [Nikolaï] Voznessenski … est allé le voir lui, Malenkov et Molotov, et a déclaré qu’il avait eu une longue session avec Staline [en 1949] expliquant son projet de nouveau plan quinquennal.

Une composante de celui-ci permettait un certain relâchement de la planification trop centralisée et certaines mesures de type NEP pour restaurer l’économie.

Staline avait alors dit : « Vous cherchez à restaurer le capitalisme en Russie. »

Khrouchtchev dit que cela suffisait à inquiéter sérieusement le camarade Voznessenski, et il est venu nous demander d’intercéder auprès de Staline.

Nous avons tous les trois demandé un entretien avec Staline et avons été reçus par lui à midi. Nous avons déclaré que nous avions vu et approuvé le mesures proposées par Voznessenski.

Staline nous a écoutés et puis a déclaré : « Avant de continuer, vous devez savoir que Voznessenski a été exécuté ce matin ».

Voilà. Que pouviez-vous faire? Un homme est prêt à être un martyr mais à quoi sert-il de mourir comme un chien errant ? Il n’y avait rien que nous pouvions faire pendant que Staline vivait. »

C’est tout à fait significatif de l’approche de Nikita Khrouchtchev et de la couche sociale qu’il représente : l’idéologie est mise de côté au nom d’une gestion pragmatique, avec naturellement les couches urbanisées et diplômées formant une nouvelle élite aux côtés des bureaucrates de l’administration et de l’appareil militaire.

Le café Chaïka à Bakou dans les années 1960

Deux autres résolutions, en août 1955 et en mai 1956, renforcèrent les droits des ministres, des chefs de département, des directeurs d’entreprises, avec également une modification de la procédure de planification et de financement par l’État de l’économie des Républiques Socialistes.

Cela permettait une certaine marge de manœuvre aux gestionnaires quant aux décisions budgétaires, aux décisions d’allocations des ressources pour la production, avec notamment une possibilité de se tourner également directement vers certains fournisseurs, de réorganiser les salaires donnés, de modifier relativement les plans donnés, de procéder à des constructions en toute indépendance, etc.

Cela asseyait définitivement le « dégel » dans l’économie.

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Le « dégel » en Union Soviétique avec Nikita Khrouchtchev

Le régime soviétique présenta la liquidation des fondements idéologiques comme la fin des obstacles bureaucratiques à la construction du socialisme et même à l’arrivée à court terme au communisme.

Le terme employé pour désigner cette période est celui de « dégel », depuis le roman Le dégel d’Ilya Ehrenbourg paru en 1954, qui se déroule dans des territoires éloignés des centres urbains pour se présenter comme un « portrait » social.

L’approche est caractéristique de la critique faite alors sous l’égide de Nikita Khrouchtchev : les gens authentiquement créatifs sont mis de côté par des fonctionnaires ne cherchant qu’à se faire bien voir du régime. L’artiste qui fait des œuvres sans y croire mais favorables au régime est soutenu, pas celui qui est créatif, il en va de même pour les ingénieurs, etc.

Le dégel d’Ilya Ehrenbourg, 1954

L’Homme ne vit pas seulement de pain, de Vladimir Doudintsev en 1956, connut pareillement une grande valorisation pour son histoire d’ingénieur inventeur faisant face au complot de la bureaucratie.

Voici comment Le Monde parle de cet ouvrage, en avril 1957 :

« Doudintsev n’est pas un grand écrivain. Ce n’est certainement pas par un talent littéraire exceptionnel qu’il a conquis rapidement la célébrité dans son pays et hors de ses frontières, c’est par le courage avec lequel il a dénoncé certaines plaies de la société soviétique.

Nous avons parlé ici à deux reprises de son livre (le Monde des 8 décembre 1956 et 30 janvier 1957), et cela nous dispensera d’en faire l’analyse aujourd’hui.

Nous nous bornerons à en recommander vivement la lecture, car il apporte un témoignage vivant et véridique sur une société que l’on dit sans classes, mais où sont apparues des castes qui défendent avec âpreté leurs privilèges.

Dans les milieux administratifs et scientifiques existent des bureaucrates routiniers, des arrivistes cyniques, imbus de leur fausse supériorité, groupés en chapelles, et qui se défendent contre tous les novateurs enthousiastes en dressant toutes sortes d’obstacles sur leur route. »

L’œuvre de science-fiction de 1957 La Nébuleuse d’Andromède, du paléontologue et géologue Ivan Efremov, valorise pareillement un scientifique ayant mené une expérience catastrophique, mais ayant pris des risques ayant fait avancer la science, dans un cadre technico-futuriste de colonisation spatiale.

Une journée d’Ivan Denissovitch, d’Alexandre Soljenitsyne en 1962, marqua le point culminant du dégel, avec sa présentation caricaturale d’une journée dans un camp de travail.

La publication de cette œuvre à quasiment 100 000 exemplaires fut soutenue par le Bureau Politique du Parti Communiste d’Union Soviétique lui-même ; dès 1963 la revue Roman-Gazeta le republia, avec un tirage de 700 000 exemplaires, une édition séparée de 100 000 exemplaires étant menée par les éditions Sovietski Pissatel.

Une journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne, 1962

Ce soutien à Alexandre Soljenitsyne n’est pas un fait isolé.

Nikita Khrouchtchev réhabilita par exemple Evsey Shirvindt et le nomma chercheur principal au Bureau spécial des camps de travail. Celui-ci avait notamment été le dirigeant de la Direction Générale des Lieux de Détention de 1922 à 1931 et le principal assistant du Procureur de l’URSS pour la surveillance des prisons et des camps de travail de 1933 à 1938, avant d’être lui-même condamné en camp de travail en 1938 puis à l’exil intérieur en 1949.

Il fit de même avec Olga Shatunovskaya, condamnée en 1937 et devenant désormais une dirigeante des recherches pour les réhabilitations des condamnés des années 1930, ainsi qu’avec Alexandre Todorsky, un militaire condamné en 1938 et désormais réhabilité et nommé à la tête d’une commission pour connaître les « victimes » dans l’armée lors de la répression des années 1930.

Le militaire Alexandre Snegov, condamné en 1938, fut même invité par Nikita Khrouchtchev au 20e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, puis réhabilité et mis à la tête du département politique de l’administration principale des camps du ministère des Affaires intérieures de l’URSS, qui exista jusqu’en 1960.

De manière fort logique, la notion juridique d’ennemi du peuple fut supprimé du code pénal, en décembre 1958.

Moscou, 1960

Le « dégel » se développa également dans le rapport avec les pays capitalistes, avec le principe de la « coexistence pacifique ». Nikita Khrouchtchev devint d’ailleurs une véritable figure médiatique dans les pays capitalistes, avec son voyage aux États-Unis en septembre 1969, donnant une image de sympathique rondouillard proposant une compétition pacifique pour le meilleur niveau de vie.

De la même manière, les Partis Communistes des pays capitalistes durent adopter la ligne du passage pacifique au socialisme, une révolution n’étant plus nécessaire. La notion de dictature du prolétariat disparut d’ailleurs en URSS, le 22e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, en 1961, présenta celui-ci comme le « parti du peuple tout entier » dans le cadre d’un « État du peuple tout entier ».

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La contradiction villes-campagnes en URSS dans les années 1950

Lorsque Staline meurt en 1953, l’URSS était en train de se rétablir des terribles dégâts causés par la seconde guerre mondiale. Mais il y a deux autres facteurs essentiels à prendre en compte. Tout d’abord, le rétablissement économique de l’URSS s’accompagne d’une profonde évolution en ce qui concerne le rapport ouvriers-paysans, dans le cadre de la contradiction villes-campagnes.

AnnéePopulation totale*Population urbaine*Population rurale*
195017869109
1959209100109
1962220112108
*en millions d’habitants

Ensuite, il y a à travers le monde une importante évolution technique et technologique et l’URSS, industrialisée par le socialisme, en était partie prenante.

Si l’on ajoute à cela une vague de l’idéologie patriarcale, qui profita de la seconde guerre mondiale, on a trois défis pour l’URSS et l’échec dans ces trois domaines marqua le succès de Nikita Khrouchtchev et de ses partisans.

Si l’on y regarde bien, c’est en fait l’hégémonie de l’URSS urbanisée sur l’URSS rurale qui caractérise la période de Nikita Khrouchtchev, avec un style de vie sans exigence, teinté de patriarcat, avec une soumission aux gestionnaires au nom de la primauté des techniques modernes.

L’ancien mode de vie soviétique, avec des villes qui étaient des bastions ouvriers dans une URSS paysanne, s’effaçait devant la mise en place d’un style de vie désormais toujours plus urbain et largement influencé par les couches intellectuelles.

Crèche devant les bâtiments du quotidien la Pravda, 1955

Deux phénomènes sont ici essentiels. Tout d’abord, entre 1928 et 1955, le nombre de spécialistes ayant eu une éducation universitaire était passé de 233 000 à 2,2 millions.

Ensuite, l’économie soviétique, en reconstruction après 1945, put se focaliser sur la construction et de 1957 à 1963 ; le parc de logements est passé de 640 à 1 184 millions de m², cent millions de personnes déménageant dans de nouveaux logements.

Ces deux phénomènes n’ont pas été marqués par un accompagnement culturel, encore moins une révolution culturelle. Et ils profitent sans commune mesure au « dégel » dirigé par Nikita Khrouchtchev, c’est-à-dire au démantèlement des structures idéologiques caractérisant la période où Staline dirigeait l’URSS.

Une pharmacienne à Moscou, 1964

Ce que propose Nikita Khrouchtchev, c’est un mode de vie petit-bourgeois, avec une élévation du niveau de confort, dans un cadre moderne.

Ce fut ainsi les débuts de la télévision et des studios furent mis en place dans toutes les capitales des républiques soviétiques, avec la formation d’un nouveau personnel culturel. Dans les faits, les revenus réels de la population ont augmenté d’un tiers ; toute une scène d’artistes populaires émerge dans les domaines de la musique, du théâtre, du cinéma.

Et le symbole de cette modernisation, c’est bien sûr, dans la continuité du projet spatial initié dès les années 1930, le lancement du satellite artificiel Spoutnik 1, lancé le 4 octobre 1957, puis le premier vol spatial habité avec Youri Gagarine à bord du Vostok 1 le 12 avril 1961.

Youri Gagarine à bord du Vostok 1

Ainsi, Nikita Khrouchtchev était absolument triomphaliste. Les dirigeants de l’URSS, au milieu des années 1950, ne sont pas désemparés, ils estiment qu’ils vont triompher.

D’un côté, il y a donc la dénonciation de Staline par Nikita Khrouchtchev au vingtième congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, en 1956.

De l’autre, il y a l’affirmation au 22e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, en octobre 1961, par Nikita Khrouchtchev, que la base matérielle et technique du communisme serait mise en place en 1980, le congrès validant la thèse et la plaçant en conclusion de son document final.

Vue depuis un ligne de métro moscovite, 1960

Ainsi, contrairement à ce qui a été pensé à l’époque, les profondes modifications du régime soviétique qui se sont produites après la mort de Staline en 1953 n’ont pas été présentées comme un retour en arrière qui ramènerait directement au « léninisme ». Elles ont été bien au contraire mises en avant comme un grand pas en avant, qui ramènerait indirectement au léninisme.

La nuance est subtile, mais d’une immense importance. La génération qui est aux commandes de l’État dans les années qui suivent la mort de Staline n’est nullement celle de gens qui avaient été mis à l’écart ou qui se situaient sur des positions opposées à la ligne générale du régime.

Nikita Khrouchtchev était le responsable du Parti en Ukraine ; Mikhaïl Souslov était membre du Bureau Politique et un cadre du plus haut niveau de l’appareil d’État ; Alexandre Chélépine qui dirigera le KGB était le dirigeant des jeunesses communistes, les Komsomol ; Nikolaï Mikhaïlov qui sera ministre de la culture était secrétaire du Comité Central, etc.

Pour cette raison, les communistes chinois considérèrent initialement que si les communistes soviétiques disent quelque chose à ce sujet, ils sont légitimes pour le faire. Ils s’imaginaient avoir affaire au canal habituel – ce n’est que par la suite qu’ils se revendiqueront inversement comme le canal historique, rejetant l’URSS de Nikita Khrouchtchev.

Moscou, 1966

C’est que ceux que les communistes chinois accusèrent par la suite et à juste titre d’être des « révisionnistes » ne présentaient pas leur démarche comme une révision, mais comme le passage à une étape supérieure. Selon eux, la situation était tout à fait nouvelle, en tout.

L’URSS marcherait très rapidement au communisme, l’impérialisme aurait cédé la place à un capitalisme monopoliste d’État, les pays arriveraient au socialisme par les élections, etc.

Il ne s’agit donc pas, en apparence, d’une négation du parcours soviétique de Staline, mais de l’effacement de sa substance, pour se présenter comme la continuité réelle et finalement naturelle.

Il ne s’agissait donc pas d’une ligne opportuniste de droite, comme les véritables communistes l’ont cru à l’époque, mais d’une ligne opportuniste de gauche. Nikita Khrouchtchev et la direction du Parti Communiste d’Union Soviétique prétendaient faire mieux que Staline, leurs ambitions étaient démesurées, leurs espoirs hallucinés.

D’où la véritable croyance en la cybernétique, considérée comme une « technique » résolvant absolument tous les problèmes économiques et scientifiques.

Revue « Le jeune technicien », 1968

D’où le développement du mysticisme à tous les niveaux. On a un excellent exemple de cela avec l’initiative de Dora Lazurkina, membre du Parti depuis 1902, arrêtée en 1939 et libérée en 1955, qui expliqua à la tribune du 22e congrès, le 30 octobre 1961, que Lénine lui avait parlé dans son esprit et demandait que le corps de Staline soit enlevé du mausolée sur la Place rouge ! Ce qui fut fait secrètement dans la nuit du 31 au 1er novembre.

C’est malheureusement la raison pour laquelle la lutte anti-révisionniste fut si peu efficace : elle condamnait des gens faussant l’idéologie communiste pour retourner au réformisme, sauf que ces gens se présentaient sous un masque ultra-révolutionnaire.

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dans l’URSS désormais majoritairement urbaine

Interview d’ETA au journal GARA (2007)

8 avril 2007

ements fermes avec un scénario sans violence. »

Les dernières semaines on a beaucoup parlé des intentions d’ETA. Le communiqué du 10 janvier était l’objet d’évaluation et débat le plus récent jusqu’à aujourd’hui. Dans cette interview effectuée par GARA, ETA détaille ses réflexions, objectifs et compromis. Elle a été effectuée en langue basque, mais pour sa valeur journalistique on offre aussi la traduction complète en espagnol.

On parle beaucoup de l’opportunité qui existe pour dépasser le conflit au Pays basque. Mais, quelle est la photographie que fait ETA du pays ?

