Au 19e et au 20e siècles, les révolutionnaires considéraient-ils que la stabilité était l’ennemie ? C’est une question importante. Trop souvent, on se dit qu’être révolutionnaire, c’est vouloir une agitation profonde, afin d’ébranler les fondements de la société, de provoquer des troubles profonds, des remises en cause.
C’est seulement alors, dans un tel contexte, que le discours révolutionnaire aurait enfin un écho, que les révolutionnaires se verraient rejoints par de plus en plus de gens, jusqu’à la possibilité de s’attaquer à l’État lui-même. Le mot-clef, qui résume toute cette approche, c’est celui de subversion. Cependant, c’est une lecture unilatérale. Il ne faut pas considérer que la révolution est le mouvement et que la contre-révolution, c’est le conservatisme. C’est là figer des contraires.
Dialectiquement, la contre-révolution est en mouvement également, dans la mesure où elle s’agite vainement, s’éparpille, se dissout, alors que la révolution dispose d’une stabilité toujours plus grande. C’est, si l’on veut, la contradiction entre la quantité et la qualité.
Pour bien saisir cela, regardons les deux conceptions de la subversion qui se sont combattus tout au long des 19e et 20e siècles.
La « minorité agissante »
Ici, on a l’idée d’un Comité révolutionnaire, qui fonctionne de manière secrète. Ce Comité cherche à manipuler les esprits et les actions de contestation, afin qu’un désordre s’installe qui soit favorable à la Cause. Cette démarche peut s’élargir jusqu’à la mise en place d’un groupe activiste qui cherche en permanence la provocation, afin de jouer le rôle de détonateur.
L’idée à l’arrière-plan, c’est celle de servir de « foyer », de mise à feu de la contestation, et de pôle organisé à la pointe de la lutte. Les masses doivent suivre la minorité agissante, s’engouffrer dans la brèche.
Les figures liées à cette démarche élitiste sont Blanqui et Bakounine, mais aussi le Français Georges Sorel ou encore Ernesto « Che » Guevara. Néanmoins, on trouve également une variante contemporaine, avec la théorie des « 1 % » : en mobilisant 1 % de la population, on provoquerait un basculement de la société. Dans tous les cas, la société est considérée comme une sorte de vaste Bourse où les idées sont comme des actions, et où la politique se réduit à un marketing efficace.
L’avant-garde
Le marxisme s’est toujours opposé au principe de la minorité agissante, considérant qu’il fallait une avant-garde porteuse du futur, sur la base d’une lecture des événements historiques.
Puisque l’Histoire est l’Histoire de la lutte des classes, posséder une compréhension de celle-ci permet d’avoir une grille de lecture, de lire ce qui va se passer et de se positionner de manière adéquate pour faire avancer les choses. La saisie du parcours historique est l’outil pour poser les bons mots d’ordre, pour agir de la bonne manière au bon moment.
Mao Zedong a résumé cette ligne par la formule : « Les masses font l’Histoire, le Parti les dirige ». Le Parti est l’état-major, la grande synthèse politico-idéologique du prolétariat.
Mais ce n’est pas tout. La subversion ne vise pas ici seulement à détruire l’État. Ce serait une conception unilatérale, limitée.
La subversion a également comme objectif, dialectiquement, de construire un nouvel État. La construction et la destruction se répondent dialectiquement.
Subversion et Nouvel Ordre
Ainsi, le Parti Matérialiste Dialectique ne doit pas avoir simplement comme démarche de promouvoir le négatif, la destruction, la démolition, la subversion. Dialectiquement, il doit présenter le positif, la production, la construction, le Nouvel Ordre. Il ne peut jamais y avoir d’affirmation du négatif sans le positif, et inversement. Ce qui n’est pas forcément facile. Il y a ainsi les socialistes qui se sont opposés aux communistes, en affirmant que ceux-ci insistent trop sur le négatif.
Puis, les révisionnistes ont insisté uniquement sur le positif, pour se débarrasser du négatif. Ce sont là des déviations droitières. Enfin, il y a régulièrement eu des courants « gauchistes » qui mettaient de côté le positif, pour n’insister que sur le négatif. Dans les deux cas, il y a liquidation d’un aspect, un refus de la dialectique.
Et les victoires acquises l’ont toujours été lorsque le rapport entre positif et négatif a été bien compris. La révolution russe est un renversement de l’ancien Ordre, mais avec une insistance immense sur la construction du Socialisme. Les succès dans la mise en place des démocraties populaires dans les années 1940, contre le fascisme, profitaient d’une excellente compréhension du lien entre Front populaire et antifascisme.
La révolution chinoise combinait adéquatement lutte anti-japonaise (puis lutte anti-féodaux alliés à l’impérialisme américain) et affirmation de la République populaire. Enfin la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne posait directement l’affrontement entre l’ancien et le nouveau, dans tous les domaines, conformément à la lutte entre deux lignes.
La lutte entre deux lignes
Dans les principes du PMD, il est justement dit que :
« 9. Le PMD a comme démarche la lutte des deux lignes, dans tous les domaines : la constatation de la contradiction, l’affirmation de la ligne rouge face à la ligne noire, le renforcement de la ligne rouge jusqu’à la victoire de celle-ci. »
C’est de là qu’il faut partir pour suivre la contradiction entre construction et destruction, entre subversion et Nouvel Ordre. On ne peut pas poser abstraitement, au préalable, la subversion ou le Nouvel Ordre. Il faut suivre le mouvement historique. Cela signifie que le Parti doit être une forteresse, imprenable et ayant un vaste aperçu de la situation, pour toujours être en mesure de poser des jalons.
Et c’est alors qu’il joue le rôle de phare, car il diffuse les bonnes conceptions, les points de vue justes, les actions conformes aux exigences historiques. Car on ne peut pas aller plus vite que la musique de l’Histoire, on est obligé de suivre le rythme de la lutte des classes. La lutte entre deux lignes ne se décrète pas, elle correspond à des situations historiques.
C’est depuis la forteresse qu’on peut les comprendre, c’est par le phare qu’on agit sur elle. Le Parti n’obéit pas aux principes de la minorité agissante, il se définit par son statut d’avant-garde : il est l’expression de l’avenir dans un présent en transformation, en train d’abandonner le passé.
C’est bien là la clef de tout : c’est l’idéologie qui est au poste de commandement et c’est la politique qui décide de tout. Peu importe la durée du processus, les détours de l’Histoire. Ce qui compte, c’est le maintien de la forteresse et l’activité du phare.