A l’été 1931, Ignaz Seipel avait proposé à la social-démocratie de participer au gouvernement. C’était un terrible piège : accepter aurait signifié perdre toute crédibilité, dans la mesure où il s’agissait de mettre en place des mesures sociales terriblement dures, afin de sauver le capitalisme en crise complète depuis 1929.
Mais refuser signifier perdre tout lien avec les institutions et donc permettre une fascisation générale, sans aucun frein. La social-démocratie se crut assez forte pour refuser, mais le souci fut qu’en plus de l’important soutien italien et hongrois à l’austro-fascisme, l’apparition de l’Allemagne national-socialiste allait changer la donne.
Les années 1932-1934 furent pour cette raison très complexes. Le chancelier Engelbert Dollfuss, successeur d’Ignaz Seipel, commença rapidement un tournant autoritaire.
Le major Emil Fey, chef des milices catholiques à Vienne, fut nommé secrétaire d’État à la sécurité intérieure, puis Engelbert Dollfuss instaura le régime de l’économie de guerre.
En mars 1933, il mit de côté le parlement pour gouverner par ordonnance et en avril procéda à l’interdiction de l’Union de protection de la République, les milices du Parti Ouvrier Social-démocrate.
Il interdit le premier mai, puis le Parti Communiste d’Autriche le 26 mai 1933, ainsi que l’union des libres-penseurs, tout en formant parallèlement le même mois un « front patriotique » comme parti unifiant la réaction.
C’était là quelque chose d’une énorme brutalité, mais qui exprimait une tendance autoritaire n’osant pas nécessairement d’elle-même aller jusqu’au bout. C’était aussi une tentative de chercher l’épreuve de forces au moins symboliquement, mais sans nécessairement risquer le tout pour le tout.
Pour cette raison, conscient de cet aspect, lors du congrès du Parti Ouvrier Social-démocrate en octobre 1933, Otto Bauer proféra des menaces envers la réaction, formulant des limites infranchissables.
Celles-ci étaient, à ses yeux, une attaque contre la mairie de Vienne (qui ne devait pas être remplacée par une commission gouvernementale), une attaque contre les syndicats, la dissolution du Parti lui-même.
Et il menaça alors:
« Si l’ennemi veut vraiment faire de l’Autriche un État fasciste, s’il veut vraiment détruire et anéantir cette social-démocratie autrichienne, qui a tant d’importance pour ce pays depuis des décennies et, j’ai le droit de le dire, tant d’importance dans le monde : alors, pas de sentimentalisme, plus de faiblesse.
Alors, allez au combat, mais avec la connaissance de ce que ce combat signifie. Alors il faut savoir que c’est une lutte différente de toutes les luttes précédentes, qu’il n’y a plus de pardon et de considération, qu’il n’y a pas d’autre choix que de vaincre ou de périr et de disparaître pendant longtemps! (Tempête d’applaudissements) »
Otto Bauer fit cependant une série d’erreurs. Tout d’abord, il ne vit pas que l’Italie faisait une pression énorme sur l’austro-fascisme pour aller jusqu’au bout, en raison de l’affirmation de l’Allemagne nazie ayant elle-même une visée expansionniste sur l’Autriche.
Ensuite, il surestima la capacité des cadres du Parti Ouvrier Social-démocrate à passer d’une action légale, associative, syndicale, à une action armée qui pourtant disposait d’une réelle base, tant sur le terrain de la mobilisation des masses que sur celui de l’organisation, ainsi que des caches d’armes.
Engelbert Dollfuss prolongea ainsi son action. Après avoir été régulièrement censuré, l’organe social-démocrate la Arbeiter Zeitung se vit interdire toute vente publique le 20 janvier 1934.
Le 12 février 1934, la résistance d’une milice social-démocrate à une perquisition à Linz fut pris comme prétexte pour lancer l’écrasement de la social-démocratie, l’armée tirant à coups de canon contre le Karl Marx Hof.
Seulement 5 ou 6 000 miliciens avaient participé à la résistance, ainsi que le Parti Communiste d’Autriche : les cadres du Parti Ouvrier Social-démocrate n’avaient pas osé se lancer dans la bataille, refusant même de divulguer les caches d’armes aux ouvriers se mobilisant.
La répression de 1934 amena la mort d’au moins mille sociaux-démocrates rien qu’à Vienne ; dans tout le pays, 124 membres des forces gouvernementales furent tués.
Toutes les structures social-démocrates furent interdites, tous les contrats collectifs dissous, ainsi que les comités d’entreprises ; c’était là l’objectif central de l’austro-fascisme et le chef de la garde patriotique et ministre pour les affaires sociales Odo Neustdäter-Stürmer, pouvait affirmer devant un rassemblement de ses troupes à Saint Pölten le 21 avril 1934 :
« Notre idée est aujourd’hui devenue l’idée de l’État. »
Le premier mai 1934, « l’État corporatiste » fut instauré, sur une base catholique, avec un aigle à deux têtes comme symbole. Le grand document servant d’arrière-plan fut l’enyclique de 1931 du pape Pie XI, Quadragesimo anno, c’est-à-dire Dans la quarantième année par rapport à l’encyclique Rerum Novarum qui fixait la doctrine sociale de l’Eglise.
Le Parti Ouvrier Social-démocrate implosa alors, rejoignant en partie le Parti Communiste d’Autriche qui avait lui prévu l’illégalité, et qui passa alors de 3000 à 16 000 membre en quelques mois.
Des groupes se montèrent (la Funke, le Schattenkomitee) cependant, s’unissant rapidement pour former là la fin de l’année 1934 les Socialistes Révolutionnnaires, rejoint par Otto Bauer qui fit son autocritique et avait formé le bureau à l’étranger de la social-démocratie autrichienne.
La question de la ligne antifasciste divisa cependant rapidement les Socialistes Révolutionnaires. Otto Bauer soutenait la ligne de Front populaire proposée par l’Internationale Communiste, tandis que Joseph Buttinger et Karl Czernetz proposaient la mise en avant de la révolution socialiste, sans étapes.
Mais c’est sur la question nationale que les restes de la social-démocratie allait définitivement se briser. En effet, dès juillet 1934, Engelbert Dollfuss fut tué par les nationaux-socialistes lors d’une tentative de coup d’État.
L’austrofascisme continua de s’appuyer sur l’Italie fasciste, mais cette dernière se tournait vers l’Allemagne nationale-socialiste en raison de ses propres faiblesses. Le nouveau dirigeant austro-fasciste Kurt Schuschnigg fut obligé de réaliser des compromis avec l’Allemagne de Hitler.
En mars 1938, il accepta même la tenue d’un référendum sur l’indépendance nationale de l’Autriche. Or, la social-démocratie avait toujours été pangermaniste et lors d’une conférence clandestine, la majorité des structures restantes se décida à voter oui au référendum.
Celui-ci se tint alors que l’armée nazie avait déjà envahi l’Autriche, obtenant 99 % de oui.