Il est connu que notre objectif est un Pays basque libre et socialiste et que nous combattons pour l’obtenir. Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous voyons plus près qu’il y a des années un État indépendant, bien qu’il faille encore travailler et lutter beaucoup.

D’autre part, nous voyons un peuple qui construira en liberté son avenir, qui parcourra son chemin vers l’indépendance.

Toutefois, ceux qui ont divisé le Pays basque, et leurs successeurs, ont mené à bien un travail énorme pour détruire l’identité de notre peuple. Les valeurs du capitalisme sont très vives aujourd’hui. Et, selon nous, les actuels gestionnaires du Pays basque divisé sont les principaux responsables de cette situation.

Quels sont les principaux problèmes que vous détectez ?

Les gestionnaires des actuelles institutions et les caciques qui régissent le Pays basque ne veulent pas résoudre les principaux besoins de notre peuple.

Comment ne se rendent-ils pas compte des problèmes structurels sérieux du Pays basque ? Par exemple, celui de l’officialisation de la langue basque ; en mettant son avenir entre les mains de personnages comme Sanz ou Lasserre, notre langue est condamnée à mourir. Il suffit de relire les enquêtes sociolinguistiques réalisées dans les sept territoires pour se rendre compte que l’avenir de la langue basque est très noir. Et, face à cette situation, dans le meilleur des cas ils se limitent à mettre de faux instruments pour tranquilliser ou désactiver la société. Cela n’est pas le chemin.

Et les travailleurs basques ? Leur situation est inacceptable. Conditions de travail, précarité absolue… Par exemple, au Pays basque, les accidents et la mort de travailleurs sont une chose courante et quotidienne. En ce sens, les pouvoirs publics et les chefs d’entreprise basques ont une responsabilité qu’ils ne peuvent pas dissimuler.

Tandis que les patrons condamnent des travailleurs à mourir, les caciques politiques du PNB pensent seulement à la façon dont ils vont dissimuler leurs biens aux citoyens. Pour eux la question primordiale ce sont leurs maisons d’été, d’hiver et de vacances. Pendant ce temps, ils ignorent les revendications et les appels de tous les syndicats, et ainsi jusqu’à quand ? Euskadi Ta Askatasuna demande ce qu’ils sont disposés à faire pour mettre un terme à cette oppression !

D’autre part, la situation est très grave en Lapurdi, Zuberoa et en Baxe Nafarroa. Le Nord du Pays basque ne dispose pas d’une structure institutionnelle propre. Tout est ainsi, au bénéfice de Paris, le projet 2×2, le Train à Haute Vitesse ou d’autres projets gigantesques sont le futur qu’ils nous dessinent.

Mais le problème de base n’est pas que ces projets ne soient pas nécessaires selon nous pour le Pays basque, non, ce n’est pas cela la question principale, le problème est de voir comment ils le font. Sans aucune honte, ils imposent à notre peuple des projets qui conditionnent l’avenir du Pays basque. Ces personnages qui se remplissent la bouche avec des mots tel que démocratie ou participation cachent à la société ce qu’ils veulent faire et pourquoi ils veulent le faire.

Les institutions actuelles agissent en tournant le dos aux problèmes des citoyens. Les citoyens ne peuvent recevoir une information de ces projets que grâce aux plates-formes populaires, parce que les idéologues de ces projets les cachent aussi. Comme ils l’ont fait avec la Centrale de Boroa et le marais d’Itoiz. Toute cette destruction est aussi faite contre la volonté des citoyens.

Ces situations ont pour origine l’oppression, la négation et la division du Pays basque. Aujourd’hui, notre peuple ne dispose pas encore des instruments de pouvoir et de souveraineté nécessaires pour construire et organiser son avenir. Par contre, ceux qui gèrent les actuelles institutions travaillent tous les jours pour que la situation de négation et de division du Pays basque soit définitive.

Nous voulons seulement leur dire une chose. Qu’ils abandonnent cette politique d’imposition et qu’ils laissent dans les mains des citoyens tous les mécanismes démocratiques pour qu’entre nous tous nous construisions l’avenir de notre peuple !

Sur le processus, sur le blocus et l’appel à la société basque

On parle beaucoup du processus… mais, quelle est la raison qui vous amène à soutenir ou à mettre en marche un processus, maintenant ? Pourquoi ETA dit qu’il y a les conditions pour mener à bien un processus ?

Il y a deux ans quelques événements ont eu lieu dans l’État espagnol. À partir de là, on a fixé un nouveau début.

Premièrement, les attaques armées du 11-M à Madrid ont mis un terme à huit ans de gouvernement d’Aznar et le PSOE est arrivé au pouvoir. Ces événements ont provoqué des changements et, en suivant l’analyse que nous faisions, en analysant comment s’est effectué ce changement dans le conflit du Pays basque, nous prévoyions ce que ces changements donneraient s’il y avait volonté de la part des nouveaux chefs du PSOE. Cela a été un des facteurs.

D’autre part, les déclarations du PSOE et la « volonté » de Zapatero reflétaient une volonté de changer. Ainsi, ETA a compris qu’il y avait une certaine intention de mettre en marche un deuxième processus de réforme dans l’État espagnol. Nous pouvions interpréter que cette réforme apporterait la résolution définitive du conflit entre le Pays basque et l’État espagnol.

Et, évidemment, il y avait un compromis des deux côtés pour qu’une discussion puisse se faire, comme dans tous les processus de résolution. Nous n’entrerons pas dans les détails, mais nous parlons de cela quand nous disons que l’État espagnol n’a pas accompli ses compromis de cessez-le-feu.

Mais nous avons entendu beaucoup de choses autour des conversations entre ETA et l’État espagnol. Que pensez-vous de toutes ces fuites ?

Nous avons réitéré notre volonté ferme. Nous avons évalué et exprimé tout le temps que la solution du conflit arrivera par le dialogue et la négociation.

Dans quelle situation se trouve le processus selon ETA ?

Il marche ! Mais, qu’est-ce que nous comprenons par processus ? D’abord, nous aimerions répondre à cette question. Au Pays basque, il y a des personnes qui veulent dénaturer quelques termes, spécialement les politiciens qui n’ont aucune volonté de changer les choses. Processus égal, seulement, à paix, processus égal à la disparition d’ETA… beaucoup ont essayé de nous faire écouter ou de nous faire croire cela. Mais ils se trompent.

Comme nous le disions en mars 2006 (et nous l’avons réitéré postérieurement), pour nous le processus consiste à construire un cadre démocratique pour le Pays basque et à donner la parole et le droit à décider de leur avenir aux citoyens basques.

C’est-à-dire, ce que chaque organisme apporte pour ces deux points, la parole et la décision. Nous savons très bien ce que nous avons fait et nous savons aussi que nous sommes disposés à mettre toute notre volonté et à prendre les initiatives nécessaires, le gouvernement espagnol et les principaux agents politiques au Pays basque sont ils disposés à parcourir ce chemin ?

Nous n’avons pas, aujourd’hui, de motifs pour être optimistes, mais réaffirmons ces objectifs. Et nous confirmons la ferme volonté d’ETA de faire des pas pour avancer dans cette voie et blinder le processus. Les compromis d’ETA sont fermes, mais que personne ne s’y trompe, notre compromis va avec un processus qui puisse donner une vraie sortie démocratique au conflit.

Cela signifie t-il qu’à l’heure actuelle il est bloqué ?

Oui, le processus continue dans une situation de blocage parce que le gouvernement espagnol n’a pas écouté ce que le peuple dit ! Parce que le gouvernement espagnol n’a pas agi avec maturité face au geste d’ETA.

La situation de blocage s’aggrave s’ils refusent d’approfondir la négociation et de faire des pas. C’est très simple, n’est-ce pas ? En ce sens, le gouvernement espagnol devra décider s’il ferme la porte à un processus de résolution du conflit, s’il fait un pari pour trouver une sortie politique à un long conflit.

Une conviction est en train de s’ouvrir un chemin : maintenant, s’il y a processus, il devra se faire sur des bases plus fermes et sur une nouvelle dynamique, parce que ce que, jusqu’à présent le gouvernement espagnol et les agents comme le PSOE et le PNB ont démontré c’est qu’on ne peut pas construire un processus sérieux. Il faut changer ces attitudes.

C’est le moment d’agir avec responsabilité politique. Ce n’est plus le temps d’agir avec ingénuité. Nous le répétons tout le temps. La société basque sait parfaitement que les clés pour résoudre le conflit sont la territorialité et le droit à décider. Le débat politique est situé dans ces paramètres, donc il faut en parler.

Insister, maintenant, sur les demandes de condamnation ou sur des débats sur le droit du peuple basque à se défendre est éluder le véritable débat. C’est ça.

Qu’est-ce qu’ETA demande aux agents sociaux pour débloquer la situation ?

Nous voulons envoyer notre premier appel à tous les citoyens, pour qu’ils se lèvent face aux attaques dont notre peuple souffre et pour qu’ils incitent les partis politiques à agir avec la responsabilité qui leur correspond.

En fin de compte, le principal actif pour la résolution du conflit ce sont les citoyens basques, et ce que les partis doivent faire est acheminer la volonté populaire et travailler pour que le droit à décider des citoyens basques soit garanti.

Nous voulons envoyer notre deuxième appel aux médias. Pour qu’ils ne jettent pas de l’huile sur le feu du conflit, pour qu’ils cessent de donner une couverture à des solutions policières et pour qu’ils soutiennent une véritable solution démocratique et négociée.

Et, finalement, nous voulons exprimer notre admiration à toutes les personnes qui travaillent tous les jours pour un changement de modèle pour ce peuple : à tous les citoyens, associations de quartier, universités, écoles, centres de travail et mouvements populaires.

Sur l’attentat de BARAJAS et le concept de cessez-le-feu permanent

Vous affirmez que le processus, en général, avance. C’est alors le processus de négociation ce qui est bloqué ? Pourquoi avez-vous décidé de réaliser l’attentat de Barajas ?

Barajas a été une action armée en réponse aux attaques permanentes du gouvernement espagnol. ETA avait déclaré en août que si les attaques continuaient contre le Pays basque, elle répondrait, et nous l’avons fait le 30 décembre.

Par cette action, ETA a donné une réponse directe à l’attitude maintenue par le gouvernement espagnol pendant huit mois. Jusqu’à ce moment, et encore aujourd’hui, le gouvernement espagnol n’a pas respecté ses engagements en relation avec le cessez-le-feu et n’a pas montré non plus une intention claire d’accomplir ces compromis.

Avec l’action de Barajas, ETA a essayé de reconduire le processus, et elle a envoyé un message clair au gouvernement espagnol, pour qu’il réfléchisse : qu’il est nécessaire de respecter les compromis pour qu’on puisse développer un processus de résolution du conflit, qui doit désactiver la machine répressive qu’il maintient contre le Pays basque, et qui doit donner des pas fermes pour avancer dans un processus qui respecte les droits du Pays basque.

En ce sens, ETA n’a rien cassé avec cette action, notre intention a été celle d’influer pour que ce processus avance sur des bases plus solides.

Beaucoup ont dit qu’ETA, avec cette action, a cassé un code non écrit, parce qu’elle l’a fait sans informer qu’elle allait rompre le cessez-le-feu. On dit, également, que pour l’avenir, le concept même de cessez-le-feu a perdu valeur, parce qu’elle a perdu crédibilité…

Ce n’est pas notre opinion. Nousn’avons pas perdu, en rien, de crédibilité. Tout le monde sait que ce qui donne crédibilité dans un processus de négociation est de respecter et d’accomplir les accords conclus à la table de négociation.

Ce qui donne crédibilité est de donner des pas qui soient cohérents avec un processus de résolution du conflit, faire des pas fermes qui fassent avancer le processus. La principale garantie du processus est d’accomplir les compromis auxquels on est arrivé à la table de négociation et de travailler en fonction des accords.

À mesure que les mois passaient, la crédibilité du gouvernement espagnol est tombée en chute libre. Le PSOE a perdu le peu de crédibilité qu’il pouvait avoir devant la citoyenneté basque. Avec sa pratique politique, il a perdu la légitimité qu’il pouvait avoir pour développer un processus de résolution devant le Pays basque.

ETA peut confirmer qu’elle a accompli tous ses compromis pendant ces mois. Le gouvernement espagnol ne peut pas dire la même chose. En ce sens, nous comprenons le cessez-le-feu d’un point de vue bilatéral. Il n’y a pas de cessez-le-feu unilatéral. On ne peut pas construire un processus de paix seulement avec le travail et la volonté d’une partie, il est indispensable que les compromis soient bilatéraux.

Et nous répéterons une équation que quelqu’un peut comprendre : qu’ils n’attaquent pas le Pays basque, qu’ils ne créent pas des mesures criminelles contre les Prisonniers Politiques Basques, comme par exemple la doctrine Parot.

Qu’ils n’imposent pas de procès et de punitions contre les citoyens basques, comme, par exemple, le cas d’Iñaki de Juana, le procès contre la jeunesse basque et beaucoup d’autres exemples que nous pourrions donner pour décrire l’État d’exception dont souffre notre peuple. Si tout cela disparaît, alors ETA ne devra pas répondre aux attaques.

On a écouté les voix de beaucoup de secteurs qui demandent de maintenir les engagements du 24 mars. Quelle est votre réponse ?

ETA confirme aujourd’hui tous les engagements du 24 mars. Et même, si les attaques contre le Pays basque disparaissent, dans ce contexte nous avons la disposition totale de prendre des engagements fermes avec un scénario d’absence de violence, en désactivant y compris l’option de réponses ponctuelles dans une situation de cessez-le-feu.

Sur l’avenir, la marge de Zapatero et l’attitude du PSOE et du PNB

À Madrid spécialement (mais aussi quelques voix au Pays basque) disent que le gouvernement de Zapatero n’a plus aucun marge. Ils font allusion à la terrible offensive du PP. Que pense ETA sur cette question ?

Le gouvernement de Zapatero, s’il veut, a toute la marge du monde. Encore plus, marge et capacité. La question, toutefois, est de savoir s’il a la volonté et la décision politique pour donner une sortie démocratique au conflit. Il ne faut pas dévier le débat.

Mais jusqu’à présent, ils ont pris le chemin contraire, et cela a laissé sans marge le gouvernement espagnol, mais aussi le développement du processus.

Si on ne fait pas de pas courageux pour avancer dans le processus, si le processus n’est pas rempli de contenu politique, on lui ferme des espaces, et on se trouve dans cette situation, parce que le gouvernement espagnol a porté le processus vers cette issue. Ils ont placé comme limite la Constitution espagnole.

En 1978, on a imposé une situation concrète à ce peuple. La gauche indépendantiste a adopté l’option de combattre contre ce cadre politique imposé, et à travers la lutte nous avons fait que notre peuple se trouve là où il se trouve aujourd’hui et tout cela en étant dans d’une situation d’oppression.

Nous sommes arrivés jusqu’ici par la résistance. Maintenant, tous acceptent qu’il faut trouver une sortie politique et négociée au conflit, et que cette sortie politique doit apporter un changement du cadre politique imposé. La nécessité de construire un cadre nouveau et démocratique est une idée déjà assumée.

En plus, bien que les résistances des immobilistes continuent à ne pas reconnaître les droits du Pays basque, le débat entre les partis politiques est situé dans ce terrain. Cela est positif, parce que nous avons obtenu d’ouvrir ce scénario, le scénario du changement politique, et le débat sur le cadre juridique-politique dont a besoin le Pays basque.

Etant arrivé à cette situation, les secteurs populaires ne vont accepter aucun processus qui maintient les mêmes limites de la Constitution rejetée en 1978. 

Cela supposerait de perpétrer une fraude à 30 années de lutte et de fermer les portes à l’avenir du Pays basque. Le processus doit arriver à enlever ces limites politiques et concrétiser le changement politique. Il doit servir à passer d’une situation antidémocratique à une autre démocratique.

Ils vivent maintenant dans un conflit d’État. Et ils devront faire face à cela. Ils devront effectuer la transition qu’ils n’ont pas faite durant toutes ces années.

Le PSOE et les autres partis qui se considèrent eux-mêmes progressistes ont une responsabilité spéciale dans la démocratisation de l’État espagnol, et non seulement la responsabilité, mais la nécessité et l’obligation. Celui-là est la principale matière en suspens dans l’État espagnol. Et cette démocratisation passe par trouver une sortie politique, démocratique et négociée au conflit qu’ils maintiennent avec le Pays basque.

La balle se trouve entre les mains du gouvernement espagnol.

Mais beaucoup de personnes affirment qu’en effet il y a quelques options… que les conditions pour résoudre le conflit existent déjà.

Parfait, et qu’est-ce qu’ils disent sur les attaques permanentes contre le Pays basque et, en général, contre les citoyens ? Et sur l’activité sauvage de la police de la Communauté basque espagnole dans les manifestations ? Sur les arrestations, tortures et autres ? Nous n’avons jamais rien caché. Nous avons clairement exprimé, tant à l’ensemble de la société basque qu’au gouvernement espagnol, où se trouvent les clés pour résoudre le conflit.

Quequ’un peut-il penser que nous pouvons avancer pour résoudre le conflit si une option politique se trouve dans l’illégalité ? Non, n’est-ce pas ? Évidemment que non. Et avec l’activité honteuse du PNB avec ETA en cessez-le-feu pendant une année ? 

En envoyant l’Ertzaintza (police basque) à la chasse des citoyens basques comme s’ils étaient des chiens enragés ? Ce peuple ne mérite ni n’a besoin d’une police comme ça. Il faudrait discuter de ce thème-là. Nous demandons aux responsables de cette répression sauvage d’assumer leur responsabilité. Celle-ci n’est pas la contribution qui aidera au processus.

Et ils nous parlent, sans aucune vergogne de l’irréversibilité du processus. Et ils l’exigent ! Pour rendre ce processus irréversible, il faut agir avec beaucoup plus de responsabilité, il est nécessaire de prendre des décisions politiques courageuses et profondes.

Croyez-vous que le gouvernement ne prend pas de décisions en faveur du processus, par exemple Iñaki de Juana ?

Ce qu’ils ont fait avec Iñaki et, en général, ce qu’ils font avec les prisonniers politiques basques peut être résumé en un mot : du chantage. Comme nous l’avons déjà dit, le gouvernement espagnol a mal compris le processus. Son objectif a été de pousser ETA à une négociation technique et alors tout va mal.

Il a voulu utiliser les prisonniers comme monnaie de change dans la négociation avec ETA. Nous interprétons ainsi la peine dictée contre Iñaki, la création de la doctrine Parot et tant d’autres mesures d’exception.

Mais la lutte populaire est parvenue à obliger que Iñaki soit transporté au Pays basque. Et la lutte de tous fera changer la politique du gouvernement envers le Collectif de prisonniers.

Par contre, le gouvernement a dû faire un geste en relation à une situation que lui-même avait créée. Un geste qui est arrivé tard.

Et nous insistons, ce geste-là, il l’a pris parce qu’il a été obligé de le faire.

Il ne faut pas oublier (malgré que le gouvernement soit en train de le cacher) qu’il a condamné Iñaki pour avoir écrit deux articles de presse, et comment ? L’ex ministre de justice espagnol avait dit bien clairement qu’ils inventeraient des preuves pour qu’Iñaki soit condamné.

Et nous savons bien que contre les combattants basques tout est valable. Des preuves sont inventées tout le temps dans les commissariats et à l’Audience Nationale espagnole. Ces mesures se trouvent encadrées dans une situation répressive d’exception imposée au Collectif. Donc, où est le geste ? Ils appellent maintenant geste à ce qu’ils font quand ils se voient obligés de le faire dans une situation provoquée par une décision prise précédemment.

Qu’elle est votre opinion sur le nouveau ministre de Justice espagnol ?

Nous n’entrons pas à juger une personne. Mais nous jugerons les activités propres de sa responsabilité. Et ce qui est certain c’est que les dernières déclarations nous ont laissés glacés. Il semble que le nouveau ministre a été fait avec le même patron que celui d’avant. On verra. Mais insister sur la mise hors la loi de Batasuna, s’acharner sur la persécution politique et judiciaire contre la gauche indépendantiste face aux élections n’est pas un bon signe. Son activité se trouve encadrée dans une stratégie d’État et c’est ainsi que nous interpréterons toutes ses initiatives.

À Anoeta on a parlé de deux voies : une qui correspondrait aux partis et aux agents sociaux ; et une autre entre le gouvernement espagnol et ETA. ETA a voulu s’immiscer dans « l’autre » voie ? (Certains, comme le PSOE ou le PNB ont déclaré qu’ETA empêchait l’accord politique).

Évidemment non. ETA ne veut pas entrer dans des responsabilités qui ne sont pas de sa compétence. Le PSOE et le PNB utilisent cette accusation comme une excuse. Avec l’intention, finalement, d’éluder le débat sur le contenu politique qui doit être clarifié dans le processus. C’est-à-dire, pour ne pas répondre aux clés politiques qui nous conduiront à la solution. Mais ce qui a été proposé à Anoeta est un schéma de négociation que le peuple a assumé comme propre, ce débat est déjà dépassé.

Quand on accuse ETA de s’immiscer, nous devrions regarder en arrière, vers notre mémoire historique. Nous ne devons pas oublier que l’actuel cadre politique est le résultat d’un processus de transition imposé au Pays basque. Comment ? Avec l’implication de l’armée espagnole, et avec l’acceptation complaisante et l’aide de ceux qui avaient constitué le bloc de la réforme.

Ils maintiennent ce cadre antidémocratique imposé par la force avec la tutelle de la Garde Civil et de la légalité espagnole. L’oppression politique, économique, culturelle et militaire du Pays basque. Cela est de la « tutelle !

Et comment le PSOE peut-il arriver à assumer ce contenu politique ? En apparence, le PSOE préfère parler seulement du processus de paix (premièrement la paix et nous verrons ensuite, ou quelque chose de semblable).

Jusqu’à présent, le PSOE et le PNB ont éludé ce débat, et c’est pour cela qu’ils ont utilisé tous les moyens possibles et impossibles. Ils ont utilisé leurs instruments répressifs pour affaiblir la position de la gauche indépendantiste face à l’accord politique, ils ont empêché la négociation politique et ils ont offert des fausses sorties à la gauche indépendantiste.

C’est cette vision et ce qu’ils ont fait qui a mené au processus de la situation actuelle de blocage, parce qu’ils affaiblissent le sens du processus en cachant le contenu politique. C’est tout cela qu’il faut surpasser, parce que nous avons vu que cette dynamique ne mène à rien sauf à la confrontation. Aborder le contenu politique doit permettre d’ouvrir une nouvelle dynamique, rendre possible un processus de résolution du conflit. Par exemple, il serait significatif de voir où se trouvent les socialistes basques.

Vous avez parlé du PNB. Comment évaluez-vous les réactions suscitées au sein de ce parti en relation au dernier communiqué au « PNB d’Imaz » ?

Nous voyons que le PNB est d’accord avec la stratégie du gouvernement espagnol. Imaz ou Urkullu ont assumé parfois la fonction de porte-parole des messages de la Moncloa, en faisant un travail d’avant-garde quand il a été nécessaire. Mais nous sommes aussi conscients que dans le PNB il y a des attitudes différentes. Ces différences sont en train de se mettre en évidence et cela est bon pour le Pays basque.

C’est pour ces raisons que nous disons que le PNB d’Imaz, face à la négociation politique, a agi aussi avec la stratégie de frauder au Pays basque. En relation à la stratégie répressive, le PNB a mis la police autonomique espagnole au service de la stratégie marquée par le gouvernement espagnol.

Le PSOE et le PNB, chacun selon sa fonction, ont agi avec une stratégie identique et une position politique identique tout au long du processus. Dans les bureaux de Ferraz et de Sabin Etxea, ils écrivent une seule stratégie, Rubalcaba d’un côté et Imaz de l’autre.

Derrière cette unité il y a des intérêts très importants, les intérêts économiques du PSOE et du PNB, projets économiques gigantesques qui les unissent. Il suffit de voir comment ils arrivent à des accords dans des projets comme celui du TAV (train de haute vitesse), imposé et destructeur, ou comment ils s’aident mutuellement dans les budgets du Pays basque et dans ceux de l’État espagnol.

Au milieu de tout cela il y a une très grande corruption, nous le savons bien. Elle se trouve derrière toutes ses coïncidences autour du modèle d’État espagnol.

Il est certainement honteux, d’autre part, la polémique ouverte au sein du PNB dans le conflit pour les Assemblées Générales. Mais la question n’est pas là. Tout le monde se questionne comment est-il possible d’avoir tant d’argent et de biens ?

D’où sortent-ils ? Comment ? Beaucoup de questions et très peu de réponses. Le PNB sent le pourri. Ils ont recueilli le fruit de nombreuses années de gestion, surtout pour se remplir les poches. Ils continuent à faire une politique de corruption, en tournant le dos aux nécessités du Pays basque et aux intérêts des citoyens, sans développer aucune politique populaire.

Sur l’accord politique et la proposition de la gauche indépendantiste

Mais ETA a quelque chose à dire sur l’accord politique qu’on veut obtenir ?

Non, si ce dialogue politique se donne dans des conditions démocratiques. Non, si on ne met aucune limite à aucune option politique. Non, s’il y a les conditions pour que tous les citoyens puissent développer en égalité de conditions la défense et la lutte de notre projet politique. Mais cela n’existe pas aujourd’hui.

Ce que nous voyons est que pour prendre part dans le dialogue politique, on met des limites à Batasuna, on refuse à la gauche indépendantiste le pouvoir de prendre part en égalité de chances dans les négociations politiques. Ils maintiennent la gauche indépendantiste en situation de mise hors la loi.

Tout au long du processus les attaques contre leur activité ont été permanentes, nous venons de voir l’espionnage politique contre l’équipe négociateur de la gauche indépendantiste. Ce sont des conditions pour travailler dans une négociation politique ?

C’est le PSOE qui a la situation en main et le PNB l’accepte. Le PSOE et le PNB mettent des conditions au dialogue (en demandant à la gauche indépendantiste des déclarations de condamnation et beaucoup d’autres choses) et complètent ces demandes avec des attaques en relations à la mise hors la loi de la gauche indépendantiste.

Nous disons très clairement que le cadre juridique et politique de l’avenir du Pays basque doit être décidé entre les agents sociaux, politiques, syndicaux. Pour cela nous croyons qu’on doit construire un accord politique. Nous les encourageons à le faire.

Nous ne comprenons pas pourquoi, après tant de mois, ils n’ont pas encore conclu cet accord politique. Précisément quand celui là sera un des facteurs principaux qui peut débloquer le processus. Nous le disons clairement : le processus est bloqué, surtout parce qu’entre les partis il n’y a pas un accord politique, parce que le PSOE et le PNB mettent des obstacles à cet accord.

Comment évaluez-vous la proposition présentée par la Commission négociatrice de la gauche indépendantiste ? Cette proposition peut aider à délier les actuels nœuds ? Peut-elle servir pour avancer, quelle est votre opinion ?

Oui, ce serait un pas vers le déblocage. Nous la comprenons comme une proposition pour la négociation politique et pour l’accord politique qui doit permettre la résolution du conflit. Ce n’est pas le projet que nous nous voulons pour le Pays basque, mais c’est une proposition pour dépasser le conflit. Si on la voit de ce point de vue, nous croyons qu’elle est positive : c’est un minimum, mais elle ouvre le débat sur le contenu de l’accord politique.

Nous considérons que la proposition effectuée par Batasuna apporte une concrétion, et nous pensons que le reste des agents devrait effectuer un effort semblable, pour que, à travers la négociation, cet accord politique soit possible.

Batasuna a offert une alternative à l’ensemble du Pays basque, au peuple. À l’État français en lui réclamant clairement une autonomie et à l’État espagnol en lui demandant de mettre les moyens pour dépasser la séparation entre Nafarroa et la Communauté Autonome et construire un cadre unique. Celui-ci est, à notre avis, un élément important pour dépasser le conflit. C’est pourquoi nous voyons avec de bons yeux la proposition.

Mais Batasuna dénonce de façon permanente que ni le PSOE ni le PNB ont répondu à la proposition ni ont expliqué quelle était leur position…

C’est vrai. Nous avons déjà dit que le blocage persiste parce que le PSOE et le PNB maintiennent une attitude de rejet face à la possibilité d’obtenir l’accord politique. Maintenir une attitude de rejet face à l’accord politique, à la fin, est de répondre avec la négation au changement politique que le Pays basque a besoin et à la nécessité de créer un cadre démocratique. Un processus de résolution du conflit ne peut pas être construit à partir de la négation.

Sur l’attitude de l’État français et la proposition d’autonomie

En relation au processus, qu’est-ce qu’on demande concrètement au gouvernement français ?

Le Pays basque, sans aucune reconnaissance politique, sans instruments et pouvoir institutionnel et attaqué en permanence, est condamné à une mort lente. Face à cette situation, nous comprenons que la revendication d’un cadre autonome pour le Pays basque, pour garantir sa survie sur des bases qui nous acceptent en tant que peuple, est la revendication d’un cadre de base, qui nous permettra de disposer des instruments de gouvernement nécessaires pour pouvoir survivre. C’est cela que le peuple basque demande à l’État français.

Nous demandons la reconnaissance et le respect du Pays basque. Nous sollicitons que les attaques violentes contre notre peuple finissent une fois pour toutes. Nous demandons qu’ils abandonnent la colonisation de notre peuple.

Et comment obtiendrons-nous tout cela ? En agglutinant les secteurs favorables au Pays basque autour de cette demande, activant la mobilisation et la lutte. Nous obtiendrons ainsi d’entraîner l’État français à respecter les droits du Pays basque.

La proposition qui a été socialisée doit servir à ouvrir un nouveau cycle. Cette lecture marque l’ouverture d’une nouvelle phase sur le chemin vers la reconnaissance des droits du Pays basque. Nous comprenons cette demande comme une phase de la lutte, une phase de la lutte qui peut nous servir pour proclamer les revendications des citoyens basques face l’État français.

Mais cette proposition d’autonomie n’est pas nouvelle.

Non, elle ne l’est pas. Il semble que maintenant il y a le besoin de mettre sur la table cette alternative. Nous considérons que, en partant de la situation des sept territoires du Pays basque, on présente une proposition pour l’ensemble du pays.

Cela est, à notre avis, ce que la gauche indépendantiste vient de présenter à la société. Et, avec toute humilité, nous disons que nous nous réjouissons beaucoup. Parce que les envies et la nécessité de vivre de ce peuple se démontrent dans ces propositions.

C’est une revendication historique du Pays basque. Le plus important est de faire voir à la cinquième puissance mondiale que le Pays basque doit vivre. En dépassant d’anciennes polémiques, s’est présenté aux citoyens de trois territoires du Pays basque une alternative qui permettra le développement de Lapurdi, Nafarroa Behera et de Zuberoa. Cela est réellement très important. Et interpeller l’État français et l’obtenir est un travail difficile, il faut lutter et entre tous nous l’obtiendrons.

Mais, pourquoi maintenant ? Il y a les nombreuses années IK a aussi présenté une proposition pour l’autonomie. Néanmoins, en ce moment-là il n’a pas eu accord entre les abertzales et cette revendication n’a pas eu de succès.

Comme nous l’avons déjà dit, cette proposition nous paraît adéquate. Durant ces années on a beaucoup avancé, mais la négation dont souffrent les sept territoires basques, le Pays basque, est encore une réalité.

Sous deux États et deux réalités. Mais malgré cela, la gauche indépendantiste a su formuler une seule proposition pour tout le Pays basque qui prend en compte les deux réalités, qui offre des réponses concrètes, mais qui a un seul objectif dans le temps et dans les réalisations. C’est cela qui a changé durant ces années, selon nous.

Nous n’avons pas le moindre doute que tous les secteurs abertzales et de gauche du nord du Pays basque défendront aujourd’hui cette revendication. Parce que nous sommes sûrs que c’est un changement de statut qui profitera à tout le pays.

Voyez-vous possible que l’État français change son attitude vers le Pays basque ?

Sans aucun doute. Chaque fois que les dirigeants français disent que le « conflit basque » n’existe pas dans notre territoire ils manifestent leur dédain envers le Pays basque. Et cela fait mal. Mais ces déclarations ne trompent personne dans à la société basque, et non plus dans le peuple français.

Mais nous allons plus loin. La société basque a déjà dépassé ce débat. À l’État français il y a une proposition d’alternative. Et cela ne peut plus s’arrêter. La détermination de la nécessité d’un espace de décision et de gestion ou d’un cadre autonome qui agglutine les trois territoires est claire. Le Pays basque avance, avançons tous !

Nous croyons fermement que, avec la lutte de tous, ils sentiront la nécessité du changement. Nous croyons que l’État français ne pourra pas continuer à nier pendant beaucoup plus de temps l’existence d’un conflit, qu’il devra changer son attitude envers la reconnaissance du Pays basque, parce que la réclamation d’un cadre politique propre est chaque fois plus partagée par toute la société basque. Les dirigeants français ne pourront pas éluder cette revendication.

La loi de partis et la présentation d’Abertzale Sozialisten Batasuna (ASB)

La loi de partis, la question de la mise hors-la-loi, continuent sans trouver une sortie.

Illégalité ? Nous ne nous sentons pas illégaux, même si une légalité étrangère que nous n’acceptons pas veut nous faire croire cela. Nous ne pouvons pas nier, en tout cas, que la mise hors-la-loi décrétée par le pouvoir espagnol a compliqué et a durci la vie de beaucoup de personnes, tandis qu’elle reflète aussi très clairement que nous nous trouvons dans une situation antidémocratique.

D’autre part, la mise hors-la-loi de larges secteurs montre aussi l’échec des États. Ils ont essayé souvent d’assimiler et de diluer dans leur légalité l’envie de liberté du Pays basque. Les Basques ne doivent pas chercher un lieu dans la légalité espagnole.

C’est eux qui doivent décider comment ils veulent-ils avoir la société basque ; si dans un cadre qui marche vers la récupération totale de tous leurs droits ou dans une lutte pour subsister, c’est-à-dire, dans une confrontation totalement violente avec les réalités espagnole et française.

Cela veut dire que la question n’a qu’une réponse évidente. Marchons à partir de la réalité actuelle, ils devront prendre des décisions pour démocratiser la situation. Une de ces décisions serait d’abolir la loi de partis.

La principale nouvelle de ces derniers jours a été la présentation d’Abertzale Sozialisten Batasuna. Comment interprétez-vous la situation créée par cette présentation ?

Au-dessus des obstacles qui apparaissent sur le chemin, la gauche indépendantiste montre qu’elle est capable de faire des pas concrets et qu’elle agit avec courage, force et responsabilité en accord avec les exigences de la situation.

La gauche indépendantiste a présenté ces derniers mois une proposition politique pour un accord politique qui doit nous aider à dépasser le conflit. Maintenant, en donnant de nouveaux pas, elle a présenté un nouveau parti politique.

Face à ces pas de la gauche indépendantiste, le gouvernement espagnol répond avec le rejet et la négation, le PSOE et le PNB répondent en mettant de nouvelles conditions. Ces derniers jours nous avons vu comment les porte-parole du PSOE, ou les gens comme Urkullu, font de nouvelles demandes à la gauche indépendantiste. Quels pas donneront-ils ?

En même temps, la présentation de ce parti reflète la forteresse, la vivacité et la fraîcheur du projet politique qui défend la gauche indépendantiste.

Et finalement s’il est mis hors-la-loi et qu’on empêche la gauche indépendantiste de se présenter aux élections ?

Si cela arrivait, ça signifierait que, une fois de plus, nous sommes face à une situation antidémocratique et que le gouvernement espagnol fait la sourde oreille à la réclamation de tous les agents, sauf la droite fasciste, d’abolir la loi de partis.

Si le gouvernement espagnol prend le chemin d’attaquer à la gauche indépendantiste, s’il manifeste de cette manière son manque de volonté pour résoudre le conflit, ETA le prendrait très en considération.

Euskadi Ta Askatasuna ne peut pas imaginer des élections sans la gauche indépendantiste. Faire des élections non démocratiques supposerait parier pour prolonger le conflit. Nous espérons que cette situation ne se donne pas. Parce que cela représenterait l’échec du processus, une telle décision du gouvernement espagnol sera une décision contre le processus.

Quelle légitimité auraient ces élections ? Et quelle serait la responsabilité du reste de partis politiques ? Parce qu’il est facile de parler contre la loi de partis, pour après profiter de cette situation. Nous croyons qu’ils font justement cela.

Cela est le jeu du PNB. Sans entrer dans le fond du conflit et obtenir quelques voix, il demande, à travers Azkuna et sa camarilla, que Batasuna ne puisse pas se présenter aux élections. Mais, pourquoi ? Simplement, pour pouvoir suivre tranquillement avec sa gestion-corruption.

Réflexions et polémiques suscitées autour de la lutte armée

Dans le Gudari Eguna de 2006, vous avez dit : « Nous renouvelons notre compromis à combattre, avec les armes dans la main, jusqu’à obtenir l’indépendance du Pays basque et le socialisme ». La polémique suscitée par ces mots a été énorme.

Oui, au Pays basque la polémique saute facilement, quand les choses se disent telle qu’elles sont.

Pour commencer, nous avons voulu offrir notre hommage le plus senti à tous les gudaris, et nous avons voulu dire bien haut que nous obtiendrons, en suivant leur exemple, que notre peuple soit libre. Mais nous avons aussi voulu proclamer une autre chose très importante. Que la lutte est une chose de tous les jours. Nous avons prétendu dire que, que cela soit dans le passé ou dans le présent, la lutte est l’avenir. Parce que nous construisons l’avenir avec la lutte.

Et c’est cela que nous avons dit, qu’ETA continuera à combattre jusqu’à atteindre ses objectifs. Nous ne voulons ouvrir aucun débat.

Aujourd’hui, et dans les conditions dans lesquelles notre peuple se trouve, nous pensons que les raisons pour utiliser la lutte armée existent encore et tant que ces raisons existeront nous continuerons. Une chose est d’offrir une cessation des actions, puisque nous comprenons que cela est aussi un instrument de notre lutte, parce que nous comprenons que l’ennemi ou l’autre partie entre aussi dans une situation de « cessez-le-feu » ou de détente. Mais une autre chose, bien différente, est de dire que la lutte armée n’est pas nécessaire.

Cette situation nous la voyons très éloignée des conditions actuelles. Cela pourra arriver quand nous verrons qu’au Pays basque il y a des conditions démocratiques suffisantes et des garanties suffisantes pour maintenir cette situation.

Alors ETA le dira ouvertement au Pays basque. Avec regret c’est évident qu’au Pays basque nous ne vivons pas cette situation, puisque notre pays est divisé, la persécution culturelle et la répression dont souffre notre peuple est énorme.

On a dernièrement mentionné que dans la gauche indépendantiste sont apparues certaines contradictions autour de la lutte armée. Quelle influence a cette situation dans la réflexion d’ETA ?

Cette situation n’est pas nouvelle, dans la gauche indépendantiste il y a, en effet, des personnes qui ne sont pas d’accord avec l’utilisation de l’instrument de la lutte armée, et cela, en plus d’être respectable, est enrichissant. Parce que ce n’est pas, en aucune façon, la légitimité de la lutte armée qui crée des contradictions. Il n’est pas mis en doute non plus que, pour atteindre nos objectifs, la lutte armée est un instrument politique.

Pour cette raison, s’il y a une adhésion avec la ligne générale et un consensus avec les objectifs politiques, nous ne voyons aucun problème que dans la gauche indépendantiste se traitent internement ces sujets, c’est-à-dire, évaluer et réfléchir sur les actions politiques réalisées à travers la lutte armée, en parler sur les conséquences que cet instrument politique produit.

Qu’est-ce que vous répondez aux personnes qui disent qu’ETA doit disparaître ou à celles qui disent que la lutte armée n’a aujourd’hui aucun sens?

Si nous regardons l’histoire récente de ce peuple et de son envie de vivre, nous voyons que derrière la demande de la disparition d’ETA, se trouve un non-sens.

Au Pays basque il y a eu d’autres organisations qui ont pratiqué la lutte armée, et même si ETA disparaissait, les raisons de la lutte armée ne disparaissaient pas, tant que la situation d’oppression contre notre peuple existe, il y aura toujours des citoyens organisés disposés à prendre les armes, pour garantir la survie du Pays basque, parce qu’ils comprennent qu’il n’y a pas d’autre option pour avoir un pays libre.

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Communiqué d’ETA de septembre 2007

Communiqué d’Euskadi Ta Askatasuna au peuple basque

Cela fera bientôt 30 ans que la Constitution espagnole nous a été imposée. Ex-franquistes et (faux) démocrates espagnols célèbrent déjà l’événement. En 1978, nous, les Basques, avons rejeté cette Constitution qui va à l’encontre des droits de notre peuple, précisément parce qu’elle empêche le Pays Basque de décider de son avenir en démocratie et en liberté.

Cette Constitution, qui maintient le Pays Basque dans le cadre de la légalité espagnole, constitue un obstacle à la construction d’un État basque. Il s’agit d’assimilation c’est-à-dire, de la disparition du peuple basque.

En tout état de cause, de nos jours, négation politique et séparation institutionnelle sont des instruments dressés contre la volonté des Basques. La Constitution espagnole, et la législation qu’elle génère, constitue la principale limite antidémocratique qu’on nous impose. Il nous revient, à tous et à toutes, de la combattre pour repousser et supprimer ces limites.

Quelques-uns, par contre, ont trouvé leur place dans le cadre de l’État espagnol. Comme on a pu le constater en Navarre, la principale préoccupation des soi-disant « progressistes », « démocrates » et « abertzales » est de se répartir au mieux les miettes du pouvoir, à l’issue d’élections antidémocratiques, et de justifier la stratégie de guerre du gouvernement espagnol, au lieu de dénoncer l’état d’exception qu’on impose à notre peuple. Pire, l’église espagnole a nommé un général comme évêque de Navarre.

Veulent-ils la paix ? Veulent-ils nous conquérir une nouvelle fois par le glaive et par l’épée ?

Cette tentative de justifier l’attitude du gouvernement espagnol ne saurait faire oublier les événements de ces derniers mois, parce que les masques sont tombés. Le gouvernement espagnol, ne respectant pas les points décidés avec l’ETA lors des négociations, a essayé de miner les positions de la gauche indépendantiste et de désactiver le projet indépendantiste du Pays Basque.

L’objectif du gouvernement espagnol était de mener à terme un processus dépourvu de tout contenu politique, en définitive, un processus de reddition verrouillant la négation et la division territoriale du Pays Basque, avec, à la clé, une mise sous contrôle de la résistance basque.

Mais, il a échoué. Et toute solution non basée sur les droits démocratiques du Pays Basque serait de même vouée à l’échec. Pendant les négociations, l’ETA a proposé une résolution pour que le Pays Basque soit réinvesti de ses droits, mais la réponse du gouvernement espagnol a été négative. Finalement, cette attitude négative du PSOE a provoqué la rupture des négociations, le PSOE n’ayant pas fait preuve de la volonté nécessaire pour mener à terme un processus de paix.

Le gouvernement espagnol ne veut pas renoncer à son attitude d’imposer par la force une restriction des droits du Pays Basque, parce qu’il refuse d’accepter que les Basques décident librement et sans restriction de leur avenir ; le gouvernement espagnol a peur de sortir perdant du conflit entre son projet et celui du Pays Basque.

Il sait que l’avenir politique, économique et culturel des Basques se trouve dans un État basque indépendant, parce que tout avenir leur est fermé sous la domination de l’Espagne ou de la France.

C’est pourquoi le gouvernement du PSOE ferme la porte à cette option de notre peuple, refuse le droit à l’autodétermination et maintient la division territoriale du Pays Basque dans le cadre de l’Espagne, comme si le Pays Basque n’était qu’un morceau de sucre à diluer dans son processus de réforme.

La dynamique de ces derniers mois, par contre, a mis en évidence la crise du PSOE et du PNV. Le PNV d’Imaz et d’Urkullu ne comprend pas que sa tentative de rééditer l’esprit d’Arriaga et de l’époque Ardanza a mené le parti au bord de la rupture. La base du PNV, contrairement à ses dirigeants, n’accepte pas les manoeuvres de « séduction » de l’Espagne et la défense des intérêts des patrons représenté par la direction actuelle du PNV.

La base du PNV n’accepte pas non plus qu’Imaz soit disposé à négocier avec le Parti Populaire, l’ultra droite. Elle n’accepte pas que Balza et d’autres dirigeants de la CAV (Communauté Autonome Basque) utilisent police et médias contre le peuple. La police basque frappe les citoyens, les arrête ou les épie, pour utiliser ensuite la télévision et la radio basques (EiTB) comme instrument d’intoxication et de désinformation. EiTB a pour mission de masquer la réalité face aux dénonciations de torture et de persécution.

En outre, le massacre politique des prisonniers basques est incessant. En la matière non plus, EiTB n’informe pas et se garde de montrer les preuves de la torture et de la persécution. Ils préfèrent protéger leur petit confort et détourner le regard, même si pour cela, ils doivent lécher la main qui les nourrit.

A-t-on oublié qu’un organisme public n’a pas de propriétaire, et ne saurait être placé au service d’intérêts particuliers mais au service du peuple ? Tous ces responsables devront un jour répondre de leurs actes devant une future justice basque.

Le Parti Socialiste également est en crise au Pays Basque, d’où il ressort que le Parti Socialiste de Navarre n’est qu’une marionnette manipulée depuis Madrid. Les intérêts de l’État espagnol priment sur les intérêts de la société navarraise. Et voilà que de nombreux adhérents du PSN et du PSE sont furieux.

Et ce n’est pas sans raison. Il fut un temps où les socialistes basco-navarrais prenaient leurs décisions comme des grands, mais c’est maintenant le responsable d’organisation du PSOE, M. Blanco, qui leur dicte ce qu’ils doivent faire. Voilà l’origine de la crise du Parti Socialiste.

Bien des citoyens sont furieux également après avoir entendu dire à M. Zabaleta (tête de liste de NaBai, coalition nationaliste) qu’en échange d’un poste de responsabilité, il était disposé à laisser de côté l’avenir de la Navarre et du Pays Basque. Leur colère est tout à fait légitime.

Que l’objectif de Madrid soit la liquidation du projet indépendantiste du Pays Basque est un fait. Madrid veut non seulement utiliser la division territoriale du Pays Basque comme monnaie d’échange, mais le gouvernement espagnol cherche également que la gauche indépendantiste et le projet indépendantiste soient assimilés par l’Espagne.

Nous voulons alerter la société basque de ce danger, puisque les manœuvres politiques qui vont suivre poursuivront cet objectif. Mais ils n’arriveront pas à leurs fins.

Nous lançons un appel à tous les abertzales et démocrates pour qu’ils continuent à travailler, puisque tout le monde est nécessaire pour que de nouvelles opportunités de création d’un État basque voient le jour. Nous lançons un appel à tous et à toutes pour que le déficit démocratique et l’injustice régnante soient dénoncés haut et fort.

L’ETA annonce que c’est dans cet objectif et pour obtenir des conditions démocratiques permettant de défendre tous les projets politique du Pays Basque sur un pied d’égalité, que l’organisation a pris la décision de reprendre ses attaques contre les infrastructures de l’État espagnol sur tous les fronts, et de défendre le Pays Basque les armes à la main.

Finalement, Euskadi ta Askatasuna veut exprimer ses condoléances les plus sincères à la famille et aux amis du gudari (combattant) récemment décédé, Sabino Euba, Pelopintxo.

Nous serons un exemple dans notre lutte quotidienne jusqu’à la victoire. Au revoir et honneur à toi, camarade !

Pays Basque, septembre 2007

Revendication des derniers attentats

L’ETA, organisation socialiste révolutionnaire basque pour la libération nationale, revendique les actions armées suivantes :

Deux actions à l’explosif, le 25 juillet, à Belagua, au passage du Tour de France. Il nous faut dénoncer que, bien que l’ETA ait averti à l’avance de la mise en place des explosifs, les autorités espagnoles ont décidé de ne pas procéder à l’évacuation de la zone, comme c’est actuellement trop souvent le cas. Dernièrement, le ministère de l’Intérieur espagnol évite de procéder à l’évacuation ou le fait partiellement. Nous alertons sur les conséquences d’une telle décision. La responsabilité d’éventuels préjudices graves retomberait sur les représentants politiques espagnols et sur la police.

Le 24 août, attaque à la voiture piégée à Durango. L’explosion a causé d’importants dégâts matériels et a blessé deux gardes civils.

Le 26 août, explosion d’une voiture piégée à Castellón.

Le 2 septembre, action à l’explosif sur les routes d’accès au Pays Basque.

Euskadi Ta Askatasuna

Pays basque, septembre 2007

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Batasuna : Pour un peuple libre, maître de ses droits, maître de son destin! (2007)

Euskal herria, un peuple en marche

Pendant la dernière année politique, la gauche indépendantiste basque a été plongée dans des conversations et des négociations politiques avec l´État espagnol; des négociations qui n´ont pas servi à boucler un accord politique mais qui ont permis de concrétiser et de souligner les origines politiques du conflit et les fondements de base de sa résolution.

Il est bien connu que parfois l´arbre nous empêche de voir la forêt, et de la même façon, une lecture ou une analyse reposant sur un tourbillon d´information découlé du processus de négociation peut nous empêcher de l´analyser d´un point de vue libérateur et de construction nationale, reposant sur des délais de temps plus longs, des démarches plus lentes mais à la fois plus solides et irréversibles, qui doivent nécessairement se baser sur un processus de libération nationale comme le basque.

Notre tâche ne consiste pas dans l´obtention de crédits politiques instantanés mais dans la construction des conditions objectives et subjectives nécessaires pour que notre peuple puisse accéder à sa liberté complète et totale.

Une liberté qui, en considérant la douloureuse histoire que notre peuple a vécu sous la domination espagnole et française, ne sera possible que dans le cadre de la construction d´un état souverain basque fruit de la volonté de la majorité sociale et populaire de ce peuple.

Une vision de la forêt politique basque.

L´objectif de cette analyse n´est pas d´effectuer une révision complète de l´histoire basque mais nous estimons qu´il est important de rappeler au moins le parcours suivi par le mouvement indépendantiste moderne vers la fin des années 50.

À cette époque, une nouvelle génération de basques se trouve face à un pays qui est à l´agonie après les dures années du premier franquisme et dont l´identité est menacée de disparition.

Avec un sentiment national anesthésié, une culture, une langue et des moeurs sur le point de disparaître, avec une répression structurale brutale, avec une mémoire récente de ce que les générations précédentes ont vécu, avec ses anciennes références nationales perdues en exil…

Face à cette situation et de façon héroïque, cette nouvelle génération de basques sera capable, avec des efforts, du sang et des larmes, d´éveiller à nouveau notre peuple, de l´acheminer à la liberté, en replaçant le problème national, le problème des libertés basques sur l´épicentre de la politique basque et étatale (tel que l´ont fait ses ancêtres pendant le premier tiers du XXe siècle).

Ainsi, vers la fin des années 70, au moment de la mort du Généralissime Francisco Franco et de la prétendue réimplantation de la « démocratie espagnole », la situation nationale basque, reposant sur le droit à disposer d´eux-mêmes et l´unité territoriale, devient un élément vivant et réel.

Un élément central, fruit du généreux legs de milliers de basques. Ce sera la première victoire du mouvement de libération: le fait d´être resurgi des cendres franquistes et d´avoir replacé en plein débat le problème national basque, ses libertés, les patries refusées.

Une occasion perdue.

Malheureusement, les pouvoirs de l´État espagnol, chargés de promouvoir la réforme démocratique, surestimeront leurs habiletés et leurs efforts et miseront sur une réforme qui ne résoudra pas le conflit, qui ne coupera pas le problème à sa racine, qui ne fournira pas de réponse positive au droit des citoyens basques de disposer d´eux-mêmes.

Au cours de cette opération, ils compteront sur l´aide inestimable de la gauche officielle espagnole (PSOE et PCE) ainsi que sur la collaboration de la nouvelle génération du nationalisme basque défaillant (PNV) qui, en renonçant aux offres de création d´un front national basque dont l´objectif est l´obtention de la reconnaissance du droit de disposer d’eux-mêmes et de l´untié territoriale d´Euskal Herria, ainsi que l´amnistie totale et la légalisation de tous les partis politiques basques, décidera de soutenir l´opération de réforme en négociant avec les pouvoirs de l´État la constitution dudit État des autonomies consacré dans la Constitution espagnole de 1978, qui est contre la souveraineté nationale basque et qui est à l´origine de la partition du pays.

Un nouveau cadre autonomique qui ne trouvait pas de solution au manque de souveraineté basque mais qui conférait à ses protecteurs (PNV et PSE) des quotas de pouvoir et de gestion peu méprisables.

Bien que l´indépendantisme ne soit pas capable d´arrêter cette opération, son opposition ferme fera que la société basque rejette majoritairement la Constitution espagnole ,en niant la réalité plurinationale de la péninsule, il établit la nation espagnole en tant que sujet politique unique et la « sacro-sainte » unité territoriale de l´état en tant que pierre angulaire du système, dont la garante sera l´armée.

C´est-à-dire, une unité sous la tutelle d’une armée putschiste qui n´a jamais été épurée et qui obtiendra uniquement le soutien du 1% de la citoyenneté basque, en dynamitant de façon tranchante la tentative de légitimation de l´État espagnol en terre basque.

Une traversée longue et douloureuse

Tel que nous l´avons signalé, le mouvement de libération nationale devra confronter seul le nouveau modèle autonomique imposé avec la Constitution espagnole, un modèle qui dénie au peuple le caractère de sujet politique de droit et qui le divise, en plus, en deux domaines institutionnels: la Communauté Autonome Basque qui intègre les provinces d´Araba, Bizkaia et Gipuzkoa et la Communauté Forale Navarraise qui représente la province de Nafarroa.

L´indépendantisme basque répondra à la nouvelle situation en luttant en faveur des droits nationaux et en confrontant l´assimilation espagnole, sous un masque d´autonomisme basque.

La persistance de la lutte armée ainsi que la capacité pour conformer un espace politique de base, créateur d´un contre-pouvoir populaire dans les différents domaines de la vie quotidienne basque (syndical, intellectuel, culturel, linguistique, associatif, écologiste…) et son façonnage en tant que choix politique qui réunit l´ensemble des forces indépendantistes et de gauche autour de l´unité populaire, Herri Batasuna, feront que ce modèle autonomique ne se consolide pas. (i)

La gauche indépendantiste présentera à cette période une offre de solution démocratique appelée Alternative KAS (ii) avec laquelle les noeuds gordiens pourront être résolus.

Pendant cette longue période, du début des années 80 jusqu´au milieu des années 90, la gauche indépendantiste résistera à l´ensemble des mesures répressives adoptées par l´État espagnol, sous forme de politiques sécuritaires soi-disant légales comme le Plan Zone Spéciale Nord ou illégales telles que la création et la promotion de la guerre sale au moyen d´escadrons mercenaires, des politiques législatives qui protègent des violations des droits de l’homme constantes -législation antiterroriste-, ou même des politiques d´exclusion telles que les politiques découlées du pacte Antiterroriste signé par l´ensemble des forces politiques, à l´exception d´Herri Batasuna, dans l´intention de promouvoir son isolement politique.

Les premiers symptômes de l´épuisement de ce modèle s´observent lors des négociations d´Alger (iii) ayant eu lieu en 1989 entre des représentants de l´État espagnol et l´ETA avec le Gouvernement algérien du FLN en tant que pays hôte. Même si au début cette tentative échoue, elle aura un effet clair et irréversible dans l´avenir: la reconnaissance du Mouvement de Libération National Basque comme partie belligérante.

Vers le milieu des années 90, la crise autonomique devient palpable, des secteurs nationalistes ayant défendu le cadre autonomique le considère à ce moment épuisé. Fait constaté lors du pacte souverainiste entre les centrales syndicales LAB et ELA ou lors de la déclaration du syndicat majoritaire basque ELA en 1997 en annonçant la mort du Statut conformateur de la Communauté Autonome Basque. 

Les aspirations souverainistes du peuple basque s´homogénéisent. Dans ce contexte, on commence à écrire un récit de stratégie de résistance qui deviendra une stratégie de construction nationale et sociale et qui cherchera la structuration nationale du pays, elle cherchera un modèle de résolution du conflit en renonçant au modèle classique de négociation entre l´État espagnol et l´ETA, elle promouvra le besoin et la recherche d´une intermédiation internationale, et elle devra faire constamment face à la répression de l´État.

Dans ce contexte, l´ETA présente en 1995 l´Alternative Démocratique (iv), une base permettant de comprendre la politique des années à venir.

Une nouvelle occasion émerge

Le 12 septembre a été signé l´accord Lizarra y Garazi (v), un accord qui a représenté un fait historique par des raisons de contenu et par la pluralité des acteurs signataires, l´importance sociopolitique, la volonté des signataires, le moment politique, l´endroit…L´Accord a été signé par l´ensemble des forces basques et progressistes du pays -7 partis politiques, 8 organisations syndicales, 8 organisations sociales..- où ils ont convenu:

– souligner l´origine et le caractère politique du conflit à Euskal Herria

– le besoin d´un processus de négociation et de dialogue ouvert sans préconditions ni exclusions.

– souligner le fait qu´il correspondait au Peuple Basque de décider de son avenir et de prendre la décision finale.

C´est-à-dire, après avoir défendu, de façon solitaire, le besoin d´un nouveau cadre démocratique, l´accord de Lizarra Garazi consolidait les positions de la gauche indépendantiste une fois que la majorité des forces nationalistes et progressistes avaient affirmé le manque politique du conflit et le besoin d´un processus de dialogue et de négociation reposant sur le droit du peuple basque de décider de son propre avenir.

Six jours plus tard, l´ETA diffuse un long communiqué adressé au Peuple Basque en annonçant une trêve unilatérale et illimitée, et en informant qu´elle ne représenterait pas un obstacle pour le travail entre les forces basques et progressistes.

L´initiative de Lizarra Garazi se prolongea jusqu´à 18 mois. D´importantes dynamiques face à l´avenir se succédèrent. Ainsi, quelques mois avant la fin du cessez-le-feu en septembre 1999, la première institution politique de l´ensemble d’Euskal Herria, Udabiltza ou assemblée des élus basque, fut créée.

Cette institution d´élus représente un jalon de la longue traversée de ce pays et surtout une réponse claire qui dit qu´au-dessus des négociations de l´État il y a la volonté des peuples, une volonté qui construit, qui crée son propre temps et espace et qui marque une dynamique imparable. À partir de ce moment, la structuration du sujet politique institutionnel basque pour l´ensemble du pays commencera aussi à faire preuve de centralité dans le conflit.

Une occasion qui émerge parmi des coups répressifs jusqu´alors inconnus

Ce changement de modèle qui commence son développement à partir de la nouvelle proposition d´Alternative Démocratique, comptera sur l´opposition frontale des pouvoirs de l´État.

Ces derniers savent que ce processus peut permettre à la gauche indépendantiste de démasquer les vraies raisons du conflit basque ; en effet l’État espagnol n´est pas contre la gauche indépendantiste mais le conflit a lieu entre Euskal Herria et l’État espagnol, les pouvoirs tâcheront d´anéantir le moteur politique de ce processus: les organisations politiques et sociales de la gauche indépendantiste.

Au contraire de ce que l´on croit faussement, le processus répressif contre les organisations basques légales comme Herri Batasuna ne commence pas avec le gouvernement du Parti Populaire ni après la tragédie du 11S, en réalité il démarre bien avant tout cela.

La politique de répression et l´illégalisation généralisée deviendront des vecteurs internes du conflit, si à un moment donné, la conjoncture internationale du discours antiterroriste favorise cette façon d´agir. On constate en effet que ce sera le gouvernement du PSOE dirigé par Felipe González qui, à la suite de la publication de l´Alternative Démocratique, mettra en prison les membres du comité exécutif d´Herri Batasuna (vi).

Ce processus répressif aura principalement lieu pendant la période du gouvernement de José María Aznar, un processus répressif qui comptera sur le soutien total du PSOE (pacte antiterroriste en faveur des libertés y compris).

Ainsi, cette dynamique entraînera la cessation des journaux basques (Egin et Euskaldunon Egunkaria, ce dernier étant le seul à être rédigé en langue basque), des journaux d´importante diffusion et répercussion dans le pays, la cessation d´une revue de recherche journalistique, une radio à caractère national (Egin Irratia), ainsi que l´arrestation des organes de direction et d´édition de ces médias et les dénonciations de graves tortures subséquentes. De la même façon, divers organismes populaires seront illégalisés et leurs membres seront arrêtés et accusés de faire partie d´une soi-disant stratégie commune de l´ETA.

Toute cette politique sera couronnée avec l´approbation d´une nouvelle Loi des Partis dont le seul but sera la promotion de l´illégalisation de Batasuna, ainsi que toute expression politique découlée de cette réalité sociologique qui représente ce choix politique.

Dans ce contexte de coups répressifs, d´entêtement du Parti Populaire, et face à un manque d´engagement pour poursuivre le processus de confrontation démocratique avec l´État de la part du Parti Nationaliste Basque, ainsi que le manque de volonté du Gouvernement espagnol pour entamer tout type de dialogue, le 3 décembre 1999, l´ETA annonce la fin de la trêve pour répondre à nouveau de façon armée aux coups de l´État.

Plus de répression, plus de politique

Tel que nous avons déjà signalé, l´objectif final de cette action répressive, à laquelle on ajoutera une offensive politique médiatique et idéologique généralisée de la part de l´État et de ses principales forces politiques (PP et PSOE), contre tout ce qui peut être considéré comme une partie de la vision nationale basque (langue, culture, enseignement…), est d´arrêter tous les progrès découlés de la conformation de la nouvelle stratégie en réagissant contre le moteur des changements sociologiques qui se produisent.

Le mouvement indépendantiste est certain que, face aux tentatives de renvoyer la gauche indépendantiste de la scène politique, il lui correspond d´insister et d´approfondir dans son travail politique.

Dans ce sens, la gauche indépendantiste répondra à l´illégalisation avec une claire volonté de non clandestinisation, avec une dynamique de participation dans la dynamique électorale, malgré les interdictions sans commune mesure dans l´Europe occidentale, en répondant à la dynamique de répression et en adoptant des dynamiques menant à une nouvelle situation politique.

L´hégémonisation lente mais imparable du discours nationaliste et progressiste sera constatée dans l´Accord Démocratique de Base (vii) signé par divers acteurs politiques et sociaux qui approfondiront dans le besoin de passer la parole au peuple basque.

Ainsi, le PNV sera obligé de présenter une proposition de nouvel Statut d´Autonomie pour les trois provinces de la Communauté Autonome Basque (Plan Ibarretxe) dans lequel, en dépit des bien connues et insurmontables limites du cadre actuel, il devra faire allusion au caractère de nation du peuple basque, la territorialité (Euskal Herria formée par 7 provinces) ou le droit de décision, même si cela est fait de façon rhétorique ou dans le préambule du texte.

Finalement, cette période comprendra aussi le début d´une ligne de contact privée et discrète avec des secteurs du Parti Socialiste du Pays Basque. Des contacts qui se créeront en plein affrontement et qui serviront à débroussailler le chemin pour entamer un dialogue.

Dans ce contexte où il est impossible d´éliminer le travail politique de la gauche abertzale et dans un contexte de crise absolue du modèle autonomique, où même les partis qui avaient défendu le statisme partitioniste doivent s´approprier des termes de l´indépendantisme, l’attentat du 11 mars 2004 à Madrid, et la grossière tentative de manipulation de celui-ci creusera le tombeau électoral du Gouvernement ultranationaliste de José María Aznar. L´échec électoral d’Aznar sera la preuve de l´échec de la voie répressive promue par le Pacte PP-PSOE contre le terrorisme.

En centrant les clefs politiques pour la résolution du conflit

Dans ce contexte politique ou s´avère la fin du modèle autonomique, où de plus en plus de secteurs sont certains du besoin d´un nouveau cadre qui reconnaisse le droit de décision, d´importantes parties de la société reconnaissent le sujet national basque.

Et face à l´arrivée d´un nouveau Gouvernement, dont les secteurs entamaient depuis longtemps avec Batasuna des voies de dialogue, la gauche abertzale considère qu´il y a les conditions suffisantes pour promouvoir un processus de dialogue politique, en présentant une méthodologie qui répondait, selon le parti, de façon appropriée à tout le travail réalisé depuis la présentation de l´Alternative Démocratique.

“Maintenant le peuple, Maintenant le dialogue” (viii), connue comme la Proposition Anoeta qui naît dans l´intention d’établir les guides de la méthode du processus négociateur. Un processus à deux voies parallèles, une voie où l’ETA et l´État parleront des conséquences du conflit armé, et une autre voie où les forces politiques tâcheront de convenir sur l’origine du conflit. Cette méthodologie à double voie sera largement acceptée par la majorité des acteurs politiques et sociaux, y compris l´État espagnol.

Dès le début, le processus de négociation fera preuve de tout ce qu´un mouvement de libération national a connu: le processus de négociation n´est en réalité qu´un front de bataille. Un front, un cadre où chaque partie cherchera à atteindre ses objectifs politiques.

Mais il y aura une grande différence entre la gauche indépendantiste basque et les représentants de l´État espagnol. Pour la gauche indépendantiste basque l´objectif du processus n´était pas celui de chercher ses propres objectifs politiques (l´indépendance) mais un cadre rendant possible tous les projets politiques, alors que État espagnol cherchera un accord recueillant son objectif politique: le démantèlement de l´ETA, la réforme statuaire et la fin du modèle d´État.

Par contre, Batasuna cherchera l´établissement d´un terrain de jeu démocratique où, de façon démocratique, on puisse ouvrir les portes à tout choix politique sur l´avenir du pays, un choix qui compte sur une majorité suffisante. Un terrain de jeu qui recouvre en plus l´ensemble territorial.

Une sorte de piste où ceux qui voudront atterrir avec le modèle d´État unitaire pourront atterrir, mais ceux qui ne voudront pas décoller du même État pourront aussi le faire en comptant sur le soutien de majorités suffisantes.

Nous observons que dans ce processus de lutte qui a été la négociation des dernières années, le Gouvernement espagnol a cherché principalement la fin de la lutte armée avec le développement d’une voie dite technique de dialogue entre l’ETA et l´État, alors qu´il essayait de ralentir la voie politique afin d´obtenir un accord de réforme autonomique.

Cette politique de l´État n´a donc pas évité le fait que les noeuds gordiens subsistent, noir sur blanc, dans la société: le droit de décision et la territorialité en tant qu´axes du conflit. Ainsi, le refus de l´État à répondre à ces éléments a éclairci aussi l´origine politique du conflit. 

La volonté déclarée par l’ETA d´effectuer le démantèlement de son arsenal armé et de ses structures devant la Commission Internationale de Surveillance dans le cas où les acteurs politiques soient parvenu à un accord permettant de résoudre les noeuds du conflit politique. La création d´une scène démocratique, le certifiait.

Une proposition démocratique intégratrice, raisonnable et envisageable

Aujourd’hui, après 30 ans de la soi-disant « démocratie » espagnole, la société est certaine que nous nous trouvons face à un conflit politique insoluble tant que l´on ne donne pas une solution aux noeuds gordiens du même. Elle sait aussi que c´est l´État espagnole qui s´oppose à les résoudre. De plus, dans ce sens, Batasuna a présenté une proposition claire et concise.

Une proposition qui n´a rien à voir avec son postulat politique, l´indépendance. Mais une proposition qui permet à diverses sensibilités politiques du pays de cohabiter de façon démocratique et civilisée.

Un cadre qui ouvre les portes démocratiquement, si la majorité sociale le souhaite, à l´indépendance et à la possibilité d´être en rapport avec l´État. Une proposition envisageable qui rendrait possible la fin du conflit politique armé plus ancien d´Euope de façon simple et démocratique.

Batasuna propose la création d´un nouveau cadre démocratique établi en tant qu´autonomie pour les quatre territoires basques sous l´administration espagnole, une autonomie qui, en reconnaissant le caractère national du peuple basque, aurait des mécanismes légaux pour que les majorités suffisantes de citoyens de ces territoires puissent décider de leur avenir ainsi que du type de rapports avec l´État espagnol (ix).

De plus, Batasuna propose le changement de l´état actuel de division territoriale du pays en deux communautés autonomes sans le droit de décider de leur avenir, vers un nouveau stade d´autonomie unique avec le droit de décision pour les quatre provinces basques par le biais de mécanismes démocratiques et de libre adhésion des citoyens des deux communautés (Communauté Autonome Basque et Communauté Forale Navarraise). Ce serait donc les citoyens des deux communautés ceux qui devraient adopter ce nouveau cadre unique.

La balle est dans le camp du Gouvernement espagnol.

C´est à lui de répondre positivement à la volonté majoritaire du peuple basque. De reconnaître qu´il y a un peuple et qu´il a le droit de décider de son propre avenir. Autrement, il restera bloqué dans la grande roue que représente le conflit. Dans ce contexte, la Communauté Internationale en général et les Institutions européennes en particulier ont aussi une obligation urgente vis-à-vis de la société européenne, basque et espagnole.

Pendant les dernières années, l´Union Européenne a fait preuve de capacité suffisante pour aider et accompagner, avec des actions positives, la résolution du conflit angloirlandais. En obtenant des résultats divers, elle a agit et elle a travaillé pour la résolution de conflits en Europe centrale et dans les Balkans. Actuellement, des acteurs internationaux tâchent de promouvoir une solution pacifique au problème du Kosovo.

Aujourd´hui, le conflit qui oppose l´État espagnol et Euskal Herria est devenu le plus ancien d´Europe. Un conflit qui a lieu en plein coeur de l´Union Européenne et qui indirectement déstabilise ses piliers. Dans ce sens, les acteurs internationaux doivent aider à obtenir une paix juste et durable dans ce coin de l´Europe.

Telle que le prouve l´histoire récente, on aboutira à cette paix en passant d´abord par la reconnaissance d´un peuple, le peuple basque, et le respect de sa volonté libre et démocratique.

Engagement total

Par ce document, Batasuna réitère son engagement total et complet avec des dynamiques rendant possible l’établissement d´un cadre démocratique pour le pays. Nous sommes convaincus qu´il s´agit de la seule voie possible pour surmonter le conflit.

Mais nous signalons aussi très clairement que, malgré toutes les actions répressives, l’ensemble de la gauche indépendantiste basque est prête à poursuivre le long chemin de lutte et de résistance qui nous a mené jusqu´ici et qui nous mènera, indéfectiblement, vers la liberté de notre peuple.

BATASUNA

Dpt. Relations Internationales

À Euskal Herria , novembre 2007.

i )Formation d´Herri Batasuna:
ii )Alternative KAS.
iii )Conversations d´Alger
iv )Accord Lizarra-Garazi.
v ) Alternative Démocratique
vi ) Emprisonnement de la Table Nationale.
vii )Accord démocratique de Base.
viii ) Maintenant le Peuple, Maintenant la Paix.
ix )Proposition du Cadre démocratique.

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Interview d’ETA au journal GARA (2008)

Quelle est votre lecture de la situation politique depuis la fin du processus des négociations ?

Le même mur et la violence permanente de l’État espagnol se dressent toujours contre l’Euskal Herria. Comme lors du dernier processus de paix, le mur qui nous bloque est celui de la Constitution espagnole et de la négation du peuple basque.

L´État espagnol n’a pas mené une véritable transition démocratique, et Zapatero a emprunté le même chemin que González et Aznar avant lui. Il a laissé échapper une excellente occasion de réforme de l’État fasciste qu’il gouverne. L’occasion de laisser l’Euskal Herria suivre la voie qui est la sienne.

C’est en tout cas ce que nous avons pu vérifier lors du processus de négociations. De la part du Gouvernement, il a été abordé avec des objectifs malveillants et le processus n’a pas prospéré. Depuis, comme ils l’ont répété à de nombreuses reprises, ils ont maintenu leur pari en faveur d’une politique basée sur la répression.

Au lieu de progresser dans le respect des droits légitimes de l’Euskal Herria, au lieu de désactiver les mécanismes hérités de tant d’années de dictature pour avancer vers une véritable démocratisation de l’État espagnol, ils s’en tiennent aux recettes du passé.

Mais il faut qu’ils sachent que l’État espagnol ne sera véritablement démocratique, et ne jouira de stabilité et de paix, que si les droits nationaux de l’Euskal Herria sont reconnus.

Zapatero a fait le mauvais choix, car cela annonce de longues années de conflit de la part de l’État espagnol.

Par ailleurs, le PNV, qui représente la bourgeoisie basque, a de nouveau trahi son peuple. Au cours du processus de paix, ce parti a dit clairement qu’il optait pour rester aux côtés du PSOE. Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’il en est ainsi. Son objectif est de gagner les élections de 2009, dans la Communauté Autonome du Pays Basque, et de garder le pouvoir.

Quelle est l’analyse de l’ETA sur l’évolution de la revendication de l’autonomie pour l’Ipar Euskal Herria (Nord du Pays Basque) ?

À nos yeux, cette revendication est nécessairement positive. Nous voyons cette alternative rénovée présentée par la gauche basque à l’Euskal Herria comme un nouveau pas en avant issu de la maturité de la situation politique et du développement de la lutte de libération.

Une large majorité de la société basque revendique une reconnaissance politique et institutionnelle, capable de redonner à l’Euskal Herria des compétences et des niveaux de pouvoir. Il est indispensable de nous réapproprier ces domaines de pouvoir face à la colonisation et à la répression venant de Paris, car c’est la survie du peuple basque qui est en jeu.

Un exemple clair est constitué par le fait que les secteurs économiques locaux, entre autres, revendiquent la nécessité de cette structuration institutionnelle fondamentale en tant qu’instrument efficace pour assurer un avenir économique pour l’Euskal Herria.

Les mesures adoptées depuis Pau et Paris, contre la volonté populaire, reflètent également la nécessité des Basques de disposer d’un statut d’autonomie spécifique. C’est le cas, par exemple, de l’autoroute A-63 récemment approuvée, et des destructions entraînées par sa construction. On a besoin d’un statut d’autonomie qui prenne en compte les revendications des Basques : l’euskara (langue basque) doit être officielle, l’aménagement du territoire, l’économie, etc.

Le statut d’autonomie pour les trois territoires proposé par la gauche basque pose une première pierre de la construction de l’État d’Euskal Herria. C’est ce sur quoi nous misons.

Par contre, certains secteurs du PNV et d’AB naviguent à la dérive depuis un certain temps, et ils continuent à situer leur perspective politique, et par conséquent l’avenir de l’Euskal Herria, dans la logique de l’État français. Ce chemin vers nulle part nous condamne à être « basque français » ou, comme certains le disent, « Basques en France » ou « Français en Pays Basque ». Et là, l’Euskal Herria n’a aucun avenir.

En revanche, nous voyons très positivement la jonction en cours, pour la défense de la création de l’État d’Euskal Herria, entre des secteurs abertzales qui travaillaient depuis des perspectives politiques très différentes. Les blessures du passé se sont fermées, et cela permet de poser les fondations nécessaires pour que le processus de lutte entamé soit irréversible.

Vous revendiquez la nécessité d’un État pour l’Euskal Herria. Dans la situation politique actuelle, quel est le sens à donner à cette revendication ?

Ce n’est pas une simple revendication. La création de l’État d’Euskal Herria a été, et constitue toujours, l’objectif de la résistance révolutionnaire née en Euskal Herria au cours de ces longues années. C’est une option qui permettra de réaliser l’idéal d’indépendance. De nombreuses compagnes et compagnons de lutte ont donné leur vie pour la défense du peuple basque, et pour voir un jour cet objectif réalisé.

En effet, quelle autre option pour l’Euskal Herria ? Voir les Basques à la dérive, au sein de l’Espagne ou de la France, en fonction des politiques appliquées au gré des gouvernements, par Zapatero, Rajoy ou Sarkozy, pour la gestion de leur État respectif ? Voir des partis comme le PNV faire des affaires et augmenter leur pouvoir, en profitant de la situation ?

Le peuple basque a droit à un développement spécifique. D’autres exemples existent en Europe : l’Écosse, le Kosovo… Nous ne sommes donc pas dans l’utopie. Afin d’assurer sa survie, un peuple doit pouvoir se structurer et, c’est dans ce contexte que nous situons le nôtre : un peuple souverain doté d’un État.

Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un processus graduel. Il s’agit d’un projet en plusieurs phases, car nous vivons des réalités différentes à cause de la persécution politique des États de France et d’Espagne. D’abord, nous devrons passer par la reconnaissance de l’Euskal Herria, par l’acceptation du droit à l’autodétermination et par la conquête d’un statut démocratique. Puis, nous pourrons entamer la construction de l’État d’Euskal Herria, qui ouvrira la porte à l’indépendance du Pays Basque.

Et nous sommes convaincus qu’une large majorité de la société basque est partie prenante du projet d’État de l’Euskal Herria. Pourquoi ? Parce nous sommes euskalduns (bascophones), citoyens basques et c’est pour cela que nous avons le désir et la nécessité d’être maîtres de notre destin.

Il est incompréhensible pour nous qu’un autre peuple nous gouverne. Nous revendiquons donc l’État d’Euskal Herria sans honte, dans la dignité et dans la fierté. Nous sommes convaincus que nous avons tous une place au sein du projet d’État d’Euskal Herria.

Mais il ne semble pas que l’État français ait changé d’attitude vis-à-vis de l’Euskal Herria.

L’État français est conscient de la force que la proposition d’autonomie politique de la gauche basque, et que cette convergence entre abertzales, ont apporté à la lutte de libération. La réponse du Gouvernement de Sarkozy consiste à augmenter la répression, comme les détentions de ces derniers mois l’ont démontré.

Par exemple, nous considérons que les rafles comme celle de Garazi avaient pour mission de briser cette lutte, et de menacer la gauche basque. Les mandataires de France commettent la même erreur que le Gouvernement espagnol.

Aviez-vous prévu que l’offensive du Gouvernement espagnol irait si loin ?

Comme nous l’avons dit plus haut, il est clair que le Gouvernement espagnol a lancé un processus de paix dans lequel il n’était prêt à faire aucune « concession politique ». C’est ainsi que l’on a entendu des déclarations selon lesquelles « nous n’irons pas plus loin. », ou « la Constitution ne va pas être modifiée »…

Ils pensaient que l’Organisation était affaiblie, et ils s’en sont tenus à une ligne qui recherchait la fin de l’ETA sans entrer dans de véritables négociations de paix. Ce que nous vivons actuellement, répression, répression et encore répression, constitue l’étape suivante des calculs de ces messieurs-dames.

Au moyen d’une répression policière et judiciaire sauvage contre l’ETA et contre la gauche basque, ils croient tracer la voie de « négociations techniques » pour l’avenir. Comme s’ils souhaitaient répondre au besoin et au désir de création de l’État d’Euskal Herria par ces recettes inconsistantes.

Il ne faut donc pas s’étonner si, aujourd’hui, avec une expérience de longues années de lutte derrière nous, la voie à emprunter pour apporter une solution et la manière de résoudre le conflit basque ne sont toujours pas claires.

Ces derniers mois, de nombreuses arrestations ont eu lieu, à propos desquelles le Gouvernement espagnol parle de la défaite policière de l’ETA. Qu’opposez-vous à ces affirmations ?

C’est la conséquence d’une logique policière de lecture du conflit. Mais l’ETA n’a jamais appréhendé les paramètres du conflit en termes militaires ; il n’y a pas de défaite militaire possible car les racines du conflit sont d’ordre politique. Il n’y a pas de victoire policière possible contre la volonté des citoyens basques.

Rien ni personne ne pourra paralyser la volonté du peuple basque de créer un État d’Euskal Herria. Et, à chaque tentative de rabattre la dignité d’Euskal Herria, notre détermination à lutter en sort renforcée.

Dans ce sens, nous voulons lancer un appel au peuple basque pour qu’il se lève contre l’oppression et contre la suffisance des États d’Espagne et de France, pour qu’il multiplie les chantiers de reconstruction, et pour que la lutte s’organise. Le processus de libération nationale est irréversible.

À l’occasion du communiqué en date du 15 décembre dernier, l’ETA a annoncé qu’elle répondrait aux « essais de terrorisme de l’État contre les militants basques ». Que vouliez-vous dire exactement ?

Comme nous l’avons expliqué dans le communiqué du 15 décembre, nous avons constaté, au cours de l’année dernière, des mouvements des forces armées espagnoles.

Pendant les négociations entre l’organisation et le Gouvernement espagnol, nous avons averti que nous répondrions au terrorisme d’État, et que ces manoeuvres devaient cesser immédiatement. Nous n’oublions pas que l’État espagnol, sur toute sa trajectoire, a fait usage et fait encore usage du terrorisme d’État. L’époque du GAL n’est pas si loin, sous les mandats de Pérez Rubalcaba et de Felipe González, et aujourd’hui nous avons les mêmes aux affaires, ou leurs héritiers.

L’effort qui a été fait pour escamoter cette dénonciation de l’ETA est d’ailleurs significatif. Toutefois, le ministre de l’Intérieur, Alfredo Pérez Rubalcaba a laissé entendre, par ses paroles, le sceau des GAL lorsqu’il a déclaré, telle une menace directe adressée aux combattants basques, que la hache avait coupé la tête du serpent.

La pensée et la stratégie des dirigeants espagnols étaient ainsi mises à nu : ils sont disposés à utiliser tous les moyens pour faire avorter le processus menant à l’indépendance de l’Euskal Herria.

L’ETA ne va pas tolérer les manoeuvres de guerre sale d’un État terroriste, ni la pression des forces de police. Nous agirons contre les appareils répressifs lancés à la chasse des combattants et des citoyens basques.

Tentative d’attentat contre le local du PSOE, à Balmaseda.

Nous appelons les militants du PSOE à demander au ministre Rubalcaba, au président Zapatero, ou à des fascistes comme Ares (PSOE), jusqu’où ils sont disposés à aller dans la pratique répressive.

Des Basques sont sauvagement torturés dans les casernes de la Garde Civile ; ils sont soumis à l’étouffement, à la baignoire, ils sont violés… Des Basques sont condamnés à mourir sur la route en conséquence de la politique de dispersion. Des militants indépendantistes sont condamnés à des centaines d’années de prison. Les militants du PSOE devraient réfléchir aux conséquences de toutes ces situations.

L’ensemble des forces politiques est sous l’influence des élections au Parlement espagnol. Comment situez-vous ce rendez-vous électoral dans le contexte actuel ?

En premier lieu, dans notre perspective, il faut dire que ces élections se situent dans la crise structurelle qui affecte l’État espagnol. Le quid de la question se trouve au coeur de la bataille entre PSOE et PP. Comment faire face aux racines de cette crise : la lutte de l’Euskal Herria.

Le PSOE tente de démontrer qu’il est capable de frapper la gauche basque et l’ETA plus fort que le PP. Mais la répression du PSOE va plus loin. Le PSOE ne saurait accepter la détermination et la capacité d’initiative démontrées par la gauche basque, car il est conscient que le projet de la gauche basque ne peut être vaincu. Il sait que les violents coups de boutoir assenés à la gauche basque représentent des bénéfices à court terme, mais il sait également qu’il ne pourra pas étouffer définitivement la soif d’indépendance.

C’est là que nous situons l’initiative adoptée par la gauche basque vis-à-vis de ces élections étrangères. Les Basques veulent montrer qu’il existe un peuple appelé Euskal Herria et revendiquer l’État d’Euskal Herria. C’est pour cette raison que l’ANV est menacée d’interdiction pour les élections.

Ce qui est curieux, c’est que l’État espagnol, qui tente quotidiennement de nous forcer à être espagnols, veuille écarter la gauche basque du cadre de sa propre législation. Ils ont tenté pendant des années d’étouffer la soif de vivre des Basques, par des pseudo-lois, par les structures espagnoles, et voilà qu’ils versent dans la résignation.

Il est évident que l’Euskal Herria n’a pas sa place dans le cadre de la législation d’oppression espagnole.

Mais une chose est en cours de socialisation : par-delà toutes les attitudes démocratiques, ni le PSOE ni le PP ne pourront faire fléchir la volonté de la gauche basque.

Mais vous n’observez pas un changement d’attitude de la part de la gauche basque ?

Nous ne le considérons pas ainsi. Nous sommes à un moment où il convient d’intensifier la lutte pour l’indépendance. La gauche basque a toujours su quelle était la meilleure option pour accumuler des forces face à chaque échéance électorale.

C’est à la gauche basque de mener cette réflexion, et nous sommes sûrs qu’elle saura le faire avec bonheur. L’ETA appelle tous les citoyens à s’impliquer dans la construction de l’État d’Euskal Herria, en franchissant les étapes et en réagissant comme il se doit en fonction des circonstances.

Une victoire du Parti Populaire ne signifierait pas un non définitif aux possibilités de négociations ?

Comme nous l’avons dit, le conflit basque est un conflit politique opposant l’Euskal Herria et l’État espagnol, sur ce mur levé par celui-ci contre les droits de celui-là. Nous nous trouvons face à un problème d’État, et c’est dans cette perspective qu’il faut le voir.

C’est pourquoi le problème principal n’est pas de savoir si le gouvernement est aux mains de tel ou tel parti, mais d’obtenir la reconnaissance des droits d’Euskal Herria de la part de l’État espagnol. Au cours des trente dernières années, l’ETA a négocié avec des gouvernements de couleur politique différente, avec la volonté de trouver une solution négociée et démocratique au conflit basque.

En revanche, tous les présidents de l’Espagne ont mis à profit ces tentatives de négociations pour tenter d’imposer de fausses sorties au conflit, avec l’objectif mesquin d’affaiblir à la fois l’ETA et la gauche basque.

Nous sommes tous conscients que le conflit qui oppose l’Euskal Herria à l’Espagne et à la France ne pourra être résolu que par la voie de la négociation. Tôt ou tard, il faudra reprendre cette voie, la voie de la reconnaissance des droits démocratiques légitimes d’Euskal Herria.

Comment voyez-vous le soutien apporté par le PSN à l’UPN pour que ce dernier reste au Gouvernement (de Navarre) ?

Comme nous l’avons dit plus haut, il est clair qu’il existe un pacte d’État vis-à-vis de la question basque. Il s’agit de décisions prises à Madrid. Et c’est la raison d’État qui s’impose ici. C’est notre lecture des événements de Navarre. Le PSOE situe la gouvernabilité de la Navarre dans la ligne des prochaines élections législatives en Espagne. Il ne veut pas dévoiler sa position, et il ne le fera pas avant les élections.

Mais il est clair qu’ensuite, en fonction des résultats, le PSOE préparera une réforme.

En Navarre, il est en effet question de sceller la Loi d’Autonomie (Amejoramiento) imposée au peuple navarrais, cette fois avec l’approbation et la légitimation des citoyens. L’objectif n’étant pas de donner la parole au peuple et d’ouvrir les portes à la création d’un État d’Euskal Herria, mais de situer la loi en question dans le cadre de la réforme de l’État espagnol.

Juan José Ibarretxe a élaboré un projet politique concret. Quelle est la position de l’ETA sur ce point ?

En 79, nous avons vu les dirigeants du PNV et d’EE soumis devant Suárez. Sans s’en cacher à l’époque, ils ont négocié en tenant le peuple et les bases militantes à l’écart. Ils ont fait le voyage à Madrid, participé à l’accolade de la Moncloa, et signé le Statut de Gernika.

Près de trente ans plus tard, et pour le malheur du peuple basque, ils semblent avoir aujourd’hui les mêmes intentions.

On ne peut pas évaluer le Plan Ibarretxe en marge des tensions internes vécues par le PNB. Avec Imaz à la tête du parti, le PNV a vu comment son hégémonie et sa position de force dans la Communauté Autonome Basque était en danger. Les manoeuvres de séduction s’adressant à différents secteurs de l’État espagnol ont paru excessifs aux bases du PNV, voire inacceptables pour certains.

Cela a provoqué un tourbillon interne au sein du PNV. Mais nous affirmons que le PNV a choisi en faveur d’une perspective de politique et de stabilité de l’État espagnol, et que sa stratégie va dans ce sens, en compagnie des pouvoirs espagnols et du PSOE au gouvernement. Le projet du Train à Grande Vitesse est un bon exemple, ainsi que le soutien proposé par le PNB au budget de l’État espagnol.

Ainsi, et compte tenu de la situation politique actuelle, Ibarretxe et le PNV, ont commencé à préparer les élections prévues en 2009 dans la Communauté Autonome du Pays Basque. Et le Plan Ibarretxe est en fait un outil inestimable pour mettre en scène une fausse confrontation avec l’État. Une feuille de route menant directement à l’échéance 2009, avec un tapis rouge pour la nouvelle réforme de l’Espagne. Une nouvelle spoliation.

Mais Ibarretxe accuse précisément l’ETA de vouloir ramener l’Euskal Herria dans le passé.

C’est un autre des mensonges d’Ibarretxe. Ce qui nous ramène au passé sont les politiques et les propositions qui nous condamnent à vivre enchaînés à l’Espagne. Et nous voulons dire à Ibarretxe que nous n’avons jamais accepté, et que nous n’accepterons jamais, le statut d’autonomie espagnole.

Quoi qu’il en soit, des affirmations de ce genre représentent des messages intéressés par rapport à la violence, et dénature le discours sur la violence avec une hypocrisie, une démagogie et un cynisme sans limites. Comme si la violence appliquée par la police autonome basco-espagnole contre les citoyens n’existait pas. Il parle de violence sans rougir, alors que la précarité a causé plus de cent morts de travailleurs basques par accident du travail.

Une nouvelle fois, vous évoquez les accidents du travail.

Oui, parce que ces accidents portent un nom : « terrorisme patronal ». À notre avis, la situation est intenable. L’hypocrisie des patrons n’a pas de limite. L’année dernière, on a dénombré plus de cent décès des suites d’un accident du travail, mais le plus grave est qu’aucun indice ne permet d’affirmer que l’on veuille changer la situation.

Les syndicats et les travailleurs ont proposé et exigé, à de maintes reprises, la mise en place de mesures pour en finir avec cette situation. Une infinité de mobilisations ont eu lieu, mais pas de réaction du patronat.

La réponse et la priorité des pouvoirs publics consiste à se passer la balle et à diminuer les impôts des entreprises. L’attitude des gouvernements de Navarre et de la Communauté Autonome Basque dans le domaine de la santé est on ne peut plus claire, lorsqu’ils refusent de négocier avec les syndicats et les travailleurs et qu’ils imposent les conditions de travail et leur modèle par la voie du décret.

L’objectif des patrons est d’exploiter la classe travailleuse et, au lieu d’améliorer les conditions de travail et de vie, d’accentuer la misère des familles. Il s’agit par-dessus tout d’accumuler des bénéfices, en passant outre les conditions de travail.

Les entrepreneurs disent qu’ils créent des richesses, mais ils oublient de préciser où vont ces richesses. Ils remplissent leurs poches et s’enrichissent. Que signifie cette richesse pour le peuple basque ?

Vous avez évoqué le projet du TGV. Quelle est la lecture de l’ETA à propos de l’évolution de ce conflit ?

En Euskal Herria, de nombreux conflits sociaux importants ou mineurs sont actuellement ouverts, mais dans aucun cas on ne peut observer une intention ou une volonté particulière de les résoudre par la voie du dialogue ou de la raison. En fin de compte, on donne raison à l’ETA.

Si nous n’étions pas intervenu dans le conflit de l’autoroute, les institutions auraient imposé, par la force des armes, leur projet oppresseur. Et la liste est longue : Lemoiz, Itoitz, le méga-port, l’aéroport, l’usine d’incinération, etc.

Et nous suivons tous ces conflits avec un grand intérêt, mais également avec préoccupation, parce qu’on a l’impression que les pseudo-politiques et les technocrates bien vissés sur leur siège d’élu, n’ont rien appris de conflits comme ceux de (la centrale nucléaire de) Lemoiz ou de l’autoroute de Leitzaran. Une nouvelle fois, on mise sur un pourrissement du conflit, en faisant la sourde oreille aux critiques sensées adressées par les citoyens.

Ils ont même osé dire qu’il s’agissait d’un projet écologiste, nécessaire voire indispensable. Les dernières bêtises en la matière ne seraient que des bêtises, si nous n’étions conscients que ce projet est susceptible d’hypothéquer l’avenir du peuple basque.

Ils ont choisi le camp de la désinformation et de l’imposition. Si une réflexion et un débat démocratique étaient menés autour des besoins de structuration d’Euskal Herria en tant que peuple, et qu’une réponse était apportée en termes de développement, il apparaîtrait clairement que le TGV n’est pas nécessaire.

Si l’Euskal Herria dans sa totalité était doté de la capacité de décision et de structuration, si il possédait les outils du pouvoir, on verrait quel serait le destin de tels projets.

Pourquoi éviter et interdire les consultations populaires ? De quoi ont peur ceux qui brandissent le drapeau des démocrates d’Euskal Herria ? Nous n’accepterons pas leurs impositions. Que la parole soit donnée au peuple et que cette parole soit respectée.

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Communiqué d’ETA de mars 2008

ETA, l’organisation basque socialiste révolutionnaire de libération nationale, revendique les attentats suivants :- Le 8 février, à Bergara, l’attentat à l’explosif réalisé au tribunal contre l’appareil de la justice de l’Espagne, avec des dégâts matériels.- Le 23 février, à Bilbao, l’attentat à l’explosif préparé contre les forces de police de l’Espagne dans un relais de Télévision sur la colline Arnotegi. L’explosion de la bombe avait provoqué des dégâts matériels.

– Le 29 février, à Derio, l’attentat à l’explosif contre le siège du PSOE, avec des dégâts matériels.

– Le 7 mars, à Mondragon, l’attentat mortel par balles contre Isaias Carrasco Miguel, membre du PSOE.

– Le 21 mars, à Calahorra (Rioja), l’attentat à la voiture piégée contre la caserne de la Garde Civile, avec un garde civil blessé et de gros dégâts matériels.

En 2004, lorsque Zapatero avait accédé à la présidence de l’Espagne, au terme de huit années de répression et d’oppression sauvage contre Euskal Herria avec le PP au pouvoir, on attendait de voir quelle suite allait donner le Gouvernement du PSOE à la possibilité d’un règlement, par la négociation, du conflit entre Euskal Herria et l’État espagnol.


Par la suite, au cours du processus de négociation, le Gouvernement de l’Espagne a fait le mauvais choix. Faisant du mensonge et de la tromperie les caractéristiques principales de sa politique, Zapatero a eu pour but d’affaiblir la lutte menée par l’indépendantisme basque et de conduire ETA vers un processus de reddition, en trouvant une fausse issue qui allait laisser le conflit sans solution.

L’État espagnol n’a pas voulu développer de processus de reconnaissance des droits d’Euskal Herria, et Zapatero a pris exactement la même voie que Gonzalez et Aznar. Le Gouvernement du PSOE, en adoptant des mesures d’exception, en menant à son terme la suppression des libertés démocratiques et en étendant à tous les domaines la répression, a accompli de nouveaux pas dans la stratégie qui vise à briser la lutte d’Euskal Herria.

En suivant, au nom de l’unité de l’Espagne, la consigne selon laquelle « tout est bon contre l’indépendantisme », le ministre Rubalcaba a réactualisé la pratique du terrorisme d’État acquise sous le commandement de Gonzalez.

Le PSOE, tenant d’une main la Constitution de l’Espagne, a fait faire de l’autre main un tour supplémentaire à la noria criminelle de la répression.

Sans écarter aucune manœuvre pour défaire les promoteurs de l’indépendance et ceux qui militent pour elle. En brisant tous les droits et toutes les libertés démocratiques. Les militants du PSOE ne vont tout de même pas s’imaginer qu’ETA, en voyant que c’est en toute impunité que les militants basques sont torturés, détenus, condamnés à perpétuité, et qu’on illégalise les partis, va rester les bras croisés, n’est-ce pas ?

Les socialistes du PSN et du PSE qui se disent progressistes et démocrates, s’ils le sont réellement, doivent s’éloigner de cette stratégie sauvage et faire en sorte que soit mis un terme à la politique néofasciste qui a pour but de prolonger la négation d’Euskal Herria et l’état d’exception qui y a cours.

Et maintenant, en 2008, Zapatero, après avoir gagné les élections pour le Gouvernement de l’Espagne, se trouve nez à nez avec ce même conflit qu’ils n’ont pas voulu régler durant le processus de négociation et avec toutes les conséquences induites par ce conflit. Et il en sera de même en 2009, en 2010, en 2011…L’État espagnol n’aura en effet ni stabilité politique ni paix tant qu’il n’aura pas reconnu le droit à l’autodétermination et à la territorialité d’Euskal Herria.

Lorsque Rubalcaba annonce la « violence » pour de nombreuses années, il le fait en disant qu’ils ont l’intention de continuer à nier les droits d’Euskal Herria et de continuer à imposer par la force le projet de « l’Espagne unie ». Les menaces et les prédictions de Rubalcaba nous montrent que l’État espagnol est en train de préparer une nouvelle période d’oppression de 30 ans pour l’avenir.

Suivant la politique du mensonge et de la manipulation, à la base de ce message destiné à mettre sur le compte d’ETA la responsabilité de la prolongation de l’affrontement armé, il n’y a rien d’autre que la dissimulation de l’intention mesquine du gouvernement de l’Espagne de justifier par anticipation la suppression de tous les droits. Il n’y a là que le désir de blanchir les rafles, les incarcérations et les tortures infligées aux citoyens basques, ainsi que les agressions auxquelles se livre le terrorisme d’État.

L’État espagnol a fait le choix de continuer à imposer les limites de la Constitution espagnole au détriment de la volonté des citoyens basques. Et le PNV est actuellement et sera à l’avenir son compagnon de route, comme Urkullu l’a clairement fait comprendre lors de l’Aberri Eguna.

En 79 nous avons vu les dirigeants du PNV et d’EE [Euskadiko Ezkerra] soumis devant Suarez. Ils avaient alors donné l’accolade de la Moncloa, en signant le Statut de Gernika qui maintenait notre pays divisé, nié et privé de souveraineté.

Trente ans plus tard, les dirigeants du PNV persévèrent dans le même esprit, recherchant cette fois-ci un nouveau pacte qui apportera le renouvellement du Statut de la Moncloa.

D’une manière identique à celle que nous avions dénoncée alors, les dirigeants du PNV sont prêts à vendre les droits d’Euskal Herria « contre un plat de lentilles », et cela pour la sauvegarde de leurs intérêts. C’est là ce qu’ils essayent de faire. Sur les ondes d’EiTB, l’activité de la gauche abertzale est passée sous silence et boycottée, au point que la réalité de ce pays en arrive à être défigurée.

Mais comment n’en serait-il pas ainsi, alors que celui qui était à la tête de la télévision jusqu’à présent avait prédit que ceux qui se battent pour l’indépendance allaient fondre comme le sucre dans l’eau ? En Euskal Herri passer d’un poste de direction d’ETB à un poste de direction du PNV n’est qu’une simple mutation : c’est l’affaire d’une journée.

Le contexte politique que nous avions connu à la fin du franquisme nous revient à l’esprit, les simulacres de transition, les petitesses collaborationnistes et les trahisons. Face à tout ceci, par contre, se donne à entendre la voix d’un peuple qui veut trancher pour son avenir et être indépendant.

Face à l’État français, c’est par milliers que des voix se sont élevées en criant que nous sommes un peuple, c’est par milliers que des citoyens en s’abstenant ont crié que ça suffit à Zapatero et consorts.

D’Atarratze à Balmaseda, d’Irunberri à Bergantzu, d’Ondarroa à Lizartza, le choix fait par les citoyens indépendantistes a montré que la répression ne réduira jamais au silence la lutte qui a pour but l’édification de l’État d’Euskal Herria.

Parce que contre toutes les politiques d’assimilation qu’on nous impose de Paris et de Madrid, le choix que nous, les citoyens basques, avons fait, c’est celui de faire naître notre propre système d’éducation basque, c’est de revendiquer et d’obtenir que la langue basque soit officielle, c’est de développer un cadre économique propre.

La jeunesse basque n’a pas fait preuve de légèreté : elle n’a pas renoncé à la responsabilité qui lui revient cette fois encore. Comme au temps du franquisme, après s’être rebellé contre les obstacles, la répression, l’éducation imposée et les lois linguistiques, le jeune d’aujourd’hui, à partir de son choix de s’exprimer et de vivre en Euskara, sait qu’il est en train de bâtir un des piliers les plus importants de l’État d’Euskal Herria du futur, et il s’applique à cette tâche.

Parce qu’il sait très bien qu’autrement, nous connaîtrons le malheur d’être assimilés par les États français et espagnol.

Par ailleurs, les conditions de vie de la classe ouvrière et, en somme, des citoyens, par suite des féroces règles du jeu du système néo-libéral et des politiques des administrations qui gèrent et appliquent ces règles dans notre pays, sont sans cesse en train de se dégrader.

D’autant plus quand on nous annonce un changement de cycle économique et une crise économique sévère. Euskal Herria a besoin des possibilités structurelles de solutions qui accompagneront l’édification de son propre État, c’est-à-dire pour bâtir un système économique et social fondé sur la justice sociale. Euskal Herria a besoin du cadre démocratique apte à offrir les moyens de structurer un espace socio-économique qui lui soit propre, afin d’édifier l’avenir en adéquation avec les droits des citoyens.

A cause de tout ceci, ETA veut faire connaître ce qui suit :

1.- Les pactes politiques qui recherchent la prolongation de la situation d’oppression et de négation d’Euskal Herria ne feront que porter tort à notre pays, et par conséquent le conflit perdurera.

2.- Le fait d’imposer un autre cycle autonomique espagnol à Euskal Herria produira un approfondissement dans la destruction de notre peuple et dans le processus d’assimilation. Par conséquent, l’UPN, le PSOE et le PNV doivent savoir que nous n’avons jamais admis et que nous n’admettrons jamais le cadre autonomiste espagnol. Les pactes qui poursuivent cet objectif-là, nous qui voulons la liberté totale d’Euskal Herria, nous les combattrons comme nous l’avons fait ces trente dernières années.

3.- Sarkozy et Alliot-Marie n’ont pas d’autre solution que l’abandon de la politique et des mécanismes d’assimilation qu’ils ont mis en place contre Euskal Herria, parce qu’ils ne peuvent pas tourner le dos au cycle favorable à l’indépendance qui a fleuri en Euskal Herri.

4.- C’est seulement l’acceptation du droit à l’autodétermination d’Euskal Herria qui peut apporter le changement politique à notre peuple, en ouvrant la possibilité de concrétiser tous les projets politiques pour l’avenir.

5.- Les temps sont venus de se battre pour la reconnaissance de tous les droits d’Euskal Herria et d’unir les forces sur la voie de la construction de l’État d’Euskal Herria. Nous avons la certitude de l’adhésion d’une large majorité des citoyens basques au projet de l’Etat d’Euskal Herria ; dans ce projet, nous, tous les citoyens basques, nous avons notre place, et nous adressons à tous les citoyens basques un appel à travailler et à lutter pour cela.

Euskal Herria, mars 2008

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